Ampère

 

MATHÉMATICIEN MEMBRE DE L’INSTITUT

1775-1836

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Armand BARAUD

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

« Il faut devenir calme, recueilli

et point raisonneur avec Dieu. »

(AMPÈRE.)

 

 

« Une vie illustre vient de s’éteindre, disait Ozanam en 1836. M. Ampère, membre de l’Institut, professeur au Collège de France, inspecteur général de l’Université au Collège de France, inspecteur général de l’Université, est mort le 10 juin à Marseille, laissant un grand vide dans la société des intelligences d’élite, parmi lesquelles il marchait au premier rang, laissant un grand deuil dans le cœur de tous ceux qui avaient pu l’approcher de près, et jouir de la familiarité de ses vertus. »

Ampère (André-Marie) est né le 20 janvier 1775 à Polémieux, près de Lyon. Dès son enfance, il était tellement porté aux mathématiques, qu’on le surprenait souvent faisant des opérations avec de petits cailloux. À onze ans, il était déjà fort en algèbre et en géométrie, et à dix-huit ans il étudiait la mécanique analytique de Lagrange, dont il refaisait presque tous les calculs. Jusque-là il avait vécu dans l’obscurité. Il n’en sortit, dit Ozanam, que pour occuper l’humble place de professeur de physique. Peu de temps après, ses Considérations sur la théorie mathématique du jeu lui attirèrent les éloges de l’Institut et l’attention bienveillante du gouvernement. Dès lors Ampère porta ses investigations dans les parties les plus inexplorées des mathématiques, de la mécanique, de la physique, de la chimie, aborda les problèmes les plus ardus, et en résolut un grand nombre avec bonheur.

Mais ce qui devait environner son nom de plus de gloire et lui assurer pour toujours une place parmi ceux des grands hommes, c’était ses travaux sur les phénomènes électromagnétiques. Ampère pressentit, devina comme Képler et Newton, et, après dix années d’expérience, il démontra avec la plus claire évidence l’identité de l’électricité et du magnétisme.

Toutes les sciences étaient pour lui un seul empire, dont aucune partie ne lui restait étrangère. Dieu l’avait doué d’une activité d’esprit que rien ne fatiguait, si ce n’est le repos ; d’une mémoire prompte à saisir l’idée ou la parole au passage, et qui retenait pour toujours. Avec de telles facultés, il s’était rendu accessibles toutes les sphères des connaissances humaines ; il les parcourait et s’y jouait à son gré. Des hardies spéculations de l’astronomie il savait descendre aux ingénieux aperçus de la philologie et à la littérature ancienne ou moderne. Toutefois, entre toutes les sciences, celle qui était l’objet de ses plus chères préoccupations, c’était celle qui recherche les principes et forme le couronnement des autres, la philosophie. C’était là le secret de ses méditations prolongées, dans lesquelles depuis sa jeunesse il aimait à oublier les heures.

 

Mais pour nous, catholiques, ce beau génie a d’autres titres à notre vénération.

Sainte-Beuve a dû avouer que « les idées religieuses étaient vives chez le jeune Ampère à l’époque de sa première communion 1. Nous ne voyons pas qu’elles aient cessé complètement dans les années qui suivent, mais elles s’étaient certainement affaiblies ; le malheur les réveilla avec puissance. On sait, et on l’a dit souvent, que M. Ampère était religieux, qu’il était croyant comme tant d’illustres savants du premier ordre, les Newton, les Leibniz, les Haller, les Euler, les Jussieu ».

