L’ANTÉCHRIST

 

DÉCOUVERT.

 

Qui montre le Temps Dangereux auquel nous vivons maintenant ; et comment LE DIABLE a le Domaine sur les esprits des hommes, qu’il se fait adorer comme s’il était Dieu, et gagne à soi les bien-intentionnés sous apparence de vertu et dévotion ; qu’il trompe les hommes par mauvaises doctrines et fausses vérités ; que la plupart des hommes le suivant, l’un par malice, l’autre par ignorance : ce qui fait que c’est un grand bien qu’il soit DÉCOUVERT.

 

PAR

 

ANTHOINETTE BOURIGNON.

 

 

PREMIÈRE PARTIE.

 

 

 

 

À AMSTERDAM, chez Jean Rieuverts et Pierre Arents,

Libraires, Rue de la Bourse, 1681.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

II. Épîtr. aux Thessal., ch. 2, v. 3, etc.

 

Le jour du Seigneur ne viendra point que la RÉVOLTE ne vienne premièrement et que ne soit DÉCOUVERT cet Homme de péché, ce Fils de perdition, cet Adversaire, qui s’élève et s’établit sur tout ce qui est nommé Dieu ou dans tout culte et toute Religion, jusqu’à s’asseoir comme Dieu dans le Temple de Dieu, pour démontrer qu’il est Dieu.... Ce Mystère d’iniquité commence dès à présent à opérer effacement.... Mais alors ce Méchant sera DÉCOUVERT, que le Seigneur retranchera par l’Esprit de sa Bouche, et détruira par la Découverte évidente de sa présence : la présence de ce Méchant se faisant par l’opération de Satan avec toute efficace, avec signes et choses merveilleuses qui n’auront rien que du mensonge, et avec une pleine séduction pour porter à l’iniquité, tout cela, dans ceux qui périssent, parce qu’ils n’ont point embrassé l’Amour de la Vérité pour être sauvés.

 

 

 

 

 

 

 

 

AU LECTEUR.

 

 

IL y a quelque temps, AMI LECTEUR, que je vous ai fait voir une pièce de la gloire de Paradis, de l’état glorieux auquel a été créé l’homme et toute chose, et de la félicité que l’homme doit attendre après sa Résurrection, par un Traité intitulé LE NOUVEAU CIEL ET LA NOUVELLE TERRE. Mais comme j’avançais en cette matière Divine, il me fut dit du Seigneur : Arrête, arrête ; les hommes ne sont disposés à recevoir ces choses, et penseraient être arrivés dans cet état glorieux, là où ils sont encore régis par l’Esprit de l’ANTÉCHRIST. Faites-leur plutôt voir cela, afin qu’ils ne se trompent. À ces paroles je pliai mon écrit, l’enserrant pour ne plus avancer là-dedans, et prenant du papier blanc, je commençai à écrire le Règne de l’Antéchrist comme vous le verrez par le présent Traité sous le Titre de l’ANTÉCHRIST DÉCOUVERT, lequel comprend de merveilleux Secrets des malices des hommes et des Diables, fort inconnus à plusieurs gens de bien, qui jamais n’eussent douté que le Diable était si Grand Dominateur sur les hommes, et qu’il avait tant de puissance sur leurs entendements ; et encore moins, qu’il y avait les TROIS PARTS des hommes en tout le monde qui sont liées au Diable par pacte précis, comme Dieu me l’a révélé passé tant d’années. Pour moi, je confesse de n’avoir eu jamais cru, avant cette Révélation, qu’il y avait tant de Sorciers dans le monde, m’étant imaginé qu’iceux étaient des personnes monstrueuses et si rares, qu’on ne les voyait presque jamais. Mais comme Dieu me le révéla et que plusieurs de ces personnes me déclarèrent être telles, avec beaucoup de circonstances probables, je fus contrainte de le croire, en voyant même de mes yeux et entendant de mes oreilles des choses toutes surnaturelles, qui devaient venir infailliblement du Diable. Je me suis rendue enfin à la vérité après beaucoup de combats en mon esprit ; et je me suis aperçue, comme je m’aperçois toujours de plus, que la chose est très véritable : puisque diverses personnes venant demeurer chez moi me déclarent aussi d’avoir donné leurs âmes au Diable, et contracté avec lui par pacte précis : de quoi il y a bien à s’étonner, d’entendre que ceux qui se disent vouloir devenir Enfants de Dieu, et font de bonnes démonstrations, soient si étroitement liés avec le Diable ; et après beaucoup d’admonitions faites pour les en retirer, disent qu’ils veulent demeurer au Diable et faire semblant qu’ils sont Enfants de Dieu, en n’ayant que des velléités de renoncer au Diable, non des volontés absolues. Ce que j’ai souvent expérimenté ès personnes avec qui j’ai traité de ces matières. Je les ai trouvées plus fidèles au Diable qu’aucunes pieuses personnes ne sont fidèles à Dieu. C’est pourquoi je ne vois rien à espérer de la conversion de semblables Pactionnaires. Je bute seulement par ce présent Traité d’avertir les bons afin qu’ils soient sur leurs gardes, et ne se laissent tromper par le Diable, ou les Adhérents, qui souvent en apparence sont plus pieux et modestes que les autres personnes fidèles à Dieu. Ce qui rend notre temps plus dangereux, y ayant beaucoup plus de péril de converser avec des personnes que l’on voit pieuses à l’extérieur qu’avec des méchants et couverts. Et j’ai moi-même entendu dire des personnes : Je voudrais bien mourir avec celui-ci, ou celui-là, qu’elles tiennent pour saintes, quoique je savais assurément qu’icelles étaient liées au Diable. Voilà ainsi que l’apparence trompe, et qu’il ne faut se fier qu’à Dieu seul, et ne croire qu’en la Doctrine Évangélique, si l’on ne veut être trompé et séduit. C’est le Conseil que je donne à tous ceux qui veulent devenir Chrétiens, puisqu’il n’y a point d’autre voie de salut, ni d’autre repos de conscience, ni d’autre béatitude que de Dieu seul, qui jugera les bons et les mauvais, et ne recevra en son Royaume que les Enfants, ou des personnes abandonnées à son saint vouloir, qui à l’imitation de Jésus Christ auront renoncé à leur nature corrompue, et revêtu l’Esprit de Jésus Christ. C’est la robe nuptiale qu’il faut avoir pour entrer au banquet nuptial, à moins de quoi l’on sera chassé dehors, entendant cette effroyable sentence qui dit : Allez, maudits, au feu éternel, qui est préparé pour vous, qui êtes les Anges du Diable, à lui obéissants. Car celui qui est obéissant à Dieu est Ange de Dieu ; comme celui qui est obéissant au Diable est Ange du Diable : desquels Anges de Satan le monde est maintenant rempli, et le nombre s’en accroît tous les jours. Ce que Dieu veut manifester aux bons, de crainte que par ignorance ils ne se laissent séduire et tromper par fausses apparences de bien. Et parce que je fuis l’instrument duquel Dieu se veut servir pour manifester ces choses, l’on me veut tuer, l’on me blâme et calomnie, quoique je ne sois coupable de rien. Les méchants me persécutent parce que je détruis le Règne de leur Maître, Satan ; et les bons me persécutent parce qu’ils croient que j’ai trop mauvaise opinion de mon prochain. En sorte que je suis persécutée de tous ; des uns, par malice ; et des autres, par ignorance : pendant qu’il me faut obéir à Dieu, quoi que les hommes fassent. S’ils m’ôtent la vie, je la recouvrerai en l’Éternité. J’ai plus de crainte d’offenser mon Dieu que je n’ai d’offenser ceux qui ne peuvent que tuer le corps. Et partant, je dis hardiment ce que Dieu me fait dire ; de quoi personne ne se doit offenser, ou du moins, me doivent laisser dire pour ceux qui le veulent croire. À quoi faire un chacun est libre : puisque je ne contraindrai personne, en sachant que Dieu a créé un chacun libre. Je ne veux pas détruire ce que Dieu a édifié sans laisser à tout homme sa pleine liberté de croire ou de rejeter les vérités que j’avance. Je sais bien que des pointilleux esprits trouveront à redire à mes Vers ; puisqu’ils ne cherchent en mes écrits que des surprises de mots et de syllabes, comme font les Labadistes en tous ceux qu’ils ont eus en leur puissance : ce qui les fait écrire contre moi, et prêcher publiquement que mes écrits ont des erreurs, des calomnies et blasphèmes contre Dieu : quoiqu’ils ne sauraient rien prouver de cela. Mais ils déchirent de mes écrits quelques mots ou quelques syllabes point exprimées à la façon de leurs études, pour avec ce rejeter toute la vérité y contenue en laissant en arrière toutes les raisons et explications que j’en fais, pour ne pas bien conclure le vrai sens, et ainsi amuser les personnes à croire au mensonge, au préjudice de la vérité contenue en mes Écrits. Ils font cela par un Esprit d’Envie et de Jalousie, en voyant que j’ai la véritable Vertu, laquelle est bien loin d’eux, qui ne vivent que selon la chair et le sang. Ils ne peuvent souffrir qu’un autre aie ce qu’ils ne peuvent avoir : et ne pouvant empêcher cela, ils fulminent contre cette vraie Vertu qui leur fait la correction tacitement, en ne le pouvant revancher que par des injures et calomnies. Ce dont m’apercevant dans le livre qu’ils ont fait imprimer contre moi, je m’ai trouvé trop bonne pour y répondre, et penserais perdre mon temps de l’employer en des écrits si infructueux, qui ne feraient que contenter ces esprits pointilleux, sans rien profiter à leurs âmes : puisque tous leurs ouvrages ne consistent qu’en des pointillés et formalités de paroles, nullement en la substance de la chose : puisqu’en effet, leurs vertus n’ont pas de substance, consistant seulement en paroles, et en rien d’autre. Ce qui me fait les rejeter par impertinence, étant résolue de ne jamais répondre à nuls de leurs écrits, quoi qu’ils fassent, pour trouver la chose ne le mériter ; en laissant le jugement à tous bons esprits, pour savoir si ces personnes ont autre chose que le babil étudié, l’envie, et la jalousie sur ceux qui les devancent en vertu : car ces personnes ont usé de toutes sortes d’industries et de méthodes pour tâcher de m’attirer dans leur Compagnie : et lorsqu’ils ont vu que leurs industries ne réussissaient, ils se sont pris à me calomnier, et aussi les lumières que Dieu me donne ; là où auparavant ils les avaient louées et prisées jusqu’au troisième Ciel, en copiant soigneusement tout ce qui sortait de ma main, ayant confessé à moi-même d’avoir passé la nuit à copier mes Cantiques. Et maintenant toutes les mêmes choses sont par eux méprisées, rejetées, et calomniées, en tâchant de les rendre odieuses à toute leur assemblée, en défendant de les lire, comme si ces écrits étaient choses mauvaises : mais Dieu fera bien voir en son temps que ces Vérités, données de Dieu, sont bonnes ; et que c’est leurs Nouveautés, et changements de ces Nouveaux Sectaires, qui sont choses errantes et mauvaises. J’attends qu’avant leur ruine ils me feront encore des reproches et corrections sur mes vers. En quoi ils montreront de plus leur malice et ignorance : puisqu’il est bien permis aux Poètes d’expliquer leurs pensées par des vers, même qui n’auraient pieds ni queue ; comme il est permis aux Peintres d’expliquer leurs pensées par des Images et figures : voire est-il permis aux Écrivains d’expliquer leurs pensées par des histoires controuvées, ou des songes. Quoique ces choses ne soient réelles, elles sont souvent doctrinales, instruisant de beaucoup de choses qu’on n’oserait ouvertement déclarer. Jésus Christ même a bien souvent usé de semblables détours pour enseigner ses Disciples, en leur parlant par similitudes pour leur mieux faire entendre et inculquer sa doctrine. Pourquoi ne me serait-il permis d’avoir couché en vers les lumières que Dieu m’a données de l’ANTÉCHRIST ? J’en ferai assurément encore des autres en telle occurrence lorsque je n’aurai des personnes capables d’entendre les paroles que Dieu me manifeste, sans m’amuser sur des formalités de paroles d’usage et de style : puisque j’estime tout cela vanité, et des choses qui ne sont propres qu’à ceux qui veulent être estimés dans le monde. Ce que je ne cherche nullement, aimant mieux les fuir que d’attendre leurs louanges. J’ai seulement à cœur de procurer le salut de leurs âmes, en déclarant ce qui fait à leur salut, et montrant (comme je fais dans ce présent Traité) le temps dangereux auquel nous vivons maintenant, qui est le RÈGNE DE L’ANTÉCHRIST, là où il a grande puissance sur les esprits des hommes, et qu’il séduit les bien-intentionnées sous apparence de piété et vertu ; afin que tous gens de bien s’en puissent garder, et ne se point laisser tromper ; puisque Jésus Christ a si souvent averti les hommes, en leur disant : Ne vous laissez tromper : car plusieurs faux Prophètes s’élèveront, disant : Je suis Christ, et feront grands signes et miracles, et en séduiront plusieurs. Maintenant je viens par cet ANTÉCHRIST DÉCOUVERT remémorer les advertances que Jésus Christ a faites ; et l’on m’en veut du mal ! comme on en a voulu à Jésus Christ lorsqu’il enseignait les Vérités de Dieu son Père. Cela ne m’empêchera pourtant de poursuivre en la déduction des Lumières que Dieu me donne sur ce point, avec le temps. Recevez cependant ce Premier Traité avec la même intention que je vous le présente. Il sera plus profitable à votre âme que si je vous parlais des délices du Ciel, èsquelles vous n’entrerez jamais si auparavant vous ne découvrez le Règne de l’ANTÉCHRIST en son fond, lequel vous découvrirez toujours de plus en plus par les Deux autres Parties qui suivront lorsqu’il plaira à Dieu. Tâchez cependant de profiter de cette Première Partie avant que la mort vous surprenne en l’état dangereux auquel vous vivrez à présent. De quoi vous avertit,

 

Ami Lecteur,               

 

Celle qui aime votre Âme.     

