Citations et extraits

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

le cardinal John Henry NEWMAN

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ô mon Dieu Vous verrai-je un jour ? À quelle vision comparer cette vision ? Verrai-je la source de cette grâce qui m’éclaire, qui me fortifie, qui me console ?

Je viens de Vous, je suis fait par Vous, je vis en Vous. Aussi, ô mon Dieu, puis-je enfin retourner à Vous et être avec Vous à jamais ?

 

Cardinal NEWMAN, Méditations et Dévotions.

 

Recueilli dans Textes mystiques d’Orient et d’Occident,

choisis et présentés par Solange Lemaitre,

Plon, 1955.

 

 

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LE SONGE DE GÉRONTIUS

 

GÉRONTIUS

 

JÉSUS, MARIE : Je touche à ma fin,

Et Vous m’appelez ; je m’en rends compte à présent.

Non par le signe de ce souffle anhélant,

Ce froid au cœur, cette moiteur au front.

(Jésus, ayez pitié ! Marie, priez pour moi !)

Mais c’est ce sentiment nouveau jamais éprouvé encore

(Soyez avec moi, Seigneur, à ma dernière extrémité !)

Que je m’en vais, que je ne suis plus.

C’est cet étrange abandon du plus intime de moi-même,

(Amant des âmes ! Dieu Grand ! Je vous implore !)

Cet épuisement de chacune des forces constitutives

Et naturelles par quoi j’ai été appelé à la vie.

Priez pour moi, ô mes amis ; une visiteuse

Fait retentir à ma porte sa terrible sommation,

Et jamais pareil appel n’est venu m’épouvanter

Et me subjuguer ainsi, jamais avant.

C’est la mort, – ô amis bien-aimés, vos prières ! c’est elle...

Comme si mon être lui-même s’était désagrégé,

Comme si je n’étais plus actuellement une substance

Et ne pouvais m’appuyer sur rien qui me fût un soutien.

(Aidez-moi, adorable Seigneur ! Vous mon seul Refuge !)

Impossible de me tourner nulle part, il faut absolument

Que je me dissolve et tombe hors du cadre universel

Dans cet abîme sans forme, sans fond, vide,

            Ce néant absolu dont je viens.

Voilà ce qui est en train de s’accomplir en moi ;

Ô horreur ! C’est cela, mes amis bien-aimés, c’est cela ;

Aussi, mes amis, priez pour moi qui n’ai pas la force de prier...

 

Redresse-toi, mon âme défaillante, et montre-toi virile ;

            Et bien qu’il te reste à franchir

Un espace décroissant de vie et de pensée,

            Prépare-toi à rencontrer ton Dieu.

Et tandis que la tempête qui m’ébranla

            Est pour un moment suspendue,

Avant qu’un nouveau désordre ne consomme ma ruine,

            Sache profiter de cette trêve...

 

 

Pour autant que je le sache, et j’ignore comment je le sais,

            Le vaste univers où j’ai vécu

Est en train de me quitter si ce n’est moi qui le quitte.

Ou c’est moi, ou c’est lui qui s’élance sur les ailes

De la lumière et de l’illumination dans une course progressive,

Quoique des milliers de lieues nous séparent encore maintenant.

 

Cependant... cette inéluctable séparation

            Résulte-t-elle des dimensions de l’espace,

Qui croissent et se multiplient par la vitesse et le temps ?

            Ou suis-je en train de traverser l’infini

Par une subdivision sans fin, retournant en hâte

            Du fini à l’infinitésimal,

Mourant ainsi au monde de l’étendue ?...

 

 

L’ÂME

 

Que sa volonté soit faite !

            Je ne suis pas digne de revoir jamais

La face du jour, encore moins la face de Celui

Qui est le soleil même. Néanmoins, durant ma vie,

Quand j’étais en souci de mon purgatoire,

Cette croyance me fut toujours une consolation,

Qu’avant d’être plongée au milieu de la flamme vengeresse

Ce serait assez d’une vision de Lui pour me fortifier...

 

 

L’ANGE

 

Quand tu verras ton Juge – si tel est ton sort –

Sa présence allumera dans ton cœur

Des pensées toutes de tendresse, de grâce et de vénération.

Tu te sentiras défaillir d’amour et tu t’affligeras sur Lui,

Parce que tu ne pourras t’empêcher de prendre en pitié Celui

Qui, toute douceur, s’est mis Lui-même

Dans une posture si désavantageuse que d’être traité

Avec tant de vilenie par un être aussi vil que toi.

