Citations et extraits

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

André FROSSARD

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La foi chrétienne est une aventure intellectuelle qui commence par un bond prodigieux dans l’infini.

 

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Certains de nos évêques, s’ils avaient rencontré le Fondateur du christianisme sur la route de Damas, ne lui eussent pas demandé, comme saint Paul : « Seigneur, que faut-il que je fasse ? », ce sont eux qui auraient expliqué au Messie ce qu’Il avait à faire.

 

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Toute religion a ses mystères, et l’évolutionnisme se distingue des autres en ceci qu’il nous propose encore plus de miracles.

 

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On peut se demander aujourd’hui si Marx ne s’est pas trompé, et si ce n’est pas plutôt l’opium qui est devenu la religion du peuple.

 

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Il nous semble si naturel de nous tenir tout à fait normalement debout sur une petite boule de feu et de lave partiellement refroidie, qui tourne sur elle-même et autour d’une grosse bombe à hydrogène, à des vitesses supersoniques, que nous ne nous demandons même plus pourquoi nous nous déplaçons à cette allure pour n’aller nulle part.

 

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L’homme, qui, pour le moment, est la conscience unique de la création, aimerait bien partager cette responsabilité qui commence à lui peser un peu, et cherche à déceler une « présence intelligente » dans les étoiles. Apparemment, il a renoncé à la trouver sur la Terre.

 

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Les critiques attendent depuis des siècles que l’Église enseigne enfin le contraire de ce qu’elle est chargée d’annoncer.

 

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Dieu pousse l’objectivité jusqu’à laisser discuter sa propre existence par des gens qui n’ont jamais vraiment prouvé la leur.

 

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L’Antiquité soumettait les sacrifices humains à certaines lois. Aujourd’hui que nous sommes libérés de toute religion, même fausse, il n’y a plus de limite au recrutement des victimes. À force de dépasser le christianisme, on finira par regretter le paganisme.

 

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Moïse aurait-il accepté que ses Dix Commandements fussent modifiés tous les quinze jours en fonction des circonstances ou de l’état des mœurs ?

 

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L’autoritarisme clérical n’est pas moins antipathique dans sa nouvelle version de gauche que dans son ancienne version de droite.

 

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L’anticléricalisme croyait que ses « idées avancées » avançaient vers l’avenir. Il se trouve qu’elles n’avancent qu’en âge.

 

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Il paraît que l’Église empêche l’humanité d’avancer. C’est un reproche assez souvent encouru par les guides de montagne au bord des précipices.

 

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Qu’est-ce que la foi ?... Ce qui permet à l’intelligence de vivre au-dessus de ses moyens.

 

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L’une des fonctions les plus efficaces et les plus méconnues de la foi est qu’elle sauve la raison en l’empêchant de tourner en rond dans ses limites jusqu’à l’épuisement ou la nausée.

 

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L’Église ne peut pas changer de théologie chaque fois que les humains inventent une nouvelle manière de ne rien comprendre à leur destinée, elle ne peut changer de morale avec les siècles qui lui défilent sous les pieds et se faire une morale à crevés sous Henri III, à perruque sous Louis XIV, ou sans-culotte en 1793.

 

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Les nouveaux théologiens se sont si bien mis à l’écoute du temps qu’ils n’entendent plus l’éternité.

 

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Les chrétiens d’aujourd’hui ont si peur de communiquer leurs croyances, qu’ils finissent par parler de leur christianisme comme d’une maladie, en jurant qu’ils ne sont pas contagieux.

 

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Si l’Évangile promet infiniment plus qu’un parti n’oserait le faire, il est vrai aussi qu’il réclame de chacun beaucoup plus que ce qu’une propagande éclairée ne se permettra jamais de demander à ses électeurs.

 

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Je me demande bien pourquoi nos amuseurs publics deviennent de plus en plus anticléricaux, alors qu’il y a de moins en moins de curés.

 

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Quand chacun fera sa loi, on finira peut-être par regretter les Commandements, qui n’étaient que dix.

 

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Le plus petit geste de charité est d’une valeur infinie ; il n’est pas une goutte d’eau dans la mer, mais la mer dans une goutte d’eau.

 

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Certains esprits avancés le sont tellement qu’ils sont tombés dans le vide depuis longtemps.

 

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Le rêve des esprits avancés est de partir de zéro. Quand ils ne peuvent pas, ils y retournent.

