La politique dans Corneille

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Henri de BORNIER

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

I

 

Napoléon Ier disait : « Il y a un grand vide dans la tragédie française ; aussi, jusqu’à présent la tragédie sur notre théâtre, sauf quelques rares essais, est demeurée grecque ou romaine. Ce vide, d’ou vient-il ? De l’absence complète d’une pensée supérieure à l’action dramatique, ou, si vous aimez mieux, d’un ressort caché qui fasse tout mouvoir. Les anciens avaient la fatalité à laquelle leurs dieux mêmes étaient soumis ; et cette intervention était toute naturelle, puisque les évènements de leurs drames se mêlaient à leur religion. Chez nous, il n’en est pas de même : il existe une séparation complète entre le théâtre et l’Église ; celle-ci même frappe l’autre d’anathème ; il faut donc chercher ailleurs : à défaut de la religion, qu’on ait recours à la politique. Oui, dans le drame moderne, la politique doit remplacer la fatalité. »

Le mot est juste. Le drame moderne, ce sera la politique, comme la tragédie antique fut la fatalité. Mais Napoléon, en donnant ce conseil et en exprimant ce désir, oubliait que le conseil avait été suivi d’avance et le désir accompli ; il oubliait que le théâtre de Corneille était fondé tout entier sur cette base simple et forte : la politique. Ajoutons que Napoléon ne l’oubliait pas toujours, et qu’il a dit, dans une de ses bonnes heures : « Si Corneille vivait, je le ferais prince ! » Il n’a pas dit, comme on le croit vulgairement : Je le ferais ministre ! Celui qui a changé le mot pensait, sans doute, qu’il y a plus de gloire ou d’avantages à être ministre qu’à être prince.

Que la tragédie de Corneille soit avant tout politique, cela n’est plus à démontrer. Mais comment Corneille entendait-il la politique ? Quelle était sa doctrine sur les grandes questions qui divisent les hommes, sur la raison d’État, sur la gloire, sur la haine de peuple à peuple, de prince à prince, de citoyen à citoyen, sur le despotisme, sur l’anarchie ? C’est ce que je me propose de rechercher. Gardons-nous cependant de croire que le poète du Cid et de Cinna ait eu l’ambition d’écrire une sorte de code politique, de faire du théâtre une cour de cassation qui prononcerait le jugement définitif sur toutes les causes célèbres que l’histoire nous a léguées. Non ; il savait que, si l’embarras est grand pour l’homme de juger les hommes de son temps, plus grand encore est l’embarras de juger les hommes du passé ; il savait que les actions humaines ont des motifs innombrables et aussi divers que nos cœurs. C’est pour cela que, dans toutes ses tragédies, chaque face de la question à résoudre est présentée tour à tour avec la même force et la même impartialité ; c’est pour cela que beaucoup des scènes les plus célèbres de son théâtre sont de véritables plaidoyers, par exemple le cinquième acte d’Horace, tout entier. Il est à remarquer, en effet, que si l’on trouve dans Corneille la passion de la justice, cette justice prend rarement l’accent de la colère : vous n’y trouverez ni Phèdre écrasant Œnone de ses imprécations contre les flatteurs, ni la haine farouche de Joad contre Athalie. En présence même d’Attila, le poète n’éclate pas en longs coups de foudre, et les victimes du Fléau de Dieu résument leurs anciennes douleurs et leur joie présente par ce simple mot : Notre tyran n’est plus !

Mais cette impartialité philosophique et religieuse n’empêche pas Corneille de ramener la politique à une idée supérieure qui dominera toute son œuvre. Cette idée, c’est que le bien de l’État doit être la règle de tout homme, qu’à l’intérêt public tous les intérêts particuliers doivent céder, et que tout prince, tout citoyen qui viole cette loi supérieure est coupable et sera fatalement puni. Tout homme, au contraire, qui observe cette loi, même quand il en doit souffrir, sera récompensé par l’admiration reconnaissante de l’humanité !

La raison d’État, voilà donc toute la politique de Corneille.

Seulement, c’est là un mot à la fois vague et terrible. Poison ou remède, selon la main qui l’emploie. Néron s’en servait comme Marc-Aurèle. À quel signe pourra-t-on reconnaître le poison et le remède, la bonne raison d’État et la mauvaise ? Corneille répond : La bonne raison d’État est celle qui a pour but l’amélioration du sort des hommes. Plaindre et aimer l’homme, c’est le rôle du drame.