Il y a une imploration dans ses yeux pensifs

Qui te transpercera jusqu’au vif et te plongera dans le trouble.

Et tu te haïras, tu auras le dégoût de toi-même, car bien que

Maintenant sans péché, tu sentiras que tu as péché jadis,

Comme jamais tu ne l’avais senti auparavant ;

Et tu désireras fuir et te dérober à Sa vue,

Et cependant tu éprouveras l’ardent désir de vivre

            Dans la beauté de Son visage...

 

 

L’ÂME

 

Emporte-moi, et dans les ténèbres les plus profondes,

            Abandonne-moi,

Que là, je passe dans l’espérance les solitaires veilles nocturnes,

            Qui me sont dévolues.

Que là, immobile et heureuse dans ma peine,

            Seule mais non délaissée,

Je chante ma triste et perpétuelle mélopée

            Jusqu’au matin.

Que là, je chante et soulage mon sein meurtri

            Qui ne pourra jamais cesser

De palpiter, de soupirer et de languir tant qu’il ne jouira

            De son Unique Paix.

Que là, je chante mon Seigneur et mon Amour absent :

            Emporte-moi,

Afin que je puisse m’élever au plus tôt, et aller Là-haut,

Le voir dans la vérité du jour éternel.

 

Cardinal NEWMAN, Le Songe de Gérontius.

Traduction de Luce Clarence.

 

Recueilli dans Textes mystiques d’Orient et d’Occident,

choisis et présentés par Solange Lemaitre,

Plon, 1955.

 

 

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RÉALITÉ DU MONDE INVISIBLE

 

En dépit de ce monde universel que nous voyons, il y a un autre monde qui s’étend en quelque sorte tout à fait au loin, qui nous est pour ainsi dire tout à fait fermé et qui est très extraordinaire ; un autre monde qui s’étend tout autour de nous, quoique nous ne le voyions pas, et qui est plus étonnant que le monde que nous voyons, pour cette raison, à défaut d’autre, qu’il échappe à nos regards. Tout autour de nous, il y a d’innombrables personnes qui vont et viennent, veillent, agissent ou attendent, et que nous ne voyons pas. Tel est cet autre monde que nos yeux ne perçoivent pas, mais seulement la foi.

Avant tout, il y a là Celui qui est au-dessus de toutes choses, qui les a toutes créées, devant qui elles sont toutes comme si elles n’étaient pas, et avec qui rien ne peut entrer en comparaison. Le Dieu tout-puissant, nous le savons, existe plus réellement et plus absolument que ces gens, nos compagnons, dont l’existence nous est confirmée par les sens, sans que pourtant nous puissions Le voir, L’entendre, mais seulement Le pressentir sans arriver à Le trouver. D’où il résulte que les choses que nous voyons ne sont qu’une partie, et une partie secondaire, des êtres qui sont autour de nous, ne serait-ce que pour la simple raison que le Dieu tout-puissant, l’Être des êtres, n’en fait pas partie, mais se trouve parmi les choses qu’on ne voit pas.

Une fois, et une fois seulement pendant trente-trois ans, Il a bien voulu devenir l’un des êtres que nous voyons, lorsque Lui, qui était la seconde personne de la Toujours bénie Trinité, naquit, par une miséricorde qui n’a pas de nom, de la Vierge Marie, dans ce monde sensible. Alors on Le vit, on L’entendit, on Le toucha. Il mangea, Il but, Il dormit, Il conversa, alla et vint, et agit comme les autres hommes. Mais, à l’exception de cette courte période, sa présence n’a jamais été perceptible. Jamais Il ne nous a donné de preuves sensibles de son existence. Il vint, puis se retira derrière le voile, et, pour chacun de nous individuellement, Il est comme s’Il ne s’était jamais montré. Nous avons une expérience aussi faible que possible de sa présence. Et pourtant Il vit éternellement.

Dans cet autre monde, il y a encore les âmes des morts. Elles ne cessent pas d’exister, elles aussi, quand elles partent d’ici-bas, mais elles se retirent de la scène visible des choses, ou, en d’autres termes, elles cessent de se comporter à notre égard et devant nous d’une manière sensible. Elles vivent comme elles vivaient auparavant, mais ce cadre extérieur, par le moyen duquel elles pouvaient entrer en communion avec les autres hommes, est en quelque sorte, nous ne savons pas comment, à part d’elles. Il s’est desséché et ratatiné, comme des feuilles qui tomberaient d’un arbre. Elles restent toujours là, mais sans les moyens habituels d’approcher de nous et de correspondre avec nous. Quand un homme perd sa voix ou sa main, il existe comme auparavant, mais il ne peut plus ni parler ni écrire, ni entretenir des relations avec nous. Supposons qu’il ne soit pas seulement privé de sa voix et de sa main, mais de tous ses sens, alors on dit qu’il est mort ; rien ne nous prouve qu’il s’en est allé, mais nous avons perdu les moyens d’entrer en relations avec lui.

