Citations et extraits

 

 

 

 

 

de

 

 

 

 

 

Louis de BONALD

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le petit esprit est l’esprit des petites choses. Le petit esprit a été l’esprit dominant dans le dernier siècle, où l’on n’a vu que les arts, les plaisirs, le crédit, le commerce, la population, en un mot le matériel de la société ; choses petites, comparées aux choses morales dont on ne s’est occupé que pour les détruire.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

La pensée veut la solitude, et l’art de parler, les assemblées. La plupart des hommes de nos jours n’ont vécu que dans les assemblées politiques.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

Celui qui n’aurait pas à combattre contre ses penchants, serait innocent plutôt que vertueux.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

Une conduite déréglée aiguise l’esprit et fausse le jugement.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

La simplicité n’est ni ignorance ni bêtise, et elle peut s’allier à beaucoup de connaissance, à beaucoup d’esprit et même à du génie ; elle est pour l’esprit ce que la modération est pour le caractère, et une sage économie dans remploi de sa fortune, elle consiste à ne savoir que son état, à ne faire que son métier, et à ne pas se croire, par exemple, théologien, parce qu’on a étudié en médecine ou publiciste, parce qu’on suit un cours d’histoire naturelle ou de chimie, et qu’on sait tenir un compte à parties doubles.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

Le plus grand bonheur que la société puisse procurer à l’homme est de le défendre contre les illusions de sa cupidité, les écarts de son imagination et l’inconstance de ses goûts.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

Un homme peut être plus ou moins vertueux, et il peut pousser la vertu jusqu’à l’héroïsme ; une chose ne peut pas être plus ou moins vraie. Aussi les esprits qui, dans certaines discussions, prennent par goût, et, à ce qu’ils croient, par modération de caractère, les opinions moyennes, sont assez naturellement des esprits moyens ou médiocres.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

La religion est à la lettre l’âme de la société, et la politique en est le corps. Nous sommes matérialistes en politique comme en philosophie, et nous voulons des corps sans âme.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

Il n’y à rien pour un homme de plus ruineux que le libertinage, et pour un État que l’irréligion.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

La politique ne sait pas assez combien il y a de force dans tout ce qui est religieux et de faiblesse dans ce qui n’est qu’humain.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

L’honneur, l’intérêt le respect humain, la crainte même, sont des motifs d’être honnête homme ; mais on ne trouve que dans la religion la raison suffisante de l’être toujours, et envers le public, comme envers le particulier ; et de l’être même à son préjudice.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

Nous avons un code civil, un code criminel, un code de procédure, un code de commerce, un code rural, un code forestier, un code hypothécaire, etc. ; et la religion, le code moral, qui, bien observé, pourrait à lui seul tenir lieu de tous les autres, nous n’en voulons pas, et nous la traitons comme un mal nécessaire qu’il faut tolérer, en prenant tous les moyens possibles pour en diminuer l’influence.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

Des gens d’esprit peuvent haïr la religion ; mais il n’y a que des sots qui sérieusement redoutent son influence.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

La religion tient trop de place dans les pensées et les devoirs des hommes, et dans les besoins de la société, pour n’inspirer que des sentiments médiocres. L’attachement pour elle va jusqu’à l’amour le plus ardent, et l’indifférence jusqu’à la haine la plus déclarée.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

La religion est si naturelle à l’homme, que tous les efforts d’un gouvernement qui voudrait la détruire, n’aboutiraient qu’à la faire renaître sous les formes de la superstition, et les peuples deviendraient crédules en cessant d’être croyants.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

Les esprits vraiment philosophiques sont bien moins frappés de la diversité des croyances religieuses que de leur conformité sur les points fondamentaux de la religion et de la morale.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

Il faut considérer la religion en homme d’État, et la politique en homme religieux : Suger, Ximenès, Richelieu ne les ont jamais séparées.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

La politique ne change pas les cœurs ; ce miracle est réservé à la religion. L’une et l’autre peuvent faire des hypocrites ; la religion seule fait des convertis.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

La religion chrétienne est la philosophie du bonheur ; notre philosophie moderne est la religion du plaisir. L’une est le remède amer, mais salutaire ; l’autre, le mets agréable au goût, et qui ruine la santé.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

Les philosophes ont travaillé à la fois à corrompre les grands et à égarer les petits ; ils ont parlé à ceux-ci de leurs maux, à ceux là de plaisir, et ils ont aigri les uns et amolli les autres.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

On n’aime que soi, et on ne devrait craindre que soi. C’est ce que la religion veut nous apprendre lorsqu’elle nous recommande de nous haïr nous-mêmes ; elle sait bien que nous ne prendrons pas l’avis à la lettre.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

La religion exerce l’homme au malheur par les sacrifices : c’est la plus utile leçon qu’elle puisse lui donner. Ainsi, dans les camps de paix, le soldat se forme aux fatigues de la guerre.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

La morale peut régler la conduite de l’individu, mais le dogme seul forme l’esprit général d’une société.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

La religion, que certains hommes croient finie parce qu’il n’y en a plus dans leur cœur, règle la destinée des nations, même alors qu’elle ne dirige plus les conseils des rois.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

