La matière, l’âme et l’esprit

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

A.-M. BEAUDELOT

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La faiblesse de notre nature est telle qu’il nous faut sans cesse revenir sur nos pas et analyser nos gestes afin de nous pénétrer des réalités capables de nous orienter de plus en plus sûrement dans le vaste champ des activités essentielles qui nous sollicitent sur la route de la vie. C’est pourquoi nous n’hésitons pas à examiner de nouveau les éléments du problème si important pour nous de la spiritualité de l’être humain, afin d’en saisir toujours mieux l’économie et la formule de sa solution.

Nous avons déjà essayé d’observer les sensations qui ont provoqué l’éveil d’une âme prenant conscience d’elle-même et de son créateur. Nous voudrions aujourd’hui considérer les éléments constitutifs de l’âme, pénétrer sa complexe nature et observer ses fonctions délicates et multiples d’intermédiaire entre le corps et l’Esprit dont elle émane.

Nous ne nous faisons aucune illusion sur les difficultés de cette tentative. Cet essai, nous le savons d’avance d’une infériorité déconcertante, si nous le comparons à l’importance de son objet. Cependant, nous l’espérons, il ne sera peut-être pas inutile d’attirer notre attention sur la nécessité de se connaître soi-même, qui est le premier pas vers la connaissance de Dieu, ou du moins vers la compréhension des gestes de Dieu, car le rayonnement fulgurant de la lumière divine ne peut être que pressenti par nos moyens de perceptions si faibles encore.

Quoi qu’il en soit, nous estimons que nous ne devons pas dédaigner les éléments d’approche qui sont à notre portée. Si l’Esprit, qui est essentiel et parfait en lui-même, n’ayant ni commencement ni fin, ne peut être connu scientifiquement, parce qu’il est lui-même la science intégrale ; s’il ne peut être expliqué, analysé, Lui, qui est, à la fois, analyse et synthèse de toutes choses, il nous est cependant permis de le sentir, de l’éprouver au moins partiellement par les perceptions intimes que nous tenons de notre origine. Si nous ne pouvons, avec une conscience parfaite, comprendre et traduire la différence fondamentale qui sépare « l’Être qui connaît » de l’être qui est senti, sachons du moins nous contenter de ce que la vie quotidienne nous permet de regarder comme réalité : ce qui est senti, et éviter de matérialiser l’incorporel et les conceptions de la pensée.

N’est-il pas d’élémentaire sagesse de nous efforcer de pénétrer l’essence de notre être, de son origine et de sa constitution, afin de pouvoir établir les conditions de leurs rapports, la part d’influences qu’ils exercent sur nous et d’en déterminer les effets et les conséquences.

 

 

Quelles que soient les définitions que les philosophes les plus autorisés aient cru devoir nous donner de la Matière et de l’Esprit, ce qui est admis sans conteste : c’est que l’idée de matière est, pour toutes les intelligences, l’expression d’un principe, sinon opposé, du moins subordonné à l’influence de l’esprit. De là cette conclusion : que leur domaine respectif est celui des Causes pour l’Esprit et celui des Effets pour la Matière. C’est à cet état de choses que nous devons attribuer les actions et les réactions qui provoquent l’élaboration de notre âme à travers la matière.

Pour la généralité des hommes, il est évident que le corps est servi par des organes matériels et que, par eux, il peut et doit en appeler aux facultés de l’âme pour le guider de ses lumières.

Bien que l’âme ne soit pas matérielle puisqu’immortelle, émanant de l’Esprit, elle possède cette double et exclusive propriété de servir d’intermédiaire entre l’Esprit et le corps, toutes ses facultés étant le fruit de leur propre culture et de leur développement. L’âme, en effet, possède une vertu (puissance) originelle qui lui est particulière, que les philosophes désignent sous le nom de substratum ou substance, qualité essentielle par sa nature et qui est le support des éléments caractéristiques de son être.

Par opposition à la matière, la substance de l’âme est le réceptacle de ses propriétés potentielles à l’état d’abstraction, comme, par exemple, la faculté de penser pour l’esprit ; de même que la potentialité de la matière est inhérente à elle-même.

La substance de l’âme est donc un composé d’acquisitions progressives de forces et de consciences totalisées et combinées de façon à constituer l’individualité humaine.

Ces forces et consciences – étroitement unies par leur propre nature à la substance – subtiles, immatérielles, d’essence spirituelle, exercent leur influence sur l’être qu’elles animent dans sa sphère matérielle ; elles le dominent, éclairent sa pensée, déterminent ses actes selon le caractère même des acquisitions qu’elles ont réalisées. C’est ainsi que se trouve pour ainsi dire constitué le bagage de tout individu, les provisions de voyage, et les moyens d’action qui permettent à tout homme de poursuivre sa route chaque fois qu’il se trouve – par une nouvelle incarnation – au milieu de la matière.

Cette incarnation, l’âme la recherche ; elle est un besoin, une nécessité impérieuse pour elle de se manifester dans un milieu où son immortelle activité peut s’exercer, plus ou moins dense, plus ou moins spiritualisé, selon ses affinités ; les physiciens diraient selon sa propre densité.

Ces provisions de voyage, ce viatique suffisent aux besoins de l’âme qui prend, en pèlerin, un nouveau contact avec la matière, car elle n’accède le plus souvent dans sa route qu’à des milieux adéquats à ses possibilités...

Quoiqu’il arrive, la Sagesse divine, qui préside à l’exécution des lois d’évolution, veille avec une sollicitude infinie sur toutes ses créatures et assiste toujours leur bonne volonté ou leurs hardiesses trop présomptueuses de la toute-puissance de Son Amour.