 

ANTHOINETTE BOURIGNON.

 

 

 

 

 

 

 

Abrégé du Livre, et Table des Matières

cette Première Partie de l’ANTÉCHRIST DÉ-

COUVERT selon qu’elles sont marquées dans

les raccourcis mis à la tête des Principales

Sections du Texte.

 

I. Divers sentiments touchant l’Antéchrist. Le Diable, source de tous maux, et dans soi par sa séparation d’avec Dieu, et dans les hommes par ses séductions, porte à ce sujet plusieurs Noms, mais particulièrement celui d’Antéchrist, à cause de sa Séduction la plus universelle et efficace, contredisant à Christ sous couverte de Sainteté apparente et du manteau de Christ.

II. Les mieux intentionnés adhèrent au Diable, le servent et adorent en qualité d’Antéchrist, à cause des œuvres qui ont l’apparence de celles de Christ, pendant qu’ils sont possédés d’un Esprit Antéchrétien, opposé à celui de Christ, de pauvreté, mépris, souffrance, d’humilité, d’abnégation propre, et de charité.

III. Le Diable Antéchrist règne à présent en Esprit, mais à la fin prendra un corps humain pour consommer son règne malheureux, et assouvir, même par force, son ambition d’être Dieu : mais le vrai Dieu abrégera les jours, de peur que toute chair, et les élus même, ne périssent.

IV. Les élus, que l’Antéchrist peut séduire, ne sont pas ceux d’une Élection absolue qu’on attribue à Dieu aussi bien qu’une pareille réprobation, par une Théologie ou plutôt Diabologie de l’Antéchrist, par laquelle il séduit et aveugle ceux qu’on croit les plus parfaits et les étoiles du Ciel.

V. Fatale incrédulité des hommes touchant le temps de l’Antéchrist. Y règne à présent. Quand il a commencé ; et ses progrès de violence et de ruses par disputes, gourmandises, avarice, et études humaines, qui ont introduit dans tous la corruption et l’erreur.

VI. L’Esprit de l’Antéchrist règne dans toutes les Églises, Communautés, et leurs membres, régis tous par un Esprit opposé à celui de Christ. Que cette corruption est irréparable, étant universelle.

VII. L’Antéchrist règne dans et par les Conducteurs des âmes, enflés de vaines spéculations, résistants à la vérité dans leur aveuglement, falsifiant la Doctrine de Jésus Christ, et menant le peuple au chemin large sous la couverture des paroles et des Cérémonies extérieures de Jésus Christ.

VIII. L’Antéchrist règne dans le Baptême. Il incite les Chrétiens à la Cérémonie extérieure pendant qu’il retient l’intérieur. Quel est le vrai usage et but du Baptême, lequel les Chrétiens n’accomplissant pas, ils font pires que les Turcs et les non-baptisés.

IX. L’Antéchrist domine dans la Cène. Quelle est la vraie essence d’icelle, avec laquelle l’extérieur profite, sons quoi il n’aide ni les méchants, qui y prennent leur condamnation et y commettent quatre sortes de péchés ; ni les bons, qui ne peuvent s’y joindre en compagnie d’âmes désunies de Dieu. Ce que c’est que Jésus Christ a proprement institué par la Cène, et comment l’Antéchrist l’a pervertie.

X. L’Antéchrist règne dans les Prières. Quelle est la véritable prière : quelle est celle de l’Esprit de l’Antéchrist, laquelle avec les mêmes paroles que celles des Saints, n’est devant Dieu que compliments menteurs, trompeurs et étudiés, et qui tuent l’âme.

XI. Comment l’Antéchrist pousse les hommes à prier à leur perdition, et fait de la très-parfaite prière de Jésus Christ un culte de l’Esprit de l’Antéchrist, la rendant une prière injurieuse à Dieu, fausse, illusoire, damnable, et insensée.

XII. L’Antéchrist règne dans les entendements, qu’il détourne de s’informer de la vérité, laquelle est maintenant semée par A.B. pour accomplir pleinement la Parabole de l’Évangile. Mais l’Antéchrist ensorcelle et tient les âmes, les attachant à des extérieurs qui leur donnent un faux repos, et qui couvrent la malice et celle des hommes.

XIII. L’Antéchrist règne dans les cœurs, d’où il a banni l’amour et la charité nécessaire à salut, que les hommes pensent de posséder avec un Esprit Chrétien, pendant que l’Antéchrist a porté leurs affections aveuglément à des extérieurs de sainteté apparente que Christ et ses Apôtres n’ont pas même pratiqués de la même manière : comme sont, les Temples, la Cène, les Prêches continuels et fixes, faits avec parade et éloquence, et qui ne font que flatter, et que falsifier la vérité.

XIV. L’Antéchrist règne dans les mœurs et dans toutes les pratiques des Chrétiens, qui ont quitté la douceur et l’humilité de Jésus Christ pour prendre l’arrogance, la mauvaitié et la superbe ; et ont laissé ses pratiques basses et serviles pour faire tout avec parade dans un esprit d’orgueil.

XV. L’Antéchrist règne dans le centre du bien, où butent toutes les Lois de Dieu, qui est la Dépendance Amoureuse de Dieu : de laquelle ayant retiré les hommes en Adam, et après Adam, Dieu leur a fait la grâce de les rappeler par des Lois à cette Amoureuse Dépendance, tant par Moïse que par Jésus Christ. Mais les Juifs en ont abusé, s’arrêtant à l’écorce : les Chrétiens encore pis ; qui pour ce sujet seront exterminés sans ressource ; au lieu que les Juifs se pourront convertir.

XVI. L’Esprit de l’Antéchrist, qui est un Esprit de malice, d’injustice, et de mensonge, opposé à l’Esprit de Bonté, de Justice, et de Vérité, règne dans la Libre Volonté de l’homme, et dans toute la Nature, les Éléments, les Créatures, depuis que la libre volonté de l’homme, qui dominait sur tout, s’est volontairement soumise à son Esprit, en péchant librement.

XVII. L’Antéchrist règne en Empereur Universel sur tons les hommes, dans le spirituel et le temporel, où il n’y a plus universellement qu’injustice, mensonge, et malice ; à quoi les bons coopèrent, et qu’on ne peut découvrir sans persécutions. Mais ce Grand Corps sera détruit, et l’Esprit de Dieu régnera ensuite jusqu’à la Venue de Jésus Christ en gloire. Stupidité des hommes. Ils adhérent à l’Antéchrist, et l’adorent.

XVIII. Comment l’Antéchrist, pour soumettre tous les hommes à la fausse Déité, a séduit les premiers hommes sous belles apparences.

XIX. Remèdes aux premières séductions de l’Antéchrist, par JÉSUS CHRIST né d’une Vierge, et pourquoi. Pourquoi il s’est chargé de nos misères : pourquoi il est Législateur : comment il est notre Médecin et guérit toutes nos plaies.

XX. Comment l’Antéchrist a fait rejeter les remèdes de Jésus Christ par les Juifs et par les Chrétiens. Par ceux-là, sous le beau prétexte qu’il venait détruire la Loi : mais il est montré par des exemples qu’il venait la perfectionner ou ramener les hommes plus efficacement à l’amour de Dieu. Et que les Chrétiens rejettent et méprisent J. Christ encore davantage que les Juifs.

XXI. L’Antéchrist fait que les Chrétiens rejettent Jésus Christ quant à sa Personne ; quant à sa vraie Satisfaction, son Imitation, et la Pénitence à quoi elle nous engage. Item par des présomptions à d’Élections, de propres forces ; et autres doctrines (dont il sera traité particulièrement dans les autres Parties).

XXII. Vision touchant la manifestation corporelle de l’Antéchrist. Il est bien plus dangereux quant à son Règne en Esprit, qui est à présent, où les hommes sont régis d’un Esprit contraire à Christ.

XXIII. Description en Vers d’une Vision Divine touchant la manifestation extérieure de l’Antéchrist, qui règne partout en esprit, et dont la découverte est proche.

Description de l’Antéchrist corporel.

Sa gloire et sa suite.

Son hommage.

Ses Sujets.

Ses Joies.

Ses Appas.

Ses sujets Pactionnaires entre les Chrétiens.

Ses couvertures sous belles apparences.

   1. De spiritualité,

   De Police et moralité,

   De Doctrine, Vertu, et de Religion.

   D’Exercices pieux, Cérémonies et choses saintes.

Aveuglement des bons qui ne reconnaissent son Règne.

Temps dangereux.

Prédit.

Péril Universel.

Il n’y a que ses Pactionnaires exprès qui sachent bien croire que cet Antéchrist est né. Les bons ne sachant y ajouter foi.

L’Antéchrist ne paraîtra partout en corps.

On voit par ses fruits que son Temps est venu.

Les Signes et la Révolte Universelle sont parus.

On s’est révolté partout contre l’Évangile, l’anéantissant.

Moyens pour connaître l’Antéchrist.

Chrétiens contraires à Christ en tout.

Le mal a l’Empire sur le bien.

Estime et honneur Universel du mal.

Rejection universelle du bien.

Et cela par tous, Grands et petits, bons et méchants.

Règne des vices masqués.

Leur découverte approche, alors ils nuiront moins.

XXIV. Cette Vision en songe, et ces vers, en substance viennent de Dieu, avec tout ce que sait et qu’enseigne A. B. Comment et pourquoi Dieu lui enseigne et l’Écriture, et tout ce qu’elle sait.

XXV. Le Monde est jugé irrévocablement, étant plein de Pactionnaires de l’Antéchrist, qui se multiplient sans nombre par la génération. Dieu veut retirer quelques bons à l’écart pour leur apprendre la Vie Évangélique hors du Règne de l’Antéchrist.

 

Fin de la Table.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

AVIS

 

Sur la Profession de Foi

et sur

 

le Catalogue des Livres imprimés de

 

Madlle ANTHOINETTE BOURIGNON.

 

 

Mon cher Lecteur,

Deux sortes de personnes m’obligent de joindre aux livres de Mademoiselle Bourignon la Profession publique de sa Foi et de sa Religion qu’elle a présentée ouvertement à la Cour de Gottorp en Holstein, et d’y ajouter le Catalogue de ceux de ses Écrits qui sont imprimés jusques à présent. Car comme l’on sème presque partout beaucoup de discours à son désavantage, beaucoup de monde (et presque tous) y ajoutent foi facilement et sans examen, surtout lorsque cela vient des gens d’Église, à la parole desquels le peuple s’arrête, pensant, que des personnes si Saintes et Spirituelles ne voudraient pas mentir. Ainsi l’on ne veut pas prendre la peine de s’informer plus outre si ce que ces Messieurs débitent contre Mademoiselle Bourignon, est véritable, ni de voir les pièces nécessaires pour porter un jugement de cette conséquence, sur lequel on se laisse souvent emporter à des actions qui pourraient bien être le sujet d’une repentance éternelle. Afin donc que ces Personnes qui ne veulent pas prendre la peine de s’informer en détail de la vérité par la lecture des livres de cette Demoiselle, puissent avoir de quoi en faire un jugement certain, ils verront ici en cinq ou six lignes de sa Confession tout l’Abrégé et le Fondement de toute sa Doctrine et de sa Vie, et apprendront par là à ne pas si facilement croire aux mensonges publics, inventés même par des Prêtres Luthériens et autres, et débités tant par leurs écrits et livres, que par leurs paroles et leurs Prêches, par lesquels ils décrient cette Personne, ses Amis, sa Doctrine, comme des impies, ou des Personnes de quelque religion nouvelle, errante, et fantasque, afin d’en donner de l’horreur au menu peuple, qui se laisse détourner par ce moyen de la connaissance de la vérité salutaire, au dommage de leurs propres âmes, lesquelles ils blessent fort par des jugements téméraires et faux, et par des passions étranges à quoi ces Calomniateurs les disposent, jusques là, que de refuser souvent les devoirs communs de l’humanité à des gens de bien qui ne cherchent que de plaire à Dieu.

