DE L’INCARNATION

 

DE

 

JÉSUS-CHRIST,

 

Exposée en trois parties,

 

SAVOIR :

 

1. COMMENT LE VERBE ÉTERNEL EST DEVENU HOMME, ET DE LA VIERGE MARIE ;

2. QUE NOUS DEVONS ENTRER DANS LES SOUFFRANCES, L’AGONIE ET LA MORT DE CHRIST ;

3. DE L’ARBRE DE LA FOI CHRÉTIENNE.

 

ÉCRIT D’APRÈS UNE ÉLUCIDATION DIVINE

PAR JACOB BÖHME,

en l’année 1620.

 

 

TRADUIT DE L’ALLEMAND

 

 

LAUSANNE

IMPRIMERIE CH. PACHE-SIMMEN

1861

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JACOB BÖHME

 

 

 

 

 

DE L’INCARNATION DE JÉSUS-CHRIST

 

OU

 

DU VERBE.

 

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PREMIÈRE PARTIE.

 

Comment le Verbe éternel est devenu homme, et de la Vierge Marie ; qui elle était de naissance, et quelle mère elle devint par la conception de son fils Jésus-Christ.

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CHAPITRE I.

 

Que la personne de Christ, ainsi que son incarnation, ne peuvent pas être reconnues par la sagacité naturelle ou par la lettre de l’Écriture-Sainte, sans illumination divine. Item, de l’origine de l’éternel Être divin.

 

 

1. Christ ayant demandé à ses disciples : Que disent les gens que le fils de l’homme est ? Ils lui répondirent : Les uns disent que tu es Élie, les autres que tu es Jean-Baptiste ou l’un des prophètes. Il leur demanda : Et vous, qui dites-vous que je suis ? Pierre lui répondit : Tu es Christ, le fils du Dieu vivant. Et il lui répondit : En vérité, la chair et le sang ne t’ont point manifesté cela, mais bien mon Père qui est au ciel ; et il leur annonça, là-dessus, ses souffrances, sa mort et sa résurrection (Matth. XVI : 21), pour leur faire voir que la raison propre, dans la sagacité et sagesse mondaines, ne pouvait ni reconnaître ni comprendre la personne qui était Dieu et homme ; mais que le plus souvent, il ne serait bien connu que de ceux-là seulement qui s’abandonneraient entièrement à Lui, et qui, pour l’amour de Lui, endureraient la croix, l’affliction et la persécution, et s’attacheraient à Lui avec ardeur. Ce qui aussi est arrivé ; car lorsqu’il était encore visible parmi nous, dans le monde, il fut rarement reconnu de la sagace raison, et quoiqu’il fît des miracles, la raison extérieure fut tellement aveugle et inintelligente, que de si grandes merveilles furent attribuées par les plus sages de la subtile raison au démon. Et comme au temps de son séjour en ce monde, il demeura inconnu de la raison et de l’intelligence propres, de même est-il demeuré inconnu et méconnu de la raison extérieure.

2. De là sont nés tant de disputes et de combats au sujet de sa personne, que la raison extérieure a toujours cru pouvoir sonder ce que sont Dieu et l’homme, comment Dieu et l’homme peuvent être une seule personne, lequel combat a rempli le monde, vu que toute raison propre a constamment cru avoir saisi la perle sans réfléchir que le royaume de Dieu n’est pas de ce monde, et que la chair et le sang ne peuvent ni le reconnaître ni le comprendre, beaucoup moins encore le sonder.

3. Il convient donc que tout homme qui veut parler des mystères divins ou les enseigner, ait aussi l’esprit de Dieu, qu’il reconnaisse dans la lumière divine la chose qu’il veut annoncer comme une vérité, et ne l’enfante point de sa propre raison qui, sans connaissance divine, appuie son opinion sur la lettre morte, et tire l’Écriture par les cheveux, comme la raison a coutume de le faire ; d’où sont nées quantité d’erreurs, parce qu’on a cherché la connaissance divine dans l’intelligence et la perspicacité propres, ce qui a conduit de la vérité divine dans la raison propre ; on a tenu l’incarnation de Christ pour une chose étrangère et éloignée, tandis que, cependant, nous devons tous naître de nouveau de Dieu, dans cette même incarnation, si nous voulons échapper à la fureur de la nature éternelle.

4. Puis donc que c’est pour les enfants de Dieu une œuvre intime, inhérente, dont ils doivent s’occuper journellement, à toute heure, et avec laquelle ils doivent entrer toujours dans l’incarnation de Christ, sortir de la raison terrestre, et ainsi naître, dans la naissance et l’incarnation de Christ, pendant cette vie de misères, s’ils veulent être enfants de Dieu en Christ, je me suis proposé d’écrire, pour un mémorial, ce haut mystère, d’après ma connaissance et mes dons, afin que j’aie ainsi un sujet de me réjouir et de me restaurer cordialement avec mon Immanuel, parce que je suis aussi avec d’autres enfants de Christ, dans cette naissance, et pour posséder un souvenir et un préservatif, dans le cas où la chair et le sang ténébreux et terrestres voudraient m’introduire le poison du diable et m’obscurcir mon image : je me le suis proposé pour un exercice de foi, afin que mon âme puisse ainsi, comme un rameau en Jésus-Christ son arbre, se restaurer de sa sève et de sa force ; et cela, non avec de hauts et apprêtés discours de l’art ou de la raison de ce monde, mais d’après la connaissance que j’ai de Christ mon arbre, afin que mon rameau verdisse et croisse aussi, à côté d’autres, dans l’arbre et la vie de Dieu. Et bien que je fonde hautement et profondément, et que cela soit exposé très clairement ci-après, que le lecteur sache néanmoins que sans l’esprit de Dieu, cela lui demeurera un mystère insaisissable. C’est pourquoi, que chacun prenne garde au jugement qu’il portera, de peur qu’il ne tombe dans le jugement de Dieu et ne soit saisi par sa propre turba, et que sa propre raison ne le précipite ; je dis cela à bonne intention et donne au lecteur à y réfléchir.

5. Si nous voulons écrire de l’incarnation et de la naissance de Jésus-Christ le fils de Dieu, et en parler sciemment, nous devons réfléchir aux causes qui ont déterminé Dieu à devenir homme, attendu que cela n’était pas nécessaire à son être, et que rien ne nous dit que son être propre ait subi un changement dans l’incarnation, car Dieu est invariable, et cependant, il est devenu ce qu’il n’était pas ; mais sa propriété est néanmoins demeurée invariable. Ce fut uniquement pour le salut de l’homme déchu, que par ce moyen il introduisit de nouveau dans le paradis, et ici il nous faut considérer le premier homme, ce qu’il était avant sa chute, fait pour lequel la divinité s’est mue, choses hautement à méditer pour nous autres hommes.

6. Nous savons ce que dit Moïse, que Dieu a créé l’homme à son image, en une ressemblance selon Lui (Gen. I : 27). Comprends donc que Dieu, qui est un esprit, s’est considéré dans une ressemblance, comme dans une image : de même a-t-il aussi créé ce monde, pour manifester ainsi en substance de même qu’en créatures et figures vivantes la nature éternelle, afin que le tout fût une image et une génération de la nature éternelle du premier principe, laquelle image a existé dans la sagesse divine, avant les temps du monde, comme une magie cachée, et a été vue par l’esprit de Dieu dans la sagesse ; lequel esprit a mu, au commencement de ce monde, la nature éternelle, mis en évidence et manifesté l’image du monde divin caché. Car le monde de feu était comme englouti et caché dans la lumière divine, attendu que la lumière de la majesté avait seule le régime en elle-même, et nous ne devons pas penser néanmoins que le monde de feu n’existât pas, il existait ; mais il se séparait dans son propre principe et n’était pas manifeste dans la lumière de la majesté divine, comme nous pouvons le voir au feu et à la lumière, que le feu est bien une cause de la lumière, mais que néanmoins la lumière demeure dans le feu sans être saisie par celui-ci, car elle a une autre source que le feu : le feu est fureur et dévorant ; la lumière, douceur et de sa force s’engendre la substantialité, comme l’eau ou le soufre d’une chose (sulphur), ce que le feu attire à lui pour sa force et sa vie, et c’est ainsi une union éternelle.

7. Ce feu et cette lumière divins sont à la vérité demeurés dès l’éternité en repos en eux-mêmes, chacun d’eux est demeuré dans sa sphère, dans son principe et n’a ni fond ni commencement ; car le feu a en soi sa propre forme pour source, savoir le désir, duquel et dans lequel toutes les formes de la nature s’engendrent, chacune étant la cause de l’autre, comme cela est amplement exposé dans les autres écrits. Et nous trouvons dans la lumière de la nature que le feu dans sa propre essence, comme un tourment (source) d’âpre désir en soi-même, était un ténèbre ; qu’il était comme englouti dans la douceur de Dieu, non inqualifiant, mais essentiel en soi-même, non inflammable ; et quoiqu’il brûlât, cela n’était sensible, en tant que principe propre, qu’en soi-même : car il n’y a eu dès l’éternité que deux principes ; savoir : l’un renfermé en lui-même, le monde de feu ; et l’autre, aussi renfermé en lui-même, le monde de lumière flamboyante ; toutefois, non séparés l’un de l’autre ; de même que le feu et la lumière ne sont pas séparés, la lumière demeurant dans le feu, sans être saisie par lui.

8. Il nous faut ainsi comprendre deux sortes d’esprits l’un dans l’autre, savoir un esprit de feu, conforme à l’essence de l’âpre et sévère nature, sortant du feu essentiel, ardent et aussi froid, en outre sévère, qui est reconnu pour l’esprit de colère et de tourment de Dieu, et appartient à la qualité du père, d’après laquelle il se nomme un Dieu colérique et jaloux et un feu dévorant, ce qu’on entend par le premier principe. Puis un esprit doux de lumière flamboyante, qui dès l’éternité est transformé dans le centre de la lumière ; car dans le premier principe, dans la qualité du père, c’est un esprit de feu, et dans l’autre principe, dans la lumière, un esprit doux de lumière flamboyante, qui dès l’éternité s’originise ainsi, et il est un, non deux ; mais il est compris en deux sources, savoir en feu et lumière selon la qualité de chaque source, comme nous pouvons suffisamment considérer dans tout feu extérieur, que la source du feu produit un esprit de fureur dévorant, et la source de la lumière un doux et aimable esprit d’air, bien que, dans l’origine, il n’y ait pourtant qu’un esprit.

9. Ainsi il nous faut comprendre de la même manière l’Être de l’éternité, ou la Sainte-Trinité, que dans la lumière et la majesté nous reconnaissons pour la divinité, et dans le feu pour la nature éternelle, ce qui a été amplement exposé dans les autres écrits ; car le puissant esprit de Dieu, en deux principes, a dès l’éternité tout renfermé ; il n’y a rien avant lui, il est lui-même le fond et le sans-fond, et cependant, le saint Être divin est principalement reconnu comme un être unique en soi-même, et demeure hors de la nature de feu et de sa propriété, dans la propriété de la lumière, et est appelé Dieu ; non pas de la propriété du feu, mais de celle de la lumière, bien que les deux propriétés ne soient point séparées, comme nous voyons dans ce monde qu’un feu caché dans la profondeur de la nature, gît caché en toutes choses, sans quoi il ne se produirait aucun feu extérieur ; et nous voyons comment la douceur de l’eau retient en elle captif ce feu caché, de façon qu’il ne puisse pas se manifester ; car il est comme englouti dans l’eau, et il existe pourtant, non substantiellement, mais essentiellement, il se manifeste quand on l’excite et devient inqualifiant, et tout serait comme un néant et un abîme sans le feu.

10. Ainsi, nous comprenons de même que le troisième principe, comme la source et l’esprit de ce monde, est dès l’éternité demeuré caché dans la nature éternelle de la qualité du Père, et a été vu dans la teinture divine par l’esprit de la lumière flamboyante dans la sainte magie, comme dans la sagesse divine, à quelle fin la divinité s’est mue selon la nature de l’engendreuse et a produit le grand mystère qui alors a renfermé tout ce que peut la nature éternelle ; et ce ne fut qu’un mystère, sans ressemblance avec aucune créature, comme un chaos l’un dans l’autre, attendu que la nature furieuse a engendré un chaos ténébreux et la nature de lumière flamboyante, dans sa qualité, les flammes dans la majesté et la douceur, ce qui, dès l’éternité, a été la source de l’eau et la cause de la sainte essentialité divine ; ce n’était que puissance et esprit hors de comparaison, et il n’y avait non plus là rien de sensible que l’esprit de Dieu en deux sources et formes ; savoir en chaude et froide, une sévère source de feu et une douce source d’amour, selon le mode du feu et de la lumière.

11. Cela est allé (entré) comme un mystère l’un dans l’autre, et pourtant, l’un n’a pas saisi l’autre ; mais cela est également demeuré en deux principes, et alors l’âpreté, comme le père de la nature, a toujours saisi l’essence dans le mystère, où cela s’est formé comme en une image ; et néanmoins ce n’était point une image, mais comme l’ombre d’une image. Tout cela dans le mystère, a bien ainsi à la vérité toujours eu un commencement éternel, attendu qu’on ne peut pas dire qu’il y ait eu quelque chose qui n’ait pas eu sa figure, comme une ombre, dans la grande, éternelle magie ; mais ce n’était pas un être, seulement un jeu spirituel l’un dans l’autre, et c’est la magie des grandes merveilles divines, qui a toujours créé où il n’y avait rien qu’un abîme seulement ; ce rien est devenu quelque chose dans la nature du feu et de la lumière, et n’est pourtant rien non plus qu’une émanation de l’esprit de la source, qui n’est pas un être non plus, mais une source qui s’engendre en elle-même en deux propriétés et se sépare aussi elle-même en deux principes. Elle n’a point de séparateur ni d’auteur, ni aucune cause de son propre-faire ; mais elle est elle-même la cause, comme cela a été amplement exposé dans d’autres écrits, savoir comment l’abîme se pose et s’engendre lui-même un fond.

12. Ainsi, nous pouvons maintenant reconnaître la création de ce monde ; tant la création des anges que celle de l’homme et de toutes les créatures : tout a été créé du grand mystère, car le troisième principe était devant Dieu comme une magie et n’était pas complètement manifesté ; ainsi Dieu n’avait non plus aucune image dans laquelle il pût contempler son propre être, que la sagesse seulement qui constituait son désir, lequel était manifeste dans sa volonté avec son esprit, comme une grande merveille, dans la magie divine de la lumière flamboyante de l’esprit de Dieu ; car c’était la demeure de l’Esprit de Dieu, et elle n’était point une engendreuse, mais la manifestation de Dieu, une vierge et une cause de l’essentialité divine, car en elle résidait la teinture divine de lumière flamboyante pour le cœur de Dieu, comme pour la parole de vie de la divinité, elle était la manifestation de la Sainte-Trinité ; non qu’elle manifestât Dieu de son pouvoir et engendrement, mais le centre divin, comme le cœur ou l’être de Dieu, se manifeste en elle : elle est comme un miroir de la divinité ; car tout miroir demeure coi et ne produit aucune image ; mais il reçoit l’image. Ainsi cette vierge de la sagesse est un miroir de la divinité, dans lequel l’esprit de Dieu se voit lui-même, ainsi que toutes les merveilles de la magie qui ont pris naissance avec la création du troisième principe ; tout a été créé du grand mystère, et cette vierge de la sagesse divine était dans le mystère, et en elle l’esprit de Dieu a vu la formation des créatures ; car elle est le prononcé, ce que Dieu le père prononce par son saint esprit de son centre de la propriété divine de lumière flamboyante, du centre de son cœur, du verbe divin. Elle demeure devant la divinité comme une splendeur ou miroir de la divinité, dans laquelle la divinité se contemple, et en elle réside le divin royaume de joie de la volonté divine, les grandes merveilles de l’éternité qui n’ont ni commencement ni fin ni nombre ; mais le tout est un commencement éternel et une fin éternelle : et le tout ressemble à un œil qui voit là où pourtant il n’y a rien à voir, et cependant le voir naît de l’essence du feu et de la lumière.

13. Ainsi, entendez par l’essence du feu la propriété du Père et le premier principe, et dans la source et propriété de la lumière la nature du Fils, comme l’autre principe : et par l’esprit émanant des deux propriétés, entendez l’esprit de Dieu qui dans le premier principe est fureur, sévérité, âpreté, amertume, froid et igné, et est l’esprit excitant dans la colère ; c’est pourquoi il ne demeure point dans la colère et la fureur, mais il en sort et souffle le feu essentiel, en s’unissant de nouveau à l’essence du feu ; car les essences furieuses l’attirent de nouveau à elles, attendu qu’il est leur source et leur vie, et sort du Père et du Fils dans le feu allumé dans la lumière, puis ouvre les essences de feu dans la source de la lumière, et alors les essences de feu brûlent dans un grand désir d’amour : la sévère et rigoureuse source n’est plus reconnue dans la source de la lumière ; mais la sévérité du feu est ainsi seulement une cause de la majesté en lumière flamboyante et de l’amour désirant.

14. C’est ainsi que nous devons entendre l’être de la divinité et celui de l’éternelle nature, et nous représenter toujours l’être de la divinité dans la lumière de la majesté : car la douce lumière rend la sévère nature du Père douce, aimable et miséricordieuse, et il est nommé Père des miséricordes selon son cœur ou son Fils ; car la qualité du Père demeure dans le feu et dans la lumière, et il est lui-même l’être de tous les êtres : il est l’abîme et la base et se divise dans l’engendrement en trois propriétés ou en trois personnes et aussi en trois principes, bien que dans l’éternité il n’y en ait que deux en être, et le troisième comme un miroir des deux premiers, duquel ce monde est créé comme un être saisissable en commencement et fin.

 

 

 

 

CHAPITRE II.

 

Manifestation de la divinité par la création

d’essence divine des anges et des hommes.

 

 

1. Puis donc qu’un mystère a ainsi existé dès l’éternité, il nous faut maintenant considérer sa manifestation ; car nous ne pouvons parler de l’éternité que comme d’un mystère, attendu que le tout n’a été qu’esprit et s’est néanmoins, dès l’éternité, engendré en substance, et cela par désir et attrait ; et nous ne pouvons absolument pas dire qu’il n’y ait pas eu de substance dans l’éternité, car aucun feu n’existe sans substance : ainsi il n’y a nulle douceur qui n’engendre une substance, car la douceur engendre l’eau, que le feu engloutit et transforme en soi partie en ciel et firmament, partie en sulphur (soufre), dans lequel l’esprit de feu, avec sa roue des essences, fait un mercure, puis éveille Vulcain (c’est-à-dire bat feu), ce qui engendre le troisième esprit ou l’air ; alors la noble teinture se trouve au milieu, comme une lumière brillante, avec les couleurs, et elle tire son origine de la Sagesse de Dieu, car les couleurs naissent de la source ; chaque couleur demeure avec son essentialité dans la douceur de la source de l’eau, à l’exception de la couleur noire qui s’originise de l’âpre fureur : toutes reçurent leur teinte de la source.

2. Chaque forme désire l’autre, et par cet attrait désireux, une forme s’engrosse de l’autre, et l’une engendre l’autre, de façon qu’ainsi l’éternité demeure dans une magie permanente, où la nature est en croissance et en lutte ; le feu dévore cela et le donne aussi, et c’est dès lors un lien éternel ; mais la lumière de la majesté et trinité divine est immuable ; car le feu ne peut pas la saisir, elle demeure libre en soi.

3. Et nous reconnaissons et trouvons cependant que la lumière de l’amour est désirante, comme particulièrement des merveilles et figures dans la sagesse ; dans lequel désir ce monde, comme un reflet de cette sagesse, a été vu dès l’éternité dans la sagesse, dans la profonde et secrète magie de Dieu ; car le désir de l’amour fouille dans le fond et le sans-fond ; ici s’est aussi entremêlé dès l’éternité le désir de la fureur, de l’âpre et sévère source dans la nature et qualité du Père ; et ainsi l’image des anges et des hommes a été vue, dans la sagesse de Dieu, dès l’éternité, dans la qualité divine, de même aussi les démons, dans la qualité de la fureur (mais non dans la qualité de la sainte flamboyante lumière) ; sans image ni être, toutefois, mais de la manière dont naît, dans la profondeur, une pensée, et comme elle se produit dans son propre miroir de la base affective 1 (âme), où souvent apparaît un objet qui n’existe pas.

4. Ainsi, les deux engendreuses (savoir la fureur dans le feu et l’amour dans la lumière), ont déposé leur empreinte dans la sagesse ; et alors le cœur de Dieu a désiré dans l’amour, de convertir cette empreinte en une image angélique de l’essence divine, pour qu’elle fût une ressemblance et une image de la divinité et demeurât dans la sagesse de Dieu, afin d’accomplir le désir de la divinité et pour la joie éternelle du divin royaume de joie.

5. Et il nous faut maintenant comprendre et considérer le Verbe fiat qui les a saisis (les anges) et amenés en une substance et être corporel, car la volonté pour cette image est issue du Père, de la propriété du Père dans la parole ou cœur de Dieu dès l’éternité, comme une volonté désirante vers (après) la créature et pour la manifestation de la divinité. Mais parce que dès l’éternité Dieu ne s’est pas mu jusqu’à la création des anges, aucune création n’a non plus eu lieu jusqu’à celle-là ; ce dont nous ne devons pas savoir le motif et les causes, Dieu s’étant réservé dans sa puissance comment il s’est fait qu’il se soit mu une fois, puisque cependant il est un Dieu immuable : nous ne devons pas non plus sonder ici plus profondément, car cela nous trouble.

6. Mais nous avons le pouvoir de parler de la création, car elle est une œuvre dans l’être divin, et nous comprenons que la volonté de la parole ou cœur de Dieu a saisi l’âpre fiat dans le centre de la nature du Père, avec ses sept esprits et formes de la nature éternelle, et cela en forme de trône, où donc l’âpre flat n’a pas figuré en qualité de formateur, mais bien comme un agent dans la qualité de chaque essence, ainsi que dans les grandes merveilles de la sagesse : comme les figures avaient été vues dès l’éternité dans la sagesse, de même furent-elles maintenant saisies par le fiat (parole créatrice, maître-ouvrier, Gen. chap. I : Que la lumière soit, etc.) dans l’esprit de la volonté de Dieu ; non d’une matière étrangère, mais de l’essence de Dieu, de la nature du Père ; et elles furent introduites avec l’esprit de la volonté de Dieu dans la lumière de la majesté, où elles furent donc des enfants de Dieu et non des hôtes étrangers, engendrées et créées de la nature et qualité du Père, et l’esprit de leur volonté était dirigé vers la nature et qualité du Fils. Elles pouvaient et devaient manger de la substantialité de l’amour divin dans la lumière de la majesté, où alors leur qualité furieuse, de la nature du Père, était convertie en amour et en joie ; ce qu’aussi elles firent toutes, sauf un trône et royaume ; celui-ci se détourna de la lumière de l’amour et voulut régner dans la sévère nature du feu sur la douceur et l’amour de Dieu ; cause pour laquelle il fut chassé de la propriété du Père, de son siège créaturel propre, dans les ténèbres éternelles, dans l’abîme de l’âpre fiat ; là il faut qu’il demeure dans son éternité, et ainsi la fureur de la nature éternelle a aussi été satisfaite.

7. Mais nous ne devons pas croire que le roi Lucifer n’eût pas pu se soutenir ; il avait la lumière de la majesté devant lui aussi bien que les autres trônes-anges : s’il eût imaginé dans cette lumière, il serait demeuré un ange ; mais il se retira lui-même de l’amour de Dieu pour passer dans la colère ; ainsi il est maintenant un ennemi de l’amour de Dieu et de tous les saints anges.

8. Il nous faut en outre ici considérer l’enflammement hostile des esprits rejetés, alors qu’ils étaient encore dans la qualité du Père ; comme ils ont enflammé par leur imagination la nature de la substantialité, de telle sorte que de la substantialité céleste se sont produits de la terre et des pierres, et que le doux esprit de l’eau dans la source de feu est devenu un firmament enflammé ; sur quoi eut lieu la création de ce monde, c’est-à-dire du troisième principe, et une autre lumière fut donnée à ce monde, savoir le soleil : ainsi fut abattue la pompe du démon, et il fut enfermé dans les ténèbres, comme un prisonnier, entre le royaume de Dieu et celui de ce monde, en sorte que sa domination dans ce monde ne s’étend pas au-delà de la turba (trouble, perturbation, et aussi, méchanceté, enfin, colère divine), dans la fureur et la colère de Dieu, là où celle-ci est éveillée ; il y fait l’office de bourreau ; il est un menteur perpétuel, calomniateur et trompeur des créatures ; il tourne tout le bien en mal pour peu qu’on lui donne accès. Il montre sa puissance dans tout ce qui fait peur et qui brille, et veut constamment s’élever au-dessus de Dieu ; mais le ciel, créé du milieu de l’eau, comme un doux firmament, lui abat son orgueil, en sorte qu’il n’est point prince souverain dans ce monde, mais prince de la colère.

9. Après que Satan eut été chassé du lieu de ce monde, ce même lieu ou trône (privé de sa légion d’anges) fut en grand désir de son prince ; mais il était expulsé : Dieu lui créa donc un autre prince, savoir Adam, le premier homme, qui fut aussi le prince d’un trône devant Dieu ; et il nous faut ici bien considérer sa création, de même aussi sa chute, en considération de laquelle le cœur de Dieu s’émut et devint homme.

10. Ce n’est donc pas une chose de peu de valeur que la création de l’homme, puisque sa chute fut la cause pour laquelle Dieu devint homme, afin de pouvoir le relever : sa chute ne consiste donc point dans la simple manducation d’une pomme ; sa création ne fut point telle non plus que la raison extérieure se la représente, puisqu’elle croit que le premier Adam ne fut, dans sa création, qu’une simple masse de terre : non, ma chère âme, Dieu ne s’est pas fait homme en faveur d’un masse de terre ! – il ne s’agissait pas non plus simplement d’une désobéissance, au sujet de laquelle Dieu se soit fâché, dont sa colère n’eût pas pu être apaisée, sans s’être vengée sur son Fils et l’avoir égorgé.

11. Pour nous autres hommes, après la perte de notre image paradisiaque, ceci est un mystère et est demeuré caché, excepté à quelques-uns qui ont de nouveau atteint (saisi) le mystère céleste : quelque chose en a été manifesté à ceux-ci, selon l’homme intérieur ; car nous sommes morts au paradis en Adam et il nous faut de nouveau y reverdir (comme dans un autre monde, dans la vie de Dieu, dans la substantialité et corporéité célestes) par la mort et la corruption du corps ; et bien que l’âme de quelques-uns ait de nouveau revêtu la substantialité divine (soit le corps de Christ), l’Adam corrompu et terrestre a cependant recouvert le saint et pur mystère, de façon que le grand secret est demeuré caché à la raison. Car Dieu ne demeure pas dans ce monde, dans le principe extérieur ; mais dans l’intérieur : il demeure bien dans le lieu de ce monde, mais ce monde ne le saisit point ; comment donc l’homme terrestre saisirait-il les divins mystères ? Et si l’homme les saisit, c’est selon l’homme intérieur, qui est de nouveau-né de Dieu.

12. Mais puisque le mystère divin veut désormais se découvrir tout-à-fait, et est ainsi rendu entièrement compréhensible à l’homme, que le secret lui est totalement découvert, il faut bien réfléchir à ce que cela signifie : rien autre que l’approche de la moisson de ce monde ; car le commencement a trouvé la fin et le milieu est mis dans la séparation. Tenez-le-vous pour dit, vous enfants, qui voulez hériter le royaume de Dieu ; nous vivons dans un temps très sérieux ; l’aire doit être nettoyée ; le bien et le mal séparés ; le jour point ; cela est hautement reconnu !

13. Si nous voulons parler de l’homme, bien le connaître et savoir de quoi il a été formé, il nous faut pour cela considérer la divinité avec l’Être de tous les êtres, car l’homme fut créé à l’image de Dieu de tous les trois principes ; une image et une ressemblance parfaites de tous points. Il ne devait pas être seulement une image de ce monde ; car l’image de ce monde est bestiale, et Dieu n’est devenu homme en faveur d’aucune image bestiale ; Dieu ne créa pas non plus l’homme pour vivre ainsi dans la qualité bestiale, comme nous vivons depuis la chute ; mais bien dans le paradis, dans la vie éternelle. L’homme n’avait point une semblable chair bestiale, mais une chair céleste ; la chute seule le rendit terrestre et bestial. Il ne faut pas croire cependant qu’il n’eut rien de ce monde en lui, car il était revêtu du royaume et du régime de ce monde ; mais les quatre éléments ne régnaient pas sur lui ; les quatre éléments n’en formaient qu’un, et le régime terrestre était caché en lui ; il devait vivre dans la source céleste, et bien que tout fût manifeste (éveillé) en lui, il devait néanmoins régner par la source céleste de l’autre principe sur la source terrestre ; le royaume et la source des étoiles et des éléments devaient être soumis à la source paradisiaque. Ni chaleur ni froidure, ni maladie ni accident, ni aucune peur non plus, ne devaient l’atteindre ni l’effrayer ; son corps pouvait traverser la terre et les pierres sans se briser contre eux ; car ce n’eût pas été un homme immortel que celui que la matière aurait dominé, qui aurait été fragile.

14. C’est pourquoi, il nous faut bien considérer l’homme ; il ne s’agit ni de sophistiquer ni d’imaginer, mais bien de connaître et de savoir dans l’esprit de Dieu ; il est dit : il faut que vous naissiez de nouveau, si vous voulez de rechef voir le royaume de Dieu dont vous êtes sortis. L’art n’y peut rien, mais bien l’esprit de Dieu qui ouvre à l’homme-image la porte du ciel, pour qu’il voie avec trois yeux ; car l’homme existe dans une triple vie, s’il est enfant de Dieu, s’entend ; sinon, il n’est que dans une double. Et il nous est assez connu qu’Adam, alors qu’il était la vraie sainte image, la ressemblance selon la Sainte-Trinité, est sorti de l’Être divin et a imaginé dans la terrestréité, et introduit le royaume terrestre dans l’image divine, ce qui l’a corrompu et rendu ténébreux ; par où nous avons aussi perdu notre voir paradisiaque. Dieu nous a retiré le paradis, ce qui nous a rendu languissants, faibles et impuissants ; en même temps que les quatre éléments et les astres sont devenus puissants en nous, et nous ont assujettis à eux en Adam, ce qui aussi fut l’origine de la femme, du partage que Dieu fit d’Adam, alors qu’il ne pouvait pas se soutenir, savoir, en deux teintures, selon le feu et selon l’eau, comme on le verra ci-après, où l’une donne l’âme et l’autre l’esprit. Et après la chute, l’homme est tombé dans un état bestial, puisqu’il est réduit à se reproduire à la manière des bêtes, le ciel, le paradis et la divinité lui étant devenus un mystère ; bien que cependant l’être éternel, savoir la noble âme lui demeurât, mais couverte d’un vêtement terrestre, obscurcie, infectée par la source terrestre et empoisonnée par une fausse imagination ; de telle sorte qu’elle ne fut plus reconnue pour enfant de Dieu ; causes pour lesquelles Dieu devint homme, afin qu’il délivrât l’âme de la sombre terrestréité et l’introduisit de rechef dans la céleste substantialité dans la chair et le sang de Christ qui remplit le ciel.

 

 

 

 

CHAPITRE III.

 

La porte de la création de l’homme.

 

 

1. Bien que nous ayons presque suffisamment expliqué ceci dans les autres livres, comme chacun ne les a pas sous la main, il est nécessaire de donner une courte et sommaire description de la création de l’homme, afin que l’incarnation du Christ puisse ensuite être mieux comprise ; et cela aussi en vue des perles qui toujours plus échoient, sont données et manifestées à l’homme dans sa recherche, ce qui me cause alors une joie particulière, de me recréer ainsi en Dieu.

2. La création de l’homme s’est opérée dans tous les trois principes, savoir dans la nature et qualité éternelle du Père, dans la nature et qualité éternelle du Fils, et dans la nature et qualité de ce monde ; et il fut insufflé à l’homme, que le Verbe fiat créa, le triple esprit pour sa vie, de trois principes et sources ; il est créé comme d’un triple fiat, entendez la corporéité et l’essentialité ; et la volonté du cœur de Dieu lui a introduit l’esprit selon tous les trois principes ; comprenez cela comme suit :

3. L’homme fut créé en une parfaite ressemblance de Dieu ; Dieu se manifesta dans l’humanité en une image qui devait être comme lui-même ; car Dieu est tout, et tout est provenu de lui ; et parce que tout n’est pas bon, tout, non plus, n’est pas appelé Dieu. Car pour ce qui concerne la pure divinité, Dieu est un esprit de lumière flamboyante et ne demeure en rien qu’en soi-même, rien ne lui est pareil. Mais en ce qui concerne la propriété du feu, d’où la lumière s’originise, nous reconnaissons la qualité du feu pour nature, laquelle est une cause de la vie, du mouvement et de l’esprit, sans quoi il n’y aurait ni esprit, ni lumière ni aucun être, mais un éternel silence ; ni couleurs, ni vertus, rien qu’un abîme sans être.

4. Et quoique la lumière de la majesté demeure dans l’abîme sans être saisie par la nature et propriété du feu, il nous faut néanmoins considérer le feu et la lumière comme suit : le feu a et fait une épouvantable et dévorante source ; maintenant, il y a dans la source un tomber, semblable à un mourir, ou comme une chose qui se rend ; cet abandon tombe dans la liberté hors de la source, comme dans la mort, et pourtant il n’y a point de mort ; mais cela descend ainsi plus profondément d’un degré en soi et est délivré du tourment de l’angoisse du feu ; conservant toutefois la rigueur du feu, non dans l’angoisse, mais dans la liberté.

5. Maintenant, la liberté et le sans-fond sont une vie, et elle devient lumineuse ; car la liberté reçoit l’éclair de la source angoisseuse et devient désirante de la substantialité, et le désir s’engrosse lui-même de la substantialité émanant de la douceur et de la liberté, attendu que ce qui traverse la source d’angoisse et en est délivré se réjouit de sa délivrance et attire la joie en soi, puis sort en volonté de soi-même, ce qui est l’esprit de joie et la vie ; pour exprimer ceci il nous faudrait une langue angélique. Mais nous allons faire au lecteur aimant Dieu un court exposé pour l’aider à comprendre ce qu’est la substantialité divine.

6. Car en Dieu, tout est force, esprit et vie ; mais ce qui est substance n’est pas esprit. Ce qui se sépare du feu comme en défaillance, cela est substance ; car l’esprit s’originise dans le feu et se sépare alors en deux sources, savoir une dans le feu et une dans le tomber dans la liberté, dans la lumière ; cette dernière s’appelle Dieu, car elle est douce et aimable et possède le royaume de joie ; et par monde angélique il faut entendre la liberté défaillante de la substantialité.

7. Et parce que nous étions sortis de la liberté du monde angélique et entrés dans la source ténébreuse, abîme qui était le feu, il n’y avait d’autre remède pour nous, sinon que le Verbe et la puissance de la lumière, en tant que Verbe de la vie divine, devint homme, et nous conduisit hors des ténèbres, au travers du tourment du feu, par la mort dans le feu, de nouveau dans la liberté de la vie divine, dans la substantialité divine. C’est pour cela que Christ a dû mourir et l’esprit de son âme entrer au travers du feu de la nature éternelle, c’est-à-dire de l’enfer et de la fureur de l’éternelle nature, dans la substantialité divine, et frayer à nos âmes une voie au travers de la mort et de la colère ; voie dans laquelle nous puissions avec lui et en lui, entrer, par la mort, dans l’éternelle vie divine.

8. Mais par substantialité divine ou corporéité divine, il nous faut entendre la chose ainsi : la lumière donne la douceur comme un amour ; maintenant, l’angoisse du feu désire la douceur pour apaiser sa grande soif ; car le feu est désirant et la douceur est donnante, elle se donne elle-même. Ainsi le désir de la douceur engendre l’être, comme une essentialité substantielle qui est échappée à la fureur, qui abandonne sa propre vie : c’est là la corporéité, car en passant de la force dans la douceur elle devient substantielle et est revêtue de l’âpreté, soit du fiat éternel qui la retient ; elle est appelée substantialité ou corporéité, parce qu’elle est échappée à la source et à l’esprit du feu, et elle est comme muette à l’esprit ; morte ou impuissante, bien qu’elle soit cependant une vie essentielle.

9. Ainsi comprenez-nous bien : lorsque Dieu créa les anges, deux principes seulement étaient manifestes et existants soit en feu soit en lumière, l’un avec l’essentialité furieuse, dans le sévère âpre fiat, avec les formes de la nature de feu ; l’autre, avec l’essentialité céleste de la sainte force, avec la source d’eau de la douceur de la joyeuse vie, dans laquelle, comme dans l’amour et la douceur, le sulphur divin fut engendré, son fiat fut la volonté désirante de Dieu.

10. De cette divine substantialité, comme de la nature de Dieu, les anges furent faits créatures et leur esprit ou source de vie naît du feu, car sans feu, point d’esprit ; mais il (l’esprit) passa du feu dans la lumière ; là il reçut la source de l’amour et le feu ne fut qu’une cause de sa vie, sa fureur fut éteinte par l’amour dans la lumière.

11. Lucifer méprisa cela et demeura un esprit de feu ; ainsi il s’éleva et alluma dans sa région la substantialité, d’où proviennent la terre et les pierres, et il fut expulsé ; ici prirent naissance la troisième corporéité et le troisième principe, avec le règne de ce monde.

12. Satan ayant donc été jeté dehors, dans les ténèbres, Dieu créa une autre image à sa ressemblance dans cette région, et puisqu’elle devait être une ressemblance de Dieu selon tous les trois principes, il fallait bien aussi qu’elle fût prise des trois et de toute chose de ce lieu ou de cette profondeur, aussi loin que le fiat s’était avancé dans l’éther lors de la création du trône princier de Lucifer ; car l’homme vint à la place de Lucifer : de là, la grande jalousie des démons qui ne voient pas de bon œil cet honneur fait à l’homme, mais le conduisent toujours dans le chemin de perdition, afin que leur royaume s’étende ; et ils font cela pour narguer la douceur ou l’amour de Dieu, croyant encore que parce qu’ils vivent dans la fureur de la forte puissance, ils sont plus élevés que l’esprit de Dieu dans l’amour et la douceur.

13. Ainsi, comprenez que l’esprit de la volonté de Dieu ou le Saint-Esprit, a réuni le double fiat en deux principes ; savoir, l’interne dans le monde angélique, et l’externe dans ce monde visible, et créé l’homme (Mesch ou Mensch), comme une personne mixte ; car il devait être une image du monde intérieur et extérieur, mais régner par la source intérieure sur l’extérieure ; alors, il aurait été l’image de Dieu ; car la substantialité extérieure était suspendue à l’interne, le paradis verdissait au travers de la terre, et l’homme était dans ce monde, sur cette terre, en paradis ; car jusqu’à la chute, il lui crut aussi des fruits paradisiaques ; mais lorsque le Seigneur maudit la terre, le paradis entra dans le mystère et devint pour l’homme un mystère ou secret, bien que, s’il est né de nouveau en Dieu, il demeure, selon l’homme intérieur, dans le paradis ; toutefois, selon l’homme extérieur, dans ce monde.

14. Ainsi, il nous faut considérer en outre la venue et l’origine de l’homme : Dieu a créé son corps de la matrice de la terre, dont la terre avait été créée. Tout était confondu et se divisait cependant en trois principes, trois substantialités diverses, et néanmoins, celle dans la fureur n’était point manifeste. Si Adam était demeuré dans l’innocence, il aurait vécu tout le temps de ce monde en deux principes seulement et régné par l’un sur tout ; le règne de la fureur n’aurait jamais été reconnu ni manifesté en lui, bien qu’il fît partie de son être.

15. Et il nous faut de plus comprendre que le corps d’Adam a été en partie créé par le fiat intérieur, de l’élément intérieur, qui renferme le firmament et le ciel intérieurs, avec les essences célestes, et, pour l’autre partie, il a été créé, par le fiat extérieur, des quatre éléments de la nature extérieure et des astres ; car dans la matrice de la terre cela était confondu, le paradis y était mêlé et le corps fut aussi créé dans le paradis. Comprenez bien : il avait la substantialité divine et aussi la terrestre en soi ; mais la terrestre était comme engloutie dans la céleste ou impuissante : la substance ou matière dont le corps fut formé ou créé, était une masse, une eau et un feu, avec l’essence des deux principes, bien que le premier s’y trouvât aussi, mais non actif. Chaque principe devait demeurer dans son siège ; ils ne devaient pas se mêler, de même que cela existe en Dieu : l’homme aurait ainsi été une image complète de l’être divin.

 

 

De l’insufflation de l’âme et de l’esprit.

 

16. Le corps est une ressemblance de la substantialité de Dieu, l’âme et l’esprit une ressemblance de la Sainte-Trinité. Dieu donna au corps sa substantialité des trois principes, et l’esprit avec l’âme de la fontaine d’eau vive du triple esprit de l’omniprésente divinité ; et il nous faut comprendre que l’âme avec son image et avec son esprit extérieur est procédée de trois principes et a été insufflée et introduite dans le corps, ce que Moïse aussi témoigne : Dieu souffla à l’homme une respiration de vie dans les narines et l’homme devint une âme vivante (Gen. II : 7).

17. Or, le souffle et esprit de Dieu dérive de trois sources : dans le premier principe c’est un souffle de feu ou esprit de feu, qui est la vraie cause de la vie et réside dans la source du Père, comme dans le centre de la nature furieuse ; dans l’autre principe, le souffle ou esprit de Dieu est l’esprit d’amour flamboyant de lumière, le vrai esprit de la pure divinité, qui s’appelle Dieu-Saint-Esprit ; dans le troisième principe, comme dans la ressemblance divine, il est le souffle divin de l’esprit de l’air, sur lequel plane le Saint-Esprit, ainsi que l’expose le roi David : Le Seigneur se promène sur les ailes du vent (Ps. CIV : 3) ; et Moïse dit : L’Esprit de Dieu se meut sur les eaux, sur l’abîme d’où naît le vent (Gen. I : 2).

18. La divinité complète a donc insufflé et introduit dans l’image créée ce triple esprit de tous les trois principes ; savoir, premièrement, l’esprit de feu, qu’il lui a introduit du dedans, non par les narines, mais dans le cœur, dans la double teinture du sang intérieur et extérieur, bien que l’extérieur ne fût pas en évidence, mais en mystère. Cependant l’intérieur était sensible et avait deux teintures, l’une procédant du feu, l’autre de la lumière. Cet esprit de feu est la vraie âme essentielle, car elle a le centre de la nature, avec ses quatre formes pour la puissance du feu ; elle s’allume elle-même le feu et fait elle-même la roue des essences, comme cela a été amplement exposé dans le troisième livre.

19. Et vous devez savoir que le feu essentiel de l’âme n’est pas la vraie image de la divinité : elle (l’âme) n’est pas une image, mais un feu magique éternel, qui n’a jamais eu de commencement et n’aura, non plus, pas de fin ; comprenez que Dieu a introduit le feu éternel, sans commencement (qui dès l’éternité a existé en soi-même, dans la magie éternelle, c’est-à-dire dans la volonté de Dieu, dans le désir de la nature éternelle, comme un centre éternel de l’engendreuse) ; car cette image devait être une ressemblance selon lui.

20. D’autre part, le Saint-Esprit, lui a introduit, de soi-même, en même temps que le feu essentiel de l’âme, l’esprit d’amour flamboyant de lumière, aussi dans l’autre principe seulement, où l’on entend la divinité, et cela non par le nez, mais comme le feu et la lumière sont suspendus l’un à l’autre et ne forment qu’un, bien qu’en deux sources ; ainsi lui furent introduits, dans le cœur, le bon esprit d’amour avec le feu essentiel de l’âme, et chaque source apporta avec elle sa teinture propre, comme une vie propre ; et l’on entend par teinture de l’amour le vrai esprit, qui est l’image de Dieu, une ressemblance de la claire, vraie divinité, qui ressemble à l’homme entier et remplit aussi tout l’homme, mais dans son principe.

21. L’âme, pour ce qui la concerne spécialement, est un œil de feu ou un miroir de feu, dans lequel la divinité s’est manifestée selon le premier principe ou selon la nature ; car elle est une créature ; non créée en une ressemblance, toutefois ; mais son image, qu’elle engendre de son œil de feu en lumière, est la vraie créature pour l’amour de laquelle Dieu devint homme et l’introduisit de nouveau de la fureur de la nature éternelle dans le saint Ternaire.

22. Et nous devons en outre comprendre l’âme et son image comme suit : Elles sont bien ensemble un esprit, mais l’âme est un feu affamé et il lui faut de la substance, sans quoi elle devient une vallée de faim ténébreuse, comme il est advenu aux démons ; l’âme engendre donc le feu et la vie, et la douceur de l’image fait l’amour et l’éternelle substantialité. Ainsi le feu de l’âme est tempéré et rempli d’amour, car l’image a l’eau de la fontaine divine qui, là, source (jaillit) dans la vie éternelle ; cette eau est amour et douceur, qu’elle tire de la majesté divine, comme on peut voir dans le feu allumé que celui-ci a en soi une source furieuse, et la lumière une douce et aimable source, et comme, dans la profondeur de ce monde, l’eau s’engendre de l’air et de la lumière, de même en est-il ici.

23. Troisièmement, Dieu a insufflé en même temps et tout à la fois aussi, à l’homme, par le nez, l’esprit de ce monde avec la source des étoiles et des éléments, c’est-à-dire l’air ; il devait être un souverain du règne extérieur et manifester les merveilles de ce monde, à quelle fin aussi, Dieu créa l’homme dans la vie extérieure ; mais l’esprit externe ne devait point empiéter sur l’image de Dieu, et l’image de Dieu ne devait pas non plus donner entrée en soi à l’esprit extérieur et s’en laisser gouverner, car sa nourriture était la parole et la puissance divines ; et celle du corps extérieur était paradisiaque, non dans le sac de vermine, car il ne l’avait pas ; il n’avait pas non plus de figure ou forme masculine ou féminine, car il était les deux et possédait les deux teintures, savoir de l’âme et de l’esprit de l’âme, du feu et de la lumière, et il devait engendrer de soi un autre homme selon sa ressemblance ; il était une chaste vierge dans un amour pur ; il s’aimait et s’engrossait lui-même par l’imagination, et telle était aussi sa reproduction. Il était souverain sur les étoiles et les éléments, une ressemblance de Dieu : comme Dieu habite dans les étoiles et les éléments, que rien ne le saisit, qu’il domine tout : de même fut aussi créé l’homme ; la source terrestre n’était pas complètement en action chez lui ; il avait bien l’esprit de l’air, mais la chaleur et la froidure ne devaient pas l’atteindre, car la substantialité divine pénétrait tout. De même que le paradis pénétrait la terre et verdissait au travers d’elle, ainsi verdissait la substantialité céleste dans l’être extérieur de son corps et dans son esprit extérieur ; ce qui nous paraît étrange dans la vie extérieure est fort possible en Dieu.

24. Quatrièmement, Adam avait reçu aussi par l’introduction de sa belle image céleste dans l’esprit de Dieu, la vivante parole de Dieu, qui était l’aliment de son âme et de son image ; cette vivante parole était entourée de la divine vierge de la sagesse ; et vous devez savoir que l’image de l’âme demeurait dans l’image virginale qui, dans la divinité, avait été vue dès l’éternité, et que la pure image d’Adam provenait de la sagesse divine ; car Dieu voulait se voir et se manifester ainsi dans une image, et cela était la ressemblance selon Dieu, entendez selon l’esprit de Dieu, selon la Trinité, une image parfaitement chaste, comme les anges de Dieu ; dans cette image, Adam était l’enfant de Dieu, non-seulement une ressemblance, mais un enfant, dis-je, né de Dieu, de l’être de tous les êtres.

25. Il a donc été brièvement exposé quelle image fut Adam avant sa chute et comment Dieu l’a créé, afin qu’on comprît mieux pourquoi le Verbe divin s’est fait homme, comment cela s’est passé et ce qui en est résulté.

 

 

 

 

CHAPITRE IV.

 

Du monde et régime paradisiaque ;

ce qu’il aurait pu être si l’homme

fût demeuré dans l’innocence.

 

 

1. Le diable fait quantité d’objections pour s’excuser, disant que Dieu l’a créé ainsi, bien que sa primitive forme angélique, sa source et son image prouvent toujours qu’il est un menteur : de même en agit-il aussi envers le pauvre homme déchu, en lui introduisant sans cesse le règne terrestre, avec sa force et sa puissance, afin qu’il ait constamment un miroir devant lui et accuse aussi Dieu de l’avoir créé terrestre et mauvais ; mais il tait le meilleur, savoir le paradis, dans lequel l’homme a été créé, puis l’omnipotence divine, que l’homme ne vit pas de pain seulement, mais aussi de la force et de la parole divines, et que le paradis a régné, par sa source, sur la terrestréité. Il ne montre à l’homme que sa forme rude, misérable, charnelle et nue ; mais quant à sa forme dans l’innocence, alors qu’Adam ignorait qu’il fût nu, il la couvre, pour tromper l’homme.

2. Puis donc que cela est tellement caché à nous autres, pauvres enfants d’Ève, et que la créature terrestre n’est pas non plus digne de le savoir, bien que cette connaissance soit très nécessaire à notre base affective, nous avons le plus grand besoin de recourir au vrai introducteur (qui a la clef pour ouvrir), de le prier, de nous abandonner entièrement à lui, pour qu’il veuille bien nous ouvrir la porte du paradis dans le centre intérieur de notre image, afin que la lumière paradisiaque veuille bien se tourner vers notre base affective et que nous puissions devenir ainsi désireux d’habiter de nouveau avec notre Immanuel, selon notre homme intérieur et nouveau, dans le paradis ; car sans cette ouverture, nous ne pouvons rien comprendre du paradis et de notre primitive image dans l’innocence.

3. Mais puisque Christ, le Fils de Dieu, nous a de nouveau engendrés à l’image paradisiaque, nous ne devons pourtant pas être assez indolents pour nous reposer sur l’art et la raison terrestre : nous ne trouverons ni le paradis ni Christ (qui doit s’homifier en nous, si nous voulons voir Dieu) dans notre raison ; tout est mort et aveugle. Nous devons sortir de la raison et entrer dans l’incarnation de Christ ; alors nous serons instruits de Dieu, alors nous aurons la puissance de parler de Dieu, du paradis et du royaume céleste. Dans la raison terrestre, qui ne provient que du firmament, nous sommes des fous devant Dieu si nous voulons parler du mystère céleste, car nous parlons d’une chose que nous n’avons jamais connue ni vue ; mais un enfant connaît sa mère. De même tout homme de nouveau engendré de Dieu connaît sa mère, non par les yeux terrestres, il est vrai, mais par les yeux divins et par ceux de la mère dont il est né. Nous donnons sincèrement au lecteur à réfléchir à ce qu’il a à faire, et de quel esprit et connaissance nous voulons écrire.

4. La raison externe veut à toute force maintenir que Dieu a créé l’homme dans le régime extérieur, dans la source des étoiles et des quatre éléments. Si cela était, il aurait donc été créé dans l’angoisse et dans la mort, car le ciel firmamentique a son terme ; quand il l’atteint, il abandonne la créature dont il fut le conducteur. Alors passe le régime et l’être de la créature soumise au ciel extérieur, et nous voyons bien comme nous tombons et mourons quand le ciel extérieur et les éléments nous abandonnent, de façon que même un enfant dans le corps de sa mère est déjà assez vieux pour mourir et souvent même est détruit avant d’avoir vie, alors qu’il est encore dans le fiat du régime externe, en état de formation, avant que le centre de la nature ait allumé le feu de l’âme. Nous reconnaissons sans doute la mort et le mourir par la chute d’Adam ; qu’Adam mourut au paradis (aussitôt qu’il fut devenu terrestre), et mourut de même au royaume de Dieu ; faits qui nous ont rendu la nouvelle naissance nécessaire, car autrement nous ne pouvions recouvrer la vie.

5. Mais parce que Dieu défendit à Adam de toucher au fruit terrestre, qui était mélangé, et ne créa non plus qu’un homme, en propriété masculine et féminine, avec les deux teintures, savoir celle du feu et celle de la lumière dans l’amour, homme qu’il mit aussitôt dans le paradis (oui, il fut créé dans le paradis), nous ne pouvons admettre les conclusions de la raison qui, infectée par le démon, dit que l’homme a été créé terrestre ; car tout ce qui est créé purement et simplement de vie ou de source terrestre est bestial, a commencement et fin, et n’atteint pas l’éternité, car cela n’en provient pas. Or, ce qui ne provient pas de l’éternel est passager et un simple miroir dans lequel la sagesse éternelle s’est mirée comme dans une figure et une ressemblance ; il n’en reste plus rien qu’une ombre sans source ni être ; cela passe comme un vent qui s’est élevé et s’apaise de nouveau ; le Verbe divin n’est pas devenu homme en faveur d’une semblable créature ; l’éternel (ce qui est éternel) n’est point entré dans la substance passagère en faveur du périssable ; il n’est pas non plus entré dans le terrestre pour élever et introduire le terrestre périssable dans la puissance de la majesté ; mais bien en faveur de ce qui était issu de la puissance de la majesté, puis devenu mauvais, terrestre et comme éclipsé dans la mort ; pour lui rendre la vie, le réveiller et l’élever dans la puissance de la majesté, dans le siège précédemment occupé, avant que cela devînt créature.

6. Nous devons envisager l’homme autrement que nous ne l’avons fait jusqu’ici en l’estimant terrestre. Il est bien devenu terrestre, selon la propriété de ce monde ; en mourant en Adam, il a vécu dès lors de la vie de ce monde et non en Dieu ; mais s’il pénétrait en Dieu par l’esprit de sa volonté, cet esprit obtiendrait de nouveau la noble image et vivrait selon cette image en Dieu, puis selon la propriété animale dans ce monde. Ainsi, il était dans la mort et pourtant vivant, et ce fut pourquoi le Verbe divin devint homme pour l’unir de nouveau à Dieu, pour l’engendrer de nouveau entièrement en Dieu et pour que le paradis devînt sensible en lui.

7. Ainsi, il nous faut considérer l’image paradisiaque : nous disons et reconnaissons qu’Adam a été créé bon, pur et sans tache, aussi bien que Lucifer et sa légion : il avait des yeux purs, et cela à double, car il avait les deux règnes en lui, savoir le règne de Dieu et celui de ce monde ; mais de même que Dieu est souverain sur tout, de même aussi l’homme devait-il, dans la puissance divine, régner en souverain sur ce monde. De même que Dieu règne sur tout et pénètre tout, d’une manière insensible à l’objet : ainsi pouvait l’homme divin caché entrer et voir en tout : l’homme extérieur était bien dans l’extérieur, mais souverain, l’extérieur lui était soumis et ne le dominait pas. Il aurait pu, sans effort, rompre des rochers : la teinture de la terre lui était entièrement à découvert ; il aurait pénétré toutes les merveilles de la terre, car c’est à cette fin qu’il avait été créé dans l’extérieur, afin qu’il manifestât en figures et produisît en œuvres ce qui avait été vu dans la sagesse éternelle, car il possédait la sagesse virginale.

8. L’or, l’argent et les métaux précieux ont bien aussi, à leur sortie de la magie céleste, été enfermés de la sorte par l’enflammement : c’est autre chose que la terre ; l’homme l’aime bien et l’emploie pour sa subsistance ; mais il ne connaît ni sa base ni son origine. Ce n’est pas pour rien que la base affective l’aime, cela a une haute origine, si nous y réfléchissons. Mais nous nous taisons ici là-dessus, parce que l’homme y est, sans cela, par trop affectionné et se détourne par là de l’esprit de Dieu ; on ne doit pas aimer le corps plus que l’esprit, car l’esprit est la vie. Ainsi, nous vous donnons à comprendre par similitude et passons sous silence cette matière, avec son principe et son origine.

9. Mais sachez que cela avait été donné à l’homme pour son jeu et son ornement, il l’avait par droit de nature, c’était sa propriété, entendez du corps extérieur ; car le corps extérieur avec sa teinture et la teinture métallique sont proches parents. Mais lorsque la teinture du corps extérieur fut gâtée par la mauvaise influence de Satan, la teinture des métaux se cacha aussi à la teinture humaine et lui est hostile, car elle est plus pure que celle gâtée de l’homme extérieur.

10. Et que cela vous soit dit, à vous, chercheurs de la teinture des métaux : si vous voulez trouver la pierre philosophale, disposez-vous à la nouvelle naissance en Christ, sans quoi vous la trouverez difficilement ; car elle a une grande affinité avec la substantialité céleste, qu’on verrait bien, si elle était délivrée de la fureur. Son éclat annonce quelque chose que nous reconnaîtrions bien si nous avions des yeux paradisiaques : la base affective nous montre bien cela, mais l’intelligence et la pleine connaissance sont morts au paradis ; et parce que nous employons ce qui est noble au déshonneur de Dieu et à notre propre perdition, que nous n’honorons point Dieu par là, et que nous n’entrons point avec notre esprit dans l’esprit de Dieu, mais que nous abandonnons l’esprit pour nous attacher à la substance, la teinture métallique nous est devenue un mystère, car nous lui sommes devenus étrangers.

11. L’homme avait été créé pour gouverner la teinture et elle lui était assujettie ; mais il devint son serviteur et, en outre, étranger à elle : ainsi, il ne cherche que l’or et trouve de la terre ; parce qu’il a abandonné l’esprit et est entré avec son esprit dans la matière, la matière l’a saisi et renfermé dans la mort. De même que la teinture de la terre demeure prisonnière dans la fureur, jusqu’au jugement de Dieu, de même aussi l’esprit de l’homme, dans la colère, à moins qu’il n’en sorte et ne naisse en Dieu, car le diable voulait être grand prince, avec sa fureur, dans la substantialité céleste ; c’est pourquoi elle lui fut fermée et devint de la terre et des pierres, en sorte qu’il n’est pas prince, mais prisonnier dans la colère, et la substantialité ne lui sert de rien ; car il est esprit et méprisa la substantialité céleste ; il enflamma la mère de la nature, qui, aussitôt, a tout rendu palpable et corporel ; alors l’esprit de Dieu rassembla pour une création (celle du 3e principe) ; mais cela était bien reconnaissable pour l’homme ; il pouvait bien ouvrir (dégager) la teinture et faire naître la noble perle pour son jeu et sa joie, ainsi que pour la gloire de Dieu et la manifestation de ses merveilles, s’il était demeuré dans l’innocence.

12. Touchant le manger et le boire de l’homme, par lesquels il devait fournir la nourriture et la substance à son feu, il en était ainsi : il avait deux sortes de feu en soi, savoir le feu de l’âme et le feu externe du soleil et des astres ; or, chaque feu doit avoir un soufre en substance, sans quoi il ne subsiste pas, ce qui veut dire qu’il ne brûle pas. Nous en avons là assez pour comprendre l’être divin (la divine substance), qui aurait été la nourriture de l’homme ; car, ainsi que cela a été dit ci-dessus, le feu de l’âme est nourri par l’amour, la douceur et la substantialité divins, de tout ce qu’engendre la parole en tant que centre de la divinité ; car l’âme s’originise de l’éternel feu magique, il lui faut aussi un aliment magique, comme par l’imagination. Si elle a l’image de Dieu, elle imagine dans l’amour de Dieu, dans la substantialité divine, et mange de l’aliment divin, de l’aliment des anges, sinon, elle mange de ce dans quoi entre son imagination, soit de la source terrestre soit de la source infernale, et elle tombe aussi dans cette matrice-là, non en substance, à la vérité, mais elle en est remplie, et cela commence à inqualifier en elle comme un poison le fait dans la chair.

