Sur Maurice de Guérin

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Jacques BAINVILLE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

UN professeur, enchanté de sa découverte, entasse depuis quelque temps les documents et les commentaires sur Maurice de Guérin. Comme si le poète du Centaure était méconnu ! Comme si les jeunes gens de nos jours méprisaient son œuvre incomplète et rare, mais brillante de pureté !

Parmi les papiers que le trop docte personnage tresse pour Maurice de Guérin, ainsi qu’une couronne de distribution de prix, on rencontre pourtant une lettre qui mérite d’être lue. Elle est de Barbey d’Aurevilly. Et Barbey, comme toutes les fois où il n’entreprend pas de se dépasser lui-même et de se faire plus éclatant, plus étonnant et plus luxueux encore que nature, Barbey parle de son ami avec le plus juste sentiment. Son mot sur la mélodie de Guérin « qui paraît plus divine à travers les fêlures de sa flûte » et sur « l’haleine du jeune dieu qui passe dans les trous du misérable roseau », c’est, avec une abondance d’images pour lui presque modérée, un des plus heureux parmi ses oukases littéraires. Car souvent Barbey décrétait bien. Mais il décrétait plus qu’il ne jugeait.

Et cette lettre inédite de Barbey d’Aurevilly qui rappelle ce qu’il y eut d’inachevé, de maltraité par le sort dans l’œuvre de Maurice de Guérin, elle invite aussi à comprendre les disgrâces de cette brève carrière et de cette vie si tôt fauchée. Le nom du brave et du généreux Barbey, jeté comme celui du plus fidèle ami de Guérin, en évoque d’autres qui lui font un cortège singulièrement mêlé. C’est, avec l’auteur des Diaboliques, et Lamennais et Sainte-Beuve. Parmi les femmes, c’est George Sand, après sa pieuse sœur Eugénie, la douce recluse du Cayla. Intellectuelles ou intimes, quelles fréquentations contradictoires ! Que d’occasions d’incertitude et de froissement pour la jeune sensibilité et pour l’intelligence de Maurice de Guérin ! Mais tels étaient ses contemporains, et il les a subis. C’est pourquoi son infortune ne fut que l’infortune de son siècle.

Ceux qui l’ont connu ont dit que son vrai mal fut de porter dans la vie un cœur inquiet et troublé. Il s’épuisait à chasser de son art ce trouble et cette inquiétude qu’il avait reçus de son temps et imprudemment cultivés en lui-même : telle était la mode d’alors. La littérature et la société qui l’environnaient furent ainsi ses bourreaux.

Il était né, comme il l’a dit, pour « goûter la vie toute pure », et la gloire lui était promise de laisser une œuvre où il aurait peut-être continué Chénier. Mais il avait bu à vingt sources empoisonnées. Il s’était assis trop longtemps au pied du chêne brisé par l’orage : blason peu modeste de Lamennais. Il en resta, selon le mot d’un compagnon de sa jeunesse, « malade d’infini ». C’était le mal sacré de 1830, et Maurice de Guérin offrit comme une autre image, à peine moins tourmentée, de l’enfant du siècle. George Sand ne s’y trompa guère. Elle reconnut en lui sa proie. Elle se demanda même, quand il fut mort, comment celui-là lui avait échappé. Il y a de la férocité et un regret, dans son fameux article de 1840, où, après la mort de Maurice, elle célébra son œuvre et le loua d’avoir été « voué à ces mystérieuses souffrances dont René, Obermann et Werther offrent sous des faces différentes le résumé poétique ». René, Obermann, Werther, trois noms pour dire Alfred de Musset...

Sainte-Beuve, avec sa finesse ordinaire, a corrigé le mot de la dame. Maurice de Guérin, a-t-il écrit, « n’était qu’à demi de la race de René ». Il l’apparente plus volontiers à l’Amaury de Volupté. Et quand on pense que cet Amaury, parvenu à la maturité, se remit si bien du trouble et des inquiétudes de sa jeunesse, on imagine, d’après les ébauches qu’il a laissées, l’avenir qui était ouvert à Maurice de Guérin. Le poète du Centaure était parfaitement guérissable. Avec des poumons moins fragiles, il eût fait un grand écrivain et un sage. Mais pour les maladies de poitrine l’air du siècle ne valait rien.

 

 

 

Jacques BAINVILLE.

 

Paru dans L’Action française le 15 février 1909.

 

 

 

 

 

 

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