Hélas ! le rôle est difficile. Il y avait, au moyen âge, un adage latin que Bacon, je crois, nous a transmis : Homo homini lupus, mulier mulieri LUPIOR, sacerdos sacerdoti LUPISSIMUS. Cet adage contient deux barbarismes dont il est impossible de rendre l’énergie : L’homme est un loup pour l’homme ; la femme est encore plus loup pour la femme ; ce qu’il y a de plus loup, c’est le prêtre pour le prêtre. Au lieu de prêtre, lisez gouverneur d’hommes, et vous aurez l’histoire du monde. Toutes les douleurs que l’humanité enfante ou supporte viennent de cette haine éternelle entre ceux qui la gouvernent. Étéocle et Polynice, placés au seuil du drame comme au seuil de l’histoire, ont donné la note horrible qui retentit à travers l’histoire. Frères, haïssez-vous ! crient ces deux rois monstrueux à tous les bourreaux de l’humanité future.

Corneille leur dit : Aimez-vous ! Il dit cela aux rois, aux princes, aux ministres, aux hommes d’État, afin qu’en s’aimant eux-mêmes, en s’épargnant les uns les autres, ils épargnent le monde, afin que la clémence descende des grands aux petits, afin que le pâtre obscur profite d’une trêve entre les Césars et les Pompées qui le traîneraient de tous les Rubiconds a toutes les Pharsales.

Ainsi comprise, la raison d’État, la politique de Corneille, est la plus haute leçon de patriotisme, de vertu, d’honneur, de justice, d’humanité, qu’un poète ait jamais donnée ; j’ajoute qu’elle contient pour l’action dramatique les éléments les plus nombreux, les plus intéressants et les plus variés. Un rapide coup d’œil va vous en convaincre.

 

 

II

 

Les deux premières tragédies de Corneille ne se rattachent nullement, j’en conviens, à la doctrine que le poète devait embrasser bientôt ; Clitandre est moins une tragédie qu’une comédie de cape et d’épée ; quant à Médée, œuvre déjà et incomparablement supérieure à Clitandre, il est difficile d’y voir une pensée générale, encore moins un système, une théorie dramatique. Médée, personnage intermédiaire entre le ciel et la terre, Médée, l’incantatrice, la grande déesse des Colques, la sorcière qui disputait à Thétis le prix de la beauté, qui guérit la démence d’Hercule et voulut empoisonner Thésée, cette Médée n’a rien de politique, et Corneille, pas plus que Sénèque son devancier, n’a eu le dessein de chercher quelque chose d’humain dans cette Locuste des dieux.

C’est avec le Cid que Corneille entre dans la tragédie politique.

Quel est le vrai sujet, je ne dis pas le roman, du Cid ? Tout le monde le sait : un jeune homme a tué en duel le père de sa fiancée. La fiancée poursuit celui qu’elle aime, et c’est le roi qui est le juge. L’intérêt politique de la pièce est dans l’arrêt que le prince doit rendre ; cet arrêt est tout entier contenu dans ce vers :

 

          Les Maures en fuyant ont emporté son crime.

 

Déjà, vous le voyez, Corneille affirme cet intérêt supérieur de l’État qui sera la règle de sa politique ; mais dans le Cid la question n’est pas douteuse ; il est certain que le crime de Rodrigue n’en est pas un, et qu’il y a quelque chose de factice ou plutôt que tout est factice dans la colère de Chimène. Un duel n’est pas un crime, et l’intérêt de l’État n’a aucune peine à l’emporter contre les réclamations de Chimène, complice elle-même de l’arrêt qui doit la donner au vainqueur de son père.

Corneille l’a bien senti ; c’est, pourquoi, immédiatement après le Cid, il donne Horace. Ici la doctrine cornélienne s’affirme avec une netteté, une force bien plus grande que dans le Cid. Horace, en tuant sa sœur Camille, après les fameuses imprécations, est coupable doublement : il frappe sa sœur, au lieu de la plaindre et de l’excuser d’une fureur où elle a pour excuse la mort de son amant, et il cède à une sorte de dépit barbare en voyant que Camille est insensible au triomphe de son frère. Cependant le roi, c’est-à-dire le poète, lui pardonne, l’intérêt public couvre la faute personnelle, et le roi ne farde pas sa pensée !

 

          Cette énorme action faite presque à nos yeux

          Outrage la nature et blesse jusqu’aux dieux ;

          Un premier mouvement qui produit un tel crime

          Ne saurait lui servir d’excuse légitime ;

          Les moins sévères lois en ce point sont d’accord,

          Et, si nous les suivons, il est digne de mort.

 

Oui, mais Horace a sauvé Rome, et cela suffit pour que le roi Tullius oublie ou plutôt excuse complètement le crime :

 

          Assez d’autres sujets dans toutes les provinces

          Par des vœux impuissants s’acquittent vers leurs princes ;

          Tous les peuvent aimer ; mais tous ne peuvent pas

          Par d’illustres effets assurer leurs États,

          Et l’art et le pouvoir d’affermir des couronnes

          Sont des dons que le ciel fait à peu de personnes ;

          De pareils serviteurs sont les forces des rois,

          Et de pareils aussi sont au-dessus des lois ;

          Qu’elles se taisent donc.....