 

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On ne comprend plus aujourd’hui que le sentiment du péché nous fait beaucoup d’honneur, et que la gloire de l’être humain c’est sa mauvaise conscience.

 

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Encore un peu de temps et certains chrétiens ne s’apercevront même plus qu’ils ne croient plus à rien.

 

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Pour croire dix fois plus en Dieu, il suffit généralement de croire dix fois moins en soi-même.

 

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Si la création par Dieu ne demande qu’un miracle initial, l’explication du monde à partir d’un nuage de gaz résolument évolutionniste exige un miracle par microseconde.

 

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Dieu parle à tout le monde, mais la plupart d’entre nous ne Lui laissent pas placer un mot.

 

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Le spirituel est le dernier de nos soucis, avant de devenir le premier de nos regrets.

 

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Le péché originel n’est pas une donnée scientifiquement observable. Excepté, bien entendu, si l’on consulte un miroir.

 

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Forme de bigoterie revendicatrice assez répandue dans la société contemporaine : exiger que l’on change la règle, pour être en règle.

 

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Pourquoi parle-t-on aujourd’hui si souvent d’« éthique » et si peu de « morale » ? C’est que la morale est une éthique que l’on ne compose pas soi-même et que l’on ne peut donc pas changer tous les jours, alors que l’éthique est une morale que l’on met en discussion.

 

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Pour de l’argent, des femmes acceptent de porter un enfant pour une femme stérile, moyennant un contrat en bonne et due forme, et l’enfant vient au monde.

Il n’y a que notre splendide XXe siècle des Droits de l’Homme pour considérer une femme comme une usine, et un bébé comme un produit manufacturé.

 

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C’est parce que la peine de mort n’est pas dissuasive qu’il faut la supprimer. Or, l’un des derniers condamnés sortait de prison quand il a commis son crime. Il est clair que la prison n’est pas dissuasive. Donc, il faut la supprimer. Il y a des tribunaux et cependant il se commet toujours des délits. Les tribunaux n’étant pas dissuasifs, il faut les supprimer ; on peut en dire autant de la gendarmerie et de la police en général.

Et des innocents. Si l’on continue à les tuer, c’est qu’ils ne sont pas dissuasifs. Supprimons-les.

 

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Un acte médical est un acte qui sauve et l’I.V.G. ne sauve personne, pas même la mère qui en subit seule les conséquences physiques et morales. Tout au plus peut-on dire qu’elle sauve le père de ses responsabilités pratiques. Il est le principal bénéficiaire de la loi. C’est pour lui que se battent les mouvements ultra-féministes.

Ils sont bien bons.

 

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Nous vivons dans une société paradoxale qui nous fait peu à peu trouver tout ordinaire qu’au troisième étage d’un hôpital on déploie des trésors de patience et d’ingéniosité pour former une Amandine en éprouvette, tandis qu’à l’étage au-dessous l’on fait disparaître à la chaîne les enfants à naître.

 

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Depuis l’abolition de la morale individuelle, le bonheur et le malheur des gens dépendent uniquement de la société, de sorte que l’agresseur, étant mécontent par définition, ne fait qu’exercer ses droits lorsqu’il va chercher ce qui lui manque chez vous ou sur vous. Il est donc juste que le cambriolé soit jugé avant le cambrioleur, ou que la victime récalcitrante passe au tribunal avant son agresseur.

Il est curieux, d’ailleurs, que l’on persiste à juger l’agresseur. Cette survivance de l’ancienne morale ne devrait pas tarder à disparaître.

 

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La surpopulation des pays pauvres préoccupe de plus en plus les pays riches. Il est à remarquer à cet égard que ce sont toujours les autres qui sont en surnombre, et jamais ceux qui établissent les comptes.

 

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Le harcèlement sexuel dans les entreprises sera, désormais, réprimé ; la loi ne concerne pas le harcèlement sexuel de la télévision.

 

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Toutes les sociétés qui se placent dans une autre perspective que celle de la personne humaine sont condamnables ou déjà condamnées, et les démocraties elles-mêmes ont encore beaucoup de chemin à faire pour transformer leurs sociétés anonymes en sociétés de personnes.

 

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Étant donné que l’âge de la retraite s’abaisse pour ainsi dire de jour en jour et que l’espérance de vie s’accroît sans cesse, il devient tout doucement urgent de s’intéresser à cette énorme population qui sera censée ne rien faire pendant trente ans (si la médecine fait peu de progrès, ou cent ans si elle continue d’en faire au rythme qui est le sien depuis la guerre).