La religion retient l’homme dans les campagnes, en lui inspirant le goût de la retraite, l’habitude de mœurs simples, de désirs bornés, d’une vie sobre et laborieuse ; le goût du plaisir, l’orgueil du bel esprit, la curiosité, et toutes les passions poussent et entassent les hommes dans les villes, en leur inspirant la démangeaison de jouir, de savoir et de parler.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

On remarque les vertus chez les peuples vicieux, et les vices chez les peuples vertueux ; de là des éloges si exagérés des vertus des païens, et une censure si amère des vices des chrétiens.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

Tout gouvernement qui croirait qu’il n’y a plus de religion dans le cœur des peuples, parce qu’il n’y en verrait point le goût et les pratiques, et qu’on y remarquerait, au contraire, de grands désordres, ressemblerait tout à fait à un propriétaire qui abandonnerait comme stérile une terre qui serait couverte de ronces et d’épines qu’il n’aurait pas arrachées, et où il chercherait du blé qu’il n’aurait pas semé. Le mauvais est inné, le bon est acquis.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

La religion renferme quelque chose de mystérieux et de relevé dans ses dogmes, de sévère dans ses préceptes, d’austère dans ses conseils, de magnifique dans ses promesses, de terrible dans ses menaces, qui est singulièrement propre à former des habitudes graves, des sentiments élevés et de forts caractères.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

Le but général de l’éducation est de donner à l’homme la connaissance des lois qu’il doit suivre, de lui inspirer de l’affection pour les objets qu’il doit aimer, de diriger son action vers les devoirs qu’il doit pratiquer. Connaître, aimer, agir, voilà tout l’homme et toute la société. « L’Égypte n’oubliait rien pour polir l’esprit, ennoblir le cœur et fortifier le corps », dit Bossuet, qui admet cette distinction.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

Il est dangereux et même indécent, dans un État chrétien, de confier la direction de l’éducation publique à un corps de laïques ; c’est donner le ministère de la guerre à un mécontent.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

Ceux qui s’extasient sur le progrès des Lumières, sont ceux que la révolution a élevés ou enrichis. Ils ont raison, car ils entendent par le progrès des lumières l’art de faire fortune, qui certainement s’est perfectionné et a acquis à la fois plus de fécondité d’invention, plus de grandeur dans son objet, et de célérité dans ses moyens.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

En morale, toute doctrine moderne, et qui n’est pas aussi ancienne que l’homme, est une erreur.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

Un déiste est un homme qui, dans sa courte existence, n’a pas eu le temps de devenir athée.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

Il faut marcher avec son siècle, disent les hommes qui prennent pour un siècle les courts moments où ils ont vécu. Mais, depuis Tacite, on appelle l’esprit du siècle tous les désordres qui y dominent, seculum vocatur ; ce n’est pas avec un siècle, c’est avec tous les siècles qu’il faut marcher ; et c’est aux hommes, quelquefois à un homme seul, qu’il appartient de ramener le siècle à ces lois éternelles qui ont précédé les hommes et les siècles, et que les bons esprits de tous les temps ont reconnues.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

La vérité, quoique oubliée des hommes, n’est jamais nouvelle ; elle est du commencement, ab initio. L’erreur est toujours une nouveauté dans le monde ; elle est sans ancêtres et sans postérité ; mais par cela même elle flatte l’orgueil, et chacun de ceux qui la propagent s’en croit le père.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

On dit les erreurs d’Aristote, de Luther, de J.-J. Rousseau, les erreurs d’un siècle ; pourquoi ne peut-on pas dire les vérités de Platon, de Leibnitz, de S. Augustin, les vérités d’un siècle, comme on dit les vérités de l’Évangile ? C’est que l’erreur est de l’homme, la vérité est de Dieu ; l’une s’invente, l’autre se découvre ; l’erreur a son évidence, et c’est l’absurdité ; la vérité a son évidence, et c’est la certitude. On dit les pensées, les sentiments, les opinions, les esprits des hommes ; pourquoi ne peut-on pas dire les raisons des hommes ? C’est qu’il n’y a qu’une raison éternelle qui éclaire tout homme venant en ce monde, quand il ne ferme pas les yeux à sa lumière. Ainsi notre langage est vrai, en dépit de nous, et même lorsque nos pensées ne sont pas justes. Je connais un esprit droit et fort que ces seules considérations ont, de conséquence en conséquence, ramené de bien loin à la religion.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

124. Il y a deux mondes dans l’univers moral : le monde de l’erreur, du vice, du désordre et des ténèbres ; c’est de ce monde, le seul qu’il y eût alors, dont parle Jésus-Christ lorsqu’il dit que son royaume n’est pas de ce monde. Il y a le monde da la vérité, de l’ordre, de la lumière ; c’est celui que le christianisme est venu former sur la terre, et dont les différentes parties réunies sous les mêmes croyances générales, et dans les mêmes lois politiques, ont pris le nom de chrétienté. C’est le monde négatif et le monde positif, dont l’un aboutit à la corruption et à la destruction ; l’autre a pour objet la perfection et la conservation. Ces deux mondes sont l’un contre l’autre en opposition nécessaire, et la société, qui est le monde de l’ordre et de la vérité, est la guerre des bons contre les méchants. C’est pour cette raison que le pouvoir suprême s’appelle le Dieu des armées. Dans cette guerre toujours de ruse, et quelquefois de violence et à force ouverte, les bons, qui marchent en corps d’armée régulier, et sous la conduite de leurs chefs, sont souvent surpris par les méchants, qui font la guerre en partisans, et chacun pour leur compte. Quand les méchants triomphent, ils parodient la société ; ils ont leur gouvernement, leurs lois, leurs tribunaux, même leur religion et leur dieu ; ils donnent même des lois au désordre pour le faire durer, tant est profonde et naturelle l’idée de l’ordre.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