13. Ainsi, nous reconnaissons aussi suffisamment l’alimentation du corps extérieur : l’homme extérieur existait bien, mais il était à demi englouti par l’intérieur ; l’intérieur régnait (pénétrait) d’outre en outre (comme le feu rougit le fer), et chaque vie prenait sa nourriture de sa propriété. Ainsi, l’image de Dieu, ou l’esprit et l’image de l’âme, mangeait de la substantialité céleste et divine, et le corps extérieur mangeait du fruit paradisiaque dans la bouche et non dans le corps ; car de même que le corps extérieur était comme à demi englouti dans l’intérieur, ainsi était le fruit du paradis. La substantialité céleste verdissait par la terrestre et avait comme à demi englouti cette dernière dans le fruit paradisiaque, de sorte que le fruit n’était pas reconnu terrestre : pour cette raison, cela s’appelait paradis, ou un verdir par la colère, puisque l’amour de Dieu verdissait dans la colère et portait du fruit, comme le langage de la nature le comprend clairement, sans aucune allusion ni opinion.

14. Et il nous faut comprendre de plus comment Dieu habite ce monde : le monde est comme englouti en lui et Lui tout puissant. Ainsi était l’homme et ainsi mangeait-il : son manger terrestre était céleste. Tout comme nous savons qu’il nous faut naître de nouveau, de même fut engendré de la colère le fruit paradisiaque de nouveau en substantialité céleste, ou comme nous voyons qu’une plante douce croît de la terre amère, ce que le soleil qualifie autrement que la terre ne l’a fait. De cette façon l’homme saint inqualifia dans sa bouche le fruit paradisiaque, en sorte que la terrestréité était engloutie comme un rien et n’attouchait pas l’homme, ou comme nous reconnaissons qu’à la fin la terre sera engloutie et cessera d’être un corps saisissable.

15. Ainsi était donc le manger extérieur de l’homme : il mangeait le fruit dans la bouche et n’avait nul besoin de dents pour cela, car là se trouvait la séparation de la puissance : il y avait cieux centres de puissance dans la bouche d’Adam, chacun d’eux prenait ce qui lui appartenait ; le terrestre était transmué en source céleste, de même que nous reconnaissons que, selon notre corps, nous devons être transmués et revêtir un corps de puissance céleste. Telle était aussi la transmutation dans la bouche, et le corps recevait la vertu, car le royaume de Dieu consiste en vertus. L’homme était donc bien dans le royaume de Dieu, car il était immortel et un enfant de Dieu. Si son manger avait dû passer dans les intestins, et son corps receler une puanteur pareille à celle que nous avons maintenant, je demanderai à la raison si c’est là un paradis, et si l’esprit de Dieu demeure là-dedans ? car enfin l’esprit de Dieu devait demeurer en Adam, comme dans la créature de Dieu.

16. Son travail dans le paradis, sur la terre, était enfantin, mais avec l’intelligence céleste ; il pouvait planter des arbres ou d’autres végétaux, le tout selon son bon plaisir ; il lui croissait en tout des fruits paradisiaques et tout lui était pur. Quoi qu’il fît, tout était bien. Il n’avait aucune loi que celle de l’imagination ou du désir ; il devait les placer avec son esprit en Dieu ; alors il serait demeuré éternellement. Et lors même que Dieu aurait apporté des changements au globe, il serait néanmoins demeuré sans besoin ni mort ; tout lui aurait seulement été transmué en substantialité céleste.

17. Ainsi, comprenez de même à l’égard de son boire : L’homme intérieur buvait l’eau de la vie éternelle de l’être divin, et l’homme extérieur de l’eau sur la terre ; mais de même que le soleil et l’air engloutissent l’eau en eux et ne s’en remplissent pourtant pas, de même en était-il dans la bouche de l’homme ; cela se séparait dans le mystère ; tout comme nous reconnaissons pour certain et la pure vérité aussi, que Dieu a tout créé de rien, de sa puissance seulement. Ainsi, tout ce qui était terrestre devait, dans la bouche de l’homme, rentrer dans ce qui le contenait avant la création du monde : l’esprit et la vertu en appartiennent à l’homme et non un corps terrestre ; car Dieu lui avait créé, en son temps, un corps immortel ; il n’avait nul besoin d’ultérieure création ; il était un trône-princier (entendez Adam), créé du ciel, de la terre, des astres et des éléments ; et aussi par l’Être divin, un dominateur du monde et un enfant de Dieu.

18. Faites-y attention, vous philosophes : c’est là la vraie base, hautement reconnue ; n’y mêlez point de verbiage d’école, c’est assez clair ; l’opinion n’y voit goutte, mais le vrai esprit, né de Dieu, le reconnaît parfaitement. Toute opinion, sans connaissance, est une folie terrestre, connaissant la terre et quatre éléments ; mais l’esprit de Dieu ne reconnaît qu’un élément, dans lequel les quatre demeurent cachés. – Non quatre devaient régner en Adam, mais un sur quatre ; l’élément céleste sur les quatre éléments de ce monde ; et ainsi devons-nous redevenir, si nous voulons posséder le paradis ; cause pour laquelle Dieu est devenu homme.

19. Tenez-le-vous pour dit, vous disputeurs d’école : vous tournez autour du cercle et n’y entrez pas, comme un chat qui craint la chaleur, autour du potage bouillant ; ainsi tremblez-vous et êtes-vous remplis de honte devant le feu divin ; et aussi peu le chat jouit du potage bouillant, qu’il ne fait que flairer, aussi peu jouit l’homme du fruit paradisiaque, tant qu’il ne se dépouille pas du vêtement d’Adam, que le diable a souillé, et n’entre pas dans la nouvelle naissance de Christ. Il faut qu’il entre dans le cercle et rejette le manteau de la raison ; alors il reçoit l’intelligence humaine et la connaissance divine ; l’étude n’y fait rien, il faut naître de nouveau.

 

 

 

 

CHAPITRE V.

 

De la misérable, lamentable chute de l’homme.

 

 

1. Si nous voulons décrire clairement l’incarnation de Jésus-Christ, il nous faut préalablement vous exposer les causes pour lesquelles Dieu s’est fait homme : ce n’est pas une bagatelle ou un rien comme le considèrent les Juifs et les Turcs, et l’entendent à demi les chrétiens même ; ce doit être pour une bien grande cause que le Dieu immuable s’est mû. Remarquez donc ceci, nous voulons vous exposer les causes :

2. Adam était un homme et l’image de Dieu, une ressemblance complète de la divinité, bien que Dieu ne soit point une image ; il est le royaume et la puissance, ainsi que la majesté et l’éternité, tout en tout. Mais la profondeur sans fond désira de se manifester en ressemblances, comme une semblable manifestation a eu lieu dès l’éternité, dans la sagesse divine, en figure virginale, qui n’était point engendreuse toutefois ; mais un miroir de la divinité et de l’éternité selon le fond et le sans-fond, un œil de la majesté de Dieu. Selon cet œil et dans cet œil, furent créés les trônes-princiers ou des anges et enfin, l’homme, qui avait de nouveau le trône en soi ; tout comme il avait été créé de la magie éternelle, de l’Être divin, de rien en quelque chose, de l’esprit en corps. Et comme la magie éternelle l’avait créé de soi, dans l’œil des merveilles et de la sagesse divines, de même aussi pouvait-il et devait-il engendrer un autre homme de soi, à la manière magique, sans déchirure de son corps ; car il avait été conçu du désir divin et le désir divin l’avait créé et mis au jour. Dès lors, il avait aussi ce même désir en soi pour son propre engrossement ; car la teinture de Vénus est la matrice qui s’engrosse de la substantialité, savoir du soufre dans le feu, qui pourtant devient substance (naît) dans l’eau de Vénus. La teinture du feu donne l’âme et la teinture de la lumière, l’esprit ; l’eau comme substance, le corps, et Mercure, comme le centre de la nature, la roue des essences et la grande vie dans le feu et l’eau célestes et terrestres ; le sel (salniter) céleste et terrestre, maintient le tout en être (corps), car c’est le fiat.

3. Car de même que l’homme a le firmament externe en soi, qui est sa roue des essences du monde extérieur et la cause de la base affective ; de même a-t-il le ciel interne, du centre des essences de feu, et aussi, dans l’autre principe, celui des essences divines de lumière flamboyante : il avait toute la magie de l’être de tous les êtres en soi. La possibilité était en lui : il pouvait engendrer magiquement, car il s’aimait lui-même et désirait de son centre, de nouveau (aussi) la ressemblance : comme il avait été conçu du désir divin et produit par l’engendreuse dans le fiat, de même devait-il produire aussi sa légion angélique ou humaine.

4. Quant à savoir si tous devaient sortir d’un, savoir du trône-princier ou de tous, chacun d’eux d’un autre (l’un de l’autre), cela n’est pas nécessaire, car le but est rompu : il nous suffit de savoir ce que nous sommes et ce qu’est notre royaume. Je trouve cependant, dans la profondeur, dans le centre, que l’un devait sortir de l’autre ; car le centre céleste a ses minutes aussi bien que le terrestre, lesquelles frappent sans cesse ; vu que la roue, avec les essences, dans tous les trois principes, va toujours, et ouvre constamment une merveille après l’autre. – Ainsi fut reconnue et représentée l’image de l’homme dans la sagesse divine, où les merveilles sont innombrables ; ces merveilles devaient être manifestées par la légion humaine, et sans doute, avec le temps, une merveille plus grande aurait été manifestée dans l’un plutôt que dans l’autre ; le tout, selon les merveilleuses variétés de la génération céleste et terrestre, comme on voit même aujourd’hui, qu’il y a plus d’art et de compréhension des merveilles chez l’un que chez l’autre. Donc, j’en conclus qu’un homme devait sortir et naître de l’autre, pour la manifestation des grandes merveilles, ainsi que pour la délectation et la joie de l’homme, puisque chaque homme aurait donné le jour à son semblable ; ainsi l’espèce humaine serait demeurée dans l’engendrement jusqu’à ce que Dieu eût replacé le troisième principe de ce monde dans son éther, car c’est un globe avec commencement et fin ; quand le commencement atteint la fin, que le dernier entre dans le premier, tout est terminé et complet ; alors le milieu sera de nouveau purifié et rentrera dans ce où il était avant les temps de ce monde, hormis les merveilles qui demeurent dans la sagesse divine, dans la grande magie, comme une ombre de ce monde.

5. Puis donc qu’Adam était une si ravissante image et de plus, occupait le siège de Lucifer rejeté, celui-ci, devenu démon, lui en voulait et le jalousait violemment, se présentait constamment dans sa larve devant Adam, dardant son imagination en lui ; il pénétra par son imagination dans la terrestréité des fruits et fit croire à Adam qu’une grande magnificence reposait dans sa terrestréité enflammée. Adam ne le connaissait pas, car il ne se présentait point dans sa forme propre, mais sous celle du serpent, comme un animal ingénieux ; il usait des singeries d’un oiseleur qui pipe les oiseaux et les prend : ainsi faisait-il. De même avait-il infecté et à demi tué le règne terrestre par son esprit d’orgueil, comme on le voit à la terre et aux pierres qui en sont devenues si avides et remplies de vanité, alors que, pourtant, elles eussent volontiers aimé en être affranchies ; et comme la matière a senti qu’Adam était un enfant de Dieu, qu’il possédait la majesté et la puissance, elle a aussi imaginé violemment en Adam ; de même la colère de Dieu allumée, pour se réjouir dans cette âme vivante.

6. Ainsi tout convoitait Adam et voulait l’avoir : le royaume des cieux voulait l’avoir, car il était créé pour lui ; le règne terrestre le voulait aussi, car il avait une part en lui ; il voulait le dominer, parce qu’il n’était qu’une créature ; la fureur ouvrait aussi sa gueule pour devenir créaturelle et substantielle, pour assouvir sa grande et furieuse faim. Adam demeura donc ainsi dans l’épreuve pendant bien quarante jours, aussi longtemps que Christ fut tenté dans le désert et Israël sur la montagne de Sinaï, lorsque Dieu lui donna la loi, pour éprouver, s’il serait possible que ce peuple subsistât dans la source du père, dans la loi, devant Dieu ; si l’homme pouvait demeurer dans l’obéissance, placer son imagination en Dieu, pour que Dieu n’eût pas besoin de devenir homme : toutes choses pour l’amour desquelles Dieu fit de si grandes merveilles en Égypte, afin que l’homme vît pourtant qu’il y avait un Dieu, qu’il devait l’aimer et le craindre. Mais le diable, menteur et fourbe, séduisit Israël, le porta à faire un veau et à l’adorer en place de Dieu. – Dès ce moment, il n’y avait plus possibilité de subsister ; c’est pourquoi Moïse descendit de la montagne, avec la table sur laquelle était écrite la loi, la brisa et tua les adorateurs du veau. Ainsi Moïse ne dut pas introduire le peuple dans la terre promise, cela ne se pouvait pas ; Josué devait le faire et enfin Jésus, qui résista à la tentation du diable et de la colère de Dieu, qui vainquit la colère et brisa la mort, comme Moïse les tables de la loi. – Le premier Adam ne pouvait donc pas subsister, bien qu’il eût le royaume de Dieu devant les yeux et qu’il fût dans le paradis ; la colère de Dieu était tellement embrasée qu’elle attira Adam ; car cette colère était très fortement allumée dans la terre par l’imagination et la forte volonté du démon.

7. La raison dit : le diable avait-il donc une semblable puissance ? Oui, cher homme, et l’homme l’a aussi : il peut renverser des montagnes, s’il les pénètre avec une forte imagination. Le diable était issu de la grande magie divine, il était prince ou roi de ce trône et pénétra dans la plus forte puissance du feu, avec la volonté de dominer toute l’armée céleste : ainsi, la magie fut embrasée et la grande turba engendrée, laquelle a lutté avec Adam pour voir s’il serait assez fort pour occuper le royaume de Satan et y régner dans une autre source. L’esprit de la raison d’Adam ne comprit à la vérité pas cela, mais les essences magiques desquelles proviennent tout désir et volonté, combattirent l’une contre l’autre jusqu’à ce qu’Adam cédât et imaginât dans la terrestréité, voulant avoir du fruit terrestre ; alors, c’en fut fait, car sa noble image, qui devait manger du Verbe divin seulement, était infectée et obscurcie. Aussitôt crut à sa portée, l’arbre terrestre de la tentation, car le désir d’Adam avait demandé et permis cela. Adam dut donc être tenté, pour voir s’il pouvait résister ; car la sévère défense divine intervint, et Dieu dit : tu mangeras de toutes les espèces d’arbres du paradis, mais non de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, car au jour où tu en mangeras, tu mourras de mort, ce qui veut dire : mourir au royaume des cieux et devenir terrestre (Gen. II : 16, 17). Et Adam qui connaissait bien la défense, n’en mangea pas non plus ; mais il y porta son imagination et fut pris dans son imagination ; absolument sans force et, en outre, abattu et faible, il fut vaincu ; alors, il tomba et s’endormit.

8. Ainsi, il échut à la magie, c’en était fait de sa gloire ; car le sommeil est l’image de la mort et une défaite : le royaume terrestre l’avait vaincu et voulait régner en lui ; le règne sidéral voulait avoir Adam et accomplir ses merveilles par lui, car aucune créature n’avait été aussi élevée que l’homme qui pouvait atteindre au règne sidéral ; c’est pourquoi Adam fut attiré et fortement tenté, pour éprouver s’il pouvait être un dominateur et un roi des astres et des éléments. Le diable était fort actif, dans l’intention de précipiter aussi l’homme et de le soumettre à sa puissance, afin que ce trône demeurât finalement son royaume ; car il savait bien que si l’homme sortait de la volonté de Dieu, il deviendrait terrestre. Il savait bien aussi que l’abîme infernal gisait dans le royaume terrestre ; c’est pourquoi il était maintenant si actif ; car si Adam avait engendré magiquement, le paradis serait demeuré sur la terre ; cela n’était pas indifférent au démon, il ne le voulait pas, il ne s’en souciait pas pour son royaume ; car cela ne sentait pas le soufre et le feu, mais l’amour et la douceur : le démon se dit alors : tu ne toucheras pas à ce mets, car tu perdrais ta domination dans le feu.

9. Ainsi, la chute d’Adam gît entièrement dans l’essence terrestre ; il perdit l’essence céleste, d’où source l’amour divin et reçut l’essence terrestre d’où source la colère, la méchanceté, le poison, la maladie et la misère ; il perdit en outre les yeux célestes. Ensuite, il ne pouvait plus manger à la manière paradisiaque ; mais il porta son imagination dans le fruit défendu, où le bien et le mal sont mélangés, comme le sont encore aujourd’hui tous les fruits de la terre ; ainsi, les quatre éléments devinrent actifs et inqualifiants en lui, car sa volonté, par l’imagination, admit à demeure le règne terrestre dans le feu de l’âme. Ainsi, il passa de l’esprit de Dieu dans celui des astres et des éléments ; ceux-ci le reçurent et se réjouirent en lui, car ils devinrent vivants et puissants en lui ; tandis qu’auparavant ils étaient dans la sujétion et la contrainte, ici, ils obtinrent la domination.

10. Satan en aura bien ri et se sera bien moqué de Dieu ; mais il ignorait encore ce qui se préparait ; il ne savait rien encore du briseur du serpent qui devait lui enlever son siège et détruire son règne. Ainsi, Adam est tombé dans le sommeil, dans la magie, car Dieu vit qu’il ne pouvait résister ; c’est pourquoi il dit : il n’est pas bon que l’homme soit seul, faisons-lui une aide qui soit autour de lui (Gen. II : 18), par laquelle il puisse croître et se multiplier ; car il vit la chute et lui vint d’une autre manière en aide, attendu qu’il ne voulait pas que son image pérît.

11. La raison dit : Pourquoi Dieu laissa-t-il croître l’arbre par lequel Adam fut tenté ? Il a donc voulu qu’Adam fût tenté ? – Elle veut donc aussi rejeter la chute sur la volonté de Dieu et pense que Dieu a voulu qu’Adam tombât ; – que Dieu voulait avoir quelques hommes au ciel et quelques-uns en enfer, sans quoi il aurait paré au mal et pu préserver Adam, de manière à ce qu’il fût resté bon et demeuré en paradis. Ainsi juge le monde actuel ; car, dit-il, si Dieu n’avait rien créé de mauvais, il n’y aurait rien de mauvais, puisque tout provient de lui et qu’il est le seul créateur qui a tout fait ; il a donc fait le mauvais et le bon, sans quoi cela ne serait pas tel, et il veut absolument maintenir cela ; il pense aussi : s’il n’y avait jamais rien eu pour captiver le démon et aussi l’homme, ce qui les a rendus mauvais, le démon serait demeuré un ange et l’homme dans le paradis.

12. Réponse : Oui, chère raison, maintenant tu as atteint le but et la fin ; cela ne peut donc pas te manquer, si tu n’es pas aveugle. – Écoute : pourquoi ne dis-tu pas aussi à la lumière, pourquoi souffres-tu le feu ; combien ne serais-tu pas aimable, si tu ne demeurais pas dans le feu ? Je voulais élever ma tente auprès de toi, mais tu demeures dans le feu, je ne puis pas. Dis seulement à la lumière : sors du feu, alors tu seras bonne et délicieuse, et si la lumière t’obéit, tu auras trouvé un grand trésor ; combien ne te réjouiras-tu pas, si tu peux demeurer dans la lumière sans que le feu te brûle : la raison va jusque-là.

13. Mais vois bien, avec des yeux magiques, avec des yeux divins, dis-je, et aussi avec des yeux naturels ; alors, cela te sera montré, si tu n’es pas tout à fait aveugle et morte. – Vois, je te le donne à comprendre par similitude, parce que la raison est, de sa nature, une folle et ne comprend rien de l’esprit de Dieu. – Je suppose donc que j’aie la puissance de séparer la lumière du feu, ce qui, cependant, ne se peut pas, pour voir ce qui en résulterait ? Eh bien, si je sépare la lumière du feu, il s’en suit : 1o que la lumière perd son essence, ce qui la fait luire ; 2o qu’elle perd sa vie et devient une impuissance ; 3o qu’elle est saisie et dominée par les ténèbres, s’éteint en elle-même et devient néant ; car c’est l’éternelle liberté et un abîme ; pendant qu’elle luit, elle est bonne, et quand elle s’éteint, ce n’est rien.

14. Considère maintenant plus outre : Que me reste-t-il du feu si j’en retranche la lumière et l’éclat ? Rien qu’une faim sèche et un ténèbre ; il perd l’essence et la source, s’affame et devient aussi un néant : son ci-devant soufre est une mort ; il se consume (brûle) pendant que l’essence y est ; quand elle a disparu, c’est un rien, un abîme où l’on ne distingue quoi que ce soit.

15. Ainsi, chère âme en quête, représente-toi enfin la chose comme suit : Dieu est l’éternelle lumière, sa puissance et sa source habitent dans la lumière ; la lumière engendre la douceur et la douceur engendre l’être ; cet être est l’Être divin, et la source de la lumière est l’esprit de Dieu, qui est l’origine ; il n’y a point d’autre Dieu que celui-là ; dans la lumière est la puissance, et la puissance est le royaume. Mais la lumière et la puissance n’ont qu’une volonté d’amour ; elles ne désirent rien de mauvais ; elles désirent bien l’être, mais de leur propre essence, entendez de l’amour et de la douceur ; car cela s’assimile à la lumière. Mais la lumière provient du feu et sans le feu elle n’existerait pas, elle n’aurait point d’essence sans le feu ; le feu donne la vie et le mouvement : c’est la nature ; mais il a une autre volonté que la lumière, car c’est une avarice qui ne veut que consumer ; il prend toujours et s’élève en orgueil, tandis que la lumière ne prend pas, mais donne, pour que le feu soit entretenu. La source du feu est fureur, ses essences sont amères, son aiguillon hostile, incommode ; c’est une inimitié en soi-même ; il se dévore lui-même ; et si la lumière ne lui vient pas en aide, il se détruit et se réduit à rien.

16. Ainsi, chère âme désireuse, considère ceci, tu parviendras bientôt au repos et au but. Dieu est, dès l’éternité, la force et la lumière, et est appelé Dieu selon la lumière et selon la puissance de la lumière ; selon l’esprit de la lumière, non selon l’esprit du feu ; car l’esprit de feu est appelé sa fureur, colère, et n’est pas nommé Dieu, mais bien un feu dévorant de la puissance de Dieu. Le feu s’appelle nature, mais la lumière ne s’appelle pas nature ; elle a bien la qualité du feu, mais transmue la fureur en amour, le manger et dévorer en engendrement, l’inimitié et la douleur amère en doux bien-faire et aimable désir, de plus, en un remplir perpétuel ; car le désir d’amour attire la douceur de la lumière en soi, et est une vierge enceinte, savoir de l’intelligence et de la sagesse, de la puissance de la divinité.

17. Ainsi, il nous est hautement reconnaissable ce qu’est Dieu et nature, le fond et le sans-fond, et aussi la profondeur de l’éternité ; nous reconnaissons donc que le feu éternel est magique et est engendré dans la volonté désirante, comme cela a été expliqué dans l’autre et troisième partie des livres : si donc l’éternel insondable est magique, cela l’est aussi qui est engendré de l’éternel, car du désir sont provenues toutes choses ; le ciel et la terre sont magiques, de même la base affective avec les sens ; si pourtant nous voulions nous connaître une fois.

18. Qu’y peut maintenant la lumière si le feu saisit et engloutit quelque chose, alors que, cependant, l’objet saisi par le feu est aussi magique ? Si cela a donc une vie, la puissance et l’intelligence de la lumière, pourquoi est-ce que cela court dans le feu ? Satan n’a-t-il pas été un ange et Adam une image de Dieu ? Ils avaient tous deux le feu et la lumière, en outre, la sagesse divine en eux : pourquoi Satan porta-t-il son imagination dans le feu et Adam dans la terre, puisqu’ils étaient libres ? La lumière et la puissance divines n’ont pas attiré Satan dans le feu, mais bien la fureur de la nature ; pourquoi l’esprit s’est-il laissé entraîner ? Ce que la magie s’est fait, elle l’a eu. Satan s’est créé l’enfer et l’a eu. Adam se rendit terrestre et il l’est. Dieu n’est pas une créature ni un faiseur, mais bien un esprit et un ouvreur (manifestateur). Lors de la création (considérons et reconnaissons la chose ainsi) : le feu et la lumière se sont en même temps éveillés en désir, en désir, disons-nous, d’un miroir ou image de l’éternité ; il nous est de même parfaitement connu que la fureur s’originisant du feu, ne crée rien et n’a rien créé de substantiel de soi, car cela ne se peut pas non plus ; mais elle a créé l’esprit et la source. Or, aucune créature ne consiste dans l’essence seulement : si elle doit exister, il faut que ce soit en substance, soit en puissance ou soufre ; elle doit subsister dans le sel spirituel ; alors naît de la source du feu un mercure et une véritable vie essentielle ; elle doit de plus avoir de l’éclat, pour que la connaissance et l’intelligence soient à l’intérieur.

19. Ainsi, nous savons que toute créature réside dans le soufre, le mercure et le sel spirituels, et l’esprit seul ne peut cependant procréer cela ; il faut le soufre dans lequel réside le fiat, soit l’âpre matrice pour le centre de la nature, dans lequel l’esprit est conservé ; cela est et doit être substance, car où il n’y a point de substance, il n’y a point d’action : un esprit créaturel est un être incompréhensible ; il faut qu’il attire à soi la substance par son imagination, sans quoi il ne subsisterait pas.

20. Si le démon a attiré la fureur dans son esprit, et l’homme la terrestréité, que pouvait à cela l’amour de l’Être divin ? L’amour divin et la douceur, ainsi que l’essence divine, lui étaient pourtant présentés et offerts, aussi bien qu’à l’homme : qui accusera Dieu ? Que l’essence de la fureur ait même été trop forte en Satan, qu’elle ait vaincu l’essence de l’amour : que peut Dieu à cela ? – Si un arbre planté bon, dépérit, qu’en peut la terre qui lui communique cependant le suc et la force : pourquoi l’arbre ne les tire-t-il pas à lui ? – Diras-tu que ses essences sont trop faibles ? Mais qu’y peuvent la terre et celui qui l’a planté ? La volonté de ce dernier a été uniquement d’élever un bon arbre, qui lui fît plaisir, dont il pût manger du fruit ; s’il avait su que l’arbre voulût périr, il ne l’aurait jamais planté.

21. Il nous faut donc reconnaître que les anges n’ont pas été créés comme un arbre qu’on plante, mais bien par la motion divine, en deux principes, savoir en lumière et ténèbres, dans lesquelles ténèbres le feu était caché ; le feu ne brûlait pas lors de la création et dans le mouvement, comme il le fait aujourd’hui, car il a son principe propre. Pourquoi Satan l’a-t-il éveillé ? La volonté provint de sa créature, non du dehors ; il voulait dominer le feu et la lumière, éteindre la lumière ; il méprisa la douceur et voulait être souverain dans le feu. Puis donc qu’il méprisa la lumière et son engendrement en douceur, il fut à bon droit rejeté. Ainsi perdit-il le feu et la lumière, et doit-il faire sa demeure de l’abîme des ténèbres. S’il veut du feu, il faut qu’il se l’allume lui-même et cela, par sa méchanceté, dans l’imagination, encore ne lui brûle-t-il pas bien, mais seulement dans la source furieuse essentielle, comme le produisent en elles-mêmes les quatre formes dans le centre de la nature. La première forme est âpre, dure, rude et froide ; la seconde, au centre, amère, piquante, hostile ; la troisième, angoisse, douleur et tourment ; et par l’angoisse, comme dans le mouvement de la vie, il (Satan) allume le feu dans la dure astringence, entre la dureté et l’aiguillon amer, en sorte qu’il apparaît comme un éclair : c’est là la quatrième forme. Et s’il n’y a ni douceur ni essence de la douceur, cela ne donne aucune lumière, mais un éclair seulement ; car l’angoisse veut être libre, mais comme elle est trop aiguë, elle n’atteint qu’à l’éclair : c’est du feu, mais sans durée ni source. Ainsi Satan doit demeurer dans les ténèbres et n’a que l’éclair de la fureur en soi : toute la figure même de sa demeure n’est que comme un éclair furieux, comme s’il tonnait : ainsi se présente la propriété infernale dans la source.

22. Il nous faut l’entendre de même de l’arbre de la tentation qu’Adam a éveillé par son imagination : il désira et la matrice de la terre lui présenta ce qu’il désirait. Mais Dieu le lui défendit ; il ne devait pas y toucher. Dieu ne voulait pas cela, mais la matrice terrestre voulait avoir Adam, car elle reconnaissait en lui la vertu divine ; parce qu’elle était devenue terrestre par l’enflammement du démon, mais pas tout à fait morte, elle désirait avec ardeur son état primitif, savoir la liberté, d’être délivrée de la vanité ; or, la liberté était en Adam.

23. Elle attira donc Adam et le porta à imaginer, et ainsi Adam désira contre la défense et la volonté divines ; c’est cela dont Paul dit : la chair convoite contre l’esprit et l’esprit contre la chair (Gal. V : 17). La chair d’Adam était moitié céleste et moitié terrestre, ainsi l’esprit d’Adam avait aussi introduit, par son imagination, une puissance dans la terre, et dès lors la matrice de la terre lui donna ce qu’il voulait. Il dut être tenté, pour savoir s’il voulait demeurer un ange à la place de Lucifer ; c’est pourquoi Dieu ne le créa pas non plus pur esprit comme un ange, afin que, s’il venait à tomber et ne pouvait subsister, il put lui aider, et qu’il ne se perdît pourtant pas ainsi dans la fureur, comme Lucifer. Pour cette cause, il fut créé de la matière et son esprit lui fut introduit dans la matière, soit dans le soufre composé d’eau et de feu, afin que Dieu pût lui engendrer ainsi une nouvelle vie de celle-là. De même qu’une belle et odorante fleur croît de la terre, ainsi fut le dessein de Dieu, parce qu’il connut qu’Adam ne subsisterait pas. C’est pourquoi Paul dit aussi : Nous sommes prédestinés en Jésus-Christ dès avant la fondation du monde ; ce qui veut dire que lorsque Lucifer tomba, les fondements du monde n’étaient pas encore posés ; mais que, néanmoins, l’homme apparaissait déjà dans la sagesse divine ; toutefois, s’il devait être créé de trois principes, il y avait déjà du danger, à cause du sulphur enflammé des matériaux ; et quoique l’homme ait été créé sur la terre, le sulphur avait néanmoins été extrait de la matrice de la terre, comme une belle fleur de la terre, et il y avait déjà du danger. Ici, donc, s’est interposé le doux nom de Jésus, comme un sauveur et un régénérateur ; car l’homme est le plus grand mystère que Dieu ait produit. Sa figure démontre comment, dès l’éternité, la divinité s’est engendrée de la fureur, du feu, par l’abandon, par la mort, dans un autre principe d’une autre source. De même est-il réengendré de la mort et verdit-il de la mort dans un autre principe d’autre source et puissance, où il est totalement délivré de la terrestréité.

24. Et il nous est très avantageux d’être échus, quant à notre partie terrestre, en partage à la terre, pourvu que, néanmoins, nous obtenions aussi la partie divine ; car nous sommes ainsi rendus totalement purs, et atteignons de nouveau, dans un état d’entière perfection, libres de toute passion démoniaque, le royaume de Dieu. Nous sommes un bien plus grand mystère que les anges et les surpasserons aussi quant à la substantialité céleste ; car ce sont des flammes de feu, pénétrées de lumière ; mais nous atteignons la grande source de la douceur et de l’amour qui jaillit de la sainte substantialité divine.

25. En conséquence, ceux-là agissent tout à fait faussement et injustement, qui disent que Dieu ne veut pas avoir tous les hommes dans le ciel : il veut que tous soient secourus ; c’est la faute de l’homme lui-même, qui ne veut pas se laisser aider ; et si plusieurs sont mal disposés, cela ne vient pas de Dieu, mais de la mère de la nature. Veux-tu accuser Dieu ? Tu mens, l’esprit de Dieu ne se refuse à personne ; jette loin de toi ta méchanceté, tends à la douceur, marche dans la vérité, dans l’amour, et abandonne-toi à Dieu ; alors, tu seras secouru ; car Christ est né à cette fin : il veut aider. Diras-tu que tu es retenu, que tu ne peux ? Ah bien ! Tu le veux comme cela ; Satan en a fait de même. Si tu es un chevalier, pourquoi ne combats-tu pas le mal ? Si tu combats le bien, tu es un ennemi de Dieu. Crois-tu que Dieu posera une couronne angélique sur la tête du diable ? Si tu es ennemi, tu n’es pas ami. Si tu veux être ami, abandonne l’inimitié et va au Père, alors tu es fils. Dès lors, celui qui accuse Dieu est un menteur et un meurtrier comme Satan. Puisque tu es ton propre artisan, pourquoi te rends-tu mauvais ? Et bien que tu sois une mauvaise matière, Dieu t’a donné son cœur et son esprit : approprie-toi cela, tu deviendras bon ; mais si tu préfères l’avarice, l’orgueil et par-dessus, la volupté de la vie terrestre, qu’est-ce que Dieu y peut ? Dieu doit-il peut-être encore t’installer dans ton méprisable orgueil ? Non, ce n’est pas là sa source. Diras-tu encore que tu es une mauvaise source, que tu ne peux, que tu es retenu ? Eh bien ! laisse là la mauvaise source et pénètre par l’esprit de ta volonté dans l’esprit d’amour divin, abandonne-toi à sa miséricorde ; tu seras bien délivré un jour de la mauvaise source ; elle est terrestre ; donc quand la terre recevra le corps, elle reprendra aussi la méchanceté qu’il tient d’elle ; mais toi, tu es et demeures un esprit dans la volonté de Dieu, dans son amour. Laisse aller le mauvais Adam, il t’en reverdira un nouveau et bon de l’ancien, comme une belle fleur pousse du puant fumier ; seulement veille à maintenir l’esprit en Dieu ; le mauvais corps, plein d’inclinations perverses, n’est pas à ménager : s’il est disposé au mal, fais-lui tant moins de bien ; ne le porte pas à la lasciveté : le tenir en bride est un bon remède ; mais l’ivrognerie et la bonne chère sont le moyen de précipiter dans le bourbier la mauvaise bête qui, sans cela, se vautre déjà assez dans la boue, comme un porc : mener une vie sobre, tempérée, est un bon purgatif pour cette méchante bête ; ne pas lui donner ce qui lui plaît, la laisser jeûner souvent, pour qu’elle n’empêche pas la prière, lui est salutaire. Elle s’oppose, à la vérité ; mais l’intelligence doit dominer, car elle porte l’image de Dieu.

26. Ce latin-là ne plaît, à la vérité, pas au monde de la raison vivant dans l’attrait de la chair ; mais parce qu’il n’est pas de son goût et qu’il préfère se repaître et se saturer de toute mauvaise volupté terrestre, la colère s’émeut en lui, le chasse constamment du paradis avec Adam et le précipite dans l’abîme avec Lucifer : là tu pourras boire et manger ton saoul de ce qu’ici tu auras volontairement attiré en toi ; mais tu ne dois pas accuser Dieu, sans quoi tu es un menteur et un ennemi de la vérité. Dieu ne veut rien de mauvais ; il n’y a non plus aucune mauvaise pensée en lui : il n’a qu’une source qui est l’amour et la joie ; mais sa fureur, soit la nature, a quatre sources ; que chacun prenne donc garde à ce qu’il fait. Tout homme est son propre Dieu et aussi son propre démon : la source vers laquelle il penche et à laquelle il s’abandonne, quelle qu’elle soit, le pousse et le conduit : il en devient l’instrument.

27. C’est une grande misère que l’homme soit si aveugle, qu’il ne puisse pourtant pas reconnaître ce qu’est Dieu, alors que, cependant, il vit en Dieu ; et qu’il y ait encore des hommes qui défendent cela, disant qu’on ne doit pas rechercher ce qu’est Dieu, et voulant néanmoins enseigner en son nom : ce sont bien des prédicateurs de Satan ceux-là, pour que, ni lui ni son règne de fausseté hypocrite ne soient mis en évidence et reconnus.

 

 

 

 

CHAPITRE VI.

 

Du sommeil d’Adam, comment Dieu a tiré une femme de lui, comment il est devenu entièrement terrestre, et comment Dieu lui a retiré le paradis par la malédiction.

 

 

1. Quand l’homme est abattu et fatigué, il tombe dans le sommeil ou dans la magie ; c’est comme s’il n’était pas dans ce monde, car le jeu de ses sens cesse, la roue des essences entre dans un repos, c’est comme s’il était essentiel et non substantiel ; il ne ressemble qu’à la magie, car il ne sait rien de son corps et n’est pourtant pas mort ; mais l’esprit demeure tranquille. Ainsi les essences sont alors en action et l’esprit de l’âme seul voit ; alors est représenté dans l’esprit sidérique tout ce qu’opère le ciel astral, cela s’imprime magiquement, comme au miroir, dans la base affective, où se mire l’esprit du grand monde, lequel conduit dans les essences ce qu’il voit dans le miroir, et les essences sourcent là-dedans comme si elles opéraient l’œuvre dans l’esprit ; elles représentent aussi cela dans l’esprit, ce qui s’appelle songes et images.

2. Reconnaissons donc que lorsque la terrestréité lutta avec Adam et qu’il imagina en elle, il en fut aussitôt infecté, sa base affective devint sombre et rigide, car la terrestréité commençait à inqualifier à la façon d’une eau prête à bouillir ; la source astrale était éveillée et dominait maintenant le corps. Moïse dit donc fort bien : Dieu le laissa tomber dans un profond sommeil, c’est-à-dire que puisque l’esprit de sa volonté se portait dans la terrestréité, Dieu le laissa tomber ; car il introduisait par son imagination la terrestréité dans la substantialité céleste, et l’esprit de Dieu, qui est un esprit de lumière, ne voulait pas cela ; car l’esprit d’Adam était une créature émanant de l’esprit d’amour divin ; ainsi il ne l’abandonna certes pas volontiers ; mais la terrestréité s’en était déjà emparée. Lorsque Dieu l’abandonna, il tomba dans une impuissance et échut au troisième principe, savoir aux astres et aux quatre éléments. Ainsi il se trouvait dans la magie terrestre, sans être toutefois complètement terrestre ; il se trouvait dans le mystère, caché entre le royaume de Dieu et celui de ce monde, attendu que les deux fiats, le divin et le terrestre, étaient en activité chez lui. Et les deux royaumes, savoir le royaume de Dieu et l’infernal, se trouvaient, pour la première fois, en combat au sujet de l’homme. Si donc le précieux nom de Jésus n’eût pas été imprimé en Adam, dès avant sa création même, savoir dans sa substantialité divine, où résidait la vierge de la sagesse divine, dont Adam fut tiré, il dormirait bien encore et serait toujours dans la mort terrestre.

3. Et c’est pour cela que l’autre Adam, Christ, dut reposer jusqu’au troisième jour dans la terre, dans le sommeil du premier Adam, et réveiller le premier Adam de la terrestréité : car Christ avait aussi une âme et un esprit provenus d’Adam, et le précieux Verbe divin, avec l’esprit de Dieu, réveillèrent dans la chair de Christ la substantialité morte du sulphur, ou le corps qui était mort en Adam, et le replacèrent de nouveau dans la puissance de la majesté divine, et par là nous tous aussi.

4. Tous ceux qui, par leur foi et leur imagination pénètrent dans la chair et le sang de Christ, dans sa mort et son repos dans la terre, reverdissent d’esprit et de volonté dans la substantialité divine, et sont une belle fleur dans la majesté divine ; et Dieu, le Verbe éternel et la puissance, ressuscitera au dernier jour, en soi et par son esprit, le corps mort échu à la terre en Adam. Car Dieu a séparé l’âme et la chair de Christ, qui est aussi notre âme et notre chair (comprends bien : la partie qu’Adam reçut de la substantialité divine), par et dans la mort de Christ, de la source terrestre, l’a ressuscitée et de nouveau introduite dans la substantialité, comme cela était avant les temps de ce monde, et nous en lui et par lui. Ce qui nous manque à présent, c’est l’abandon, nous nous laissons retenir par Satan ; car notre mort est brisée, notre sommeil est devenu une vie, et cela en Christ et par Christ en Dieu, et par Dieu dans l’éternité, notre fond ayant été transposé dans le sans-fond, savoir dans la majesté, hors de la nature de feu.

5. Ah ! misérable aveuglement, qui nous empêche de nous connaître ! Ô toi, noble créature (l’homme), si tu te connaissais, si tu savais qui tu es, combien ne te réjouirais-tu pas ! Comment donnerais-tu accès au sombre démon qui, jour et nuit, s’efforce de rendre notre base affective terrestre, pour que nous ne reconnaissions pas notre vraie patrie, dont nous sommes sortis ! Ô misérable, perverse raison, si tu pouvais saisir une étincelle seulement de ta grandeur première, avec quelle ardeur ne la désirerais-tu pas ! Combien est gracieux l’aspect de la divinité ! Quelle n’est pas la douceur de l’eau de la vie éternelle découlant de la majesté de Dieu ! Ô chère lumière, prends-nous de nouveau à toi, nous sommes maintenant endormis avec Adam dans la source terrestre ! Ah ! viens, cher Verbe, et réveille-nous en Christ ! Oh ! chère lumière, puisque tu es apparue, romps seulement la puissance du diable qui nous tient prisonniers ! Romps la puissance de l’antéchrist et de l’avarice, et délivre-nous du mal ! Réveille-nous, Seigneur, car nous avons longtemps dormi dans les filets de Satan, dans la source terrestre ; fais-nous voir de nouveau ton salut ; veuille faire naître la nouvelle Jérusalem ! Puisqu’il est jour, pourquoi dormirions-nous encore ? Viens donc, toi, briseur de la mort, puissant héros et chevalier, et détruis le règne de Satan sur la terre ; donne-nous (à ton Adam malade) pourtant encore un rafraîchissement de Sion, qui nous restaure, afin que nous puissions retourner dans notre vraie patrie. Vois, toutes les montagnes, les collines et les vallées magnifiant la gloire du Seigneur : il pousse comme un végétal, qui l’empêchera ? Hallélujah !

6. Adam s’étant donc endormi, se trouva dans le mystère, c’est-à-dire dans les merveilles divines : ce qu’il avait fait de lui était fait. Alors le nom empreint de Jésus mut de nouveau le fiat en deux formes, soit en deux teintures du feu et de l’eau. Car cette première image était maintenant échue au nom de Jésus dans le Verbe de la vie ; et actuellement le Verbe de la vie était le second créateur (comprends avec le nom imprimé de Jésus, qui voulait devenir homme) ; celui-ci sépara les deux teintures l’une de l’autre, savoir la teinture du feu de celle de la lumière ; toutefois, non entièrement dans la puissance, mais dans la substantialité ; car dans la substantialité de la teinture de la lumière était le sulphur-veneris de l’amour, dans lequel Adam devait et pouvait s’engrosser lui-même : la teinture de feu donnait l’âme, et la teinture de la lumière l’esprit, comme une image, selon l’image extérieure. La vie de feu portait son imagination dans la vie de lumière, et la vie de lumière dans celle de feu, comme dans la vertu essentielle d’où la lumière luit ; cela était réuni en Adam, car il était homme et femme. Et le Verbe de la vie prit d’Adam la teinture de Vénus avec le fiat céleste et terrestre, et aussi de ses os, une côte de son côté, puis la demi-croix T dans la tête, qui est le sceau de la Sainte-Trinité, figuré par le Verbe de la vie, en tant que le grave nom de Dieu qui se présente sous un tel signe ; T signifie la croix de Christ, sur laquelle il devait mourir, engendrer de nouveau Adam et l’introduire, au nom de Jésus, dans le saint Ternaire. Le fiat prit tout cela à lui, avec toutes les essences de qualité humaine, bien qu’aussi de la propriété du feu de l’âme, mais dans la teinture de Vénus, non selon la puissance du centre, et se partagea dans toute la forme de l’homme.

7. Ainsi fut créée la femme, avec tous les membres de propriété féminine, comme elle les a encore ; car l’esprit du grand monde avait maintenant le fiat le plus puissant et conforma la femme de la manière que cela pouvait se faire ; car la forme angélique ayant disparu, la femme ne pouvait être engendrée que sous forme animale ; de même en fut-il aussi d’Adam : puisqu’il était échu à la magie terrestre, il reçut des membres masculins de forme et de figure animales et son engendrement fut commis au fiat, ce qui en fit une ressemblance selon lui, de lui. S’il était demeuré incliné au céleste, il aurait engendré lui-même à la façon céleste ; cela fut dévolu au fiat terrestre ; son corps extérieur devint un animal ; il perdit aussi l’intelligence céleste et la force de la toute-puissance.

8. Ainsi, sache, cher lecteur, que Christ, l’autre Adam, ne s’est point laissé crucifier, percer le côté avec une lance et qu’il n’a pas répandu son sang en vain ; en voici la cause : le côté d’Adam s’était ouvert lors de l’extraction d’une côte pour la femme. Dans cette même ouverture devait pénétrer la lance de Longin avec la fureur de Dieu ; car elle était entrée en Adam et, par la terrestréité de Marie, aussi dans le côté de Christ ; ainsi, le sang de Christ devait noyer la fureur et l’ôter du premier Adam ; car l’autre Adam avait aussi du sang céleste qui devait noyer la turba terrestre, pour que le premier Adam fût guéri.

9. Que cela vous soit dit, enfants des hommes, car cela a été reconnu dans le saint Ternaire ; ce n’est ni une opinion, ni une présomption ; il y va de votre âme et de votre corps, prenez garde à ce que vous faites.

10. La reproduction humaine a donc commencé d’une manière bestiale ; car Adam retint le limbus, et son Ève la matrice de Vénus, les teintures étant séparées. Or, chaque teinture est une magie complète, comme une passion désireuse, dans laquelle s’engendre le centre de la nature, et cela en soufre ; puis la magie désireuse se retrouve avec la teinture dans le soufre et ne peut cependant parvenir à la vie qu’autant que la teinture du feu pénètre la teinture de Vénus ; car la teinture de Vénus ne peut éveiller aucun feu, elle est trop faible. L’une ne pouvant donc rien sans l’autre, les deux teintures désirent également la vie. Ici s’anime la violente imagination de l’homme et de la femme, l’une désirant se confondre avec l’autre ; car la force des essences veut vivre, puis la teinture pousse à cela et le désire. Car la teinture est issue de l’éternelle vie, mais elle est renfermée dans la substance ; ainsi elle veut vivre comme elle l’a fait dès l’éternité ; c’est pourquoi l’homme désire la matrice de la femme et la femme le limbe de l’homme.

11. La femme a une teinture aqueuse et l’homme une teinture ignée ; l’homme sème l’âme, la femme l’esprit, et les cieux sèment la chair ou le soufre ; raison pour laquelle l’homme et la femme sont un corps et font ensemble un enfant ; et c’est pour cela qu’ils doivent demeurer ensemble une fois qu’ils sont conjoints ; car ils sont devenus un corps. Si l’un d’eux se joint à d’autres ou se sépare, il rompt l’ordre de la nature, se met au niveau de la brute et ne réfléchit pas que dans sa semence repose la teinture éternelle, dans laquelle est renfermée la substantialité divine, qui un jour sera réveillée dans la partie colérique. C’est là aussi une œuvre qui suit l’ombre de l’homme et sa source sera un jour remuée dans la conscience ; car la teinture dans la semence provient de l’éternité, elle est impérissable ; elle apparaît sous forme d’esprit et pénètre dans la magie de l’homme d’où celui-ci l’a engendrée et répandue.

12. Prenez garde à ceci, vous femmes débauchées et libertins : ce que vous pratiquez en secret, souvent avec beaucoup de duplicité, pénètre dans votre conscience et devient pour vous un mauvais ver rongeur. La teinture est un être éternel et aimerait volontiers demeurer dans l’amour divin ; mais si, cédant à l’impulsion du régime astral, par les suggestions de l’ennemi, vous la déposez dans un vase faux et sale, dans l’abomination et le désordre, elle atteindra difficilement l’amour de Dieu ; elle rentrera, au contraire, dans son premier lieu, par l’imagination, savoir en vous. Est-elle devenue fausse dans un vase faux, à ne pouvoir trouver de repos ? alors elle vous rongera et pénétrera aussi dans l’abîme infernal, dans la conscience. Ce n’est ni un badinage ni une plaisanterie ; ne soyez donc pas si totalement bestiaux ; car une bête ne tient sa teinture que de ce monde ; mais vous la tenez de l’éternité : ce qui est éternel ne périt pas. Bien que vous corrompiez le soufre (sulphur), l’esprit de la volonté contenu dans le soufre entre cependant avec la noble teinture dans le mystère, et chaque mystère prend ce qui lui appartient ; ainsi au dernier jour, quand l’esprit de Dieu se mouvra dans tous les trois principes, le mystère sera à découvert : là vous verrez vos belles œuvres.

13. Ainsi la grande miséricorde de Dieu envers l’espèce humaine nous est hautement attestée, car Dieu a voulu secourir ainsi l’homme ; autrement, si Dieu avait désiré la propriété bestiale, il aurait certes créé dès le commencement un mâle et une femelle ; il n’en aurait pas fait un seul avec deux teintures. Mais Dieu a bien prévu la chute de l’homme et en même temps la tromperie du diable qui fut ainsi déjouée par Ève. Lorsqu’Adam tomba dans le sommeil, le démon pensa : maintenant je suis prince et souverain sur la terre ; mais la semence de la femme lui fit opposition à cela.

14. Considérons le réveil d’Adam de son sommeil : il s’endormit au monde céleste et se réveilla au monde terrestre : l’esprit du grand monde le réveilla ; alors il vit la femme et connut qu’elle était sa chair et ses os, car la vierge de la sagesse divine était encore en lui : il la regarda et porta son imagination en elle, car elle avait reçu sa matrice et en outre la teinture de Vénus ; aussitôt une teinture saisit l’autre par l’imagination ; c’est pourquoi Adam la prit à lui et dit : on l’appellera hommesse, puisqu’elle est prise de l’homme. Ève n’est donc point à envisager comme une vierge pure, pas plus qu’aucune de ses filles : la turba a détruit la virginité ; car la sagesse divine est une vierge pure dans laquelle Christ fut conçu et devint homme dans un vrai vase virginal, comme on le verra ci-après.

15. Dès lors, la vierge terrestre ne pouvait non plus demeurer en paradis, bien qu’ils y fussent encore tous deux, qu’ils eussent encore tous deux la source paradisiaque, mais mélangée de passions terrestres ; ils étaient nus, ils avaient leurs organes génitaux et ne les connaissaient pas ; ils n’avaient non plus point de honte, car l’esprit du grand monde n’avait pas encore le régime sur eux ; il ne l’eut que lorsqu’ils eurent mangé du fruit terrestre ; alors leurs yeux furent ouverts, car la vierge céleste de la sagesse divine se retira d’eux : ici seulement, ils connurent le règne des astres et des éléments. En même temps que l’esprit de Dieu se retira, l’esprit terrestre, dans la source de la fureur, fit son entrée ; Satan aussi eut accès en eux, les infecta et les conduisit dans la fureur et la méchanceté, comme cela a encore lieu aujourd’hui ; car la fureur de Dieu, provenant de l’éternelle nature, que le diable avait allumée et réveillée, résidait dans le centre terrestre. Aucune vie ne peut non plus surgir sans que le centre soit éveillé, car le principe se trouve dans le feu où toute vie réside, et le centre de la nature revêt dans ses formes la fureur, c’est pourquoi il est dit : courbe-toi, entre dans la douceur et laisse à la vie son droit ; car la vie est feu, et l’image de la vie qui est la ressemblance de Dieu, est dans la lumière ou dans le feu d’amour : donc la lumière flamboyante ne produit pas le centre de la nature. C’est pourquoi Satan pense encore être un plus grand prince que la créature dans le feu d’amour : plus rigide, il l’est bien, mais il vit dans les ténèbres et engloutit l’âpre substantialité, d’où il est aussi l’ennemi de l’amour.

16. Et il nous faut reconnaître que le diable est cause que l’homme a été créé à sa place, et cause aussi de sa chute, bien qu’Adam et son Ève, du moment que Dieu eut divisé Adam, ne pussent pas se soutenir. Ils étaient bien en paradis et devraient manger des fruits paradisiaques à la manière angélique, mais ils n’en ont pas joui, car ils préférèrent l’arbre de la connaissance du bien et du mal ; et Ève aussitôt créée, porta son imagination sur l’arbre de la tentation. Bien qu’Adam lui eût d’abord fait connaître la défense, la passion se porta néanmoins sur cet arbre seulement ; car les essences terrestres n’étaient pas encore manifestes en Adam et Ève, ils étaient encore captivés ; c’est pourquoi ils se livraient ainsi à la passion, car ils voulaient dominer. Cela eut lieu par l’infection de Satan, par son imagination ascendante et fausse, dans quel but il se fixa à l’arbre sous forme de serpent, louant à Ève le fruit qui rendait sage. Ah oui ! sage pour reconnaître le mal et le bien, assez de misères, deux sortes de sources à gouverner dans une créature : ne pas connaître eût mieux valu ! Il lui entremêla le mensonge et la vérité, disant qu’elle deviendrait sage et que ses yeux seraient ouverts. – Oh oui ! assez ; elle vit bientôt que par la source terrestre elle était échue à l’esprit de ce monde, qu’elle était nue ; elle reconnut ses membres bestiaux, reçut des intestins dans le corps et un puant sac de vermine, plein d’afflictions et de misères, dans l’angoisse et la peine, comme cela a été exposé dans le livre des trois principes et comme nous avons devant les yeux quels anges du paradis nous sommes, comme nous naissons dans l’angoisse, la peine, la misère et y vivons, ce qui devrait avoir lieu d’une autre manière.

17. Nous connaissons ainsi suffisamment la chute d’Adam et pourquoi il n’a pu demeurer en paradis ; puis, ce qu’a été ce paradis qui existe encore aujourd’hui. Il ne porte plus de fruits paradisiaques et nous n’avons plus la source et les yeux paradisiaques ; nous ne voyons pas cela ; car Dieu a maudit la terre à cause de l’homme, en sorte que le paradis ne verdit plus au travers de la terre, qu’il nous est devenu un mystère, et pourtant il est toujours là ; et c’est dans ce mystère que se rendent les âmes des saints quand le corps terrestre se sépare de l’âme. Il est dans ce monde et aussi hors de ce monde ; car la source de ce monde ne le touche pas. La terre entière eût été un paradis si Adam fût demeuré dans l’innocence ; mais lorsque Dieu la maudit, le paradis se retira, car le maudire divin est une fuite (retrait). Sa fuite n’est pas un recul, mais le passage dans un autre principe, savoir en soi-même. L’esprit de Dieu entra dans son propre principe, savoir dans l’amour, et se retira de la terrestréité ; là il est maintenant tourné vers l’homme dans la lumière de la vie, et dès lors, celui qui désire entrer dans l’amour divin va, par l’esprit de sa volonté, en paradis, et son image reçoit de nouveau la substantialité céleste, dans laquelle le Saint-Esprit a le régime.

18. Que ce soit là votre perle, enfants des hommes, car c’est la vraie base. Celui qui la cherche et la trouve, en éprouve une extrême joie : c’est la perle enfouie dans le champ, dont Christ dit : (Matth. XIII : 45, 46), qu’un homme vendit tout son bien et acheta la perle.

19. Ainsi il nous faut aussi reconnaître le chérubin qui chassa Adam et Ève du paradis, comme l’ange rigide, celui qui retranche la vie terrestre du paradis, de telle sorte que l’âme et le corps doivent se séparer.

20. Il est clair pour nous qu’Adam et Ève avaient été chassés du lieu où se trouvait l’arbre de la tentation, car là croissaient des fruits paradisiaques qu’ils ne devaient plus voir ni manger, le céleste ne s’assimilant pas au terrestre. Les animaux aussi furent chassés à cause du mauvais arbre, vu qu’ils ne pouvaient sans cela pas jouir des fruits paradisiaques ; mais toute bête pouvait manger du fruit de cet arbre, puisqu’il était terrestre. Ainsi Adam et Ève durent abandonner le paradis, car Dieu les avait, par l’esprit du grand monde, revêtus de peaux de bêtes, en lieu et place du vêtement transparent, et leur avait prononcé la sentence de ce que devait être leur faire et laisser dans ce monde, de ce qu’ils mangeraient désormais, et de la façon dont ils auraient à se nourrir dans la peine et la misère, jusqu’à ce qu’enfin ils redevinssent terre, dont ils avaient été tirés en partie.

 

 

 

 

CHAPITRE VII.

 

De la semence promise de la femme,

qui écraserait le serpent.

 

 

1. Adam et Ève étant donc en paradis comme homme et femme et ayant encore la source et la joie célestes, bien que mélangés, Satan ne pouvait souffrir cela, car sa jalousie était trop grande, puisqu’il avait précipité Adam et lui avait fait perdre sa forme angélique. Il considéra donc Ève comme la femme tirée d’Adam et pensa qu’ils pourraient engendrer des enfants en paradis, et y rester. Séduisons-la (se dit-il), portons-la à manger du fruit défendu, elle deviendra terrestre ; tu pourras alors pénétrer son cœur et porter ton imagination en elle ; elle appartiendra ainsi à ton royaume et tu demeureras prince dans le troisième principe sur la terre. – Il exécuta cela et lui insinua de goûter du mauvais fruit, en sorte qu’elle porta la main à l’arbre, en cueillit une pomme et la mangea ; puis, en donna à Adam ; et celui-ci voyant qu’Ève n’était pas morte immédiatement, en mangea aussi ; car l’envie était dans l’un et l’autre.

2. Telle fut l’infraction qui nous ravit le ciel et le paradis, attendu que le chérubin, comme retrancheur, se plaça avec l’épée nue devant la porte du paradis et ne les y laissa (Adam et Ève) plus pénétrer : son épée était l’ange de la mort qui tranche assez l’homme maintenant par le chaud, le froid, la maladie, la misère et la mort, et enfin retranche de l’âme la vie terrestre.

3. Lorsque cette épée dut de nouveau être brisée dans la mort de Christ, la terre trembla, le soleil perdit son éclat, les rochers se fendirent devant la forte puissance de Dieu qui brisa ainsi de nouveau la mort. En même temps s’ouvrirent les tombeaux des saints, et leurs corps ressuscitèrent ; car l’épée était rompue et l’ange qui gardait le paradis, éloigné : les corps des saints rentrèrent dans le paradis.

4. Lorsqu’Adam et Ève mangèrent du fruit terrestre, ils tombèrent entre les mains des meurtriers qui les frappèrent, les dépouillèrent et les laissèrent là demi-morts : leur sortie du paradis est le passage de Jérusalem à Jéricho, car ils passèrent du ciel dans ce mauvais monde corrompu, dans la maison de péché ; attendu qu’aussitôt, dans leur base affective, dans le centre de la nature, la roue des sens commença à inqualifier dans la source terrestre, où chacun des sens était opposé à l’autre, dont l’envie, l’orgueil, l’avarice, la colère et l’aversion s’élevaient en abondance ; car la noble lumière de l’amour était éteinte, qui auparavant rendait la source de la fureur aimable, amicale et douce, dans laquelle agissait l’esprit de Dieu et reposait la belle vierge de la sagesse divine : ils étaient sortis de la belle sagesse.

5. Dieu avait créé Adam dans la chaste vierge de sa sagesse, mais il reçut en place une méchante, contrariante et terrestre femme, avec laquelle il dut vivre à la manière des bêtes, dans un pur souci, dans l’angoisse et la misère ; et le jardin de délices qu’il avait en lui fut converti en un buisson hostile d’épines et de chardons, où il s’avisa peut-être de chercher le fruit virginal ; mais il lui arriva comme à un voleur qui, ayant été dans un jardin de plaisance, commis à sa garde, en fut chassé pour vol, et désirant néanmoins beaucoup en manger du fruit, mais ne pouvant y pénétrer, rôde autour, porte une main sur le fruit que le jardinier lui arrache, et est enfin obligé de se retirer avec dépit, sans avoir satisfait son désir : ainsi en est-il de l’homme à l’égard de la femme.

