Brizeux

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Charles BAUDE DE MAURCELEY

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Septembre, 1888.

 

Trente années ont fini leurs jours depuis la mort de Brizeux, et pourtant, il est toujours là, debout, dans le cœur des Bretons. Sa poésie, pure et mélancolieuse, soupire encore tout le long des côtes armoricaines. Les vers qu’il écrivait, « assis au pont Kerlo », ont été plus forts que l’oubli, on continue de les dire dans les veillées ; on les répète aux heures tristes de la vie, lorsque l’âme, lasse d’espérance, se réfugie dans le souvenir.

C’est que la douce Bretagne, en bonne mère, reste fidèle à ses enfants. Au contraire des choses de ce monde, les fils s’en vont et l’aïeule se tient. Les vieux sentiments résistent, et l’amour y garde sa forme primitive d’antan. Les « impressions » qu’avaient nos pères devant la nature bretonne, à travers la famille, nous les avons, aujourd’hui, toutes pareilles, avec la grandeur de la même simplicité. On vit dans les mêmes murs à côté des mêmes bénitiers. La tradition demeure, et la politique passe inaperçue, presque dédaignée. L’esprit de la paix flâne dans les cervelles ; les rois sont morts, les conquérants aussi.

 

                La patrie est là où gîte la famille.

 

Un rêve de quiétude est le rêve éternel des Bretons. Pour eux, la seule tempête est celle qui gronde sur la mer, apportant à leurs songes, quand les éléments sont en crise, les plaintes des flots atténuées par le lointain des choses et l’idée de la protection divine. Ils conservent donc en eux, de génération en génération, les pensées passées. Aussi, lorsque le 9 septembre dernier, à Lorient, a eu lieu l’inauguration de la statue du poète Auguste Brizeux, la Bretagne tout entière s’est souvenue, et a redit les vers de l’auteur de Marie. On s’est rappelé les lectures de l’enfance : les Ternaires ou la Fleur d’Or, le Poème des Bretons, les Histoires poétiques. Les plus lettrés ont cité : la Poétique nouvelle et la traduction en prose de la Divine comédie.

Les gens des villages, venus, humbles gens, à pied parmi les landes pour voir leur Brizeux, celui qui a chanté leurs chaumières et leurs bruyères, ont eu souvenance du Convoi d’une jeune fille, pauvrement menée à la tombe :

 

                Car Louise était pauvre, et jusqu’en son trépas,

                Le riche a des honneurs que le pauvre n’a pas.

                La simple croix de buis, un vieux drap mortuaire ;

                Furent les seuls apprêts de son lit funéraire ;

                Et quand le fossoyeur, soulevant son beau corps,

                Du village natal l’emporta chez les morts,

                À peine si la cloche avertit la contrée

                Que sa plus douce vierge en était retirée !

 

C’est ainsi qu’écrivait Brizeux. Il savait dire les choses tristes, dans la langue la plus pure, avec cette simplicité. Et quand il chante la Maison du Moustoir, il nous montre un jeune pâtre, assis dans un paysage, qui, dans la mélancolie d’un soir,

 

                Entonne un air breton si plaintif et si doux,

                Qu’en le chantant, ma voix vous ferait pleurer tous –

                Oh ! les bruits, les odeurs, les murs gris des chaumières,

                Le petit sentier blanc et bordé de bruyères,

                Tout renaît comme au temps où, pieds nus, sur le soir,

                J’escaladais la porte et courais au Moustoir ;

                .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .

                .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   à deux pas,

                Je vois le lit de chêne et son coffre, et plus bas,

                Vers la porte, en tournant, sur le bahut énorme,

                Pêle-mêle bassins, vases de toute forme ;

                Pain de seigle, laitage, écuelles de noyer ;

                Enfin, plus bas encore, sur le bord du foyer,

                Assise à son rouet, près du grillon qui crie.

                Et dans l’ombre filant, je reconnus Marie !

 

Est-il possible d’être plus sobre et plus vrai ? Tous les enfants de Bretagne les ont appris ces vers qui se sont fixés dans leur mémoire comme les lignes d’un tableau du pays. Ils peignent bien le foyer breton, l’âtre modeste, et donnent, dans la personne de la chaste Marie, l’image du travail et de l’amour honnête et sain. Ils peignent la vie de l’endroit. – C’est pourquoi, sans rimes riches et sonores, sans hémistiches audacieux et savants, ils survivront à de pompeuses légendes poétiques qui ne renferment point de sentiment.

Aux jeunes poètes modernes d’en tirer une salutaire réflexion.

 

 

Charles BAUDE DE MAURCELEY.

 

Paru dans Le Chercheur, revue éclectique, en 1888.

 

 

 

 

 

 

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