Ceux qui prétendent que le hasard gouverne le monde, et qui n’y voient que des désordres, tombent en contradiction avec eux-mêmes ; car la constance et la généralité du désordre serait aussi un ordre, mais négatif, et prouverait seulement une intelligence malfaisante ; et les écoles anciennes, qui ont admis deux principes, l’un bon et l’autre mauvais, sont moins absurdes que celles qui n’en reconnaissent aucun.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

Bien des gens, qui ne savent que ce que d’autres ont écrit, ou n’ont écrit que ce que d’autres ont pensé, s’imaginent que tout est connu dans le monde, et qu’il n’y a plus rien à découvrir. Ainsi l’homme qui jamais n’aurait fait un pas, pourrait prendre son horizon pour les bornes du monde.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

Lorsque vous voyagez dans des provinces reculées et des lieux écartés, si vous êtes salué par les jeunes gens, si vous apercevez des croix autour des villages, et des images chrétiennes dans les chaumières, entrez avec confiance, vous trouverez l’hospitalité.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

Les arts, la littérature, la politique même conspirent à l’envi pour la volupté, ce mortel ennemi des sociétés ; bientôt les lois ne pourront plus prévenir l’infanticide, et déjà les hôpitaux ne suffisent plus à recevoir et à nourrir les enfants trouvés. Encore quelque temps, et les plus grands désordres justifieront jusqu’aux conseils les plus sévères de la religion.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

La passion du devoir, la plus rare de toutes les passions, est aussi la plus ardente et la plus active, parce qu’elle n’est pas, comme les autres, refroidie ou ralentie par les dégoûts, les incertitudes ou les remords : aussi la passion du devoir est la seule qui ait fait de grandes choses, des choses qui durent.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

Dans les mêmes positions, les devoirs ne sont pas les mêmes pour tous les hommes, et il est demandé davantage à celui qui a le plus reçu.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

Les crimes des peuples naissent de leurs erreurs, comme dans l’homme l’action suit la pensée. Un peu plus tôt, un peu plus tard, toujours 89 aurait produit 93, et le produirait encore aujourd’hui.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

Le suicide devenu si commun parmi nous, et qui bientôt ne laissera plus à la justice humaine de criminel à punir, ni à la bonté divine de coupable à pardonner, le suicide ne date en Europe que du temps de la réformation.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

La fausse philosophie inspire la haine de la vie, et la fureur de se l’ôter quand elle n’est pas heureuse ; la religion inspire le mépris de la vie heureuse ou malheureuse, et le courage de la supporter telle qu’elle est.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

Ne rien demander, ni se plaindre de personne, est une excellente recette pour être heureux.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

Il y avait autrefois en France de la légèreté dans les manières, et de la gravité dans les esprits ; la révolution a changé tout cela : elle a rendu les esprits trop superficiels et les manières tristes, et il n’y a plus ni raison ni gaîté.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

Depuis que le mariage a reçu, sous l’influence du christianisme, toute sa dignité et toute sa douceur, il ne peut plus y avoir entre un homme et un homme de ces amitiés si célèbres dans l’antiquité païenne. La femme est l’amie naturelle de l’homme et toute autre amitié est faible ou suspecte auprès de celle-là.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

La religion chrétienne est la première et la seule qui ait pris soin de toutes les faiblesses de l’humanité, de la faiblesse de l’esprit, du sexe, de l’âge, de la condition ; cela seul a changé le monde, et c’est le sens politique de cette parole des livres saints : Emitte Spiritum tuum, et renovabis faciem terræ.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

La nature met entre les hommes des inégalités de corps et d’esprit, la société y ajoute celle des rangs et des fortunes ; la religion interpose sa médiation entre les forts et les faibles, et compense toutes les inégalités en mettant la force aux ordres de la faiblesse : « Que le plus grand d’entre vous, dit-elle, soit le serviteur des autres », et elle fait habiter ensemble les lions et les agneaux.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

Là où les lois n’ont été que la volonté des plus forts, toutes les volontés des hommes puissants peuvent devenir des lois.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

La politesse pour un peuple est la perfection des arts ; la civilisation, la perfection des lois. Il y a eu dans l’antiquité des peuples polis par les arts ; il n’y a de civilisation que chez les peuples chrétiens. Être policé, pour un peuple, n’est pas la même chose qu’être poli. Tous les peuples sont policés, plus ou moins, selon leurs progrès dans la vie sociale. Les sauvages, qui ne sont ni polis ni civilisés, ont leur police, et une association même de brigands se soumet à quelques règles.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

Les peuples brillent par la guerre, les arts et les lois. Mais chez un peuple parvenu à un haut degré de civilisation, ou de bonté morale, la guerre, pour être honorable, doit être défensive ; les arts, pour être utiles, doivent être chastes ; les lois, pour être bonnes, doivent être parfaites.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