 

Non-seulement Tullius excuse le crime, mais il finit par glorifier le criminel :

 

          Vis donc, Horace ; vis, guerrier trop magnanime ;

          Ta vertu met ta gloire au-dessus de ton crime ;

          Sa chaleur généreuse a produit ton forfait ;

          D’une cause si belle il faut souffrir l’effet.

          Vis pour servir l’État.....

 

Servir l’État ! C’est en cela que se résume la politique cornélienne ; mais l’œuvre où cette politique est expliquée avec le plus de force et de grandeur, c’est certainement Cinna. Le poète justicier, placé en face de la tyrannie, n’a que deux partis à prendre : la punir ou la convertir. Dans Héraclius, Corneille la punira ; en attendant, il la convertit : c’est le sujet de Cinna. Auguste est frappé du coup le plus rude qui puisse atteindre un bon roi : les êtres qui lui sont le plus chers conspirent sa mort, et le poète blâme.... qui ? les conspirateurs ? Non ! Il condamne celui qu’on attaque. Pourquoi ? Parce que dans Auguste il y a Octave, parce que l’empereur doux et bon a été le proscripteur impitoyable que l’histoire ne peut oublier. Le crime d’Émilie et de Cinna a pour excuse les crimes d’Octave, et Auguste est bien forcé de se l’avouer à lui-même

 

          Quoi ! tu veux qu’on t’épargne et n’as rien épargné !

          .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   

          Remets dans ton esprit, après tant de carnages,

          De tes proscriptions les sanglantes images,

          Où toi-même, des tiens devenu le bourreau,

          Au sein de ton tuteur enfonças le couteau ;

          Et puis, ose accuser le destin d’injustice

          Quand tu vois que les tiens s’arment pour ton supplice,

          Et que, par ton exemple à ta perte guidés,

          Ils violent des droits que tu n’as pas gardés !

 

Ainsi le passé se dresse devant l’ancien proscripteur, nul moyen d’échapper au fantôme implacable, et c’est le châtiment d’Auguste d’être forcé de reconnaître que ses assassins d’aujourd’hui sont les vengeurs légitimes de ses assassinats d’autrefois. Pour échapper à ce spectre, il n’est qu’un seul refuge : la clémence. La clémence d’Auguste, c’est le pardon pour Octave. Aussi bien, la récompense d’Auguste ne se fait pas attendre ; Émilie, avec une rapidité d’impressions où l’élan de la femme se joint à la grandeur de l’héroïne, s’honore de se sentir vaincue :

 

          Ma haine va mourir, que j’ai crue immortelle ;

          Elle est morte.

 

Le Corneille de notre temps, dans le quatrième acte de Hernani, a trouvé des accents également sublimes pour conseiller la clémence aux puissants de la terre : Charles-Quint, quoiqu’il n’ait pas le sanglant passé d’Octave, dira le mot qui vaut le Soyons amis, Cinna ; il dira aux assassins qu’il peut châtier : Je ne sais plus vos noms ! il pourra se retourner vers la tombe de Charlemagne, bonne conseillère de son nouvel empire :

 

                                    Es-tu content de moi ?

          Ai-je bien dépouillé les misères du roi,

          Charlemagne !    .    .    .    .    .    .    .    .

          .    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .

          Je t’ai crié : Par où faut-il que je commence ?

          Et tu m’as répondu : Mon fils, par la clémence !

 

C’est que, avec la différence des époques, la même lumière éclaire les poètes de grande race ; le code des génies est le même dans tous les pays et dans tous les temps.

Cette admirable pensée qui fait de Cinna une des œuvres les plus illustres de l’esprit humain, quelqu’un l’a cependant méconnue. C’est Napoléon. Je disais au commencement qu’il avait compris le caractère nécessairement politique de la tragédie moderne ; on sera donc vraiment confondu en lisant les lignes suivantes empruntées aux mémoires si curieux de Mme de Rémusat. Il n’y a pas à s’y tromper, d’ailleurs ; la véracité de Mme de Rémusat est hors de doute ; on n’invente pas de telles choses, on n’imite pas un tel langage. C’est bien Napoléon qui parle : « Quant aux poètes français, je ne comprends bien que votre Corneille. Celui-là avait deviné la politique, et, formé aux affaires, eût été un homme d’État. Je crois l’apprécier mieux que qui que ce soit, parce qu’en le jugeant j’exclus tous les sentiments dramatiques. Par exemple, il n’y a pas bien longtemps que je me suis expliqué le dénouement de Cinna. Je n’y voyais d’abord que le moyen de faire un cinquième acte pathétique, et encore la clémence proprement dite est une si pauvre petite vertu, quand elle n’est point appuyée sur la politique, que celle d’Auguste, devenu tout à coup un prince débonnaire, ne me paraissait pas digne de terminer cette belle tragédie. Mais une fois Monvel, en jouant devant moi, m’a dévoilé tout le mystère de cette grande conception. Il prononça le Soyons amis, Cinna, d’un ton si habile et si rusé, que je compris que cette action n’était que la feinte d’un tyran, et j’ai approuvé comme calcul ce qui me semblait puéril comme sentiment. Il faut toujours dire ce vers de manière que, de tous ceux qui l’écoutent, il n’y ait que Cinna de trompé. »

Ainsi, d’après Napoléon, l’Auguste de Corneille ne serait que le Tartufe de la clémence ! Ce drame sévère et touchant finirait par une pasquinade ! Le grand Condé avait tort quand il pleurait en écoutant le Soyons amis, Cinna !