MM. Ballanche, Camille Jordan, de Jussieu, Bergasse, de Gérando, Dugas-Montbel, célèbres dans des carrières diverses, mais unis par un esprit commun de christianisme, furent tous compatriotes et amis d’Ampère. Leur société fut un foyer d’études. « Nous avons entendu parler, dit Ozanam, de ces réunions amicales dans lesquelles chacun apportait son tribut intellectuel, et où M. Ampère aimait à développer les preuves de la divinité des Livres saints. Nous savons des âmes qui lui durent alors les premières lueurs de la foi. À Paris, au milieu du matérialisme de l’empire, du panthéisme de ces derniers temps, il conserva inébranlable la religion de ses premières années. C’était elle qui présidait à tous les labeurs de sa pensée, qui éclairait toutes ses méditations ; c’était de ce point de vue élevé qu’il jugeait toute chose et la science elle-même. Naguère encore, à son cours au Collège de France, nous l’avons entendu justifier par une brillante théorie géologique l’antique récit de la Genèse. Il n’avait point sacrifié, comme tant d’autres, au génie du rationalisme l’intégrité de ses convictions, ni déconcerté le légitime orgueil que ses frères avaient mis en lui. Cette tête vénérable, toute chargée de sciences et d’honneurs, se courbait sans réserve devant les mystères et sous le niveau de l’enseignement sacré. Il s’agenouillait aux mêmes autels de Descartes, à côté de la pauvre veuve et du petit enfant moins humbles que lui... Il était beau surtout de voir ce que le christianisme avait su faire à l’intérieur de sa grande âme : cette admirable simplicité, pudeur du génie, qui seyait tout et s’ignorait soi-même ; cette haute probité scientifique qui cherchait la vérité seule et non pas la gloire, et qui maintenant est devenue si rare ; cette bienveillance enfin qui allait au-devant de tous, mais surtout des jeunes gens : nous en connaissons pour lesquels il a eu des complaisances et des sollicitudes qui ressemblaient à celles d’un père. En vérité, ceux qui n’ont connu que l’intelligence de cet homme n’ont connu de lui que la moitié la moins parfaite. S’il pensa beaucoup, il aima encore davantage. »

En 1779, Ampère avait épousé Mlle Julie Carron, de Lyon. Sur le point de la perdre, quelques années après il écrivit cette prière où le savant disparaît, mais où la foi et la confiance du chrétien apparaissent dans toute leur beauté :

« Mon Dieu, je vous remercie de m’avoir créé, racheté et éclairé de votre divine lumière en me faisant naître dans le sein de l’Église catholique. Je vous remercie de m’avoir rappelé à vous après mes égarements ; je vous remercie de me les avoir pardonnés. Je sens que vous voulez que je ne vive plus que pour vous, que tous mes moments vous soient consacrés. M’ôterez-vous tout bonheur sur cette terre ? Vous en êtes le maître, ô mon Dieu ! Mes crimes m’ont mérité ce châtiment. Mais peut-être écouterez-vous encore la voix de vos miséricordes.

« J’espère en vous, ô mon Dieu ! mais je serai soumis à votre arrêt, quel qu’il soit. Mais je ne méritais pas le ciel, et vous n’avez pas voulu me plonger dans l’enfer. Daignez me secourir, pour qu’une vie passée dans la douleur me mérite une bonne mort, dont je me suis rendu indigne.

« Ô Seigneur ! Dieu de miséricorde ! daignez me réunir dans le ciel à ce que vous m’aviez permis d’aimer sur la terre. »

La méditation suivante est du mois de septembre 1805, elle montre quels flots de lumière avaient inondé sa belle âme :

« Défie-toi de ton esprit, il t’a souvent trompé ; comment pourrais-tu encore compter sur lui ? Quand tu t’efforçais de devenir philosophe, tu sentais déjà combien est vain cet esprit qui consiste en une certaine facilité à produire des pensées brillantes. Aujourd’hui que tu aspires à devenir chrétien, ne sens-tu pas qu’il n’y a de bon esprit que celui qui vient de Dieu ? L’esprit qui nous éloigne de Dieu, l’esprit qui nous détourne du vrai bien, quelque agréable, quelque habile qu’il soit pour nous procurer des biens corruptibles, n’est qu’un esprit d’illusion et d’égarement.

« L’esprit n’est fait que pour nous conduire à la vérité et au souverain bien. Heureux l’homme qui se dépouille pour être revêtu, qui foule aux pieds la vaine sagesse pour posséder celle de Dieu, méprise l’esprit autant que le monde l’estime ! Ne conforme pas tes idées à celles du monde, si tu veux qu’elles soient conformes à la vérité.

« La doctrine du monde est une doctrine de perdition. Il faut devenir simple, humble et entièrement détaché avec les hommes ; il faut devenir calme, recueilli, et point raisonneur avec Dieu.

« La figure de ce monde passe. Si tu te nourris de ses vanités, tu passeras comme elle. Mais la vérité de Dieu demeure éternellement ; si tu t’en nourris, tu seras permanent comme elle. Mon Dieu ! que sont toutes ces sciences, tous ces raisonnements, toutes ces découvertes de génie, toutes ces vastes conceptions que le monde admire et dont la curiosité se repaît si avidement ? En vérité, rien que de pures vanités.