Il n’y a pas en Europe un homme éclairé qui ne regarde comme une erreur la distinction du pouvoir en législatif, exécutif et judiciaire, et qui ne sache qu’il ne peut y avoir dans la société qu’un pouvoir, le pouvoir législatif, dont l’administration civile ou militaire et celle de la justice sont deux fonctions. N’importe, éternellement on répétera, dans nos assemblées politiques, sur la foi des philosophes du dernier siècle, la distinction des trois pouvoirs ; et nous nous moquons de l’asservissement des écoles anciennes aux erreurs de physique ou de philosophie d’Aristote Celles-là du moins étaient sans danger.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

Jamais la société n’est plus près de voir naître ou renaître les institutions les plus sévères, qu’au temps du plus grand relâchement de toutes les règles ; c’est là surtout que les extrêmes se touchent, et que la nature a placé le remède à côté du mal.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

Il faut, dans tout État, du pouvoir, de l’obéissance, de la discipline mais il n’en faut pas trop. L’excès du pouvoir est de la tyrannie, l’excès de l’obéissance est de la servitude, l’excès de la servitude est de l’automatisme. Dans la Chine il y a trop de discipline, et tout est réglé, jusqu’aux révérences. En Turquie, il y a trop d’obéissance, et l’on reçoit avec respect et soumission le cordon envoyé par le Grand Seigneur ; dans les petits États de la côte d’Afrique, il y a trop de pouvoir, et le despote vend ou tue à volonté ses malheureux esclaves. La religion chrétienne avait, par son influence, admirablement combiné ces trois éléments de tout ordre social, et de leur séparation était sortie la société comme une création. La philosophie a tout confondu ; elle a ramené le choc des éléments, le chaos.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

Depuis que la politique a préféré l’appui de la philosophie à celui de la religion, elle a cru devenir plus humaine, et n’est devenue que plus timide, et cela devait être. La philosophie cherche ce que la religion a décidé ; la religion a la foi, l’espérance, la charité ; la philosophie ne sait rien, n’espère rien, et n’aime rien.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

Chez un peuple lettré, le plus grand mal qu’on puisse faire à la société, est la publication d’une fausse doctrine de religion, de morale ou de politique. Les gouvernements redoutent beaucoup trop l’influence des journaux sur la tranquillité publique, et ils ne craignent pas assez la corruption lente, mais profonde, que répandent les ouvrages sérieux ; ils sont plus alarmés d’un accès de fièvre éphémère que de la gangrène ; le remède à un article dangereux de journal se trouve le lendemain dans un autre journal : la réfutation d’un mauvais livre ne vient quelquefois qu’après un siècle, et n’est souvent qu’une révolution. La société a rarement le spectacle de combats corps à corps entre des écrivains contemporains de même force. Bossuet et Fénelon sont nés dans un siècle ; Voltaire et Jean-Jacques dans un autre.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

Une nation qui est une réunion de familles, indépendantes les unes des autres, et liées entre elles par les mêmes devoirs religieux et politiques, devient, grâce aux élections, un vaste marché où l’ambition achète ce que l’intrigue vend ; où l’homme, tour à tour flatteur et insolent, s’humilie et se fait rechercher ; où l’éloge effronté de soi, la détraction contre les autres, et souvent la calomnie, la vénalité, la captation, sont des voies ordinaires de fortune, toutes choses incompatibles avec l’honneur, la vertu, la religion, l’humanité, et subversives de tout ordre social.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

Une république est une société de particuliers qui veulent obtenir du pouvoir, comme une société de commerce est une association de particuliers qui veulent gagner de l’argent ; c’est cette identité de principes qui rend les républiques commerçantes, et le commerce républicain.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

Une république est une loterie de pouvoir : l’un y place son courage, l’autre son habileté, celui-ci son intrigue, celui-là même sa richesse. Les hommes forts d’esprit et de caractère ne rejettent jamais la royauté que parce qu’ils veulent eux-mêmes être rois, sous un nom ou sous un autre. Les faibles, ne pouvant y prétendre, s’attroupent pour dominer en commun ; ce sont les seuls républicains de bonne foi, qui croient gouverner parce qu’ils délibèrent, et décider parce qu’ils opinent.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

La maxime que tout pouvoir vient du peuple, est athée puisqu’elle nie ; ou du moins recule Dieu de la pensée de l’homme, et de l’ordre de la société ; maxime matérialiste, puisqu’elle place le principe du pouvoir, c’est-à-dire, ce qu’il y a de plus moral au monde, dans le nombre qui est une propriété de la matière.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

Quand les esprits malins et rusés persuadent au peuple qu’il est souverain, ils lui présentent, comme le serpent à Ève, le fruit défendu ; alors ses yeux s’ouvrent, non sur ses devoirs et sur les douceurs de la vie privée et de la médiocrité, mais sur l’infériorité de son état ; infériorité nécessaire, inévitable, et que dans l’orgueil de ses nouvelles lumières il prend pour de la misère et de l’oppression. Il a conservé toute son ignorance, et il a perdu sa simplicité. Heureux tant qu’il n’était que sujet, il se trouve, comme souverain, pauvre et nu. Alors tout bonheur est fini pour lui ; et exilé de l’ordre comme Adam du paradis terrestre, il entre dans une longue carrière de calamités et de révolutions.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