Mais comme il y a encore des personnes plus posées et circonspectes, qui tâchent de régler leurs jugements et leur conduite par la connaissance particulière de la vérité si seulement ils savaient les moyens de s’en informer ; c’est en leur faveur que l’on a joint le Catalogue des livres imprimés de cette Demoiselle, ou l’on a marqué en deux ou trois mots les principales matières dont ils traitent. On a aussi mis des citations de l’Écriture dans les marges ou au pied des pages, pour faire remarquer la conformité de ces écrits avec ceux de la Ste. Bible, à laquelle quelques-uns disaient qu’ils étaient contraires, et d’autres doutaient s’ils y étaient conformes, d’autres enfin pensaient que cette Damoiselle méprisait l’Écriture Ste. De plus, on y a aussi ajouté des annotations ou des petits abrégés qui peuvent servir d’indices pour aider la mémoire, et faire voir en peu de mots les matières dont il est traité. Ses autres manuscrits, qui ne sont pas encore imprimés, le seront lorsque l’occasion le permettra ; et n’étant inférieurs en dignité à ceux qui ont déjà paru, ils ne peuvent tous ensemble que frapper bien fort le Cœur des Lecteurs bien disposés pour les faire retourner à leur Dieu. Cependant, agréez, Lecteur mon cher Ami, que je vous avertisse de ne pas apporter à leur Lecture un Esprit élevé de Maître et de Censeur. Dieu n’a que faire ni de Maître, ni de Sages. Il ne demande que des Enfants et des humbles Disciples. Ne rejetez pas les choses, et surtout celles qui concernent la grandeur de la corruption et des ténèbres des hommes, pour surprenantes qu’elles paraissent d’abord. Si elles vous semblent incroyables, il n’en est pas ainsi devant Dieu, à qui ces choses sont bien autres qu’elles ne sont à nos yeux obscurcis. La vérité est toute autre aux yeux du nouvel Adam qu’à ceux du vieux ; et l’on est autant hors de sa connaissance et de sa possession qu’on est hors de l’imitation de Jésus Christ. Tâchez de pratiquer ce dont on ne peut douter qu’il ne soit bon et véritable. Ce que vous ne pouvez entendre, laissez-le là. Dieu le vous fera connaître lorsqu’il vous sera salutaire si vous demeurez fidèle à ce que vous savez déjà. Laissez les choses incidentes, et allez au but unique et principal, qui est connaître votre corruption, y mourir, et revivre par la vie de Jésus Christ dans l’Amour de Dieu et la Pratique de ses Divines Lois, qui sont gravées dans ces saints écrits avec autant de clarté que de réalité dans l’Âme Chrétienne dont Dieu se sert pour nous les renouveler, et qu’il veuille aussi imprimer miséricordieusement dans la nôtre. Amen.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PROFESSION

 

de Foy, et de Religion ;

 

faite publiquement par

 

Damlle ANTHOINETTE BOURIGNON :

 

Sur les doutes qu’on pourrait avoir de sa Croyance et de sa Religion.

 

1. Je suis Chrétienne ; et je crois tout ce qu’un vrai Chrétien doit croire.

2. Je suis baptisée dans l’Église Catholique, au Nom du Père, au Nom du Fils, au Nom du Saint Esprit.

3. Je crois les douze Articles du Credo, ou le Symbole des Apôtres ; et ne doute en aucun Article d’icelui.

4. Je crois que Jésus Christ est Vrai Dieu, et qu’il est aussi Vrai Homme ; et qu’il est le Sauveur et Rédempteur du monde.

5. Je crois en l’Évangile ; aux SS. Prophètes ; et en toute la S. Écriture, tant le Vieux que le Nouveau Testament.

 

Et je veux vivre et mourir en tous les points de cette Croyance. Ce que je proteste devant Dieu et les hommes à tous ceux qu’il appartiendra.

En foi de quoi, j’ai signé cette mienne Confession de ma main, cachetée de mon cachet.

 

En Sleeswicq, le 11 de Mars, 1675.                                

 

(L. S.)                   Était cacheté, et soussigné                     

 

ANTHOINETTE BOURIGNON.    

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

CATALOGUE,

 

Des

 

Livres imprimés,

 

Composés par Mad.

 

ANTHOINETTE BOURIGNON,

 

Née en la Ville de Lille en Flandres.

 

 

I.

 

LA Lumière née en Ténèbres, divisée en quatre parties, qui sont pleines de doctrines et d’instructions salutaires, générales et particulières ; tant Divines que Morales, de Théorie et de Pratique, propres à ouvrir les yeux et à toucher le cœur des hommes de bonne volonté, afin de les disposer à rechercher Dieu et sa vérité, et à changer leurs mauvaises vies pour embrasser une vie nouvelle selon Dieu. En Français, en Flamand et en Allemand.

 

II.

 

Le Tombeau de la fausse Théologie exterminée par la véritable venant du S. Esprit. Divise en quatre parties. Il y est traité de plusieurs matières doctrinales que l’on avait la plus part proposées à Mad. A. B. par manière d’opposition et pour lui contredire. L’on y voit comment les Sages par le moyen de leurs études sont déchus de la simple, solide, vivante et efficace vérité de Dieu, et de la vraie vertu Chrétienne ; et qu’ils ont changé le véritable Christianisme en un Christianisme disputeur et pointilleux, hypocritique et vicieux, et tel que l’Église de Laodicée, malheureux, misérable, pauvre, aveugle et nu : pendant qu’il se dit riche en vertu, et n’avoir faute de rien en connaissance. En Français, et en Flamand.

 

III.

 

L’Innocence reconnue et la vérité découverte, etc., Première partie. Où l’on voit par un exemple vivant la haine et la cruauté que les Prêtres mêmes exercent sur leurs propres Confrères qui ne veulent condescendre à leur conduite, mais se retirer de la corruption du monde, les faisant alors trahir, emprisonner et souffrir jusqu’à la mort. En Français.

Avec une lettre à un Père de l’Oratoire sur le même sujet. En Français et en Flamand.

 

IV.

 

La Lumière du Monde. Divisée en trois parties, Première Partie. Il y est traité de ce que l’Église Chrétienne et le culte Dieu sont tout-déchus et devenus tout extérieurs, terrestres et charnels ; que cela a attiré les derniers fléaux de Dieu : comment il est aussi possible que nécessaire d’aimer, de chercher, de trouver, de posséder, et d’adorer Dieu en Esprit et vérité. Item du glorieux Royaume de Jésus Christ, qui suivra l’exécution des derniers fléaux. En Français, en Flamand et en Allemand.

 

V.

 

La Lumière du Monde. Seconde Partie. Ou il est parlé de l’abus des Sacrements et de tout le culte extérieur de la Chrétienté, de sa corruption, du péril des hommes, lesquels, au lieu de s’abandonner à Dieu, pèchent contre son S. Esprit, et rejettent ses lumières ; et de la conversion des juifs, qui redeviendront le Peuple de Dieu en la place de la Chrétienté corrompue. En Français, en Flamand, et en Allemand.

 

VI.

 

Avertissement contre les Trembleurs. Opposé à un libelle diffamatoire de cette Secte contre A. B. Par où l’on montre que cette Secte n’a pas la lumière du S. Esprit, et dans lequel leurs erreurs et fantaisies sont parfaitement ruinées. Il y est prouvé solidement et à fond que l’on doit obéir selon Dieu à toute sorte de Magistrats et de Supérieurs, et qu’il faut observer des bons règlements dans l’État Politique, dans l’Ecclésiastique, et dans la vie commune. L’on y découvre aussi les qualités que doit avoir une personne vraiment régénérée et illuminée de Dieu. En Flamand.

 

VII.

 

Le Témoignage de Vérité. Où sont rapportées les dépositions publiques de plusieurs personnes dignes de foi sur la vie et les mœurs de ladite Damoiselle, qu’ils affirment avec serment avoir vécu dès son Enfance d’une manière extraordinairement vertueuse et exemplaire. L’on y a encore ajouté plusieurs autres témoignages, pour confondre les mensonges et les calomnies qu’on avait publiés contre sa personne et ses écrits. Il y est aussi traité de ce que les Chrétiens ont mal fait de faire des divisions entr’eux, prétextant quelques irrégularités dans quelques cérémonies et opinions particulières et non-essentielles à l’Amour de Dieu, pendant qu’ils ont excédé par opposition, et négligé leur propre régénération et le renoncement à eux-mêmes. Item, de la véritable et de la fausse application des Mérites de Jésus Christ. Que les Commandements de Dieu ne sont pas une charge, mais des aimables effets de son Amour et de son Soin Paternel ; et qu’il est nécessaire, facile, et agréable de les observer pour être sauvé. Contre la Prédestination personnelle. De la Création glorieuse d’Adam : de sa chute, avant laquelle Jésus Christ a tiré de lui un corps pour soi : et de plusieurs autres divins mystères inconnus jusqu’à présent. En Français, en Allemand, et en Flamand.

 

VIII.

 

La Pierre de Touche. Qui monstre comment il faut examiner la validité des Docteurs et conducteurs des âmes, et celle de leurs doctrines, sur la Pierre de Touche de la Charité ou de l’Amour de Dieu. L’on y voit la réfutation des abominables mensonges et calomnies que l’on a inventés pour avoir prétexte de diffamer et persécuter à mort cette Damoiselle, comme si elle niait la S. Trinité, la Divinité Éternelle de Jésus Christ, ses S. Mérites, et comme si elle voulait renverser toute la Religion Chrétienne : et semblables faussetés horribles qu’on lui a imputées. L’on y voit aussi comment et pourquoi Dieu a créé l’homme : Quels soins il a eus de le relever de sa chute : Comment les hommes sont sauvés par les Mérites de Jésus Christ en observant ses Commandements. Item, de la décadence de l’Église Chrétienne : et que Dieu veut la rétablir sur la Terre avant la fin du monde, et commencer dès à présent ce sien œuvre. En Français, en Allemand, en Latin, et en Flamand.

 

IX.

 

Traité admirable de la solide Vertu. Première Partie. Où l’on voici qu’on la doit apprendre par la douceur et l’humilité de Jésus Christ, lesquelles, nous montrant notre néant, nous font mortifier notre nature corrompue pour revivre à l’Amour de Dieu. L’on y découvre aussi tous les artifices par lesquels le Diable nous veut empêcher et retarder dans le progrès de la vertu. En Français, Flamand, Latin, et Allemand.

 

X.

 

Traité admirable de la solide Vertu. Deuxième Partie. Où il est montré que pour atteindre à la vraie vertu, il faut I. Abandonner le monde et ne le plus conformer à lui. II. Abandonner la convoitise, par une totale mortification de la Nature corrompue, en se contentant du simple nécessaire et du moindre en toutes choses. III. Abandonner et renoncer sa propre volonté, tant grands que petits, irrégénérés que régénérés ; et la combattre jusques à la mort ainsi qu’a fait Jésus Christ même, venant nous montrer par lui-même, en sa propre personne, comment, en le suivant et faisant comme lui, nous pourrons trouver la voie de sortir hors de nos ordures pour être réunis à Dieu. En Français, Flamand, et Allemand.

 

XI.

 

L’Aveuglement des hommes de maintenant. Première Partie. Traité Apologétique à l’occasion des médisances semées contre les comportements de Mad. A. B. Où l’on voit par des exemples vivants comment la nature corrompue s’aveugle elle-même et est artificieuse pour se dissimuler à soi et aux autres ses défauts, les excuser et défendre par toutes sortes de prétextes, même saints en apparence, ne voulant en être reprise, mais les rejetant plutôt sur autrui et en accusant les autres, pendant qu’elle fait tout mal-à propos, et que même elle veut se décharger du devoir de renoncer à soi-même et de changer. Tous ses prétextes y sont réfutés, et principalement ceux qu’elle tire de ce que Jésus Christ a tout agi et pâti pour les hommes, et qu’eux sont trop fragiles pour observer les commandements de Dieu. En Français, et en Flamand.

 

XII.