« Étudie cependant, mais sans aucun empressement. Que la chaleur déjà à demi éteinte de ton âme te serve à des objets moins frivoles. Ne la consume pas à de semblables vanités...

« Étudie les choses de ce monde, c’est le devoir de ton état ; mais ne les regarde que d’un œil, que ton autre œil soit constamment fixé sur la lumière éternelle. Écoute tes savants, mais ne les écoute que d’une oreille ; que l’autre soit toujours prête à recevoir les doux accents de la voix de ton ami céleste ; n’écris que d’une main, de l’autre tiens-toi aux vêtements de Dieu, comme un enfant se tient aux vêtements de son père.

« Que mon âme, à partir d’aujourd’hui, reste ainsi unie à Dieu et à Jésus-Christ !

« Bénissez-moi, mon Dieu. »

À mesure qu’Ampère s’élevait ainsi dans les régions de la foi, il s’élevait aussi dans la science ; et les honneurs qu’il ne recherchait point, comme nous venons de le constater dans les lignes précédentes, vinrent à lui et augmentèrent sa gloire. Déjà inspecteur de l’Université en 1808, puis professeur à l’École polytechnique en 1809, il est nommé chevalier de la Légion d’honneur et membre de l’Académie royale des sciences en 1815. Plus tard, il échangea sa chaire de l’École polytechnique contre celle de physique générale et expérimentale au Collège de France. Dans ses dernières années, depuis 1838, il entreprit un vaste travail : c’était de résumer l’œuvre de toute sa vie dans une classification générale des sciences, tableau encyclopédique où toutes les connaissances humaines devaient avoir une place marquée, non par le caprice, mais par la nature, inventaire immense des richesses et des misères de l’intelligence de l’homme. Dans son cours du Collège de France, il développa ce magnifique programme, et voulut lui donner une forme plus rigoureuse en en faisant un livre qui a été publié : c’est la Philosophie des sciences.

Terminons ces lignes consacrées à sa mémoire par deux traits qui nous montrent le grand chrétien alimentant sa ferveur par les pratiques de la piété.

« Frédéric Ozanam avait dix-huit ans. Il arrivait à Paris, non point incrédule, mais l’âme plus ou moins atteinte de ce que le P. Gratry appelait la crise de la foi. Un jour, un jeune homme entre dans une église de Paris, et il aperçoit, agenouillé dans un coin, près du sanctuaire, un homme, un vieillard, qui récitait son chapelet.

« Il s’approche et reconnaît Ampère, son idéal, la science et le génie vivants. Cette vision l’émeut jusqu’au fond de l’âme ; il s’agenouille doucement derrière le maître, la prière et les larmes jaillissent de son cœur. C’était la pleine victoire de la foi et de l’amour de Dieu, et Ozanam se plaisait à redire ensuite : « Le chapelet d’Ampère a plus fait sur moi que tous les livres et même tous les sermons. »

« Ampère accepta Ozanam comme son commensal, et le grand mathématicien aimait à s’entretenir avec son jeune ami : « Leurs entretiens, dit le P. Lacordaire, amenaient dans l’âme du savant, à propos des merveilles de la nature, des élans d’admiration pour leur auteur. Quelquefois, mettant sa tête entre ses deux mains, il s’écriait tout transporté : « Que Dieu est grand, Ozanam ! que Dieu est grand ! »

Pendant sa dernière maladie, la religieuse qui le veillait voulut lui lire quelques passages de l’Imitation de Jésus-Christ : « N’en prenez pas la peine, ma sœur, lui dit-il, je la sais par cœur. » Merveilleuse et touchante union du génie et de la foi, comme tu condamnes cette prétendue science athée ou sceptique qui dessèche le cœur, lui enlevant les vraies joies de la vie et les espérances éternelles !

 

 

 

Armand BARAUD, Chrétiens et hommes célèbres du XIXe siècle,

Tours, Maison Alfred Mame et Fils.

 

 

 

 

 

1. « Ce grand chrétien disait que trois évènements avaient été décisifs dans sa vie : sa première communion, la lecture de l’éloge de Descartes, par Thomas, qui lui avait inspiré l’amour de la science, et enfin la prise de la Bastille, sans doute parce que la Révolution avait changé les conditions de sa vie. » (Comte de Champagny, de l’Académie.)

 

 

 

 

 

 

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