Non, Condé n’avait point tort. Avant tout, on pourrait défier un acteur de rendre le sentiment que Napoléon prête à Monvel ; le jeu de scène serait impossible, et si un tragédien malavisé l’essayait, le public ne le tolérerait pas ; mais je suis bien sûr que Monvel n’y a pas songé ; c’est Napoléon qui seul a eu et seul pouvait avoir une idée pareille.

Remarquez d’abord cette phrase qui montre quelle obsession pesait sur l’esprit de Napoléon : La clémence, qui est une si pauvre petite vertu quand elle n’est pas appuyée sur la politique.... Cela veut dire au fond que la clémence sans profit est une niaiserie. Napoléon le pensait du moins, et il voulait que Corneille le pensât comme lui ; la magnanimité d’Auguste le gênait, et il a voulu l’abaisser au sentiment le plus ridicule et le plus bas. La tentative de Napoléon s’explique facilement, du reste. Les Corneilles, les hommes de la pensée franche et libre, sont gênants, en effet, pour les hommes de la force, et il serait commode de chasser les poètes de leurs œuvres comme des législateurs de leurs bancs ; voilà pourquoi Napoléon a essayé contre Corneille ce petit dix-huit brumaire. Mais on ne réussit pas toujours.

Revenons au théâtre de Corneille, sans les commentaires de Napoléon.

La Mort de Pompée contient une leçon d’un genre différent, mais non moins noble que Cinna : le respect que le vainqueur doit au vaincu. Pompée vient de mourir assassiné, grâce aux lâches calculs de Ptolémée. César, avec une magnanimité superbe (Corneille y a mis du sien !), César ne témoigne que mépris et indignation aux meurtriers de son rival ; il respecte et admire la colère et la douleur de Cornélie qui ne cache point ses projets de vengeance, et il ne quittera la terre où son ennemi est tombé qu’après lui avoir élevé un monument digne de lui :

 

          De cette même main dont il fut combattu,

          Il verra des autels dressés à sa vertu.

 

Le respect de la défaite, le vainqueur portant le deuil du vaincu, cette terreur mystérieuse qui saisit l’homme dans son triomphe, le dévouement pour les grandeurs tombées, le mépris pour les lâchetés des politiques à cœur bas et à vue plus basse encore, c’est le sublime enseignement que nous donne cette tragédie, la Mort de Pompée. Il y a, je crois, quinze ans qu’elle reparut un jour sur l’affiche du Théâtre-Français on ne l’y a plus revue.

Dans ces premières tragédies. Corneille avait peint les nobles sentiments que la politique peut inspirer, le patriotisme du vieil Horace, la clémence d’Auguste, la magnanimité de César. Maintenant, il mettra sous nos yeux ce que la politique peut jeter dans les âmes de honteuses faiblesses ou de criminelles pensées la raison d’État, détournée de son sens, deviendra la source de tous les forfaits pour les rois et de toutes les douleurs pour les peuples.

Rodogune est à coup sur la plus effrayante peinture qui ait été faite de l’ambition mauvaise, de la politique coupable ; et, pour lui donner plus de relief, Corneille a mis ce qu’il y a de plus horrible dans ce qu’il y a de plus grand et de plus doux, dans le cœur d’une mère.

La reine Cléopâtre veut régner sous son nom ou sous le nom de ses fils, mais elle ne trouve point en eux de dociles instruments, et ce ne sont plus à ses yeux que des ennemis ; elle fera tuer l’un, elle tentera d’empoisonner l’autre ; la soif de régner s’est tournée en rage dans cette âme de louve ; elle court à la vengeance comme Messaline a la débauche, elle a l’hystérie de l’ambition et de la haine. Quand elle a bu le poison préparé pour son dernier fils, l’approche de la mort ne fait qu’exalter sa passion de bête fauve ; on dirait le dernier râle d’une tigresse :

 

          Règne ; de crime en crime enfin te voilà roi :

          Je t’ai défait d’un père et d’un frère et de moi.

          Puisse le ciel tous deux vous prendre pour victimes

          Et laisser choir sur vous les peines de mes crimes !

          Puissiez-vous ne trouver dedans votre union

          Qu’horreur, que jalousie et que confusion,

          Et, pour vous souhaiter tous les malheurs ensemble,

          Puisse naître de vous un fils qui me ressemble !