Une révolution qui rendrait les hommes tous également souverains, ne les contenterait pas plus que celle qui les rendrait tous esclaves. Ce sont les inégalités qu’on aime, tout en prêchant l’égalité.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

Veut-on savoir quel est le peuple souverain ? Qu’on le demande au peuple lui-même. Il vous répondra, dans la simplicité de son bon sens, que c’est le peuple propriétaire, souverain des terres qu’il cultive, roi des valets qu’il commande, maître des animaux qui l’aident dans ses travaux : c’est ce que la monarchie lui avait donné par l’inféodation, et que la république lui a enlevé par les confiscations.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

Des sottises faites par des gens habiles ; des extravagances dites par des gens d’esprit ; des crimes commis par d’honnêtes gens… voilà les révolutions.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

Les révolutions commencent par la guerre des opinions contre les principes, et se prolongent par des intérêts. Dans le cours de la crise révolutionnaire, les opinions sont absorbées, et, sauf quelques cerveaux incorrigibles où elles tiennent encore, il ne reste sur le champ de bataille que d’anciens principes et de nouveaux intérêts, et la guerre continue entre la société et l’homme, les particuliers ne peuvent rester neutres, ni les gouvernements incertains.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

Tous sont propres à détruire, peu a réédifier. Si l’on donnait à une troupe de marmots le château des Tuileries à démolir, les plus petits casseraient les vitres, les autres briseraient les portes ou mettraient le feu aux charpentes, et l’édifice, malgré sa solidité, serait bientôt en ruine ; mais si on leur donnait une chaumière à construire, ils ne sauraient comment s’y prendre, parce qu’il faut, pour bâtir, un plan, un ordre de pensées et de travaux, et qu’il ne faut rien de tout cela pour détruire. C’est là l’histoire des révolutions, et la raison du grand nombre de talents révolutionnaires que l’on a trouvés jusque dans les derniers rangs, et que les sots admirent.

Vous serez des dieux, dit aux premiers hommes, a fait dans le monde la première révolution. Vous serez des rois, dit aux peuples, a fait la dernière, et toujours l’orgueil ! Quelle est vraie et profonde la doctrine qui commande l’humilité !

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

Les révolutionnaires ont dirigé la révolution avec une grande connaissance du cœur humain ; mais ils n’ont connu que ce qu’il y avait de mauvais ; et dans ce genre ils ont fait des découvertes.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

Ce n’est pas de la haine que les hommes éclairés ressentent pour la révolution ; c’est un profond mépris.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

Pendant tout le cours de la dévolution, on a mis les honnêtes gens au serment, précisément comme on met les scélérats aux fers ; pour les empêcher d’agir.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

La France, premier né de la civilisation européenne, sera la première à renaître à l’ordre ou à périr.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

La révolution française, ou plutôt européenne, a été un appel fait à toutes les passions par toutes les erreurs : elle est, pour me servir d’une expression géométrique, le mal élevé à sa plus haute puissante.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

Il n’y aura bientôt plus que l’opulence et la misère qui puissent vivre dans les grandes cités ; la médiocrité, qui les sépare, en sera bannie par l’impossibilité d’y subsister décemment. Alors se fera le contact immédiat des deux extrêmes de l’état social, et il ne sera pas sans danger.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

Il y avait en France des idées si enracinées de liberté, d’humanité, de respect pour l’homme, qu’après le métier d’exécuter à mort son semblable, le plus vil était de l’arrêter, ou même de l’assigner à comparaître, et que dès le collège, et entre les enfants, l’action la plus odieuse et la plus lâche était de dénoncer son camarade.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

Beaucoup d’ouvriers politiques travaillent en Europe comme certains ouvriers en tapisserie, sans voir ce qu’ils font ; ils seraient bien étonnés s’ils pouvaient voir le revers de leur ouvrage.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

Les mêmes hommes qui ont réclamé si hautement, en France, la liberté des cultes, ont vu, avec la plus profonde indifférence l’état des catholiques dans quelques parties de l’Europe ; ils avaient deux poids et deux mesures.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

L’impartialité à l’égard des personnes est de la justice ; l’impartialité dans les opinions est de l’indifférence pour la vérité ou de la faiblesse d’esprit.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

On peut remarquer dans plus d’un genre que les opinions moyennes, qu’on décore quelquefois du nom de modérées, germent naturellement dans les esprits moyens ; esprits d’entre-deux, dit très bien Pascal, qui font les entendus ; ce sont ceux-là qui troublent le monde, parce que la vérité n’est pas dans le milieu comme la vertu.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

Il n’y a jamais que deux partis dans un État. « Qui n’est pas avec moi est contre moi », a dit la vérité même.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

L’ordre va avec poids et mesure ; le désordre est toujours pressé.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

Ceux qui, pour excuser les désordres de notre temps, cherchent dans le passé des exemples de désordre, oublient qu’alors il était dans les mœurs ou dans l’administration, et que de nos jours il a été dans les lois ; et qu’il n’y a jamais de désordre à craindre que celui qui est consacré par la législation. Jusqu’à nos jours il s’était fait en France de bonnes lois dans les temps de trouble, et la honte de notre temps est que le mal a eu son code et même qu’il a été conduit avec méthode et régularité.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