Il faut encore compter les anges parmi les habitants du monde invisible. L’on nous en parle beaucoup plus que des âmes des fidèles disparus, parce que ces dernières se reposent de leurs travaux, tandis que les anges s’emploient activement parmi nous dans l’Église. On les appelle les esprits chargés du divin ministère pour assister ceux qui seront les héritiers du salut (Hébreux, I, 14). Il n’y a pas de chrétien, si humble soit-il, qui n’ait des anges pour veiller sur lui, si du moins il vit par la foi et par l’amour. Ils ont beau être grands, glorieux, purs, merveilleux au point que, s’il nous était permis de les voir vraiment, nous en serions atterrés, comme le fut le prophète Daniel, tout saint et juste qu’il était, ils n’en sont pas moins les compagnons qui nous servent, les compagnons qui travaillent en notre faveur, qui veillent sur les plus humbles d’entre nous, s’ils sont du Christ, et les défendent.

 

Cardinal NEWMAN.

 

Cité par Denys GORCE dans Introduction à Newman.

 

Recueilli dans Textes mystiques d’Orient et d’Occident,

choisis et présentés par Solange Lemaitre,

Plon, 1955.

 

 

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LA PROVIDENCE PARTICULIÈRE

 

Dieu vous considère individuellement, qui que vous soyez. Il vous appelle par votre nom. Il vous voit et vous comprend de même qu’Il vous a faits. Il sait ce qu’il y a en vous, tous vos propres sentiments particuliers et toutes vos pensées, vos dispositions et vos penchants, votre force et votre faiblesse. Il vous voit au jour de votre joie et au jour de votre tristesse. Il sympathise à vos espérances et à vos tentations. Il s’intéresse lui-même à toutes vos inquiétudes et à tous vos souvenirs, à toutes les élévations et les dépressions de votre esprit. Il a compté même les cheveux de votre tête et les coudées de votre taille ; Il vous entoure de compassion et vous porte dans ses bras. Il vous relève et vous repose à terre. Il remarque la manière intime dont vous vous comportez parmi les sourires et les larmes, dans la santé ou la maladie. Il observe tendrement vos mains et vos pieds ; Il entend votre voix, le battement de votre cœur et votre respiration même. Vous ne vous aimez pas davantage vous qu’Il ne vous aime Lui. Vous ne pouvez pas avoir plus d’horreur de la douleur qu’Il n’en a Lui-même à vous la voir subir. Charge-t-Il de son poids vos épaules ? C’est comme si vous les en chargiez vous-même, si vous êtes sage, pour en ressentir ensuite un plus grand bien. Vous n’êtes pas seulement sa créature, bien qu’Il ait soin des moindres passereaux eux-mêmes et pitié du nombreux bétail de Ninive. Vous êtes un homme racheté et sanctifié, son fils adoptif, favorisé de cette portion de gloire et de bénédiction qui découle éternellement de Lui sur son Fils unique. Vous êtes choisi pour être sien ; vous l’êtes même plus que nos frères qui habitent l’est et le sud. Vous êtes un de ceux pour qui le Christ a offert sa dernière prière, scellant celle-ci de son sang précieux.

Quelle pensée n’est-ce pas que celle-là, une pensée presque trop grande pour notre foi ! C’est à peine si, quand nous l’envisageons, nous pouvons nous défendre de faire autrement que Sara, c’est-à-dire de sourire de surprise et de perplexité. Qu’est-ce donc que l’homme, que sommes-nous, que suis-je moi-même, pour que le Fils de Dieu se souvienne ainsi de moi ? Que suis-je pour que, de démon que j’étais presque, Il ait fait de moi un ange, pour qu’il ait changé la constitution première de mon âme, fait de moi une créature nouvelle, – moi qui n’ai cessé d’être un transgresseur depuis ma jeunesse, – choisi l’intime de mon cœur pour y habiter personnellement, faisant de moi son temple ? Qui suis-je pour que Dieu le Saint-Esprit entre en moi et tourne mes pensées vers les Cieux avec des gémissements inénarrables ?

 

Cardinal NEWMAN.

 

Cité par Denys GORCE dans Introduction à Newman.

