L’extase de Bernadette

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Antoine BARBET

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Elle était là, tranquille et libre, l’œil attentif vers l’ouverture du rocher, elle disait sur des grains de son chapelet un petit nombre d’Ave Maria.

Soudain, un léger saisissement annonçait la visite auguste, ses deux mains s’élevaient légèrement par un mouvement rapide et gracieux, tout semblait s’idéaliser en elle, l’attitude et les traits, son visage transfiguré, tout chez elle aspirait vers un être immatériel, vers l’Invisible.

La foule recevait le contrecoup.

– Maintenant !... Elle la voit ! Elle la voit !

Ce mot circulait dans la foule attentive et la faisait frissonner. On se pressait par un nouvel effort de curiosité, et il fallait protéger l’enfant contre le flot de la multitude. Le silence devenait plus profond, un recueillement religieux planait sur l’assistance ; on se serait cru dans un sanctuaire. Les regards dévoraient Bernadette.

L’enfant saisie faisait bientôt, du geste le plus aisé et le plus doux, des inclinations charmantes, par lesquelles l’heureuse privilégiée témoignait d’un respect profond. Son visage s’était longuement épanoui en un sourire retenu, mais heureux et serein. Elle se courbait encore, semblait répondre à des saluts mystérieux qui la charmaient. Puis l’œil toujours fixe, elle traçait sur elle, avec le crucifix de son rosaire, un signe de croix solennel, plein de foi et de grâce, et si noble et si beau, qu’on disait que seuls les saints du ciel doivent savoir le faire ainsi devant la gloire du Sauveur. Plusieurs fois, sa main gauche tint un cierge allumé, tandis que la droite égrenait le chapelet ; quand elle n’avait pas de cierge, ses mains se joignaient et, de son pouce, elle faisait rouler les grains du rosaire sur ses doigts croisés.

Immobile et comme attirée par une attraction délicieuse, c’est alors qu’elle était belle.

Elle était belle, non de la fraîcheur rosée et vive qui nous fait sourire devant un visage d’enfant, mais d’une beauté exquise et surnaturelle.

Ses joues étaient pâlies, mais avec je ne sais quelle nuance suave comme transpercées par la lumière ; une légère coloration rosissant les joues et les lèvres, relevait cette blancheur de marbre. Les yeux élevés et bien ouverts s’épuisaient en regards rayonnants, avides et enivrés, et pas un sourcillement n’agitait les paupières. On vit quelquefois les lèvres se mouvoir, mais faiblement, presque toujours elles demeuraient fermées naturellement. Sur tout le visage, un reflet de joie faisait naître un léger sourire à peine esquissé, d’un charme infini. On y lisait un respect et une admiration immenses, joints à un immense amour, qui indiquaient la présence d’un être supérieur et très bon. Parfois deux larmes tombaient de ses paupières toujours immobiles, roulaient comme des gouttes de rosée sur une feuille glabre, sans mouiller le visage, et restaient comme cristallisées sur la blancheur des joues. Les genoux fixés sur la pierre froide, Bernadette semblait aspirer au ciel, et à voir le charme réfléchi par ses traits, on l’eût dite prête à se détacher des contingences d’ici-bas.

Un médecin 1 qui mettait un soin attentif à étudier les phénomènes de cette extase, n’a pas surpris dans l’enfant le moindre trouble maladif.

Ce que tout le monde sentait, c’est qu’elle était heureuse d’un bonheur inconnu, c’est qu’en ce moment la terre n’était rien pour son âme. Un homme d’esprit cultivé allait écrire un matin au sortir de la Grotte : « Elle ne semblait plus de ce monde. » Certains qui l’ont bien vue nous ont dit, montrant un tableau de Sainte Thérèse en oraison : – « Voilà son regard, son visage, son attitude, voilà Bernadette mieux que des paroles ne la sauraient peindre. »

On se parlait à voix basse pour ne la point troubler.

Elle voit, disait-on, oh ! oui, elle voit !

Les spectateurs essayaient de découvrir l’invisible sur son visage, ils y plongeaient leurs yeux comme dans un miroir, pour y chercher l’image de ce qui la rendait si ravissante, et n’y apercevant rien, leurs regards se tournaient envieusement vers la niche. Pour eux, elle était vide, froide, obscure. « Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu. »

Voilà, avec une exactitude à laquelle notre imagination n’ajoute pas un trait, comme on nous a représenté Bernadette dans son extase. Que voyait l’heureuse enfant ? Elle a répété mille fois qu’elle était impuissante à le dire. Nous rapportons ce que la curiosité la plus ardente et la plus ingénieuse a pu obtenir de sa parole, par de longues et minutieuses interrogations.

 

 

 

 

Antoine BARBET, Bernadette Soubirous :

Sa naissance, sa vie, sa mort, p. 64-66.

 

Recueilli dans

Anthologie des meilleurs écrivains de Lourdes,

par Louis de Bonnières, 1922.

 

 

 



1 Le Dr Dozous.

 

 

 

 

 

 

 

 

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