6. Pendant, qu’il était dans l’amour divin et que la femme était en lui une chaste vierge, dans la douceur et la sagesse divines, il en mangeait les fruits et pouvait très bien se délecter avec son propre amour dans la matrice de Vénus, car la teinture du feu a une immense délectation dans la teinture de la lumière. Adam avait cela en lui : il était homme et femme. Maintenant il est réduit à tourner autour de ce jardin et n’attouche la teinture de Vénus que par un membre ; les teintures internes se joignent alors dans la semence et travaillent à produire une vie. Mais le corps extérieur n’est pas digne de jouir de l’inqualification du royaume de joie interne, dans lequel est semé la vie de l’âme ; les essences internes seules en jouissent, car elles proviennent de l’éternel, et l’animal extérieur assouvit seulement une passion bestiale ; il ne sait rien de la joie des essences quand une teinture se joint à l’autre ; il ignore ce qui se passe là, bien que ce soit quelque chose de paradisiaque ; mais l’essence terrestre s’y mêle bientôt et ce n’est que comme un aperçu plein de joie où est engendrée la volonté pour la vie, qui se perpétue ensuite et s’engrosse de sulphur, jusqu’à ce qu’il puisse atteindre le principe et allumer le feu dans le centre : alors c’est une vraie vie et une nouvelle âme est engendrée.

7. La belle image, étant ainsi sortie de l’amour divin, reconnut qu’elle était passée dans une autre source ; alors commencèrent la crainte et la frayeur de la fureur de Dieu, car elle s’élevait en eux. Ils se regardèrent donc, virent leur forme bestiale et leur nudité. Satan aura dansé ici et se sera moqué de Dieu, car ils eurent peur, se réfugièrent derrière les arbres et couvrirent leur honte de feuilles de figuier, parce que la vierge céleste avait disparu ; ils reconnurent la chute et furent remplis de confusion ; ce qui veut dire que l’âme issue de l’Éternel eut honte de la qualité bestiale, comme il arrive encore aujourd’hui que nous avons honte de nos organes bestiaux. Et de là vient que la femme couvre sa honte d’un linge blanc, afin que l’esprit de l’âme, qui se reflète par les yeux, n’en soit point troublé ; car il connaît la matrice de Vénus et commence aussitôt, dans le mâle, à porter son imagination en elle, ce qui, si la femme s’habillait de noir et couvrait ses yeux, n’aurait pas lieu aisément, mais seulement par imagination ; tandis que, de l’autre façon, les deux teintures de l’homme et de la femme se saisissent aussitôt par les yeux, miroir de l’esprit.

8. Adam et Ève étant ainsi en frayeur devant la colère divine, Dieu appela Adam et lui dit : Adam, où es-tu ? Et celui-ci répondit : Me voici, j’ai peur, car je suis nu. Et Dieu lui dit : Qui t’a dit que tu es nu ? N’as-tu pas mangé du fruit de l’arbre auquel je t’ai défendu de toucher ? Et il répondit : La femme m’en a donné et je l’ai mangé. Dieu dit alors à la femme : Pourquoi as-tu fait cela ? Elle répondit : Le serpent m’a trompée et fait que j’en ai mangé (Gen. III : 9, 13).

9. Ici est manifeste le grand amour de Dieu qui appela de nouveau Adam pour qu’il reconnût, cherchât et trouvât, et retournât de nouveau à Dieu ; car Adam avait été en Dieu, mais il était sorti de l’amour divin, de l’autre principe, du saint paradis de Dieu, et passé dans le règne extérieur terrestre de ce monde des astres et des éléments, dans le troisième principe. C’est pourquoi Dieu lui dit : Où es-tu, Adam ? Ne vois-tu pas que tu n’es plus dans le ciel ? Il tourna de nouveau sa gracieuse face vers la partie de l’être d’Adam qu’il avait reçue de la substantialité céleste et la considéra de rechef par son esprit ; puis s’adressant au serpent, à l’ancien démon, il lui dit : parce que tu as fait cela, sois maudit. Et au serpent créaturel, qui désormais devait être une créature (car Satan s’était transformé en serpent, raison pour laquelle le serpent devait demeurer) : tu ramperas sur ton ventre et tu mangeras de la terre. Parce que le serpent a séduit l’homme et la rendu terrestre, l’image de Satan devait aussi être terrestre et manger de la source furieuse terrestre, savoir du poison ; cela devait être sa punition.

10. Et ici, nous devons reconnaître que Satan s’était créé, des astres et des éléments, par son imagination, une image en serpent ; car il eut une grande puissance, jusqu’à ce que le Seigneur le maudît tout à fait et interposât le précieux nom de Jésus pour limite : alors finit sa grande puissance ; car Dieu dit à Adam et à Ève : la semence de la femme écrasera la tête du serpent, et toi, serpent, tu lui mordras le talon (Gen. III : 15), c’est-à-dire dans la fureur de Dieu, tu le tueras ; mais il verdira de la mort et t’écrasera la tête ; c’est-à-dire encore, il t’ôtera ta puissance et vaincra la fureur par l’amour. Et ici, en cet endroit, s’est figurée dans la lumière de la vie la promesse de la semence de la femme, ce fut le précieux nom de Jésus avec sa qualité (de fils de Dieu) ; et dans cette qualité, la très chère vierge de la sagesse divine, dans laquelle Christ devait, comme vainqueur de la mort, devenir un vrai homme, ôter à la mort sa puissance et rompre l’aiguillon de Satan ; fouler la cuve de la fureur et de la colère, pénétrer dans la colère ou dans le centre du feu et éteindre le feu avec son sang céleste et avec l’eau de la douceur de la source jaillissante de l’esprit de Dieu.

11. Et tenez pour certain que si la parole de la promesse ne s’était pas imprimée dans la lumière de la vie, lorsqu’Adam et Ève tombèrent dans la source terrestre, l’esprit de l’âme serait devenu un démon furieux et le corps une méchante bête, comme il l’est bien aussi : si l’eau élémentaire n’abattait pas à la fureur son orgueil, on verrait plus d’un homme devenir un féroce démon.

12. Remarquons donc que le monde, avant l’incarnation de Christ, a été sauvé par la foi en cette parole imprimée et au nom de Jésus. Ceux qui ont fixé leur volonté en Dieu, ont reçu le Verbe de la promesse, car l’âme y était comprise, et la loi entière de Moïse sur le sacrifice n’est absolument autre chose qu’une image, un type de l’humanité de Christ ; ce qu’en son humanité Christ a fait par son sacrifice, en noyant dans son sang et dans son amour la colère de Dieu, Moïse le fit par le sang des animaux dans ses sacrifices ; car le Verbe de la promesse était dans l’alliance, Dieu s’en fit en conséquence une figure et se laissa apaiser dans l’alliance par une similitude : le nom de Jésus, étant dans l’alliance, apaisait, par l’imagination, la colère et la fureur de la nature du Père. Les Juifs ne comprirent certes pas cela, mais l’alliance le comprit bien ; car l’homme animal n’était pas digne de le savoir avant que Christ fût né. Alors eut lieu le retentissement, qui néanmoins fut bientôt couvert par l’antéchrist en Babel, car l’homme bestial et pervers n’est pas digne du précieux nom de Jésus ; ce nom n’appartient pas non plus à la partie bestiale (de l’homme), mais à la partie divine ; l’animal doit demeurer sur la terre sauvage et au dernier jour être dévoré par le feu divin. Mais la partie céleste doit être introduite dans la puissance divine ; c’est pourquoi Dieu a en dégoût que l’homme fasse ainsi parade de sa bête. L’animal n’est pas l’image, pas plus que le sacrifice de Moïse n’était la réconciliation, laquelle gît dans l’alliance de grâce et dans le Verbe de la vie dans l’alliance.

13. La circoncision des Juifs qui ne dut s’exercer que sur les enfants mâles, était fondée légalement comme suit : Adam fut l’homme unique que Dieu créa, et en lui était l’image de Dieu : la création d’Ève, comme sa femme, n’entrait point dans le plan de Dieu ; l’image devait naître d’un seul ; mais parce que ce seul tomba et que Dieu dut lui faire une femme, l’alliance revint, avec la promesse, à l’unique, afin que par un tous fussent changés et engendrés à nouveau, savoir du second Adam, non de la femme Marie, mais de Christ, l’Adam céleste. Car c’est le sang du premier homme, soit le premier sang d’Adam, celui qu’il reçut de la substantialité divine, qui est valable, et non le sang terrestre de la femme, dans lequel Adam devint terrestre et eut besoin de l’association d’une femme. Ainsi l’espèce masculine seulement fut circoncise, et cela précisément au membre que Dieu a en dégoût, dont l’âme a honte, car l’engrossement ne devait pas être bestial. La circoncision fut donc un signe, une figure, indiquant que ce membre devait être retranché de l’homme et ne pas paraître avec lui dans l’éternité. Christ dut revêtir une forme masculine, bien qu’à l’intérieur il fût une image virginale, et cela afin que le plan de Dieu subsistât ; car c’est la propriété masculine ou du feu qui doit avoir le régime, et la propriété féminine ou de la lumière doit apaiser son feu et l’introduire dans la douce image de Dieu.

14. Le sang de la femme n’eût pas apaisé la colère de Dieu, celui de l’homme seul devait le faire, car la femme appartient à l’homme et sera, dans le royaume de Dieu, une vierge masculine, comme l’était Adam, non une femme : la femme est sauvée dans l’alliance de l’homme ; car l’alliance se fit pour l’amour de l’homme, soit de la vierge masculine, afin que celle-ci fût réconciliée. C’est pourquoi saint Paul dit : la femme est sauvée par l’enfantement, si elle demeure dans la foi et dans l’amour, dans la sanctification et dans la chasteté (I Tim. II : 15) – Et non-seulement cela, mais aussi dans l’alliance de l’homme, car elle est extraite d’Adam. Dès lors, toute femme doit être soumise à l’homme et il doit dominer. Dieu donna aussi à l’homme la sagesse virginale ; il doit gouverner la femme, non comme un tyran, mais comme sa propre vie ; il doit aimer sa femme comme son propre corps, car elle est sa chair et son corps, son image, sa compagne, son jardin de délices ; bien qu’elle soit terrestre et faible, il doit néanmoins savoir qu’il en est lui-même la cause et avoir patience avec elle, ne pas se laisser emporter à la fureur pour la perdre.

15. La femme doit aussi savoir qu’elle est sauvée dans l’alliance et le sang de l’homme, qu’elle est la côte et la teinture d’Adam et de l’homme, la propriété de l’homme ; elle doit être humble : comme un membre sert le corps, ainsi doit agir la femme à l’égard de l’homme, et l’aimer comme elle-même. Son amour doit reposer uniquement en lui, car ainsi elle obtient la vierge céleste, avec l’intelligence divine et l’esprit de l’alliance.

16. Mais quant aux personnes non mariées des deux sexes, ainsi qu’aux veuves, on leur dit qu’elles ont l’alliance de Christ pour époux, devant lequel elles doivent vivre dans la chasteté et l’humilité ; car Christ est l’épouse de l’homme, sa chaste vierge, qu’Adam perdit, et il est aussi l’époux des vierges et des veuves ; car sa virilité est leur virilité, afin qu’elles apparaissent devant Dieu comme une vierge masculine ; notre image est maintenant engendrée dans la volonté et dans la foi ; donc où se portent notre cœur et notre volonté, là aussi sont notre trésor et notre image.

17. Gardez-vous dès lors de libertinage et de faux amour, car la vraie image est détruite par là. Le libertinage est le plus grand crime que l’homme commette en soi-même ; les autres péchés sortent de lui en une figure, mais la prostituée demeure en lui, car il procrée une fausse image dans laquelle n’est pas reconnue la vierge divine, mais bien une bestiale. Que cela te soit dit, ô homme : il y a une si grande abomination là-dessous que le ciel en frémit en son imagination. Il n’entre pas aisément dans l’imagination bestiale, et c’est pourquoi tant d’hommes-bêtes sont engendrés, comme cela pourra être expliqué plus loin.

 

 

 

 

CHAPITRE VIII.

 

De la vierge Marie et de l’incarnation de

Jésus-Christ, fils de Dieu.

 

 

1. Beaucoup de gens ont entrepris d’écrire de la vierge Marie et prétendu qu’elle n’était pas une fille terrestre. – Ils ont bien reçu un reflet de l’éternelle virginité, mais non saisi le vrai but ; car quelques-uns ont, sans autre, prétendu qu’elle n’était pas la fille de Joachim et d’Anne, attendu que Christ est nommé la semence de la femme et l’est aussi ; que lui-même témoigne être venu d’en haut sur la terre, être venu du ciel ; – que dès lors, il devait être né aussi d’une vierge entièrement céleste. Mais cela nous aiderait peu à nous autres pauvres enfants d’Ève, qui sommes devenus terrestres et avons nos âmes dans un vaisseau terrestre. Où demeurerait notre pauvre âme si le Verbe de la vie éternelle ne l’avait pas prise en soi ? Si Christ avait apporté une âme du ciel, où demeurerait notre âme et l’alliance avec Adam et Ève, en vertu de laquelle la semence de la femme devait briser la tête du serpent ? Si Christ avait voulu provenir entièrement du ciel et en naître, il n’eût pas eu besoin de naître homme sur la terre. Mais où demeurerait l’alliance, puisque le nom de Jésus s’incorpora, en paradis déjà, lors de la chute d’Adam, oui, avant la création d’Adam, à la promesse, dans la lumière de la vie ou dans la teinture de l’âme, comme le dit Pierre (I Pierre I : 20) : nous sommes pourvus en Christ dès avant la fondation du monde ? Car Dieu reconnut, dans sa sagesse, la chute ; c’est pourquoi le nom de Jésus s’incorpora là, aussitôt, dans le Verbe de la vie, enveloppé de la vierge de la sagesse et avec la croix, dans l’image d’Adam. Car l’âme aussi est un engendrement crucial, puis quand le feu de l’âme s’allume, il se produit une croix dans l’éclair, c’est-à-dire un œil avec une croix et trois principes ayant le caractère de la Sainte-Trinité, comme cela a été développé dans le troisième livre de la Triple vie, et encore plus dans la quatrième partie, sur les quarante questions touchant l’âme.

2. Marie, dans laquelle Christ devint homme, fut la vraie fille selon la chair de Joachim et d’Anne, et engendrée de leur semence selon l’homme extérieur ; mais selon la volonté, elle a été fille de l’alliance de la promesse, car elle était le but que découvre l’alliance ; en elle reposait le centre de l’alliance, et pour cette raison, elle fut hautement reconnue par le Saint-Esprit dans l’alliance et hautement bénie devant et entre toutes les femmes dès Ève, car l’alliance se manifesta en elle.

3. Entendez-nous bien précieusement et profondément : la parole enveloppée de la promesse qui chez les Juifs était en figure, comme dans un miroir, dans lequel Dieu, le Père colérique, portait son imagination et apaisait par là sa colère, se mut alors d’une manière essentielle, ce qui n’était jamais arrivé dès l’éternité. Car lorsque le prince Gabriel lui apporta le message qu’elle serait enceinte, qu’elle y consentit et dit : qu’il me soit fait comme tu l’as dit, le centre de la Sainte-Trinité se mut et découvrit l’alliance ; c’est-à-dire découvrit en elle, dans le Verbe de la vie, l’éternelle virginité qu’Adam avait perdue ; car la vierge de la sagesse divine entoura le Verbe de la vie, comme le centre de la Sainte-Trinité ; ainsi le centre fut remué et le céleste Vulcain alluma le feu de l’amour, ce qui engendra le principe des flammes d’amour.

4. Comprends bien : dans l’essence de Marie, dans l’essence virginale, altérée en Adam et de laquelle il devait engendrer une image virginale selon la sagesse de Dieu, le feu divin fut allumé, et en même temps le principe de l’amour ; entends, dans la semence de Marie, alors qu’elle devint enceinte de l’esprit de l’âme ou de la teinture de Vénus ; car dans cette teinture, comme dans la source de l’amour, fut allumé le premier feu d’Adam dans le Verbe de la vie, et les deux teintures étaient entièrement dans l’enfant Jésus comme en Adam ; le Verbe de la vie dans l’alliance, comprends, la Sainte-Trinité, fut le centre, et le principe apparut dans la propriété du Père : Christ devint homme en Dieu et aussi en Marie, dans tous les trois principes, et en même temps dans le monde terrestre ; il prit une forme de serviteur pour triompher de la mort et de Satan, car il devait être un prince dans le lieu de ce monde, dans le trône princier angélique, établi sur le trône et dans la puissance du ci-devant ange et prince Lucifer, sur tous les trois principes. Si donc il devait : 1o être un dominateur de ce monde externe, il devait aussi demeurer dans ce même monde, avoir son essence et sa propriété ; de même si, 2o il devait être Fils de Dieu, il devait aussi naître de Dieu ; devait-il, 3o éteindre la colère de Dieu, il fallait bien aussi qu’il fût dans le Père ; devait-il, enfin, 4o être fils de l’homme, il lui fallait bien aussi être de l’essence et de l’être de l’homme, avoir une âme et un corps humains, comme nous avons tous.

5. Et il est reconnaissable que, tant Marie sa mère, que Christ de sa mère, tous deux ont été d’essence humaine, en corps, âme et esprit, et que Christ a reçu une âme de l’essence de Marie, mais sans semence d’homme. Le grand mystère de Dieu fut là manifesté ; le premier homme dans sa profondeur, celui qui mourut, ressuscita ici, entendez dans le principe divin ; car la divinité se mut à cette fin et alluma le feu dans le principe du Père ; ainsi, le sulphur mort en Adam, ressuscita ; car le Verbe était revêtu de la substantialité céleste et se manifesta en céleste substantialité dans l’image virginale de la divinité. C’est là la pure, chaste vierge dans laquelle le Verbe de la vie devint homme, et ainsi, la Marie extérieure fut ornée de la céleste, hautement bénie vierge, et bénie entre toutes les femmes de ce monde : en elle fut revivifiée la partie morte et prisonnière de l’humanité ; ainsi, elle fut élevée en gloire comme le premier homme avant la chute ; elle fut la mère du prince royal. Ce ne fut pas le fait de son pouvoir, mais du pouvoir divin ; si le centre divin ne s’était pas mu en elle, elle n’eût pas été autre que toutes les filles d’Ève ; mais le Verbe de la vie avait arrêté le but ici, par l’alliance de la promesse ; c’est pourquoi elle est bénie entre toutes les femmes et par-dessus tous les enfants d’Ève. Non qu’elle soit une déesse qu’on doive honorer à la place de Dieu, car elle n’est pas le but, et elle le dit aussi : « Comment cela arrivera-t-il, puisque je ne connais point d’homme ? » – Mais le Verbe de la vie, dans le centre du Père, qui, par la motion de la divinité se donna à l’humanité et se manifesta en essence humaine, est le but : c’est la fin que nous devons ardemment poursuivre par la nouvelle naissance.

6. C’est là une plus grande merveille que celle de la création du premier Adam ; car celui-ci fut créé de trois principes et son esprit lui fut introduit par l’esprit divin ; le cœur de Dieu ne dut pas se mouvoir à l’extraordinaire, son esprit seul se mut, de son cœur : ici, se mut le centre ou le cœur de Dieu, qui était demeuré en repos dès l’éternité ; le feu divin fut allumé ou, si l’on veut, réveillé.

 

 

La chère porte.

 

7. Saisissons donc bien l’incarnation de Christ, le Fils de Dieu : Il n’est pas devenu homme dans la vierge Marie seulement, comme si sa divinité ou son être divin eussent été là enfermés ou fixés. Non, ô homme, il en est tout autrement, ne te laisse point égarer par la raison, nous connaissons ce qui en est. Aussi peu que Dieu est circonscrit en un lieu, tandis qu’il remplit tout, aussi peu s’est-il mu dans une parcelle seulement, car il n’est pas divisible, mais entier partout : là où il se manifeste, il est entièrement en évidence. Il n’est pas non plus mensurable : il n’a ni lieu ni place ; donc, il se fit une place dans une créature et, par conséquent, il reste entier à côté et hors de la créature.

8. Lorsque le Verbe se mut pour la manifestation de la vie, il se manifesta dans la substantialité divine, soit dans l’eau de l’éternelle vie ; il y entra et devint sulphur, c’est-à-dire chair et sang ; il fit la céleste teinture qui environne et remplit la divinité, dans laquelle la sagesse divine demeure éternellement, avec la magie divine. Entends bien : la divinité a désiré de devenir chair et sang, et bien que la pure et claire divinité demeure esprit, encore est-elle devenue l’esprit et la vie de la chair et opère-t-elle dans la chair ; en sorte que lorsque nous portons notre imagination en Dieu et nous abandonnons entièrement à lui, nous pouvons dire « que nous entrons dans la chair et le sang divins, que nous vivons en Dieu, » car le Verbe est devenu homme et Dieu est le Verbe.

9. Nous n’élevons pas toutefois la créature de Christ comme s’il n’en eût pas été une. Prenant pour comparaison le soleil et sa lumière, nous vous dirons : nous comparons le soleil à la créature de Christ et le soleil est bien un corps ; puis, d’autre part, toute la profondeur de ce monde au Verbe éternel dans le Père. Nous voyons bien que le soleil luit dans toute la profondeur et lui donne chaleur et force ; mais nous ne pouvons pas dire que dans la profondeur, la force et l’éclat du soleil n’existent pas (ne s’y trouvent pas), indépendamment du corps du soleil. Si cette force et cet éclat ne s’y trouvaient pas, la profondeur ne saisirait pas non plus la force et l’éclat du soleil, car une force, un éclat seulement saisit l’autre. La profondeur et son éclat sont cachés. Si Dieu le voulait, toute la profondeur serait un pur soleil ; il ne s’agirait que de l’allumer pour engloutir l’eau et la convertir en esprit, l’éclat du soleil se répandrait alors partout ; mais il faudrait pour cela que le centre du feu s’allumât, comme dans le lieu du soleil.

10. Sachez encore ceci : Nous comprenons que le cœur de Dieu est demeuré en repos dès l’éternité ; mais par le mouvement et l’entrée dans la substantialité, il est devenu manifeste partout, bien que cependant en Dieu il n’y ait ni espace ni limite, sinon dans la créature de Christ seulement ; là s’est manifestée toute la Sainte-Trinité en une créature, et ainsi, par la créature, aussi dans toute l’étendue du ciel. Il est allé (Christ), et nous a préparé le lieu où nous devons voir par sa lumière, habiter dans sa substantialité et manger de sa céleste substantialité ; sa substantialité remplit le ciel et le paradis. Si, dans l’origine, nous avons été créés de la divine substantialité, pourquoi ne pourrions-nous pas aussi habiter en elle ? Tout comme l’air et l’eau remplissent ce monde et que nous en jouissons tous, ainsi existe dans le mystère la substantialité divine, dont nous jouissons si nous portons sérieusement notre imagination en elle et lui abandonnons notre volonté. C’est là la chair et le sang de Christ dans la puissance divine ; car la chair et le sang de la créature de Christ se trouvent là ; c’est un être, une puissance, un esprit, un Dieu, une plénitude, sans nulle circonscription en aucun lieu, mais dans son principe. Un homme-porc dira bien : hé ! comment le mangerons-nous donc ? Ô âne, arrive d’abord là, afin que tu puisses l’atteindre, car tu ne le mangeras pas avec la bouche extérieure ; il est d’un principe plus profond et cependant l’extérieur. Il a été dans la vierge Marie et aussi, après sa naissance, dans ce monde ; au dernier jour, il apparaîtra, dans les trois principes, à tous les hommes et à tous les démons.

11. Il s’est vraiment revêtu de la source terrestre ; mais à sa mort, lorsqu’il vainquit la mort, la source divine engloutit la source terrestre et lui enleva le régime, non comme si Christ eût déposé quelque chose, car la source externe fut vaincue et comme engloutie, en sorte que sa vie actuelle est une vie en Dieu. Ainsi devait être Adam, mais il ne résista pas. Le Verbe dut donc devenir homme et s’incorporer dans la substance, afin que nous reçussions de la force, que nous pussions vivre en Dieu.

12. Christ a donc rapporté ce qu’Adam avait perdu et bien au delà, car le Verbe est devenu homme partout ; entends : il est manifeste partout dans la substantialité divine, dans laquelle gît notre éternelle humanité ; car dans l’éternité nous devons vivre dans cette même substance corporelle dans laquelle existe la vierge divine : nous devons revêtir cette vierge, car Christ l’a revêtue. Il est devenu homme dans la vierge céleste et aussi dans la vierge terrestre, bien que celle-ci ne fût pas une vraie vierge. Mais la vierge céleste, divine, la rendit vierge lors de la bénédiction, c’est-à-dire lors de la manifestation du Verbe et de l’alliance ; car en Marie, la portion de substantialité qu’elle avait héritée d’Adam et qu’Adam avait rendue terrestre, fut bénie ; ainsi le terrestre seulement mourut en elle, l’autre portion vécut éternellement et redevint chaste et pure vierge, non dans la mort, mais dans la bénédiction ; lorsque Dieu se manifesta en elle, elle revêtit la belle image divine et devint une vierge virile selon la partie céleste.

13. Christ naquit donc d’une vierge vraiment pure, chaste et céleste, car elle reçut, lors de la bénédiction, le limbe divin dans sa matrice, dans sa semence ; rien d’étranger cependant, mais le limbe divin s’ouvrit en elle, dans la puissance divine : ce limbe qui en Adam était mort, redevint vivant par la motion divine : l’essence divine dans le Verbe de la vie entra dans son limbe et dans ce limbe fut ouvert le centre de l’âme, en sorte que Marie devint enceinte d’une âme et aussi d’un esprit, à la fois célestement et terrestrement ; ce fut là une vraie image de Dieu, une ressemblance selon et de la Sainte-Trinité dans tous les trois principes.

 

 

 

 

CHAPITRE IX.

 

De la virginité de Marie ;

ce qu’elle fut avant la bénédiction,

et ce qu’elle devint par la bénédiction.

 

 

1. Il nous importe grandement, à nous autres pauvres enfants d’Ève, de connaître ce qui suit, car en cela gît notre salut éternel, c’est la porte d’Emmanuel ; toute la foi chrétienne repose là-dessus et c’est la porte du plus grand mystère ; ici repose le secret de l’homme, secret dans lequel il est la ressemblance et l’image de Dieu.

2. Car toute notre religion consiste en trois points que nous pratiquons et enseignons ; savoir, premièrement, de la création ; de quelle essence, substance et qualité, l’homme est ; s’il est éternel ou non, et comment cela se peut ; quelle est proprement l’origine de l’homme, d’où il est provenu au commencement.

3. Secondement, puisqu’on parle et enseigne tant de sa chute, que nous voyons aussi qu’à cause d’elle nous sommes mortels et sous le joug de la méchanceté et de la source furieuse, – ce qu’a donc été sa chute.

4. Et, en troisième lieu, puisque Dieu veut de nouveau nous recevoir en grâce, à quelle fin il a donné des lois et des enseignements et les a confirmés par de grands miracles, – ce qu’est proprement la nouvelle naissance, attendu que nous voyons qu’il nous faut mourir ; – par quelle puissance et en quel esprit nous pouvons être renouvelés et ressusciter de la mort.

5. Nous trouvons maintenant tout cela en deux figures ; savoir dans l’éternelle, sainte, et aussi dans la terrestre, périssable virginité ; or, nous trouvons la nouvelle naissance dans l’image de Christ très distinctement et clairement ; car dans l’éternelle virginité ou dans la substantialité divine, où l’image de Dieu et sa ressemblance ont été vues comme dans un miroir dès l’éternité et reconnues par l’esprit de Dieu, fut créé Adam le premier homme. Il avait la virginité en sa possession, savoir la vraie teinture de l’amour dans la lumière, qui désire la teinture du feu ou la propriété des essences, pour devenir une vie ardente dans la puissance et la majesté ; de plus, une engendreuse dans l’essence du feu, ce qui ne se peut dans l’essence de la lumière, sans le feu.

6. Ainsi, nous reconnaissons une virginité dans la sagesse divine, dans la volonté désirante de l’Être divin, dès l’éternité ; non une femme qui engendre, mais une figure dans le miroir de la sagesse divine, une pure, chaste image, sans être, mais pourtant en essence ; non manifeste dans l’essence du feu, mais bien dans la source de la lumière.

7. Dieu a créé cette image en un être, et cela de tous les trois principes, pour qu’elle fût une ressemblance de la divinité et de l’éternité, comme un miroir complet du fond et du sans-fond, de l’esprit et aussi de la substance ; et elle fut créée de l’éternel, non pour la fragilité. Mais parce que le terrestre et fragile était suspendu à l’éternel, le désir terrestre s’est introduit dans le désir éternel, céleste, et a infecté la propriété céleste, car il voulait habiter dans le désir éternel et fut cependant corrompu dans la fureur divine.

8. Ainsi la source terrestre corrompit la source céleste et lui devint une turba (trouble, perturbation), comme on peut le reconnaître à la terre et aux pierres qui proviennent bien de l’éternel, mais qui se sont altérées dans la fureur et dans la source du feu : le fiat a fait, de la substantialité éternelle, de la terre et des pierres ; pour quelle cause un jour de séparation est fixé, où chaque chose doit rentrer dans son éther et être éprouvée par le feu.

9. De même l’homme : il fut créé dans la virginité, dans la sagesse de Dieu, mais ayant été saisi par la fureur et la colère de Dieu, il devint aussitôt corrompu et terrestre. Et de même que la terre passe et doit être éprouvée par le feu, puis retourner à ce qu’elle était, ainsi l’homme : il doit rentrer dans la virginité dans laquelle il a été créé. Mais comme il n’était pas possible à l’homme de sortir de la mort furieuse et d’entrer dans une renaissance, car sa virginité était enfermée avec lui dans la mort, raison pour laquelle Dieu fit à l’homme une femme tirée de lui : la divinité dut se mouvoir, délivrer et vivifier de nouveau ce qui était prisonnier.

10. Et cela s’accomplit en Marie la vierge renfermée ; comprends, dans la virginité qu’Adam tenait de la sagesse divine ; non de la partie terrestre du troisième principe, mais de la partie céleste et sainte de l’autre principe qui, par l’imagination terrestre et les suggestions, avait été enfermée dans la mort, dans la colère de Dieu et était comme morte, ainsi que la terre : c’est pourquoi le cœur de Dieu s’est mu, a brisé la mort sur la croix et de nouveau engendré la vie.

11. La naissance et l’incarnation de Christ furent une œuvre puissante pour nous, car l’insondable cœur de Dieu se mut en son entier et par là, la substantialité divine qui était prisonnière dans là mort, est redevenue vivante, en sorte que maintenant nous pouvons dire avec raison : Dieu a résisté lui-même à sa colère, puisqu’il s’est de nouveau manifesté par le centre de son cœur qui a rempli l’éternité sans fond ni limite, qu’il a enlevé à la mort sa puissance et brisé l’aiguillon de la colère et de la fureur, attendu que l’amour et la douceur se sont manifestés dans la colère et ont éteint la puissance du feu.

12. Et ce qui est un bien plus grand sujet de joie encore pour nous autres, hommes, c’est que Dieu s’est manifesté dans notre virginité éclipsée et morte, et en même temps dans tout. Nous nous réjouissons de ce que le Verbe ou la puissance de la vie divine s’est de nouveau donné à l’humanité, soit à la virginité morte et comme abandonnée, et a de nouveau ouvert la vie virginale ; nous nous réjouissons de cela et pénétrons par notre imagination dans le centre où Dieu s’est manifesté dans l’humanité, soit dans l’incarnation de son fils, et devenons ainsi, dans notre imagination, que nous introduisons dans son incarnation, enceintes de sa parole et de la puissance de la céleste et divine substantialité manifestées ; de rien d’étranger, toutefois, mais étranger à la terrestréité cependant. Le Verbe s’est manifesté partout, dans la lumière de la vie de chaque homme aussi ; il ne manque qu’une chose, c’est que l’esprit de l’âme s’y abandonne ; il revêt alors de nouveau l’éternelle virginité, non comme un vêtement, mais de sa propre essence : Dieu naît en lui. Car Marie était née terrestre, comme toutes les filles d’Ève, mais l’alliance de l’amour divin fit sentir dans son essence que Dieu voulait là ouvrir de nouveau la vie en elle.

13. Et quant à la virginité de Marie, selon la vie terrestre, avant la bénédiction, avant que le cœur de Dieu se fût mu, nous ne pouvons absolument pas dire qu’elle ait été une vierge entièrement pure, comme la première, avant la chute : elle n’était qu’une fille d’Ève comme les autres. Mais ce que nous disons avec fondement, c’est qu’en Marie, aussi bien qu’en tous les enfants d’Adam, la virginité éternelle était enfermée dans l’alliance de la promesse, comme dans la mort, et pourtant pas morte en Dieu. Car le nom de Jésus, émanant du centre ou du cœur de Dieu, s’est imprimé comme un miroir, dès l’éternité, dans la vierge de la sagesse divine, et a résisté au centre du Père, soit au centre du feu et de la fureur, non dans la fureur dans le feu, dans l’essence du feu, mais dans l’amour lumineux, dans l’essence de la lumière ; et l’homme, dans le nom de Jésus, fut aussi établi dans cette même essence, avant la fondation du monde, alors qu’Adam était encore en essence céleste, sans être naturel ou créaturel ; car la chute fut connue dans la sagesse avant que l’homme devînt créature, et cela selon la propriété du feu, non dans la propriété de la lumière, mais selon le premier principe.

14. Ainsi, nous disons maintenant de Marie, d’après notre profonde connaissance, qu’avant le temps de la manifestation et du message de l’ange, elle fut une vierge comme Ève, alors qu’elle sortit du paradis, avant qu’Adam l’eût connue ; elle était bien alors une vierge, mais la vraie virginité était en elle cachée (altérée) et infectée de la passion terrestre, et la propriété animale était manifeste en elle ; car l’imagination terrestre rompit la propriété céleste, en sorte qu’elle était une femme et non une chaste vierge sans tache ; elle n’était qu’une fraction de la virginité céleste, Adam était l’autre. Ainsi, il n’est né d’Ève aucune vierge pure, véritable, parfaite ; la turba a détruit en toutes la virginité, jusqu’à l’entrée du héros en combat : celui-là fut une vierge virile, parfaite dans la sagesse divine, selon l’Être céleste ; le terrestre était suspendu à lui, mais le céleste régnait sur le terrestre ; car ainsi devait être Adam qui ne résista pas.

15. C’est pourquoi nous disons avec fondement que Marie fut la fille de Joachim, née d’Anne, et que, selon la partie terrestre, elle fut de leur essence. Nous disons, de plus, qu’elle fut fille de l’alliance divine, que Dieu a arrêté en elle le but de la nouvelle naissance, que tout l’Ancien Testament a trait à ce but et que tous les prophètes l’ont prédit (savoir que Dieu voulait manifester de nouveau l’éternelle virginité) ; et ce but a été béni ; car, selon sa miséricorde, Dieu s’est incorporé dans ce but par l’alliance de la promesse, et le Verbe de la promesse était dans l’alliance, et résistait à la colère dans la lumière de la vie. Le premier monde, avant et après le déluge, fut sauvé par cette alliance que Dieu plaça devant soi comme un miroir virginal ; car l’éternelle virginité apparut dans l’alliance comme dans le miroir divin, et dans ce miroir se délectait la divinité : si Israël maintenait l’alliance et en accomplissait les œuvres, Dieu les accepterait comme si l’humanité eût été dans le miroir de la sagesse divine ; et bien qu’Israël fût terrestre et mauvais, néanmoins Dieu habitait en Israël dans son alliance, dans la sagesse, selon son amour et sa miséricorde.

16. Ainsi, les œuvres de la loi furent devant Dieu, dans le miroir, jusqu’à ce que la vie naquît de nouveau de l’alliance, jusqu’à l’accomplissement ; alors cessèrent les œuvres dans le miroir et s’élevèrent (commencèrent) de nouveau celles de l’accomplissement en chair et en sang dans la substantialité céleste ; car en Marie fut le début. Lorsque l’ange lui apporta le message et qu’elle répondit : qu’il me soit fait comme tu l’as dit (Luc I : 38), le centre de la vie dans le Verbe divin, ou le cœur de Dieu, se mut aussitôt dans la semence céleste morte de Marie, la vivifia de nouveau, et la grossesse commença. Car tous les trois principes de la divinité se sont mus, et la teinture divine a pris dans la substantialité céleste morte : non que Dieu ait été là sans substance, mais l’homme était mort au monde céleste, et ici le cœur de Dieu, revêtu de la substantialité divine, vivante, entra dans la mort et réveilla la substantialité morte. Elle n’ôta pas, cette fois, la source terrestre, mais la pénétra (comme un dominateur et vainqueur de la source) ; car la vraie vie devait passer par la mort et la colère de Dieu, ce qui s’effectua sur la croix, où la mort fut brisée et la fureur rendue captive, éteinte et vaincue par l’amour.

17. Nous comprenons ainsi, maintenant, ce que Marie est devenue par la conception ; savoir, une vraie pure vierge selon la partie céleste, car lorsque le cœur de Dieu s’émut et que l’aurore pointa en elle, la lumière de la clarté et de la pureté divines brilla en elle ; sa virginité morte ou la sagesse divine devint manifeste et vivante, car elle fut remplie de la virginité divine, savoir de la sagesse divine. Et dans cette sagesse et substantialité divine, aussi bien que dans la substantialité morte et maintenant vivante, le Verbe devint chair dans le sulphur par le centre de la nature, des essences du Père et des essences de Marie ; une vie sortant de la mort, un fruit parfait, avec les deux teintures, attendu que les deux teintures n’en formaient qu’une. Et parce que Adam était devenu un homme, Christ fut aussi un homme selon le monde externe ; car ce n’est pas l’image d’Ève dans la teinture féminine qui doit demeurer, mais bien l’image d’Adam, alors qu’il était à la fois homme et femme. Mais comme pourtant l’un des signes doit paraître, selon la puissance du fiat extérieur, et qu’aussi le héros en combat fut de nouveau établi dans tous les trois principes, ce héros reçut le signe masculin ; car l’homme a la teinture du feu, selon la propriété du Père. Comme le Père est la force et la puissance de toutes choses et le Fils son amour, ainsi devint homme le Verbe dans l’essence féminine, et fut-il néanmoins un homme, afin que son amour pût éteindre la colère et la fureur dans le Père ; car la teinture de Vénus a la source de l’eau, et la femme a la teinture de Vénus : donc le feu devait être éteint par l’eau de l’éternelle vie et les essences brûlantes du Père dans le feu de nouveau éteintes.

18. Nous reconnaissons maintenant Marie, la mère de Christ, selon la chair, l’âme et l’esprit, dans la bénédiction, pour une pure, chaste vierge ; car sa bénédiction consiste en ce que Dieu s’est manifesté en elle ; elle a porté en son corps le Verbe de la vie ; c’est ce qui s’est mû en elle. Marie n’a pas mu le Verbe, mais le Verbe a mu (attouché) Marie ; tant le fruit qu’elle engendra que son âme, soit la partie de la substantialité morte ; son âme fut alors enveloppée de substantialité divine vivante ; non la partie terrestre ou le troisième principe, mais la partie céleste issue de l’autre principe ; de telle sorte que le terrestre ne lui était qu’appendu. Car son âme devait aussi, avec le Verbe de la vie, devenu homme en elle, passer par la mort et la colère du Père et entrer avec lui dans la source céleste et divine. Son être extérieur dut mourir à la source terrestre, pour qu’il pût vivre à Dieu. Et parce qu’elle a été bénie et a porté le but dans l’alliance, son corps n’est point passé, car le céleste a englouti le terrestre et le tient éternellement captif, à l’honneur et à la glorification du Seigneur. Il faut qu’on se souvienne éternellement que Dieu est devenu homme en elle.

19. Quant à ceux qui disent qu’elle est entièrement demeurée dans la mort, totalement passée, ils devraient bien observer leur raison, car ce qui est hautement béni est incorruptible ; sa partie céleste de la substantialité divine, qui l’a bénie, est incorruptible ; à défaut de quoi il s’en suivrait que la substantialité divine dans la bénédiction serait encore une fois tombée et morte, comme cela arriva en Adam ; mort qui fut cause, cependant, que Dieu devint homme, afin qu’il ramenât la vie. Selon la vie extérieure, la source terrestre, elle (Marie) est morte, à la vérité ; mais selon la bénédiction, elle vit dans la substantialité divine et aussi dans sa propre substantialité ; non en quatre éléments, mais dans la racine des quatre éléments, dans un seul qui renferme les quatre ; dans le paradis, le pur élément, dans la substantialité divine, dans la vie divine.

20. C’est pourquoi nous disons que Marie est plus grande qu’une fille quelconque d’Adam, attendu que Dieu a placé le but de son alliance en elle et que, seule entre toutes les filles d’Ève, elle a obtenu la bénédiction, savoir la pure virginale chasteté, qui était détruite chez toutes les filles d’Ève. Mais quant à elle, la virginité reposa dans l’alliance, jusqu’à ce que le Verbe de la vie la bénît hautement, alors elle devint une vraie, pure et chaste vierge, en laquelle Dieu naquit. Car Christ dit aussi aux Juifs : je suis d’en haut, mais vous êtes d’en bas ; je ne suis pas de ce monde, mais vous êtes de ce monde (Jean VIII : 23). S’il fût devenu homme dans un vase terrestre et non dans une pure, céleste et chaste vierge, il aurait bien été de ce monde ; mais il devint homme dans la vierge céleste et la source terrestre ne lui était qu’appendue. Car l’essence des âmes fut en nous, pauvres enfants des hommes, infectée par la source terrestre, et il devait introduire notre âme, en essence céleste, en lui, au travers du feu divin, dans le saint Ternaire ; il y allait de l’âme, et parce qu’elle était issue de l’Éternel, Dieu ne voulait pas l’abandonner.

21. Si l’on demande donc quelle fut la matière dans laquelle le Verbe et cœur de Dieu s’introduisit et se fit un corps, si ce fut une matière étrangère, venue du ciel, ou bien l’essence et la semence de Marie ? – Notre réponse est que jamais le cœur de Dieu n’a été sans substance, car sa demeure est, dès l’éternité, la lumière, et la puissance dans la lumière est le cœur ou le Verbe que Dieu a prononcé dès l’éternité ; le parler a été le Saint-Esprit de Dieu qui, avec le parler, sort de la puissance de la lumière, de la parole énoncée, et va dans le prononcé ; et le prononcé est la merveille, la sagesse divine, qui renferment (constituent) le miroir divin de la sagesse, dans lequel voit l’esprit de Dieu, et dans lequel il manifeste les merveilles.

22. Comprenez donc que le Verbe, issu du cœur de Dieu le Père (entouré de la céleste et chaste vierge de la sagesse, habitant dans la céleste substantialité), s’est en même temps manifesté dans l’essence et la substantialité de Marie, ou dans sa propre semence, entendez dans la semence humaine ; qu’il a pris en soi la semence morte et aveugle en Dieu de Marie et l’a réveillée à la vie : la substantialité vivante vint dans la demi-tuée (essence de Marie), et s’en fit un corps, non un corps corruptible qui devait passer, mais un corps éternel qui devait subsister à toujours ; car ici fut de nouveau engendrée la vie éternelle.

23. Ainsi la substantialité (l’être) de l’éternité en Dieu, dans toute sa profondeur sans-fond, et la substantialité de l’Adam mort devinrent dans l’humanité une substantialité, entièrement un seul être, de façon que la créature de Christ a rempli, à la fois, par sa substantialité, tout le Père, qui est sans limite et sans fond. Mais l’âme créaturelle demeura et est une créature ; et selon le troisième principe, en tant que créature, ce Christ est une créature et un roi des hommes ; de même selon l’autre principe, comme enfant du Père insondable. Ce qu’est le Père dans son insondable profondeur, le Fils l’est dans sa créature ; car la puissance dans la créature est une avec la puissance hors de la créature, une substantialité dans laquelle habitent les anges et les hommes ; elle donne le paradis et les délices, mais dans l’humanité aussi la chair et le sang ; c’est pourquoi elle est et demeure aussi une créature, mais incréée ; née, cependant, pour une partie, de Dieu, dès l’éternité, et pour l’autre, de l’humanité. Dieu et l’homme sont devenus une personne, un Christ, un Dieu, un Seigneur, une Sainte-Trinité, dans l’humanité, et en même temps partout ; de manière que quand nous voyons Christ, nous voyons la Sainte-Trinité en une image ; sa créature ressemble à une image, et dans son humanité il est notre grand-prêtre et roi, notre frère, notre Immanuel ; sa puissance est notre puissance, si, toutefois, nous sommes de rechef nés de Dieu dans la foi en lui. Il ne nous est point étranger ni terrible, mais bien notre teinture d’amour ; il est par sa vertu la restauration de nos âmes, notre vie et les délices de nos âmes ; quand nous le trouvons, nous trouvons notre aide, tout comme Adam devait le trouver, lui qui se laissa tromper et trouva enfin une femme, de laquelle il dit : ceci est chair de ma chair et os de mes os ; après quoi, il la prit pour compagne (Gen. II : 23).

24. Ainsi, quand notre âme le trouve, elle dit : Voici ma vierge que j’avais perdue en Adam et qui avait été transformée en femme terrestre ; maintenant, j’ai retrouvé ma chère vierge, issue de mon corps, et je ne la laisserai plus aller ; elle est à moi, ma chair et mon sang, ma force et ma vie, que je perdis en Adam ; je la garderai. Ô un aimable tenir ! douce inqualification, beauté, fruit, force et vertu !

25. La pauvre âme trouve alors la teinture de sa lumière perdue et sa chère vierge. La femme trouve le noble époux que la matrice de Vénus a toujours ardemment désiré, mais n’a trouvé qu’un sulphur masculin terrestre, et a dû se laisser engrosser de semence terrestre. Ici elle reçoit la teinture du vrai feu, la vraie teinture masculine ; en sorte qu’elle devient aussi une vraie vierge virile, tel qu’était Adam dans l’innocence.

 

 

 

 

CHAPITRE X.

 

De la naissance de Jésus-Christ, le Fils de Dieu ; comme à l’égal de tous les enfants des hommes, il demeura neuf mois dans le corps de sa mère, et ce qu’est proprement son homification.

 

 

1. On a beaucoup disputé au sujet de l’incarnation de Jésus-Christ, mais presqu’en aveugles ; il en est résulté toute sorte d’opinions tendant à amuser l’homme et à laisser là la vraie incarnation, dans laquelle gît notre salut éternel. La cause de tout cela fut qu’on a cherché dans la sagacité et la science extérieure et non à la vraie source. Si l’on était entré dans l’incarnation de Christ, si l’on fût né de Dieu, toute dispute eût été superflue, car l’esprit de Dieu manifeste bien à chacun, dans son intérieur, l’incarnation de Christ, et sans cet esprit on ne trouve rien. Car comment voulons-nous trouver cela dans la raison de ce monde, puisqu’il n’y existe pas dans ce monde ? À peine en trouvons-nous dans la raison extérieure un reflet : dans l’esprit de Dieu seul est le vrai trouver.

2. L’incarnation de Christ est un tel mystère que la raison extérieure n’y entend rien ; car il s’est accompli dans tous les trois principes et ne peut être sondé qu’autant qu’on connaîtra à fond le premier homme dans sa création, avant la chute ; car Adam devait engendrer de soi son semblable selon le mode de la Sainte-Trinité, dans laquelle le nom de Jésus était incorporé, mais cela ne se put pas. C’est pourquoi devait venir un autre Adam qui le pouvait ; car Christ est l’image virginale selon le mode de la Sainte-Trinité : il est conçu dans l’amour de Dieu et né dans ce monde. Adam avait la substantialité divine et son âme était du premier principe, de la qualité du Père ; cette âme devait porter son imagination dans le cœur du Père, soit dans le Verbe et l’esprit d’amour et de pureté, et manger de la substantialité de l’amour ; elle aurait ainsi conservé en soi l’être divin dans le Verbe de la vie, et aurait été engrossée par la puissance émanant du cœur de Dieu ; dont alors elle (l’âme) se serait de son propre fond imprégnée par l’imagination, et aurait elle-même engrossé sa substantialité ; d’où serait ainsi résulté, par l’imagination et l’abandon de la volonté de l’âme, une entière ressemblance selon la première image, ressemblance conçue dans la puissance de la substantialité.

3. Mais parce que cela ne se pouvait pas en Adam, à cause de la terrestréité attachée à lui, cela s’exécuta dans l’autre Adam, Christ, qui fut conçu de cette manière par l’imagination de Dieu et l’entrée dans l’image du premier Adam.

4. Et nous pouvons reconnaître que parce que le premier Adam a porté son imagination dans la terrestréité et est devenu terrestre, ce qu’il fit contre le dessein de Dieu, le plan de Dieu devait néanmoins demeurer. Car ici Dieu le reporta sur l’enfant d’Adam ; il introduisit son imagination dans l’image altérée et l’engrossa de sa puissance et substantialité divines, en même temps qu’il retourna la volonté de l’âme de la terrestréité en Dieu ; en sorte que Marie devint enceinte de cet enfant dont Adam devait le devenir, ce que ne put la propre puissance qui tomba dans le sommeil ou dans la magie ; sommeil pendant lequel la femme fut extraite d’Adam, ce qui ne devait pas avoir lieu, puisqu’Adam devait s’engrosser lui-même, dans la matrice de Vénus et engendrer magiquement. Mais parce que cela ne se put, Adam fut partagé, sa propre volonté de la grande puissance brisée et enfermée dans la mort ; puisqu’il ne voulait pas placer son imagination dans l’esprit de Dieu, sa grande puissance devait demeurer coite dans la mort et laisser l’esprit de Dieu placer son imagination en elle et faire de lui ce qu’il voudrait.

5. C’est pourquoi l’esprit de Dieu lui éveilla de cette mort la vie et fut son esprit de vie, afin que l’image et la ressemblance de Dieu (qui dès l’éternité avait été vue dans la sagesse divine), put pourtant être engendrée et demeurer ; car elle existait dès avant les temps du monde et dès l’éternité dans le miroir virginal, dans la sagesse divine, et cela en deux formes ; savoir, selon le premier principe du Père, dans le feu, et dans l’autre principe du Fils, dans la lumière, et n’était pourtant manifeste que dans la lumière ; puis, dans le feu, comme dans une magie, comme une possibilité. Tout comme le ciel astral imprime dans la base affective de l’homme qui dort une figure selon son pouvoir, ainsi est apparue l’image dans le centre de la nature du feu, tout à fait invisible ; mais dans la sagesse, dans le miroir de la divinité, elle est apparue comme une figure ressemblant à une ombre, mais sans substance matérielle, bien qu’étant dans l’essence de l’esprit ; lequel, en se considérant dans le miroir de la sagesse, a reconnu et vu cette image, et prémédité de l’amener en être, afin que Dieu eût une image ou ressemblance vivante et n’eût plus besoin de se considérer comme dans un miroir, mais se trouvât dans la substance. En conséquence, dès que la première image eut imaginé dans la sévère puissance, ce qui la rendit terrestre et la tua, l’esprit de Dieu conduisit sa volonté et sa vie dans la mort et reprit de la mort la première vie en soi, afin que la première demeurât en toute obéissance devant lui et que Lui seul fût le vouloir et aussi le pouvoir.

6. Nous reconnaissons donc que Dieu est entré dans l’image moitié morte, en Marie, entendez, et cela dans cette même forme virginale qui était enfermée dans la mort, dans laquelle Adam devait devenir enceinte et engendrer, dans la chasteté virginale, une image selon lui. C’est dans cette matrice virginale prisonnière et moitié-morte que le Verbe de Dieu ou cœur de Dieu, comme le centre de la Sainte-Trinité, est devenu, sans atteinte à son être, une forme humaine. Et puisque la première vivante et virginale matrice ne voulut pas en Adam obéir à Dieu, elle lui fut ici, après avoir été retirée de la mort, obéissante ; elle s’abandonna très humblement et promptement à la volonté de Dieu. Ainsi fut donc retracée la vraie image virginale dans l’obéissance à Dieu ; car la première volonté devait demeurer dans la mort, cette volonté qui avait imaginé contre la volonté de Dieu ; et une volonté pure, obéissante, surgit, qui demeura dans la douceur et l’être célestes, qui ne laissa plus l’image sourdre (s’élever) en elle (volonté) dans le feu, dans la qualité du Père, mais demeura dans une source, de même que la divinité ne vit (habite) que dans une source, savoir dans la lumière, dans le Saint-Esprit, et étend toutefois sa domination sur tous les trois principes.

7. Ainsi devons-nous entendre l’incarnation de Christ. Lorsque l’esprit de Dieu réveilla en Marie la vie virginale, qui dans l’essence terrestre était enfermée dans la mort et dans la fureur, cette vie s’adonna désormais à une seule volonté, savoir l’amour de Dieu, et se livra à l’esprit de Dieu ; elle (cette vie) devint ainsi enceinte d’une vraie image virginale, ce qui devait se faire en Adam, mais n’eut pas lieu, car une imagination se livra à l’autre. L’imagination de Dieu reçut l’imagination (d’Adam) dans la mort et la ramena à la vie, et cette vie imagina de nouveau en Dieu, devint enceinte de Dieu : ainsi devinrent la divinité et l’humanité une personne ; la divinité était suspendue à la céleste substantialité qui existait dès l’éternité, avec règne, puissance et majesté, soit le royaume paradisiaque, le monde angélique, en tant que l’esprit, et la septième forme au centre de la nature, comme cela est amplement détaillé dans la troisième partie ou livre de la triple vie. L’humanité était suspendue au règne de ce monde. Mais comme la volonté de l’humanité se livrait à la divinité, cette image virginale ne fut en Jésus-Christ qu’un hôte dans ce monde, et sa divinité était un dominateur de ce même monde. Car ainsi devait-il en être d’Adam : le plus petit et impuissant soumis au plus grand et tout puissant ; mais la volonté d’Adam alla dans le petit et impuissant, d’où il devint sans aucune puissance et tomba dans le sommeil ; puis échut de nouveau (retourna) au créateur. Mais en Christ, cette image demeura fixe dans la substantialité divine ; la source terrestre lui était suspendue et soumise ; elle ne dominait plus comme en Adam et en Marie sa mère, avant la haute bénédiction et manifestation de la divinité ; elle était servante ; car cette image était actuellement dans l’esprit et la puissance de Dieu, souveraine du troisième principe de ce monde.

8. La raison dit maintenant : Comment donc a eu lieu cette incarnation ? La vie a-t-elle donc commencé, contre l’ordre naturel, à l’instant même de la conception, de manière que la portion provenant de Marie ou la semence de la femme ait pris vie aussitôt ? Non, car ce fut une semence essentielle qui se mut (prit vie) en son vrai temps naturel, avec l’âme et l’esprit, comme tous les enfants d’Adam ; mais la partie divine, enveloppée de la substantialité et de la sagesse divines, vécut d’éternité en éternité : il ne fut rien ajouté ni ôté à la divinité, elle demeura ce qu’elle était, et ce qu’elle n’était pas, elle le devint. Elle se livra en substantialité céleste et divine à l’essence et à la substantialité de Marie : l’essence de Marie et l’essence divine devinrent une personne, mais l’essence de Marie était mortelle et l’essence divine immortelle ; c’est pourquoi les essences de Marie durent mourir sur la croix et entrer dans la vie par la mort ; à quoi coopérèrent les essences divines, autrement c’eût été impossible. Ainsi, l’essence divine nous vint en aide et nous aide encore maintenant à entrer, par la mort de Christ, dans l’essence et la vie divines.

9. L’homification de Christ fut donc naturelle, comme celle de tous les enfants des hommes, car la substantialité céleste, divine, se donna avec sa vie à la substantialité terrestre demi-morte : le maître se soumit au valet, afin que le valet pût vivre ; en neuf lunes, il devint un homme parfait, tout en demeurant un vrai Dieu ; il est arrivé dans ce monde de la même manière que tous les enfants d’Adam, par la même voie que tous les hommes. – Et cela, non qu’il en eût besoin, car il eût pu naître magiquement, mais parce qu’il voulait et devait remédier à notre génération et entrée en cette vie impures et bestiales. Il devait nous suivre dans notre entrée en ce monde et de là, nous conduire à l’entrée divine, nous sortir de la source terrestre.

10. Car s’il fût né magiquement, à la manière divine, il n’eût pas été dans un état naturel en ce monde, puisque la substantialité céleste eût dû engloutir la source terrestre ; il ne nous eût donc pas été semblable. Comment alors aurait-il voulu souffrir la mort, entrer dans la mort et la briser ? – Mais il n’en est point ainsi : il est véritablement la semence de la femme et il est entré dans ce monde par la voie naturelle, comme tous les hommes ; mais il en est sorti selon la voie divine, dans la puissance et la substantialité divines, par la mort. Ce fut sa substantialité divine, vivante, qui résista dans la mort, qui s’en joua et la brisa, et introduisit, par la mort, l’humanité blessée, demi-morte, dans la vie éternelle. Car la partie terrestre, venant de Marie, sa mère, qu’il prit à soi, c’est-à-dire admit dans son être divin, mourut, sur la croix, à la source terrestre. – L’âme se trouva ainsi dans la substantialité divine et entra, comme un prince victorieux, dans l’enfer de Satan, soit dans la colère de Dieu, et l’éteignit par l’amour et la douceur divine de la substantialité de l’amour divin. Le feu de l’amour pénétra le feu de la colère et noya la colère dans laquelle Satan voulait être dieu ; ainsi le diable fut fait captif avec les ténèbres et perdit sa domination, car l’aiguillon ou l’épée du chérubin ou ange de la mort, fut ici brisée. Ce fut pour cela que Dieu devint homme, afin qu’il nous introduisît de la mort dans l’éternelle vie et éteignît, par son amour, la colère qui brûlait en nous.

11. Comprenez bien comment la colère de Dieu fut éteinte ; non par le sang mortel de Christ qu’il répandit et au sujet duquel les Juifs se moquèrent de lui, mais par le sang de l’éternelle vie, de l’Être divin, qui était immortel ; celui-là avait la source de l’eau de la vie éternelle et fut répandu, sur la croix, avec le sang extérieur, et lorsque l’extérieur (sang) mourut, le céleste le suivit, mais il était immortel.

12. La terre a donc reçu le sang de Christ, ce dont elle trembla et frémit, car la fureur de Dieu fut alors vaincue en elle et le sang vivant la pénétra, sang qui, venant du ciel, de la substantialité divine, ouvrit les tombeaux des saints, ouvrit la mort, et traça un chemin au travers de la mort, qui, par là, fut donnée en spectacle ; car lorsque le corps du Christ ressuscita, ce corps fut une dérision de la mort, sa puissance était brisée !

 

 

 

 

CHAPITRE XI.

 

De l’utilité. À quoi sert à nous autres, pauvres enfants d’Ève, l’incarnation et la naissance de Jésus-Christ, le Fils de Dieu.

 

 

La plus sublime porte.