 

 

Les obstacles que l’âme, revenue au sein de la matière, va rencontrer sur sa route, les luttes qu’elle devra soutenir dans ce nouveau voyage et surtout les subtilités, les illusions, tous les pièges perfides destinés à retarder son essor que la matière offrira à sa curiosité et à son inexpérience seront pour elle une source de victorieux labeurs et des occasions de conquêtes nouvelles. Tous ses efforts lui seront profitables, toutes ses investigations si étranges, si pénibles qu’elles soient en apparence, contribueront à l’augmentation de ses connaissances, à la maîtrise de la matière qu’elle parviendra à dompter.

 

 

Il est une opinion vraiment insidieuse et trop généralement répandue, contre laquelle nous devons nous défendre, qui prétend que la vie n’est qu’un perpétuel recommencement.

Cette appréciation, d’un fatalisme décevant, ne repose que sur des apparences dues à notre ignorance de l’éternité de la vie de l’être, dont l’existence se renouvelle sans cesse dans des états toujours différents, en raison même des acquisitions successives qui viennent chaque fois modifier les conditions et les aptitudes de notre âme.

S’il n’en était ainsi, il ne nous resterait, pour toute consolation, qu’à accuser notre destin d’être d’une stupidité aveugle, qui en faisant de nous le jouet d’une dépolarisation morale constante, nous condamnerait gratuitement au supplice de Sisyphe. Ce serait non seulement excuser, mais justifier nos méfaits, tandis qu’au contraire tous nos actes subissent une sanction ; nos pensées elles-mêmes ont une répercussion sur l’équilibre de l’harmonie individuelle et même collective, personne ne l’ignore.

Gardons-nous donc de tomber dans ce piège qui est offert à notre lâcheté et qui ne nous réserve que de profondes douleurs. Si notre raison n’est pas satisfaite, rappelons-nous ces paroles lumineuses qui se trouvent dans le Livre des Vérités éternelles : « Cherchez et vous trouverez ; frappez, on vous ouvrira. » Cherchons, en effet, la vérité dans notre conscience qui s’éclaire au foyer même des vérités éternelles et nous la découvrirons ; frappons à sa porte et elle nous dévoilera le sanctuaire auquel elle s’alimente. Ses conseils nous montreront la voie à suivre, ils éveilleront en nous le « désir », initiateur de l’action et de l’effort qui conduisent à la Victoire et assurent à l’homme son empire sur la matière, c’est-à-dire sur lui-même.

 

 

En vérité, Dieu n’est pas moins près de nous que nous ne le sommes de Lui. Il ne tient qu’à nous de bénéficier de la plénitude de cette faveur insigne. Cessons donc de Lui préférer les illusions de la matière, que notre libre arbitre nous permet de choisir, tandis qu’au contraire l’expérience de leur fragilité et l’amertume des déceptions qu’elles nous laissent nous sollicitent à élever vers Lui les aspirations de l’âme qu’il a pris soin de déposer en nous comme une Arche d’alliance dispensatrice de Ses trésors.

 

 

Peut-être fallait-il que l’âme de l’homme traversât la nuit d’épouvante qui succède à l’encerclement de la matière, qu’elle s’exerçât à des efforts prodigieux pour raviver le souvenir plus ou moins lointain de sa lumineuse origine, pour se convaincre que la vertu de sublimation qu’elle possède lui ouvrirait le vaste champ des perceptions intimes qui conduisent à la suprême connaissance de l’Intuition des gestes divins ?

Son libre arbitre lui a laissé le choix des moyens. Et, alors, sa conscience, c’est-à-dire sa science acquise, l’éclairant sur la réalité de ses expériences, s’est empressée de contrôler ses facultés, de rectifier et de préciser l’enthousiasme et la direction souhaitée de ses désirs ; elle a sondé ses profondeurs insoupçonnées, fait appel à leurs lumières et découvre enfin, dans le merveilleux sanctuaire de l’âme qui l’abrite et l’a protégée dans ses périlleuses investigations, le foyer de la Toute-Puissance, dont le généreux rayonnement témoigne à tout homme de bonne volonté la majesté de son origine et la splendeur de la destinée que Lui, l’Esprit, met à sa discrétion.

 

 

Ce n’est donc pas en vain que la substance de notre âme a été dotée de facultés de lumières et de forces incomparables, que nous pouvons élever jusqu’à la sublimité et constituer les trésors de noblesse que la personnalité de notre conscience individuelle peut acquérir.

N’hésitons donc pas à utiliser avec courage et confiance cette précieuse source de possibilités qui nous est offerte. Enrichissons sa documentation, perfectionnons ses mémoires successives, éclairons ses contrôles de nos gestes nobles et surtout de nos vilenies, de nos joies et de nos tristesses, de nos victoires et de nos défaites.

Notre volonté, éclairée de ces lumières fécondes, deviendra l’instrument de victoires nouvelles, et nos labeurs accumulés dans le foyer de la substance divine de notre âme nous permettra d’éprouver la chaleur de l’Amour infini qui entretient notre existence ; nous sentirons alors nos perceptions s’accroître en proportion de l’affectueuse reconnaissance que notre cœur lui témoignera. Notre âme, affermie dans le noble commerce du bien, percevra la lumière tant souhaitée de l’Influx de l’Esprit, qui précède le don sublime de l’Intuition des Gestes Divins dans le Grand Œuvre de la Création.

 

 

A.-M. BEAUDELOT.

 

Paru dans Psyché, revue du spiritualisme intégral

en septembre-octobre 1917.

 

 

 

 

 

 

 

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