 

Le génie de Corneille a trouvé ce qui doit rendre éternellement exécrable la fureur politique : elle tue la maternité.

Dans Héraclius, Corneille ne s’est pas proposé de ramener au bien l’âme d’un tyran, comme dans Cinna ; cette fois, il s’agit de punir le despotisme et l’usurpation par un châtiment aussi grand que le crime. Phocas explique lui-même, dès la première scène, l’origine de son pouvoir :

 

          Mon trône n’est fondé que sur des morts illustres ;

          Et j’ai mis au tombeau, pour régner sans effroi,

          Tout ce que j’en ai vu de plus digne que moi.

 

Eh bien, c’est par cet effroi, qu’il redoute, que Phocas sera châtié ; il tient tout dans sa main, mais il a compté sans ce qu’il croit le plus faible au monde : la haine légitime d’une femme. Léontine a caché sous un faux nom le fils du tyran, pour l’armer un jour contre son père :

 

          Je ne l’ai conservé que pour le parricide ;

          C’est à de telles mains qu’il nous faut recourir,

          C’est par là qu’un tyran est digne de périr,

          Et le courroux du ciel, pour en purger la terre,

          Nous doit un parricide au refus du tonnerre.

 

Léontine pousse encore plus loin la vengeance ; elle veut que Phocas soit le confident du terrible dessein qu’elle a formé :

 

          Le secret n’en est su ni de toi, ni de lui ;

          Tu n’en sauras non plus les véritables causes ;

          Devine si tu peux, et choisis si tu l’oses !

          L’un des deux est ton fils, l’autre est ton empereur ;

          Tremble dans ton amour, tremble dans ta fureur ;

          Je te veux toujours voir, quoi que ta haine fasse,

          Craindre ton ennemi dedans ta propre race,

          Toujours aimer ton fils dedans ton ennemi,

          Sans être ni tyran ni père qu’à demi.

 

Le supplice est horrible et cruel, mais il faut que le despote ressente à son tour les transes affreuses ou il a plongé si souvent tant d’autres hommes. Phocas ne meurt pas de la main de son fils, mais le tyran a vécu quelques heures dans ce doute effroyable ; puis il meurt frappé par un des principaux instruments de son long despotisme,

 

          Et, de tant de soldats qui lui servaient d’appui,

          Phocas, après sa mort, n’en a pas un pour lui.

 

Attila (qui n’est certes point, malgré le badinage de Boileau et le dédain de Voltaire, indigne de Corneille) nous offre une leçon qui, pour être peu écoutée, n’en est pas moins utile. Il y a, pense Corneille, quelque chose de plus odieux que la force injuste et triomphante : c’est la force qui appelle la ruse à son aide. Attila n’a pas dompté les peuples seulement par le nombre de ses soldats, il a eu l’art de diviser d’abord ceux qu’il voulait vaincre ; le tigre a eu des habiletés de renard, et il a pris l’habitude de toujours mêler l’astuce à la fureur ; cette habitude est devenue pour lui une seconde nature, si bien qu’il se sert de la ruse, même quand elle n’est plus nécessaire et lorsque la violence suffirait. C’est par là qu’il périt. Son génie fatal s’épuise dans les mesquineries du despotisme ; il tend des pièges à deux princes qui dépendent de lui et à deux princesses qu’il pourrait jeter sur son lit de guerre ; il travaille à les diviser comme il travaillait à diviser les Romains et les Wisigoths ; il prépare le meurtre avec des subtilités de légiste byzantin et il combine son mariage, comme jadis il a tué son frère, au milieu de toutes sortes de trames obscures ; s’il avait le don de lire dans l’avenir et de choisir pour lui-même quelque métamorphose, il demanderait à Dieu de revivre dans Louis XI. C’est pourquoi le poète le punira en lui infligeant une mort indigne de ce formidable ravageur du monde ; l’histoire permettrait de le faire mourir assassiné ; Corneille choisit l’autre version : il le fait mourir dans l’ivresse de la rage, dans un hoquet de sang, comme un soldat pris de vin qui tombe en trébuchant,

 

          Et sa fureur dernière, épuisant tant d’horreurs,

          Venge enfin l’univers de toutes ses fureurs.

 

Ces trois drames, ces trois études de monstres, Rodogune, Héraclius, Attila, n’ont pas détourné Corneille de son dessein général qui est de représenter surtout les grandes choses et les grands hommes de la politique, de nous inciter à la vertu, à la noblesse, à la hauteur de l’âme, en mettant sous nos yeux les héros qui en ont donné l’exemple.

Le sujet de Sertorius est un des plus délicats que le poète puisse se proposer, qu’il écrive sous une monarchie ou sous une république. Quelle doit être l’attitude des chefs d’armée au milieu des divisions politiques de la patrie ? Toute la pensée de Corneille est dans la grande scène du troisième acte, dans l’entrevue de Sertorius et de Pompée. Sertorius est du parti de Marius, qui se soutient encore en Espagne ; Pompée est le général du parti de Sylla. Cependant, loin de se haïr, les deux chefs d’armée ont l’un pour l’autre une estime qui ressemble à de l’amitié.