 

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Une loi tout juste capable de suivre les mœurs est exactement le contraire d’une loi.

 

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Dans notre Europe occidentale, la peine de mort a été abolie, excepté pour les enfants à naître.

 

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Claude Bernard affirmait « n’avoir jamais rencontré d’âme sous son scalpel ». Mais, de transplantations en transplantations, on peut imaginer qu’il sera un jour possible de remplacer toutes les pièces mécaniques ou électroniques d’un homme sans lui faire perdre ce je-ne-sais-quoi qui fait qu’il est toujours lui-même et non un autre.

En somme, on peut dire que le scalpel de Claude Bernard, affûté par la technique moderne, s’emploie désormais à démontrer l’immortalité de l’âme.

 

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L’incarcération d’un homme dans une boîte de quelques mètres carrés pendant vingt ou trente ans n’est qu’une façon de le détruire, une peine de mort au ralenti.

 

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Nos moralistes contemporains réprouvent l’usage de la force quand elle vient en aide à la faiblesse, et haïssent la violence dans tous les cas où elle ne s’exerce pas sur des innocents.

 

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Quand on n’engage que soi, rien ne s’oppose à ce que l’on pratique l’Évangile jusque dans ses recommandations les plus surnaturelles, comme celle de tendre la joue gauche. Mais peut-on pratiquer l’Évangile pour les autres ? Si l’on voit des enfants maltraités, faut-il les inviter à se faire maltraiter davantage, ou bien s’y opposer, au besoin par la force ?

 

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Aujourd’hui, ce sont les journaux qui confessent, et ils publient sans hésiter tout ce qui tient à la vie privée des gens. La grande différence avec la religion catholique est que les journaux n’en finissent plus de demander des détails à leurs pénitents involontaires, et qu’ils ne les absolvent jamais.

 

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La vie ?... La mort ?... Naguère encore, l’arrêt du cœur passait pour décisif. Mais, depuis que l’on a besoin de cœurs de rechange, c’est sur l’inertie absolue du cerveau que l’on se propose de fonder le diagnostic fatal. Mais sur quoi celui-ci s’appuiera-t-il si l’on décide un jour de transplanter des cerveaux ? Sur l’absence de réaction au fer rouge, comme au Moyen Âge ?

 

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La fidélité est une des formes de l’honneur.

 

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On devrait cesser de penser « isme », et regarder de plus près comment sont faits les êtres humains.

 

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Qu’est-ce qu’un penseur ? Un homme qui se pose encore des questions quand les autres ne s’en posent plus.

 

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Pour survivre face aux éléphants, aux fauves et aux rhinocéros, l’homme a dû développer toutes les ressources de son cerveau encore rudimentaire ; et c’est ainsi qu’il est devenu intelligent, nous expliquent les évolutionnistes. Cependant une question me hante : pourquoi le rhinocéros, à partir du moment où l’intelligence de l’homme a commencé à lui poser des problèmes de survie, n’a-t-il pas développé son cerveau comme son adversaire avait développe le sien ?

 

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L’éducation parfaite est celle qui donne au moins satisfaction aux éducateurs.

 

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Il est plus facile d’élever une protestation que d’élever ses sentiments.

 

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Un questionnaire m’est arrivé par la poste où l’on me demande ce que je pense de la littérature « engagée ».

Le contexte ne dit pas dans quoi. Ça n’a pas d’importance : l’essentiel, c’est d’être engagé.

Tous les valets de chambre vous le diront.

 

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Évidemment, le XIXe siècle a eu ses erreurs judiciaires. Certes. Mais, à la différence du XXe, il ne le faisait pas exprès.

 

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Certains se préoccupent moins de ce qu’ils mettent dans leur discours que de savoir dans quelles oreilles il va tomber...

 

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L’expression homme du passé n’a rien de péjoratif. On a connu quantité d’hommes d’avenir qui, faute d’avoir été, ne fût-ce qu’un jour, les hommes du présent, n’ont jamais réussi à se faire un passé.

 

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Les meilleures déclarations sont celles auxquelles on ne comprend rien et que par conséquent, personne, par la suite, ne pourra vous reprocher.

 

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Constatation curieuse : de toutes les vertus, l’humilité est la plus difficile à pratiquer, bien qu’elle s’adresse à tout le monde et qu’elle n’exige ni héroïsme ni aptitude particulière.