 

1. Nous, pauvres enfants d’Ève, étions tous morts en Adam, et quoique nous vécussions, ce n’était cependant qu’à ce monde, la mort nous attendait et engloutissait l’un après l’autre ; il n’y avait point de salut pour nous, si Dieu ne nous eût pas engendrés de nouveau de son être ; nous n’aurions pas reparu dans nos corps en toute éternité, et nos âmes seraient éternellement demeurées dans la source de la colère divine, auprès de tous les démons. Mais l’incarnation de Jésus-Christ nous est une puissance acquise, car pour l’amour de nous, Dieu est devenu homme, afin qu’il retirât notre humanité de la mort en lui et délivrât nos âmes du feu de la colère divine. Car l’âme est en elle-même une source de feu et s’originise du premier principe, l’âpre rigidité qui n’engendre que le feu. Si donc l’on retire à l’âme ainsi constituée la douceur et l’amour divins, ou si elle est infectée de matière tout à fait âpre, elle demeure une source dans les ténèbres, une âpreté très rude, se dévorant elle-même et engendrant néanmoins dans la volonté toujours une nouvelle faim. Car une chose qui n’a ni commencement ni fond, n’a, de même, pas de fin : elle est elle-même son fond et s’engendre soi-même.

2. Nous ne voulons cependant pas dire non plus que l’âme soit sans commencement : elle en a un, mais selon la créature seulement, non selon l’essence ; son essence est dès l’éternité, car le fiat divin l’a saisie dans le centre de la nature éternelle et amenée en être substantiel ; de plus, avec la ┼ entière, avec le caractère de la Sainte-Trinité, comme une ressemblance du triple esprit de la divinité dans laquelle Dieu habite ; selon que cela a lieu dans l’amour ou dans la colère, cela se trouve dans la lumière ou dans le feu : l’âme s’engrosse de ce dans quoi elle porte son imagination, car elle est un esprit magique, une source en soi-même. Elle est le centre de l’éternité, un feu de la divinité dans le père ; non, toutefois, dans la liberté du père, mais dans l’éternelle nature : elle n’est pas avant l’être, mais dans l’être ; la liberté divine, par contre, est hors de l’être, mais habite dans l’être. Car dans l’être, Dieu est manifeste, et sans l’être il n’y aurait point de Dieu, ce serait un silence éternel sans source ; mais le feu est engendré dans la source et du feu la lumière ; les deux se séparent alors et ont chacun leur source, savoir une furieuse, affamée et altérée dans le feu, et une douce, aimable et donnante dans la lumière, car la lumière donne et le feu prend. La lumière donne la douceur qui se transforme en substantialité, laquelle est l’aliment du feu, sans quoi il serait une faim furieuse et ténébreuse en soi-même, tel qu’est un esprit privé de l’essence de la lumière, cela se compare à un poison défaillant ; mais s’il reçoit la douceur, il l’attire en soi, habite en elle et en fait son aliment et son corps, il s’en imprègne et s’en engrosse, car la douceur le remplit, en sorte que la faim est apaisée.

3. Considérons donc l’âme humaine : elle fut prise du centre de la nature, non du miroir de l’éternel ou de la source de ce monde, mais de l’éternelle essence de l’esprit de Dieu, du premier principe, de la qualité du père selon la nature ; non d’une substance ou de quelque chose, mais l’esprit de la divinité lui insuffla lui-même la vie, entendez à l’image en Adam, de tous les trois principes. Il lui a insufflé pour sa vie le centre de la nature, soit la source de feu, et aussi la douceur de l’amour, de l’être de la divinité, soit l’autre principe, avec la substantialité divine céleste, et aussi l’esprit de ce monde, comme le miroir et la représentation de la sagesse divine et de ses merveilles.

4. Mais l’esprit de ce monde est corrompu par l’enflammement du diable et le poison qu’il y a introduit, car Satan habite ce monde et infecte constamment la nature et la propriété extérieures, bien qu’il ne soit puissant que dans la fureur ou dans l’âpre désir ; mais il porte son imagination et sa fausse teinture même dans l’amour et empoisonne le meilleur joyau des âmes ; il a infecté l’âme d’Adam par son imagination et son méchant esprit affamé, de telle sorte qu’elle désira la source terrestre et s’en engrossa par ce désir, ce qui introduisit le règne extérieur dans l’intérieur et éteignit la lumière dans le feu du premier principe ; de plus, sa substantialité divine, dans laquelle il devait vivre éternellement, fut enfermée dans la mort terrestre.

5. C’en était donc fait de cette image et de cette âme, à moins que la divinité ne se mût en elles, dans l’autre principe, savoir dans la lumière de l’éternelle vie, et n’allumât de nouveau, par l’éclat de l’amour, la substantialité enfermée dans la mort, ce qui s’effectua par l’incarnation de Christ, et c’est ici la plus grande merveille que Dieu ait opérée, que de s’être mu, par le centre de la Sainte-Trinité, dans la semence de la femme ; car le cœur de Dieu ne voulut pas se manifester dans le feu, soit dans la teinture masculine, mais dans la teinture de l’esprit, soit en Vénus, dans l’amour de la vie, pour que le feu, dans la teinture masculine, fût saisi par la douceur et l’amour divins ; car de la mort captive devait et pouvait verdir de nouveau l’éternelle vie : ici a verdi la racine de Jessé et vraie verge d’Aaron, et porté de beaux fruits ; lorsqu’Adam devint terrestre, le paradis fut enfermé dans la mort, mais en Christ, il verdit de nouveau de la mort.

6. D’Adam nous avons tous hérité la mort, de Christ nous héritons la vie éternelle : Christ est l’image virginale qu’Adam devait engendrer de soi avec les deux teintures ; mais comme il ne le put pas, il fut divisé et dut engendrer de deux corps, jusqu’à ce que vint le Siloh, c’est-à-dire le Fils de la vierge, qui naquit de Dieu et de l’homme. Il est le vainqueur dont les prophètes ont parlé, qui s’élève comme un géant et verdit comme un laurier dans l’Être divin : il a brisé la mort par son entrée dans l’essence humaine demi-tuée, car il a verdi en même temps dans l’essence humaine et dans l’essence divine. Avec lui est entrée dans notre humanité la chasteté virginale de la sagesse divine, il entoura l’essence de notre âme de substantialité céleste. Il fut le héros en combat alors que les deux règnes se combattaient, savoir la colère de Dieu et l’amour divin ; il se livra volontairement à la colère et l’éteignit par son amour, entendez dans l’essence humaine. Il vint de Dieu en ce monde, et prit notre âme en lui pour nous retirer de la terrestréité de ce monde et nous introduire de nouveau en Dieu. Il nous engendra de nouveau en soi, afin que nous devinssions de nouveau susceptibles de vivre en Dieu ; il nous engendra de sa volonté, afin que nous missions notre volonté en lui, et de cette manière, il nous conduisit en soi au Père et de nouveau dans notre première patrie, dans le paradis, d’où Adam était sorti. Il est devenu notre source vive, son eau jaillit en nous : il est notre fontaine et nous ses gouttes en lui. Il est devenu la plénitude de notre substantialité, afin qu’en lui nous vivions en Dieu : car Dieu est devenu homme ; il a introduit son être insondable et incommensurable dans l’humanité, il a manifesté, dans cette humanité, son être qui remplit le ciel. Ainsi l’être humain et l’être divin sont devenus un seul être, une plénitude de la divinité : notre être est sa motion dans son ciel ; nous sommes ses enfants, sa merveille, sa motion dans son corps insondable. Il est père, et nous sommes ses enfants en lui : nous demeurons en lui et lui en nous ; nous sommes son instrument, avec lequel il cherche et fait ce qu’il veut ; il est le feu et aussi la lumière en toutes choses ; il est caché et l’œuvre le manifeste.

7. Ainsi nous reconnaissons que Dieu est un esprit et que son éternelle volonté est magique, désirante ; il fait constamment de rien l’être, et cela en deux sources, savoir selon le feu et selon la lumière : du feu naît la fureur, l’élèvement, l’orgueil, une opposition à s’unir à la lumière, une volonté furieuse, sévère, selon laquelle il ne s’appelle point Dieu, mais un feu dévorant, furieux. Ce feu n’est pas non plus manifeste dans la divinité proprement dite, car la lumière a englouti le feu en soi et donne au feu son amour, sa substantialité, son eau, en sorte que, dans l’être divin, il n’y a qu’amour, joie et délices, aucun feu n’y est en évidence ; mais le feu est seulement cause de la volonté désirante et de l’amour, ainsi que de la lumière et de la majesté, sans quoi il n’y aurait point d’être, ce qui a été exposé en détail dans les précédents écrits.

8. Nous voyons maintenant en quoi consiste notre nouvelle naissance (puisqu’enfin nous sommes couverts en ce monde d’une enveloppe terrestre et dévolus à une vie terrestre), savoir, uniquement dans l’imagination : nous devons entrer, par notre volonté, dans la volonté de Dieu, nous unir et nous abandonner entièrement à lui, ce qui s’appelle la foi. Car le mot foi n’est point historique, mais c’est un prendre de l’être divin, manger de l’Être divin, conduire l’Être divin, par l’imagination, dans son feu d’âme, apaiser par là sa faim, et ainsi revêtir l’être divin, non comme un vêtement, mais comme un corps de l’âme : l’âme doit posséder l’être divin dans son feu ; elle doit manger du pain de Dieu, si elle veut être son enfant.

9. De cette manière, elle sera réengendrée aussi dans l’esprit et l’être de Dieu qui l’a transplantée du champ de la fureur et de la colère dans celui de l’amour, de la douceur et de l’humilité divines, où elle pousse une fleur nouvelle qui croît dans l’amour divin, dans le champ divin ; cette fleur est la vraie, pure image de la divinité que Dieu désirait lorsqu’il créa Adam à sa ressemblance, et c’est Jésus-Christ qui nous l’a réengendrée, lui, Fils de Dieu et de l’homme. Car sa régénération de Dieu et de notre être est notre régénération ; sa puissance, sa vie, son esprit : tout est à nous ; et notre coopération à cela consiste uniquement à ce qu’avec notre esprit de volonté nous entrions par lui dans l’Être divin ; alors notre volonté est renouvelée (réengendrée) dans la volonté de Dieu et reçoit la puissance et l’être divins ; non étrangers, mais primitifs, que nous possédions alors que nous mourûmes en Adam ; nous les recouvrons par le premier-né d’entre les morts, savoir par Christ. Il est Dieu, mais né de nous, pour nous rappeler à la vie ; non à une vie étrangère que nous n’aurions pas eue en ce monde, mais à notre propre vie, car le plan de Dieu doit demeurer : la belle fleur et image doit croître du champ corrompu, et non seulement cela, mais encore du champ pur.

10. Nous devions renaître de la vierge et non de l’homme de la colère, de la teinture du feu, mais de la vierge de l’amour, de la teinture de la lumière. Nous revêtons, par notre abandon, la vierge-Christ, et devenons par là des vierges pudiques, chastes et pures dans le Saint-Ternaire, dans le monde angélique, un miroir de la Sainte-Trinité, dans lequel Dieu se considère, qu’il a pris pour époux ; il est notre époux, auquel nous sommes, en Christ, mariés, unis et incorporés ; nous sommes maintenant Marie dans l’alliance de la grâce, de l’agnelle naît le Dieu-homme. Marie fut la première quant à la haute bénédiction, car en elle était le but que l’alliance avait en vue. Elle fut reconnue en Dieu, dans le précieux nom de Jésus, avant que le fondement du monde fût posé ; non qu’elle tirât la vie de la mort, mais parce que Dieu voulait en elle ramener la vie de la mort. C’est pourquoi elle fut hautement bénie et revêtue de la pure et virginale chasteté. Or, de cette même virginité dont Christ naquit, devons-nous tous naître aussi, car nous devons devenir des vierges et suivre l’agneau divin, autrement nous ne verrons pas Dieu, aussi Christ dit : il vous faut naître de nouveau, si vous voulez voir le royaume de Dieu, et cela par l’eau et le Saint-Esprit. L’eau est la virginité, car la vierge siège dans la teinture de la lumière et de l’eau ou dans l’amour et la douceur ; et l’esprit dont nous devons naître est celui qui, par la motion de la divinité, se donna à la semence de la femme, brisa la mort et fait naître de l’eau une fleur de lumière flamboyante dont il est l’esprit et la vie, non selon la source de feu de la fureur, mais selon la source de la lumière dans la douceur et l’humilité.

 

 

 

 

CHAPITRE XII.

 

De la pure virginité ; comment nous, pauvres enfants d’Ève, nous devons, de la pure et virginale chasteté, être conçus dans l’incarnation de Christ et naître de nouveau en Dieu, autrement nous ne verrons pas Dieu.

 

 

1. Nous, pauvres enfants d’Ève, ne trouvons en nous aucune vraiment pure, chaste et virginale pensée, car la mère Ève qui était une femme nous a tous fait mâle ou femelle : par Adam et Ève nous sommes tous devenus des hommes et des femmes, à moins que par notre volonté désirante nous n’entrions dans la céleste virginité en laquelle Dieu nous a réengendrés de Christ en vierges. Non selon la vie terrestre, dans laquelle il n’y a ni chasteté ni pureté, mais selon la vie de la céleste vierge en laquelle Christ devint homme, dont fut revêtue Marie par l’obombrement du Saint-Esprit ; qui est sans fond, sans limite ni fin, qui est en tous lieux devant la divinité et est un miroir et ressemblance de la divinité. Dans cette vierge, en laquelle habite la Sainte-Trinité, dans laquelle avant les temps de ce monde nous avons été vus par l’esprit de Dieu et reconnus dans le nom de Jésus, devons-nous entrer par notre esprit de volonté. Car notre vraie image, dans laquelle nous sommes la ressemblance de Dieu, s’est éclipsée pour nous en Adam et Ève et est devenue terrestre, ce qui eut lieu par le désir ou imagination : ainsi nous fut cachée la claire face de Dieu, car nous perdîmes la céleste chasteté.

2. Mais puisque, par grâce et par amour pour nous, Dieu nous a de nouveau découvert dans l’incarnation de Christ sa lumineuse face, il ne s’agit plus que de ceci, savoir, que tout comme en Adam nous avons porté notre imagination dans la passion terrestre et en sommes devenus terrestres, nous mettions maintenant de nouveau notre volonté désirante dans la céleste vierge et y placions notre amour ; alors notre image sort de la femme terrestre et reçoit l’essence et la propriété virginales, dans lesquelles Dieu habite et où l’image de l’âme peut de nouveau atteindre la face de Dieu.

3. La raison extérieure dit : Comment peut-il se faire que nous soyons réengendrés de la vierge de laquelle Christ naquit ? – Elle voit uniquement Marie. – Mais nous n’entendons pas Marie qui est une vierge créaturelle, telle que nous devenons dans l’immatériel régime virginal. – Nous serons réengendrés, si nous entrons dans l’incarnation de Christ, non selon la vie extérieure, dans les quatre éléments, mais selon l’intérieure, dans l’élément unique où le feu divin engloutit en soi les quatre éléments ; et si, dans sa lumière, savoir, dans l’autre principe, dans lequel l’homme et la femme extérieurs doivent, par la mort, entrer dans la résurrection de Christ, nous reverdissons (renaissons), dans la vraie virginale sagesse divine, une vierge dans l’élément unique, renfermant les quatre. Il nous faut mourir à l’homme et à la femme et crucifier l’Adam corrompu : il doit mourir avec Christ et être jeté dans la colère du Père, qui engloutit l’homme et la femme terrestres et donne à l’âme, par l’incarnation de Christ, une image virginale, où l’homme et la femme ne sont qu’une image, avec l’amour de soi-même. Maintenant l’homme place son amour dans la femme et la femme dans l’homme ; mais si les deux amours sont convertis en un seul, il n’y a plus, dans l’image unique, aucun désir pour le mélange, l’image s’aime soi-même.

4. Au commencement, l’image a donc été créée dans la virginale sagesse divine, soit de la substantialité divine, et comme la substantialité est devenue terrestre et est tombée dans la mort, le Verbe qui devint homme la réveilla ; alors la source terrestre demeure à la mort dans la colère, et ce qui a été réveillé demeure dans le Verbe de la vie, dans le régime virginal. Ainsi nous sommes sur cette terre un homme double en une personne ; savoir, une image virginale née de l’incarnation de Christ et une image terrestre, d’homme ou de femme, renfermée dans la mort et dans la colère de Dieu. La terrestre doit porter la croix, se laisser tourmenter, persécuter et mépriser dans la colère, enfin mourir ; alors la colère l’engloutit dans le feu divin inqualifiant (essentiel) ; mais si le Verbe de la vie, qui en Marie devint homme, se trouve dans l’image terrestre, Christ, qui apporta de Dieu la parole de vie, ressuscite, et conduit l’essence du feu inqualifiant, entendez l’essence humaine, hors de la mort, car il est ressuscité de la mort et vit en Dieu ; sa vie est devenue notre vie, sa mort notre mort ; nous sommes ensevelis dans sa mort ; mais nous reverdissons dans sa résurrection, dans sa victoire, dans sa vie.

5. Mais entendez bien le sens : Adam était l’image virginale, il avait le propre amour, car l’esprit de Dieu le lui avait insufflé. Quoi d’autre, en effet, peut souffler de soi l’esprit de Dieu que ce qu’il est lui-même ? Il est bien tout, mais non, cependant, de toute source, nommé Dieu : en toutes il n’y a qu’un seul esprit qui est Dieu, selon l’autre principe, dans la lumière, et cependant, il n’y a pas de lumière sans feu. Mais dans le feu il n’est pas l’esprit d’amour ou le Saint-Esprit, mais bien la fureur de la nature et une cause du Saint-Esprit, une colère et un feu dévorant ; car dans le feu, l’esprit de la nature devient libre, et le feu essentiel donne cependant aussi la nature, et est lui-même la nature.

6. Nous n’entendons cependant qu’un seul Esprit saint dans la lumière, et quoique ce soit bien un tout, nous entendons néanmoins que la matière engendrée de la douceur de la lumière est comme impuissante et sombre, attirant à soi et engloutissant le feu ; mais donnant de la source matérielle, du feu, un esprit puissant qui là est libre de la matière et aussi du feu ; bien que le feu le retienne, il n’atteint cependant pas sa source ; comme nous voyons que la lumière demeure dans le feu et n’a cependant pas la source du feu, mais une douce source d’amour, ce qui n’aurait pas lieu non plus si la matière n’était pas morte dans le feu et n’avait pas été dévorée par lui.

7. Nous considérons le premier Adam comme suit : il avait été imaginé de l’essence et substantialité de la lumière ; mais parce qu’il devait devenir une créature et être une ressemblance parfaite de Dieu, selon tout son être, selon tous les trois principes, il fut saisi (rassemblé) par le Verbe fiat dans tout l’être des trois principes et formé en créature. Les trois principes étaient à la vérité libres en lui, reposant l’un dans l’autre, chacun dans son ordre ; c’était une entière, parfaite ressemblance de Dieu, selon et de l’être de tous les êtres ; mais il nous faut reconnaître que le troisième principe ou la source de ce monde était devenu, par l’embrasement de Lucifer, tout à fait furieux, altéré (soif) et mauvais, et que cette source a eu immédiatement soif en Adam de l’autre principe ou de la matière céleste, d’où naquit en Adam la passion. Car la source du pur amour, émanant du Saint-Esprit, avait défendu cela ; mais lorsque l’amour entra dans la source terrestre, pour étancher la soif de celle-ci, le pur, immatériel amour reçut la passion désireuse, terrestre et corrompue. Ici s’éteignit l’autre principe, non comme une mort, non qu’il soit devenu un rien ; mais il fut saisi par la furieuse soif, et comme Dieu est lumière, la pure source d’amour se trouva enfermée dans la mort, hors de la lumière divine : ici l’image fut altérée et prisonnière de la fureur de Dieu, le propre amour perdit sa puissance, car il fut enfermé dans la terrestréité, corrompue et l’aima.

8. De cette image dut donc être fait une femme, et les deux teintures, savoir l’essence de feu et l’essence aqueuse de la matrice, divisées en un homme et une femme, afin que l’amour pût pourtant se mouvoir ainsi en deux sources différentes, qu’une teinture aimât et désirât l’autre, et qu’elles se mêlassent, pour la conservation et la multiplication de l’espèce.

9. Mais la race humaine, ainsi établie dans la source terrestre, ne pouvait ni connaître ni voir Dieu, car le pur amour sans tache était captif de la source terrestre altérée (soif) et se trouvait pris dans la soif de la fureur de l’éternelle nature que Lucifer avait allumée, la fureur ayant attiré à soi l’amour avec la terrestréité. Or, dans cet amour captif gisait la chasteté virginale de la sagesse divine, qui, avec l’autre principe, avec la céleste substantialité, plutôt l’esprit de leur douce substantialité, avait été incorporée à Adam par l’insufflation du Saint-Esprit.

10. Maintenant, il n’y avait plus aucun remède, sinon que la divinité se mût dans la vierge divine, selon l’autre principe, dans la virginité renfermée dans la mort, et qu’une autre image sortit de la première. Il nous est connu et assez compréhensible que la première image devait être livrée à la fureur pour apaiser sa soif, et être détruite dans le feu essentiel, bien que l’essence ne passe ni ne meure, pour quelle cause Dieu a fixé un jour où l’essence du vieil et premier Adam sera par lui passée au travers du feu, pour qu’elle soit délivrée de la vanité, ainsi que de la passion du diable et de la colère de l’éternelle nature.

11. Nous comprenons en outre comment Dieu a ramené en nous la vie de son saint Être, savoir en se mouvant de son propre cœur ou parole et puissance de la vie divine, dans la virginité enfermée dans la mort, c’est-à-dire dans le vrai pur amour ; en allumant de nouveau cet amour et en introduisant sa céleste substantialité, avec la pure virginité, dans la virginité renfermée dans la mort : de la céleste virginité et de celle renfermée dans la mort et la colère, il a engendré une nouvelle image.

12. Nous comprenons, en troisième lieu, que cette nouvelle image a dû, par la mort et la fureur du feu, être introduite de nouveau dans la céleste, divine substantialité, dans le Saint-Ternaire ; car la passion terrestre que le diable avait possédée, devait demeurer dans le feu de la colère et fut donnée au démon pour son aliment ; il doit être prince là-dedans, selon la source de la fureur de l’éternelle nature ; car Satan est l’aliment de la fureur, et la fureur celui de Satan.

13. Puis donc que le Verbe de l’éternelle vie s’est de nouveau mu dans notre froid amour et dans notre virginité renfermée dans la mort, et a pris à lui notre virginité altérée, en devenant un homme selon l’intérieur et l’extérieur, et qu’il a introduit le centre ou notre feu d’âme dans son amour, nous reconnaissons son amour et sa virginité introduits en nous pour notre propre virginité ; car son amour et sa virginité se sont mariés et donnés à notre froid amour, à notre virginité, afin que Dieu et l’homme fussent éternellement une seule personne.

14. La raison dit ici : Cela s’est effectué en Marie, soit dans une seule personne, mais moi, où demeuré-je ? Christ n’est pas né aussi en moi.

15. Hélas ! ici se dévoile notre grande misère et aveuglement, nous ne voulons pas comprendre. Combien la passion matérielle nous a aveuglés et le démon séduits par et avec l’abominable antéchrist en Babel, au point que nous ne voulions faire aucun usage de notre entendement ! Vois pourtant, misérable et déplorable raison, ce que tu es ! Rien autre qu’une prostituée devant Dieu. Comment te nommerai-je autrement, puisqu’enfin tu es violatrice et parjure devant Dieu à la pure virginité ? N’as-tu pas la chair, l’âme et l’esprit d’Adam, n’es-tu pas provenue de lui ? N’es-tu pas issue de l’eau et du feu d’Adam ? Tu es bien son enfant. Fais ce que tu voudras, il faut que tu te tiennes coite ; tu nages dans le mystère d’Adam, soit dans la vie soit dans la mort.

16. Le Verbe divin (la virginité renfermée en Adam dans la mort) est bien devenu homme : le cœur de Dieu s’est mu dans la virginité d’Adam, et de la mort, au travers du feu divin, l’a introduite, dans la source divine ; Christ est devenu Adam ; non l’Adam divisé, mais l’Adam virginal, tel qu’il était avant son sommeil. Il a conduit l’Adam corrompu dans la mort, dans le feu divin, et a retiré de la mort l’Adam pur, virginal, par le feu. Tu es son fils, en tant que tu ne demeures pas étendu dans la mort comme un bois pourri qui ne peut inqualifier, qui dans le feu ne donne aucune essence, mais se réduit en cendre terreuse.

17. La raison dit encore : Comment se fait-il donc, puisque je suis un membre de Christ et l’enfant de Dieu, que je ne le sente ni ne l’aperçoive ? Réponse, oui, ici est le nœud, mon cher petit tronc souillé, fouille en ton sein, qu’appètes-tu ? La passion du diable, savoir : la volupté temporelle, l’avarice, les honneurs et la puissance. Écoute : c’est là le vêtement du diable ; dépouille-le et le jette ; place ton désir dans la vie de Christ, dans son esprit, sa chair et son sang ; porte ton imagination là-dedans, comme tu l’as portée dans la passion terrestre ; alors tu revêtiras Christ dans ton corps, ta chair et ton sang ; tu deviendras Christ ; son incarnation se mouvra aussitôt en toi, tu renaîtras en Christ.

18. Car la divinité ou le Verbe qui se mut en Marie et devint homme, le devint en même temps aussi dans tous les hommes morts dès Adam qui avaient remis et abandonné leur esprit à Dieu ou au Messie promis. Ce Verbe reposa aussi sur tous ceux qui devaient encore naître de l’Adam corrompu et se laisseraient seulement réveiller par lui ; car le premier homme comprend aussi le dernier. Adam est le tronc, nous tous sommes ses branches : Christ est devenu notre suc, notre force, notre vie. Si, maintenant, une branche sèche à l’arbre, qu’y peut la sève et la force de l’arbre ? La force se distribuant à toutes les branches, pourquoi la branche n’attire-t-elle pas à soi la sève et la force ? C’est la faute de l’homme s’il attire en lui le pouvoir et l’essence diaboliques au lieu de l’essence divine, et se laisse entraîner par le démon au désir et à la passion terrestres. Car Satan connaît la branche qui lui a poussé et pousse encore dans son ci-devant royaume. Puis, comme il a été un menteur et un meurtrier dès le commencement, il l’est encore, et infecte les hommes, parce qu’il sait que, par le régime extérieur des astres, ils sont tombés dans son attrait magique. Il est donc un empoisonneur constant de la complexion et où il flaire une étincelle qui lui sert, il la présente sans cesse à l’homme ; si celui-ci y porte son imagination, il l’infecte aussitôt.

19. C’est pourquoi il est dit : Veillez, priez, soyez sobres, menez une vie tempérante ; car Satan, votre adversaire, tourne autour de vous comme un lion rugissant, cherchant qui il pourra dévorer (I Pierre V : 8). Ne recherchez donc pas l’avarice, l’argent, le bien, la puissance et les honneurs, car en Christ nous ne sommes pas de ce monde. Christ alla au Père soit dans l’Être divin, afin que, de nos cœurs, de nos sens et de notre volonté, nous le suivissions ; alors il sera avec nous tous les jours, jusqu’à la fin du monde (Math. XXVIII : 20) ; mais non dans la source de ce monde. Nous devons sortir de la source de ce monde, de l’homme terrestre, et abandonner notre volonté à la volonté de Christ, introduire notre imagination et notre désir en lui ; alors nous devenons enceintes dans sa virginité qu’il a de nouveau animée en nous et recevons la parole qui se mut en lui, dans notre virginité enfermée dans la mort : nous naissons de nouveau en Christ en nous-mêmes. Car de même que la mort pénétra en nous tous par Adam, de même pénètre en nous tous, par Christ, le Verbe de la vie : la motion de la divinité dans l’incarnation de Christ subsiste encore et est ouverte à tous les hommes ; il ne manque que la volonté d’entrer, l’homme se laisse retenir par le démon. Christ ne peut avant quitter son siège et faire son entrée en nous, lorsque nous renaissons en lui, car l’Être divin, dans lequel il naquit, renferme en tout espace et en tout lieu l’autre principe. Partout où l’on peut dire Dieu est là présent, on peut dire de même là est aussi présente l’incarnation de Christ ; car elle s’est manifestée en Marie et inqualifie ainsi en arrière d’elle jusqu’à Adam, et devant soi jusqu’au dernier homme.

20. Maintenant, la raison dit : la foi l’atteint seule. Oui, certes, dans la vraie foi commence la grossesse, car la foi est esprit et désire la substance, et la substance est sans cela en tous les hommes ; il ne manque autre chose, sinon qu’elle saisisse l’esprit de la foi ; et s’il est saisi, le beau lys fleurit et croît ; non-seulement un esprit, mais encore l’image virginale passe de la mort à la vie. La verge d’Aaron, qui est sèche, verdit de l’aride mort et prend corps de cette mort : de la virginité demi-morte, la belle et nouvelle vie virginale. La verge sèche d’Aaron signifiait cela ; de même le vieux Zacharie, Abraham et sa vieille Sara ; lesquels, selon le monde extérieur, étaient tous comme demi-morts et stériles. Mais la promesse, dans la nouvelle naissance, devait le faire, la vie devait verdir de la mort. Non le vieil Adam qui était terrestre, doit être seigneur ; non plus Ésaü, le premier né, auquel cependant l’héritage aurait appartenu si Adam avait subsisté ; mais l’autre Adam, Christ, qui verdit du premier par la mort, doit demeurer Seigneur. Non l’homme ou la femme doit posséder le royaume de Dieu, mais la vierge qui est engendrée de la mort de l’homme et de la femme, doit être reine des cieux. Un sexe, non deux, un arbre, non plusieurs. Christ fut le tronc, parce qu’il fut la racine du nouveau corps qui verdit de la mort ; qu’il tira de la mort, comme une belle branche, la vierge demi-tuée. Nous tous sommes les branches et reposons tous sur un tronc qui est Christ.

21. Ainsi, nous sommes les branches de Christ, ses rameaux, ses enfants, et Dieu est à nous tous et aussi le Père de Christ ; nous vivons, nous nous mouvons et nous reposons en lui ; mais en tant que nous naissons de nouveau ; car c’est dans l’esprit de Christ que nous renaissons. Lequel, en Marie, en l’humanité morte, devint un homme vivant, sans l’attouchement d’un homme. C’est lui aussi qui, en nous-mêmes, dans notre virginité morte, devint un nouvel homme. Il ne manque désormais qu’une chose, c’est que nous jetions le vieil Adam ou l’enveloppe dans la mort, que la source de la vie terrestre s’en aille de nous et qu’ainsi nous sortions du domaine du diable.

22. Et pas même cela, car le vieil Adam ne doit pas être ainsi totalement rejeté, mais seulement l’enveloppe, la couverture dans laquelle la semence est cachée ; l’homme nouveau doit, de la vieille essence, verdir dans la motion divine, comme une tige hors du grain, ainsi que nous l’enseigne Christ. C’est pourquoi l’essence doit être jetée dans la colère divine, être persécutée, tourmentée, méprisée et succomber sous la croix ; car c’est du feu de la colère divine que le nouvel homme doit verdir ; il doit être éprouvé par le feu ; nous étions échus à l’essence de la colère, mais l’amour de Dieu se plaça dans la colère et l’éteignit dans le sang de la substantialité céleste dans la mort de Christ ; ainsi la colère retint l’enveloppe ou l’homme corrompu, entendez la source terrestre, et l’amour retint l’homme nouveau ; c’est pourquoi nul homme ne doit plus répandre de sang céleste, mais le terrestre, mortel seulement. Christ uniquement, conçu sans homme et femme, pouvait le faire ; car dans sa céleste substantialité ne se trouvait point de sang terrestre ; il répandit son sang céleste parmi le terrestre, afin de nous délivrer, nous autres pauvres hommes terrestres, de la fureur ; son sang céleste dut, lors de sa crucifixion, se mêler avec le terrestre pour que la turba, dans la terrestréité en nous, qui nous tenait captifs, fut noyée et la colère éteinte par l’amour du sang céleste. Il abandonna, pour nous, sa vie à la mort, alla pour nous en enfer, dans la source de feu du Père, et de l’enfer, de nouveau en Dieu, pour briser la mort, noyer la colère et nous frayer le chemin. Lorsque Christ fut suspendu à la croix et y mourut, nous y fûmes suspendus avec lui et en lui, et mourûmes en lui ; nous ressuscitâmes aussi avec lui et vivons éternellement en lui, comme un membre au corps. C’est ainsi que la semence de la femme a écrasé la tête du serpent : Christ l’a fait en nous et nous en lui : l’essence divine et l’essence humaine l’ont fait.

23. Il ne s’agit plus maintenant, pour nous, que de le suivre : Christ a bien brisé la mort et éteint la colère ; mais si nous voulons devenir semblables à son image, nous devons le suivre aussi dans sa mort, charger sa croix sur nous, nous laisser persécuter, mépriser, moquer et tuer. Car la vieille enveloppe appartient à la colère de Dieu ; elle doit être balayée, parce que non le vieil homme, mais le nouveau doit vivre en nous ; l’ancien est abandonné à la colère ; car de la colère fleurit le nouveau, comme la lumière luit du feu. Le vieil Adam doit ainsi servir de bois pour le feu, afin que le nouveau verdisse dans la lumière du feu, car il faut qu’il subsiste dans le feu. Rien de ce qui ne peut résister au feu et qui n’en tire pas son origine n’est éternel.

24. Notre âme est née du feu divin et le corps du feu de la lumière ; entends cependant toujours, quant au corps, une substantialité passive, qui n’est pas esprit, mais un feu essentiel ; l’esprit est beaucoup plus élevé, car son origine est le feu de la fureur, de la source de la fureur, et sa vraie vie ou corps, qu’il a en lui, est la lumière de la douceur ; cela demeure dans le feu et donne au feu sa douce nourriture ou amour ; sans quoi, le feu ne subsisterait pas, il veut avoir à dévorer. Car Dieu le Père dit : je suis un Dieu colérique, jaloux, furieux, un feu dévorant (Deut. IV : 24) ; et se nomme pourtant aussi un Dieu miséricordieux, aimant (I Job IV : 8), selon sa lumière, selon son cœur. C’est pourquoi il dit : je suis miséricordieux, car dans la lumière naît l’eau de l’éternelle vie qui éteint le feu et la fureur du Père.

 

 

 

 

CHAPITRE XIII.

 

De l’homme double, soit de l’ancien et du nouvel Adam ; comment le vieil et mauvais se comporte envers le nouveau ; la religion, la vie et la foi de chacun d’eux ; en outre, ce que chacun d’eux comprend.

 

 

1. Tout ce que le vieil Adam enseigne, écrit, prêche ou dit de Christ, par science ou comme que ce soit, vient de la mort et n’a ni intelligence ni vie ; car le vieil Adam est mort à Christ. Le nouvel Adam seul, né de la vierge, doit le faire ; celui-là seul comprend la parole de la nouvelle naissance et entre par la porte de Christ dans le bercail. Le vieil Adam veut y entrer par science et recherches ; il croit que Christ peut être suffisamment saisi dans la lettre ; que celui-là est appelé de Dieu et destiné à enseigner, qui a appris les sciences et les langues, qui a beaucoup lu ; que l’esprit de Dieu doit parler par son prêche, bien qu’il ne soit que le vieil Adam corrompu. Mais Christ dit : Ceux-là sont des voleurs et des meurtriers, venus seulement pour piller et voler. Qui n’entre pas par la porte dans le bercail, mais y monte par ailleurs, est un voleur et un meurtrier (Jean X : 1). Et plus loin : Je suis la porte pour aller aux brebis ; qui entre par moi trouvera la pâture et les brebis le suivront (Jean X : 9). Mais celui qui n’est pas avec moi est contre moi.

2. Un docteur doit absolument être né de Christ, ou bien il est un voleur et un meurtrier et ne prêche que pour son ventre ; il le fait pour l’argent et les honneurs ; il enseigne sa parole, non la parole de Dieu. Mais s’il est né de Christ, il enseigne la parole de Christ, car il est dans l’arbre de Christ et donne son son de l’arbre de Christ, dans lequel il est. La cause de toutes ces contestations sur la terre réside en ce que les hommes se donnent des prédicateurs de leur goût (l’auteur dit : selon que les oreilles leur chantent), que le vieil et méchant Adam entend volontiers, qui plaisent à son orgueil, à sa volupté charnelle, à son désir de puissance et de magnificence.

3. Ô docteurs du diable, comment subsisterez-vous devant la colère de Dieu ? Pourquoi enseignez-vous alors que vous n’êtes point envoyés de Dieu ? – Vous êtes les envoyés de Babel, de la grande prostituée, de la mère de la grande prostitution spirituelle sur la terre ! – Vous n’êtes pas nés de la vierge, mais de femmes adultères ; car non-seulement vous enseignez les vanités humaines, mais encore vous persécutez ceux qui sont envoyés pour enseigner, nés de Christ. Vous disputez pour la religion et il n’y a pourtant aucun combat dans la religion : il y a diversité de dons, mais un seul esprit parle. Tout comme un arbre a différentes branches, que le fruit est de forme diverse et ne se ressemble pas absolument ; ou comme la terre produit diverses plantes et fleurs, la terre étant la mère unique : de même en est-il de ceux qui parlent par l’esprit de Dieu ; chacun d’eux parle de la merveille de ses dons. Mais l’arbre et le champ sur lequel ils reposent est Christ en Dieu ; et vous, garrotteurs d’esprit, ne voulez pas souffrir cela ; vous voulez fermer la bouche à votre Christ, de qui vous enseignez pourtant vous-mêmes, de vos langues terrestres, sans le connaître ; vous voulez le lier à votre loi. Ô la vraie église de Christ n’a point de loi ; Christ est le temple dans lequel nous devons entrer : le monceau de pierres ne produit point de nouvel-homme ; mais le temple de Christ, où l’esprit de Dieu enseigne ; celui-là réveille l’image demi-morte, l’a fait commencer à verdir. – Tout est indifférent : Dieu ne demande ni science ni éloquence ; mais celui qui vient à lui, il ne le repousse point. Christ est venu au monde pour appeler et sauver les pauvres pécheurs, et Ésaïe dit : qui est aussi simple que mon serviteur ? C’est pourquoi la sagacité de ce monde n’y fait rien du tout ; elle ne produit que l’orgueil et une raison enflée, qui veut monter et dominer. Mais Christ dit : celui qui n’abandonne pas maison, champ, bien, argent, femme et enfant en mon nom, n’est pas digne de moi. Rien au monde ne doit être aussi cher que le précieux nom de Jésus, car tout ce que le monde possède est terrestre ; mais le nom de Jésus est céleste, et par le nom de Jésus, nous devons renaître de la vierge.

4. C’est pourquoi l’enfant de la vierge est opposé au vieil Adam ; celui-ci nourrit des désirs de volupté temporelle, d’honneurs, de puissance, de violence, et est un dragon furieux, abominable, qui ne veut que dévorer, comme le représente la révélation de saint Jean : un dragon vomissant le feu, horrible, abominable ; et l’enfant de la vierge siège sur la lune, ceint d’une couronne de douze étoiles ; car il foule aux pieds le terrestre ou la lune ; il a poussé de la lune terrestre comme une fleur hors de la terre. C’est pourquoi l’image virginale siège sur la lune, contre laquelle le dragon furieux lance son torrent d’eau, et veut toujours noyer l’image virginale ; mais la terre vient en aide à la vierge et engloutit le torrent, puis conduit la vierge en Égypte ; c’est-à-dire que l’image virginale doit endurer la servitude d’Égypte, et que la terre, ou la fureur de Dieu, couvre l’image virginale ; elle engloutit le torrent du dragon. Bien que le dragon accable l’image virginale d’abominations, la diffame et la calomnie, cela ne nuit cependant du tout pas à l’enfant de la vierge ; car la fureur de Dieu reçoit les calomnies répandues contre le pur enfant ; la terre signifiant toujours la fureur de Dieu. Ainsi, l’enfant virginal est sur la terre, soit sur la lune terrestre, et est toujours contraint de fuir en Égypte pour éviter le dragon. Là, il doit demeurer dans la servitude de Pharaon ; mais il siège sur la lune, non dessous. Le prince Josué ou Jésus le conduit, au travers du Jourdain, à Jérusalem, où il ne doit entrer que par la mort et quitter la lune. Il n’est qu’un hôte dans ce monde, un étranger, un pèlerin qui doit voyager dans le pays du dragon ; quand celui-ci lui lance son torrent, il doit se courber et se placer sous la croix ; alors la colère de Dieu reçoit le feu du dragon.

5. Il nous est connu que le vieil Adam ne sait et ne comprend rien du nouveau ; il saisit tout terrestrement ; il ne sait où est Dieu ni ce qu’il est ; il est hypocrite envers lui-même, s’attribue de la piété et croit qu’il sert Dieu, alors qu’il ne sert que l’ancien dragon ; il sacrifie et son cœur est au dragon ; il ne veut qu’être dévot et monter au ciel dans sa terrestréité, tout en se moquant des enfants du ciel. Par là, il montre qu’il est étranger au ciel, qu’il n’est qu’un maître sur la terre et un démon en enfer.

6. C’est parmi de telles épines et chardons que les enfants de Dieu doivent croître ; ils ne sont pas reconnus dans ce monde, car la colère de Dieu les couvre. Un enfant de Dieu ne se connaît pas bien lui-même ; il ne voit que le vieil Adam qui lui est suspendu, qui veut toujours noyer l’enfant de la vierge ; à moins que ce dernier ne reçoive un regard dans le Saint-Ternaire ; là il se connaît ; lorsqu’on lui pose la belle couronne de chevalier, le vieil Adam le voit en arrière et ne sait ce qui lui arrive ; il est fort joyeux, mais il danse comme si on lui jouait quelque chose : quand le jeu cesse, sa joie prend fin et il demeure le vieil Adam, car il appartient à la terre et non au monde angélique.

7. Aussitôt qu’il arrive à l’homme que l’image angélique commence à reverdir du vieil Adam, que l’âme et l’esprit de l’homme entrent dans l’obéissance à Dieu, le combat commence aussi ; car le vieil Adam, dans la colère de Dieu, combat contre le nouvel Adam (dans l’amour). L’ancien veut être maître dans la chair et le sang ; d’un autre côté, le diable ne peut non plus souffrir le rameau virginal, car il n’ose le toucher ; mais il peut atteindre, infecter et posséder le vieil Adam. Sa demeure propre, dans les ténèbres de l’abîme, ne lui plaisant pas, il habite volontiers dans l’homme, car il est un ennemi de Dieu et n’a, hors de l’homme, aucune puissance ; c’est pourquoi il possède l’homme et le conduit selon son bon plaisir, dans la colère et la fureur de Dieu, pour se jouer de l’amour et de la douceur divine ; car il prétend toujours que parce qu’il est une source de feu furieuse, il est plus élevé que l’humilité, puisqu’il se démène avec effroi. Mais comme il n’ose toucher au rameau virginal, il n’emploie que ruse et fourberie, et couvre ce rameau, afin qu’il ne soit pas connu dans ce monde, de peur qu’il ne lui en croisse par trop dans son prétendu royaume ; car il leur est hostile et ennemi, et il pousse ses orgueilleux serviteurs à se moquer de ces hommes-là, à les tourmenter, persécuter et faire passer pour fous. Il fait cela par ce monde de prudente raison, par ceux qui se disent les pasteurs de Christ, que le monde considère, afin que le rameau de lys ne soit pas connu ; sans quoi le monde les remarquerait et il croîtrait trop de ces rameaux, ce qui mettrait en péril sa domination sur les hommes.

8. Mais le noble rameau de lys croit en patience, en douceur, et tire son essence, sa force et son odeur du champ divin, soit de l’incarnation de Christ. L’esprit de Christ est son essence, l’Être divin son corps. Non d’une qualité étrangère, mais de sa propre essence renfermée dans la mort et reverdissant dans l’esprit de Christ, croît le rameau de lys virginal. Il ne cherche et ne désire pas la beauté de ce monde, mais du monde angélique ; car il ne croît pas non plus en ce monde, dans le troisième principe, mais dans l’autre principe, dans le monde paradisiaque ; de là le grand combat dans la chair et le sang, dans la raison externe. Le vieil Adam ne connaît pas le nouveau et trouve pourtant qu’il lui résiste : il ne veut pas ce que le vieil Adam veut ; il porte toujours celui-ci à l’abstinence, ce qui lui est douloureux ; le vieil Adam ne désire que volupté, biens et honneurs temporels ; il ne peut souffrir ni le mépris ni la croix ; mais le nouveau est heureux sous ces symboles de Christ pour lui devenir semblable. Le vieil Adam est donc souvent fort attristé, car il voit qu’il doit être réputé fou et ne sait pourtant pas non plus ce qui en est, car il ne connaît pas la volonté de Dieu et n’a que la volonté de ce monde ; ce qui brille lui va ; il serait volontiers toujours un seigneur devant lequel on s’incline. Mais le nouvel Adam s’incline devant son Dieu ; il ne désire rien, ne veut rien, mais soupire après son Dieu comme un enfant après sa mère ; il se jette dans le sein de sa mère et s’abandonne à sa mère céleste dans l’esprit de Christ. Il désire la nourriture et la boisson que lui fournit sa mère éternelle et mange dans le sein de la mère comme un enfant dans le corps de la sienne. Car pendant qu’il est couvert par le vieil Adam, il est encore dans l’incarnation ; mais quand celui-ci meurt, le nouvel Adam naît (sort) de l’ancien ; il abandonne le vase qui le contenait et dans lequel il était un enfant virginal, à la terre et au jugement de Dieu. Mais lui, naît, comme une fleur, dans le royaume de Dieu ; puis, quand viendra le jour de la restauration, toutes les bonnes œuvres qu’il aura accomplies dans le vieil Adam le suivront, et la méchanceté du vieil Adam sera consumée par le feu divin et donnée au démon pour aliment.

9. Ici la raison dit : Puisque donc le nouvel homme, dans ce monde, n’est qu’à l’état d’incarnation dans le vieil Adam, il n’est pas parfait ? Réponse : Il n’en est pas autrement ici que chez un enfant : la semence des deux teintures masculine et féminine se mêle et il en résulte un enfant. Car aussitôt que l’homme se convertit et se tourne vers Dieu de tout son cœur, de tous ses sens et de toute sa volonté, qu’il sort du chemin de perdition et se donne très sérieusement à Dieu, la grossesse commence dans le feu de l’âme, dans l’ancienne image altérée, et l’âme saisit en soi la parole (Verbe) qui se mut en Marie, dans le centre de la Sainte-Trinité ; qui se donna en Marie, ou dans la vierge demi-morte, avec la chaste, hautement bénie vierge du ciel, de la sagesse divine, et devint un vrai homme. Ce même Verbe, qui se mut en Marie dans le centre de la Sainte-Trinité, qui se maria à la virginité demi-morte, prisonnière, est saisi par le feu de l’âme, et aussitôt commence la grossesse dans l’image de l’âme, soit dans la lumière de l’âme, dans la douceur ou dans la substantialité virginale renfermée. Car la teinture de l’amour de l’homme saisit la teinture de l’amour de Dieu, et la semence est semée dans le Saint-Esprit dans l’image de l’âme, comme cela a été exposé en détail dans notre livre de la triple vie de l’homme.

10. Vois maintenant : Puis donc que le signe virginal apparaît ainsi dans l’amour de Dieu, ce rameau peut déjà être né, car en Dieu tout est parfait ; mais comme il demeure caché dans le vieil Adam et n’est d’abord qu’en essence, comme une semence, il y a là encore un grand danger et plus d’un ne reçoit ce rameau (joyau) qu’à son dernier moment ; et bien qu’il l’eût apporté du ventre de sa mère, il l’altère cependant, et chez plusieurs il est brisé et rendu terrestre.

11. C’est ce qui se passe aussi chez le pauvre pécheur : lorsqu’il fait pénitence, mais devient ensuite de nouveau mauvais, il lui arrive comme à Adam : Dieu le créa une image belle, glorieuse et hautement éclairée ; mais s’étant laissé vaincre par la passion, il devint terrestre, et sa belle image fut faite captive par la colère de Dieu dans la source terrestre : ainsi en arrive-t-il encore et toujours. Mais nous disons ceci, comme ayant été illuminés par la grâce divine et ayant combattu bien longtemps pour cette aimable couronne, qu’à celui qui persévère sérieusement, jusqu’à ce que sa branche devienne un arbre, cette branche ne lui sera pas aisément rompue, par une ou plusieurs tempêtes, car ce qui est faible a aussi une faible vie. Nous ne faisons donc pas d’objection à la divinité ; cela est naturel et tout se passe de même naturellement ; car l’éternel a aussi sa nature et l’une sort de l’autre seulement. Si ce monde n’eût pas été empoisonné par la méchanceté et la fureur de Satan, Adam serait demeuré dans ce monde en paradis ; il n’y aurait pas non plus une telle fureur dans les astres et les éléments ; car le diable était un roi et grand souverain dans le lieu de ce monde ; c’est lui qui a excité la fureur. Pour cette cause, Dieu créa le ciel du milieu de l’eau, afin que la nature de feu, le firmament enflammé, fût réduit en captivité par le ciel aquatique, que sa fureur s’éteignit. Si l’eau disparaissait, on verrait bien ce que deviendrait ce monde : rien autre qu’un pur embrasement froid, âpre, et pourtant sombre seulement, car il ne pourrait avoir aucune lumière, attendu qu’elle n’existe que dans la douceur ; ainsi, aucun feu ne peut luire s’il n’a pas la douce substantialité. Nous pouvons donc reconnaître que Dieu a converti la substantialité céleste en eau, ce qui se fit naturellement, alors que Dieu le père se mut et que le diable tomba, lui qui voulait être un dominateur du feu sur la douceur ; il lui fut poussé devant sa méchanceté un tel verrou qu’il n’est plus maintenant que le singe de Dieu et non souverain ; un tempêteur et exécuteur dans la source colérique.

12. Sachant donc que nous sommes enveloppés par la colère, nous devons nous tenir sur nos gardes et ne pas nous estimer si peu de chose ; car nous ne sommes pas de ce monde seulement, mais en même temps aussi du monde divin qui demeure caché à ce monde et nous est près. Nous pouvons vivre et être à la fois dans trois mondes, entendez si nous reverdissons de la mauvaise vie par l’image virginale. Car nous vivons : 1o dans le premier principe, dans le monde de feu du Père, selon l’âme essentielle, c’est-à-dire selon la source du feu dans le centre de la nature de l’éternité ; 2o avec la vraie, pure et virginale image, nous vivons dans le monde paradisiaque de lumière flamboyante ; bien qu’il ne soit pas manifeste dans le lieu de ce monde, il l’est pourtant dans l’image virginale, dans le Saint-Esprit et dans le Verbe qui demeure dans l’image virginale ; 3o et enfin, nous vivons, selon le vieil Adam, dans ce monde extérieur corrompu, empesté, auprès du diable et dans l’infection allumée par lui ; c’est pourquoi il faut être prudent. Christ dit : soyez simples comme des colombes et prudents comme les serpents (Matth. X : 16) ; prenez garde à vous. Dans le royaume de Dieu, nous n’avons pas besoin de ruse, nous ne sommes que des enfants dans le sein de la mère ; mais dans ce monde, nous devons être bien sur nos gardes, nous renfermons le noble trésor dans un vase terrestre. Il ne faut qu’un instant pour perdre Dieu et le royaume du ciel, qu’après ce temps on ne peut plus atteindre : ici, nous sommes dans le champ et en semence, en croissance ; le brin vient-il à être rompu, la racine demeure, d’où un autre brin peut pousser.

13. Ici, la porte de la grâce demeure ouverte à l’homme ; si grand pécheur qu’il soit, il peut, en se convertissant et produisant les fruits d’une vraie pénitence, être réengendré de la méchanceté. Mais celui qui, de propos délibéré, jette sa racine dans le feu (la sentine) du diable et devient lâche au combat, qui l’aidera ? qui aidera celui qui ne le veut pas ? – Mais s’il retourne sa volonté vers Dieu, Dieu veut l’avoir. Car celui qui tend à la colère divine, cette colère veut l’avoir ; mais celui qui tend à l’amour divin, cet amour le désire. Saint Paul dit : à quiconque vous vous donnerez pour esclaves en obéissance, soit au péché pour la mort, soit à l’obéissance divine pour la justice, vous êtes son esclave (Rom. VI : 16). L’homme pervers est en bonne odeur à la colère divine et l’homme saint en bonne odeur à l’amour divin (II Corinth. II : 15, 16). L’homme peut faire de lui ce qu’il veut : le feu et la lumière sont l’un et l’autre à sa portée. Veut-il être un ange dans la lumière, l’esprit de Dieu en Christ lui aide à parvenir dans le monde angélique. Veut-il, par contre, être un démon dans le feu, la colère et la fureur de Dieu lui aident et l’attirent dans l’abîme auprès de Satan. De plus, il reçoit l’ascendant qu’il désire. Mais s’il rompt le premier désir et entre dans un autre, il reçoit un autre ascendant ; le premier toutefois reste suspendu bien fortement à lui et veut toujours le posséder de nouveau ; raison pour laquelle la noble semence doit le plus souvent demeurer dans un grand froissement, et se laisser piquer ; car le serpent pique toujours la semence de la femme ou l’enfant de la vierge au talon. La piqûre du serpent gît dans le vieil Adam ; celui-ci pique toujours l’enfant de la vierge, dans le ventre de la mère, au talon. Dès lors, la vie de ce monde est, pour nous autres pauvres prisonniers, une vallée de misères, pleine d’angoisses, de croix, de malheurs et d’afflictions. Nous sommes ici des hôtes étrangers, en pèlerinage ; nous avons à traverser de grands déserts, de sauvages contrées, et nous sommes entourés de méchantes bêtes, de vipères, de serpents, de loups et de pures horribles bêtes ; enfin, la plus méchante est dans notre propre sein, et c’est dans cette mauvaise, vilaine écurie que notre belle vierge a son gîte.

14. Mais nous connaissons et disons avec fondement ceci, c’est que là où le noble rameau croît et devient fort, dans cet homme-là le vieil Adam doit devenir esclave, marcher derrière, et souvent faire ce qu’il ne veut pas ; souvent, il doit souffrir la croix, le mépris et même la mort ; il ne le fait pas volontiers, mais l’image virginale en Christ le contraint ; car elle veut avec joie suivre Christ son fiancé et lui devenir semblable dans la croix et la tribulation.

15. Et nous ajoutons encore ceci, c’est que nul n’est couronné de la couronne virginale aux douze étoiles que porte la femme dans la révélation de saint Jean, chap. XII : 1, soit avec six esprits de la nature céleste et six esprits terrestres, s’il ne subsiste devant le torrent du dragon et ne se sauve avec en Égypte, soit sous la croix et la servitude d’Égypte ; il doit porter la croix de Christ, sa couronne d’épines, se laisser jouer, conspuer et railler, s’il veut porter la couronne de Christ et de la vierge ; il doit auparavant porter la couronne d’épines s’il veut qu’on lui pose la couronne céleste de perles dans le Saint-Ternaire.

16. Et nous donnons encore aux illuminés un grand mystère à reconnaître, c’est que quand la perle est semée, le régénéré ceint la couronne pour la première fois, dans le Saint-Ternaire, avec une très grande joie et beaucoup d’honneur devant les anges de Dieu et toutes les saintes vierges, et il y a certes là une grande allégresse ; mais cette couronne se cache de nouveau, car à cette même place, Dieu devient homme. Comment n’y aurait-il pas là de la joie ? Le vieil Adam s’ébat aussi, mais comme un âne au son de la lyre ; quant à la couronne, elle appartient à l’incarnation.

17. Veux-tu donc devenir un chevalier, alors il te faut marcher sur les traces de Christ avec le vieil âne et combattre aussi le diable : si tu vaincs et es reconnu, reçu pour un chevaleresque enfant de Dieu, alors la couronne aux douze étoiles de la femme te sera posée ; tu dois la porter jusqu’à ce que de ta mort ou par ta mort la vierge soit née de la femme ; celle-là portera la triple couronne de la grande gloire dans le Saint-Ternaire. Car pendant que l’image virginale gît encore renfermée dans le vieil Adam, elle ne reçoit pas la couronne angélique, vu qu’elle est encore en danger. Mais quand elle naît de la mort du vieil Adam et éclot de l’enveloppe ou de l’écorce, alors elle est un ange et ne peut plus s’altérer, donc on lui pose la vraie couronne décernée alors que Dieu devint homme ; mais elle conserve, pour signe éternel, la couronne aux douze étoiles ; car en éternité il ne doit point être oublié que Dieu a de nouveau ouvert la virginité dans la femme terrestre et est devenu homme. La divinité est esprit et le saint, pur élément, s’engendre de la parole dès l’éternité ; le maître s’est fait serviteur, ce que tous les anges du ciel admirent, et c’est la plus grande merveille qui se soit accomplie dés l’éternité, car elle est contre nature : c’est là un amour ! Les six signes terrestres doivent demeurer une éternelle merveille, et produire un éternel chant de louanges de ce que Dieu nous a délivrés de la mort et de la détresse. Les six signes célestes doivent être notre couronne et notre gloire, de ce que par le céleste nous avons vaincu le terrestre ; de ce qu’étant des femmes et des hommes, nous sommes devenus de pudiques vierges s’aimant soi-même : ainsi doivent demeurer en éternité les signes de victoire ; à cela doit être reconnue l’œuvre de Dieu envers l’humanité et comment l’homme est la plus grande merveille du ciel ; ce dont les anges se réjouissent grandement.

 

 

 

 

CHAPITRE XIV.

 

De la nouvelle naissance ; en quelle substance, essence, être ou propriété, la nouvelle naissance ou l’enfant de la vierge se trouve pendant qu’il gît encore dans le vieil Adam.

 

 

1. Puisque nous nageons en chair et en sang terrestres dans cette mer d’afflictions, et sommes devenus une source terrestre où nous sommes renfermés dans l’obscurité et le reflet, la noble base affective ne cesse de chercher sa vraie patrie où elle doit aller. Elle dit toujours : Où donc est Dieu, ou quand me sera-t-il pourtant permis de voir la face de Dieu ? Où donc est ma noble perle ? où est l’enfant de la vierge ? Je ne le vois pourtant pas ; comment se fait-il donc que je m’angoisse ainsi après lui, puisque je ne puis le voir ? Je ressens bien la grande envie, le grand désir après lui, mais je ne puis rien voir qui apaise mon cœur ; je suis toujours comme une femme qui aimerait bien enfanter ; combien j’aimerais à voir mon fruit, qui m’est promis par mon Dieu ! Elle soupire toujours après le moment ; un jour appelle l’autre, le matin appelle le soir, la nuit de nouveau le jour ; elle espère dans la privation de voir enfin se lever la brillante étoile du matin qui amènera à la base affective son repos ; elle est comme une femme en travail d’enfant, qui espère toujours de voir son fruit, qui désire et soupire après le moment.

2. Ainsi nous en va-t-il, mes chers enfants de Dieu, nous nous en croyons éloignés encore et sommes pourtant dans ce travail ; nous engendrons ainsi avec grand désir, dans les tourments, et ne connaissons point la semence que nous engendrons, car elle est renfermée. Nous n’engendrons pas à ce monde ; comment donc voulons-nous voir le fruit des yeux de la chair, puisqu’il n’appartient pas à ce monde ?

3. Mais puisque nous avons obtenu la vraie connaissance de cet être, non selon l’homme extérieur, mais selon l’intérieur, nous nous en tracerons une ressemblance, tant pour le lecteur que pour notre propre satisfaction.

4. Lorsque nous considérons comme nous sommes doubles, avec double sens et volonté, nous ne pouvons mieux arriver à la connaissance qu’en considérant la création : dans la grossière pierre qui gît sur le sol se trouve souvent le meilleur or ; là nous voyons donc comment l’or brille dans la pierre, qui est inerte cependant, et ne sait qu’elle renferme un si noble or. Ainsi en est-il de nous : nous sommes un soufre terrestre ; mais avec un soufre céleste dans le terrestre ; chacun retenant sa propriété. Ils sont bien mêlés dans ce temps, mais n’inqualifient point ensemble ; l’un est seulement l’habitacle et le contenant de l’autre, comme nous le voyons à l’or : la pierre grossière n’est pas l’or, mais son contenant (gangue) seulement. La grossièreté ne produit pas non plus l’or ; c’est la teinture du soleil qui l’engendre dans la pierre grossière : celle-ci est la mère et le soleil le père ; car le soleil engrosse la pierre brute, parce qu’elle renferme le centre de la nature d’où le soleil tire son origine. Si nous voulions poursuivre jusqu’au centre, nous l’exposerions ; mais comme cela a été suffisamment développé dans d’autres écrits, nous en restons là.