Les philosophes modernes, échos des novateurs du XVIe siècle, ont raisonné comme des insensés sur la prééminence temporelle ou plutôt politique du chef de l’Église, regardé autrefois comme le modérateur suprême de la république chrétienne. Ils n’ont pas vu que, si quelques papes ont abusé de leur pouvoir, tous les États en ont profité, et que l’Europe doit toute sa civilisation à la prédication de l’Évangile et à l’influence du christianisme. Le grand Henri voulait rétablir cette république chrétienne et l’illustre Leibnitz, tout luthérien qu’il était, approuve cette prééminence d’honneur du Saint-Siège, prééminence qui à l’avenir n’aurait plus d’abus, parce que les vérités sociales sont plus développées, et à laquelle il n’a manqué, pour être universellement reconnue, que d’avoir été exactement définie.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

Quand l’Évangile dit aux hommes : Cherchez premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et tout le reste vous sera donné comme par surcroît », il dit aux gouvernements : « Faites vos peuples bons, et ils seront assez riches. » En effet, la vertu inspire l’amour du travail et l’habitude de la tempérance, véritables sources de la richesse. La politique moderne dit au contraire : « Faites le peuple riche, et il sera assez bon. » Et elle l’occupe avant tout d’arts, de commerce, de manufactures, etc. ; mais malheureusement pour être riche il faut le devenir, et chercher la richesse pour la trouver. Or, ce n’est pas la richesse qui corrompt les hommes, mais la poursuite de la richesse.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

La corruption vraiment à redouter pour la société, parce qu’elle y éteint tout esprit public, tout sentiment généreux, qu’elle flétrit l’âme et dessèche le cœur, est le goût immodéré des richesses.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

Si l’on juge des soins et de l’intelligence du berger plutôt par le bon état de son troupeau que par le nombre des bêtes qui le composent, quelle idée, je le demande, peut donner des soins et de l’habileté des gouvernements européens cette population hideuse de misères, de grossièreté et de corruption qui surcharge toutes les grandes cités ?

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

Dieu commande à l’homme de pardonner, mais en proscrivant à la société de punir.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

L’esprit de notre ancienne jurisprudence criminelle était de venger la société. L’esprit de la nouvelle est de sauver le prévenu.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

Les représentations théâtrales ont, plus qu’on ne pense, fourni au suicide, et peut-être à l’assassinat, des excuses et des exemples.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

L’auteur des Lettres persanes a souvent écrit dans l’Esprit des lois comme celui de la Nouvelle Héloïse dans le Contrat social. L’Esprit des lois manque de gravité, et sa profondeur n’est souvent que de la concision. Le Contrat social creuse plus avant, mais dans le vide. Montesquieu avait plus d’esprit, Rousseau plus de talent politique ; mais l’un a mieux employé son esprit que l’autre son talent. Rousseau a pu détruire, Montesquieu ne pouvait pas bâtir. Supérieur à tous pour les distributions et les détails, il n’a pas su établir les fondements ; il a manqué la famille. « Le divorce, dit-il, a ordinairement une grande utilité politique », maxime destructive de toute constitution monarchique.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

L’Esprit des lois, le plus profond de tous les ouvrages superficiels ; comme son siècle, riche en beautés d’exécution, fécond en erreurs de principes, et dont j’ose dire, avec l’indépendance qui sied à la vérité, que le mérite littéraire est pour beaucoup dans la fortune philosophique.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

La science et les lettres étaient autrefois un but ; aujourd’hui, et depuis la révolution, elles ne sont plus qu’un moyen.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

La déclamation et l’enflure sont proprement l’éloquence de l’erreur ; il n’y a que la vérité qui puisse être simple, comme il n’y a que la beauté qui puisse se passer d’ornements.

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

Les sauvages ne sont pas des peuples naissants ou primitifs, mais des peuples dégénérés, des débris de nations qui ont eu des lois, des législateurs et des philosophes. Qui oserait dire ce que nous serions devenus si l’état moral, politique, littéraire de la France, en 1793, eût pu subsister seulement pendant un siècle ?

 

Esprit de M. de Bonald, ou Recueil méthodique

de ses principales pensées, 1870.

 

 

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La France est l’aînée des sociétés de l’Europe. Ce souvenir arrache une réflexion douloureuse : le retour à la barbarie suivrait-il le même ordre que la civilisation a suivi, et la société qui s’est formée la première, serait-elle la première à se dissoudre ?

 

Théorie du pouvoir politique et religieux, 1796.

 

 

Voyez la France ; elle n’est plus ! depuis six ans entiers, le plan de destruction le plus vaste, le plus savamment combiné, le plus opiniâtrement suivi, la guerre civile la plus acharnée, la guerre étrangère la plus générale, des proscriptions sans exemples, une oppression inouïe, la faim, la misère et la mort, tous les fléaux ensemble, n’ont pu anéantir dans cette société l’esprit de vie que lui imprimèrent sa constitution et le caractère national. Il n’y reste pas pierre sur pierre, et ses fondements, comme ceux de ce temple célèbre, agités par une force secrète, engloutissent les ouvriers et repoussent leurs constructions. Les lois nouvelles ne peuvent s’affermir, ni les anciennes habitudes se détruire ; le feu sacré brûle encore dans la Vendée comme dans un sanctuaire ; là des Français, sans autre motif que l’attachement au culte de leurs pères et à l’héritier de leurs rois, sans autre secours que leur courage, luttent, avec la seule force du caractère national, contre toutes les passions des hommes et toute la rage de l’enfer ; tandis que d’autres Français poursuivent avec un acharnement déplorable la ruine de leur patrie, et leur propre perte.