 

Le Renouvellement de l’Esprit Évangélique. Première Partie. Où sont proposées par des lumières divinement convaincantes et tout extraordinaires les grandes et fondamentales Vérités de la vraie Religion Chrétienne, du tout de Dieu, du Néant de l’homme, de sa Liberté, de la Fin de sa Création, de la Gloire où il a été créé, des Misères où il est tombé, de sa Corruption, de sa Restauration, de la grandeur de la Charité de Jésus Christ, et de celle de ses Mérites par lesquels il a racheté les hommes trois fois de trois grandes rébellions universelles, venant nous offrir à présent une troisième et dernière Rédemption par le Renouvellement de son Esprit Évangélique. Et à ce sujet il est montré combien profonde est l’incroyable corruption et la tromperie de notre nature et de notre méchant cœur, et combien il est nécessaire de les combattre et vaincre si l’on ne veut se damner éternellement. En Français, Flamand, Latin, et Allemand.

 

XIII.

 

Le Nouveau Ciel et la Nouvelle Terre, Première Partie. Où sont découvertes les merveilles de la gloire où le monde a été créé, et sur tout le premier homme : comment s’est faite sa tentation, sa chute, sa mort : item du Jugement, des derniers fléaux spirituels et corporels : de l’état des âmes après la mort, de la Résurrection première et seconde : de l’Enfer, du Paradis, de la beauté des corps glorifiés ; quelles dispositions doivent être dans les hommes afin que Dieu rétablisse et renouvelle toutes les créatures ; et comment le Diable, pour priver les hommes de ce bonheur, les tente et séduit à présent d’une manière toute semblable à celle par laquelle il tenta et séduisit au commencement nos Premiers Parents pour le leur faire perdre. En Français, Flamand et Allemand.

 

XIV.

 

Le Renouvellement de l’Esprit Évangélique. Deuxième Partie. Où sont proposés les motifs propres à se résoudre à embrasser l’Humilité, la Bassesse, la Pauvreté d’esprit, le Renoncement à soi-même, la Haine de soi-même, la Pénitence, l’Amour de Dieu, en un mot, la Vie Évangélique. Ces motifs y sont tirés de la considération de la Gloire où Dieu a créé l’homme, de la fin de sa Création, des Misères où il est tombé corps et âme en cette vie, des Misères éternelles d’après cette vie, de la Justice de Dieu, de l’Exemple de Jésus Christ et de ceux des Saints, des Joies et Gloires de la vie bienheureuse du siècle à venir, même de la tranquillité qu’on a dès cette vie à se laisser conduire de Dieu en toute chose comme un Enfant de sa Nourrice : comparaison qui est déduite au long d’une manière toute admirable et édifiante. En Français, en Allemand et en Flamand.

 

XV.

 

L’Antéchrist Découvert. Première Partie. Où est montré ce qu’est l’Antéchrist, comment il règne et domine universellement, non seulement en tant que la plupart des hommes sont liés à lui par pacte volontaire, mais aussi en tant qu’il tient le reste, même les meilleurs, sous son Empire, qui s’étend partout sous l’apparence de Christ, dans le Sanctuaire ou les Églises, dans les Cultes, les Entendements, les Cœurs, les Pratiques, les Spéculations et Doctrines, par lesquelles choses il fait rejeter Jésus Christ et ses remèdes. Dieu le fait voir à A. B., et elle le manifeste aux autres de la part de Dieu, lequel ayant jugé le monde, plein de pactionnaires Diaboliques, veut retirer à l’écart quelques bons, hors de la Domination de l’Antéchrist. En Français et Flamand.

 

XVI.

 

L’Antéchrist découvert. Seconde Partie. Où l’on voit comment l’Antéchrist a anéanti et chassé d’entre les hommes l’Esprit et la Vie de Jésus Christ, par les ténèbres où il a mis les Chrétiens en matière de Doctrine, de Pratique et de Culte de Dieu : savoir, touchant la S. Trinité, la Divinité Éternelle de Jésus Christ, ses Mérites, sa Satisfaction, son Culte, et tout Culte Divin, le but de sa Venue, la facilité et la difficulté de son Imitation, les Imaginations dont on se flatte d’être Enfants de Dieu, Régénérés, Prédestinés, Spirituels, rachetés, etc., par où il trompe et régit les mieux intentionnés, avec tout le reste des hommes, qui sont sous son Empire. En Français et en Flamand.

 

XVII.

 

L’Antéchrist découvert, Troisième et dernière Partie. Où l’on voit les moyens par lesquels l’Antéchrist a avancé sa domination universelle sur toute sorte d’états, de conditions, de professions, sur tous les Chrétiens, jusques dans le Trône de Dieu, s’étant servi de la lettre, (et non de l’Esprit) des Écritures, des choses saintes, des prétextes spécieux de Mérites de Jésus Christ, de la Satisfaction, de la Fragilité des hommes, et autres belles couleurs, pour détruire la Loi, la Charité, la Paix, l’Esprit de Christ, son Imitation, la Pénitence, par des haines, sectes, dissensions, erreurs, disputes, inimitiés, orgueils, présomption, hypocrisies, et semblables effets conformes à leur Principe qui est cet Esprit universel du Diable et de l’Antéchrist Régnant. En Français et en Flamand.

 

XVIII.

 

La Dernière Miséricorde de Dieu : I. Part. Contenant un Avant-propos où il est parlé du Malheureux état des hommes : des Jugements de Dieu sur eux : des Dernières grâces et vérités de Dieu : Que les hommes par leurs études ont aboli tout bien ; ont détruit la Foi vive et la Dépendance de Dieu, lesquelles il faut nécessairement reprendre, sans se flatter comme on fait, ni croire d’une Foi aveugle et morte. Comment il faut expliquer les Écritures, et éviter les opinions et Doctrines périlleuses des hommes, etc. Dans les trois premiers chapitres il est parlé de l’Existence de Dieu, de sa Connaissance, de ses qualités ou Attributs, de la Création du monde et de l’homme : de l’immortalité de l’âme et même du corps de l’homme ; et que toutes les œuvres de Dieu dureront Éternellement. En Français, Flamand et Allemand.

 

XIX.

 

L’Académie des Savants Théologiens. I. Partie. Où sont expliquées à fond par des nouvelles et vives lumières plusieurs matières Théologiques, soit Doctrinales, comme de la Grâce, de sa Généralité, Efficace, Suffisance, Résistance ; De la Prédestination, Élection, etc. Liberté de l’homme, etc. ; soit Morales comme, de l’Attrition, de l’Amour de Dieu, de la Morale corrompue des Casuistes, etc. ; Soit touchant le Culte extérieur, et la conduite des hommes ; Item de l’État de l’Église, des Religieux, des Pasteurs, des Chrétiens, selon qu’ils sont devant Dieu. En Français, en Flamand, et en Allemand.

 

XX.

 

L’Académie des Savants Théologiens. Seconde Partie. Où il est parlé du discernement des Esprits, que l’on doit faire dans l’état d’une Enfance Spirituelle, à laquelle on se doit rendre pour être gouverné et conduit de Dieu, sans quoi notre propre conduite et le choix que nous pouvons faire de quelque genre de vie que ce soit, Ecclésiastique, Politique, Économique, n’est que vanité et que perte et dommage pour l’éternité. De l’abus qu’on fait du Culte extérieur, des Dévotions et Cérémonies de l’Église ; du vrai usage que l’on en devrait faire : et de l’état périlleux où vivent les plus dévots d’aujourd’hui sans le savoir. En Français et Flamand.

 

XXI.

 

L’Académie des Savants Théologiens. Troisième et Dernière Partie : Où sont découverts les péchés intérieurs, cachés, et contre le S. Esprit, qui règnent dans presque tous les dévots d’à présent. Combien la Dépendance de Dieu est nécessaire à salut : que les Lois, et la Doctrine de Jésus Christ, reviennent à elle. Et du grand abus qu’il y a dans les Fréquentes Confessions et Communions, dont l’on se sert pour augmenter ses péchés et sa perdition. En Français, et Flamand, etc.

 

XXII.

 

La Sainte Visière. Par où l’on découvre que les hommes ont perdu la Vue et la lumière de la Foi pour connaître les choses éternelles ; par quels moyens : et de quelle manière n’ayant plus qu’une lumière naturelle et bestiale ils se sont conduits en matière de Religion, de Doctrines, et de leur Salut. Ce qui attire la ruine de la Chrétienté qui est toute aveugle, ne sachant plus ce qu’est la Foi. Il y est déclaré ce qu’est cette Véritable Foi Divine, et que Dieu rétablira l’Église dans elle par les lumières pleines et dernières du S. Esprit promis qu’il envoie des à présent sur la terre. En Français et en Flamand.

 

XXIII.

 

La Lumière du Monde. Troisième et dernière Partie : laquelle est remplie de Vérités lumineuses et incomparables, aussi fortes et salutaires qu’inconnues jusqu’à présent touchant le Franc-Arbitre ou la Liberté de l’homme, la Prédestination, l’Abandon à Dieu et la Dépendance de lui, la Corruption, l’Aveuglement et la Ruine de la Chrétienté, la Venue glorieuse de Jésus Christ, l’Envoi de sa Lumière, la Béatitude, la Foi, la Renaissance, l’Église, et beaucoup d’autres choses qui y sont traitées avec une évidence entièrement Divine, et de la dernière Conviction. En Français, Flamand et Allemand.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’ANTÉCHRIST

 

DÉCOUVERT.

 

PREMIÈRE PARTIE.

 

 

Origine de l’Antéchrist.

 

1. Divers sentiments touchant l’Antéchrist. Le Diable source de tous maux, et dans soi par sa séparation d’avec Dieu, et dans les hommes par ses séductions, porte à ce sujet plusieurs noms, mais particulièrement celui d’Antéchrist à cause de sa séduction la plus universelle et efficace contredisant à Christ sous couverte de sainteté apparente et du manteau de Christ.

 

1. IL y a longtemps que j’entends divers sentiments sur le fait de l’ANTÉCHRIST. Plusieurs croient que ce sera une créature humaine, puissante, élevée, et qui fera soumettre tout le monde à soi par sa Tyrannie. Les autres disent que ce n’est rien autre chose que le Diable qui contredira à Jésus Christ. Et ainsi sont les hommes de plusieurs sentiments divers sur les Passages des Écritures qui parlent de l’ANTÉCHRIST. Et moi, je vous viens déclarer mon sentiment là-dessus en suite des lumières que Dieu me donne.

2. L’ANTÉCHRIST n’est autre chose que le Diable, lequel en son essence est un Esprit malin qui s’est voulu révolter contre Dieu. Pour cela est-il devenu Diable, c’est à dire, source de tous maux, déchu de la source de tout bien. Car la privation de tous biens est la possession de tous maux. Il n’y peut jamais avoir aucuns maux sinon par la privation des biens : une personne ne peut être malade sinon lorsqu’elle est privée de sa santé ; elle ne peut être ignorante que par la privation du savoir ; et ne peut être pauvre que par la privation des richesses ; et ainsi de tout le reste : nuls maux ne se peuvent rencontrer sinon dans la privation du bien ; parce que les maux en eux-mêmes ne sont rien : à cause qu’ils n’ont pas été créés de Dieu [1] ; et ce qui ne vient pas de Dieu est un vrai néant. En sorte que le Diable en son essence n’est rien sinon la source de tous maux [2] : à cause qu’il s’est volontairement privé de tous biens. Ayant été créé de Dieu un bel Esprit, il a lui-même défiguré cette belle image [3] ; de laquelle étant privé, il est devenu la source de toute laideur, aussi bien que celle de toute malice. Car s’étant privé de la lumière Divine, il est devenu l’Esprit de ténèbres [4] ; et s’étant privé de la Divine Vérité, il est devenu Père de mensonge [5] ; et s’étant retiré de la Justice de Dieu, il est devenu Impie, Trompeur et Infidèle [6].

3. Cet Esprit donc, source de tous maux, est appelé ès Écritures mêmes de divers noms, comme Diable, Satan, Esprit de ténèbres, Père de mensonge, Vieux Serpent, ANTÉCHRIST [7], et autrement. Néanmoins tous ces noms divers ne signifient en substance qu’une même chose, assavoir, un Esprit qui est source de tous maux et privé de toutes sortes de biens, lequel est le plus communément appelé Diable, comme son nom essentiel, d’où les autres ne lui sont que des noms accidentels ; comme Satan, parce qu’il tente les hommes ; Esprit de ténèbres, à cause qu’il les enveloppe en tant d’obscurité qu’ils ne savent là où ils doivent marcher. Il est appelé aussi Père de mensonge, parce qu’il séduit les hommes par mensonges et faux donner-à-entendre. Il est encore appelé Vieux Serpent, à cause qu’il a trompé du Vieux temps nos premiers Parents par l’organe du Serpent : mais à la fin, pour signifier l’accomplissement de sa malice, il est appelé ANTÉCHRIST, à cause qu’il s’est fait le Singe de Jésus Christ afin de se faire suivre et adorer comme lui. Pour cela dit-on, qu’il s’assoira au siège de Dieu, et se fera adorer comme s’il était Dieu [8].