5. Ainsi en est-il de l’homme : l’homme terrestre représente la grossière pierre, et le Verbe qui devint homme, le soleil ; celui-ci engrosse l’homme corrompu pour cette cause-ci : l’homme corrompu est bien terrestre, mais il tient de l’éternité le centre de la nature ; il soupire après le soleil divin, car, lors de sa création, ce soleil entra dans la formation de son être. Mais la pierre grossière a débordé et englouti en soi le soleil, de façon qu’il est actuellement mêlé au soufre grossier et ne peut lui échapper, à moins d’une purification par le feu, qui fondant ce qu’il y a de grossier, met à nu le soleil. Applique cela au mourir et à la corruption : la grossière chair terrestre se fond et il ne reste uniquement que la chair virginale spirituelle.

6. Et comprenez bien ce que nous entendons ; nous parlons précieusement et véridiquement, comme nous le connaissons ; le nouvel homme n’est point un esprit seulement ; il est chair et sang ; de même que l’or dans la pierre n’est pas un pur esprit, mais qu’il a un corps ; non un corps de même nature que la pierre grossière, mais un corps qui résiste au feu du centre de la nature ; car le feu ne peut pas dévorer son corps, parce que l’or est d’un autre principe. Que ne sais-tu cela, ô homme terrestre ! Mais c’est et demeure à bon droit scellé, car la terre n’est pas digne de l’or, bien qu’elle le porte et l’engendre. L’homme terrestre n’est de même pas non plus digne du joyau qu’il renferme, et bien qu’il coopère à l’engendrer, il n’en est pas moins une terre sombre au prix de l’enfant de la vierge né de Dieu.

7. Et de même que l’or a un vrai corps, caché et prisonnier dans la grossière pierre ; ainsi a la teinture virginale, dans l’homme terrestre, un vrai corps céleste, divin, en chair et en sang. Mais non une telle chair et un tel sang comme le terrestre : cela résiste au feu, traverse la pierre et le bois et n’est pas saisissable. Tout comme l’or pénètre la pierre grossière, sans la rompre ni se rompre soi-même, et sans que la pierre ait aucune perception de l’or ; ainsi en est-il du vieil homme terrestre : quand il reçoit le Verbe de la vie qui en Christ devint homme, il le reçoit dans le soufre corrompu de sa chair et de son sang, dans le centre virginal prisonnier de la mort, centre dans lequel Adam était une image virginale, avant que la terre sauvage lui couvrît son or de la claire substantialité divine, où alors le céleste dut demeurer dans la mort, dans le centre du feu. Dans ce centre, dis-je, et dans ce soufre, se mut le Verbe de la vie qui en Marie devint homme ; alors la substantialité prisonnière de la mort reçut une teinture vivante. Ici commence le noble or ou la céleste substantialité à reverdir de la mort et il a aussitôt en soi, dans le Verbe de la vie, l’Esprit saint qui là sort du Père et du Fils ; et la sagesse ou vierge céleste, fait comme un miroir ou une ressemblance de la divinité devant soi, comme un soufre pur, une chair et un sang purs, dans lesquels habite le Saint-Esprit ; non d’essence terrestre, mais bien divine, de la substantialité céleste. C’est là la vraie chair et le vrai sang de Christ, car ils croissent dans l’esprit de Christ, dans le Verbe de la vie qui devint homme, qui brisa la mort, alors que la teinture divine reverdit et engendra de soi l’être, car tout est né et provenu du désir de Dieu. Mais puisque Dieu est feu et lumière, il nous est assez reconnaissable d’où chaque chose tire son origine ; nous ne pouvons disconvenir que du bon et aimable ne soit provenu du bon ; car une bonne volonté désirante reçoit dans son imagination son égalité, elle se fait soi-même par la faim de son désir son similaire.

8. Nous reconnaissons ainsi que puisque la divinité a désiré avoir une image, un miroir d’elle-même, le désir divin aura aussi, en son propre engrossement, engendré dans sa désirante volonté le bon et ce qui lui plaisait le plus, une parfaite ressemblance du bon, de la claire divinité. Que le terrestre s’y soit mêlé, c’est la faute de la désireuse colère ou du feu, du démon, qui l’avait allumé par son imagination.

9. Ainsi, il nous est de même hautement reconnaissable que Dieu ne voulut pas abandonner sa propriété (savoir la fleur de ses œuvres et son objet de prédilection, qu’il créa à son image en un être créaturel) ; plutôt devint-il lui-même ce qu’il avait créé, afin de retirer de la perdition ce qui s’était corrompu et de le replacer dans la perfection, pour qu’il (Dieu) pût demeurer éternellement dans cette image. Et nous disons avec fondement que Dieu demeure lui-même, en personne, dans le nouvel homme, non par reflet ou lueur étrangère, mais réellement ; toutefois, dans son principe, l’homme extérieur ne l’attouche ni ne le saisit ; la chair et le sang du nouvel homme ne sont pas non plus Dieu, c’est la substantialité céleste ; Dieu est esprit et ne s’altère point ; bien que l’être se corrompe, Dieu demeure pourtant en soi. Il n’a nul besoin de sortir (s’en aller), pas plus que d’entrer ; mais il se manifeste dans la chair et le sang ; c’est son bon plaisir de posséder une ressemblance.

10. Si donc nous nous connaissons bien et réfléchissons en conséquence, nous trouvons que l’homme (entends l’homme complet) est une vraie ressemblance de Dieu ; car selon la vie terrestre et le corps il est de ce monde ; et selon la vie virginale, le corps virginal, il est du ciel ; car l’essence virginale a une teinture céleste et fait la chair céleste dans laquelle Dieu habite. De même que l’or dans la pierre a une autre teinture que celle de la grossière pierre, et que cette teinture a un autre corps, chaque corps naît de sa propre teinture, comme nous reconnaissons que la terre est procédée du centre du feu âpre ou froid, du soufre de la sévère astringence dans l’angoisse pour le feu, ce qui a été exposé dans le livre des Trois principes.

11. Ainsi, d’une bonne essence provient un bon corps, car l’essence fait la vie et n’est pourtant pas elle-même la vie : la vie naît dans le principe ou dans le feu ; que ce soit dans le feu froid ou dans le feu ardent, ou bien dans le feu de lumière, chacun d’eux est un principe propre et n’est pourtant pas séparé.

12. Ainsi, fondés sur la vérité, nous parlerons maintenant de l’homification ou humanité, et nous dirons en termes clairs, nets et francs, non par présomption ou opinion, mais de propre et vraie connaissance, par l’illumination que nous avons reçue de Dieu :

I. Que le nouvel homme régénéré, qui est caché dans l’ancien comme l’or dans la pierre, a une teinture céleste, chair et sang divins, célestes ; que l’esprit de cette chair n’est point un esprit étranger, mais son propre esprit, engendré de sa propre essence.

II. Nous reconnaissons et disons que le Verbe qui dans la vierge Marie devint homme, est la première base, le générateur de la teinture dans le soufre ; nous reconnaissons, en outre, que l’esprit de Christ, qui remplit toute l’étendue du ciel, habite dans cette teinture.

III. Nous reconnaissons cette chair céleste pour la chair du Christ, dans laquelle la Sainte-Trinité demeure sans division.

IV. Nous reconnaissons la possibilité que cette chair et ce sang s’altèrent de nouveau par l’imagination, pendant la vie du vieil Adam, comme cela arriva à Adam.

V. Nous disons que dans cette corruption (de la créature), la divinité ne s’altère en rien, et n’est atteinte par aucun mal ; car ce qui perd l’amour de Dieu, échoit à sa colère ; ce qui déchoit de la lumière est saisi par le feu, et l’esprit de Dieu demeure intact.

VI. Nous disons que chez tous les hommes la nouvelle naissance est possible, sans quoi Dieu serait divisé et autrement en un lieu qu’en un autre ; et nous reconnaissons ici que l’homme est attiré par le feu et par la lumière : de quelque côté que penche la balance, il y tombe ; mais pendant sa vie, il peut néanmoins remonter ; la sainte, claire divinité ne veut aucun mal. Elle ne veut non plus aucun démon et n’en a point voulu ; bien moins encore un homme en enfer, dans la colère de Dieu. Mais puisqu’il n’y a point de lumière sans feu, il nous est assez évident comment le diable ainsi que tous les hommes damnés se sont laissés captiver l’imagination par le feu colérique ; ils ne veulent pas se laisser aider, mais se jettent eux-mêmes dans l’avide source de feu ; ils se laissent attirer, mais pourraient bien résister.

VII. Nous disons que le vrai temple, où prêche le Saint-Esprit, est dans la nouvelle naissance : que tout est mort, muet, tortueux, aveugle et impotent, qui n’est pas ou n’enseigne pas de l’esprit de Dieu ; que le Saint-Esprit ne se mêle pas au son qui part de la bouche d’un homme pervers ; qu’aucun pervers n’est pasteur de Christ. Car, bien que partant de la bouche du pervers, l’heure (le cri du guet) retentisse à l’oreille de l’homme saint, autant en ferait le cri d’une bête, s’il était compréhensible ou que le précieux nom de Dieu fût prononcé ; car aussitôt qu’il l’est et donne un son, l’écho lui répond, comme d’un lieu où il a du retentissement, savoir de l’âme sainte ; mais aucun pervers n’en réveille un autre de la mort, car cela ne se peut pas ; ils sont tous les deux dans la colère de Dieu et sont encore renfermés dans la mort. Si nous avions pu nous-mêmes nous tirer de la mort et nous rendre vivants, le cœur de Dieu n’eût pas eu besoin de devenir homme. C’est pourquoi nous disons avec fondement que le Verbe seul, qui devint homme, réveille le pauvre pécheur de sa mort et le dispose à la pénitence et à la vie nouvelle ; dès lors, tous les prédicants pervers sont inutiles au temple de Christ ; mais ceux-là qui ont l’esprit de Christ sont ses pasteurs.

VIII. Nous reconnaissons et disons que tous les docteurs qui se donnent pour serviteurs de Christ et ministres de l’Église, et cela en vue du ventre et des honneurs, tout en étant irrégénérés, sont l’antéchrist et la femme montée sur le dragon dans la révélation de saint Jean (Apoc. XVII : 3, 4).

IX. Nous disons que toute injuste tyrannie et pouvoir usurpé, pour comprimer, sucer, écraser et tourmenter le malheureux, ce qui le rend méchant aussi, le porte et l’entraîne à toute sorte de dérèglements et d’injustices, est la bête horrible, abominable que monte l’antéchrist.

X. Nous reconnaissons et disons que le temps est proche et que le jour point où cette méchante bête et la paillarde doivent aller dans l’abîme. Amen, Alléluia, Amen.

 

 

 

 

 

 

DEUXIÈME PARTIE.

 

DES SOUFFRANCES, DE L’AGONIE, DE LA MORT ET

DE LA RÉSURRECTION DE JÉSUS-CHRIST.

 

Comment nous devons entrer dans les souffrances, l’agonie et la mort de Christ ; de sa mort, ressusciter avec lui et par lui ; devenir semblables à son image et vivre éternellement en lui.

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CHAPITRE PREMIER.

 

De l’origine de la vie dans le feu. – De l’éternel esprit dans l’éternelle vierge de la sagesse divine, et ce qu’est l’éternel commencement et l’éternelle fin.

 

 

1. La raison externe dit : N’eût-il pas été suffisant que Dieu devînt homme en nous ; pourquoi Christ dut-il souffrir et mourir ? Dieu ne pouvait-il donc pas introduire ainsi l’homme dans le ciel par la nouvelle naissance ? Dieu n’est-il donc pas assez puissant pour faire ce qu’il veut ? Quel plaisir Dieu trouve-t-il donc à la mort et à l’agonie, pour que, non-seulement il ait laissé mourir son Fils sur la croix, mais que nous devions tous mourir aussi ? Puisque Dieu nous a sauvés par la mort de son Fils et qu’il a payé pour nous, pourquoi devons-nous donc aussi mourir et pourrir ? – Ainsi court la raison.

2. Devant ce miroir (à ce spectacle) que soient conviés l’antéchrist, qui se nomme serviteur et pasteur de Christ ; de plus, toutes les hautes écoles de ce monde, avec leurs disputes et leurs lois ; enfin, tous les enfants de Christ qui portent sa croix. – Que tous voient le vrai fondement, non d’une opinion, pour mépriser quelqu’un à cause de son ignorance, mais de la vraie doctrine que chacun doit se chercher et se trouver. Car ce sera une affaire très sérieuse qui touche l’homme ; il y va de son corps et de son âme ; il ne s’agit pas du tout de plaisanter, car celui qui a donné cette connaissance a embouché sa trompette ; cela s’adresse au genre humain, que chacun prépare sa lampe. Un grand roi, à double attributs, viendra par deux portes ; il est un et pourtant deux ; il a feu et lumière ; il touche à la terre et aussi au ciel ; c’est là une merveille.

3. Chers enfants de Christ, lorsque nous considérons la mort et comment par elle nous devons entrer dans la vie, nous trouvons une tout autre vie venant de la mort ; nous trouvons d’abord pourquoi Christ a dû mourir, pourquoi nous devons aussi mourir dans sa mort, ressusciter en lui, entrer avec lui et par lui dans le royaume de Dieu.

4. Si, maintenant, nous voulons trouver cela, il nous faut considérer l’éternité dans son fond et sans-fond, sans quoi nous ne trouverons rien ; nous devons seulement le chercher où il est ; car, comme image de Dieu, nous tirons notre origine du fond éternel, soit l’âme et son image ; mais nous avons été introduits dans le temporel et périssable, soit dans la source. Or, l’éternité ou le sans-fond étant une liberté hors de la source, nous devons rentrer dans la liberté par la mort, et nous ne pouvons pourtant pas dire non plus qu’il n’y ait pas de vie dans cette liberté ; c’est la vraie vie subsistant là éternellement sans source. Nous vous en donnerons une ressemblance exacte par comparaison ; une ressemblance selon le règne de ce monde à la vérité ; mais en y adaptant le monde divin, c’est la chose elle-même.

5. Vous savez que notre vie réside dans le feu, car sans chaleur nous ne vivons pas ; maintenant le feu a son centre propre, son propre artisan dans sa sphère, savoir les sept formes ou esprits de la nature ; mais les quatre premières formes seulement sont reconnues pour la nature ou la source dans laquelle le feu est éveillé et allumé, de manière à former un principe, une circulation de vie ou centre ; attendu que la matière de la combustion se forme dans les esprits ou formes mêmes et est aussi toujours consumée dans le feu ; et de cette consomption, le feu donne un autre (produit), meilleur que le premier né du feu ; car le feu tue et engloutit la substance qu’il engendre lui-même (entends le feu essentiel, dans les formes pour le feu), il la dévore et en produit, de la mort, une beaucoup plus noble et meilleure, qu’il ne peut dévorer. Cela se prouve par le feu et la lumière, et c’est non-seulement une ressemblance exacte, mais la chose même ; il ne s’agit que de distinguer les principes. Le tout est bien un feu, mais il se diversifie lui-même selon la source.

6. Si, maintenant, nous voulons faire comprendre ceci, il est nécessaire de reprendre l’origine du feu ; mais puisque nous l’avons décrite en détail, sous toutes ses faces, dans le livre des Trois principes et d’autres encore, nous n’en donnerons ici qu’un précis pour l’intelligence (de la chose), renvoyant le lecteur aux autres écrits, s’il veut sonder les sept esprits de la nature.

7. Le feu a trois formes principales pour centre : la quatrième est le feu même et donne le principe, soit la vie avec l’esprit ; car dans les trois premières formes, il n’y a point de vrai esprit, mais des essences seulement, savoir : 1o l’âpre ; c’est la volonté désirante, la première et principale forme ; 2o l’amère, piquante ; c’est l’autre forme, une cause des essences ; 3o l’angoisseuse, soit la circulation ou le centre de la vie, la roue tournante, qui saisit en soi les sens ou les essences amères, les engloutit comme dans la mort et donne, 4o de la chambre d’angoisse ou de la mort, la base affective, comme un autre centre. Maintenant, comprenez cela ainsi :

8. Dans l’éternité ou dans le sans-fond, hors de la nature, il n’y a que silence sans être ; il n’y a rien non plus qui donne quelque chose ; c’est un éternel repos qui ne se compare à rien, un abîme sans commencement et sans fin, de même sans limite ni lieu, aussi sans chercher ni trouver, pas même quelque chose où il y eût une possibilité. Ce sans-fond ressemble à un œil, car il est son propre miroir, il est sans existence (mouvement) ; de même ni lumière ni ténèbres, et est principalement une magie, ayant une volonté que nous ne devons ni scruter ni sonder, car cela nous trouble. Par cette volonté, nous entendons le fond de la divinité, qui est sans origine, car il se saisit lui-même en soi : ici nous sommes à bon droit muet, car c’est hors de la nature.

9. Puis donc que nous sommes dans la nature, en éternité nous ne connaissons pas ce fond, car dans la volonté, la divinité est elle-même tout, et l’éternelle cause première de son propre esprit et tous les êtres. Dans la volonté il (ce fond) est tout puissant et tout sachant, et pourtant, dans cette volonté, il n’est pas nommé ni reconnu Dieu, car il n’y a là ni bien ni mal ; c’est une volonté désirante qui est le commencement et aussi la fin ; car la fin fait aussi le commencement de cette volonté, et le commencement, de nouveau la fin. Nous trouvons ainsi que tous les êtres sont renfermés dans un œil qui ressemble à un miroir, dans lequel la volonté se contemple elle-même, recherchant ce qu’elle est, et dans le voir ; elle devient désireuse de l’être qu’elle est elle-même. Ce désir est un attract et pourtant, il n’y a rien là qui puisse être attiré ; mais la volonté s’attire elle-même dans le désir et se fait, dans son désir, un modèle (représentation) de ce qu’elle est ; et ce modèle est le miroir dans lequel la volonté voit ce qu’elle est, car c’est une ressemblance de la volonté. Et nous reconnaissons ce miroir (dans lequel la volonté se voit et se contemple toujours elle-même) pour la sagesse éternelle de Dieu, car c’est une vierge éternelle sans substance, et cependant le miroir de tous les êtres, dans lequel toutes choses ont été vues dès l’éternité : tout ce qui pouvait ou devait être créé.

10. Maintenant, ce miroir n’est pas non plus le voir même ; mais la volonté, qui est désireuse, c’est-à-dire l’attrait émanant de la volonté, qui sort de la volonté, est un esprit et fait, dans l’attrait du désir, le miroir. L’esprit est la vie et le miroir est la manifestation de la vie, sans quoi l’esprit ne se connaîtrait pas lui-même ; car le miroir ou la sagesse est son fond ou contenant ; c’est ce que l’esprit a trouvé, attendu qu’il se trouve lui-même dans la sagesse : la sagesse, sans l’esprit, n’est pas un être ; et l’esprit, sans la sagesse, n’est pas manifeste à lui-même ; l’un sans l’autre, serait un abîme.

11. Ainsi, la sagesse, en tant que miroir de l’esprit divin, est, de soi-même, passive ; c’est le corps de la divinité, de l’esprit, dans lequel l’esprit habite ; ce corps est une matrice virginale, dans laquelle l’esprit se manifeste ; c’est la substantialité divine ou un soufre saint et divin, compacté dans l’imagination de l’esprit, du sans-fond de l’éternité ; et ce miroir ou soufre est l’éternel premier commencement et l’éternelle première fin, et se compare en toute chose à un œil, par lequel l’esprit voit ce qu’il est là dedans et ce qu’il veut manifester.

12. Ce miroir ou œil est sans fond ni limite, de même que l’esprit n’a aussi aucun fond, sinon dans cet œil. Il est pourtant entier, sans division, comme nous reconnaissons que le sans-fond est indivisible ; car il n’y a là rien qui sépare et aucune motion hors de l’esprit. Nous pouvons donc reconnaître ce qu’est l’éternel esprit dans la sagesse et ce qu’est l’éternel commencement et l’éternelle fin.

 

 

 

 

CHAPITRE II.

 

La vraie et très chère porte de la Sainte-Trinité, l’œil de l’éternelle manifestation de vie. De la divinité hors de la nature.

 

 

1. Nous reconnaissons donc que l’éternel commencement, dans le sans-fond, est en soi-même une éternelle volonté, dont nulle créature ne doit savoir l’intime origine. Mais il nous a cependant été donné de savoir et de reconnaître en esprit son fond, qu’il fait lui-même en soi, dans lequel il repose ; car une volonté est mince comme un rien et, par ce fait, désireuse ; elle veut être quelque chose, afin d’être manifeste en soi ; car le rien pousse la volonté au désir, et le désir est une imagination : la volonté se voyant dans le miroir de la sagesse, imagine du sans-fond en soi-même et se fait, par l’imagination, un fond en soi-même ; elle s’engrosse, par l’imagination, de la sagesse, soit du miroir virginal, qui là est une mère sans engendrement, sans volonté.

2. L’engrossement n’a pas lieu dans le miroir, mais dans la volonté, dans l’imagination de la volonté. Le miroir demeure éternellement une vierge sans engendrement ; mais la volonté s’engrosse à l’aspect du miroir ; car la volonté est père, et l’engrossement dans le Père, soit dans la volonté, est le cœur ou Fils ; car c’est le fond (base) de la volonté ou du Père, attendu que l’esprit de la volonté se trouve dans le fond et va de la volonté dans le fond, dans la sagesse virginale ; ainsi l’imagination de la volonté ou le Père tire à soi la vision ou figure du miroir, soit les merveilles de la puissance, les couleurs et les vertus, et s’engrosse ainsi de la splendeur de la sagesse, de la puissance et des vertus : c’est là le cœur de la volonté ou du Père, attendu que l’insondable volonté reçoit en soi-même un fond, par et dans l’éternelle, insondable imagination.

3. Ainsi, nous reconnaissons l’engrossement du Père pour le centre de l’esprit de l’éternité, où l’éternel esprit se saisit toujours ; car la volonté est le commencement, et la motion ou attrait de l’imagination pour le miroir de la sagesse (attiré dans l’imagination), est l’éternel, insondable esprit qui s’originise dans la volonté, se saisit dans le centre du cœur, dans la puissance de la sagesse attirée et est la vie et l’esprit du cœur. Si donc (même) l’éternelle, insondable volonté était passive en soi-même, ce qui est saisi de la sagesse (et qui s’appelle cœur ou centre) est la parole (Verbe) de la volonté, car c’est le son ou la puissance, la bouche de la volonté, qui manifeste la volonté ; car la volonté ou le Père exprime, par la motion de l’esprit, la puissance, dans le miroir de la sagesse, et par le prononcé, l’esprit va, de la volonté, de la parole de la bouche de Dieu, soit du centre du cœur, dans le prononcé, ou dans le miroir virginal, et manifeste la parole de vie dans le miroir de la sagesse, en sorte que l’être triple de la divinité est mis en évidence dans la sagesse.

4. Ainsi, noms reconnaissons un être divin, éternel, insondable, et dans cet être, trois personnes bien distinctes ; savoir l’éternelle volonté, cause de tout, première personne, qui, toutefois, n’est pas l’être même, mais sa cause, et est libre de l’être, car c’est le sans-fond. Il n’y a rien avant lui qui le produise, mais il se produit (s’engendre) lui-même, ce dont nous n’avons aucune connaissance. Il est tout et cependant aussi, par conséquent, unique en soi ; sans l’être, c’est un rien. Dans cette volonté unique s’originise l’éternel commencement, par l’imagination ou le désir ; dans le désir, la volonté s’engrosse elle-même de l’œil de la sagesse, éternel comme la volonté et sans fond ni commencement, ainsi que cela a été exposé plus haut. Cet engrossement est la base de la volonté et de l’être de tous les êtres, et est le fils de la volonté ; car la volonté engendre constamment ce fils d’éternité en éternité ; car c’est son cœur ou sa parole, comme un retentissement ou une manifestation du sans-fond de la silencieuse éternité, et la bouche ou intelligence de la volonté ; donc, il est à bon droit nommé une autre personne que le Père, car il est la manifestation du Père, son fond et son être, attendu qu’une volonté n’est pas un être, mais l’imagination de la volonté fait l’être.

5. La seconde personne est donc l’être de la divinité (entends l’être de la Sainte-Trinité), la bouche ou manifestation de l’être de tous les êtres, et la force vitale de toutes les vies.

6. La troisième personne est l’esprit qui, par la compaction de la volonté par l’imagination, sort de la puissance de la parole, ou va, de la bouche du Père, dans l’œil, soit dans le miroir de la sagesse ; il est donc libre tant de la volonté que de la parole. Et, bien que la volonté le donne par la parole, encore est-il libre, comme l’air du feu ; comme l’on voit que l’air est l’esprit et la vie du feu, et cependant autre chose que le feu, quoique produit par lui. On voit aussi que l’air produit un ciel plein de vie, lumineux et mobile. De même est le Saint-Esprit la vie de la divinité et une autre personne que le Père et le Fils ; son office est aussi différent ; il manifeste la sagesse divine, pour que les merveilles se développent, de même que l’air met en évidence toute vie de ce monde et fait que tout vit et croît.

7. Ce qui précède explique ainsi brièvement ce qu’est la divinité dans le sans-fond, comment Dieu habite en soi-même et est lui-même son centre de l’engendreuse. Mais la base affective de l’homme ne trouve néanmoins pas sa satisfaction en ceci, elle s’enquiert de la nature, de ce dont ce monde est né et tout a été créé : nous exposons donc, ci-après, le texte du principe et nous y convions la raison.

 

 

 

 

CHAPITRE III.

 

Comment, hors du principe du feu, Dieu n’est pas manifeste.

Plus, de l’être éternel et de la volonté insondable.

 

 

La très sérieuse porte.

 

1. Par l’exposé précédent, nous avons montré ce qu’est la divinité hors de la nature. Il en ressort que la divinité, en ce qui concerne ses trois personnes, est, avec l’éternelle sagesse, libre de la nature, et que la divinité a une base encore plus profonde que le principe dans le feu. Mais, d’autre part, la divinité ne serait pas manifeste sans le principe, et nous entendons par divinité hors du principe comme un aspect de grandes merveilles, où nul ne sait ou ne peut connaître ce que c’est ; où toutes les couleurs, puissances et vertus apparaissent sous une figure épouvantable, qui, cependant, ne ressemble à rien qu’à un effrayant œil de merveilles, où l’on ne distingue ni feu ni lumière ni ténèbres ; rien que l’aspect d’un semblable esprit, se présentant de couleur bleu-foncé, verte, et de couleur mélangée les renfermant toutes, de façon à n’en pouvoir reconnaître aucune, mais ressemblant à un effrayant éclair, dont l’aspect bouleverse et dévore tout.

2. Tel est l’Être éternel ou l’éternel Esprit, hors du feu et de la lumière ; car il est une volonté désireuse s’engendrant ainsi lui-même en un esprit. Et cet esprit est l’éternelle puissance du sans-fond ; ce dernier s’introduisant en un fond d’où dérive tout être. Car chaque forme de l’esprit est une imagination, une volonté désireuse de se manifester. Chaque forme engrosse son imagination et désire aussi se manifester ; c’est pourquoi le miroir de l’aspect est une merveille de l’être de tous les êtres, et les merveilles sont innombrables, sans commencement ni fin : tout est merveilles qu’on ne peut décrire, car l’esprit de l’âme qui en découle, comprend seul cela.

3. Nous saisissons en outre comment cette insondable volonté est toujours désireuse, d’éternité en éternité, de se manifester, de sonder ce qu’elle est, de conduire les merveilles en être et de se manifester en elles. Ce désir est une imagination que la volonté attire à elle et dont elle s’engrosse ; mais, par cette imagination, elle s’ombrage soi-même, en sorte que, de la libre volonté, naît une volonté opposée d’être délivrée de l’ombre ou du ténèbre ; car l’attiré est le ténèbre de la libre volonté dont, hors de l’imagination, elle était affranchie ; et pourtant aussi, hors de l’imagination, elle serait en soi-même un rien : ainsi naît dans la première volonté même, dans le désir, une volonté opposante. Car le désir est attirant, et la première volonté est tranquille et en soi-même sans être ; mais elle s’engrosse par le désir, qui la remplit des merveilles et de la puissance, ce qui l’ombrage et fait d’elle un ténèbre ; de sorte qu’alors, dans la puissance attirée, il se forme une autre volonté de passer de la puissance ténébreuse dans la liberté. Cette autre volonté est celle du cœur ou du Verbe, car elle est une cause du principe, une cause que la roue d’angoisse allume le feu. Elle traverse donc l’angoisse ou le feu avec l’éclat de la lumière ou de la majesté, dans laquelle alors l’être de la Sainte-Trinité se découvre et reçoit ici le précieux nom de Dieu. Entendez cela plus amplement comme suit :

4. La première volonté, soit Dieu le Père, est et demeure éternellement libre de la source d’angoisse, pour ce qui concerne la volonté en elle-même ; mais son désir est engrossé, et dans le désir naît la nature avec les formes, et la nature demeure dans la volonté (en Dieu), et la volonté dans la nature, sans mélange toutefois ; car la volonté est ténue comme un rien ; donc non saisissable, et n’est point saisie par la nature ; car si elle pouvait être saisie, la divinité ne se composerait que d’une personne. Elle est bien la cause de la nature, mais est et demeure cependant, en éternité, un autre monde en soi ; de même la nature demeure un monde propre ; car elle réside dans la force de l’essence d’où le principe s’originise. La claire divinité, dans la majesté, ne réside pas dans l’essence ou dans le principe, mais dans la liberté, hors de la nature ; mais l’éclat de la lumière, émanant du principe, met en évidence l’insaisissable et insondable divinité ; elle fait l’éclat de la majesté et ne le contient pourtant pas non plus en soi-même, mais le prend du miroir de la sagesse virginale, de la liberté divine. Car si le miroir de la sagesse n’existait pas, il ne s’engendrerait ni feu ni lumière : tout naît du miroir de la divinité, ce qu’il faut entendre comme suit :

5. Dieu est en soi le sans-fond, le monde originel, qu’aucune créature ne comprend, car elle habite en esprit et en corps dans le fond seulement. Dieu aussi, dans le sans-fond, ne serait pas manifeste à lui-même, mais, dès l’éternité, sa sagesse fut son fond que désira l’éternelle volonté du sans-fond de la divinité, d’où est née l’imagination divine, en sorte que l’insondable volonté de la divinité s’est ainsi, en imagination, engrossée dès l’éternité de la puissance de la vision ou figure du miroir des merveilles. Dans cet engrossement, se trouve l’éternelle origine de deux principes, savoir : 1o les ténèbres éternelles, d’où naît le monde de feu ; 2o l’essentialité (régime) de la fureur dans les ténèbres, où résident la colère de Dieu et l’abîme de la nature ; ainsi, nous reconnaissons le monde de feu pour la grande vie.

6. Nous comprenons, en outre, comment du feu s’engendre la lumière et comment, entre le monde de feu et le monde de lumière, se trouve la mort ; comment la lumière brille de la mort, et comment le monde de lumière flamboyante est en soi un autre principe et une autre source que le monde de feu, bien que non séparés l’un de l’autre, tout en étant insaisissables l’un par l’autre ; 3o nous comprenons aussi comment le monde de lumière remplit l’éternelle liberté ou la première volonté qui s’appelle Père ; 4o nous comprenons de même par là, sérieusement et fondamentalement, comment la vie naturelle, qui veut habiter dans le monde de lumière flamboyante, doit passer par la mort et naître de la mort ; mais nous comprenons, d’autre part, quelle vie naît du ténèbre ou de l’essence de la nature ténébreuse, savoir l’âme humaine qui, en Adam, s’était introvertie du monde de feu dans la nature (l’essentialité) ténébreuse. C’est pourquoi, 5o nous comprenons à fond et nettement la raison pour laquelle Dieu ou le cœur de Dieu est devenu homme, pourquoi il a dû mourir, pénétrer dans la mort, briser sa vie dans la mort, puis, l’introduire, au travers du monde de feu, dans le monde de lumière flamboyante, et pourquoi nous devons le suivre ; 6o pourquoi beaucoup d’âmes demeurent dans le monde de feu et ne peuvent, par la mort, entrer dans le monde de lumière ; enfin, ce qu’est la mort, et aussi, ce qu’est l’âme. Nous développons cela comme suit :

7. Quand nous considérons ce qu’est la vie, nous trouvons qu’elle consiste essentiellement en trois choses, savoir, en désir, base affective et sens (les sens). Si nous scrutons plus outre ce que c’est qui donne cela, nous trouvons le centre ou la roue des essences qui contient l’artisan du feu même. Recherchant ensuite d’où procède le feu essentiel, nous trouvons qu’il s’originise dans le désir de l’éternelle insondable volonté, qui, par le désir, se fait un fond ; car tout désir est âpre et attire ce que désire la volonté, bien que, cependant, il n’y ait rien devant elle qu’elle puisse désirer que soi-même.

8. C’est là le grand œil des merveilles, sans limite ni fond, renfermant tout et n’étant toutefois qu’un rien, à moins que dans la volonté désireuse il ne devienne quelque chose, ce qui arrive par l’imagination qui le convertit en substance ; et même alors, ce n’est encore qu’un rien, car ce n’est qu’une ombre à la libre volonté, laquelle ombre couvre la liberté ou la mince, insondable volonté, d’où naissent ainsi deux mondes ; le premier, incompréhensible ou insaisissable, un sans-fond et une éternelle liberté ; l’autre, qui se saisit soi-même et se rend un ténèbre. Cependant, ils ne sont point séparés l’un de l’autre ; il n’y a que cette différence que les ténèbres ne peuvent saisir la liberté, car elle est trop mince et demeure aussi en soi-même, comme le ténèbre.

 

 

La très sérieuse porte.

 

9. Ici, nous comprenons maintenant : 1o comment l’autre volonté du Père, qu’il puise dans le miroir de la sagesse, pour le centre de son cœur, s’engrosse, dans l’imagination du Père, de la substantialité (essentielle), et que cet engrossement est un ténèbre quant à la liberté de la première volonté (qui s’appelle Père) ; que de plus, dans ce ténèbre ou substantialité, résident, en imagination, toute la puissance, toutes les couleurs et toutes les vertus, aussi bien que toutes les merveilles. Nous comprenons, 2o comment la puissance, les merveilles et les vertus doivent être manifestées par le feu, soit dans le principe où tout entre dans son essence ; car l’essence naît dans le principe. Nous comprenons, 3o très sérieusement, que dans le principe, avant la naissance du feu, il y a une mort, savoir la grande vie d’angoisse, qui, à la vérité, n’est point un mourir, mais une âpre, sévère et mourante source, d’où s’originise la grande et forte vie, soit la vie de feu ; puis, de ce qui est mort, la vie de lumière, avec la puissance de l’amour ; laquelle vie de lumière habite, avec l’amour, dans l’éternelle liberté, ou dans la première volonté, qui se nomme Père ; car le Père désire, dans sa propre volonté, ce qu’il est lui-même et rien de plus. Comprenez cela comme suit :

10. Vous voyez et savez qu’il n’y a pas de lumière sans feu et point de feu sans sévère tourment, qui se compare à un mourir : la substantialité dont brûle le feu doit ainsi mourir et être consumée. De cette consomption naissent deux principes de deux grandes vies : la première, dans la source, se nomme feu ; l’autre, provenant de la subjugation, comme de la mort, et qui s’appelle lumière, est immatérielle et sans source, bien que renfermant toutes les sources, hormis celle de la fureur ; car la fureur est demeurée dans la mort, et la vie de lumière verdit de la mort, ainsi qu’une belle fleur pousse de la terre, et n’est plus saisie par la mort, comme vous voyez que la lumière demeure dans le feu et que le feu ne peut la mouvoir ; il n’y a rien non plus qui le puisse, car elle est semblable à l’éternelle liberté et demeure dans la liberté.

11. Ici l’on comprend comment le Fils est une autre personne que le Père, car il est le monde de lumière, habitant toutefois dans le Père, et le Père l’engendre de sa volonté : il est vraiment l’amour du Père, ainsi que merveille, conseil et puissance, car le Père l’engendre dans son imagination, en soi-même, et le conduit, au travers de son propre feu ou du principe, au travers et hors de la mort ; en sorte que le Fils constitue et est, dans le Père, un autre monde ou un autre principe que le monde de feu dans les ténèbres.

12. Vous comprenez aussi comment l’éternel esprit du Père se divise en trois mondes : D’abord, 1o il est la sortie de l’imagination de la première volonté du sans-fond qui, là, s’appelle Père, attendu que, par la sortie, il manifeste la sagesse et demeure dans la sagesse, qu’il s’en revêt comme de son vêtement des grandes merveilles.

13. Secondement, il est la cause de la compaction pour l’être des ténèbres, soit du second monde ; la cause et l’esprit pour l’origine du feu essentiel : il est lui-même la source dans l’angoisse du principe et aussi le monde de feu ou la grande vie.

14. Troisièmement, il est enfin celui-là même qui, dans le mourir du principe, conduit la puissance hors du feu : par lui, la puissance se dégage de l’angoisse et du mourir, sort du mourir, et va dans la liberté, y demeure et fait le monde de lumière. Ainsi, il est la flamme de l’amour dans le monde de lumière et ici, à cette place, s’originise le précieux nom de Dieu Père, Fils et Saint-Esprit. Car, dans le monde de feu, il n’est pas nommé Saint-Esprit ou Dieu, mais la colère de Dieu, la fureur de Dieu, puisque Dieu se nomme (lui-même) ici un feu dévorant. Mais dans le monde de lumière ou dans le Fils de Dieu, il est la flamme de l’amour et la puissance de la sainte vie divine même ; là il s’appelle Dieu Saint-Esprit. Et le monde de lumière se nomme merveille, conseil et puissance de la divinité ; c’est le Saint-Esprit qui le manifeste, car il est sa vie. En tout et aussi loin que notre cœur et notre intelligence peuvent atteindre, il n’y a absolument rien que ces trois mondes, ils contiennent tout ; savoir, premièrement, l’éternelle liberté, et dans elle, la lumière avec la puissance dans le miroir de la sagesse, qui se nomme Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit ; le second (monde) est l’être des ténèbres dans l’imagination, dans l’âpre et désireuse volonté, l’engrossement du désir, où tout est dans les ténèbres ou dans une frayeur continuelle et une mort angoisseuse ; le troisième (monde) est le monde de feu, le premier principe, qui s’engendre dans l’angoisse et est la grande, forte, puissante vie, dans laquelle habite le monde de lumière, mais insaisissable au feu.

 

 

 

 

CHAPITRE IV.

 

Du principe et de l’origine du monde de feu. Plus, du centre de la nature et comment la lumière se sépare du feu, en sorte que deux mondes sont l’un dans l’autre d’éternité en éternité.

 

 

1. Nous ne voulons point écrire d’une manière abstraite (vague), mais convaincante : Nous reconnaissons et savons que toute vie s’originise dans l’angoisse, comme dans un poison, qui est un mourir et pourtant aussi la vie même, ce qu’on peut reconnaître en l’homme et en toute créature. Car sans angoisse ou poison il n’y a point de vie, comme on le voit fort bien chez toute créature, particulièrement chez l’homme composé de trois principes, l’un dans le feu, comprenant la grande vie de feu, à laquelle appartient un poison défaillant ou le fiel, lequel produit la chambre d’angoisse, dans laquelle naît la vie de feu. Et de la vie de feu part l’autre principe ou la vie de lumière, d’où naît la noble base affective avec les sens, dans lesquels se trouve notre noble image. Et nous comprenons comment la vie de feu naît, de la mort du fiel, dans le cœur. Puis vient le troisième principe, dans l’autre chambre d’angoisse ou dans l’estomac, dans lequel nous engloutissons les quatre éléments et les astres, ce qui constitue cette chambre d’angoisse ou le troisième centre, soit le règne de ce monde, une puanteur et mauvaise maison de tourments, où la troisième vie, savoir la vie astrale et élémentaire, est engendrée et gouverne par le corps extérieur avec la raison du troisième principe.

2. Mais nous entendons très bien que dans le cœur, dans le centre du feu, se trouve caché un autre monde incompréhensible à la maison de douleurs des astres et des éléments ; car le cœur soupire après cet autre monde, et l’esprit, qui naît de la mort du poison du cœur, possède cet autre monde, car il est libre du poison que le feu allume, et demeure pourtant dans le feu du cœur, mais, par son imagination, il saisit le monde de la liberté dans l’imagination, et demeure dans la liberté, hors de la source du feu, pour autant, toutefois, qu’il porte son inclination en Dieu.

3. Si donc il existe un pareil triple régime dans l’homme, à bien plus forte raison hors de lui ; car si cela n’était pas, il n’aurait pu pénétrer dans lui, vu que, où il n’y a rien, il ne se produit rien non plus ; mais si quelque chose s’engendre, cela a lieu de ce qui est là. Toute imagination ne s’empreint que de son similaire et se manifeste dans la ressemblance. Si donc l’être de tous les êtres est une éternelle merveille en trois principes, il ne produit non plus que des merveilles, chaque principe selon sa propriété, et chaque propriété, à son tour, de son image, d’où nous reconnaissons que l’éternel est une pure merveille. Il faut donc réfléchir à cette merveille et considérer la nature et la propriété de l’éternelle engendreuse ; car il ne peut y avoir aucune propriété sans mère qui, là, donne.

4. Nous comprenons donc dans la grande merveille des merveilles (qui est Dieu et l’éternité avec la nature), particulièrement sept mères, desquelles naît l’être de tous les êtres ; les sept ne composent cependant qu’un seul être et aucune n’est la première ou la dernière ; les sept sont également éternelles, sans commencement : leur commencement est la manifestation des merveilles de l’unique éternelle volonté qui se nomme Dieu le Père, et ces sept mères ne seraient pas manifestes si l’unique, éternelle volonté, qui se nomme Père, n’était pas désireuse. Mais comme elle est désireuse, elle porte son imagination en soi-même et est un désir de se trouver soi-même, ce qui a lieu aussi dans l’imagination : là elle trouve principalement, en soi-même, sept formes distinctes, dépendantes l’une de l’autre, s’engendrant l’une l’autre : si l’une n’était pas, l’autre n’existerait pas non plus, et la volonté demeurerait un éternel néant, sans être, lueur ni éclat.

5. Puis donc que la volonté est désireuse, elle attire (s’imprègne) ce qui est dans l’imagination, et comme il n’y a rien, elle s’attire soi-même et s’engrosse dans l’imagination, non dans la volonté, car celle-ci est mince comme un rien.

6. Tout désir est donc âpre, car c’est sa propriété : cela est la première mère, et l’attirement de la volonté dans le désir la seconde ; car ce sont deux formes opposées l’une à l’autre, attendu que la volonté est calme comme un rien, âpre comme une tranquille mort, et l’attirement (attraction) est son stimulant, ce que ne peut souffrir la tranquille volonté dans l’âpreté, en sorte qu’elle attire beaucoup plus violemment en soi, ce qui rend sa propre volonté encore plus âpre ; elle veut renfermer et contenir l’attraction par une plus rude encore et ne fait que la provoquer. Plus l’âpreté se concentre pour contenir l’aiguillon, plus fort devient-il, ainsi que la fureur et le brisement ; car l’aiguillon ne veut pas se laisser dompter et est pourtant si fortement contenu par sa mère qu’il ne peut s’échapper. Il veut monter et sa mère descendre ; car l’âpre (astringent) tire à soi et se rend pesant : c’est un tomber au-dessous de soi, car cela fait dans le sulphur le phur, et dans le mercure le sul ; et l’aiguillon fait dans le phur la forme amère, la douleur, une inimitié dans l’âpreté, et veut toujours s’échapper de l’âpreté, bien qu’il ne le puisse pas. Alors l’un monte et l’autre descend, et s’ils ne peuvent, ils tournent comme une roue, qui irait toujours sur elle-même. Cela est la troisième forme, d’où naît l’essence et la merveille de la multiplicité, sans nombre ni fond. Et par cette roue entendez la merveille ou puissance que la première, insondable volonté tire à soi, du miroir du sans-fond, pour son centre ou son cœur ; c’est ici la volonté de la puissance et des merveilles. Dans cette roue de la grande angoisse s’originise l’autre volonté, celle du Fils, de passer de l’angoisse dans la paisible liberté de la première, insondable volonté, car la roue produit la nature ; c’est ainsi qu’elle s’originise, c’est le centre et une rupture de la silencieuse éternité ; cela ne tue rien, mais produit la grande vie.

7. Mais comme nous parlons d’un tuer, entendez-nous comme suit : ce n’est pas un tuer, mais la sensibilité ; car la vie, avant le feu, est inerte, sans sentiment ; ce n’est qu’une faim de la vie, tout comme le monde matériel n’est qu’une semblable faim, dans laquelle il travaille ainsi avec ardeur jusqu’au principe pour atteindre le feu ; alors naît la vie extérieure de ce monde, et cela ne peut être autrement, à moins que ne se rompe la première matrice ou l’âpre désir, c’est-à-dire la roue des trois premières formes ou l’âpreté ; et l’attirement de l’âpreté produit l’angoisse et le tourment. Car c’est un effroi en soi-même, puisque le néant doit entrer dans la sensibilité, et que, là, gît la source du poison dont la fureur et tout mal s’engendrent ; et cependant, c’est aussi la vraie origine de la vie sensible : tel est son principe, savoir le tourment de l’angoisse. On peut voir chez toutes les créatures que la vie tant créaturelle qu’essentielle s’originise dans le sang étouffé, dans l’angoisse, comme dans un fumier puant, en décomposition : de la mort du grain aussi naît la plus grande vie et cependant, il n’y a point de mort dans l’essence, mais un tourment d’angoisse, attendu que la mère, qui est une substance inerte, doit éclater, comme on le voit au grain, dans lequel la vie essentielle verdit de la rupture.

8. Il en est de même du centre de la nature : le tourment de l’angoisse est le vrai centre et fait le triangle dans la nature ; et l’éclair de feu, comme quatrième forme, fait du triangle une croix ; car là est le principe, et il est séparé en deux mondes de deux principes différents de source et de vie. Le feu ou la vie angoisseuse est et demeure une source ; l’autre source naît de la rupture de l’angoisse. Comprenez-nous ainsi : La première forme de l’être ou l’âpreté, dans la volonté désireuse et insaisissable, doit se livrer totalement au tourment de l’angoisse dans la roue de la nature, car l’aiguillon devient trop fort. Ainsi l’âpreté succombe comme morte, et il n’y a cependant point de mort, mais une source mourante ; car l’aiguillon devient le maître et transforme l’âpreté en sa propriété ou en un éclair furieux, un tourment angoisseux qui, provenant de l’aiguillon et de l’âpreté, est amer, selon la nature du poison. Car le poison ou la mort a principalement trois formes : l’âpre, l’amer et l’angoisse du feu ; il s’engendre ainsi lui-même et n’a d’autre artisan que la forte volonté pour la grande vie dans le feu.

9. Ainsi, comprenez-nous bien : le sans-fond n’a point de vie, mais dans une semblable propriété s’engendre la grande éternelle vie. Le sans-fond n’a ni mouvement ni sentiment et ainsi, cependant, s’engendrent la mobilité et la sensibilité, ainsi se perçoit le néant dans l’éternelle volonté, dont nous ne connaissons pas le fond, que nous ne devons pas non plus sonder, car cela nous trouble. Et ceci n’est pourtant qu’une vie essentielle, sans intelligence, pareille à la terre et à la mort ou au mourir, renfermant à la vérité une source, mais dans les ténèbres, sans intelligence ; car l’âpre angoisse tire en soi, et l’attiré produit les ténèbres, en sorte que la vie angoisseuse se trouve dans les ténèbres. Tout être est en soi-même sombre (ténébreux), à moins qu’il ne possède la teinture de la lumière. La teinture est donc une liberté dégagée des ténèbres et n’est point saisie par le tourment de l’angoisse, car elle est dans le monde de lumière, et bien qu’elle soit renfermée dans la substantialité, comme dans un corps ténébreux, elle est cependant de l’essence du monde lumineux où rien n’est circonscrit.

10. Plus haut, nous avons traité d’abord du miroir de la sagesse des merveilles de tous les êtres ; puis, de la trinité de l’être de tous les êtres ; nous avons exposé comment cette trinité s’originise d’une seule, éternelle volonté qui est le Père de toutes choses ; – comment ce Père puise en soi une autre volonté de se manifester ou de se trouver soi-même en soi ; en d’autres termes : de ressentir ce qu’il est et comment il est ; – comment cette autre volonté puisée à nouveau et magique de se sentir, est son cœur ou son siège propre ; – comment la première, insondable volonté s’engrosse elle-même, par l’imagination, du miroir des merveilles, qui, dans le monde de lumière, se nomme Sagesse. Nous avons de plus exposé comment cette première, insondable volonté, y compris l’engrossement, et hors du miroir des merveilles ou de la sagesse, ne peut, en cette manière d’être, avant le principe du feu, être vraiment nommée un être divin ; mais bien plutôt un mystère des merveilles de toutes choses ; lequel mystère se divise, dans le feu, en innombrables êtres, et demeure cependant aussi un seul être.

11. Ainsi, nous vous donnons maintenant à comprendre, quant à l’autre volonté, que la première puise dans son imagination ou engrossement, et qui est le grand mystère dans lequel la première volonté, qui se nomme Père, se cherche, se trouve et se sent, comme une vie dans le cœur : – que cette autre volonté est la mère de l’engendreuse dans l’engrossement qui s’est formé ou compacté dans l’imagination. C’est cette volonté qui produit les sept formes pour la nature, et aussi la roue d’angoisse ou le mourir. C’est elle encore qui, dans l’angoisse, passe, à travers la mort, dans la liberté, brise la mort, et donne la vie ; qui allume le feu, et dans le feu, s’empare de l’éclat de la majesté et demeure dans la lumière de la majesté, dans le feu, insaisissable à celui-ci ; – comme ne ressentant rien, étant morte à la source, et procédant d’une autre source que la première, à laquelle elle est morte.

12. Et si nous vous avons démontré brièvement, mais fondamentalement et d’une manière précise l’origine du feu, c’est que nous reconnaissons dans la profondeur qui nous est découverte par la grâce de Dieu, que cette origine a deux causes : la première est l’esprit de la volonté du cœur, entends l’autre volonté du père ou la propriété du fils ; la seconde est la matière de la volonté, soit la merveille de la roue de la vie essentielle ou la chambre d’angoisse. L’angoisse soupire après la volonté de la liberté, et la volonté soupire après la manifestation ; car la volonté ne peut, dans la paisible liberté, se manifester en soi-même sans la vie essentielle qui, dans l’angoisse ou dans le mourir, parvient à la manifestation, soit à la grande vie.

13. Ainsi, la volonté est dans la sombre angoisse, et l’angoisse est le ténèbre même. Et lorsque l’angoisse soupire ainsi ardemment après la volonté de la liberté, elle reçoit en soi cette volonté comme un éclair, comme un grand effroi ou comme si l’on versait de l’eau dans le feu. Ici a lieu le vrai mourir, car l’angoisse, tout à fait furieuse et ténébreuse, s’effraie de l’éclair, comme les ténèbres de la lumière, attendu que les ténèbres sont tuées et vaincues ; alors l’effroi est une explosion de grande joie. Là le furieux et âpre (âcre) poison s’affaisse dans la mort et devient impuissant, car il perd son aiguillon ; et cependant il n’y a point de mort, mais ainsi s’allume la vraie vie de sensibilité et de désir : c’est justement comme si l’on frappait l’un contre l’autre l’acier et la pierre, car ce sont deux grandes faims, l’une de la volonté désirant la substantialité, l’autre, de celle-ci désirant la vie. La volonté donne la vie et la substantialité, la manifestation de la vie : tout comme le feu brûle d’une chandelle, ainsi brûle la volonté de la substance essentielle. La volonté n’est pas la lumière même, mais l’esprit de la lumière ou du feu ; la lumière provient de l’essence et celle-ci, à son tour, de la volonté : le feu angoisseux essentiel est la matière de la lueur du feu, et la volonté s’allume dans le feu essentiel et donne le feu blanc et agréable qui demeure dans le feu ardent, sans impression. La volonté tire sa sensation de la fureur du feu essentiel dans la quatrième forme, qui fait qu’elle (la volonté) est manifeste à soi-même et demeure néanmoins libre de la fureur, car, lors de l’enflammement, la source est changée en une douce source d’amour.

14. Ici, l’autre volonté reçoit son nom d’esprit, car du feu essentiel, elle reçoit les propriétés de toutes les merveilles et aussi la vraie vie de force et de puissance sur la vie de feu essentielle, attendu qu’elle tire à soi, de la nature, la force, et introduit aussi en soi la liberté ; ainsi, la liberté est un silence sans être. La paisible liberté se livre donc à l’angoisse, et l’angoisse reçoit cette liberté sans tourment, ce qui la remplit tellement de joie qu’elle est transformée en amour (cinquième forme de la nature) ; car la volonté qui s’était livrée à l’angoisse est ainsi délivrée de la mort de cette angoisse ; c’est pourquoi elle se trouve dans la liberté et sort de la furieuse angoisse. Car ici la mort est brisée et demeure cependant une mort en soi ; mais l’esprit de la volonté ou la véritable sainte vie, sort par l’explosion de l’angoisse et est maintenant aussi un feu, mais un feu dans la liberté, brûlant dans la source d’amour, comme on le voit au feu et à la lumière, où le feu essentiel est une douleur cuisante et la lumière une sensation délicieuse, sans peine sensible ; et cependant elle renferme toutes les sources et propriétés du feu, mais dans une autre essence, douce et bienfaisante, un vrai aspect du royaume de joie, tandis que le feu a un aspect de terreur et d’angoisse ; et cependant, l’un demeure dans l’autre, et l’un ne se trouve pas non plus sans l’autre dans la source essentielle.

15. Ainsi, il y a deux mondes l’un dans l’autre, étrangers l’un à l’autre, et rien ne peut pénétrer dans le monde de lumière que par la mort (le mourir), et, en allant à cette mort, l’imagination doit marcher devant : la volonté angoissée doit tendre avec ardeur à la liberté de la puissance de la lumière, se livrer entièrement à elle et saisir, par l’imagination désireuse, la puissance de la liberté. Alors la forte volonté traverse la mort des ténèbres, le feu essentiel, rompt les ténèbres et tombe dans le monde de lumière ; elle demeure dans le feu, sans tourment, et dans le royaume de joie. C’est ici la porte du Saint-Ternaire et la foi dans le Saint-Esprit, chers enfants des hommes.

16. Ici vous comprenez la chute du diable qui n’avait porté l’esprit de sa volonté que dans le feu essentiel et voulait, par là, régner sur la lumière. Vous comprenez de même ici la chute de l’homme qui a porté son imagination dans la substantialité matérielle essentielle et est sorti de la lumière, pour quelle cause la volonté de l’amour émanant du monde de lumière, est de nouveau entrée dans la substantialité matérielle de l’humanité, s’est de nouveau mariée et livrée à l’esprit du feu essentiel de l’homme ou à l’âme et l’a conduite, au travers de la mort et du feu, dans le monde de lumière, dans le Saint-Ternaire, soit dans la volonté de la Sainte-Trinité.

17. Que cela vous soit un trouver et un savoir, et ne le méprisez pas à cause de la grande profondeur que chacun ne pourra pas atteindre, ce qui provient des ténèbres dans lesquelles l’homme se plonge ; n’était cela, chacun le trouverait bien, si la voie terrestre était brisée et qu’on n’aimât pas trop la mauvaise chair adamique : là est l’obstacle.

 

 

 

 

CHAPITRE V.

 

Du principe en soi-même, ce qu’il est.

 

 

1. Nous avons en outre à considérer les quatre premières formes de la nature, alors nous trouverons ce qu’est un principe. Cela est proprement un principe, qui, de rien, devient quelque chose, qui, du néant, devient une source, et de la source, une vraie vie, avec intelligence et sens. Mais nous reconnaissons le vrai principe dans l’origine du feu, dans la source du feu, qui rompt la substantialité et aussi les ténèbres. Nous reconnaissons donc l’essence et la propriété du feu pour un principe, car cela fait et produit l’origine de la vie et de toute mobilité, de même que la forte puissance de la fureur.

2. Secondement, nous reconnaissons aussi pour un principe ce qui peut demeurer dans le feu sans en être saisi, lui enlever sa puissance, et changer son tourment en un doux amour ; dont la puissance règne sur tout, qui a l’intelligence de rompre au feu sa racine et de faire du feu un ténèbre, une faim et une soif sèches, sans perception d’aucun rafraîchissement, tel qu’est le tourment de l’enfer : cela est le sans-fond, où la substance défaille, où la mort promène son aiguillon comme un poison défaillant, où il y a bien, intérieurement, une vie essentielle, mais hostile à elle-même, où le vrai enflammement du feu ne peut-être atteint, le feu n’apparaissant que comme un éclair.

3. Nous vous donnons donc à entendre que dans l’éternel (éternité) il n’y a que deux principes : 1o le feu ardent que la lumière remplit ; elle lui donne sa propriété, en sorte que du tourment aigu naît le grand royaume de joie, car l’angoisse atteint la liberté, ce qui fait que le feu brûlant n’est qu’une cause du trouver de la vie et de la lumière de la majesté ; le feu tire à soi la propriété de la lumière ou la douceur, et la lumière tire à soi la propriété du feu, comme une vie et un trouver (soi) : 2o l’autre principe s’entend de la lumière ; mais la substantialité essentielle dont le feu brûle demeure éternellement un ténèbre et une source de la fureur dans laquelle Satan habite, tout comme l’on voit que le feu est autre chose que la matière dont il brûle. Ainsi le principe se trouve dans le feu, non dans la source essentielle de la substantialité ; la source essentielle est le centre de la nature, la cause du principe ; mais ce centre est ténébreux et le feu luit : ici se montre bien comment le brisement de la fureur ou de la mort et l’éternelle liberté hors de la nature, sont ensemble la cause de la lueur. Car l’esprit des merveilles du sans-fond est désireux justement de luire (resplendir) ; c’est pourquoi il se mène en source, pour se trouver et se sentir, pour pouvoir manifester ses merveilles dans la source, car, sans source, aucune manifestation ne peut avoir lieu.

4. Ainsi, comprenez-nous plus outre : La source ou la fureur n’a point de vraie substantialité ; mais l’âpre fureur est la substantialité de l’aiguillon, dans laquelle il pique ; et l’angoisse avec le feu ne sont ou ne font non plus aucune vraie substantialité ; c’est seulement un tel esprit ; toutefois, l’un doit être plus épais que l’autre, sans quoi point de trouver ; mais l’âpreté (astringence) rend épais et ténébreux. Ainsi l’aiguillon amer trouve l’angoisse dans l’âpre et ténébreuse propriété, comme dans une matière ; car s’il n’y avait point de matière, il n’y aurait non plus point d’esprit ou de trouver. Le sans-fond se trouve dans l’âpre ténèbre, mais le disperse et en sort comme un esprit qui s’est trouvé (perçu) dans la source d’angoisse ; il abandonne l’âpre matière des ténèbres dans laquelle il s’est trouvé et rentre en soi-même, dans la liberté, dans le sans-fond, et demeure en soi-même. Ainsi la source est son aigu, son trouver, l’enflammement de sa liberté ou de la lumière, dans laquelle il voit ce qu’il est.