 

Théorie du pouvoir politique et religieux, 1796.

 

 

Dans une société où la religion et le gouvernement auront été détruits, il est nécessaire que la religion renaisse chez les grands, avant que le gouvernement renaisse pour le peuple, parce qu’il est dans la nature des êtres que les dispositions de celui qui doit commander précèdent les dispositions de celui qui doit obéir. J’ai prouvé avec la dernière évidence qu’il n’existait pas de pouvoir général ou social dans une société républicaine (existant par elle-même) ; il n’y existera donc pas de religion sociale ou publique, elle tombera donc dans l’athéisme.

 

Théorie du pouvoir politique et religieux, 1796.

 

 

Le projet de républicaniser l’Europe est le projet d’y introduire l’athéisme, ou le projet d’y introduire l’athéisme, celui de la républicaniser.

 

Théorie du pouvoir politique et religieux, 1796.

 

 

Les philosophes prêchaient l’athéisme aux grands, et le républicanisme aux peuples : ils délivraient du joug de la religion ceux qui doivent commander, et du frein du gouvernement ceux qui doivent obéir. Ils disaient aux premiers que la religion n’était faite que pour les peuples ; et aux seconds, que le gouvernement n’était utile qu’aux grands : il résultait de cette double instruction, nécessairement commune aux grands et au peuple, que les grands, en concevant du mépris pour la religion, concevaient aussi des doutes sur la légitimité du pouvoir même qu’ils exerçaient ; et que le peuple, en prenant en haine ou en jalousie l’autorité politique, concevait aussi des doutes sur l’utilité de la religion qu’il pratiquait, et qui lui prescrivait l’obéissance au gouvernement.

 

Théorie du pouvoir politique et religieux, 1796.

 

 

Le libertinage d’esprit porte atteinte aux principes fondamentaux d’une religion sociale ; bientôt le libertinage des sens bannit une galanterie décente qu’on peut appeler le culte extérieur des mœurs honnêtes ; un délire républicain ne tardera pas à attaquer la constitution politique de la société. La femme secoue elle-même le joug des mœurs décentes, les mœurs cessent de la protéger, les lois même l’oppriment, et l’on porte contre elle la loi du divorce. L’homme rejette le frein du pouvoir ; le pouvoir cesse de le protéger, le pouvoir même l’opprime et l’on porte contre lui les lois révolutionnaires. Dans le même temps et chez le même peuple, une philosophie orgueilleuse veut ramener la religion sociale à la religion naturelle ; une philosophie sensuelle ne considère plus les femmes sous des rapports sociaux mais sous des rapports purement naturels ; une philosophie séditieuse ramène la société civile à l’état féroce et sauvage des sociétés naturelles.

 

Théorie du pouvoir politique et religieux, 1796.

 

 

Dans toutes les révolutions il y a un dessous de cartes, qui n’est pas toujours connu, parce que les meneurs périssent souvent dans les troubles inséparables de la révolution, et emportent avec eux leur secret que des évènements ultérieurs auraient dévoilé. Cependant les effets arrivent, parce que l’impulsion est donnée ; mais le voile reste sur les causes, et la foule imbécile, qui ne les soupçonne pas, imagine du merveilleux pour expliquer les effets.

 

Théorie du pouvoir politique et religieux, 1796.

 

 

La France s’érige en démocratie, et s’élève en un instant au plus haut période de désorganisation auquel une société puisse atteindre ; les États-Unis avaient toléré tous les cultes ; malgré quelques décrets hypocrites, la France les proscrit tous, et pour mieux anéantir la religion, elle en massacre les ministres. Les États-Unis avaient aboli la royauté ; la France va plus loin, elle fait périr le roi, et par la honte de sa mort, elle veut étouffer jusqu’à la compassion. Les États-Unis avaient anéanti les distinctions ; la France détruit les familles distinguées. Les États-Unis avaient respecté la croyance de la Divinité ; la France l’anéantit, et ses tyrans décrètent qu’elle existe, comme si Dieu était l’ouvrage de l’homme. Les États-Unis avaient respecté l’homme, et le sang n’avait coulé que sur le champ de bataille ; la France détruit l’homme de tout âge, de tout sexe, de toute profession, de tout parti, et par tous les moyens de destruction que peut fournir l’art ou la nature. Les États-Unis avaient respecté la propriété ; la France anéantit la propriété même, en dépouillant, en égorgeant les propriétaires. C’en est fait ; la coupe de la destruction et du malheur est épuisée, la royauté et le roi, le culte et ses ministres, les distinctions et les personnes, la propriété et les propriétaires, l’homme, Dieu même, la France a tout détruit.

 

Théorie du pouvoir politique et religieux, 1796.