4. En quoi sera accomplie l’extrémité de sa malice, parce qu’en tous ses autres faits elle n’a paru sinon en partie. Car lorsqu’il tente les hommes, il ne leur peut faire non plus de mal que celui auquel ils veulent consentir : et voyant que les maux de quoi le Diable les tente sont contraires à Dieu, ceux qui le craignent ne consentiront pas au Diable. Sa malice ne paraît pas aussi en accomplissement en ce qu’il enveloppe les hommes dans des grandes ténèbres, puisque par icelles il ne saurait gagner tout le monde, à cause qu’entre les hommes il y en a encore plusieurs qui cherchent la lumière en connaissant qu’ils sont en ténèbres, et qu’ils ne connaissent le sens parfait des Écritures ou divins mystères, ne se pouvant arrêter ou contenter de ce qu’on leur a dit ou enseigné. Et par ainsi le Diable n’a pas encore le plein pouvoir sur tous les hommes par les ténèbres qu’il a éparses sur tout le monde : non plus aussi par ses mensonges ; à cause que plusieurs personnes se trouvent encore sur la terre, et s’y en est trouvé de tout temps, qui discernent le mensonge de la Vérité, tôt ou tard, ils connaissent les fausses tromperies du Diable, et rejettent ses mensonges, ou se repentent de les avoir suivis : comme fit Adam : ce qui est un moindre bien que de n’avoir pas écouté les mensonges du Diable. Il eut beaucoup mieux valu qu’Adam n’eût pas écouté les mensonges du Diable, qu’il lui faisait par l’organe du Serpent, que de s’en repentir après les avoir suivis. Cependant le Diable n’a pas encore exercé sa plus grande malice par l’organe du Serpent ; à cause que les effets de ses mensonges furent aussitôt découverts : car il avait promis à Adam qu’il ne mourrait point [9] ; mais qu’il serait comme Dieu : mais Adam se sentit aussitôt saisi et couvert d’un corps mort ; de quoi il eut vergogne, et se voulait cacher de Dieu même pour sa confusion, et vit véritablement qu’il n’était pas devenu Dieu, si que le Diable lui avait mensongèrement fait entendre. Par où se voit que le Diable n’a pas exercé sa pleine malice sur les hommes par le moyen du Serpent, quoi qu’il en ait retenu le nom.

5. Mais il exerce sa pleine malice en se faisant le Singe de Jésus Christ, par lequel moyen il a presque attiré maintenant tout le Monde sous son Empire. C’est pourquoi ce nom d’ANTÉCHRIST signifie la plus noire malice du Diable, à cause qu’elle est couverte et voilée du manteau de Sainteté, voire de Divinité, avec quoi il séduit les plus pieuses personnes et les mieux intentionnées, lesquelles fort difficilement découvriront en temps leurs malheurs, et tardivement se convertiront ; à cause que la malice de laquelle le Diable les trompe est en apparence la plus grande Vertu ; et celui qui se croit aujourd’hui Vertueux est charmé avec les plus grandes malices du Diable, lequel ne peut avoir de nom plus propre que ANTÉCHRIST, qui contient en soi le chef et le capital de toutes ses malices.

 

 

II. Les mieux intentionnés adhèrent au Diable, le servent et adorent en qualité d’Antéchrist, à cause des œuvres qui ont l’apparence de celles de Christ, pendant qu’ils sont possédés d’un Esprit Antéchrestien, opposé à celui de Christ de pauvreté, mépris, souffrance, et humilité, abnégation propre, et de charité.

 

6. C’est de quoi néanmoins les hommes se donnent le moins de garde. Tous ceux qui sont bien intentionnés fuient le Diable, le mensonge, les ténèbres, le Serpent : mais adhèrent insensiblement à l’ANTÉCHRIST, lequel porte toutes ces malices particulières en soi ; mais elles sont couvertes de Sainteté, afin que les hommes ne les aperçoivent nullement : car le Diable n’est jamais sans mensonges et tromperies, non plus que sans ténèbres et erreurs : mais ces choses sont toutes cachées sous le manteau de Vérité et de Justice. Pour cela Jésus Christ a-t-il appelé le Règne de ce perfide trompeur, temps dangereux [10], et nous a tant de fois averti de nous de nous donner de garde des faux Christs et des faux Prophètes [11] : à cause qu’il n’y a pas tant de dangers de se laisser tromper et séduire par des maux apparents, comme il y en a par des maux couverts avec les œuvres de Christ ou les œuvres des Prophètes, lesquelles sont aimées de toutes gens de bien.

7. Ce que le Diable a assez découvert, et vu par expérience que depuis le commencement du monde il n’a rien su gagner sur les hommes de bien par des maux découverts. Mais à la fin il s’est revêtu du manteau de Christ, et en a par ce moyen séduit plusieurs, et séduira tout le reste s’il n’est bientôt découvert par la grande miséricorde de Dieu : car autrement, pas une seule personne n’échapperait de ses pièges, si couleurés de vertus, que les plus gens bien pensent maintenant mal-faire à ne pas suivre l’ANTÉCHRIST, parce qu’ils le regardent et le tiennent aujourd’hui pour Christ même, à cause qu’il imite CHRIST en paroles et en beaucoup de choses extérieures, mais n’a en rien son Esprit intérieur. Ce qui est assez probable par la vie des hommes de maintenant ; desquels plusieurs parlent comme Christ et se disent Chrétiens pour la vie [12], pendant qu’ils ne possèdent dans leurs âmes ni dans leurs volontés pas une seule qualité de l’Esprit de Christ. Car au lieu d’aimer la pauvreté, ils aiment les richesses de ce monde ; et au lieu d’aimer les souffrances, ils aiment les aises et leurs contentements ; et au lieu de vouloir être méprisés, ils désirent d’être honorés ; et ainsi de tout le reste : en sorte qu’on ne saurait voir aujourd’hui un Chrétien qui soit possédé en rien de ses actions du même Esprit comme a été Christ. Et cependant tous se tiennent grandement offensés d’entendre dire qu’il n’y a plus de vrais Chrétiens sur la terre, parce que plusieurs s’estiment d’être des vrais Chrétiens. Que s’ils sortaient hors des ténèbres où le Diable les a enveloppés, ils verraient clairement et confesseraient hautement et véritablement, qu’ils sont des vrais Antichrétiens.

8. Je ne parle que des meilleurs de notre temps : car ceux qui sont dans les tromperies et mensonges, ténèbres ou séductions manifestes, sont les Disciples du Père de Mensonge, de Satan, ou du vieux Serpent, lesquels ont un peu moins de malice, quoi que tout sorte du même Diable : toutefois avec cette différence que ces personnes suivant ces maux manifestes sont plus faciles à se convertir que ne sont ces Antichrétiens, à cause que plus facilement ils découvriront leurs maux et la tromperie du vieux Serpent. Pour cela dit JÉSUS CHRIST, que les méchants et paillards entreront au Royaume des cieux ; et que les Enfants du même Royaume en seront déchassés [13]. Ce n’est pas qu’il veuille dire que les méchants et paillards entreront au Royaume des Cieux en demeurant dans leurs malices ; mais seulement qu’ils se convertiront plus tôt que ceux qui se croient Chrétiens à cause qu’ils en portent le nom, pendant qu’il leur suffit d’être Enfants du Royaume sans qu’ils soient possédés de l’Esprit de leur Père Céleste, lequel disait autrefois aux Juifs : Si vous êtes Enfants d’Abraham, faites les œuvres d’Abraham [14]. Car ce n’est autrement rien d’être Enfants d’Abraham, vu que des pierres Dieu peut faire des Enfants d’Abraham [15] ; c’est à dire, des cœurs endurcis comme des pierres par le péché, il en fera des Enfants de son Royaume par leur contrition, d’où ces Chrétiens de nom, sur la croyance qu’ils sont enfants du Royaume, en seront chassés dehors, parce que leurs vies ont été tout à fait Antichrétiennes. Ce qu’ils n’aperçoivent nullement ; à cause que le Diable leur a aveuglé l’Esprit, leur persuadant qu’ils sont des Chrétiens en possédant le Véritable Esprit du Diable, lequel est couvert du masque de Christ, par lequel masque il se rend inconnu à tous les meilleurs, qui le servent et l’adorent sans le connaître [16], pensants qu’ils sont guidés par l’Esprit de Dieu, lorsqu’ils sont conduits et dirigés par l’Esprit de l’ANTÉCHRIST. S’ils n’avaient pas les yeux bandés par l’ensorcellement, ils verraient bien qu’au fond de leurs âmes il n’y a pas l’humilité de Jésus Christ, ni l’abnégation d’eux-mêmes, non plus que la charité, avec les qualités dont S. Paul la décrit [17]. Mais la première chose que le Diable fait pour séduire les âmes, c’est qu’il les rend aveugles [18], afin qu’elles ne voient pas de quel Esprit elles sont menées. Et dans cet aveuglement il les conduit tous les jours de leur vie par des choses bonnes en apparence, et les conduit à la fin aux Enfers avec lui.

 

 

III. Le Diable Antéchrist règne à présent en esprit ; mais à la fin prendra un corps humain pour consommer son règne malheureux, et assouvir, même par force, son ambition d’être Dieu : mais le Vrai Dieu abrégera les jours, de peur que toute chair, les élus mêmes, ne périssent.

 

9. Tout cela arrive parce qu’on ne sait pas ce que c’est de l’ANTÉCHRIST, et qu’on ne croit pas qu’il règne maintenant dans le monde. Ceux qui se persuadent qu’il sera une particulière personne qui doit venir à la fin du monde pour séduire les hommes, ne se trompent pas en tout point. Car je crois qu’afin de contrefaire Dieu en tout ce qu’il lui sera possible, il prendra aussi un corps humain [19]. Point qu’il ait la puissance, comme Dieu, de se créer un corps : mais par l’entremise de ses Sorciers et Sorcières il peut produire un corps de leur semence, afin par le moyen de ce corps d’opérer ses plus grandes merveilles, et assujettir beaucoup de personnes à soi, même par violence, lorsqu’il ne saura plus séduire par ruses ou tromperies. Cela se fera à la fin du Règne de l’ANTÉCHRIST, lorsqu’il aura perdu l’espérance de se faire adorer comme Dieu de tous les hommes : il contraindra alors ceux qu’il n’aura pas su gagner par ses ruses, et ses poursuivra par force majeure, par armes et guerres extérieures [20].

10. Mais ses cruautés ne seront pas si dangereuses que ses saintetés fausses, avec lesquelles il attrape ceux qui croient être les plus gens de bien, lesquels se méprennent par leur aveuglement, et adorent le Diable au lieu de Dieu, parce qu’il se rend en beaucoup de choses semblables à Dieu. Son nom de Diable ne signifie autre chose que fausse Déité, et est en effet vraiment tel. Car il ne s’est jamais déporté de cette ambition de vouloir être Dieu. Il la continue toujours. C’est le sujet pourquoi il tente les hommes, afin de les réduire sous son obéissance, et de se faire par eux adorer. Il connaît qu’ils ont leurs franches volontés, et sont autant libres de le tenir pour Dieu comme d’adorer le vrai Dieu : c’est pourquoi le Diable s’efforce dès le commencement de la création du monde à tenter continuellement l’homme. Ce n’est pas qu’il croie que la damnation de tous les hommes ensemble puisse soulager son malheur : mais c’est que par leur damnation il veut nourrir son ambition, en se faisant adorer comme Dieu [21], du moins par ceux qu’il gagne à soi et gagnera jusqu’à la fin du monde : car alors son règne cessera. C’est pourquoi il n’entend pas volontiers parler du dernier Jugement, et empêche aussi le plus qu’il peut que les hommes ne croient qu’il approche et est jà venu ; à cause qu’il tombera lors dans un désespoir enragé de ne pouvoir régner sur tous les hommes, vu que plusieurs lui résisteront encore, et voudront adorer le VRAI DIEU, et pas le FAUX DIEU, qui est le Diable.

11. C’est pourquoi il s’efforce plus que jamais, sachant bien qu’il lui reste peu de temps pour tromper les hommes [22]. L’on voit bien que son Empire a fort grand domaine maintenant : car son Esprit de mensonge, de malice, et d’injustice règne par tout le monde universel. Il n’y a plus qu’aucunes âmes particulières qui aspirent après la Bonté, la Justice et la Vérité de Dieu : encore le font-elles imparfaitement, à cause des ténèbres que ce faux Dieu a éparses par tout le monde. C’est pourquoi les jours seront abrégés [23] : car autrement il séduirait tout le reste, et nulle chair ne serait retenue sans corruption, vu qu’il avance journellement à en gagner davantage, et gagnerait les élus mêmes, selon le dire de Jésus Christ, s’il était possible.

 

 

Manifestations de l’Antéchrist.

 

IV. Les élus que l’Antéchrist peut séduire ne sont pas ceux d’une élection absolue qu’on attribue à Dieu, aussi bien qu’une pareille réprobation, par une Théologie en plutôt Diabologie de l’Antéchrist, par laquelle il aveugle et séduit ceux qu’on croit les plus parfaits, et les étoiles du Ciel.