5. Ainsi, il ne désire plus pour lui la source, car il est maintenant lui-même une source ; mais il se configure lui-même et se voit lui-même selon toutes les formes, et chaque forme désire se trouver et se manifester ; chaque forme se trouve donc aussi en soi-même, mais sort de soi-même avec le désir et se présente là comme une figure ou esprit, et cela est l’éternelle sagesse, dans les couleurs, merveilles et vertus ; sans division toutefois, un tout complet, mais renfermant des formes (ou figures) infinies. Ces formes se sont, par la motion de la première volonté qui se nomme Père, corporisées en esprits, soit en anges, afin que l’être caché se vît, se sentît et se trouvât en créatures et qu’il y eût un jeu éternel dans les merveilles de la sagesse divine.

6. Nous comprenons en outre la substantialité du monde de lumière, qu’elle est une vraie substantialité, car aucune substance réelle ne subsiste dans le feu, mais l’esprit de la substance seulement ; mais le feu est cause de la substance, car c’est une faim, un ardent désir ; il lui faut de la substance ou il s’éteint. Comprenez cela ainsi : la douceur donne et le feu prend ; la douceur s’épanche et donne une substance de sa nature, chaque forme de soi-même, et le feu engloutit cela, mais en produit la lumière. Il donne quelque chose de plus noble que ce qu’il a englouti : esprit pour substance ; car il engloutit le doux bien-faire, c’est-à-dire l’eau de l’éternelle vie, puis donne l’esprit de l’éternelle vie : comme vous voyez que le vent sort du feu, ainsi l’air ou le vrai esprit de la vie du feu.

7. Entendez bien notre sens : Dieu le Père est en soi la liberté hors de la nature ; mais se manifeste, par le feu, dans la nature ; la nature de feu est sa propriété, mais en soi-même, il est le sans-fond où n’existe aucune sensation d’un tourment quelconque ; mais il conduit sa volonté désireuse dans le tourment et se puise dans le tourment une autre volonté de repasser du tourment dans la liberté. Cette autre volonté est son Fils que, dès l’éternité, il engendre de son éternelle unique volonté et qu’il conduit, par la rupture du tourment de la mort, ou de la sévérité de sa fureur, au travers et hors du feu. C’est cette autre volonté qui, comme Fils de Dieu le Père, brise la mort ou le sombre et sévère tourment, allume le feu, le traverse comme une lueur ou un éclat du feu, et remplit la première volonté qui se nomme Père, car l’éclat est aussi mince qu’un rien ou que la volonté qui se nomme Père, c’est pourquoi il peut demeurer dans la liberté ou dans la volonté du Père et rend le Père clair, lumineux, aimable et amical, car il est le cœur du Père ou miséricorde ; il est la substantialité du Père et le remplit en tous lieux, bien qu’il soit sans circonscription, sans commencement ni fin.

8. Comprenez donc plus outre : le feu du Père engloutit la douce substance ou la source d’eau de l’éternelle vie en soi, dans l’essence propre du feu, et se tempère par là ; la substantialité doit ici comme mourir dans le feu, car le feu l’engloutit, la dévore et produit de la destruction un esprit plein de vie, riche en joie, qui est le Saint-Esprit ; lequel sort ainsi du Père et du Fils pour entrer dans les grandes merveilles de la sainte substantialité et les manifester toujours et éternellement.

9. La divinité est donc une alliance éternelle qui ne peut se dissoudre : ainsi s’engendre-t-elle soi-même, d’éternité en éternité ; le premier est aussi toujours le dernier et celui-ci de nouveau le premier. Considérez dès lors le Père comme le monde de feu, le Fils comme le monde de lumière et de puissance, le Saint-Esprit pour la vie de la divinité, la puissance émanante et conductrice ; et le tout n’est qu’un Dieu, tout comme le feu, la lumière et l’air ne font qu’un, mais se partageant lui-même en trois, et aucun ne peut subsister sans l’autre. Car le feu n’est pas la lumière, non plus l’air qui sort du feu ; chacun d’eux a son office et est en soi un être propre ; cependant chacun est la vie de l’autre et une cause de sa vie. Car l’air souffle le feu, sans quoi il étoufferait dans sa fureur, il tomberait dans la noire mort ; or, l’étouffement est la vraie mort : là le feu de la nature s’éteint et n’attire plus à lui la substance.

10. Vous avez de tout cela une image fidèle dans le monde externe, dans toutes les créatures ; vous voyez comment toute vie, soit la vie de feu essentielle, tire à soi la substance : c’est là son aliment. Le feu de sa vie dévore la substance et en produit l’esprit de la force (vigueur), qui est la vie de la créature. Vous voyez là bien clairement comment la vie naît de la mort : aucune vie ne naît sans avoir brisé ce dont la vie doit sortir ; tout doit passer par la chambre d’angoisse du centre et atteindre, dans cette angoisse, l’éclair de feu, à défaut de quoi, point d’enflammement, bien que le feu soit de plusieurs sortes, ainsi que la vie ; mais de la plus forte angoisse naît aussi la plus grande vie, comme d’un véritable feu.

11. Ainsi, chers enfants de Dieu en Christ, nous vous donnons à peser notre connaissance et notre dessein : nous l’avons annoncé en commençant, nous voulons vous montrer la mort de Christ, pourquoi il a dû mourir, pourquoi nous aussi devons mourir et ressusciter en Christ. Vous verrez cela bien clairement dans notre description, vous comprendrez notre grande misère, qu’il était urgent pour nous que le Verbe ou la vie du saint monde de lumière devînt homme, et nous réengendrât en lui : celui qui n’entend rien à cela n’est pas né de Dieu. Voyez donc dans quelle demeure Adam nous a introduits ! Il était un extrait de tous les trois principes, une ressemblance parfaite des trois mondes, et avait la propriété angélique dans sa base affective et dans son esprit ; il était établi dans la sainte puissance et substantialité, ou dans le paradis, c’est-à-dire dans la substantialité divine. Il devait manger de la substantialité divine et boire de l’eau de l’éternelle vie, à la manière angélique, comme cela est exposé en détail dans le livre de la triple vie ; mais il abandonna la substantialité divine et la propriété angélique, et porta son imagination dans le créé ou dans le règne de la source terrestre que le diable avait enflammée dans sa chute ; il détourna son regard de Dieu et le porta dans l’esprit du monde ou le dieu terrestre ; il le détourna de la lumière divine pour le porter dans la lumière de ce monde ; ainsi il devint captif et demeura dans la source terrestre. Il tomba donc dans la source terrestre et périssable qui domine en lui et le remplit. Elle le revêt d’un corps qu’elle brise ensuite et engloutit dans sa propre essence, dans son feu essentiel.

12. Mais parce que l’âme a été insufflée à l’homme de l’esprit de Dieu ou de l’éternité, en sorte qu’elle est un ange, Dieu s’est de nouveau ému en sa faveur ; la puissance du saint monde de lumière, le cœur de Dieu, disons-nous, est entré dans notre essence humaine, renfermée dans la mort ; il est entré dans la chambre d’angoisse de notre misère et a, de notre essence, tiré une âme en soi ; il s’est revêtu de notre vie mortelle, et a fait passer l’âme au travers de la mort et du sévère feu de Dieu le Père, dans le monde de lumière, brisé la mort qui nous tenait captifs et ressuscité la vie.

13. Maintenant, cela ne doit et ne peut être autrement, qui veut posséder le monde de lumière doit entrer dans la voie que Christ nous a frayée : il doit entrer dans la mort de Christ, et dans sa résurrection il pénètre dans le monde de lumière. De même que nous reconnaissons que l’éternel Verbe du Père, qui est son cœur, est d’éternité en éternité engendré de la fureur de la mort des ténèbres par le feu du Père, qu’il est en soi-même le vrai centre de la Sainte-Trinité et de soi-même aussi, en conjonction avec le Saint-Esprit, la majestueuse lumière flamboyante ou le monde de lumière : de la même manière et par la même propriété, doivent aussi notre cœur, nos sens et notre base affective sortir de l’âpre, rude et mauvaise terrestréité, de l’homme adamique corrompu, le briser et le tuer par le sérieux de notre volonté et de nos actions. Nous devons charger sur nous la croix du vieil Adam (suspendu à nous), pendant notre vie, être sur et dans la croix, aller au centre de la nature, entrer dans le triangle et être renouvelés par la roue d’angoisse, si nous voulons devenir des anges et vivre éternellement en Dieu.

14. Mais parce que nous n’étions pas capables de cela, Christ s’est livré à ce centre de la fureur, a brisé la fureur et l’a éteinte par son amour, car il apporta dans cette fureur, dans le centre de la chambre d’angoisse, la substantialité céleste et divine ; il éteignit le feu d’angoisse de l’âme, soit la fureur du Père, du monde de feu dans l’âme, de sorte que, maintenant, nous ne tombons plus en partage à la fureur ; mais si nous nous adonnons à la mort de Christ et sortons du méchant Adam, nous tombons dans la mort de Christ, dans la voie qu’il nous a frayée, dans le sein d’Abraham, c’est-à-dire dans les bras de Christ : il nous reçoit en lui. Car le sein d’Abraham, c’est le monde de lumière, ouvert dans la mort de Christ, le paradis dans lequel Dieu nous créa ; or, il ne s’agit pas maintenant d’être des chrétiens de bouche, de nous représenter la mort de Christ et de demeurer des fourbes de cœur, d’esprit et d’âme, mais bien de retirer très sérieusement nos sens, notre âme, notre volonté, notre faire, des mauvais penchants, et de les combattre. Bien qu’ils nous soient inhérents, nous devons néanmoins journellement et à chaque heure tuer à ce méchant Adam sa volonté et son faire ; nous devons faire ce à quoi nous ne sommes pas disposés, faire abnégation de notre mauvaise vie terrestre et attirer à nous la vie de Christ ; alors le royaume des cieux souffre violence et ceux qui le forcent, l’attirent à eux, dit le Christ.

15. Ainsi faisant, nous devenons enceintes du royaume des cieux et entrons, de notre vivant, dans la mort de Christ ; nous recevons le corps de Christ ou la substantialité divine et avons en nous le royaume des cieux ; ainsi nous sommes les enfants de Christ, des membres et héritiers du royaume de Dieu et l’image du saint monde divin, qui est Dieu le Père, le Fils, le Saint-Esprit et la substantialité de cette Sainte-Trinité ; tout ce que la sagesse produit et manifeste est notre paradis ; rien ne meurt en nous que l’Adam mort, terrestre et mauvais, dont nous avons déjà brisé la volonté ici, dont nous étions l’ennemi. Notre ennemi s’éloigne de nous et doit aller dans le feu, entends dans le feu essentiel, dans les quatre éléments et dans le mystère. À la fin de ce temps, il devra être éprouvé par le feu divin et nous représenter nos merveilles et nos œuvres. Le mystère terrestre doit rendre, dans le feu divin, ce qu’il a englouti, et non un tel mal, car le feu divin engloutit le mal et nous donne, en échange, ce qu’ici-bas, dans notre angoisseux travail, nous avons cherché. Tout comme le feu engloutit la substantialité et donne esprit pour substance, ainsi nous seront représentées nos œuvres dans l’esprit et cela dans la joie céleste, par le feu divin ; ce sera comme un clair miroir, pareil aux merveilles de la sagesse divine.

16. Que ceci vous soit manifesté, chers enfants, car il a été très précieusement reconnu ; ne vous laissez pas ainsi chatouiller (bercer) par la mort de Christ et ne vous la laissez pas représenter comme une œuvre qui nous suffit, pourvu que nous en ayons connaissance et croyions qu’elle s’est accomplie pour nous : à quoi me sert de savoir où gît un trésor si je ne le déterre ? – Il ne s’agit pas de se consoler, de faire les hypocrites et de débiter de belles paroles, tandis que la fourberie reste dans l’âme. Christ dit : Il vous faut naître de nouveau, ou bien vous n’hériterez pas le royaume de Dieu. Nous devons nous convertir, devenir comme un enfant dans le corps de sa mère et être engendrés de la sagesse divine. Nous devons revêtir nos âmes d’un vêtement neuf, du vêtement de Christ ou de son humanité ; sans quoi aucune hypocrisie n’y fera rien. C’est un pur mensonge que cet étalage de paroles qui nous dépeint Christ comme ayant satisfait pour nous, de façon que nous n’ayons qu’à nous reposer là-dessus et continuer la vie du vieil Adam dans l’avarice, l’orgueil, la fausseté et les convoitises de la méchanceté. C’est la tromperie antéchristique du faux clergé, contre lequel nous met en garde la révélation. Il ne nous sert absolument de rien de nous tromper nous-mêmes et de nous chatouiller des souffrances et de la mort de Christ ; il nous faut y entrer, lui devenir conformes ; alors les souffrances et la mort de Christ nous sont utiles. Nous devons charger sa croix, le suivre, réprimer et tuer les mauvais désirs, vouloir toujours le bien ; alors nous expérimenterons assez ce que sont les traces de Christ, quand nous combattrons le diable, le vieil Adam, le monde pervers et la raison terrestre qui n’aspire qu’aux voluptés temporelles. La croix de Christ nous est ici vraiment imposée, car Satan, le monde et notre Adam pervers constituent cette croix : tous sont nos ennemis que le nouvel homme doit combattre, comme un chevalier, sur les traces de Christ. Que d’innombrables ennemis se dresseront là contre lui et le frapperont tous ! Il s’agit ici de combattre en héros pour la chevaleresque couronne d’épines de Christ, quoique constamment méprisé néanmoins, comme un être indigne de vivre. Combattre et croire doivent être le mot d’ordre. La raison disant toujours non, c’est ici que nous est utile le bouclier des souffrances et de la mort de Christ, à opposer au démon, au monde, à la mort et à la raison terrestre, sans faiblir, car il y va d’une couronne angélique, d’être un ange ou un démon. Nous devons être renouvelés dans la tribulation, et il en coûte beaucoup de lutter avec la colère divine et de vaincre Satan : si Christ n’était pas avec nous, en nous, dis-je, nous succomberions. Il ne nous sert à rien de savoir, de nous reposer sur la grâce de Dieu et de faire de Dieu notre couvre-péché, laissant ainsi le fourbe et la larve du démon cachés et bien recouverts sous les souffrances de Christ. Oh non ! le fourbe doit être brisé dans les souffrances et la mort de Christ ; il ne doit pas être un fourbe s’il veut être un enfant ; il doit devenir un fils obéissant, travailler dans les souffrances de Christ, entrer dans les voies de la vérité, de la justice et de l’amour ; il doit agir, non uniquement savoir. Le diable en sait assez, à quoi cela lui sert-il ? La pratique doit s’en suivre ou bien c’est une fausseté et une tromperie.

17. L’hypocrite raison dit : Christ l’a fait, nous ne le pouvons. Eh bien, oui, il a fait ce que nous ne pouvions faire ; il a brisé la mort et ramené la vie. De quoi cela me sert-il, si je ne vais pas à lui ? Il est au ciel et moi dans ce monde ; il faut que j’aille à lui par la voie qu’il nous a pratiquée, sans quoi je reste dehors. Car il dit : venez à moi, vous qui êtes travaillés et chargés, je vous soulagerai ; chargez mon joug sur vous et apprenez de moi, car je suis doux et humble de cœur, alors vous trouverez le repos de vos âmes. C’est sur sa voie que nous devons aller à lui, rendre le bien pour le mal et nous aimer les uns les autres, comme il l’a fait à notre égard, en donnant sa vie pour nous.

18. Ainsi faisant, nous éteignons aussi la colère de Dieu dans notre prochain. Nous devons donner le bon exemple, non de ruses et d’artifices, mais de simplicité, avec bonne volonté et bon cœur ; non avec la dissimulation d’une femme de mauvaise vie qui dit : je suis vierge, et feint la chasteté extérieure, bien que débauchée de cœur. Le zèle doit être très sérieux : mieux vaut ne posséder ni argent ni biens, perdre même les honneurs et la puissance temporels, plutôt que le royaume de Dieu. Celui qui trouve Dieu a tout trouvé ; celui qui le perd a tout perdu, il s’est perdu lui-même. Oh ! quelle rude tâche que de rompre la volonté terrestre ! Entre en lice, tu n’auras plus besoin de t’enquérir des traces de Christ, tu les verras bien ; tu sentiras bien la croix de Christ, de même que la colère de Dieu qui, autrement, ne donne signe de vie dans le vieil Adam jusqu’à ce que tu l’aies bien engraissée ; alors elle te donnera ton royaume des cieux que tu as cherché ici-bas, dans lequel tu sueras éternellement.

 

 

 

 

CHAPITRE VI.

 

De notre mort. Pourquoi nous devons mourir,

bien que Christ soit mort pour nous.

 

 

Citation première.

 

1. Sois ici notre convive, chère et brillante raison, soyez tous invités, vous savants et ignorants, vous tous qui voulez voir Dieu. Il y a un grave sceau et une forte serrure à ouvrir ; pensez-y, cela vous concerne tous.

2. La raison dit : Dieu n’était-il donc pas assez puissant pour pardonner à Adam son péché, sans que Dieu dût se faire homme, souffrir et se laisser tuer ? Quel plaisir Dieu trouve-t-il à la mort ? Ou bien, puisqu’il voulait donc nous sauver de cette manière, pourquoi, Christ nous ayant sauvés, devons-nous aussi mourir ? Oui, danse, chère raison, cherche jusqu’à ce que tu trouves ; ici tu es docteur et ne sais rien ; tu es savante et pourtant muette ; – si tu ne veux pas, il faudra bien ; tu viendras à cette école, entends l’école du Saint-Esprit. Qui peut ouvrir ici ? N’est-ce pas le livre fermé de celui qui, dans la révélation de Jésus-Christ, est assis sur le siège ? – Ainsi parle l’hypocrite, nous le savons bien. Ainsi, je dis : je ne l’ai jamais entendu de votre bouche, ni lu dans vos écrits ; vous m’avez défendu cette recherche ; vous l’avez fait mettre à l’interdit et réputé pécheur celui qui chercherait cela ou désirerait le connaître : par ce moyen, la belle femme (la vérité) est demeurée bien cachée. Oh ! quel jeu l’antéchrist n’a-t-il pas pu jouer sous cette couverture ? Mais cela doit être manifesté contre la volonté du diable et de l’enfer ; car le temps est venu, le jour de la réintégration point, ce qu’Adam a perdu sera retrouvé !

3. L’Écriture dit : Nous sommes poussière et cendre (Gen. XVIII : 27). C’est bien cela : nous sommes poussière et terre. Mais il s’agit maintenant de savoir si Dieu a fait l’homme de terre ? La raison veut le maintenir et le prouve par Moïse qu’elle ne comprend pourtant pas. L’expérience ne confirme pas non plus cela, mais nous apprend bien plutôt que l’homme est un limon, c’est-à-dire un extrait de tous les trois principes. S’il doit être une ressemblance de l’Être divin, il faut bien qu’il en soit provenu, car ce qui n’est pas issu de l’éternel n’est pas permanent : tout ce qui commence appartient à ce dont il est provenu. Mais si nous sommes provenus de la terre seulement, nous appartenons à la terre. Qui est-ce qui nous accuserait donc de ce que nous ferions ce que veut la propriété de la terre et à quoi elle pousse ? Si, par contre, il y a en nous une loi qui nous accuse de ce que nous vivons terrestrement, cette loi n’est pas terrestre, mais provient de ce où elle nous renvoie et nous attire, savoir de l’éternel (éternité) ; c’est là où elle nous attire aussi ; et notre propre conscience nous accuse devant l’Éternel, de ce que nous faisons, ce qui lui répugne. Mais si nous nous abandonnons à ce qui nous attire dans l’éternel, il faut que l’autre, ce qui nous attire dans le terrestre, rompe et entre dans ce qu’il veut, savoir dans la terre, où il nous attire, et la volonté que nous donnons à l’Éternel, prend possession de ce qui est éternel.

4. Si donc Dieu a créé à l’homme une habitation de durée éternelle, soit chair et sang, il faut bien que la volonté qui s’abandonne à l’éternel soit revêtue d’une chair et d’un sang tels que ceux que Dieu avait créés dans le paradis, dans l’éternel ; à quoi nous reconnaissons bien clairement que Dieu ne nous a pas créés en chair et en sang tels que ceux que nous avons actuellement, mais en chair semblable à celle dont la volonté est revêtue dans la nouvelle naissance, sans quoi elle serait bientôt devenue, avant la chute, terrestre et périssable. Pourquoi alors ma conscience m’accuserait-elle de ce dans quoi Dieu m’aurait créé, ou bien que pourrait-elle désirer d’autre que ce qu’elle serait dans son propre être ? – Nous trouvons ainsi très nettement qu’il y a encore un autre être dans notre chair, qui tend à ce qu’il n’est pas aujourd’hui. Mais s’il tend après ce qu’il n’est pas maintenant, il faut bien que cela ait existé au commencement de son être, sans quoi il n’y aurait en lui ni envie ni désir d’autre chose ; car nous savons que chaque être désire ce dont il tire son origine.

5. Ainsi notre volonté désire une chair semblable à celle que Dieu créa, qui puisse subsister en lui ; non une chair périssable, dans le tourment, mais une chair durable, sans tourment ; d’où nous comprenons clairement que nous sommes passés de l’éternel dans le périssable ; que nous avons attiré la matière dans le limon et sommes devenus terre, dont Dieu nous a pourtant extraits en une masse dans laquelle il a introduit son esprit avec l’éternel. Car Adam a, par son imagination, attiré dans le limon la source terrestre des astres et des quatre éléments, puis les astres et les éléments ont attiré la passion terrestre. Ainsi, la matière céleste (matrice) de la chair céleste, est devenue terrestre ; car l’esprit de Dieu, qui, par le Verbe fiat, fut insufflé du cœur de Dieu dans le limon, avait la substantialité céleste ; il était revêtu de chair et de sang célestes : celui-là devait gouverner Adam selon la propriété céleste et divine. Mais comme, lorsqu’il habitait le ciel, Satan avait infecté le limon, il infecta de même Adam par son imagination, de façon que celui-ci commença à s’imprégner de la passion corrompue de la source terrestre, d’où il devint captif du règne de ce monde pervers, lequel fit son entrée dans le limon, comme un souverain. Ici l’image de Dieu fut gâtée et tomba dans la source terrestre.

6. Or, l’esprit céleste se trouvant dans le soufre terrestre corrompu, l’éclat céleste et le brûler du feu divin ne pouvaient subsister, car la lumière du feu éternel réside dans la liberté hors de la source. Mais l’eau de la liberté, qui était l’aliment du feu éternel, était devenue terrestre, c’est-à-dire qu’elle était envahie par la terrestréité, et le doux amour fut infecté par la mauvaise passion terrestre : ainsi le feu éternel ne pouvait ni brûler ni luire, mais sourçait dans la chair corrompue comme un feu étouffé que l’humidité empêche de brûler. Ce même feu nous ronge maintenant et nous accuse toujours ; il voudrait bien brûler de nouveau et vivre de substantialité céleste ; au lieu de cela, il est réduit à engloutir la source terrestre, savoir l’imagination terrestre, à laquelle se mêle la passion du diable. Ainsi, il (ce feu) devient mauvais aussi et nous attire constamment vers l’abîme, dans le centre de la nature, dans la chambre d’angoisse d’où il est sorti au commencement.

7. Ainsi, tu vois, ô homme, ce que tu es ; de plus, ce que tu fais de toi, tu le seras pour l’éternité, et tu vois pourquoi tu dois être brisé et mourir ; car le règne de ce monde passe et tu n’es pas, quant à ton être extérieur, en puissance de le retenir jusque dans son éther (éternité), tu es impuissant dans ce règne et n’y tiens que par la constellation où se trouvait l’astre lors de ta conception en chair et sang terrestres. Tu es, selon la vie extérieure, tellement impuissant que tu ne peux te défendre de ta constellation ; tu es contraint de laisser briser ton corps quand la constellation t’abandonne. – Tu vois donc bien ce que tu es, savoir une poussière de terre, une terre pleine de puanteur, de ton vivant un cadavre ; tu vis de l’influence des astres et des éléments, ils te gouvernent et te poussent selon leurs propriétés, ils te donnent des mœurs et de l’industrie, puis quand leur siècle est écoulé et que leur constellation, sous laquelle tu as été conçu et tu es né dans ce monde, est à son terme, ils te laissent tomber. Ton corps échoit aux quatre éléments, et ton esprit, qui te conduisit, échoit au mystère dont les astres sont issus ; là, il est réservé pour le jugement de Dieu qui veut tout éprouver par le feu de sa puissance. Ainsi, tu dois pourrir, devenir terre et un rien, sauf l’esprit qui est provenu de l’éternel, que Dieu a introduit dans le limon. Réfléchis donc à ce que tu es : une pincée de terre, une maison de tourment des astres et des éléments. Si sur cette terre, dans ce temps, tu n’as pas de nouveau enflammé, de la lumière divine, ton âme et éternel esprit, qui te fut donné par l’éternel et souverain bien, en sorte qu’il ait été régénéré dans la lumière de l’essentialité éternelle, ton âme échoit de nouveau au mystère du centre de la nature, ou à la première mère (elle va) dans la chambre d’angoisse des quatre premières formes de la nature ; là, il faut qu’elle soit un esprit dans la ténébreuse source d’angoisse, auprès de tous les démons, et dévore ce qu’elle a introduit en soi dans ce temps ; cela sera son aliment et sa vie.

8. Mais comme Dieu n’a pas voulu qu’il arrivât pareille chose à l’homme, sa ressemblance et son image, il s’est fait lui-même ce que devint le pauvre homme après avoir perdu la substantialité divine et le paradis, afin de lui venir pourtant en aide, afin que l’homme eût ainsi, en lui-même, la porte de la renaissance, qu’il pût être régénéré en Dieu dans son feu d’âme, que ce même feu pût ré-attirer en soi la substantialité divine et se remplir de la source d’amour divin, d’où naîtrait de nouveau le divin royaume de joie et s’engendrerait de rechef, du feu de l’âme, le Saint-Esprit, comme il a été exposé ci-devant ; lequel Esprit saint procéderait du feu de l’âme et arracherait à la chair adamique la volonté impie, en sorte que la pauvre âme ne serait plus remplie de nouveau de la passion terrestre et diabolique.

 

 

La porte du nouvel homme.

 

9. Il faut entendre cela de la manière suivante : Dieu est devenu homme et a de nouveau introduit, en Christ, notre âme humaine dans la substantialité divine ; elle mange de rechef de la substantialité divine, soit l’amour et la douceur, et boit l’esprit d’eau de l’éternelle vie, émanant de l’éternelle sagesse, qui est la fontaine de la substantialité divine. Cette âme de Christ a été revêtue de chair et de sang divins et célestes, par le Verbe qui est le centre du monde de lumière, et se préoccupa des pauvres âmes prisonnières. Ce Verbe habitait dans la substantialité divine et dans la vierge de la sagesse, mais vint dans Marie, prit notre propre chair et notre propre sang dans la substantialité divine, brisa la puissance qui nous retenait captifs dans la colère de la mort et de la fureur, et cela sur la croix, comme au centre de la nature de l’origine, dans l’éternelle volonté du Père pour la nature, d’où notre âme provenait, et alluma de nouveau, dans cette même essence, soit dans le sombre feu de l’âme, le feu flambant de lumière, puis conduisit l’autre volonté des âmes au travers du feu divin ou hors de l’origine, dans la flambante, blanche et claire lumière. Lorsque la nature ressentit cela dans les âmes, elle en fut remplie de joie, brisa la mort, verdit, par la puissance divine, dans le monde de lumière, et transmua le feu en un désir d’amour, de façon qu’en éternité aucun feu n’est plus connu, mais une grande et forte volonté dans l’amour envers ses rameaux et ses branches, soit envers nos âmes.

10. C’est pourquoi nous disons : Dieu eut soif de nos âmes. Il est devenu notre tronc, nous sommes ses rameaux et ses branches, et comme un tronc distribue toujours sa sève aux branches, afin qu’elles vivent et portent fruit, pour la magnificence de tout l’arbre, ainsi fait aussi notre tronc. L’arbre Jésus-Christ, dans le monde de lumière, qui s’est manifesté en nos âmes, veut les avoir, en tant que ses branches. Il a pris la place (l’âme) d’Adam qui nous perdit. Il est devenu Adam dans la renaissance. Adam conduisit notre âme dans ce monde, dans la mort furieuse, et Lui, conduisit notre âme hors de la mort, au travers du feu divin, et l’enflamma de nouveau dans le feu, afin qu’elle obtînt de rechef la brillante lumière ; sans cela, elle eût dû demeurer dans la sombre mort et dans la source d’angoisse.

11. Tout gît maintenant dans notre propre entrer, nous n’avons qu’à suivre la voie que Christ nous a frayée. Il ne faut qu’introduire notre imagination et notre entière volonté en lui, ce qui s’appelle foi, et résister à l’ancienne volonté terrestre ; alors nous recevons, par la régénération, l’esprit de Christ, qui attire la substantialité céleste en nos âmes, savoir la chair et le sang célestes de Christ. Quand l’âme goûte cela, elle fait éclater en soi la ténébreuse mort et allume en soi le feu de l’éternité, d’où brûle la brillante lumière de la douceur. Cette douceur attire de nouveau l’âme en soi, savoir le feu de l’âme, l’engloutit et produit, de la mort, la vie et l’esprit de Christ. Ainsi, cet esprit qui sort du feu éternel habite le monde de lumière, auprès de Dieu, et est la vraie image de la Sainte-Trinité. Il ne demeure pas dans ce monde, le corps ne le perçoit pas, mais bien la noble base affective, dans laquelle l’âme est un feu ; celle-là le perçoit, mais ne l’attouche pas. La noble image habite bien dans le feu de l’âme de la base affective, mais elle flotte dedans comme la lumière dans le feu. Car pendant que l’homme terrestre vit, l’âme est toujours en danger, le diable lui faisant la guerre ; il darde toujours ses rayons, par sa fausse imagination, dans l’esprit des astres et des éléments, saisissant par là le feu de l’âme qu’il veut toujours infecter de passion terrestre et diabolique. Alors, la noble image est contrainte de se défendre du feu de l’âme et il s’en suit un rude combat pour la couronne angélique ; souvent l’angoisse, le doute et l’incrédulité s’élèvent dans le vieil Adam, quand le diable attaque l’âme. Ah ! croix de Christ, que tu es pesante le plus souvent ! Comme le ciel se couvre ! – Mais ainsi est semé le noble grain : quand il lève, il porte de beaucoup plus beaux fruits dans la patience.

12. Ainsi chaque rameau croît de la sagesse divine dans l’âme ; tout doit pousser de la chambre d’angoisse et croître comme une branche, de la racine de l’arbre : tout s’engendre dans l’angoisse. Si un homme veut avoir la connaissance divine, il doit passer très souvent par la chambre d’angoisse, par le centre ; car chaque étincelle d’intelligence divine, émanant de la sagesse de Dieu, doit naître du centre de la nature, sans quoi, elle n’est pas durable ni éternelle ; elle doit reposer sur le fond éternel, sur la racine éternelle, alors elle est un rameau de l’arbre de Christ dans le royaume de Dieu.

13. Ainsi comprenons-nous le mourir, ce que c’est, pourquoi Christ dut mourir et pourquoi nous devons tous mourir dans la mort de Christ, si nous voulons jouir de sa glorification. Le vieil Adam ne peut faire cela ; il doit rentrer dans ce dont il est sorti, il doit être éprouvé par le feu divin et rendre les merveilles qu’il a englouties ; elles doivent revenir à l’homme et lui apparaître selon sa volonté, en tant qu’il les a accomplies ici-bas dans la volonté de Dieu ; mais si elles ont déshonoré Dieu, elles appartiennent au diable, dans l’abîme.

14. Que chacun prenne donc garde à ses faits et gestes ici-bas, aux dispositions de son âme (base affective) et de sa conscience en parlant, en agissant et dans sa conduite : tout doit être éprouvé par le feu, et ce qui sera propre à ce feu, il l’engloutira et le donnera à l’abîme dans l’angoisse, ce dont l’homme aura du dommage, et il sera privé dans l’autre monde de ce dont il aurait pu et dû avoir de la joie s’il eût été un ouvrier dans la vigne du Seigneur, au lieu d’être maintenant reconnu un serviteur paresseux. C’est pourquoi aussi la vertu, la puissance et la glorification dans les merveilles de la sagesse divine seront inégales dans l’autre monde. Plus d’un roi ici-bas se verra surpassé dans l’autre vie en gloire et en sagesse par un gardeur de pourceaux, et ses œuvres livrées à l’abîme, parce qu’elles étaient mauvaises.

15. Vois, chère humanité, je te montre une image du monde angélique : regarde le sol fleuri ou le firmament, vois comme une étoile ou une plante surpasse l’autre en vigueur, beauté et grâce de forme : tel est le monde angélique, car nous serons là en chair et sang spirituels, non comme ici. Le corps spirituel est tellement subtil qu’il peut traverser des pierres terrestres, sans quoi il ne serait pas susceptible de divinité ; car Dieu demeure hors de la source saisissable, dans la paisible liberté, son être propre est lumière et puissance de la majesté ; dès lors, il nous faut aussi un corps puissant, mais vraiment de chair et de sang, dans lequel réside l’éclat de la teinture. L’esprit est si mince qu’il est insaisissable au corps, mais cependant saisissable dans la liberté, sans quoi ce serait un néant ; et le corps est beaucoup plus épais que l’esprit, en sorte que ce dernier peut le saisir et le manger, ce qui entretient la vie de l’esprit dans le feu et produit, de l’esprit, la lumière de la majesté, puis, de la lumière, en retour, la douceur dans la chair et le sang, de sorte que c’est un être éternel.

16. Si, maintenant, nous nous trouvons et nous connaissons ainsi, nous voyons et reconnaissons ce qu’est Dieu et ce qu’il peut, de plus, ce qu’est l’être de tous les êtres, et nous sentons combien nous avons été induits en erreur et aveuglément conduits, attendu qu’on nous parle beaucoup de la volonté de Dieu, qu’on représente toujours la divinité comme un être étranger, éloigné de nous, dont la volonté incline seulement vers nous, qui pardonne les péchés par faveur, comme un roi fait grâce de la vie à un condamné. Mais non, écoule, il ne s’agit pas de faire l’hypocrite et de demeurer un fourbe ; il faut naître de Dieu ou être réprouvé pour l’éternité ; c’est l’œuvre de la vraie foi et, de la volonté, laquelle volonté doit aller sérieusement à Dieu et devenir un esprit avec lui ; elle doit obtenir la substance céleste, sans quoi ni chant, ni sonnerie, ni hypocrisie, ni quoi que ce soit n’y fera rien. Dieu n’a besoin d’aucun culte : nous devons nous entraider, nous aimer et remercier le Dieu souverain, c’est-à-dire nous élever à lui dans un seul esprit, annoncer ses merveilles, invoquer son nom et le louer ; cela constitue la joie du Saint-Ternaire, ou la sagesse éternelle transforme la louange en merveilles, puissance et végétation. Alors, le règne de Satan est détruit, le règne de Dieu vient à nous et sa volonté s’accomplit. Hors de là, toute œuvre et fiction humaines sont devant Dieu une chose inutile, une hypocrisie qui n’amène aucune réconciliation, mais détourne uniquement l’homme de son Dieu.

17. Le règne de Dieu doit s’établir en nous et sa volonté s’accomplir en nous, alors nous le servons véritablement : si nous l’aimons de tout notre cœur, de toute notre âme et de toutes nos forces, puis notre prochain comme nous-mêmes, c’est là tout le culte qu’il accepte de nous ; à quoi sert de nous abuser ? Si nous sommes justes, nous sommes nous-mêmes des dieux dans le Dieu souverain ; ce qu’alors nous faisons, Dieu le fait en nous et par nous. Si son esprit est en nous, pourquoi tant de recherches au sujet du culte divin ? Veut-il faire quelque chose ? – Soyons ses serviteurs dispos. Si quelque œuvre doit plaire à Dieu, il en doit être l’artisan ; hors de là, c’est une œuvre terrestre, dans l’esprit de ce monde, nous bâtissons pour le ciel de ce monde, dans les astres et les éléments qui agissent et déploient leurs merveilles en nous ; enfin, par des œuvres hors de l’esprit de Dieu, nous servons le ténébreux démon.

18. Que cela vous soit dit, comme nous l’avons hautement reconnu : aucune œuvre ne plait à Dieu, qui n’émane pas de la foi en lui ; fais l’hypocrite à satiété, tu ne travailles que pour ce monde, tu sèmes dans un champ terrestre. Mais veux-tu récolter des fruits célestes ? – alors répands de la semence céleste, et si, dans un sol mal disposé, elle ne prend pas, cette semence reviendra à toi, lèvera dans ton champ et tu jouiras toi-même de son fruit.

 

 

 

 

CHAPITRE VII.

 

Du voir spirituel ; comment un homme peut posséder, dans ce monde, la science divine et céleste, à pouvoir parler de Dieu avec connaissance, et comment son voir est constitué.

 

 

Seconde citation ou rafraîchissement de la raison externe

de ce monde, dans la chair et le sang.

 

1. La raison externe dit : Comment un homme, habitant ce monde, peut-il voir en Dieu, comme dans un autre monde, et dire ce qu’est Dieu ? – Cela ne se peut, ce doit être une chimère dont l’homme se berce et qui le trompe lui-même.

2. Réponse. Tel est le point d’arrêt de la raison externe : elle ne peut fouiller plus outre pour trouver du repos, et si j’en étais encore là, je parlerais de même ; car celui qui ne voit rien dit : il n’y a rien là ; ce qu’il voit, il le reconnaît ; il ne sait rien de plus que ce qui est devant les yeux. Je demanderai au moqueur et homme entièrement terrestre si le ciel est aveugle, ou bien l’enfer et Dieu lui-même ? Si, dans le monde divin, il y a aussi un voir ? Si l’esprit de Dieu voit aussi, tant dans le monde de lumière et d’amour, que dans le monde de la fureur et de la colère, dans le centre ? S’il dit qu’il y a un voir là-dedans, comme cela est, qu’il prenne garde de ne pas voir le plus souvent par les yeux du démon dans sa méchanceté préméditée, alors que, longtemps à l’avance, il imprime dans son imagination d’exécuter méchamment une chose, qu’il voit d’avance comment il peut et veut accomplir sa fourberie. Et s’il peut voir d’avance la méchanceté, pourquoi ne voit-il pas de même sa récompense ? Oh non ! le diable voit avec ses yeux et cache la punition, afin qu’il puisse accomplir la méchanceté. Si l’homme chassait le diable, il verrait la grande folie qu’il lui insinuait : il lui fait voir le mal et lui prête des yeux pour cela, pour voir ce qui doit arriver, et l’homme aveuglé ne sait pas qu’il voit par les yeux du démon.

3. Le saint voit, de la même manière, par les yeux divins, ce que Dieu se propose de faire ; et cela, l’esprit de Dieu le voit, dans la nouvelle naissance, par les vrais yeux humains, par l’image divine ; cet esprit est au sage un voir et aussi un faire ; non au vieil Adam qui ne doit être là que serviteur, pour mettre en œuvre ce que le nouvel homme voit en Dieu. Christ n’a-t-il pas dit : le Fils de l’homme ne fait rien que ce qu’il voit faire à son père ; c’est cela qu’il fait. Le Fils de l’homme est devenu notre habitation, dans laquelle nous sommes entrés ; il est devenu notre corps et son esprit est notre esprit. Habitant en Christ, serions-nous donc aveugles en Dieu ? L’esprit de Christ voit par et en nous ce qu’il veut, et ce qu’il veut, nous le voyons et le savons en lui : hors de lui, nous ne savons rien de Dieu. Il opère des œuvres divines et voit ce qu’il veut et quand il veut, non quand Adam veut, lorsque Adam (par exemple), répandrait volontiers sa méchanceté (avec orgueil de se montrer). Oh non ! là il se cache et ne regarde pas en nous dans la joyeuse lumière en Dieu, mais dans la croix, dans la tribulation, dans les souffrances et la mort de Christ, dans la persécution, le mépris (qu’il a endurés), dans une grande tristesse ; c’est là-dedans qu’il regarde et il laisse le vieil âne se débattre et porter la croix de Christ ; c’est là son office. C’est par cette voie, par la mort de Christ, que le nouvel homme voit dans le monde angélique ; il lui est plus aisé et plus clair à comprendre (connaître) que le monde terrestre ; cela arrive naturellement, non par illusion, mais par des yeux voyants ; par les yeux qui doivent posséder le monde angélique, savoir ceux de l’image de l’âme ; par l’esprit qui sort du feu de l’âme ; cet esprit voit dans le ciel, il voit Dieu et l’éternité ; nul autre ne le peut, et il est aussi la noble image de Dieu.

4. C’est d’un tel voir que cette plume a écrit, non d’autres autorités ou de présomptions. Bien qu’une créature ne soit que partielle et non un tout ; que nous ne voyions qu’en partie, c’est pourtant certain ; mais on ne peut décrire la sagesse divine, car elle est infinie, sans nombre ni circonscription ; nous ne la connaissons que partiellement. Bien que nous en sachions beaucoup plus, la langue terrestre ne peut l’exprimer ; elle ne prononce que des paroles de ce monde et le sens demeure dans l’homme caché ; c’est pourquoi l’un comprend toujours différemment de l’autre : selon que chacun est doué de sagesse, il le saisit et l’exprime.

5. Chacun ne comprendra pas mes écrits dans mon sens, pas même un seul ; mais chacun reçoit suivant son don, pour son amendement, l’un plus que l’autre, selon la propriété de son esprit ; car l’esprit de Dieu est le plus souvent soumis à l’esprit de l’homme porté au bien et voit ce que l’homme veut, pour que son bien ne soit pas empêché, mais que partout la volonté de Dieu s’accomplisse ; car l’esprit qui est engendré du feu de l’âme, de la douceur et de l’être divins, est aussi le Saint-Esprit, il demeure dans la propriété divine et tire son voir de la propriété divine.

6. Qu’y a-t-il donc en nous d’étranger que nous ne puissions pas voir Dieu ? Ce monde et le diable dans la colère de Dieu sont la cause que nous ne voyons pas avec des yeux divins ; à part cela, il n’y a aucun obstacle.

7. Si quelqu’un dit : je ne vois rien de divin, qu’il pense alors que la chair et le sang, de plus, la ruse du démon, lui sont un obstacle et un voile ; que souvent, dans son orgueil, il veut voir Dieu pour son honneur propre, et que souvent aussi il est rempli de méchanceté terrestre et aveuglé par elle. S’il considérait les traces de Christ et entrait dans une nouvelle vie, s’il se soumettait à la croix de Christ et ne désirait que son entrée en lui, que de le suivre dans sa mort, son passage aux enfers et son ascension au Père, comment ne verrait-il pas alors le Père, son sauveur Christ et le Saint-Esprit.

8. Le Saint-Esprit serait-il donc aveugle quand il demeure dans l’homme ? Ou écris-je pour ma gloire ? Non pas, mais pour la gouverne du lecteur, afin qu’il revienne de son erreur, qu’il abandonne le chemin du vice et mène une existence sainte et divine, afin qu’il voie aussi avec des yeux divins les merveilles divines et que la volonté de Dieu s’accomplisse ; dans quel but cette plume a tant écrit et non pour son propre honneur ou pour la volupté de cette vie, comme le persécuteur nous en accuse toujours, demeurant néanmoins le persécuteur seulement, dans la colère de Dieu, auquel nous souhaiterions volontiers le royaume des cieux, s’il pouvait se débarrasser de Satan et de l’orgueil terrestre qui l’aveuglent.

9. Ainsi, chers enfants de Dieu, qui cherchez dans les larmes, prenez seulement cela au sérieux : notre voir et savoir sont en Dieu ; il manifeste à chacun, dans ce monde, autant qu’il lui plaît, qu’il sait qu’il lui sera utile et bon ; car celui qui voit en Dieu a l’œuvre de Dieu à accomplir ; il doit et est tenu de faire, d’enseigner ce qu’il voit, d’en parler ; sans quoi le voir lui est retiré. Car ce monde n’est pas digne du voir divin ; mais pour l’amour des merveilles et de la manifestation divines, il est donné à plusieurs de voir, afin que le nom de Dieu soit manifesté au monde, ce qui sera aussi un témoignage contre toute perversité qui tourne la vérité en mensonges et méprise le Saint-Esprit ; car nous ne nous appartenons pas à nous-mêmes, mais à celui que nous servons dans sa lumière. Nous ne savons rien de Dieu : lui-même est notre voir et savoir. Nous sommes un néant, afin qu’il soit tout en nous ; nous devons être aveugles, sourds et muets, et ne percevoir aucune vie en nous, afin qu’il soit notre vie et notre âme, que notre œuvre soit la sienne ; si nous avons fait quelque chose de bon, notre langue ne doit pas dire : c’est nous qui avons fait cela, mais : c’est le Seigneur qui a fait cela en nous ; que son nom soit glorifié. Eh bien ! que fait ce monde pervers maintenant ? Si quelqu’un dit : c’est Dieu qui a fait cela en moi ; quoique ce soit bien, le monde répond : fou que tu es, c’est toi qui l’as fait, Dieu n’est pas en toi, tu mens. Il faut donc que l’esprit de Dieu soit leur fou et un menteur. Qu’est-ce donc, ou qui parle par la bouche du calomniateur ? Le diable, qui est un ennemi de Dieu, pour cacher l’œuvre de Dieu, pour que l’esprit divin ne soit pas reconnu et que lui demeure prince de ce monde jusqu’au jugement.

10. Si donc vous voyez que le monde vous combat, vous persécute, vous méprise, vous calomnie à cause de la connaissance divine et du nom de Dieu, pensez que vous êtes en présence du noir démon, bénissez afin que le règne de Dieu vienne à nous et brise à Satan son aiguillon, afin que par votre bénédiction et votre prière l’homme soit délivré du démon : ainsi faisant, vous serez de bons ouvriers dans la vigne du Seigneur, vous mettrez obstacle au règne de Satan et produirez des fruits pour la table du Seigneur, car de la colère de Dieu nous sommes réengendrés dans l’amour et la douceur. Dans l’amour et la douceur devons-nous endurer les épines de Satan et le combattre en ce monde ; car l’amour est un poison pour lui, un feu de terreur qu’il ne peut supporter ; s’il percevait une étincelle d’amour en lui, il la rejetterait ou bondirait de rage pour s’en délivrer. C’est pourquoi l’amour et la douceur sont nos armes : avec elles nous pouvons, sous la couronne d’épines de Christ, combattre, pour la noble couronne, le diable et ce monde ; car l’amour est le feu de l’autre principe, le feu divin, auquel Satan et le monde sont hostiles ; l’amour a des yeux divins et voit en Dieu ; la colère a l’œil de la fureur, dans la colère de Dieu, et voit dans l’enfer, le tourment et la mort.

11. Le monde croit bonnement qu’on doit voir Dieu des yeux terrestres ; il ne sait pas que Dieu n’habite point dans l’extérieur, mais dans l’intérieur ; et si, alors, il ne voit rien d’étrange chez les enfants de Dieu, il dit : oh ! c’est un fou, il est né fou, il est mélancolique. Le monde n’en sait pas davantage. Écoute, maître Jaques, je sais bien ce que c’est que la mélancolie et aussi ce qui est de Dieu ; je les connais tous deux et toi aussi, dans ton aveuglement. Un tel savoir n’est pas le fruit de la mélancolie, mais bien d’un combat chevaleresque ; nul ne l’obtient sans combat, sans élection divine, sans lutte pour la couronne. Plus d’un est prédestiné à cela dès le ventre de sa mère, comme Jean-Baptiste (Luc I : 15) et d’autres, qui sont saisis dans l’alliance divine de la promesse, alliance qui est toujours la fin (but) d’un siècle né de la grande année avec le temps et choisi par Dieu pour manifester les merveilles qu’il tient en réserve. Tous ne sont pas prédestinés cependant, mais beaucoup obtiennent la connaissance par leurs ardentes recherches ; car Christ a dit : Cherchez et vous trouverez, heurtez et il vous sera ouvert (Math. VII : 7). De plus : Qui viendra à moi, je ne le rejetterai point (Jean VI : 37), et : Père, je veux que ceux que tu m’as donnés soient où je suis (Jean XVII : 24), c’est-à-dire selon le nouvel homme, né de Christ, en Dieu son Père. Enfin : Père, je veux qu’ils voient la gloire dans laquelle j’étais avant la fondation du monde. – Ici se trouve le voir par l’esprit de Christ, par le royaume de Dieu, dans la puissance de la parole, le voir de l’Être divin, par les yeux divins, et non par les yeux de ce monde et de la chair extérieure.

12. Ainsi, ô monde aveugle, sache comment nous voyons, quand nous parlons et écrivons de Dieu, et désiste-toi de ton faux jugement ; vois par tes yeux et laisse les enfants de Dieu voir par les leurs ; vois par tes dons et laisse les enfants de Dieu ou quiconque voir par les leurs. Que chacun voie selon qu’il est appelé et se conduise de même ; car notre œuvre n’est pas uniforme, mais chacun procède suivant son don et son appel, pour la gloire et les merveilles de Dieu. L’esprit de Dieu ne se laisse pas ainsi lier, comme la raison externe, avec ses lois et ses conciles, le prétend, alors que chaque fois on forme une chaîne de l’antéchrist, que les hommes veulent juger l’esprit de Christ et tenir leur opinion et leur décision pour l’alliance divine, comme si Dieu n’était pas présent dans ce monde ou comme s’ils étaient des dieux sur la terre, confirmant encore par serment ce qu’ils veulent croire. N’est-ce pas une œuvre de folie que de vouloir lier à un serment le Saint-Esprit dans ses merveilleux dons ? Il doit croire ce qu’ils veulent, et pourtant, ils ne le connaissent pas, ne sont pas nés de lui non plus ; néanmoins ils lui dictent des lois sur ce qu’il doit faire.

13. Nous disons que tous les pactes de ce genre sont l’antéchrist et (le fruit de) l’incrédulité ; comme qu’ils soient tournés, l’esprit de Dieu est libre, il ne va pas dans le pacte, mais apparaît librement selon le don et le naturel, à l’humble base affective qui le cherche ; il lui est même encore soumis, si elle le désire avec ardeur. À quoi sert donc le pacte d’invention humaine lorsqu’il s’agit de la gloire de Dieu ? Tous les pactes ne sont-ils pas nés de l’orgueil personnel ? Un entretien amical est certes bon et nécessaire ; il convient que l’un fasse part de son don à l’autre, mais les pactes sont une fausse chaîne, contraire à Dieu. Dieu a jadis fait une alliance avec nous en Christ, cela suffit pour l’éternité ; il n’en fera plus. Il a fait alliance une fois avec l’espèce humaine, un testament solennel par la mort et le sang ; cela suffit, nous nous en contentons à bon droit et nous attachons à cette alliance. Il ne nous est pas permis de danser ainsi témérairement autour de la coupe de Christ, comme cela se fait de nos jours, sans quoi elle nous sera ôtée, de même qu’elle l’a été aux Turcs.

14. Les temps sont très sérieux, plus sérieux que jamais ; que cela vous soit dit ; il nous a été donné de reconnaître que l’antéchrist doit être mis à nu. Mais veillez à ce que vous ne deveniez pas en même temps pires, car la cognée est mise à l’arbre ; le mauvais arbre doit être abattu et jeté au feu. Le temps est proche : que nul ne s’abandonne aux désirs de la chair, car il ne sert de rien de savoir comment on peut naître de nouveau, si l’on demeure dans la vieille peau, dans les voluptés du vieil homme, dans l’avarice, l’orgueil et l’injustice, dans l’impureté et dans une vie scandaleuse : un tel homme est mort de son vivant et gît dans le gouffre de la colère divine ; son savoir l’accusera et le condamnera. S’il reçoit et admet la parole de vérité que Dieu lui donne à connaître, comme le vrai chemin à la vie, il doit aussitôt la mettre en pratique et quitter la méchanceté, sinon il encourt une grave sentence. En quoi est-il meilleur que Satan ? Celui-ci connaît aussi la volonté de Dieu, mais accomplit la sienne, mauvaise ; l’un ne vaut pas mieux que l’autre : nul n’est bon que depuis qu’il met la parole en pratique ; alors il marche dans la voie divine et cultive la vigne du Seigneur.

15. L’hypocrite Babel enseigne maintenant que nos œuvres sont sans mérite, que Christ nous a sauvés de la mort et de l’enfer, que nous n’avons qu’à le croire et nous serons justes. – Écoute Babel ! le serviteur qui connaît la volonté de son maître et ne la fait pas sera rudement châtié. Un savoir sans le faire ressemble à un feu qui fume et que l’humidité empêche de brûler. Veux-tu que ton feu de foi divine brûle ? Alors souffle-le, pour le débarrasser de l’humidité du diable et du monde ; entre dans la vie de Christ. Si tu veux devenir son enfant, il te faut entrer dans sa maison et faire son œuvre ; à défaut de quoi tu es un étranger, un hypocrite qui prend en vain le nom de Dieu ; tu enseignes d’une façon et agis de l’autre, témoignant ainsi que le jugement de Dieu est vraiment sur toi. Quelle satisfaction Dieu retire-t-il de ton savoir, puisque tu demeures un fourbe ? Crois-tu qu’il reçoive tes cris hypocrites que tu lui adresses ainsi : Seigneur, donne-moi une grande foi aux mérites de ton fils Jésus-Christ, que je croie de tout mon cœur qu’il a satisfait pour mes péchés ? Crois-tu que cela suffise ? – Oh non ! tu dois entrer dans les souffrances et la mort de Christ et renaître de sa mort, tu dois devenir un membre avec et en lui ; crucifier sans relâche le vieil Adam, demeurer constamment sur la croix de Christ, devenir un enfant obéissant qui écoute toujours ce que dit le Père et veut de même faire de bon gré sa volonté. Il te faut passer à l’action, sans quoi tu demeures une larve sans vie ; tu dois opérer avec Dieu de bonnes œuvres d’amour envers ton prochain, exercer constamment ta foi et être toujours prêt à la voix du Seigneur quand il t’appellera à quitter la vieille peau pour aller dans ta patrie, où tu recevras le pur vêtement. Vois ! bien que tu te proposes de marcher dans ce chemin, tu auras néanmoins encore assez de faiblesses, tu en ressentiras beaucoup trop, tu feras encore trop de mal, car nous avons à demeure en nous un fâcheux hôte ; il ne s’agit pas de se consoler seulement, mais de le combattre, de le tuer et de le vaincre sans cesse ; il est déjà toujours trop fort et veut avoir le dessus : Christ a bien brisé la mort pour nous et en nous, et ouvert la voie en Dieu ; mais à quoi me sert-il de me reposer là-dessus, de le savoir seulement, si je demeure prisonnier de la ténébreuse colère, lié par les chaînes du diable ? Il faut que j’entre dans cette voie, que j’y marche, comme un pèlerin qui va de la mort à la vie.

 

 

 

 

CHAPITRE VIII.

 

La voie du pèlerinage de la mort à la vie.

 

 

1. Chers enfants, entretenons-nous ici cordialement ensemble de la base : Notre véritable vie, en laquelle nous devons voir Dieu, est comme un feu étouffé ; en plusieurs même, comme le feu prisonnier dans une pierre ; nous devons l’allumer par une vraie, sérieuse introversion en Dieu. Voyez donc la sollicitude de Dieu envers nous : il nous a régénérés en Christ par l’eau de l’éternelle vie, et nous a, dans l’alliance du baptême, laissé cette eau comme une clef du présent d’adieu, afin que nous pussions ouvrir et en arroser notre feu d’âme, pour qu’il devînt susceptible du feu divin. Il nous a de plus donné son corps pour aliment et son sang pour breuvage, afin que nous nous les appropriions, que nous entrions dans son alliance et en nourrissions notre âme, pour la restaurer et la réveiller de la mort, la porter à allumer le feu divin. Chers enfants, ce feu doit brûler et non rester enfermé dans la pierre, ou comme une amorce qui aimerait prendre feu et en est empêchée par l’humidité du diable. La foi historique est une amorce ou une étincelle qui fume et doit être allumée : nous devons lui fournir la matière dans laquelle elle puisse s’allumer ; l’âme doit passer de la raison de ce monde dans la vie de Christ, dans sa chair et son sang, alors elle reçoit la matière pour son enflammement. Il faut du sérieux, car l’histoire n’atteint pas la chair et le sang de Christ ; la mort doit être brisée, quoique Christ l’ait brisée. Le sérieux désir doit être là de le faire de bon gré, de pousser toujours en avant, comme un pèlerin ou un messager qui, ayant un périlleux et long voyage à faire, marche toujours au but avec persévérance : bien qu’il lui arrive du mal, encore espère-t-il atteindre ce but et il en approche toujours plus ; alors il a l’espoir d’une récompense et de se recréer, et il se réjouit de ce que son pénible voyage tire à sa fin.

2. C’est ainsi que doit se mettre en route l’homme qui veut aller à Dieu ; il doit de plus en plus se dégager de la raison terrestre, de la volonté de la chair, du diable et du monde : il souffre souvent de devoir abandonner ce qui est à sa portée et au moyen de quoi il pourrait trôner dans les honneurs terrestres. Mais s’il veut vraiment suivre la voie étroite, il ne doit endosser que le vêtement du juste et se dépouiller de l’avarice et de la vanité de la vie ; il doit partager son pain avec le nécessiteux et le couvrir de son habit, ne point opprimer le malheureux ni ne penser qu’à remplir son coffre, ne point exprimer la sueur du misérable et de l’homme simple, ni leur imposer des lois pour satisfaire son orgueil et sa volupté. Celui qui agit de la sorte n’est pas un chrétien, mais il chemine dans la voie de ce monde, sous l’influence des astres et des éléments, sous l’impulsion de Satan, et quoiqu’il ait la foi historique en la miséricorde divine, en la satisfaction de Christ, cela ne lui servira de rien ; car non pas tous ceux qui disent : « Seigneur, Seigneur » entreront dans le royaume des cieux, mais ceux-là seulement qui font la volonté de mon Père qui est au ciel ; et cette volonté est : aime ton prochain comme toi-même ; ce que tu veux qu’on te fasse, fais-le aussi toi-même.

3. Ne dis pas en ton cœur : je suis établi dans cette charge et souveraineté par droit, je l’ai achetée et héritée, ce que mes sujets me font, ils me le doivent. Vois et recherche d’où provient ce droit, s’il est d’ordre divin ou bien issu de fraude, d’orgueil personnel ou d’avarice ? Trouves-tu qu’il est d’ordonnance divine, alors considère la chose et comporte-toi dans ta charge selon les prescriptions de l’amour et de la justice ; pense que tu y es un serviteur et non un dominateur des enfants de Christ, et que tu n’es pas assis là uniquement pour exprimer leur sueur, mais que tu es leur juge et leur pasteur, que tu rendras compte de ta gestion. Il t’est remis cinq talents dont tu es comptable avec usure envers ton maître. Tu dois conduire tes inférieurs dans le bon chemin, leur donner de bons exemples, les enseigner et punir le méchant ; car tu seras recherché si tu ne punis pas l’homme pervers et si tu ne protèges pas l’opprimé. Tu n’es pas régent uniquement pour les dominer ; non toi, mais Dieu est leur souverain ; tu dois être leur juge et accommoder leurs différends ; tu n’es pas leur juge pour contenter ton avarice, mais pour donner satisfaction à leur conscience. Tu es en fonctions non pour pressurer seulement l’homme simple, mais pour l’instruire, le diriger et le conduire avec douceur ; ta charge est importante, c’est pourquoi tu en rendras un compte sévère. Les gémissements du malheureux, opprimé par toi, t’accusent devant son maître et le tien ; tu seras traduit en jugement avec lui, car la sentence est prononcée contre les âmes et nulle hypocrisie ne t’y soustraira.