 

          L’inimitié qui règne entre nos deux partis

          N’y rend pas de l’honneur tous les droits amortis :

          Comme le vrai mérite a ses prérogatives

          Qui prennent le dessus des haines les plus vives,

          L’estime et le respect sont de justes tributs

          Qu’aux plus fiers ennemis arrachent les vertus.

 

Il faudrait citer toute cette scène. L’idée du poète est d’ailleurs mise en pleine lumière, au dénouement, par la noble conduite de Pompée qui refuse de rallumer la guerre :

 

          Rome, en deux factions trop longtemps partagée,

          N’y sera point pour moi de nouveau replongée ;

          Et quand Sylla lui rend sa gloire et son bonheur,

          Je n’y remettrai point le carnage et l’horreur.

 

Tout le devoir des hommes de guerre pendant les troubles civils est dans ces quelques vers : le devoir, mais rien que le devoir aucune haine, aucun excès dans la répression ; une mâle tristesse quand il faut mettre la force au service du droit, et par-dessus tout la fidélité au drapeau, sans laquelle un général n’est plus qu’un mercenaire.

 

          Le plus juste parti, difficile à connaître,

          Nous laisse en liberté de nous choisir un maître ;

          Mais, quand ce choix est fait, on ne s’en dédit plus.

 

Sertorius fut représenté en 1662 ; Turenne et Coudé l’ont vu sans doute, et la scène entre Sertorius et Pompée a dû leur plaire ; puisse-t-elle plaire aux Turennes et aux Condés de tous les temps !

Ce ne sont pas seulement les généraux qui doivent sacrifier leur intérêt au bien de l’État, ce sont les rois eux-mêmes, les rois surtout, et Corneille le leur enseigne dans Pulchérie. L’impératrice Pulchérie aime Léon, mais l’intérêt public veut qu’elle épouse Martian : elle n’hésite pas, et, sacrifice plus difficile encore, elle marie Léon, qui résiste en vain, à la fille de Martian, afin que Léon, avant d’être empereur à son tour, reçoive les leçons et trouve l’appui de son beau-père :

 

          Étudiez sous lui ce grand art de régner,

          Que tout autre aurait peine à vous mieux enseigner.

          .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   

                                                Il faut être empereur,

          Et, le sceptre à la main, justifier mon cœur,

          Montrer à l’univers, dans le héros que j’aime,

          Tout ce qui rend un front digne du diadème,

          Vous mettre, à mon exemple, au-dessus de l’amour,

          Et, par mon ordre, enfin, régner à votre tour !

 

Cette idée de sacrifice, de dévouement imposé aux princes par le devoir, Corneille l’a reprise dans Othon ; et, pour rendre le sacrifice plus touchant, c’est encore une femme qui s’y résigne : Adieu, dit Plautine à Othon,

 

          Adieu, donnez la main, mais donnez-moi le cœur ;

          Ou, si c’est trop pour moi, donnez et l’un et l’autre ;

          Emportez mon amour et retirez le vôtre ;

          Mais dans ce triste état si je vous fais pitié,

          Conservez-moi toujours l’estime et l’amitié ;

          Et n’oubliez jamais, quand vous serez le maître,

          Que c’est moi qui vous force et qui vous aide à l’être.

 

Il est remarquable que les femmes, dans Corneille, maintiennent la politique à sa vraie hauteur, tandis que les hommes l’en font souvent descendre. Dans Sophonisbe, deux princes, Syphax et Massinisse, font céder la politique à l’amour, malgré Lélius qui proclame qu’un prince

 

          Doit repousser l’amour comme un lâche attentat

          Dès qu’il peut prévaloir sur la raison d’État.

 

Sophonisbe, au contraire, ne voit qu’une chose : la honte d’entrer à Rome, et d’y entrer attachée au char du vainqueur ; elle gardera pour mari celui qui la sauvera de cette honte, et, lorsque Massinisse lui envoie le poison, qui est pour elle le dernier moyen d’échapper à l’esclavage, elle répond, avec un fier dédain :

 

          Voilà de son amour une preuve assez ample ;

          Mais, s’il m’aimait encore, il me devait l’exemple.

 

Dans Pertharite, également, c’est la femme qui personnifie la noble politique. Rodelinde, femme de Pertharite, détrôné par le comte Grimoald, explique ainsi ses sentiments envers l’usurpateur :

 

          Il est vaillant, il règne, et comme il faut régner,

          Mais toutes ses vertus me le font dédaigner.

          Je hais dans sa valeur l’effort qui le couronne ;

          Je hais dans sa bonté les cœurs qu’elle lui donne.

          .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .

          Et le hais d’autant plus que je vois moins de jour

          À détruire un vainqueur qui règne avec amour.

 

Rodelinde le dit en face à Grimoald lui-même :

 

          Garde donc ta conquête et me laisse ma gloire ;

          Respecte d’un époux et l’ombre et la mémoire ;

          Tu l’as chassé du trône, et non pas de mon cœur.

 

Malheureusement, cette fois, Corneille a été trop loin : il a rendu trop odieux, et même ridicule, le rôle des hommes : Garibalde, duc de Turin, est le devancier de l’Oreste d’Andromaque ; mais il y a en lui quelque chose de vil et de froid dans la passion. Quant au rôle de Pertharite lui-même, Corneille, dans l’Examen, le condamne, quoiqu’il essaie de le défendre, avec cette bonhomie narquoise qui est un des côtés de sa nature : « On n’a pu supporter, dit-il, qu’un roi, dépouillé de son royaume, après avoir fait tout son possible pour y rentrer, se voyant sans forces et sans amis, en cède à son vainqueur les droits inutiles, afin de retirer sa femme prisonnière de ses mains tant les vertus d’un bon mari sont peu à la mode ! »

Corneille a beau sourire. Le public avait raison contre lui ; le parterre blâmait justement Pertharite cédant sa couronne pour reprendre sa femme, mais il n’avait pas blâmé Polyeucte remettant sa femme à Sévère par un effort d’héroïsme surhumain.

Corneille, après avoir montré la raison d’État sous ces aspects nobles ou terribles, a voulu nous la montrer sous des aspects touchants et même charmants. De là, Nicomède et Don Sanche d’Aragon.

Nicomède, c’est la rivalité de deux frères qu’un droit égal au trône pourrait rendre de cruels ennemis, et qu’une pareille grandeur d’âme réunit, malgré la politique de leur père et de leur mère. Rien n’est plus noble et plus touchant que le caractère de Nicomède et de son frère Attale, et la puissance en est telle que ce beau spectacle force l’admiration du roi et de la reine, qui renoncent à leurs funestes desseins. L’âme des pères, refaite par les enfants, le fleuve remontant à sa source pour la purifier, le bien enfanté par le mal et le bien transformant le mal, il n’est pas de philosophie plus haute, plus douce et, espérons-le, plus féconde.

Don Sanche d’Aragon, c’est le charme, c’est la grâce dans la politique. Carlos est un héros, mais il ne connaît pas ses parents. La reine Isabelle l’aime et elle lui donne rang dans le conseil, qui doit lui choisir un mari ; mais les rivaux de Carlos lui contestent le droit de s’asseoir à côté d’eux. Carlos leur répond par ces admirables vers, qui sont d’un sentiment démocratique bien avancé pour le temps de Corneille :

 

          Se pare qui voudra du nom de ses aïeux ;

          Moi, je ne veux porter que moi-même en tous lieux.

          Je ne veux rien devoir à ceux qui m’ont fait naître,

          Et suis assez connu sans les faire connaître.

          Mais, pour en quelque sorte obéir à vos lois,

          Seigneur, pour mes parents, je nommé mes exploits ;

          Ma valeur est ma race, et mon bras est mon père.

 

Don Manrique résiste toujours ; non, la reine même ne peut anoblir Carlos :

 

                       Ce rang n’est dû qu’aux hautes dignités ;

          Tout autre qu’un marquis ou comte le profane.

 

Alors, Isabelle, se tournant vers Carlos avec un sourire de reine et de femme :

 

          Eh bien ! seyez-vous donc, marquis de Santillane,

          Comte de Penafiel, gouverneur de Burgos.....

          Don Manrique, est-ce assez pour faire seoir Carlos ?

 

Mais Isabelle, qui n’a pas seulement la majesté d’une reine, qui a l’ingénieuse malice d’une femme, imagine un stratagème des plus spirituels. Elle charge Carlos lui-même de choisir son mari :

 

          Je veux qu’aujourd’hui même il puisse plus que moi ;

          J’en ai fait un marquis, je veux qu’il fasse un roi.

 

Cette comédie héroïque, Don Sanchez d’Aragon, entre Rodogune et Attila, ressemble à une arabesque de perles fines au pommeau de l’épée tragique ; ce sont ces perles qui manquent au théâtre de Racine ; la plaintive Iphigénie et la tendre Atalide ne valent pas cette souriante et gracieuse Isabelle, qui monte à son trône de pourpre et d’or, sous un dais de fleurs, dans un nuage de parfums.

Corneille, qui devait toucher à toutes les questions politiques, ne pouvait oublier la plus redoutable : la politique religieuse. Il s’est approché deux fois, avec la décision des esprits fermes, de la porte d’airain et de marbre ; il est entré dans ces ténèbres et dans ces rayons, et il en est sorti portant au front cette auréole qui s’appelle Polyeucte.