 

IV. Ce n’est pas qu’il y ait des hommes particulièrement élus, lesquels ne pourraient être séduits par cette fausse Déité, puisque tous en général subissent ses tentations. L’on voit cela dans la personne de Jésus Christ même, qui fut tenté par ce Diable [24]. Mais c’est qu’il est si subtil qu’il gagnerait à la fin les personnes mêmes lesquelles de leur libre volonté ont élu et choisi de demeurer fidèles à Dieu. Pour celles-là, le temps sera abrégé. Car si c’étaient des élus nécessités à bien-faire, comme aucuns aveugles veulent se persuader, il ne serait nul besoin que Dieu abrégeât les jours : vu que ces élus absolus n’auraient pas besoin de cette abréviation de jours, en restant élus aussi bien dans un long temps que dans un temps raccourci. À quoi bon, Dieu abrégerait-il les jours pour les élus, s’ils ne pouvaient absolument périr ou être séduits ? Ce qui est une grande tromperie de Satan, de persuader aux hommes, qu’ils sont élus ou réprouvés de Dieu même, lequel ne peut jamais faire aucuns maux, et la damnation d’une seule âme est le plus grand mal de tous les maux, auquel Dieu ne peut jamais entrevenir [25], à cause qu’il est la Source de tous biens [26], exempt de tous maux : en sorte que si Dieu avait fait sur les hommes quelque destin ou prédestination, il les aurait assurément tous destinés à la vie bienheureuse, et nuls à la damnation : car autrement il ne pourrait être Dieu. Et encore bien que le vrai Dieu soit incompréhensible, il est pourtant en essence la source de tout bien, et la privation de tout mal. Mais ce faux Dieu ou cet ANTÉCHRIST séduit les Esprits des hommes par des fausses spéculations pour les faire insensiblement adhérer à lui en se détournant du vrai Dieu, leur faisant entendre que Dieu est partial, et qu’il choisit une personne à salut ; et qu’il est aussi cruel en choisissant l’autre à la damnation : et ainsi de tout le reste. La science avec laquelle on doit connaître les vertus de Dieu sert maintenant à le blasphémer : et ce qu’on appelle Théologie est devenu Diabologie, puisqu’elle ne sert qu’à flatter les hommes dans leurs péchés, et les aveugler au fait de leur salut.

13. Encore sont-ce ceux qu’on estime les plus parfaits d’aujourd’hui qui sont dans ces ténèbres, lesquels croient eux-mêmes être dans la Vérité, voire dans la lumière de Dieu, à cause qu’ils sont dans beaucoup de Vérités plus que les autres, selon la raison même. Mais le Diable ne se soucie pas avec combien de chaînes il tire les hommes à soi. Il ne lui en chaut, encore bien que ce ne serait qu’avec un fil d’or ou de soie : moyennant qu’il les ait sous sa volonté, ce lui est tout un. Il se sert des moyens les plus saints et parfaits pour gagner ceux qui aspirent à la sainteté et perfection : car il sait bien qu’il ne les pourrait gagner par autres voies.

14. C’est par cet artifice qu’il fait tomber les étoiles du Ciel [27], comme Jésus Christ a prédit que les étoiles tomberont du Ciel [28]. Ce n’est pas que ces Astres matériels tomberont dans la terre : car elle ne les saurait contenir, puisqu’ils sont sans comparaison plus grands que toute la terre, laquelle ne serait pas suffisante pour contenir une seule étoile : mais Jésus Christ parle de ces âmes lumineuses comme des étoiles [29], lesquelles excellent en sciences, doctrines, voire en choses mystiques, dans quoi ils brillent comme des étoiles du firmament entre les autres hommes. Cependant on les verra tomber par les pièges que l’ANTÉCHRIST leur dressera insensiblement et sans qu’ils s’en aperçoivent, croyant même que les fines ruses sont des permissions de Dieu, dans lesquelles ils croiront lui rendre service agréable ; qui seront en effet des rets que le Diable tend pour les attraper, sans qu’ils le remarquent, et encore moins les évitent.

 

 

Progrès de l’Antéchrist.

 

V. Fatale incrédulité des hommes touchant le temps de l’Antéchrist. Il règne à présent. Quand il a commencé, et ses progrès de violence et de ruses, par disputes, gourmandise, avarice, et études humaines, qui ont introduit dans tous la corruption et l’erreur.

 

15. Voilà, Monsieur, le triste siècle dans lequel nous vivons à présent, pendant qu’on s’imagine d’en être encore bien éloigné. L’on attend à croire que cet ANTÉCHRIST règne jusqu’à ce qu’on le verra en corps humain : et il sera lors trop tard de le croire : à cause que lui étant soumis en esprit, nous n’aurons aucune force ou vigueur spirituelle pour lui résister ; et le moindre effort qu’il fera sur nous, il remportera la victoire, et gagnera notre volonté, de tant plus qu’elle sera fort affaiblie par les consentements spirituels qu’on lui a donnés auparavant. Il est bien né en corps humain depuis quelques années ; mais il est né en esprit depuis que Jésus Christ est venu au monde [30], et il a commencé à le contrefaire dès qu’il vivait en terre avec ses Apôtres. Ne vous souvient-il pas, Monsieur, qu’il y avait dès lors des faux Prophètes et des faux Christs, lesquels voulaient acheter les dons de faire des miracles pour argent [31], comme Simon le Magicien et autres qui enseignaient au Nom de Christ, et même faisaient des signes extérieurs de Sainteté ? Voyez un peu, Monsieur, comment cet Esprit d’Antéchrist est augmenté et agrandi depuis ; et remarquez s’il n’a pas perverti les choses les plus saintes à son avantage !

16. Il a premièrement induit les volontés des Sages, Scribes et Pharisiens à mettre Jésus Christ à mort, à cause que sa doctrine découvrait la malice du Diable. Il ne se servit pas des méchants découverts, mais des Prêtres et de ceux qui enseignaient la Loi de Dieu au peuple. Par iceux il a fait tuer, pas le corps de Jésus Christ seulement, mais encore ceux de ses Apôtres et Disciples. Mais depuis qu’il a craint que cette Tyrannie ne découvrît sa malice, ou le rendît suspect en quelque chose ; il a usé de fines ruses, se glissant seulement dans les esprits des hommes afin qu’ils ne suivissent nullement la doctrine de Jésus Christ [32]. Et parce qu’il voyait qu’elle était estimée et suivie de plusieurs, il ne l’a pas voulu blâmer directement, mais l’a fait mépriser effectivement ; et a si bien réussi dans cette entreprise, qu’à présent tout le monde méprise par effet la Vie et Doctrine de Jésus Christ, en pensant l’imiter et le suivre.

17. Et pour venir à chef de sa maudite entreprise, il a commencé à semer DISPUTES et questions entre les Disciples de Jésus Christ [33]. L’un disait Je suis de Paul ; et l’autre, d’Apollos, étant en esprit déjà divisés. De là, il a gagné le cœur de plusieurs Disciples par GOURMANDISES [34] et AVARICE [35], mangeant goulûment pour ne pas donner aux frères leurs vivres, ni rendre leurs biens communs pour leur subsistance, si avant, qu’un chacun a commencé à tenir ce qu’il avait. Par où la Charité Chrétienne a commencé à se raffroidir, et l’avarice à posséder le cœur de plusieurs. Et depuis que cet ANTÉCHRIST a eu possession du cœur des Chrétiens par le péché d’avarice, il les a fait tomber d’un péché à l’autre insensiblement, et tout cela sous de bons prétextes, prenant son modèle sur les œuvres et la doctrine de Jésus Christ ; pas pour les faire mettre en pratique, mais seulement pour les faire spéculer et en tirer des gloses et des explications toutes à la faveur du Diable. Et voyant que plusieurs cœurs simples et droits demeuraient constants dans la doctrine de Jésus Christ, il inventa les Études, et fit bâtir des ACADÉMIES, afin de cultiver là les esprits pour inventer des subtiles raisons par lesquelles il pouvait vaincre et gagner à soi les simples et droits de cœur. L’on peut bien clairement voir par les écritures que Jésus Christ ni ses Apôtres ou disciples n’ont pas édifié des Écoles, ni bâti des Universités, ni fait apprendre le Latin ou autre langage à tous ceux qui voulaient se rendre Disciples de Jésus Christ [36] ; mais leur ont appris et inculqué de l’Esprit de Simplicité, d’Humilité et de Pauvreté. Et ces Écoles résistantes à l’Esprit de Christ enseignent la finesse, l’orgueil et l’avarice.

18. Cependant il n’y a maintenant nulles gens de bien qui ne veulent envoyer leurs Enfants à ces Écoles d’ANTÉCHRIST, sous prétexte même que ces études rendront de l’honneur à Dieu. Comme si le même Dieu avait changé de Loi ou d’intention depuis qu’il a envoyé Jésus Christ sur la terre. L’on touche ces Vérités au doigt, et cependant on ne veut pas lever la tête pour regarder d’où vient l’origine de ces nouvelles inventions, mais on suit l’un l’autre la tête baissée à l’aveugle, se persuadant que c’est très bien fait d’envoyer ses Enfants aux études des lettres, quoiqu’on puisse assez voir qu’ils en retournent plus malicieux qu’ils n’y ont été. De quoi le Diable s’éjouit grandement, sachant bien qu’il ne gagnera pas seulement les âmes des étudiants par leurs études, mais qu’ils lui serviront d’instruments pour en gagner plusieurs par leurs doctrines humainement acquises, lesquelles sont inventées par l’Esprit de l’ANTÉCHRIST.

19. Car aussi tôt que le Diable a fait humer à ces jeunes gens le poison des études, il les élève ès dignités, et les fait promouvoir afin d’enseigner au peuple les doctrines du Diable. Car pour enseigner seulement la doctrine de Jésus Christ, il ne faut pas aller dans les Académies des hommes, mais dans les Saintes Écritures, qui sont les Testaments que notre Père Céleste nous a laissés pour faire entendre ses volontés et les choses que nous devons faire et laisser pour lui être agréables [37]. Ces Testaments ne sont pas difficiles à entendre pour les cœurs humbles et soumis à Dieu [38], mais sont grandement obscurs pour les Sages superbes qui avec leurs jugements humains veulent comprendre les choses divines [39]. C’est en quoi ils tirent tant d’erreurs des Écritures mêmes, lesquelles ont fait tant de divisions entre les Chrétiens, tant de Religions diverses, tant de Sectes et d’hérésies. Tout cela ne vient que des études des hommes. Et encore l’on n’aperçoit par que ces études sont inventées par l’Esprit de l’ANTÉCHRIST : comme aussi toutes ces communautés, ces Religions et Églises diverses.

 

 

L’Antéchrist domine ès Églises.

 

VI. L’Esprit de l’Antéchrist règne dans toutes les Églises, communautés, et leurs membres, régis tous par un Esprit opposé à celui de Christ. Que cette corruption est imparable, étant universelle.

 

20. Car je vous prie, Monsieur, de considérer avec moi, pour savoir si vous trouverez bien aujourd’hui dans le monde quelque Église, Secte, ou Communauté, dans lesquels l’Esprit de Jésus Christ domine. Pour moi, je n’ai su jamais trouver autre chose que des corps d’Églises ou des assemblées Politiques, réglées et dirigées par l’Esprit des hommes : cependant que ces Églises se disputent et débattent pour maintenir que chacune d’icelles est la meilleure. Si l’une était moins mauvaise que l’autre, il y aurait bien à s’étonner ; puisque toutes sont sorties des inventions des hommes, et qu’il n’y peut avoir rien de bon s’il ne vient de Dieu [40], et tout ce que Dieu n’a pas édifié sera assurément renversé [41], quoiqu’on le croie bon au jugement des hommes. C’est pourquoi j’attends le renversement de tous ces bâtiments faits de main d’hommes, afin que Dieu en édifie un autre qui ne sera pas fait de mains ni d’esprit d’hommes [42]. Jusques alors je ne saurais voir à quelle Religion ou opinion je me devrais arrêter, pour les voir toutes en général et chacune en particulier fondées sur quelque Esprit erroné, l’une d’une façon, l’autre de l’autre. Si vous me donniez. Monsieur, les Catéchismes ou les fondements de toutes les Religions, Sectes, ou opinions qu’il y a maintenant dans le monde, je vous dirais bien en quoi elles sont en des erreurs, et aussi ce qu’il y a de bon en chacune. Mais je ne suis pas curieuse de savoir tout cela en particulier. Ce m’est assez de voir à mon grand regret en général qu’elles ne sont pas fondées ni appuyées sur l’Esprit de Jésus Christ, mais plutôt sur le vrai Esprit de l’ANTÉCHRIST : comme tout le monde pourra voir si un chacun veut prendre la peine de le considérer avec moi. Les choses sont si manifestes qu’un Enfant les pourra découvrir, et entendre, aussi bien que les Sages.