 

 

Non seulement les guerres sont plus fréquentes dans les républiques, mais elles y sont plus atroces. Dans les monarchies, la guerre se fait avec la passion d’un seul, le roi, et l’honneur de tous ; dans les républiques, elle se fait avec l’honneur d’un seul, le général, et la passion de tous ; de là vient que dans les républiques tous les citoyens sont soldats, et que dans les monarchies la profession militaire est celle du petit nombre. La passion tend à détruire, l’honneur à se distinguer : de là vient que dans les monarchies, des procédés généreux et humains, qui n’ôtent rien à la valeur ni au devoir, au milieu même des combats, mettent des bornes aux malheurs de la guerre ; au lieu que dans les États populaires, des barbaries froides et inutiles viennent en aggraver les horreurs.

 

Théorie du pouvoir politique et religieux, 1796.

 

 

Depuis dix-huit cents ans que l’Église chrétienne subsiste, il s’est élevé un nombre infini de sectes dans son sein, et toutes ces branches séparées ont séché, et l’arbre est demeuré toujours vert, et les orages n’ont fait que l’affermir, et les retranchements que le rendre plus vigoureux. Les branches actuellement séparées sécheront à leur tour, et sans qu’on les ait vu disparaître, le temps viendra où elles ne seront plus. Non seulement l’Église catholique a un principe de conservation, mais elle a un principe de perfectionnement. Malgré les désordres tant reprochés à ses ministres, et si étrangement exagérés par la haine, j’ose avancer, et d’après des faits connus de toute l’Europe, que l’Église de France a donné dans cette persécution, la plus dangereuse que la religion ait essuyée, des exemples de foi, de courage et de patience qu’on ne retrouve, au même degré d’unanimité, à aucune époque de l’histoire de l’Église. Et ce ne sont pas seulement les ministres de la religion, force publique conservatrice de la société religieuse, qui se sont dévoués à sa défense, on a pu apercevoir dans les autres ordres de l’État, et jusque dans le peuple, un attachement à la foi catholique dont il n’y a eu d’exemple en aucun temps, ni dans aucun lieu. Sans remonter jusqu’au temps de l’arianisme, du donatisme, du manichéisme, etc., on n’a qu’à comparer l’Allemagne du temps de Luther, ou l’Angleterre sous Henri VIII et ses successeurs, à la France dans la révolution présente, pour se convaincre que la religion inspire un plus vif attachement, à proportion qu’elle est plus connue, et que, si dans tous les temps elle échappe aux âmes faibles et aux cœurs corrompus, à mesure qu’elle avance en âge, si je puis me servir de cette expression, elle jette dans la société de plus profondes racines.

 

Théorie du pouvoir politique et religieux, 1796.

 

 

Qu’on ne dise pas que la Révolution française a été une révolution purement politique ; il serait plus vrai de dire qu’elle a été purement religieuse, et qu’au moins dans ceux qui l’ont secrètement dirigée, et à l’insu même de ceux qu’ils faisaient mouvoir, il y a eu encore plus de fanatisme d’opinions religieuses que d’ambition de pouvoir politique.

 

Théorie du pouvoir politique et religieux, 1796.

 

 

Le christianisme, qui ne prescrivait qu’humilité à l’esprit, désintéressement au cœur, mortification aux sens, n’excita aucun trouble dans l’Empire, et c’est une louange que les païens eux-mêmes lui donnaient. Il s’étendit par la seule force de son principe intérieur, semblable au grain de sénevé qui se développe, ou à la pâte qui fermente ; mais la Réforme, qui permettait l’orgueil à l’esprit, l’intérêt au cœur, les jouissances aux sens, puisqu’elle autorisait les inspirations particulières, le pillage des propriétés religieuses et le divorce, mit d’abord l’Europe en feu. Des guerres de trente ans, des dévastations inouïes furent les jeux de son berceau ; la France, l’Allemagne, l’Angleterre, les Pays-Bas, la Suisse, la Bohême, la Pologne, où elle s’était introduite, furent en proie aux horreurs des discordes civiles ; l’Espagne, l’Italie, le Portugal, où elle n’avait pu pénétrer, furent tranquilles. Ce sont des faits incontestables : et qu’on ne dise pas que les réformés ne furent pas toujours les agresseurs ; car il est évident que la secte qui s’élève est nécessairement agressive, quoique ses fauteurs ne soient pas toujours et dans toutes les rencontres les premiers attaquants. La Réforme a été la cause des troubles passés, puisqu’elle est la cause des troubles présents ; et la guerre actuelle n’est, à le bien prendre, que l’effet du fanatisme des opinions, qui ont pris naissance dans le sein de la Réforme et qui suivent nécessairement de ses principes. Non seulement la Réforme a été et est encore cause de trouble, mais elle doit l’être ; elle le sera toujours, nécessairement, et malgré ses sectateurs eux-mêmes, parce que l’on peut dire de la société religieuse, comme de la société politique : « Si le législateur, se trompant dans son objet, établit un principe différent de celui qui naît de la nature des choses, la société ne cessera d’être agitée, jusqu’à ce que le principe soit détruit ou changé, et que l’invincible nature ait repris son empire. »

 

Théorie du pouvoir politique et religieux, 1796.

 

 

 

 

 

 

 

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