 

Recueilli dans Textes mystiques d’Orient et d’Occident,

choisis et présentés par Solange Lemaitre,

Plon, 1955.

 

 

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L’ACTION SILENCIEUSE DE LA PROVIDENCE

 

Comment, demandera-t-on peut-être, ce monde peut-il nous manifester la présence de Dieu ou nous conduire tout près de Lui ? Pourtant il en est ainsi certainement : en dépit de la malignité du monde, Dieu, après tout, est dans le monde et parle à travers le monde, quoique d’une manière silencieuse. Quand Il vint dans la chair, Il était dans le monde, et le monde a été fait par Lui, et le monde ne L’a pas connu. Il n’a été ni remuant ni bruyant, et Il n’a pas fait entendre sa voix dans les rues. Il en est de même maintenant. Il est toujours là ; il murmure toujours à nos oreilles ; Il nous fait toujours des signes. Mais sa voix est si faible et le monde si bruyant ; ses signes sont si discrets et le bruit du monde si fort qu’il est difficile de savoir quand il s’adresse à nous et ce qu’Il nous dit. Les gens religieux ne peuvent pas ne pas sentir, de diverses manières, que sa providence les guide et les bénit personnellement en somme. Et pourtant, lorsqu’ils essaient de mettre leur doigt sur les moments et les endroits, les traces de sa puissance disparaissent. Est-il quelqu’un ici par exemple qui n’ait été favorisé de réponses à ses prières, de telle façon qu’à ce moment-là il a senti qu’il ne pouvait plus désormais s’empêcher de croire ? Qui n’a constaté, au cours de sa vie, d’étranges coïncidences qui lui ont rendu sensible, de manière impressionnante, la main de Dieu ? Qui n’a senti germer au-dedans de lui, avec une sorte d’impulsion mystérieuse, des pensées opportunes pour l’avertir ou le diriger ? Peut-être même quelques personnes expérimentent-elles des choses plus étranges encore : peut-être d’étonnantes interventions de la providence se sont-elles fait jour parfois au moyen des rêves, et le Dieu tout-puissant est-il intervenu d’une autre manière plus inaccoutumée encore.

Au surplus, il est des choses qui se passent devant nos yeux et qui prennent à ce point le sens de types ou de présages des choses morales ou futures que l’esprit qui est en nous ne peut pas ne pas présumer et présager ce qui n’est pas dit d’après ce qu’il voit. Et souvent ces présages s’accomplissent remarquablement en fait. Qui plus est, les fortunes des hommes varient d’une manière bien singulière ; on dirait qu’une loi de succès et de prospérité en embrasse un certain nombre, et une loi contraire d’autres. Cela étant,. et devant l’étendue et le mystère du monde qui pèse sur nous, il nous est bien permis de commencer à penser qu’il n’y a rien ici-bas qui ne se relie à quelque chose d’autre que les événements qui, apparemment, n’ont rien à voir entre eux, peuvent avoir du rapport ; que les plus petits et les plus grands souvent peuvent faire partie d’un ensemble, qu’enfin Dieu peut nous enseigner et nous procurer la connaissance de ses voies dans les événements ordinaires de chaque jour, si seulement nous voulons nous donner la peine d’ouvrir les yeux.

 

Cardinal NEWMAN.

 

Cité par Denys GORCE dans Introduction à Newman.

 

Recueilli dans Textes mystiques d’Orient et d’Occident,

choisis et présentés par Solange Lemaitre,

Plon, 1955.

 

 

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MÉDITATIONS

 

Ses yeux étaient comme la flamme d’un feu, et tout son être brillait comme brille le soleil à son plein. (Apoc., XIX, 12 ; Cant. VIII, 6.)

1. Ô mon Dieu, un jour viendra où je verrai ce visage et ces yeux, quand mon âme retournera à Lui pour être jugée.

2. Ces yeux si perçants ! Ils voient au travers de moi ; rien ne leur échappe. Tu comptes chaque cheveu de ma tête ; Tu connais chacune de mes respirations ; Tu vois chacun des morceaux de nourriture que je prends.

3. Ces yeux si purs ! Ils sont si clairs que je puis regarder dans leur profondeur comme dans quelque puits transparent, bien que je n’arrive point à en voir le fond. Car Tu es infini.

4. Ces yeux si aimants, si paisibles, si doux ! Ils semblent me dire : « Viens à Moi. »

Ô Seigneur, mon Dieu, je T’adore parce que Tu es tellement mystérieux, tellement incompréhensible ! D’ailleurs, si Tu n’étais pas si incompréhensible, Tu ne serais pas Dieu. Car, comment l’Infini pourrait-il être autre chose qu’incompréhensible pour moi ?