21. Voyez, je vous prie, s’il y a dans le monde à présent une Église, quelque Religion ou Communauté, dans laquelle l’on aime la pauvreté, comme Jésus Christ a fait ; et si les hommes qui les régissent sont véritablement pauvres d’esprit [43], c’est à dire, qu’ils rejettent de leurs Religions les commodités, les honneurs et les richesses de ce monde, lorsqu’ils les pourraient légitimement avoir et posséder ; puisque Jésus Christ pouvait posséder toutes ces choses en abondance : cependant il les méprise et rejette loin de soi, et appelle S. Pierre Satan parce qu’il lui disait qu’il ne devait pas tant souffrir [44] : en quoi il montre qu’il n’était pas seulement pauvre en la volonté des richesses ou de l’argent du monde, mais qu’il était aussi pauvre des aises de son corps, vu qu’il déchasse arrière de soi son Apôtre parce qu’il souhaitait qu’il n’eût pas tant souffert. Il était aussi pauvre d’honneur, en défendant au Diable de ne pas dire qu’il était le Fils de Dieu [45], et en menaçant saint Pierre qu’il n’entrerait pas en son Royaume s’il ne lui voulait permettre qu’il lui lavât les pieds [46]. Où sont-ils, Monsieur, maintenant, ces hommes, quoique Spirituels, Pasteurs, ou Directeurs des autres, qui soient possédés de cet esprit de pauvreté volontaire, laquelle Jésus Christ nous est venu enseigner, et l’a lui-même pratiquée étant sur la terre pour nous en donner l’exemple ? Cependant que tant de Religions se disent Chrétiennes ou fondées sur l’Esprit de Jésus Christ : quoi qu’il n’y ait en vérité rien de semblable : car au lieu d’aimer la pauvreté, ils aiment tous les richesses ; et au lieu de mépriser les honneurs, ils les cherchent de tout leur pouvoir ; et au lieu d’aimer les malaises et l’incommodité, ou choses pénibles, ils aiment les aises et leurs plus grandes commodités : et avec tout cela, ils s’appellent Apôtres, ou Disciples de Jésus Christ ! Ce qui ne peut venir par une malice humaine. Il faut qu’elle soit Diabolique et accompagnée de quelque charme magique, qui aveugle les entendements pour ne pas voir des faussetés si manifestes et évidentes.

22. Cependant, tout le monde est là-dedans, et personne ne l’aperçoit : car les œuvres des plus parfaits de maintenant sont toutes directement opposées à celles de Christ, et on se persuade par une fausse croyance qu’elles imitent Christ ; du moins, un peu de loin. Ce de quoi il n’y a rien de vraisemblable. Je dis d’entre les plus parfaits : car je ne veux pas m’amuser à parler des péchés et des maux manifestes, à cause qu’un chacun les connaît assez ; mais la fausseté et l’hypocrisie de l’ANTÉCHRIST est encore cachée à tous. L’on voit bien les mauvais fruits qu’il produit par le comportement des hommes ; mais on ne connaît pas d’où vient l’origine de tant de maux. L’on s’imagine qu’il y a eu en tout temps des personnes méchantes. Et même les historiens modernes nous font accroire que le monde a même été pire du passé qu’il n’est à présent, parce qu’ils lisent les histoires de quelques Tyrans ou personnes cruelles, lesquels ont exercé leur furie sur quelques peuples ou personnes particulières. Mais ils ne regardent pas que le mal est maintenant général et universel, point seulement dans les méchants découverts, mais dans ceux qui font profession de vertu et sont appelés le sel de la terre, d’où Jésus Christ demande avec quoi l’on salera la chair lorsque le sel est corrompu [47] ?

23. C’est en quoi je vois qu’il n’y a plus rien à réparer ; parce que la corruption est universelle. Quelque bon Médecin que ce soit ne saurait guérir un membre corrompu d’un corps : il faut qu’il coupe ou fasse tomber la corruption avant qu’il puisse guérir la personne : ainsi en est-il du corps de l’Église de Jésus Christ ; elle ne peut être sainte jusqu’à ce que tous ses membres corrompus soient coupés. L’Église immortelle de Jésus Christ, c’est sa doctrine, laquelle ne périra jamais, parce qu’elle est issue de Dieu [48] ; mais les membres mortels de cette Église sont corruptibles, et y en a eu de tout temps quelques-uns de corrompus [49]. Les hommes se corrompent fort facilement depuis le péché d’Adam : car dès le beau commencement qu’il n’avait encore produit que deux enfants, un Abel était saint, et Caïn corrompu : et ainsi le monde s’est avancé en pis jusqu’à présent. L’on ne peut pas dire avec vérité qu’il y ait encore un Caïn et un Abel, c’est à dire la moitié du monde méchante et l’autre moitié bonne : car tous, en général ont corrompu leurs voies. C’est de ce temps que David dit que le Seigneur a regardé sur toute la terre et n’a pas vu un seul qui fît bien [50] ; et répète, pas JUSQU’À UN, pour mieux exprimer la corruption universelle de tous les hommes en général. Ce qu’on a bien du mal à faire croire aux personnes de maintenant, lesquelles sont montées à un si haut degré d’orgueil qu’elles ne veulent pas reconnaître leur état malheureux dans lequel elles vivent à présent. Cela est une des marques la plus assurée que toutes sont déchues de la droite voie et de la doctrine de Jésus Christ, qui dit de lui-même qu’il n’est qu’un ver, et non pas un homme ; mais l’opprobre des hommes [51]. Mais ces personnes, qui se disent Chrétiennes, voire Lieutenants de Jésus Christ sur la terre, s’estiment plus que des hommes, ne voulant pas être en opprobre à personne, mais élevées sur toutes les nations du monde.

 

 

L’Antéchrist dans les Conducteurs.

 

VII. L’Antéchrist règne dans et par les Conducteurs des âmes, enflés de vaines spéculations, résistants à la vérité, dans leur aveuglement falsifiant la Doctrine de Jésus Christ, séduisant et menant le peuple au chemin large sous la couverture des paroles et des cérémonies extérieures de Jésus Christ.

 

24. Ne voilà pas, Monsieur, le vrai Esprit de l’ANTÉCHRIST qui s’est assis au Trône de Dieu ; vu que Jésus Christ s’est toujours abaissé et humilié, et que ces Chrétiens s’élèvent par la vertu même. Si tôt qu’ils ont appris par lectures ou autre étude quelques belles spéculations de la vie mystique, ils s’élèvent au dessus des autres, et se présument d’enseigner la doctrine de Jésus Christ avant qu’ils aient eux-mêmes appris en pratique la première lettre de l’Alphabet dans la Loi Évangélique : ce qu’ils font assez paraître lorsqu’ils se fâchent d’entendre dire qu’ils ne sont pas des vrais Chrétiens. Ils sont comme Jannes et Mambres qui résistent à la vérité [52] : car s’ils avaient seulement le désir de devenir vrais Chrétiens, ils écouteraient avec joie ceux qui leur veulent dessiller les yeux pour faire voir la vérité du pauvre état de leurs âmes, bien loin de s’en fâcher, ou frapper le Médecin qui les veut guérir. L’on ne peut avoir plus d’assurance qu’ils sont des aveugles que lorsqu’ils disent et croient qu’ils sont des vrais Chrétiens, au même temps que tout le monde peut voir qu’ils sont des vrais Antichrétiens, et des résistants à la vérité de Dieu pour adhérer aux illusions du Diable.

25. Ce n’est pas de merveilles que ces pauvres malavisés se trompent ; parce qu’ils croient être clairvoyants pendant qu’ils sont aveugles. C’est de ceux-là que Jésus Christ parle en disant que s’ils étaient aveugles, ils verraient clair ; mais parce qu’ils disent Nous voyons, ils sont aveugles, et ne cherchent pas remède à leurs aveuglements [53]. Mais parce que le Diable couvre toutes ses tromperies avec des Vertus apparentes et des prétextes de sainteté [54], il les endurcit dans leurs aveuglements, se persuadant qu’on les veut tromper lorsqu’on leur veut faire connaître la Vérité, laquelle est cependant si bonne à découvrir pour celui qui veut ouvrir les yeux de son entendement : car les malices de l’ANTÉCHRIST sont si palpables qu’on les touche au doigt, même avec une raison naturelle. Il est bien vrai que toutes les œuvres de l’ANTÉCHRIST ont quelque couleur des œuvres de Christ ; mais ce ne sont que des fausses teintures, lesquelles se laveront avec l’eau des larmes de ceux qui embrasseront la vraie Pénitence : car au plus fort, l’ANTÉCHRIST ne peut tromper sinon ceux qui veulent bien être trompés [55] : car ceux qui ont mis fermement leurs confiances en Dieu, ils découvriront ses ruses, moyennant qu’ils se détachent de toutes créatures pour adhérer à leur Créateur.

26. Ce qui est bien rare à trouver aujourd’hui, où les Sages ont tellement empiété sur les cœurs du peuple qu’il pense n’y avoir pas de Salut à espérer sinon par la direction des hommes. C’est avec quoi le Diable a trompé la plus grande partie des Chrétiens, lesquels croient maintenant plus à la parole de quelque homme qu’à la Parole de Dieu même [56]. Cela est prouvé par les effets de leurs vies : car encore bien qu’un chacun sache qu’il faut adorer un seul Dieu, ils adorent cependant les hommes qui les enseignent. Car s’ils ne faisaient pas plus d’estime de leurs gloses ou explications que de la Parole de Dieu, ils n’oseraient vivre en repos en désirant les richesses, honneurs, ou plaisirs du monde, comme on voit que tous les Chrétiens vivent aujourd’hui, un chacun s’imaginant que toutes ces choses leur soient permises, puisque leurs Directeurs en font de même, et déclarent « qu’il ne faut pas entendre les paroles de Jésus Christ à la lettre, principalement en ce qui regarde les biens et plaisirs de cette vie, disant qu’il ne faut pas en effet abandonner ses richesses pour suivre Jésus Christ ; mais qu’il faut seulement abandonner l’affection desdites richesses » : et ainsi par un venin bien subtil ils empoisonnent les âmes, et les font mourir éternellement : car en se présumant de n’avoir pas d’affections aux richesses, l’on y demeure tellement attaché, qu’on aimerait quelquefois mieux de perdre la vie que de venir pauvre.

27. Ces nouveaux Directeurs sont les vrais Instruments de Satan [57], lequel s’est servi du passé de l’organe du Serpent pour tromper nos premiers parents par fausses persuasions, et se sert maintenant de l’organe de ces Directeurs pour tromper les plus pieuses personnes. Il tient à soi par ses mauvaises tentations la plupart des hommes, qui consentent à lui de leurs volontés délibérées ; mais ceux qui ne veulent pas consentir au Diable de leurs volontés délibérées y consentent indirectement par l’organe de ces Serpents de notre temps, lesquels font au peuple des belles propositions de salut en vivant dans leurs amours propres, et en nourrissant la chair et le sang, et la convoitise des honneurs et richesses du monde [58]. Ils les mènent par un chemin large, où Jésus Christ en a enseigné un étroit ; et expliquent et colorent si bien les œuvres et paroles de Jésus Christ, qu’ils persuadent aux hommes que le chemin de damnation est celui du salut. Et un chacun les croit à l’aveugle, parce qu’ils les tiennent pour Apôtres ou Disciples de Jésus Christ, sans sonder jusques au fond que leurs doctrines en effet sont directement contraires à la sienne ; à cause qu’ils se servent des mêmes termes et paroles desquelles Jésus Christ se servait étant au monde, et font presque les mêmes choses extérieures ; mais ce ne sont autres choses que des singeries ou morgues contrefaites et étudiées, sans esprit de Justice et de Vérité, ni aucunes autres qualités de l’Esprit de Jésus Christ.

 

 

L’Antéchrist ès sacrements.

 

VIII. L’Antéchrist règne dans le Baptême. Il incite les Chrétiens à la cérémonie extérieure pendant qu’il retient l’intérieur. Quel est le vrai usage et but du Baptême : lequel les Chrétiens n’accomplissant pas, ils sont pires que les Turcs et les non-baptisés.