Je parlerai peu de Théodore, qui est aussi une tragédie religieuse ; le sujet en est trop difficile à expliquer, et il fallait, pour l’aborder, la candeur du génie cornélien : une vierge menacée d’être livrée à la brutalité des soldats, si elle ne préfère renoncer à sa foi ! Disons seulement que la pensée du poète est tout entière dans la belle réponse de Théodore :

 

          Dieu, tout juste et tout bon, qui lit dans nos pensées,

          N’impute point de crime aux actions forcées ;

          Soit que vous contraigniez pour vos dieux impuissants

          Mon corps à l’infamie ou ma main à l’encens,

          Je saurai conserver d’une âme résolue

          À l’époux sans macule une épouse impollue.

 

Refaites le dernier vers, dont les mots ont vieilli ; dites :

 

          À l’époux sans opprobre une épouse sans tache,

 

et vous aurez une tirade digne du Corneille de Polyeucte.

Polyeucte, dans la pensée de Corneille, ne représente pas seulement l’enthousiasme chrétien, la soif du martyre, la fuite d’une âme éperdue loin des

 

          Honteux attachements de la chair et du monde ;

 

Polyeucte représente encore et surtout peut-être la plus haute aspiration de l’idée religieuse, la doctrine de la tolérance, c’est-à-dire de la clémence mutuelle. Félix personnifie l’intolérance, l’entêtement systématique, le dédain de l’opinion et de la foi d’autrui ; Sévère personnifie la tolérance.

C’est Félix qui est vaincu dans cette lutte ; non-seulement il est trompé dans les calculs de sa vie politique, mais il est transformé et comme transfiguré dans l’auréole de ceux dont il a ordonné la mort ; il fait partie de cette grappe d’âmes (selon la belle expression de M. Legouvé) que Polyeucte emporte avec lui vers le ciel. Sévère, au contraire, tout en restant païen, n’en représente qu’avec plus de force la nécessité comme la justice de la tolérance, et il parle des chrétiens, ainsi que tout esprit généreux doit parler des persécutés et des vaincus :

 

          Je les aimai toujours, quoi qu’on en ait pu dire ;

          Je n’en vois point mourir que mon cœur n’en soupire,

          Et peut-être qu’un jour je les connaîtrai mieux.

          J’approuve cependant que chacun ait ses dieux ;

          Qu’il les serve à sa mode et sans peur de la peine.

 

Voilà Polyeucte, voilà Corneille, voilà le penseur, le philosophe, le juste, le poète, le politique, s’élevant d’un coup d’aile vers l’immuable équité. Corneille, n’eût-il écrit que Polyeucte, aurait sa place parmi les hommes qui ont le plus fait pour le calme des cœurs et l’apaisement des esprits.

Mais (cette rapide étude suffit, j’espère, à le prouver) il a fait plus encore : il a prononcé ce qu’on pourrait appeler l’arrêt dramatique sur les questions les plus ardentes de la politique humaine ; il a montré quels sont leurs devoirs aux rois, aux chefs d’armée, aux simples citoyens, aux vainqueurs, aux vaincus, aux peuples heureux ou désespérés ; il a descendu et remonté tous les échelons de l’échelle rayonnante et sombre qui, partant de la terre où rampent tous ces monstres qu’on appelle nos vices, va se perdre, pour emprunter à Victor Hugo une de ses plus magnifiques images,

 

          Dans cette radieuse et bleue éternité

              Dont l’âme humaine est l’hirondelle !

 

Je n’ai voulu étudier ici que le côté politique des tragédies de Corneille ; le côté historique n’en serait pas moins intéressant ; mais M. Ernest Desjardins a déjà rempli cette tache avec science et autorité. La morale, dans Corneille, offrirait aussi un vaste sujet d’études ; à d’autres points de vue encore, on pourrait s’arrêter devant ce mâle et austère génie, qui, s’il n’avait eu l’embarras d’une langue à former et d’un théâtre à fonder, eût dépassé la mesure commune des plus hauts esprits. C’est La Bruyère qui a écrit ce mot bon à méditer : « Tels peuvent être loués de ce qu’ils ont fait, et tels de ce qu’ils auraient fait. » Corneille peut être loué de ce qu’il a fait et de ce qu’il aurait fait.

Qu’on relise donc Corneille et qu’on représente ses œuvres le plus possible. On a répété souvent que le théâtre de Corneille était le bréviaire des rois ; plusieurs ne l’ont pas assez lu dans ces derniers temps ; que le peuple le lise davantage. C’est calomnier et vouloir abaisser les démocraties que de les inviter aux frivolités ou aux bassesses d’un certain art. « Où vas-tu ? disait un jour l’hyène au lion. – Je vais boire dans la montagne. – L’eau y est rare, dit l’hyène. – Elle est pure, dit le lion. »

 

 

 

Henri de BORNIER.

 

Paru dans La Nouvelle Revue en 1879.

 

 

 

 

 

 

 

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