 

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Tous les stratèges vous le diront : la meilleure défense, c’est l’attaque. Dans ces conditions, il est clair que la plus mauvaise défense, c’est la défense. Par conséquent, ne nous défendons pas, nous serons invincibles.

 

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On prend souvent l’égalitarisme pour une sympathique hypertrophie de l’esprit de justice, mais l’égalitarisme ne rend justice à personne, parce qu’il n’aime personne et qu’il est incapable d’admiration. Sa seule question, lancinante, est celle de l’envie : « Pourquoi lui ? »

 

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La jeunesse est un état de grâce dont la communauté aurait tout intérêt à mieux tirer parti plutôt que de l’aider à se dégrader avec l’âge.

 

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Il faut trouver le moyen de libérer le langage de telle manière qu’il ne signifie plus rien du tout ; car signifier, c’est déjà commander, contraindre, exercer un certain despotisme. Parler pour ne rien dire, ce sera toute la difficulté. Elle n’est pas insurmontable.

 

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La propriété et la liberté vont ensemble : c’est dans la mesure où l’on possède quelque chose que l’on est moins dépendant.

Supprimez le droit de propriété, interdisez à quiconque de posséder quoi que ce soit et vous n’aurez plus que des esclaves entièrement soumis à leurs dirigeants.

 

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Il y a des jours où l’on se demande si nous avons beaucoup évolué depuis l’âge des cavernes. Mais que vais-je dire là ! L’âge des cavernes est aussi celui des peintres délicats de Lascaux : c’est aujourd’hui, la préhistoire.

 

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Quand tout s’en va, tout peut arriver.

 

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On s’étonne du contraste entre l’extrême humilité, voire l’effacement, dont les grands scientifiques font preuve dans leurs laboratoires, et l’acharnement qu’ils mettent à attacher parfois leur nom à un poison.

 

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Les nouvelles vont parfois si vite qu’elles n’arrivent même plus à se rattraper pour se démentir.

 

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L’inconvénient des grandes idées, c’est qu’il y a presque toujours quelqu’un qui les a eues avant vous.

 

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Il ne faut jamais laisser un raisonnement inachevé, surtout quand il est faux ; c’est la seule chance, pour une erreur, de devenir une doctrine.

 

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La négation des doctrines et des dogmes en tant que tels ne constitue jamais qu’un dogmatisme de plus.

 

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Chaque fois que la connaissance scientifique détruit une croyance irrationnelle, elle la remplace par une autre, en nous disant, par exemple, que l’homme descend du singe ou que tout a commencé par une explosion qui a fini, au bout de quatorze millions d’années, par produire des scientifiques.

 

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Il n’est pas toujours nécessaire de penser pour être libre penseur.

 

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Nous sommes sortis depuis longtemps de ces âges barbares où l’homme s’efforçait de changer lui-même, avant de changer la loi : il ne savait pas encore qu’il est parfait.

 

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Grâce à la télévision, on finit toujours par apprendre des vérités, mais il faut être patient et quelque peu noctambule.

 

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On voit bien que les démolisseurs sont au travail depuis longtemps, mais les architectes du futur ne sont toujours pas en vue.

 

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On peut avoir un sens artistique très développé et manquer radicalement de goût, ce qui est le cas de plus d’un peintre, comme on peut être une personne de goût et ne rien entendre à la peinture.

 

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La télévision a un principe. Un seul, mais elle l’applique depuis toujours avec rigueur et continuité : quand une émission est vraiment bonne, elle la supprime. Sa devise : Échec et Audimat.

 

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D’un correspondant soviétique : « Ne pourrait-on pas étendre notre merveilleux régime socialiste au monde entier ?

– Ce serait parfaitement possible. Mais qui fournirait le blé ? »

 

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D’une dame : « Je suis furieuse après cette romancière qui prétend qu’elle est morte cliniquement deux fois et qu’elle peut affirmer qu’il n’y a rien après.

– Calmons-nous. Il y a des cas où il n’y a rien avant non plus. »

 

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D’une dame courroucée : « Je parie que vous ne connaissez pas la nouvelle doctrine socialiste.

– Je parie que les socialistes ne la connaissent pas non plus. »

 

 

 

 

André FROSSARD,

Les pensées,

Le Cherche-Midi Éditeur,

1994.

 

 

 

 

 

 

 

 

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