4. Tout ce qui est semé avec larmes, très sérieusement, devient substance et appartient au tribunal de Dieu, à moins que l’homme ne se convertisse et ne se concilie par des bienfaits l’opprimé : celui-ci le bénissant alors, la substance se brise. Grande est dès lors votre responsabilité, ô supérieurs ; réfléchissez bien à l’origine de votre qualité, la source en sera recherchée de près et chacun rendra compte, dans sa condition. Prenez garde à ce qu’elle ne vous conduise au feu infernal, comme il arrive au démon furieux lui-même, et que vous ne soyez trouvés ses serviteurs ; car l’esprit des merveilles nous montre que vous êtes devenus l’accomplissement de l’éternelle colère et de la fureur. Ne dis pas en ton cœur : telle a été aussi la conduite de mes parents et de mes ancêtres, je l’ai héritée d’eux ; car tu ignores dans quelle demeure ils sont entrés. Si tu veux devenir un chrétien et un enfant de Dieu, tu ne dois pas regarder à la voie des ancêtres, comme ils ont vécu dans la volupté ; mais t’en tenir à la parole de Dieu qui doit être la lumière de tes sentiers. Car beaucoup qui se sont fourvoyés sont allés dans l’abîme et tu les y suivras, si tu marches sur leurs traces. Ne te laisse pas attirer dans la trompeuse voie où Satan te convie ; ses dehors sont brillants, mais son essence est poison.

5. Ah ! qu’elle est pourtant dangereuse la voie que nous avons à parcourir au travers de ce monde et combien il serait à désirer qu’il n’y eût rien d’éternel chez le pervers ! Il n’aurait pas alors à souffrir un tourment sans fin, à être un objet de dérision éternelle. De même que dans cette vie il est ennemi des enfants de Dieu, ainsi demeure-t-il : c’est un éternel ennemi de Dieu et de ses enfants. C’est pourquoi les enfants de Dieu doivent charger la croix sur eux, se laisser déchirer par les chardons et les épines, renaître dans l’angoisse et marcher dans la voie étroite, où la raison leur dit sans cesse : tu es un fou, tu pourrais vivre dans la joie et être tout de même sauvé. Oh ! comme la raison externe frappe souvent la noble image qui croît dans les épines et la tribulation ! Combien de branches sont arrachées de l’arbre de perles par le doute et l’incrédulité qui entraînent l’homme dans la fausse voie ! Le malheureux soupire après la nourriture temporelle, maudit son oppresseur et pense qu’il agit bien en cela, tandis qu’il ne fait par là que se perdre lui-même et agit aussi méchamment que celui qui l’opprime. S’il prenait patience, réfléchissant qu’il est en pèlerinage, mettant son espérance dans son but et pensant qu’au milieu de cette croix, de cette misère, de cette affliction, il travaille dans la vigne de Christ, ô que bienheureuse serait sa voie, car il serait ainsi porté à rechercher une autre et meilleure vie, puisqu’ici-bas il doit flotter dans l’angoisse et la misère ! S’il comprenait seulement bien les intentions paternelles de Dieu envers lui, alors qu’il l’attire et le cherche de cette façon, pour qu’il ne s’attache pas à la vie terrestre ! Voyant qu’elle n’est qu’une vallée de misères, de tourments ; qu’ici ses jours se passent dans la dure contrainte, le malheur, de pures misères, il doit pourtant bien penser que Dieu ne laisse pas en vain les choses se passer ainsi, mais dans le but de le porter à la recherche du vrai repos qui ne se trouve pas dans ce monde. En outre, il doit attendre la mort à toute heure et laisser son œuvre à d’autres. Pourquoi donc l’homme met-il son espoir dans ce monde, où il n’est cependant qu’un hôte et un pèlerin dont la route est tracée par sa constellation ? Béni serait son travail à l’œuvre de Dieu s’il admettait la constellation interne et laissait la vie extérieure aller comme elle pourrait.

6. Dans ce monde, un homme qui tend à posséder le royaume de Dieu ne peut suivre de meilleure voie, et nul ne peut lui conseiller mieux, que de se souvenir constamment qu’il est dans la vigne du Seigneur, que toutes ses actions et son existence doivent tendre à le servir. Son âme doit se porter à Dieu, dans une continuelle espérance de recevoir de lui le salaire de son travail et qu’il opère dans ses merveilles. En conséquence, il doit être laborieux dans son travail, et bien que, souvent, il doive servir son oppresseur péniblement et sans rétribution, il n’a qu’à penser qu’il ne travaille que pour le Seigneur, à patienter dans l’espérance que Dieu lui donnera bien son salaire, en son temps. Car le propriétaire de la vigne ne paie pas ses ouvriers pendant la journée, mais le soir, quand le travail est achevé. Quand nous délogerons de nos huttes temporelles pour aller chez nous, à notre Père, alors chacun recevra son salaire ; celui qui aura beaucoup et longtemps travaillé pourra s’attendre à un fort salaire, mais celui qui n’aura été qu’un dormeur, un murmurateur, un paresseux et un mauvais ouvrier, impatient, aura peu gagné et pourra même s’attendre à une punition de son maître, car il n’aura fait que débaucher d’autres ouvriers et il aura été un ouvrier inutile, ne faisant que de mauvais ouvrage, pour frustrer son maître : celui-là recevra équitablement punition en lieu de salaire.

 

 

 

 

LA PORTE DANS LE CENTRE DE LA NATURE.

 

 

Troisième citation.

 

7. La raison dit : pourquoi Dieu souffre-t-il qu’il n’y ait ici-bas que pure misère et, de plus, rien que violence et oppression, de façon que l’un tourmente et pressure l’autre, que maint homme possédant beaucoup et n’étant dès lors pas dans le besoin n’a cependant aucun repos ; il ne rêve que violence et agitation et son cœur n’est jamais tranquille.

8. Vois donc, ô étroite raison : La base du monde est telle, l’origine de la vie aussi ; il n’en peut être autrement dans ce monde, à moins que l’homme ne naisse de nouveau ; alors il est autre dans le nouvel homme ; toutefois, ce penchant demeure toujours suspendu au vieil homme. C’est là le combat de l’esprit contre la chair, celle-ci convoitant contre l’esprit et l’esprit contre la chair. D’où provient cela, dit maintenant la raison ?

9. Réponse. Dans le centre de la nature existe un tel état de choses, recueille-toi seulement. L’éternelle volonté, qui se nomme Dieu, est libre, car elle ne contient rien que la lumière de la majesté et demeure dans l’éternel rien, d’où il résulte que rien non plus ne peut la mouvoir. Mais son désir, qui fait le centre de la nature, n’a qu’une semblable propriété ; car là se trouve l’astringence ou la première forme de la nature, qui tire toujours à elle et prend où il n’y a rien : où elle n’a rien fait, elle conglomère et ne peut pourtant pas le manger ; cela lui est de même inutile et lui crée seulement de l’angoisse, du tourment et de l’inquiétude, comme l’avarice chez l’homme. La seconde forme est son attirement ou aiguillon, c’est là son valet qui rassemble ce que veut le désir ; c’est l’ouvrier qui représente l’homme inférieur ; il est méchant, colérique, furieux, il pique et tempête dans l’astringence, ce que celle-ci ne peut souffrir du valet, en sorte qu’elle l’attire toujours plus violemment, ce qui le rend encore plus méchant et plus furieux, jusqu’à ébranler la maison : alors le maître veut lier et contenir le valet et celui-ci s’emporte avec mutinerie ; puis, si son maître, ou l’astringence ne peut le dompter, ils tombent l’un et l’autre dans une grande angoisse, dans l’inimitié, l’opposition, et commencent à tourner comme une roue, à s’égorger, s’assassiner. Telle est la troisième forme de la nature, d’où proviennent la guerre, les querelles, la dévastation des villes et des pays, l’envie et l’inquiète méchanceté, l’un désirant la mort de l’autre, de tout dévorer et attirer à soi ; on veut posséder seul, bien que, par ce fait, ce soit non-seulement inutile, mais nuisible ; on agit comme la fureur de la nature qui se dévore, se consume et se brise en soi-même. De là vient tout mal, le diable et toute mauvaise chose sortent de là, telle est leur origine.

10. Comme procède le centre de la nature, entendez hors de la lumière, ainsi fait le démon qui ne possède pas la lumière ; de même l’homme pervers, la bête, la plante, l’herbe et tout ce qui est hostile ; car c’est la roue du poison d’où procède la vie ; elle tourne ainsi dans une grande angoisse, piquant, tempêtant et brisant jusqu’à ce qu’elle se soit puisé une autre volonté de sortir de l’angoisse, qu’elle se soit enfoncée dans la mort et volontairement abandonnée à la liberté. Alors se rompent dans la mort le piquant et le brisant, et ils tombent dans la liberté de la première volonté, laquelle volonté allume, par la paisible liberté, l’angoisse de la mort, ce dont l’angoisse s’effraie, brise la mort et s’élève de l’angoisse comme une vie de la joie (est transformée en joyeuse vie).

11. Il en va ainsi chez l’homme : quand il se trouve, dans l’angoisse de l’inimitié, que l’aiguillon de la mort et de la colère tempête en lui, qu’il est inquiet, avare, envieux, colérique et hostile, il ne doit pas rester dans ce fâcheux état, saris quoi il est dans les régions de la mort, de la colère, de la fureur et dans le feu infernal. Si la source d’eau n’était pas en lui, dans la chair et le sang, il serait déjà un démon enflammé, rien autre. Qu’il se recueille donc et puise dans sa maligne angoisse une autre volonté, de passer de la méchanceté avare dans la liberté divine où il y a toujours assez de repos et de paix. Il n’a qu’à s’abandonner patiemment à la mort, qu’à se livrer volontairement à la roue d’angoisse, et à y puiser une soif du rafraîchissement divin, qui est la liberté ; alors il passe, au travers de la mort angoisseuse, dans la liberté, et quand son angoisse goûte la liberté, quelle paisible et douce source elle est, la source d’angoisse s’effraie ; et dans l’effroi, l’hostile et âpre mort se brise, car c’est un effroi de grande joie et un embrasement de la vie divine. – Ainsi naît le rameau de perles, qui est là dans une joie tremblante, mais en grand danger ; car la mort et la source d’angoisse sont sa racine ; il en est entouré comme une belle et verte plante qui pousse d’un puant fumier, du centre de l’infection, et cette plante acquiert une autre essence, odeur, nature et source que celles de la mère dont elle est née, comme aussi la source, dans la nature, a cette propriété, que du mal ou de l’angoisse, naît la grande vie.

12. Et tout comme nous reconnaissons en outre que dans l’effroi la nature se divise en deux règnes : 1o en royaume de joie, et 2o en un affaissement de la mort dans un ténèbre ; – de même chez l’homme, quand le rejeton de lys s’engendre pour le royaume de joie, sa nature se partage en deux volontés : la première s’élève dans le lys et croît dans le royaume de Dieu, l’autre tombe dans la sombre mort et désire la terre qui est sa mère ; celle-ci combat toujours le lys et ce dernier fuit l’âpreté, comme dans une plante qui croît de la terre, l’essence fuit la terre et est tirée en haut par le soleil, jusqu’à ce que cela devienne une tige ou un arbre. Ainsi est toujours attiré, par le soleil divin, dans sa puissance, et hors de la mauvaise essence, le lys de l’homme ou le nouvel homme, d’où provient, enfin, un arbre dans le royaume de Dieu ; alors il laisse tomber le vieil et mauvais arbre, ou l’enveloppe sous laquelle crut le nouveau, en terre, dans sa mère, après laquelle il soupirait toujours, et de la terre, il ira de nouveau dans le centre de la nature, à la fin du jour de séparation, où tout rentrera dans son éther. Le lys va pareillement dans son éther, savoir dans la libre volonté, dans la lumière de la majesté.

13. Comprenez cela comme suit : Lorsque dans l’effroi de la nature deux règnes se séparent ainsi, l’effroi est en soi-même un éclair et une cause du feu, ou de l’allumement de la vie ; la matière première ou celle qui causait l’âpreté par son attirement, duquel provenait l’inimitié, se sépare en deux parties : l’une au-dessous de soi, dans la mort, ce qui est la vie essentielle avec la substantialité de ce monde, comme sont la terre et les pierres ; et l’autre passe de l’effroi du feu dans la lumière de la liberté, car l’effroi du feu allume la liberté, en sorte qu’elle devient aussi désireuse et attire dans son désir le royaume de joie en soi, savoir le doux bien-faire, et le convertit aussi en matière. Cela est maintenant la substantialité céleste et divine, qui attire de nouveau le feu en soi et l’engloutit dans son effroi, qui est la source du feu : alors cette source consume la douce substantialité et s’élève en grand royaume de joie, l’angoisse est transformée en amour et le feu en un brûler d’amour, brûler d’où provient l’esprit d’allégresse de l’éternelle vie ou l’esprit de Dieu qui s’originise dans la première volonté ou dans le Père. Car il est le désir de la nature : dans le feu une source de feu, et dans l’angoisse de la mort un aiguillon de la mort, de la fureur et de l’inimitié, dans l’être de la nature ou dans le centre : dans la lumière, il est le divin royaume de joie ; c’est lui qui, dans la substantialité divine ou dans la sagesse (ce sont les couleurs de la vertu), manifeste la noble teinture qui produit l’éclat de la substantialité céleste ; de lui provient, dans la substantialité, l’élément du monde angélique, dont ce monde est une génération, mais enflammée par Satan dans la colère ; lequel Satan est cause que la fureur de la nature s’est allumée, d’où sont provenus, dans la substantialité, la terre et les pierres, comme on les voit, ce que la toute puissante source a, dans le Verbe fiat, séparé en un principe, ainsi que cela a été exposé dans le livre de la triple vie.

14. Entendez donc par l’éclair de feu la quatrième forme de la nature, et par la naissance d’amour du royaume de joie la cinquième ; par l’engloutissement de la substantialité de la douceur par la source du feu, alors que le feu atteint aussi le royaume de joie, soit le son ou la manifestation des couleurs, merveilles et vertus, dont les cinq sens ou la vue, l’ouïe, l’odorat, le goût et le tact proviennent, la sixième forme ; et par la substantialité de la lumière, comprenant l’élément divin, d’où naît le verdir ou le paradis, la septième, et de plus, la mère de toutes les formes, donnant à toutes l’être, la puissance et la douceur, et étant une vie éternelle, les délices de la vie ; car la septième forme renferme le monde angélique ainsi que le paradis ou le vrai royaume des cieux, dans lequel se manifeste l’être de la divinité et tout ce que contient le monde de lumière, comme nous l’avons décrit ailleurs.

 

 

 

 

CHAPITRE IX.

 

Plusieurs autres particularités de cette troisième

citation, hautement à considérer.

 

 

1. Enfants des hommes, soyez donc ici voyants et non aveugles ; observez bien ce qui vous est manifesté, cela n’a pas lieu en vain ; il y a quelque chose là-dessous ; ne dormez pas, le temps est venu : voyez donc ce qu’est l’être de tous les êtres. Ce monde est issu de l’éternel ; le centre de la nature a existé dès l’éternité, mais sans manifestation ; il est devenu sensible lors de la création de ce monde et par la fureur de Satan. Comprenez seulement ce qu’est le démon : il est l’esprit de ses légions, issu du centre de la nature. Lorsqu’il fut revêtu de la substantialité divine, il dut être éprouvé par le feu et porter son imagination dans la lumière ; mais il la porta en arrière, dans le centre de la fureur, dans la quatrième forme de l’angoisse, et voulut régner, dans le feu, sur la douceur divine, comme un ennemi du royaume de joie ; voyant que le feu donnait force et puissance, il méprisa l’amour ; c’est pourquoi il fut jeté hors du feu divin, dans l’angoisse des ténèbres, dans le centre des quatre formes. Il n’a plus rien du feu que l’effrayant éclair, c’est là sa vraie vie ; mais la volonté de Dieu, qui d’ailleurs désire la vie chez les anges et chez les hommes, qui vient en aide à la vie par la liberté ou la douceur, l’a abandonné ; ainsi, il ne peut, en éternité, atteindre la lumière, ni puiser non plus aucune imagination après elle, car l’esprit de la volonté de Dieu le tourmente dans la chambre d’angoisse, dans les quatre premières formes de la nature ; il ne peut atteindre la cinquième. Et bien qu’il ait toutes les formes de la nature, il n’y a qu’hostilité et contrariété, car l’Esprit saint l’a abandonné et la colère ou la source de la fureur est maintenant en lui. Dieu qui est tout a manifesté en lui sa fureur ou le centre de l’origine qui est devenu créaturel, car il (le centre) a désiré se manifester aussi, et lorsque Dieu se mut pour la création des anges, tout ce qui dès l’éternité était demeuré caché dans les merveilles de la sagesse, dans le centre, tant dans l’amour que dans la colère, vint en évidence.

2. Sachant donc cela, ce que nous sommes, et que Dieu nous le fait connaître, nous avons à y réfléchir et à engendrer en nous le bien, car en nous se trouve le centre de la nature : si nous faisons de nous un ange, nous le sommes, et si nous faisons de nous un démon, nous le sommes aussi : nous sommes dans le faire, dans la création, dans le champ. La volonté de Dieu, dans l’amour, se tient devant nous, dans le centre de la vie ; Dieu est devenu homme et veut nous avoir ; sa colère veut nous posséder aussi dans le royaume de la fureur ; Satan nous veut de même en sa compagnie, et d’autre part, les anges de Dieu en la leur : puis nous entrons où nous porte notre penchant. Portons-nous notre imagination dans la lumière divine et y allons sérieusement ? Alors nous y entrons et y sommes même fortement attirés. Préférons-nous le faste de ce monde et laisser aller l’éternel ? Dans ce cas, nous pouvons aussi espérer d’être contraints d’entrer avec la fureur de ce monde dans le premier mystère ; et si alors nous n’avons pas l’imagination divine ou la foi en nous, l’amour divin nous abandonnera et ne nous laissera pas entrer par sa porte. Assurément Dieu ne se partagera pas ; nous tomberons dans la détresse : si tu ne te présentes pas avec l’esprit de Dieu, tu ne l’obtiendras plus jamais ; c’est pourquoi il est bon d’achever de croître ici-bas, dans cette vie. Christ est devenu notre champ, nous pouvons parvenir à lui sans trop de tourment ; il ne s’agit que de rompre notre volonté, ce qui est douloureux, car Adam ne veut pas, la colère et le diable non plus.

3. Vois, ô homme, tu es ton propre ennemi ; ce que tu tiens pour ami est ton ennemi : veux-tu être sauvé et voir Dieu ? Alors deviens le plus ardent ennemi de ton meilleur ami, savoir de la vie extérieure ; non que tu doives la briser, mais sa volonté seulement. Fais ce qui te répugne, deviens ton ennemi, sans quoi tu ne peux voir Dieu ; car celui que tu réputes maintenant pour ton ami est issu de la chambre d’angoisse et renferme encore la vie angoisseuse, avec la source colérique et la corruption de Satan. Tu dois puiser une volonté en Dieu ; il faut que tu puises en ton âme même une volonté et que tu passes avec elle de la méchanceté en Dieu ; alors tu seras introduit dans le feu divin, c’est-à-dire que l’esprit de la volonté allumera ton âme. Cela fait, saisis la vie et l’esprit de Christ ; cet esprit te sera donné et te réengendrera avec une volonté nouvelle qui te demeurera. Cette volonté est la fleur de ton âme, dans laquelle gît le nouveau-né, dans l’image de Dieu : c’est à lui que Dieu donne la chair et le sang de Christ pour aliments, et non à l’âne-Adam, comme Babel en gazouille si singulièrement qu’à l’entendre le méchant participerait au corps de Christ. Oh non ! il reçoit les quatre éléments et là-dedans la colère de Dieu, parce qu’il ne distingue pas le corps du Seigneur, présent au ciel, et dont l’âme qui y atteint vit. Non comme un signe, selon le babil de la fantaisie ; non l’esprit sans la substance, mais l’esprit et sa substance, entourés de la sagesse divine ; la chair de Christ qui remplit partout le monde de lumière, que le Verbe qui devint homme apporta en Marie. Cette substantialité, bien que manifestée dans la chair et le sang de Marie et ayant pris à soi l’essence humaine, fut néanmoins, pendant le temps que Christ demeura dans le corps de Marie, au ciel, dans l’élément, partout. Elle ne vint pas de plusieurs milles ou d’un endroit quelconque en Marie, oh non ! mais la parole divine ouvrit le centre renfermé par Adam dans la colère de Dieu, dans la mort, et introduisit la substantialité divine dans le centre virginal renfermé dans la mort. Cela se passa dans le corps de Marie, au terme de l’alliance, non de dehors, ni par entrée, mais en ouvrant, procréant, et dans ce monde enfantant Dieu et homme, une personne, la substantialité et la virginité célestes renfermées dans la mort, une substantialité, un homme dans le ciel et dans ce monde, et tels devons-nous aussi être, car le Verbe qui devint homme s’est mu dans l’âme et se trouve, dans le retentissement de la vie, en toutes les âmes, il attire toutes les âmes ; mais la colère les attire toutes aussi. Maintenant choisis : en toi se trouve actuellement le centre de la divinité, en retentissement et en action, et aussi le centre de la fureur ; dans ce où tu entres et que tu réveilles repose ta vie : fais ce qu’il te plaira, tu es libre et Dieu te le fait savoir. Il t’appelle ; si tu viens, tu seras son enfant ; mais si tu passes dans la colère, tu seras aussi reçu.

 

 

 

 

CHAPITRE X.

 

De l’image de Dieu dans l’homme,

ou de la ressemblance entre Dieu et l’homme.

 

 

1. Nous ne pouvons voir notre substantialité ou nouveau corps en ce monde, parce que nous sommes dans la vie terrestre ; l’homme extérieur ne connaît point ce nouveau corps, mais bien l’esprit qui s’engendre et sort du nouvel homme, celui-là connaît son corps.

2. Mais comme nous en avons néanmoins connaissance et que nous voulons savoir si nous sommes dans la nouvelle naissance, il n’en existe pas de meilleure épreuve que par la ressemblance divine, qui consiste dans le désir, les sens et la base affective : ces trois choses renferment le centre de l’esprit, d’où s’engendre la forte volonté, dans laquelle gît la vraie, parfaite ressemblance et l’image de Dieu en chair et sang que l’homme extérieur ne connaît pas ; car cette image n’est pas dans ce monde, elle a un autre principe, savoir le monde angélique ; pendant cette vie elle réside dans le mystère, elle demeure cachée comme l’or dans la pierre ; l’or ayant une autre teinture, une autre essence, un autre éclat et brillant, la grossièreté de la pierre ne peut le saisir ; de même, l’or n’attouche pas non plus la grossièreté, et cependant, celle-ci, comme centre d’angoisse, engendre l’or, car elle est mère et le soleil père. Ainsi s’engendre de notre vieil Adam et vieux corps le nouveau corps, car le vieux est la mère : de l’ancienne substance naît le nouveau corps, et l’esprit de Dieu en Christ est le père : comme le soleil est père de l’or, ainsi le cœur de Dieu est-il père du nouvel homme.

3. Or, nous ne pouvons mieux connaître le nouvel homme que par le centre, c’est-à-dire par le désir, les sens et la base affective. Trouvons-nous que notre désir tende foncièrement à Dieu, que nos sens se portent constamment dans la volonté de Dieu, que la base affective soit entièrement disposée à obéir à cette même volonté et que l’imagination saisisse la vertu divine ? Alors soyons certains que le noble rameau de lys est né, que l’image de Dieu se forme et que Dieu est devenu homme dans la ressemblance. Ici, il est de toute importance de préserver la noble image, de ne pas donner carrière aux passions du vieil Adam, mais de le tuer sans cesse, afin que le nouvel homme croisse, grandisse et soit orné des merveilles de la sagesse.

4. Mais, demande maintenant la raison, en quoi consiste donc la ressemblance divine ? – Vois : Dieu est esprit, et la base affective, avec les sens et les désirs, aussi : la base affective est la roue de la nature, le désir est le centre, en tant que cause première de la nature, et les sens sont les essences, car les sens procèdent des essences, ils proviennent de l’aiguillon du désir ardent ou de l’âpreté, ils sont l’amertume et courent toujours dans la base affective, soit dans la roue d’angoisse, et cherchent le repos ou à atteindre la liberté divine. Ce sont eux qui, dans la roue d’angoisse ou dans la base affective, allument le feu, puis, dans l’effroi de l’allumement, se livrent à la mort, et passent ainsi, au travers du tourment du feu, dans la liberté ou dans les bras de Dieu ; ils entrent dans la liberté comme une vie s’épanouit de la mort : ils sont les racines du nouveau goût qui pénètrent dans la sagesse et les merveilles divines ; ils délivrent le désir de l’angoisse de la mort ; ils remplissent leur mère, la base affective, et transmettent leur force de l’essence divine.

5. Ainsi, la base affective est la roue ou vraie chambre de la vie, la propre habitation de l’âme, dont elle fait en même temps partie si l’on y comprend l’essentialité (entends l’essentialité de la teinture) ou la vie de feu, car de cette vie provient la base affective, et la vie de feu habite dans la base affective ; mais la base affective est plus noble que le feu, car elle est la mobilité de la vie de feu et produit l’intelligence. Les sens sont les serviteurs de la base affective, les plus subtiles messagers ; ils entrent en Dieu et repassent de lui dans le péril, et où qu’ils s’allument, soit en Dieu soit dans le péril, comme dans la fausseté, ils apportent cela à la base affective ; dès lors, cette noble base doit souvent résister à la méchanceté et l’étouffer dans son angoisse, quand les sens ont introduit une fausse imagination dans le désir.

6. Entendez donc, enfin, la chose comme suit : Dieu est lui-même tout et en tout ; mais il sort de la fureur et trouve le monde de lumière et de puissance en soi-même ; il l’engendre lui-même, en sorte que la fureur sous toutes ses formes ne soit qu’une cause de la vie (et un trouver de soi-même en de grandes merveilles). Il est le fond et le sans-fond, la liberté et aussi la nature, en lumière et en ténèbres ; et l’homme est tout cela aussi, si seulement il se cherche et se trouve ainsi lui-même, comme Dieu.

7. Tous nos écrits et nos enseignements ne tendent qu’à établir comment nous devons nous-mêmes nous chercher, nous constituer et enfin nous trouver ; comment nous devons nous engendrer en un seul esprit avec Dieu, pour que Dieu soit en nous et nous en Dieu, que son esprit d’amour soit en nous le vouloir et aussi le faire, et que nous échappions à la source d’angoisse ; pour que nous nous introduisions dans la vraie ressemblance en trois mondes, où chacun demeure dans son harmonie, que le monde de lumière soit souverain en nous et comme tel gouverne ; qu’ainsi le monde d’angoisse demeure caché dans le monde de lumière, comme il l’est en Dieu, et ne soit dès lors qu’une cause de la vie et des merveilles divines. Autrement, si nous n’atteignons pas le monde de lumière, le monde angoisseux domine en nous, nous vivrons éternellement dans un tourment hostile. Ce combat dure tout le temps de la vie terrestre, après quoi la vie se rend dans l’éternel éther, dans la lumière ou dans les ténèbres, et il n’y a plus de délivrance, ce dont l’esprit de Dieu nous avertit, tout en nous enseignant le vrai chemin. Amen.

 

 

Conclusion.

 

8. Ainsi, lecteur aimant Dieu, sache que l’homme est la vraie ressemblance divine, que Dieu aime tendrement et dans laquelle il se manifeste comme étant son propre être. Dieu est dans l’homme le milieu, ce qu’il y a de plus central, mais il n’habite qu’en soi-même, à moins que l’esprit de l’homme ne devienne un esprit avec lui ; alors il se manifeste dans l’humanité ou dans la base affective, les sens et le désir, en sorte que la base affective le perçoit ; hors de là, il est, dans ce monde, beaucoup trop subtil pour notre vue ; mais les sens le contemplent en esprit, entends, dans l’esprit de la volonté, car la volonté envoie les sens en Dieu et il se livre à eux, il devient un avec eux ; alors les sens apportent à la volonté la vertu divine, et la volonté la reçoit avec joie, mais aussi avec tremblement, car elle se reconnaît indigne, vu sa sauvage origine qui est l’inconstante base affective ; c’est pourquoi elle reçoit la vertu dans l’abaissement devant Dieu. Ainsi, son triomphe se change en douce humilité qui est la vraie essence de la divinité, que la volonté saisit ; et cette essence saisie est dans la volonté le corps céleste qui s’appelle la vraie et parfaite foi, que la volonté a puisée dans la vertu divine ; cette foi s’abîme dans la base affective et demeure dans le feu de l’âme.

9. Ici, l’image de Dieu est complète, et il se voit ou se trouve dans une telle ressemblance. Nous ne devons nullement penser que Dieu soit un être étranger. Il est étranger au pervers, car celui-ci ne le saisit pas : Dieu est bien en lui, mais non manifeste selon sa lumière d’amour dans la volonté et la base affective du pervers ; sa fureur seule est manifeste en lui ; il ne peut atteindre la lumière, elle est en lui, mais elle ne lui sert de rien ; son essence ne la saisit pas, il en a peur ; elle est son tourment, son martyre et il lui est hostile, tout comme le démon hait le soleil et la lumière de Dieu. Le démon serait encore plus content s’il pouvait rester éternellement dans les ténèbres et s’il savait que Dieu fût loin de lui, il n’éprouverait alors aucune honte et ne serait pas un objet de risée ; mais savoir Dieu si près de lui, sans pouvoir néanmoins l’atteindre, fait son tourment, qui le pousse à se haïr lui-même, c’est pour lui un éternel sujet d’aversion, d’angoisse et de désespoir que de sentir qu’il ne peut voir la face gracieuse de Dieu ; sa propre fausseté le consume, mais il ne peut trouver aucune consolation pour rentrer en grâce, car il n’atteint pas Dieu, mais le centre seulement, dans l’angoisse, la fureur ; il demeure dans la mort et dans la source mourante ; il ne peut percer outre, car rien ne lui vient en aide à quoi il puisse se cramponner pour s’établir dans le royaume de Dieu : il voyagerait pendant mille ans dans les profondeurs de l’abîme, qu’il serait tout de même dans les ténèbres hors de Dieu, et cependant, Dieu est en lui, mais cela ne lui sert de rien ; il ne le connaît pas non plus, mais il sait qu’il existe et ne ressent que sa fureur.

10. Comprenez-nous ainsi : De même que le feu se trouve dans une pierre qui ne le connaît pas, ne le sent pas, mais seulement éprouve la cause furieuse du feu qui resserre en corps l’âpre pierre ; ainsi Satan ne ressent-il non plus que la cause de la lumière, le centre furieux qui le tient captif, et c’est celui-ci qu’il abhorre, quoiqu’il n’ait rien de meilleur. Il n’est donc que méchanceté empoisonnée, furieuse, qu’une source mourante qui, sans mourir, toutefois, est un poison défaillant, une faim et une soif sans rafraîchissement. Tout ce qui est mauvais, envieux, âpre et amer, qui repousse l’humilité, comme il a fait, cela est sa force et son désir hostile : ce qui est ennemi de Dieu et le fuit ou le maudit, lui sert ; ce qui tourne la vérité en mensonges, constitue sa volonté, sa sphère d’activité, dans laquelle il se complaît. Tel est aussi l’homme pervers : quand il perd Dieu, il entre dans la source d’angoisse, il a la volonté de Satan ; mais sachez ceci :

11. Dieu a brisé dans l’âme humaine l’âpreté de la mort et est entré dans la limite où la mort est brisée ; il a rompu la limite (barrière), dans le centre des âmes, et placé sa lumière en regard de la lumière vitale de l’homme ; la lumière lui est libéralement accordée aussi longtemps qu’il jouit de la vertu du soleil. S’il se convertit et pénètre dans la lumière divine, il est reçu : il n’y a point de prédestination (de sort arrêté) à son égard ; mais quand la vie solaire s’éteint pour lui, s’il n’a rien non plus de la vie divine, c’en est fait de lui, il est et demeure un démon. Mais Dieu connaît les siens, il sait qui ira à lui, la prédestination dont parle l’Écriture Sainte existe pour ceux-ci ; et ceux qui ne veulent pas encourent le retrait de la lumière ou l’endurcissement. L’homme a les deux centres en soi : si, par conséquent, il ne veut être qu’un démon, Dieu doit-il donc jeter les perles sur la voie de Satan et répandre son esprit dans la volonté du pervers ? – Qui plus est, l’esprit de Dieu doit être engendré de la volonté de l’homme, l’homme doit devenir lui-même Dieu dans l’esprit de la volonté, sans quoi il n’obtient pas la substantialité divine ou la sagesse.

12. Recueillez-vous donc, chers enfants, et entrez par la vraie porte : il ne s’agit pas seulement d’obtenir le pardon, mais de naître de nouveau ; alors on est pardonné, c’est-à-dire que le péché n’est plus qu’une dépouille ; le nouvel homme s’élève hors de cette dépouille et la rejette : tel est le pardon de Dieu. – Dieu dégage le nouvel homme du mal, il l’ôte de lui : rien n’est éconduit du corps, mais le péché est envoyé au centre, comme on met le bois au feu, pour être ainsi une cause du principe du feu, d’où jaillit la lumière, et contribuer au plus grand avantage de l’homme saint, comme le dit saint Paul : Toutes choses, même le péché, doivent servir au plus grand bien de ceux qui aiment Dieu (Rom. VIII : 28).

13. Que disons-nous donc : devons-nous pécher pour fonder notre salut ? Loin de moi cette pensée : comment pourrais-je vouloir rentrer dans ce à quoi je suis mort ? devrais-je, de la lumière, repasser dans les ténèbres ?

14. Mais il faut qu’il en soit ainsi, que les saints de Dieu ne perdent rien, que tout leur profite : ce qui est au pécheur un aiguillon pour la mort, est à l’homme saint une puissance pour la vie.

15. La raison dit ici : Je dois donc pécher pour augmenter mon salut ? – Mais nous savons que celui qui sort de la lumière va dans les ténèbres ; qu’il prenne garde de n’y pas rester, car il pèche de propos délibéré contre le Saint-Esprit. Ne vous fourvoyez pas, Dieu ne se laisse point jouer. Du fait de son amour, nous sommes, après notre chute, redevenus justes par son entrée dans notre chair ; mais qui pèche à dessein, méprise, foule aux pieds l’incarnation de Christ et charge sa conscience ; qu’il y réfléchisse bien : il aura plus de peine à se dégager de nouveau du péché prémédité que celui auquel la voie divine n’a pas encore été manifestée.

16. C’est pourquoi il est bon de s’abstenir du mal, de le fuir, de détourner ses yeux de la fausseté, de peur que les sens n’y mordent et n’apportent cela au cœur, d’où naît la convoitise, puis l’imagination du désir qui introduit son fruit dans la base affective, ce qui altère la noble image et en fait un monstre devant Dieu.

17. Tel est notre fidèle avertissement, de notre don et de notre profonde connaissance, au lecteur et à l’auditeur aimant Dieu : nous vous avons exposé très sérieusement et fidèlement la voie de la vérité et de la lumière ; maintenant, nous vous exhortons tous, chrétiennement, à y réfléchir et à lire avec attention ; le sujet porte son fruit. Alléluia, Amen !

 

 

 

 

 

 

TROISIÈME PARTIE.

 

L’ARBRE DE LA FOI CHRÉTIENNE.

 

Vraie instruction à l’homme pour devenir un esprit avec Dieu, et sur ce qu’il a à faire pour opérer l’œuvre de Dieu. Renfermant, en abrégé, toute la doctrine et toute la foi chrétiennes. De plus, en quoi consistent la foi et l’enseignement dignes de ce nom. Une porte ouverte du grand secret de Dieu, soit de la magie divine, au travers des trois principes de l’être divin.

 

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CHAPITRE PREMIER.

 

Ce qu’est la Foi, et comment elle est un esprit avec Dieu.

 

 

1. Christ dit : cherchez premièrement le royaume de Dieu et sa justice, tout le reste vous sera donné par dessus (Matth. VI : 33). De plus : mon père donnera le Saint-Esprit à ceux qui le lui demandent (Luc XI : 13). Et quand celui-là sera venu, il vous conduira en toute vérité et vous rappellera tout ce que je vous ai dit ; car il prendra du mien et vous l’annoncera (Jean XVI : 13-15). Item : je vous donnerai bouche et sagesse pour ce que vous aurez à dire (Luc XXI : 15). Et saint Paul dit : nous ne savons ce que nous devons demander en priant ni comment nous devons parler, mais l’Esprit saint intercède puissamment en notre faveur, selon qu’il plaît à Dieu (Rom. VIII : 25).

2. La foi n’est donc point une science historique telle qu’un dogme que l’homme se crée et auquel il se tient collé, tout en contraignant sa base affective à faire l’œuvre de sa raison ; mais la foi est un esprit avec Dieu, car le Saint-Esprit entre dans l’esprit de la foi.

3. La vraie foi est une puissance divine, un esprit avec Dieu : elle opère en Dieu et avec Dieu ; elle est libre et sans attache quelconque qu’au vrai amour, dans lequel elle puise sa vie et sa force ; aucune présomption humaine n’y fait rien.

4. Car de même que Dieu est libre de toute attache, qu’il fait ce qu’il veut et n’en a aucun compte à rendre, ainsi est libre dans l’esprit de Dieu la pure, vraie foi ; elle n’a d’attrait qu’à l’amour et à la miséricorde divine, en sorte qu’elle jette sa volonté dans la volonté de Dieu et sort de la raison sidérique (astrale) et élémentaire ; elle ne se cherche point dans la raison charnelle, mais dans l’amour de Dieu. Et lorsqu’elle se trouve de cette manière, elle se trouve en Dieu et opère avec lui ; non d’après la raison, selon ce que veut celle-ci, mais en Dieu, ce que veut l’esprit divin ; car la foi tient la vie terrestre pour rien, afin de vivre en Dieu, et que son esprit soit en elle le vouloir et le faire. Elle s’abandonne humblement à la volonté de Dieu et tombe, au travers de la raison, dans la mort ; mais elle verdit par l’esprit de Dieu dans la vie divine ; elle est comme n’étant rien, et pourtant elle est en Dieu tout ; elle est un ornement et une couronne de la divinité, une merveille dans la magie divine. Elle crée où il n’y a rien et prend où rien n’existe ; elle agit et personne ne la voit ; elle s’élève et n’a pourtant nul besoin d’ascension ; toute puissante, elle est néanmoins la plus profonde humilité ; elle possède tout et ne saisit cependant rien de plus que la douceur. Dès lors, elle est libre de toute méchanceté et n’a aucune loi, car la fureur de la nature ne l’atteint point ; elle demeure en éternité, car elle est sans fond ; elle n’est renfermée en rien, tout comme l’abîme ou le sans-fond de l’éternité est libre et ne repose en rien qu’en soi-même où réside une éternelle douceur.

5. Ainsi repose la pure vraie foi dans l’abîme ; elle est en soi-même l’être ; elle vit, mais ne cherche point sa vie ; elle cherche celle de l’éternel, paisible repos ; elle sort de son esprit de vie et se possède soi-même ; dès lors elle est libre du tourment, à l’égal de Dieu, et demeure de cette façon dans l’éternelle liberté en Dieu. Elle est par l’éternelle liberté divine comme un néant et se trouve pourtant en tout. De même est son partage tout ce que Dieu et l’éternité peuvent et sont ; elle n’est saisie par rien et cependant elle est une belle habitation dans la grande puissance divine. Elle est un être et n’est cependant saisie par aucun être. Elle est une compagne et une amie de la vierge divine, de la sagesse de Dieu ; en elle résident les grandes merveilles divines, et néanmoins elle est libre de tout, comme la lumière l’est du feu, laquelle, bien que constamment engendrée par lui, n’est cependant ni saisie ni atteinte par le tourment du feu.

6. Par comparaison, nous vous donnons ainsi à entendre que la foi est engendrée de l’esprit de vie comme d’un feu toujours brûlant, et qu’elle brille dans ce feu ; elle remplit le feu de la vie et n’est cependant jamais saisie. Mais si elle l’est, c’est parce qu’elle est de soi-même passée dans la raison comme dans une prison, et ne se trouve plus en Dieu, dans sa liberté, mais dans le tourment ; elle se tourmente elle-même, quoique pouvant bien être libre. Dans la raison, elle opère les merveilles dans le feu de la nature, et dans la liberté, les merveilles divines dans l’amour.

 

 

 

 

CHAPITRE II.

 

De l’origine de la foi, et pourquoi la foi et le doute habitent ensemble.

 

 

1. Puis donc que la foi est un esprit avec Dieu, nous avons à considérer son origine ; car nous ne pouvons pas dire qu’elle soit une figure ou une image de la raison, attendu qu’elle est l’image, la ressemblance de Dieu, une figure éternelle, qui peut néanmoins se briser pendant la vie du corps ou se transformer en source d’angoisse. Car son être propre n’est originairement qu’une simple volonté, et cette volonté est une semence que l’esprit de feu ou l’âme doit semer dans la liberté divine ; alors il en croît un arbre dont l’âme mange et adoucit par là sa vie de feu, ce qui la rend forte, et cette force, elle la transmet à la racine de l’arbre qui croît ainsi dans l’esprit de Dieu, jusque dans les merveilles de sa majesté, et verdit dans le paradis céleste.

2. Et bien que notre description puisse n’être ni saisie ni comprise, attendu que la raison veut tout voir et tout toucher, nous voulons exposer au grand jour pourquoi la foi et le doute se trouvent ensemble et comme liés par une chaîne, d’où résulte un violent combat dans l’homme pendant toute la durée de son séjour dans cette hutte terrestre, à moins qu’il ne s’abîme totalement en lui-même, qu’il ne puisse introduire le feu de sa vie dans la liberté divine, car dans cet état, il est comme mort à la vie de la raison. Bien qu’il vive, c’est en Dieu, ce qui est certes une bien précieuse vie d’homme et se voit rarement, puisque c’est le portrait de la première image que Dieu créa ! Quoique le mortel soit encore suspendu à lui, il est comme mort, comme une image sans vie appendue à lui, sujette à la destruction, et qui n’est pas le vrai homme vivant ; car la vraie vie se trouve à l’opposite, dans un autre monde, dans un autre principe, une autre source.

3. Comprenez-nous maintenant comme suit : Vous voyez et reconnaissez l’origine de la vie humaine, comme elle naît dans le corps de la mère ; puis vous voyez dans quoi elle inqualifie et se meut, savoir dans quatre formes, qui sont le feu, l’air, l’eau et la chair ; et bien qu’elle réside ainsi là-dedans, elle n’est pourtant en cela rien de plus qu’une vie animale, car sa raison lui vient des astres, et il se trouve que le soleil et les étoiles produisent dans les quatre éléments une teinture d’où proviennent la raison et l’inqualification, ainsi que l’attrait et la répugnance. Mais il s’en faut de beaucoup que ce soit la vraie vie humaine, car cette raison ne cherche rien de plus élevé que soi-même en ses merveilles. Or il existe chez l’homme un ardent désir d’une vie plus élevée, meilleure et éternelle, exempte d’un pareil tourment ; et quoique la raison ne saisisse (comprenne) ni ne voie ce désir, un mystère repose en elle, qui sent et connaît cela, d’où naît l’attrait ; à quoi nous reconnaissons que ce mystère a fait partie intégrante de la première création et est la propriété de l’homme. Nous trouvons donc qu’il réside dans un désir ou vif attrait, savoir dans un attrait magique. Nous trouvons, en outre, qu’avec ce mystère nous sommes en pays étranger et que le mystère dont il s’agit ne se trouve pas dans l’esprit de ce monde ; car il ne le comprend ni ne le trouve, ce qui nous démontre la lourde chute d’Adam, attendu que nous trouvons le mystère en question dans la volonté de la base affective, où il est une source cachée qui jaillit dans un autre principe. Nous comprenons aussi que le dit mystère se trouve caché dans le feu, dans la source d’angoisse, et se manifeste par l’angoisse de la volonté. Troisièmement enfin, nous trouvons que ce mystère est retenu captif par l’esprit de ce monde et comment la raison externe de la vie a puissance de pénétrer là-dedans, de le corrompre, pour que ce mystère ne voie pas le jour, dans quel but elle le couvre, afin que l’engendreuse ne puisse pas engendrer et demeure cachée dans le mystère. Si alors le corps rompt, la volonté n’en a plus pour manifester le mystère, l’esprit de feu ou de l’âme demeure ainsi dans les ténèbres et le mystère éternellement caché en lui, comme dans un autre principe.

4. Ainsi nous voyons le mystère pour le royaume de Dieu caché dans l’âme et la rendant désireuse, en sorte qu’elle porte son imagination dans ce mystère et est alors magiquement engrossée dans ce même mystère, d’où lui naît la volonté de passer de la vie de feu dans le mystère divin. Et s’il lui arrive alors d’élever sa volonté et de la jeter dans le mystère, cette volonté est engrossée dans le mystère, car elle désire ardemment et reçoit le corps du mystère, son être, qui est l’être divin, incompréhensible à la nature. C’est ainsi que la volonté revêt la ressemblance ou l’image de Dieu.

5. Puisque maintenant la volonté est engendrée du feu de l’âme, elle est bien aussi, avec sa racine, dans l’âme, et il n’y a aucune séparation entre la volonté et l’âme ; alors la volonté devient ainsi un esprit en Dieu, le vêtement de l’âme, en sorte que l’âme dans la volonté est cachée en Dieu, et bien que demeurant dans le corps, néanmoins enveloppée de sa volonté et cachée en Dieu. Elle est ainsi, dans la volonté (qui est la vraie, sérieuse foi), un enfant de Dieu et habite un autre monde.

6. Il ne faut pas comparer ceci à une volonté historique où la raison sait qu’il y a en elle un désir de Dieu, mais retient ce désir prisonnier dans la méchanceté, en sorte que la volonté ne peut sortir de l’âme et entrer dans la vie ou le mystère divin ; la raison forge des opinions et induit la volonté en erreur, ce qui l’empêche d’atteindre le mystère divin. Elle demeure ainsi dans l’erreur ou bien même cachée dans l’âme, attendu qu’elle est dirigée vers un avenir, puisque la raison détient la volonté prisonnière dans la passion charnelle, dans la magie sidérique, et dit toujours : demain tu t’enquerras, tu te mettras en quête du mystère divin. La vérité est qu’il n’y a aucun pouvoir de trouver, cette opinion trompe. Dans aucune opinion, également, n’existe la liberté, de façon que la volonté puisse entrer et voir Dieu, que la raison ose s’imaginer de faire quelque chose qui puisse plaire à Dieu.

7. Car il n’y a pas de voie plus sûre que de dégager simplement sa volonté de la raison et de ne pas vouloir se chercher ; mais uniquement s’abandonner sans réserve à l’amour et à la volonté de Dieu, et laisser là tout ce que la raison met sur le chemin. Si de grands péchés et des crimes avaient été commis par le corps, il faut seulement passer outre en volonté et priser l’amour de Dieu plus que l’ordure des péchés ; car Dieu n’accepte pas les péchés, mais bien l’obéissance et la libre volonté. Il ne laisse pas entrer le péché en lui, mais il reçoit la volonté humble qui délaisse la maison de péchés, qui ne veut plus le péché, mais passe de la raison dans son amour, comme un enfant obéissant et humble ; il reçoit, dis-je, cet enfant, car il est pur. Par contre, s’il gît encore dans l’erreur, il en est aussi enveloppé et non libre. Or, comme Dieu est en soi libre de la méchanceté, la volonté doit l’être pareillement, si elle veut être la ressemblance, l’image et la propriété de Dieu ; car ce qui vient à lui dans sa liberté, il ne le repousse point, comme Christ nous l’enseigne. (Jean VI : 37.)

 

 

 

 

CHAPITRE III.

 

De la propriété de la foi, comment elle passe

de la volonté de l’attrait naturel dans la libre volonté de Dieu.

 

 

1. Entendez-nous plus outre comme suit : Nous savons par l’Écriture Sainte et reconnaissons assez dans la lumière de la nature et en toutes choses que tout provient de l’être éternel, bien et mal, amour et colère, vie et mort, joie et douleur. Mais nous ne pouvons pas, à cause de cela, dire que le mal et la mort viennent de Dieu, car en lui il n’y a ni l’un ni l’autre, et rien de mauvais ne pénètre dans l’éternité ; mais la fureur provient du feu de la nature, où la vie se trouve comme dans une magie ; là, chaque forme de l’attrait désire et éveille l’autre, d’où naissent les essences de la multiplicité qui engendrent les merveilles dans lesquelles l’éternité se manifeste en figures semblables. Et comme nous devons cependant dire que dans la volonté de Dieu il y a un désir qui donne naissance à la magie, d’où provient la multiplicité, (nous ferons remarquer) que la multiplicité n’est pourtant pas la volonté de Dieu elle-même, qui est libre de tout, mais que c’est dans l’attrait de la volonté que s’engendre la nature avec toutes les formes ; ainsi tout provient du désir, soit de l’éternelle magie.

2. Il nous faut de plus reconnaître que tout ce qui prend vie (c’est-à-dire qui porte son imagination dans l’attrait et sa volonté dans la nature) est l’enfant de la nature, leur vie est une. Mais la volonté qui passe de l’attrait de la nature dans la libre volonté de Dieu est reçue et adoptée par celle-ci, et est un esprit en Dieu. Et lors même qu’elle est dans la nature, tout comme la nature s’est engendrée dès l’éternité dans la volonté de Dieu, sa vie spirituelle est néanmoins hors de la nature, dans la libre volonté ; ainsi les merveilles de la nature s’ouvrent en Dieu, sans être toutefois Dieu lui-même ; et si l’esprit de la volonté de l’âme (l’image) passe de la raison naturelle dans la libre volonté de Dieu, l’esprit de la volonté est l’enfant de Dieu, l’esprit naturel, la merveille divine, et la créature fait face en dedans comme Dieu lui-même. Alors, l’esprit sidérique ou de la raison cherche dans sa magie, dans son centre de la raison, les merveilles de l’éternité, à quelle fin Dieu a créé l’âme dans le corps de la nature externe, bien qu’elle n’émane que de l’intérieur ; et l’esprit de la volonté va dans la liberté divine : là l’Esprit Saint le conduit dans le libre mystère de la divinité, en sorte que celle-ci est manifeste dans l’esprit de la volonté, en même temps que la magie de la nature, avec ses merveilles, est ouverte aussi dans l’esprit de la raison.

3. Puis donc que l’âme est le centre d’où le vrai esprit de volonté tendant à la liberté divine passe dans cette liberté, soit dans le mystère divin, elle a aussi l’esprit sidérique sous sa dépendance ; si elle le dompte et l’empêche de faire le mal, elle peut introduire devant la majesté divine, dans la libre volonté de Dieu, les merveilles sidériques devenues substance dans le miroir élémentaire, en sorte que ces merveilles apparaissent dans la majesté et la liberté de Dieu, comme une ressemblance de la volonté divine ; non que la liberté divine se confonde avec les merveilles de la nature et avec la ressemblance, que cela devienne un, non, Dieu demeure éternellement libre ; il demeure dans les merveilles comme l’âme dans le corps : aussi peu le corps saisit l’âme, ou le feu la lumière, aussi peu, de même, la nature saisit-elle la divinité, et pourtant c’est un seul être, mais qui, de toute éternité, s’est divisé en deux, comme le feu et la lumière. Dans le feu se trouve la source de la nature, et dans la lumière le mystère de la vie spirituelle, sans source, bien que le feu soit aussi un mystère.

4. Ainsi en est-il à l’égard de l’homme ; l’âme est le feu de la vraie vie humaine que Dieu insuffla à Adam, de l’éternelle nature, avec son esprit, comme de son centre ; et l’esprit qui s’engendra du feu de l’âme, lequel l’esprit de Dieu forma à son image, a le mystère divin, d’où s’engendre la volonté tendant à l’amour divin, de laquelle naît la magie divine ou l’attrait divin, en sorte que l’esprit de la volonté désire Dieu. Et si alors cet esprit s’élève, c’est-à-dire passe du mystère caché dans la liberté divine, il est un rejeton ou une végétation dans le royaume de Dieu, né du mystère divin, opérant dans la volonté de Dieu et manifestant toujours les merveilles dans la sagesse divine : non qu’il se soit produit en Dieu quelque chose de nouveau, qui n’ait pas existé dès l’éternité dans sa sagesse insondable et sans limites ; mais le mystère éternel infini se manifeste uniquement dans l’esprit de l’âme lui-même, à l’honneur, la gloire de Dieu, et pour l’éternelle joie de la créature elle-même.

5. Mais parce que l’attrait terrestre et corrompu se combine avec l’influence astrale, que dans la profonde chute d’Adam l’âme abandonna sa volonté et son imagination à cette influence et à cet attrait, et introduisit la magie étrangère en soi, la volonté fut brisée, l’image divine altérée : l’image céleste et divine de l’homme, disons-nous, devint terrestre, en sorte que la vraie volonté est comme tournée en dehors, c’est-à-dire dans l’esprit de ce monde, savoir dans la raison qui naquit des astres. Il faut donc, maintenant, que la vraie image de Dieu, qui a été ainsi altérée et rendue terrestre, soit restaurée et renaisse. C’en était fait d’elle si le Verbe du centre divin, savoir la propre vie de Dieu, ne fût devenu homme et n’eût réengendré en soi la pauvre âme dont l’image était là altérée. Ainsi fut restaurée la vraie image, sans quoi, elle eût été privée à jamais de la liberté et de la majesté divine.

6. Puisque toutes les âmes ont été engendrées d’une, toutes aussi proviennent de la racine corrompue. Mais comme la vie régénérée en Christ est rentrée dans une âme, nous devons tous mettre notre volonté dans la nouvelle naissance par Christ ; car en lui nous avons été, quant à notre âme, régénérés en Dieu, et nous avons reconquis l’image. Après la chute, notre mystère dans l’âme se trouvait seulement dans la magie de la nature, qui, dans son centre, est un feu, et l’image était passée de la liberté divine dans la magie extérieure ou dans le principe externe. Quand donc la substance de celui-ci rompt, la pauvre image altérée de l’âme se trouve nue, comme un enfant perdu, et ne pouvant éveiller de son propre centre que la source furieuse du feu, car elle est passée du Verbe de Dieu ou du mystère divin dans un miroir fragile, soit dans l’esprit de ce monde qui a commencement et fin, raison pour laquelle aussi le corps de l’âme est devenu tout à fait terrestre et est échu à la fragilité ainsi qu’à la mort.

7. Il nous est donc nécessaire maintenant, puisque de pure grâce l’amour de Dieu s’est tourné vers nous et a réintroduit par Christ notre âme en soi, dans la liberté, en même temps qu’il éveillait le mystère divin dans l’image, en sorte que celle-ci peut de nouveau habiter en Dieu, savoir dans les merveilles du paradis ; il nous est nécessaire, disons-nous, de retirer notre volonté du centre externe, soit de la vie périssable, et de l’introduire dans la libre volonté de Dieu. Mais l’histoire ou la science ne suffisent pas pour cela ; il ne suffit pas de dire je crois, cela est, je le sais, ou je le désire, tout en demeurant attaché par la volonté au principe extérieur seulement, ou à l’attrait terrestre ; non, il nous est dit que nous devons naître de nouveau, par l’eau et le Saint-Esprit, sans quoi nous ne verrons pas le royaume de Dieu (Jean III : 5). Ce doit être sérieux, la volonté de la raison doit être brisée ; il faut une action vive de la volonté qui perce au travers de la raison et la combatte ; et bien que ce ne soit guère possible à l’âme vu sa grande corruption, il n’y a maintenant d’autre et meilleur moyen pour elle que de devenir comme morte en toute sa raison et ses sens, de se réfugier purement dans la miséricorde de Dieu et de s’abandonner à elle, en sorte que la raison n’ait plus d’issue et soit contrainte de se rendre ; et quand la volonté abat ainsi la raison, elle est comme morte, bien qu’elle vive encore. Elle devient seulement l’esclave de la pure volonté, elle qui veut être maîtresse ; car la volonté de Dieu doit régner sur la raison, si l’on veut que celle-ci fasse quelque chose de bon qui subsiste devant Dieu, rien ne demeurant devant lui que ce qui est engendré dans sa volonté. Si donc la volonté se tourne vers Dieu, l’esprit de la volonté devient son enfant, et alors subsistent aussi devant Dieu les merveilles accomplies par l’esprit de la raison, car elles s’opèrent dans la volonté de Dieu et sont transportées du temporel dans l’éternel.

8. Et bien que nous ne puissions pas dire que nos œuvres ou nos faits demeurent éternellement, leur ombre ou leur image subsiste cependant, quoiqu’à la vérité ils subsistent en être, mais dans le mystère ou dans la magie divine, devant la sagesse de Dieu, attendu que leur principe extérieur seul rompt, tout comme rien ne périt de l’image de l’homme que le régime des quatre éléments, lesquels rentrent dans l’unité. Alors aussi toutes les couleurs et figures des quatre éléments sont en évidence, avec tout ce qui s’engendre en eux, raison pour laquelle Dieu a fixé un jour de séparation finale dans la nature, où doit être éprouvé par le feu ce qui a été accompli dans la volonté de Dieu ou pas ; puis, chaque principe moissonnera ses merveilles, et là demeureront dans le feu bien des œuvres de plus d’un homme, parce qu’elles n’auront pas été faites dans la volonté de Dieu, car en lui n’entre rien d’impur (Apoc. XXI : 27, et XXII : 15). Or, ce qui a été engendré d’une autre magie n’est pas pur.

9. Nous en avons un exemple à la terre qui est altérée. Diras-tu : pourquoi ? Réponse : Lors de sa création, Satan siégea avec ses légions (attendu qu’il avait été créé ange) dans le sulphur ou dans le centre de la nature, dont la terre fut créée plus tard ; ce rebelle a éveillé la fureur dans la nature, en sorte que la terre a un attrait mauvais et impur, bien que captive dans la mort et réservée pour la putréfaction, devant être éprouvée par le feu éternel et rentrer dans ce qui la contenait avant la création, savoir dans l’éternelle magie de la nature éternelle.

 

 

 

 

CHAPITRE IV.

 

Ce qu’est l’œuvre de la foi, comment la volonté

s’y comporte, et de son conducteur.

 

 

1. Puisque tout ce qui est engendré de la nature est renfermé dans la volonté de Dieu, et que nous comprenons ainsi que rien ne peut pénétrer dans cette volonté que ce qui est engendré ou fait en elle, nous voyons clairement qu’il nous est nécessaire de nous livrer avec toute notre raison et tous nos sens à la volonté de Dieu, travaillant de nos mains dans le monde et cherchant la nourriture du ventre, mais ne mettant pas du tout notre volonté en cela ni à tenir pour notre trésor une chose terrestre ; car là où est notre volonté, notre cœur, là est aussi notre trésor. Notre volonté gît-elle dans la volonté de Dieu, alors nous possédons le grand mystère divin dont ce monde a été créé comme sa ressemblance : nous avons ainsi les deux, l’éternel et le périssable, et bien d’autres choses encore. Nous introduisons les merveilles de nos œuvres dans le mystère éternel, car elles adhèrent à l’esprit de la volonté. Mais si nous détournons notre volonté de l’éternel mystère pour la porter dans le mystère terrestre, tenant l’argent pour notre trésor, la beauté du corps pour notre gloire, l’honneur aussi ou le pouvoir pour notre plus précieux joyau, notre volonté est captivée par ce mystère, nous demeurons accrochés au miroir seulement et n’atteignons point la liberté divine ; car le miroir ou le règne externe doit être éprouvé par le feu et la fureur séparée de ce qui est pur, après quoi, la fureur sera un brûler éternel.

2. Puis donc que la raison introduit la base affective et l’esprit de la volonté de l’âme, dans lequel réside l’image de Dieu et le vrai homme, dans le miroir externe, soit dans un attrait trompeur, cette image ainsi que le vrai homme en sont captivés, et infectés par la magie externe, soit par son attrait. L’image revêt alors le régime externe, non seulement comme un vêtement, mais c’est une infection, un alliage total. Bien que le feu de l’âme ne s’allie pas avec le règne extérieur, l’esprit de la volonté de l’âme, qui est magique, le fait pourtant, et l’image de Dieu en est altérée, de plus transformée en une image terrestre ; alors la vie de feu de l’âme demeure rude et a dans l’esprit de la volonté une image terrestre.