 

Cardinal NEWMAN.

 

Cité par Denys GORCE dans Introduction à Newman.

 

Recueilli dans Textes mystiques d’Orient et d’Occident,

choisis et présentés par Solange Lemaitre,

Plon, 1955.

 

 

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DIEU ET MOI

 

Dieu tout-puissant. Tu es l’Unique pleinement Infini. De toute éternité, Tu es l’Unique et le seul en qui résident d’une manière absolue, pleinement suffisante et en propre, tous les meilleurs attributs qu’on peut concevoir, et tous ceux, meilleurs encore, qu’on ne peut se représenter. Je tiens cela comme démontré par la raison, bien que mon imagination le dépasse. Je tiens cela comme ferme et absolu, quoique ce soit le plus difficile de tous les mystères. Je tiens cela de l’expérience présente que j’ai de Tes bienfaits et de Tes miséricordes à mon égard, des manifestations de Ton Être redoutable et de Tes attributs qui s’imposent à l’intime de ma raison, sans que je puisse en douter ni en discuter. Je tiens cela de cette longue et intime familiarité que j’ai avec eux, grâce à laquelle cela fait partie de ma nature raisonnable. Ainsi suis-je constitué, et l’idée que je m’en fais est pour moi comme une clef de voûte. Ne point l’admettre, c’est laisser mon âme se briser en morceaux.

Je le tiens de l’intime perception qu’en a ma conscience, comme d’un fait qui m’est présent. Il me serait, je le sens bien, aussi facile de nier ma propre personnalité que la personnalité de Dieu, et j’aurais perdu la raison que j’ai de croire à ma propre existence si je niais la sienne propre. Je le tiens de ce que je ne puis supporter d’être sans Toi, ô mon Seigneur et ma Vie ; de ce que le fait d’être avec Toi est un bienfait qui dépasse tout ce que je puis imaginer. Je le tiens de la terreur que j’ai d’être abandonné dans ce monde barbare sans soutien ou protection. Je le tiens de l’humble amour que j’ai pour Toi, des délices que me causent Ta gloire et Ton exaltation, du désir que j’ai que Tu puisses être grand et le seul grand. Je le tiens parce que je T’aime et parce que je me plais à Te savoir aussi glorieux, aussi parfait, et aussi beau que possible. Il n’y a qu’un Dieu, et il n’y en a aucun autre que Lui.

 

Cardinal NEWMAN.

 

Cité par Denys GORCE dans Introduction à Newman.

 

Recueilli dans Textes mystiques d’Orient et d’Occident,

choisis et présentés par Solange Lemaitre,

Plon, 1955.

 

 

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L’ABÎME INFINI

 

Puisque, ô Dieu Éternel, Tu es d’une grandeur si incommunicable, si unique, si parfait dans Ton unicité, il en est qui, sûrement, pourraient dire que Tu dois être toujours très distant de Tes créatures, tout en les ayant créées, – séparé d’elles par Ton éternelle ancienneté par rapport à elles qui ont commencé à être, séparé encore par la transcendance de Ton excellence qui Te met en opposition absolue avec elles... Qu’est en effet à Tes yeux chaque créature, Seigneur, sinon une vanité et un souffle, une fumée qui ne s’arrête pas, mais s’envole et se disperse, une pauvre chose qui s’évanouit d’autant plus vite que Tu la regardes et qu’elle est placée dans la lumière de Ta Face ?... Il y a un abîme infini entre Toi et moi, ô mon Dieu.

Par Toi, nous franchissons l’abîme qui s’étend entre Toi et nous. Le Dieu Vivant est celui qui communique la Vie. Tu es la Source et le Centre ainsi que le Siège de tout bien... Quoique demeurant unique, seul et infiniment éloigné de toutes choses, Tu es pourtant la plénitude de celles-ci. C’est en Toi qu’elles reposent, de Toi qu’elles participent, en Toi qu’elles sont absorbées, tout en gardant leur individualité. Et ainsi, tandis que nous faiblissons et déclinons dans notre propre nature, nous vivons par Ton souffle, et Ta grâce nous rend capables de supporter Ta présence.

 

Cardinal NEWMAN.

 

Cité par Denys GORCE dans Introduction à Newman.

 

Recueilli dans Textes mystiques d’Orient et d’Occident,

choisis et présentés par Solange Lemaitre,

Plon, 1955.

 

 

 

 

 

 

 

 

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