3. Si maintenant le corps rompt et meurt, l’âme conserve son image, comme son esprit de volonté ; mais celui-ci est détaché de l’image du corps, car à la mort il y a une séparation ; alors l’image apparaît avec et dans les choses qu’elle s’est appropriées ici-bas, dont elle a été infectée, car elle a cette source en soi. L’image de l’âme se moule sur ce qu’elle a aimé ici-bas, qui a été son trésor, et dans quoi l’esprit de la volonté s’est porté. Quelqu’un a-t-il livré, pendant sa vie, son cœur et sa base affective à l’orgueil, alors cette source jaillit constamment du feu de l’âme dans l’image, et s’élève au dessus de l’amour et de la douceur, c’est-à-dire par dessus la liberté divine, et ne peut ni saisir ni posséder cette liberté, mais jaillit ainsi en soi-même dans un tourment angoisseux, tout en représentant sans cesse à l’esprit de la volonté les choses terrestres dans lesquelles la volonté s’est portée. C’est ainsi un rayonnement dans le feu de l’âme, une élévation continuelle de l’orgueil qui, dans le feu, veut déborder la douceur divine ; car l’âme ne pouvant puiser aucune autre volonté, puisqu’elle ne saurait atteindre la liberté divine, le saint mystère, où elle pourrait puiser cette autre volonté, ne vit uniquement qu’en soi-même ; elle n’a rien et ne peut non plus rien atteindre que ce qu’elle a compacté en soi durant la vie extérieure. Il en arrive autant à un avare ; celui-ci a dans sa volonté et dans son image la passion magique de l’avarice, il veut toujours avoir beaucoup et se figure, dans son esprit de volonté, ce dont il s’est occupé durant la vie du corps : et bien que ces choses l’aient abandonné et que son être ne soit plus terrestre, il a néanmoins la volonté terrestre, il se chagrine et se tourmente de cette manière, car il ne peut rien atteindre d’autre.

4. C’est bien pire encore pour la fausseté, au sujet de laquelle le malheureux s’est lamenté et en maudit l’auteur qui l’a opprimé ; car tout le mal qu’il a fait ou causé le suit, attendu que cela s’est opéré dans le mystère de la colère, dans lequel, par conséquent, l’âme corrompue tombe lorsque le corps meurt ; là elle a pour bain ces mêmes abominations. Et lors même qu’il serait possible de s’établir par la volonté dans l’amour de Dieu, ces abominations et méchancetés la retiennent, car elles causent un éternel désespoir ; de sorte qu’enfin l’âme s’emporte, renie Dieu et désire seulement de s’élever et de vivre dans ces abominations. La joie des âmes consiste alors à blasphémer Dieu et ses saints et à s’élever, dans les abominations, au dessus de Dieu et du royaume des cieux, sans pouvoir atteindre ni voir aucun des deux.

5. Ainsi nous vous donnons à considérer ce qu’est la volonté, la conviction, savoir un maître et un conducteur qui introduit l’image de l’homme ou dans l’amour ou dans la colère de Dieu ; car dans la volonté est engendrée la vraie foi où réside la noble image divine ; dans la foi, nous sommes réengendrés par Christ en Dieu et nous obtenons de rechef la noble image qu’Adam avait perdue, que Christ a réintroduite dans l’humanité avec la vie divine.

6. Une volonté fausse détruit aussi l’image, car la volonté est sa source, vu qu’elle attire à soi le mystère divin ; or l’esprit de ce mystère manifeste la belle image et la revêt du mystère divin ou de la substantialité divine, c’est-à-dire du corps céleste de Christ qui naquit de Dieu dans la chère et belle vierge de sa sagesse, corps qui remplit le ciel. Si donc notre base affective est établie avec la volonté dans ce mystère et que la volonté le désire, cette volonté est magique et y entre : là, si elle a faim, elle peut manger le pain de Dieu, dont lui croît le nouveau corps qui est le gracieux arbre de la foi chrétienne, car chaque corps s’aime soi-même ; si donc l’âme reçoit le corps divin, si doux et si gracieux, comment ne l’aimerait-elle pas, alors qu’il lui est donné en propriété, qu’elle l’habite et y vit, qu’elle se nourrit de sa puissance et s’en fortifie ?

7. Que nul ne se trompe donc et ne demeure plongé dans sa fausseté et son injustice, se contentant d’une foi historique qui lui suggère les pensées suivantes : Dieu est pourtant bon, il me pardonnera bien ; je veux me faire un trésor et en bien jouir, laisser beaucoup d’honneur à mes enfants, après quoi je ferai pénitence. – Tout cela est pure tromperie : tu leur amasses la fausseté, tout en te chargeant d’injustices ; et lors même que cela se ferait le plus droitement possible, c’est néanmoins de la terre, car tu as plongé ton cœur et ta volonté dans un vase terrestre ; tu en as revêtu et totalement infecté ta noble image. De plus, tu ne lègues à tes enfants que l’orgueil, pour qu’ils mettent aussi l’esprit de leur volonté en cela seulement. Tu crois bien agir pour toi et pour tes enfants, et tu te fais et à eux le plus de mal possible.

8. Il est vrai que la vie extérieure doit être entretenue, et que celui qui donne volontairement son bien au pervers agit follement ; mais encore plus follement agit celui qui se pervertit soi-même par son bien, en y attachant son cœur et faisant plus de cas de la volupté temporelle, passagère, que des biens impérissables, éternels. Mais celui-là se bénit qui vient en aide aux misérables, car ils lui souhaitent toutes sortes de biens et prient Dieu de le bénir corps et âme ; ainsi leur souhait et leur bénédiction vont au bienfaiteur dans le mystère, l’entourent et le suivent comme une bonne œuvre engendrée en Dieu ; c’est ce trésor là qu’il emporte, non le terrestre. – Quand le corps meurt, l’image va dans le mystère, c’est-à-dire qu’elle devient manifeste dans le mystère divin ; car pendant la vie extérieure, le principe extérieur l’a couverte : à la mort, le voile tombe, puis apparaît le mystère divin dans l’image, et dans elle tous les bienfaits, toutes les bonnes œuvres accomplies dans l’amour, dans la volonté de Dieu.

9. Tous les vœux et toutes les prières des pieux enfants de Dieu se trouvent dans le mystère et inclinent vers l’image, car les enfants des malheureux que l’homme a secourus dans leurs misères et leurs afflictions, ont envoyé, avec leurs prières, leur volonté dans le mystère divin : tendant par là à leur sauveur et consolateur, ils ont aussitôt déposé leur tribut dans ce même mystère. Et si, à la mort, leur bienfaiteur y entre, tout vient en évidence ; chaque chose s’appareille avec ce qui lui est semblable, se rend où la volonté l’a placé.

10. Tout cela est réservé, dans le mystère, pour le jugement de Dieu le Saint-Esprit ; là chacun moissonnera ce qu’il aura semé ici-bas dans son champ ; là tout verdira, croîtra et fleurira dans une terre nouvelle et céleste, dans laquelle l’image divine de l’homme revêtira le corps complet du mystère divin, et l’homme verra devant lui (entends, devant son image corporifiée) sa justice, pourquoi il est si beau ; il en reconnaîtra la cause, s’en réjouira éternellement et en fera le sujet de ses cantiques à l’honneur et à la gloire de Dieu. Par contre, la masse des hommes pervers trouvera dans son mystère la dérision, l’avarice, l’orgueil, la méchanceté ; de plus, la malédiction des victimes ; le tout rassemblé dans la colère et qui la suivra aussi, en sorte qu’elle reconnaîtra toujours la cause de son tourment, et sera, en conséquence, éternellement ennemie de Dieu et de ses enfants.

 

 

 

 

CHAPITRE V.

 

Pourquoi les pervers ne se convertissent pas ; ce qu’il y a de plus douloureux dans la conversion. Des faux pasteurs. Comment on doit entrer dans le royaume de Dieu. De la destruction du règne de Satan. Des trois formes (de la vie), et ce que nous avons hérité d’Adam et de Christ.

 

 

1. La masse des hommes pervers ne peut maintenant comprendre tout cela, par la raison qu’il n’y a en eux aucune volonté à cet effet qui le désire, car la terrestréité les a captivés, en sorte qu’ils ne peuvent puiser aucune volonté dans le mystère divin ; ils sont comme morts à Dieu, il n’y a pas un souffle de la vie divine en eux ; ils n’en veulent pas non plus, étant verrouillés dans le mystère de la colère divine à n’avoir pas la conscience d’eux-mêmes. Non que Dieu les ait mis dans cet état, car c’est le fait de leur esprit de volonté, ils s’y sont plongés eux-mêmes ; c’est pourquoi ils courent comme des insensés, et pourtant le noble joyau gît caché en eux, au centre, dans le principe divin ; ils pourraient fort bien passer en volonté de la terrestréité et de la méchanceté dans la volonté de Dieu : ils se laissent volontairement retenir par la colère, car la vie orgueilleuse et honorée leur plaît beaucoup ; c’est ce qui les retient.

2. Mais après ce temps, il n’y a plus de remède ; si le feu de l’âme est nu et rude, il ne peut être éteint (tempéré) par rien que par la seule douceur divine, savoir par l’eau de l’éternelle vie dans le mystère divin ; or ils ne l’atteignent pas, car il y a un abîme entre deux, c’est-à-dire tout un principe. Mais ici-bas, pendant que l’âme nage et brûle encore dans le sang, cela peut bien se faire, car l’esprit de Dieu plane sur les ailes du vent. Dieu est devenu homme, son esprit va avec la volonté dans l’âme, il désire l’âme, il place sa magie en regard de l’âme ; elle n’a qu’à ouvrir la porte, il entre volontiers et découvre le noble grain pour l’arbre de la foi chrétienne. Mais ici est le plus douloureux, que l’homme trouve le plus amer (si l’arbre de la foi doit naître en lui), c’est qu’il doive retirer son esprit de volonté de son trésor terrestre, savoir de l’orgueil, de l’avarice, de l’envie, de la colère et de la fausseté, pour l’introduire dans l’esprit de Dieu. Sa bouche ne doit pas être hypocrite, ni son cœur et sa volonté demeurer attachés au mystère terrestre : il faut y aller sérieusement ; du fond du cœur et de l’âme, la volonté doit se livrer au mystère divin ou à l’amour de Dieu, afin que l’Esprit saint trouve place en elle pour aviver l’étincelle divine ; hors de là il n’y a point de salut et aucune hypocrisie n’y fait rien.

3. On apprendrait par cœur toutes les écritures et l’on passerait sa vie dans les églises, si l’on demeure, quant à l’image de l’âme, un homme terrestre et bestial, ne recherchant de cœur que la fausseté, l’hypocrisie ne servira de rien. Un prédicateur qui s’occupe du mystère divin extérieurement, sans posséder l’image de Dieu à l’intérieur, et visant seulement aux honneurs et à l’argent, est aussi voisin du diable que le dernier des hommes, car il n’est qu’un jongleur du mystère divin et un hypocrite sans puissance ; il n’a lui-même pas le mystère divin, comment le donnerait-il aux autres ? Il est un faux pasteur et un loup à l’égard des brebis. Car tout homme qui porte le mystère de Dieu, c’est-à-dire qui l’a éveillé et s’est livré à lui, en sorte que l’Esprit saint le conduit, est un prêtre de Dieu, car il enseigne de Dieu. Nul ne peut bien enseigner s’il n’enseigne du mystère divin. Mais comment enseignera celui qui en est dehors, n’enseignera-t-il pas de l’art et de la raison terrestre ? Qu’en a à faire le mystère divin ? Bien que la raison soit une noble chose, sans l’esprit de Dieu, elle est aveugle. Car Christ dit : hors de moi vous ne pouvez rien faire (Jean XV : 5). Ceux que conduit l’esprit de Dieu sont enfants de Dieu (Rom. VIII : 14). Celui qui pénètre dans la bergerie autrement que par l’esprit de Christ est un voleur et un brigand, qui ne vient que pour piller, voler (Jean X : 1) et chercher son avantage particulier. Celui-là n’est pas un pasteur des brebis, mais un dévorateur, un loup.

4. Il nous faut donc comprendre que l’arbre de la foi chrétienne doit être vivant et non une histoire morte ou une science ; le verbe de la vie doit devenir homme dans l’image, l’âme doit revêtir l’image de Dieu ; sans cela elle n’est pas son enfant. Il ne faut pas faire l’hypocrite ni réserver la pénitence pour plus tard, car aussi longtemps que l’âme porte encore l’image terrestre, l’homme est hors du mystère divin. Tu ne dois pas non plus nourrir des pensées comme celles-ci : « Je me convertirai bien une fois, mais je veux auparavant amasser suffisamment pour ne pas tomber dans le besoin et afin de ne pas être alors empêché par les affaires de ce monde. » – Non, car c’est là un tour de maître du diable. Nous devons, au contraire, entrer dans le royaume de Dieu par la persécution, la croix, l’affliction, la moquerie et le mépris ; car Satan a le régime dans l’image terrestre et, de son trône orgueilleux, il se rit des enfants de Dieu lorsqu’ils veulent lui échapper ; ainsi la multitude perverse sert le diable et lui aide à faire son œuvre.

5. L’homme qui veut aller à Dieu doit mépriser tout cela ; il doit penser qu’il est dans un pays étranger, parmi les brigands, qu’il est un pèlerin, en route pour sa vraie patrie ; il tombe entre les mains des brigands qui le tourmentent et le volent, et s’il s’en tire avec sa noble image seulement, il est assez riche, car il reçoit pour cela le mystère céleste, renfermant tout et dont ce monde n’est qu’une image. C’est pourquoi bien fou est celui qui prend le reflet pour la substance ; car le miroir se brise et son amateur en est dépossédé : il ressemble à celui qui bâtit sa maison sur le sable, auprès d’une grande eau qui la lui emporte : telle est l’espérance terrestre.

6. Ô fils de l’homme, toi noble créature, ne lui laisse pas la puissance ; il y va de ton règne éternel ; cherche-toi et trouve-toi, mais non dans le règne terrestre. Quelle félicité éprouve pourtant celui qui est dans le royaume de Dieu, qui revêt le mystère céleste et divin et y entre ! Toute la beauté de ce monde n’est que boue auprès de la beauté céleste et ne mérite pas que l’homme y place son amour, bien qu’elle doive être amenée en merveilles, à quelle fin aussi Dieu l’a créée.

7. Comprenez la chose : l’homme extérieur doit, comme appartenant au mystère extérieur, manifester les merveilles de la nature extérieure, tant de la terre qu’au-dessus : l’homme doit amener (produire) en merveilles, formes et êtres, toute la puissance des astres et tout ce que contient la terre, selon la figure éternelle qui a été vue dans la sagesse divine avant les temps de ce monde ; mais il ne doit pas y placer sa volonté, ni tenir cela pour son trésor, et ce ne doit être pour lui qu’un ornement et un sujet de joie, car l’homme intérieur doit travailler dans le mystère divin, alors l’esprit de Dieu lui aide aussi à chercher et à trouver l’extérieur.

8. Puisque donc nous avons été ainsi altérés par la lourde chute, que notre base affective est passée du mystère céleste dans le terrestre ou dans le miroir, que nous sommes comme à moitié morts, il nous importe très grandement de sortir par notre base affective et notre volonté du reflet brillant terrestre, de nous chercher d’abord, avant de rechercher la beauté terrestre ; d’apprendre premièrement à connaître où nous sommes, et de ne pas rendre notre base affective terrestre.

9. Car l’homme, quoique image de Dieu, a cependant une triple vie ; mais s’il perd l’image divine, il n’a plus qu’une double vie, attendu que la première vie est celle de l’âme qui naît du feu de l’éternelle nature et se compose principalement de sept formes, le tout selon l’esprit de la nature, comme cela est exposé et développé dans notre troisième livre. L’autre vie réside dans l’image qui s’engendre de la fontaine de l’éternelle nature ou du feu de l’âme, laquelle image, résidant dans la lumière, se trouve dans une autre source et a son esprit de vie, comme vous le voyez au feu et à la lumière ; car la source de la lumière est autre que celle du feu, et cependant la lumière provient du feu ; par source de lumière on entend le doux, pur et aimable esprit, et dans la source du feu se trouvent les causes de la première. Vous voyez aussi que du feu naît l’air, qui est l’esprit, et que l’air revêt aussi quatre formes : une sèche, selon la fureur du feu, et une humide, eau qui provient du rude attirement ; en troisième lieu, une douce, provenant de la lumière ; puis, en quatrième lieu, un élèvement qui naît de l’effroi de la fureur du feu. Nous comprenons alors que la lumière soit souveraine dans toutes les formes, car elle possède la douceur et est une vie qui s’engendre du précipitement au travers de la mort furieuse ou de la source d’angoisse, comme un autre principe qui subsiste dans le feu sans en être atteint ; et pourtant elle a sa sensation propre, qui est d’un goût délicieux ; par où nous pouvons comprendre que l’eau s’engendre de la mort, par le précipitement au travers de l’angoisse du feu. Il faut comprendre, en outre, que ce n’est pourtant pas une mort, bien que c’en soit une ; mais la lumière la rend verdissante, vivante, et cette vie réside dans la puissance de la lumière, attendu que la vie verdit de la mort, savoir de la substantialité ou de la compaction, comme l’eau qui en elle-même est morte, mais dont la vie de feu et la puissance de la lumière sont la vie. Ainsi, la substantialité est considérée comme morte, puisque la vie qui s’y trouve est une chose distincte qui se possède et s’engendre soi-même en soi, puis la mort de la substantialité doit fournir le corps de cet engendrement, comme cela a été expliqué dans notre troisième livre, que dans la vie de lumière et dans l’eau de la mort nous comprenons aussi deux formes, et après l’angoisse dans le feu, la troisième : savoir, 1o dans l’angoisse du tuement, dans la fureur du feu, une eau furieuse, à cause des quatre premières formes pour la nature qui sont l’âpreté, l’amertume, l’angoisse et le feu ; cette eau se compare au poison et en est un aussi, une substantialité infernale dans la fureur, selon l’origine du premier principe, dans lequel source la colère de Dieu.

10. En second lieu, nous entendons l’autre eau dans l’effroi causé par la lumière, effroi dans lequel la source tuée s’affaisse, et dans la mort devient comme un néant ; or dans le néant, l’éternelle liberté ou l’éternel abîme de l’éternité est atteint ; et comme dans cet affaissement l’insaisissable lumière brille dans l’éternité et remplit toujours l’affaissement, la vertu de la lumière s’épanouit dans la lumière : c’est là la vie naissant de la mort affaissée (abattue) ; car la fureur du feu demeure dans la source furieuse de l’eau furieuse et ne va pas avec elle à la mort ; cela ne se peut non plus, car la fureur est la sévère et toute-puissante vie qui ne peut ni mourir ni atteindre l’éternelle liberté, attendu qu’elle est et demeure éternellement la vie de la nature. Bien que dans la vie de lumière il se trouve aussi une nature, elle n’est cependant ni douloureuse ni hostile comme dans l’origine de la nature, selon laquelle Dieu se nomme un Dieu jaloux et colérique ; car dans la source de lumière, l’eau qui, par la mort, est passée dans la liberté, devient une source et une eau de l’éternelle joyeuse vie, dans laquelle l’amour et la douceur s’élèvent toujours ; là, il n’y a plus d’affaissement (défaillance), mais un verdir qui s’appelle paradis, et le mouvement hors de la source d’eau se nomme élément ; c’est l’élément pur dans le monde angélique ; et la cause du feu dans la lumière est l’éternel firmament, dans lequel l’éternelle science de Dieu est manifestée en sagesse, comme nous en avons une ressemblance dans le firmament et les astres externes.

11. Ainsi, nous comprenons maintenant deux mondes l’un dans l’autre, étrangers l’un à l’autre : savoir, l’un dans la fureur de la nature de feu, dans l’eau du poison et de la source d’angoisse, lequel est l’habitation des démons ; l’autre dans la lumière, après que l’eau de la lumière est passée de l’angoisse dans l’éternelle liberté, que l’eau empoisonnée ne peut ni atteindre ni saisir ; et pourtant, elles ne sont séparées que par la mort, où elles se divisent en deux principes et forment ainsi deux vies, l’une dans la colère, l’autre dans l’amour, et celle-ci est reconnue pour la véritable vie divine. Ici se trouve le motif pour lequel, lorsque nous passâmes avec Adam de cette vie de lumière dans celle du monde extérieur, Dieu devint homme et dut, au travers de cette mort, de la source de la fureur et de la vie du feu d’angoisse, nous introduire de nouveau, par la mort, dans la vie de lumière et d’amour ; les portes de la mort dans la fureur furent aussi fermées dans l’âme humaine, qui était dans la source d’angoisse, dans la nature interne, dans le feu du poison ou dans l’eau de l’angoisse : là, le prince Christ a brisé les verrous de la mort et, au travers de la mort, reverdi en son âme humaine dans la lumière divine, en sorte que, dans sa vie de lumière, il tient maintenant la mort captive et en a fait une dérision. Car, par cet enfermement, Lucifer s’imaginait être un dominateur et tout-puissant prince dans la fureur ; mais lorsque la porte fut brisée, la puissance de la divinité dans la lumière lui détruisit son règne ; il devint un esclave captif, car la lumière divine et l’eau de la douceur sont sa mort, vu que la colère est tuée par elles.

12. Ainsi, la lumière et l’amour ont pénétré dans la colère avec l’élément paradisiaque et l’eau de l’éternelle vie ; de cette manière la colère de Dieu a été éteinte ; c’est pourquoi Lucifer ne demeure en soi-même qu’une source de feu angoisseuse et furieuse, qui fait de son corps un poison et une source de l’eau empoisonnée ; en conséquence, il a été précipité du feu divin dans la matrice de l’éternelle nature, soit dans la sévère âpreté qui engendre les ténèbres éternelles. Là, il a le très sévère régime dans le mercure angoisseux, et se trouve ainsi comme un être honteux et rejeté qui, dans l’origine, était prince et, maintenant, se voit réduit à la condition de bourreau et de mercenaire, forcé d’être, dans la fureur divine, comme un exécuteur qui punit le mal quand son maître le lui commande : là s’arrête son pouvoir, mais il est un fourbe cherchant à attraper tout ce qu’il peut, pour agrandir son royaume, afin d’avoir beaucoup et de n’être pas un objet de risée avec peu, de même qu’une femme de mauvaise vie pense que s’il y a beaucoup de femmes de son espèce, elle ne sera pas seule telle, mais comme d’autres ; il désire donc nombreuse compagnie pour pouvoir se jouer de Dieu. Satan accuse toujours Dieu de sa chute, de ce que la fureur divine l’a ainsi attiré et précipité dans une telle orgueilleuse volonté qu’il n’a pu résister ; il s’imagine qu’en attirant beaucoup d’âmes à lui son règne s’agrandira, qu’il recevra assez de ceux qui auront fait comme lui, maudissant Dieu et se justifiant eux-mêmes ; sa force et sa volupté consistent dans sa sombre et rude angoisse, à pouvoir toujours exciter le feu en lui et s’envoler par dessus les trônes. Il s’estime donc encore prince et roi, et bien qu’il soit mauvais, il est pourtant prince de ses légions dans la colère, en sa créature ; mais dans la colère, hors de sa créature, il n’a pas de pouvoir, il y est impuissant et captif.

13. Entendez ainsi la vie humaine en deux formes, savoir : l’une, selon le feu de la nature, et l’autre, selon le feu de la lumière, qui brûle dans l’amour et dans lequel apparaît la noble image divine. Entendez de plus ici que la volonté de l’homme doit entrer dans la volonté de Dieu ; alors il va dans la mort de Christ, et avec l’âme de Christ, au travers de la mort, il passe dans l’éternelle liberté divine, dans la vie de lumière ; là, il est en Christ auprès de Dieu. La troisième forme de la vie est la vie extérieure créée de ce monde, savoir du soleil, des astres et des éléments, que l’esprit de Dieu souffla dans les narines d’Adam par l’esprit du grand monde, en sorte qu’il eut aussi une âme externe qui nage dans le sang et l’eau, et brûle dans le feu extérieur allumé ou dans la chaleur.

14. Cette vie extérieure ne devait pas empiéter sur l’image ou la vie intérieure ; l’image ne devait pas non plus la laisser entrer dans la lumière intérieure (qui luit au travers de la mort et resplendit par sa puissance dans l’éternelle liberté), car la vie extérieure n’est qu’une image de la vie intérieure ; l’esprit intérieur devait seulement manifester dans le miroir extérieur les éternelles merveilles (qui dans la sagesse divine avaient été vues dans le sans-fond, dans la magie divine) et les produire en miroir de figures, c’est-à-dire en un miroir (jeu) de merveilles, à la gloire de Dieu et pour la joie de l’homme intérieur, né de Dieu ; mais sa volonté ne devait pas admettre les merveilles extérieures dans l’image, comme nous reconnaissons maintenant avec douleur que l’homme se forme et attire dans sa base affective un trésor terrestre, et détruit ainsi en soi la pure image divine selon l’autre principe.

15. Car l’esprit de la volonté de l’homme va maintenant dans la terrestréité, et place son amour, dans lequel réside l’image, dans cette terrestréité, comme dans un trésor terrestre, dans un vase terrestre ; alors, dans une telle imagination, l’image devient aussi terrestre ; elle rentre dans la mort, perd Dieu et le royaume céleste ; car son esprit de volonté et son amour sont pris dans la vie extérieure, et comme cette vie doit mourir et se briser, afin que l’image créée apparaisse selon le règne interne, l’esprit de la volonté empêtré, avec son amour, dans les merveilles extérieures, conduit avec soi celles-ci, à l’heure de la mort, devant le tribunal de Dieu : là, l’esprit de la volonté doit passer par le feu, et l’image doit être éprouvée par lui : là, toute la terrestréité de l’image doit être consumée, car elle doit être absolument pure et sans tache. Tout comme la lumière soutient le feu, de même l’esprit de volonté doit-il soutenir le feu divin, et s’il ne peut le traverser librement par la mort, cette image de l’âme sera vomie dans les ténèbres éternelles.

16. Et en ceci se trouve précisément la lourde chute d’Adam, qu’il établit l’esprit de sa volonté dans la vie extérieure ou dans le principe externe, dans le faux attrait, et porta son imagination dans la vie terrestre ; c’est ainsi qu’il passa du paradis, qui verdit par la mort dans l’autre principe, dans l’extérieur, et qu’il entra dans la mort ; alors il dut mourir et son image fut détruite. Voilà ce que nous avons hérité d’Adam ; mais aussi de l’autre Adam, Christ, la nouvelle naissance, où nous devons entrer dans l’incarnation de Christ, avec lui dans sa mort, et de la mort, verdir avec lui dans le monde paradisiaque, dans l’éternelle substantialité de la liberté divine.

 

 

 

 

CHAPITRE VI.

 

Ce que peut la convoitise : comment nous sommes tombés en Adam et nés de nouveau en Christ. Pourquoi il n’est pas si aisé de devenir un vrai chrétien.

 

 

1. Nous comprenons ainsi que tout dépend du désir, que l’altération en est provenue et en provient encore maintenant ; car le désir est une imaginative par laquelle toutes les formes de la nature se trouvent enlacées et imprégnées de la chose d’où naît le désir. Ici nous entendons l’esprit externe de l’homme, qui est une ressemblance de l’interne : le premier a convoité la belle image et, en conséquence, porté son imagination dans l’interne, ce dont celui-ci a été infecté. Et parce qu’il n’a pas ressenti la mort à l’instant, il a abandonné son esprit de volonté à l’externe, qui s’est établi en lui à demeure et est enfin devenu le maître du logis, d’où est résulté l’obscurcissement de l’interne et la disparition de la belle image. Ici cette belle image tomba entre les mains des brigands, savoir des rudes esprits de la nature et de l’origine de la vie qui la retinrent captive, la dépouillèrent de son vêtement paradisiaque, exercèrent leurs violences meurtrières en elle et la laissèrent demi-morte.

2. Dans cet état, le Samaritain Christ faisait grand besoin, et telle est la cause pour laquelle Dieu devint homme : si le dommage eût pu être réparé par un pardon de paroles, Dieu ne fût pas devenu homme ; mais Dieu et le paradis étaient perdus ; en outre, la noble image détruite devait être réengendrée de Dieu. – Dieu vint donc en son Verbe qui est le centre de la vie de lumière et se fit chair, afin que l’âme reçût de nouveau une habitation céleste et paradisiaque : entends que de même que l’âme d’Adam avait ouvert la porte des essences de feu et laissé pénétrer les essences terrestres, dont la source s’était implantée dans l’image paradisiaque et l’avait rendue terrestre : de même le cœur de Dieu ouvrit-il la porte des essences de la lumière et entoura-t-il l’âme de chair céleste, et ainsi les essences de la chair sainte portèrent leur imagination vers l’image, vers les essences de l’âme, qui fut alors de nouveau imprégnée, en sorte qu’elle entra avec son esprit de volonté, par la mort, dans la vie paradisiaque. C’est pourquoi Christ fut tenté, afin d’éprouver si l’âme voulait manger du Verbe divin, et si elle pouvait rentrer, par la mort, dans la vie divine, ce qui s’accomplit enfin sur la croix, où l’âme de Christ traversa par la mort le feu de la fureur, la rigoureuse source, et reverdit dans le monde saint et paradisiaque où Adam avait été créé : ainsi fut réintégrée l’humanité.

3. Il nous est en conséquence de toute nécessité maintenant de retirer notre volonté, nos sens et notre base affective de toute chose terrestre, et de les placer dans les souffrances, l’agonie, la mort et la résurrection de Christ, de crucifier sans relâche le vieil Adam par la mort de Christ, de mourir sans cesse au péché dans l’agonie et la mort de Christ, de ressusciter toujours avec lui, de l’angoisse de la mort, un nouvel homme, et de verdir avec lui dans la vie divine. Hors de là, point de salut ! Nous devons mourir en volonté au monde terrestre et renaître constamment en foi, dans la chair et le sang de Christ, au monde nouveau : nous devons naître de la chair de Christ si nous voulons contempler le royaume de Dieu.

4. Il n’est pas si facile d’être un vrai chrétien, c’est au contraire la chose la plus difficile ; la volonté doit devenir un chevalier (héros), et combattre la volonté corrompue ; elle doit, abandonnant la raison terrestre, se plonger dans la mort de Christ, dans la colère de Dieu ; briser en vrai champion la puissance de la volonté terrestre, et se disposer si résolument qu’en coûtât-il la vie terrestre, elle ne désemparera pas qu’elle n’ait brisé la volonté du vieil Adam, ce qui est une rude guerre, puisque deux principes sont en combat pour la victoire. Ce n’est pas un badinage, il faut de la résolution dans la lutte pour la couronne de chevalier, car nul ne l’obtient qu’il n’ait vaincu. Il doit briser la puissance de la volonté terrestre, ce qu’il ne peut cependant de ses propres forces ; mais si, abandonnant la raison terrestre, il s’enfonce avec sa volonté intérieure dans la mort de Christ, il traverse, par la mort de Christ, la fureur divine, et parvient, en dépit de toute opposition de Satan, dans le monde paradisiaque, dans la vie de Christ. (Pour cela) il doit rendre sa volonté comme morte ; alors il vit à Dieu et échoit à son amour, bien que vivant dans le règne extérieur.

5. Mais je reviens à la couronne de chevalier qu’il obtient dans le monde paradisiaque, s’il parvient une fois à y pénétrer ; car là est semé le noble grain, là il reçoit le très précieux gage du Saint-Esprit qui ensuite le dirige et le conduit. Et bien qu’il doive cheminer dans la ténébreuse vallée de ce monde, où le diable et la méchanceté du monde tempêtent incessamment sur lui et précipitent souvent l’homme externe dans l’abomination, d’où il résulte que le noble grain de semence de moutarde est comme couvert ; cependant il ne laisse pas enfouir, mais pousse toujours, et il en croît un arbre dans le royaume de Dieu, en dépit de toute la rage et de toute la tempête du diable et de ses adhérents. Et plus le noble arbre de perles est comprimé, plus vigoureusement et puissamment il végète ; il ne se laisse pas étouffer, en coûtât-il la vie terrestre.

6. Ainsi, ma chère âme, enquiers-toi à bon escient de l’arbre de la foi chrétienne ; il n’est pas en ce monde ; il doit bien être en toi, mais tu dois, avec lui, être avec Christ en Dieu, de façon que ce monde ne soit que suspendu à toi, comme il en était de Christ. Ce qui ne veut pas dire, toutefois, que ce monde ne vaille rien ou soit inutile devant Dieu ; il est le grand mystère, et l’homme a été créé dans ce monde pour le gouverner sagement, pour manifester toutes les merveilles (qui dès l’éternité sont dans le sulphur dont ce monde, avec les astres et les éléments, a été créé), et pour les produire, selon sa volonté, en formes, figures et images, le tout pour sa joie et sa magnificence.

7. L’homme fut créé entièrement libre, sans aucune espèce de loi que celle de la nature, consistant à ne pas introduire un principe dans l’autre : l’homme intérieur ne devait rien admettre de terrestre en soi, mais régner avec toute puissance sur le principe extérieur ; dans cet état, aucune mort n’eût eu prise sur lui, les éléments extérieurs n’eussent pas non plus pu l’attoucher, ni chaleur ni froideur ne l’eussent atteint. Car de même que la noble image doit subsister dans le feu, ainsi devait-elle régner par l’homme complet, par tous les trois principes, tout gouverner et remplir au moyen de la source paradisiaque.

8. Mais comme cela ne put avoir lieu et que toute chair est devenue terrestre, nous devons maintenant être engendrés dans la foi, où à la vérité la vie terrestre couvre la vraie vie ; nous devons revêtir le vrai vêtement qui se nomme espérance, établir notre volonté dans l’espérance et cultiver sans cesse l’arbre de la foi, pour qu’il rapporte ses fruits, savoir le gracieux amour envers Dieu et son prochain. L’homme doit faire le bien, non-seulement pour lui-même, mais encore, pour amender son prochain par son exemple et sa vie. Il doit penser qu’il est un arbre dans le royaume de Dieu, devant rapporter du fruit divin et croître dans le champ divin ; que son fruit appartient à la table de Dieu, que ses œuvres et ses merveilles doivent porter le cachet du vrai amour, dans lequel il doit marcher, s’il veut pouvoir les introduire dans le royaume de Dieu ; car Dieu est un esprit, et la foi est aussi un esprit en Dieu ; or Dieu étant devenu homme en Christ, l’esprit de la foi devient aussi tel en Christ. Ainsi, l’esprit de la volonté marche vraiment en Dieu, car il est un esprit avec lui et opère avec Dieu des œuvres divines ; et quoique la vie terrestre le couvre, en sorte qu’il ne connaît point les œuvres qu’il a engendrées dans la foi, elles deviennent cependant manifestes lors du brisement de la vie terrestre, car l’espérance fut son dépôt et est un mystère dans lequel sont semées et conservées les œuvres de la foi.

 

 

 

 

CHAPITRE VII.

 

À quelle fin ce monde et tout ce qu’il renferme fut créé ; item, de deux mystères éternels. Du puissant combat dans l’homme pour l’image. Dans quoi l’arbre de la foi chrétienne s’enracine, croît et porte du fruit.

 

 

1. Puisque la vie de l’homme est donc ainsi triple, chacune de ces vies est à l’autre un mystère et la désire, à quelle fin ce monde et tout ce qu’il renferme a été créé ; car la divinité désire le miroir ou la ressemblance, or ce monde l’est ; Dieu est manifeste dans cette ressemblance terrestre. Les merveilles du monde caché ne pouvaient pas être mises en évidence dans le monde angélique, dans l’engendrement de l’amour ; mais dans ce monde, mélange d’amour et de colère, se trouve une double engendreuse, ici cela se pouvait ; car toutes choses proviennent de la racine du feu, mais sont entourées de l’eau de la douceur qui les rend aimables. Puisque le feu n’est pas connu dans le monde angélique, car le centre de l’engendreuse réside dans la lumière et est la parole de Dieu, les merveilles de la nature ne peuvent être manifestées que dans une magie spirituelle, c’est-à-dire qu’elles doivent être vues dans la sagesse divine ; mais comme cela est presque insaisissable aux anges et aux âmes des hommes, et que Dieu veut être reconnu dans les uns et les autres, le monde angélique désire ardemment connaître les grandes merveilles que la sagesse divine recèle dès l’éternité, et ces merveilles sont mises au jour, en figures et en images, dans la ressemblance terrestre, le tout selon les éternelles essences du centre de la nature, afin qu’elles subsistent à jamais ; non en essence toutefois, mais en figures, images et ressemblances, en formes ; magiques, il est vrai, selon la volonté ; mais l’engendreuse est néanmoins dans le centre des merveilles ; car elle a été une fois éveillée du feu ; seulement elle est de nouveau engloutie dans le mystère et demeure comme une vie cachée. C’est pourquoi toutes choses doivent être manifestées comme une ombre dans le monde angélique, mais uniquement celles qui, faites dans la volonté de Dieu, ont été introduites dans le mystère ; car il y a deux mystères qui sont éternels, l’un dans l’amour, l’autre dans la colère : donc là où entre l’esprit de la volonté, avec ses merveilles, là aussi se trouvent ses œuvres et ses merveilles.

2. Nous devons reconnaître de même que l’extérieur aussi désire ardemment l’intérieur, tout s’empressant vers le centre, comme l’origine, et désirant la liberté ; car dans le feu de la nature il y a angoisse et tourment ; donc, la formation ou l’image de la douceur veut être libre dans la source de l’amour et ne peut cependant l’être, dans la source des essences de feu, que lorsque, dans le brisement, le tourment se sépare, là chaque chose entre dans son mystère. De même, le feu veut être libre de l’eau, car l’eau est sa mort et en même temps un mystère pour lui. Et nous voyons également ici comment l’eau retient le feu captif, bien qu’il n’y ait aucun mourir dans le feu, mais seulement un mystère, puisqu’on le voit traverser l’eau et se manifester du centre de sa propre engendreuse, témoin l’éclair ; cela se reconnaît aussi à une pierre qui est eau pourtant. Nous voyons surtout comme toutes les formes de la nature désirent la lumière, car dans ce désir s’engendre l’huile où la lumière est en évidence, attendu qu’elle naît de la douceur.

3. Reconnaissons donc notre vie, et que le centre du feu est ouvert en nous, car la vie brûle dans le feu ; ensuite, il nous faut considérer le désir d’amour qui, dans le monde angélique, naît dans la parole de vie ; là l’imagination du désir du cœur de Dieu est en face de nous et nous attire dans le mystère divin.

4. Troisièmement, il nous faut considérer le règne magique de ce monde, qui brûle aussi en nous et nous attire violemment dans ses merveilles, car il veut se produire, et l’homme a été créé dans ce monde pour manifester ce mystère, pour produire à la lumière, en formes, les merveilles conçues par l’éternelle sagesse. Devant donc faire cela, et brûlant ainsi d’un triple feu, le vrai esprit, dans lequel l’image angélique réside, éprouve un grand trouble, et se trouve dans un grand danger, car il chemine dans un sentier bien étroit, aux prises avec deux ennemis qui se le disputent toujours, chacun d’eux voulant s’établir dans l’image et y introduire sa source. Ces ennemis sont le feu intérieur et le feu extérieur : le règne intérieur de la fureur et le règne extérieur terrestre du miroir ; et la véritable image se trouve là, au milieu, dans le froissement. Car le règne intérieur veut manifester les merveilles par le règne extérieur, mais comme le premier est trop rude, celui-ci se dérobe à lui et se porte vers le règne du milieu ou vers l’image qui se trouve dans la liberté divine, et se faufile ainsi dans l’image ; car tout cherche le cœur de Dieu, comme le centre du royaume de joie. Il importe alors grandement à l’image de se défendre, de ne pas laisser entrer l’hôte terrestre, bien moins encore le feu ; et cependant elle naît des deux, savoir, du feu, la vie, et du règne extérieur, les merveilles. C’est pourquoi il est de toute nécessité pour l’image de l’homme de mener une vie tempérée et sobre, de ne pas trop se remplir du règne extérieur, sans quoi il se loge à demeure dans la noble image.

5. Ici nous pouvons comprendre le puissant combat dans l’homme pour l’image divine, car trois champions se la disputent : d’abord, la sévère vie de feu, puis la vie divine, et enfin, la vie terrestre. Ainsi, la noble image est là prise au milieu et tiraillée par les trois. Alors il faut qu’elle se réfugie en foi dans le mystère de l’espérance et y demeure tranquille, et comme le diable voyage constamment de la vie de feu intérieure dans la vie extérieure terrestre, dans l’orgueil, la fausseté et l’avarice, autour de la noble image, voulant l’entraîner dans le feu, dans la vie angoisseuse, et la briser, attendu qu’il s’imagine toujours que le lieu de ce monde est son royaume et n’y veut souffrir aucune autre image, la noble image tombe dans la croix, l’affliction, l’angoisse et la détresse ; il s’ensuit un grand combat pour obtenir la noble couronne de chevalier de l’image divine, combat qui pousse à la prière, pour délivrer sans cesse l’image de la terrestréité ainsi que des suggestions d’orgueil et autres abominations infernales introduites, et la porter constamment à la vie et à l’amour divins. Par ce procédé la vraie image triomphe toujours de l’Adam terrestre et du démon orgueilleux : telle doit être, en tout temps, son attitude chevaleresque. Ce qui lui est le plus utile, c’est de s’envelopper dans la patience, de se jeter sous la croix et de s’engendrer (s’élever) toujours dans l’amour ; car cela est l’arme avec laquelle l’image terrasse le démon et chasse la terrestréité ; elle n’a d’autre arme pour sa défense que la douce eau de l’éternelle vie qui ne plaît pas à l’orgueilleux et furieux esprit de feu, c’est pour lui un poison qui le met en fuite.

6. Pour bien décrire maintenant l’arbre de la foi chrétienne, nous dirons que sa racine pousse dans le mystère de l’espérance, que sa croissance s’opère dans l’amour et que son corps est ce que la foi saisit ; c’est-à-dire que l’image, pénétrant par son sérieux désir dans l’amour divin, saisit la substantialité divine ou le corps de Christ. Cela est maintenant le corps dans lequel l’arbre pousse, croit, verdit et porte des fruits dans la patience : ces fruits appartiennent tous au monde angélique et sont la nourriture de l’âme, dont elle mange et rafraîchit sa vie de feu qui, par là, est convertie en lumière de la douceur.

7. Ainsi croît dans le paradis de Dieu cet arbre que l’homme extérieur ne connaît pas, qu’aucune raison ne saisit, mais qui est très bien connu de la noble image ; arbre qui apparaît lors du brisement de la vie extérieure, et avec lui toutes les œuvres semées dans le mystère de l’espérance. C’est pourquoi nul homme qui veut marcher dans la voie du pèlerinage divin ne doit prétendre à des jours heureux, à des honneurs dans ce monde, car l’affliction, le mépris et la persécution l’attendent à toute heure ; c’est pour lui une vallée de misères dans laquelle il est toujours en combat, vu que Satan rôde autour de lui comme un lion rugissant, et excite contre lui sa perverse lignée ; il est tenu pour un fou, son propre frère le méconnaît, sa famille le raille et le méprise. Il va son chemin, sème dans l’affliction et s’angoisse, mais nul ne le comprend, ni ne le plaint ; chacun pense que c’est sa folie qui le tourmente de la sorte. Ainsi, il demeure inconnu sur cette terre, car sa noble image n’est pas de ce monde, mais elle est née de Dieu ; il sème dans l’affliction et récolte dans la joie ; qui dépeindra la gloire qui l’attend comme récompense, ou la couronne de chevalier qu’il obtient ? qui peut décrire la couronne virginale dont le revêt la vierge de la sagesse divine ? où trouver une pareille beauté qui surpasse celle des cieux ? Ô noble image ! n’es-tu pas celle de la Sainte-Trinité dans laquelle Dieu lui-même réside ? Il te revêt de son plus bel ornement afin que tu te réjouisses éternellement en lui.

8. Qu’est-ce que ce monde qui périt, qui n’engendre à l’homme que peines, angoisses et misères, l’entraîne en outre dans la colère de Dieu, lui détruit sa belle image et le revêt d’une larve ? Quelle honte n’aura pas, au jugement dernier, l’homme qui apparaîtra sous une image bestiale, sans compter ce qui s’ensuivra, attendu qu’il demeurera tel à jamais ! C’est là que commenceront le repentir, les gémissements et les lamentations au sujet du gage perdu, perdu à jamais ! car l’image devra rester éternellement en présence de l’affreux démon et faire la volonté du prince des abominations, Lucifer.

 

 

 

 

CHAPITRE VIII.

 

De quelle manière Dieu pardonne les péchés,

et comment on devient son enfant.

 

 

1. Chère âme en quête et désireuse, qui as faim et soif du royaume de Dieu, observe bien la base qui t’est montrée : ce n’est pas une chose si aisée de devenir un enfant de Dieu que Babel l’enseigne : là on repaît la conscience d’histoires, on la berce au moyen des souffrances et de la mort de Christ ; on enseigne historiquement le pardon des péchés, le comparant à un jugement mondain qui gracie quelqu’un de ses fautes, bien qu’il demeure de cœur un fourbe. – Ici, il en est tout autrement : Dieu n’admet aucun hypocrite ; il ne nous ôte pas ainsi nos péchés, pendant que nous nous contentons de la science et nous consolons au moyen de la satisfaction par les souffrances de Christ, tout en conservant les abominations dans la conscience. – Il est écrit que nous devons naître de nouveau, sous peine de ne pas voir le royaume de Dieu. Celui qui s’adjuge les souffrances et la mort de Christ, qui veut se les approprier, tout en demeurant de volonté irrégénéré quant à l’homme adamique, fait justement comme celui qui s’imaginerait que son maître va lui faire cadeau de sa propriété, bien qu’il ne soit pas son fils et qu’il l’ait promise à celui-ci seulement. Ici, de même, si tu veux posséder le domaine de ton Seigneur et l’avoir en propriété, il te faut devenir son vrai fils : car le fils de la servante n’héritera pas avec celui de la libre. Le fils historique est un étranger ; tu dois naître de Dieu en Christ, pour devenir le propre fils ; alors tu seras l’enfant de Dieu et un héritier des souffrances et de la mort de Christ : la mort de Christ est ta mort, sa résurrection du tombeau ta résurrection, son ascension la tienne, et son royaume éternel ton royaume ; en naissant de sa chair et de son sang son vrai fils, tu hérites de tous ses biens : autrement tu ne peux être ni l’enfant ni l’héritier de Christ.

2. Aussi longtemps que le règne terrestre occupe ton image, tu es le fils terrestre de l’Adam corrompu ; toute hypocrisie est inutile ; quelques belles paroles que tu débites devant Dieu, tu n’en es pas moins un enfant étranger, et les biens du Seigneur ne t’appartiennent point, aussi longtemps qu’avec le fils perdu tu ne reviens pas au père, avec un vrai témoignage de regret et de douleur d’avoir perdu ton patrimoine. Là, il te faut sortir en esprit de volonté de la vie terrestre et rompre la volonté terrestre ; or il est douloureux d’abandonner d’âme et de volonté le trésor qu’on possède, où est né l’esprit de volonté, pour passer dans l’esprit de la volonté de Dieu, ce que tu dois faire. Là, tu déposes ta semence dans le royaume divin et tu renais en Dieu, comme un fruit qui croît dans son champ ; car ta volonté reçoit la puissance de Dieu, le corps de Christ, et le nouveau corps te croît en Dieu ; alors tu es l’enfant de Dieu et les biens de Christ t’appartiennent ; son mérite est le tien, ses souffrances, sa mort et sa résurrection sont aussi à toi ; tu es un membre de son corps et son esprit est ton esprit ; il te conduit dans la droite voie et tout ce que tu fais tu le fais à Dieu ; tu sèmes dans ce monde et récoltes dans le ciel ; tu es la merveille de Dieu et tu manifestes dans ta vie terrestre ses merveilles que tu transportes, en même temps, par ton esprit de volonté, dans le mystère divin.

3. Considérez donc ceci, vous avares, orgueilleux, envieux, vous juges à double face, vous pervers qui recherchez les biens de ce monde, l’argent et les délices de cette vie, qui tenez l’argent et la fortune pour votre trésor, les désirez et voudriez néanmoins être enfants de Dieu, que vous suppliez avec hypocrisie de vous pardonner vos péchés, bien que vous demeuriez, quant à votre image, dans la peau d’Adam, dans sa chair, vous reposant sur les souffrances de Christ, quoique vous ne soyez que des hypocrites : vous n’êtes point les enfants de Dieu, car pour cela il faut naître en lui, autrement vous vous abusez, de même que vos flatteurs avec leurs belles paroles. Ils enseignent, bien que non reconnus de Dieu, ni envoyés pour cela ; ils le font pour le ventre et les honneurs temporels ; ils sont la grande prostituée en Babel, adorant Dieu des lèvres et servant de cœur et d’âme le dragon en Babel.

4. Chère âme, si tu veux devenir l’enfant de Dieu, prépare-toi à l’épreuve et à l’affliction : la vie enfantine n’est ni aisée ni douce jusqu’à ce que la raison ait été rendue captive dans le règne extérieur ; elle doit être brisée, et la volonté, en l’abandonnant, doit, humblement obéissante, se déposer dans le royaume de Dieu, comme le grain est semé dans un champ ; elle doit être comme morte à la raison et se livrer à Dieu ; alors croît le nouveau fruit dans le royaume des cieux.

5. C’est pourquoi l’homme réside dans une triple vie, et tout appartient à Dieu. Les essences de feu intérieures du premier principe passent dans le nouveau corps en Christ, en sorte qu’elles bouillonnent, par la volonté de Dieu, dans la chair et le sang de Christ ; leur feu est le feu divin dont brûlent l’amour, la douceur, l’humilité, et dont émane le Saint-Esprit, qui leur aide à soutenir le combat contre la raison terrestre, la chair corrompue et la volonté de Satan : le joug de la volonté terrestre devient plus léger, mais l’homme doit demeurer en combat dans ce monde. Il faut à la vie terrestre la nourriture, et l’homme doit la chercher, sans néanmoins s’en laisser captiver, attendu qu’il doit se confier en Dieu. Sa raison terrestre est toujours en crainte du besoin, elle veut toujours voir Dieu et ne le peut cependant, car Dieu n’habite point dans le règne terrestre, mais en lui-même.

6. La raison, ne pouvant donc voir Dieu, doit être contrainte d’espérer ; alors le doute combat la foi et veut détruire l’espérance. – C’est ici que la sérieuse volonté et la vraie image doivent combattre la raison terrestre, combat douloureux et souvent plein d’affliction, surtout quand la raison, observant le cours de ce monde, reconnaît son esprit de volonté comme fou en regard de ce train de vie. Il nous est dit là-dessus : soyez sobres, veillez, jeûnez et priez, afin de pouvoir étourdir la raison terrestre et la rendre comme morte, pour que l’esprit de Dieu trouve place en vous. Quand il apparaît, il soumet bientôt la raison et jette un regard d’amour et de douceur à la volonté angoissée, d’où naît, chaque fois, un beau rameau à l’arbre de la foi, en sorte que toute épreuve et toute affliction est pour le plus grand bien des enfants de Dieu ; car aussi souvent que Dieu permet que ses enfants tombent dans l’angoisse et l’affliction, ils sont en travail pour donner naissance à un nouveau rameau de l’arbre de la foi. Quand l’esprit de Dieu apparaît de nouveau, il produit chaque fois une nouvelle végétation dont la noble image se réjouit grandement, en sorte qu’il ne s’agit que d’un premier et vigoureux choc pour renverser l’arbre terrestre, afin que le noble grain soit semé dans le champ divin et que l’homme apprenne à connaître l’Adam terrestre ; car quand la volonté reçoit la lumière divine, le miroir se voit en soi-même, une essence dans la lumière voit l’autre ; par conséquent l’homme entier se trouve en soi-même et reconnaît ce qu’il est, ce qu’il ne peut dans la raison terrestre.

7. Ainsi nul ne doit penser que l’arbre de la foi chrétienne soit vu ou connu dans le règne de ce monde ; la raison externe ne le connaît point, et bien que le bel arbre se trouve dans l’homme intérieur, encore doute-t-elle, cette raison extérieure et terrestre, car l’esprit de Dieu lui est une folie, elle ne peut le saisir. Lors même qu’il arrive que le Saint-Esprit se manifeste dans le miroir externe, ce dont la vie extérieure se réjouit hautement, jusqu’à trembler dans sa grande joie, car elle pense : « Maintenant j’ai obtenu le noble hôte, donc croirai » ; – il n’y a pourtant là aucune parfaite stabilité, car l’esprit de Dieu ne reste pas à demeure dans la source terrestre, il veut un vase pur. Or, quand il se retire dans son principe ou dans la vraie image, la vie extérieure s’abat et devient timide ; c’est pourquoi la noble image doit toujours combattre la vie extérieure de raison, et plus elle combat, plus le bel arbre croît, car elle opère avec Dieu. De même qu’un arbre terrestre croît exposé au vent, à la pluie, au froid et à la chaleur, ainsi fait l’arbre de l’image divine sous la croix et l’affliction, dans l’angoisse, le tourment, la raillerie et le mépris ; il verdit dans le royaume de Dieu et porte du fruit en patience.

8. Sachant cela, nous devons travailler à y atteindre et ne nous laisser arrêter par aucune crainte ni frayeur, car nous jouirons éternellement de ce que nous aurons semé ici-bas dans l’angoisse et les peines, et le récolterons à notre éternelle consolation. Amen, Alléluia !

 

 

 

 

 

 

 

TABLE DES MATIÈRES.

 

INTRODUCTION

 

PREMIÈRE PARTIE.

 

Comment le Verbe éternel est devenu homme, et de la Vierge Marie.

 

CHAPITRE I. Que la personne de Christ, ainsi que son incarnation, ne peuvent être reconnues par la sagacité naturelle ou par la lettre du l’Écriture Sainte, sans illumination divine. Item, de l’origine de l’éternel Être divin

CHAPITRE II. Manifestation de la divinité par la création, d’essence divine, des anges et des hommes

CHAPITRE III. Porte de la création de l’homme

CHAPITRE IV. Du monde et régime paradisiaque ; ce qu’il aurait pu être si l’homme fût demeuré dans l’innocence

CHAPITRE V. De la misérable, lamentable chute de l’homme

CHAPITRE VI. Du sommeil d’Adam, comment Dieu a tiré de lui une femme, comment il est devenu entièrement terrestre, et comment Dieu lui a retiré le paradis par la malédiction

CHAPITRE VII. De la semence promise de la femme, qui écraserait la tête du serpent

CHAPITRE VIII. De la vierge Marie, et de l’incarnation de Jésus-Christ fils de Dieu

CHAPITRE IX. De la virginité de Marie ; ce qu’elle fut avant la bénédiction, et ce qu’elle devint par la bénédiction

CHAPITRE X. De la naissance de Jésus-Christ, le fils de Dieu ; comme à l’égal de tous les enfants des hommes, il demeura neuf mois dans le corps de sa mère, et ce qu’est proprement son homification

CHAPITRE XI. De l’utilité. À quoi sert, à nous autres, pauvres enfants d’Ève, l’incarnation et la naissance de Jésus-Christ, le fils de Dieu

CHAPITRE XII. De la pure virginité ; comment nous, pauvres enfants d’Ève, nous devons, de la pure et virginale chasteté, être conçus dans l’incarnation de Christ et naître de nouveau en Dieu, autrement nous ne verrons pas Dieu

CHAPITRE XIII. De l’homme double, soit de l’ancien et du nouvel Adam ; comment le vieil et mauvais se comporte envers le nouveau ; la religion, la vie et la foi de chacun d’eux ; en outre, ce que chacun d’eux comprend

CHAPITRE XIV. De la nouvelle naissance ; en quelle substance, essence, être ou propriété, la nouvelle naissance ou l’enfant de la vierge se trouve pendant qu’il gît encore dans le vieil Adam

 

 

DEUXIÈME PARTIE.

 

Des souffrances, de l’agonie, de la mort et de la résurrection de Jésus-Christ.

 

CHAPITRE I. De l’origine de la vie dans le feu. – De l’éternel esprit dans l’éternelle vierge de la sagesse divine, et ce qu’est l’éternel commencement et l’éternelle fin

CHAPITRE II. La vraie et très chère porte de la Sainte-Trinité, l’œil de l’éternelle manifestation de vie. De la divinité hors de la nature

CHAPITRE III. Comment, hors du principe du feu, Dieu n’est pas manifeste. Plus, de l’être éternel et de la volonté insondable

CHAPITRE IV. Du principe et de l’origine du monde de feu. Plus, du centre de la nature et comment la lumière se sépare du feu, en sorte que deux mondes sont l’un dans l’autre, d’éternité en éternité

CHAPITRE V. Du principe en soi-même, ce qu’il est

CHAPITRE VI. De notre mort. Pourquoi nous devons mourir, bien que Christ soit mort pour nous

CHAPITRE VII. Du soir spirituel : comment un homme peut posséder, dans ce monde, la science divine et céleste, à pouvoir parler de Dieu avec connaissance, et comment son voir est constitué

CHAPITRE VIII. La voie du pèlerinage de la mort à la vie

CHAPITRE IX. Plusieurs autres particularités de la troisième citation, hautement à considérer

CHAPITRE X. De l’image de Dieu dans l’homme, ou de la ressemblance entre Dieu et l’homme

 

 

TROISIÈME PARTIE.

 

L’arbre de la foi chrétienne.

 

CHAPITRE I. Ce qu’est la Foi, et comment elle est un esprit avec Dieu

CHAPITRE II. De l’origine de la foi, et pourquoi la foi et le doute habitent ensemble

CHAPITRE III. De la propriété de la foi, comment elle passe de la volonté de l’attrait naturel dans la libre volonté de Dieu

CHAPITRE IV. Ce qu’est l’œuvre de la foi, comment la volonté s’y comporte, et de son conducteur

CHAPITRE V. Pourquoi les pervers ne se convertissent pas ; ce qu’il y a de plus douloureux dans la conversion. – Des faux pasteurs. – Comment on doit entrer dans le royaume de Dieu. – De la destruction du règne de Satan. – Des trois formes de la vie, et ce que nous avons hérité d’Adam et de Christ

CHAPITRE VI. Ce que peut la convoitise : comment nous sommes tombés en Adam et nés de nouveau en Christ. – Pourquoi il n’est pas si aisé de devenir un vrai chrétien

CHAPITRE VII. À quelle fin ce monde et tout ce qu’il renferme fut créé ; item, de deux mystères éternels. – Du puissant combat dans l’homme pour l’image. – Dans quoi l’arbre de la foi chrétienne s’enracine, croît et porte du fruit

CHAPITRE VIII. De quelle manière Dieu pardonne les péchés, et comment on devient son enfant

 

 

 

 



1  Le mot allemand Gemüth est rendu dans les meilleurs dictionnaires par les mots âme, esprit, cœur, caractère, sentiment, tempérament, humeur ; – son dérivé Gemüthlichkeit, par disposition des sentiments, du caractère, etc., sentimentalité, désirs, sentiments vaques de l’âme. – Böhm a mis fin à ce vague dans sa propre langue, quant à la définition de la chose ; mais Saint-Martin, traducteur de la plupart de ses ouvrages, n’a rien trouvé de mieux pour la rendre en français que l’expression base affective. C’est en effet la base, le centre d’où émanent nos pensées, et, dans l’ordre inférieur de notre être, la base de nos inclinations ; en elle aussi se produisent les sensations morales et s’opère la régénération.

 

 

 

 

 

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