 

28. Et pour en parler en détail, prenez Monsieur, tout premier le Baptême qu’on enseigne aux Chrétiens pour une chose nécessaire à salut : comme en effet, elle l’est : mais on n’entend pas ce que signifie le Baptême, et on croit qu’un peu d’eau jetée sur le corps d’une personne la fait revivre à Jésus Christ. Ce qui est une grande tromperie [59] : car encore bien que toute l’eau de la mer serait l’eau du Baptême, et qu’une personne y serait engloutie en se baptisant, elle ne serait pourtant sauvée ; parce que nuls signes extérieurs ne peuvent donner le salut ; si que le Diable persuade faussement. Il prend bien les mêmes paroles de Jésus Christ, que celui qui sera baptisé sera sauvé [60] ; mais il ne prend pas le sens et l’Esprit de ces paroles, afin d’amuser le monde par des faux donner-à-entendre et des cérémonies extérieures, comme si Dieu était matériel, et qu’il eût besoin de services ou autres extérieurs ; lesquels en soi ne sont pas mauvais s’ils étaient accompagnés de l’Esprit de Vérité.

29. Car l’homme, étant composé de corps et d’esprit, doit adorer Dieu de corps et d’esprit [61] : pour avoir reçu aussi bien son corps que son Esprit de Dieu, lesquels lui doivent être tous deux également dédiés : mais le Diable a cette subtilité, d’induire même les hommes à se sacrifier à Dieu extérieurement moyennant qu’il retînt à lui l’intérieur de l’homme : à cause qu’il est esprit, et ne prétend par toutes ses tentations autre chose des hommes sinon qu’ils l’adorent en esprit, si que Dieu demande la même chose : car le Diable n’induit pour l’ordinaire les hommes à faire des méchantes actions ; parce qu’il sait bien qu’elles ne pourraient longtemps durer, à cause que le mal extérieur est haï et puni des autres hommes : et par conséquent le Diable ne se peut servir longtemps des personnes naturellement méchantes : par effet, il les retient souvent à mettre à exécution leurs mauvaises volontés : parce qu’il a toutes ses prétentions lorsqu’il a le consentement de leurs volontés : c’est la malice de la personne seule qui fait le reste, et non pas le Diable. Il donne bien le désir de tuer, paillarder, ou dérober, et empêche souvent l’effet de ces choses : parce qu’elles ne lui apporteraient nul profit. Il n’a pas besoin de la vie d’une personne ; parce qu’il est dans la mort éternelle : ni de la chair et du sang ; parce qu’il est pur esprit : non plus aussi d’or ou d’argent ; à cause qu’il ne veut rien acheter que nos âmes, pour lesquelles il fait tous ses efforts de gagner par des mauvais désirs [62], lesquels commettent absolument le péché [63], comme Jésus Christ a lui-même déclaré en disant : Celui qui convoite la femme d’autrui, il a déjà commis l’adultère en son cœur [64] : pour nous enseigner que c’est le seul consentement de notre volonté qui fait le péché, et non pas les actions extérieures, lesquelles sont seulement les témoins des mauvaises ou bonnes volontés que nous portons dans le cœur, mais non pas l’essence du bien et du mal que nous possédons. Car nous pouvons faire beaucoup d’actions mauvaises sans pécher, et aussi beaucoup de bonnes sans être agréables à Dieu.

30. Mais le Diable nous cache ces vérités pour nous tirer à soi par des biens extérieurs lorsqu’il voit qu’iceux nous sont agréables. Il induit tout premier les Chrétiens à se faire baptiser extérieurement ; mais empêche autant qu’il lui est possible que personne ne pénètre ce que c’est du Baptême, et a si bien embrouillé les esprits des hommes sur ce point que les plus sages et pieux croient encore que le Baptême extérieur les lavera, et fera renaître l’Esprit de Jésus Christ en eux. Plusieurs personnes assurent qu’elles sont renées depuis qu’elles sont baptisées ; et cet aveuglement est si grand, que rien ne les saurait faire désister de cette croyance, encore bien qu’on leur montrerait que leur vie est en effet aussi éloignée de celle de Jésus Christ depuis le Baptême qu’elle l’était auparavant icelui, voire encore davantage ; et avec cela demeurent dans l’ensorcellement d’esprit où le Diable les a plongées par la persuasion des Directeurs : elles attendent la mort dans ce faux repos de salut sans aucun véritable fondement : car encore bien que Jésus Christ ait dit : Qui sera baptisé sera sauvé [65], ils n’ont jamais compris ce que signifie être baptisé, ni ce que veut dire Baptême : car être baptisé n’est autre chose qu’être enrôlé en la compagnie des Disciples de Jésus Christ, et le Baptême n’est autre chose qu’un signe extérieur par lequel on témoigne aux hommes qu’on renonce au Diable, au monde, et à ses pompes pour adhérer et suivre Jésus Christ, prenant cet habit blanc extérieur comme la livrée du Seigneur que nous servons, et le témoignage de la blancheur et pureté de nos âmes, voulant publiquement confesser d’être de cœur et d’affection au service de Dieu, à cause que Jésus Christ a dit : Qui me confessera devant les hommes, je le confesserai devant mon Père [66] : en quoi la perfection serait accomplie si les Chrétiens vraiment consacrés de cœur à Dieu suivaient avec affection les traces de Jésus Christ, et qu’aussi ils reçussent le Baptême extérieur pour confirmer devant les hommes qu’ils sont vraiment renés, et ne vivent plus selon la chair, mais selon l’esprit de la Loi Évangélique. Ils seraient alors des vrais Chrétiens devant Dieu et devant les hommes.

31. Mais hélas ! ce ne sont que tous faux témoignages : car on voit que ceux qui sont baptisés vivent aussi sensuellement que ceux qui ne le sont pas ; et adhèrent au Diable, au monde, et à ses pompes aussi bien après le Baptême que devant icelui ; voire bien souvent davantage : car si l’on épluchait de bien près la vie et mœurs des Turcs ou Païens, on les trouverait sans doute bien meilleurs que celles des Chrétiens d’aujourd’hui, auxquels il semble que tous maux leur soient permis à cause qu’ils sont baptisés et portent le nom de Chrétiens : ce qui n’est autorisé que par l’ANTÉCHRIST, qui tire tous les meilleurs à soi, en faisant à croire que les choses extérieures sanctifient les âmes : pendant qu’elles ne vaillent pas un fétu sans la disposition intérieure ; au contraire, ce Baptême, et autres saintetés extérieures, servent de condamnation à ceux qui en usent indignement ; et les Chrétiens seront plus punis en l’autre monde que les Turcs ou Païens, à cause qu’ils sont plus hypocrites et qu’ils n’ont pas accompli la volonté de Dieu selon que Jésus Christ la leur a fait connaître : parce qu’il est écrit que celui qui a connu la volonté de Dieu et ne l’a pas faite sera battu de plusieurs coups ; et celui qui ne l’a pas connue et a fait choses dignes de plaies sera battu de peu de coups [67] : et avec raison et justice : car un Turc ou un Païen ne fait pas tant de mal à aimer les richesses, les honneurs et les plaisirs du monde, comme fait un Chrétien : à cause que personne ne leur a jamais enseigné que la pauvreté, la bassesse, et la mortification de leurs sens sont agréables à Dieu ; et s’ils le savaient, ils suivraient peut-être tout cela avec plus de perfection que n’ont jamais fait nuls Chrétiens depuis les Apôtres : mais par ignorance ils estiment ces choses comme des folies : à cause que la Loi Évangélique ne leur a pas été donnée, ils ne l’ont pu connaître : mais les Chrétiens, connaissant la doctrine de Jésus Christ et les œuvres qu’il a faites pour leur donner exemple [68], vivent cependant tout au contraire, et leurs œuvres démentent leurs croyances [69] ! En sorte qu’ils méritent justement d’être battus de plusieurs coups, de tant plus qu’ils font continuellement des fausses démonstrations de vertu et de sainteté, pour tromper les autres et se séduire eux-mêmes, en se persuadant qu’ils sont des Chrétiens pour ce qu’ils sont baptisés, ou qu’ils se présentent extérieurement devant les hommes à la Table du Seigneur.

 

 

IX. L’Antéchrist domine dans la Cène. Quelle est la vraie essence d’icelle, avec laquelle l’extérieur profite, sans quoi il n’aide ni les méchants, qui y prennent leur condamnation et y commettent quatre sortes de péchés ; ni les bons, qui ne peuvent s’y joindre en compagnie d’âmes défuntes de Dieu. Ce que c’est que Jésus Christ a proprement institué par la Cène, ou ce qu’elle est proprement ; et comment l’Antéchrist l’a pervertie.

 

32. Ce qui se fait par pure hypocrisie. Car la vraie Cène ou Communion n’est autre chose qu’une communion d’Esprit avec Dieu [70]. Que l’âme se recrée et banquette avec son Dieu, cela est la véritable Table du Seigneur, là où l’âme se nourrit et repaît des divines influences qui rassasient l’âme, et lui donnent un dégoût des viandes terrestres et de tout ce qui n’est pas Dieu. Voilà l’essence de la véritable Cène et Communion des Chrétiens. Si cela possède une âme Chrétienne intérieurement, et qu’elle se présente aussi en commun à la Table extérieurement, c’est une abondance, et une communion accomplie devant Dieu et devant les hommes. Mais si la volonté de ces communiants n’est pas unie à la volonté de Dieu, et qu’ils aillent à la communion extérieurement, cela ne leur servira que de plus grande condamnation : parce qu’il est écrit : Qui mange ma chair indignement, il reçoit son jugement [71] : ce qui a paru en Judas, qui était Apôtre de Jésus Christ : il mangea sa condamnation en avalant le pain extérieur : car aussitôt le Diable entra en lui [72], et le fit entrer en désespoir, par lequel il se pendit par après. Si cette communion extérieure sanctifiait les pécheurs, elle eût assurément sanctifié Judas, qui avait tant reçu de grâces de Dieu, et faisait des miracles comme les autres Apôtres. La communion le devait avoir délivré de cette mauvaise tentation en laquelle il était de trahir son bon Maître : mais au contraire, il s’enfonce davantage en sa malice, et prend plus de forces après la Cène pour exécuter son mauvais dessein qu’il n’en avait eues auparavant, et tombe d’un péché à l’autre jusqu’à désespoir. S. Pierre avait aussi communié, et renie son Maître le même jour [73] ; et tous les autres Apôtres ensemble l’abandonnent après avoir achevé la Cène [74], ceux-mêmes qui lui avaient été fidèles auparavant : car S. Pierre avait promis de mourir avec lui, et encore les autres ; mais si tôt qu’ils eurent tous communié, ils tombèrent tous dans la tentation, et rompirent l’union qu’ils avaient eue auparavant avec Jésus Christ par si grande affection [75].

33. Par où se voit que cette Cène extérieure ne donne pas des grâces aux pécheurs, si que les hommes se persuadent ; puisqu’elle n’a pas donné de grâces aux Apôtres mêmes. Cependant tous ces Directeurs enseignent que la communion extérieure pardonne les péchés et remplit les âmes de grâces ; et encore qu’on trouve par expérience tout le contraire, on le veut néanmoins croire pour se flatter dans ses péchés, et afin d’y persévérer plus à repos, sur cette fausse espérance qu’ils seront pardonnés par le moyen de la Communion extérieure. Voilà ainsi que le Diable ensorcelle les esprits par des prétextes de sainteté ! Car une personne qui a été à la Table du Seigneur, elle se présume d’être rentrée en grâce et d’avoir acquis des dons spirituels : pendant qu’intérieurement son âme est autant éloignée de l’union avec Dieu après avoir été à cette Table extérieure peut-être trente ans ou plus, comme le premier jour qu’elle a commencé d’y aller. Cela n’est-il pas triste, Monsieur, qu’on voie véritablement que tant d’âmes périssent, et qu’on ne leur puisse faire voir leur danger par l’opposition que ces Directeurs y apportent ? Ils ferment la porte du Paradis aux autres, et n’y entrent pas eux-mêmes [76] ; parce qu’ils veulent demeurer attachés à ces moyens extérieurs, que le Diable leur fait voir pour des moyens de salut, quoiqu’en effet ils le sont pour la damnation de plusieurs, pour ne pas dire de tous ceux qui s’appuient là-dessus.

34. Car je ne vois personne à qui cette Table extérieure pourrait être profitable. À cause que ceux qui y vont sans avoir l’âme unie à Dieu y reçoivent leur condamnation et commettent plusieurs péchés ; premièrement, de tromperie, témoignant au dehors qu’ils sont unis à Dieu lorsqu’ils en sont bien éloignés ; et commettent le péché d’hypocrisie, en voulant paraître plus saints qu’ils ne sont ; et encore le péché de scandale, en continuant une vie sensuelle, superbe et avaricieuse, mariant cela avec la Communion extérieure : ce qui est une grande injure commise à cette grande Majesté Divine, qu’un paillard et un infâme pécheur prenne la hardiesse d’aller devant tout le monde s’asseoir à la Table avec son Seigneur. Il vaudrait beaucoup mieux demeurer au portail de l’Église et frapper la poitrine, comme fit le Publicain [77], que de s’avancer si proche du lieu Saint effrontément, parés à l’avantage pour être regardés d’un chacun. Sans doute que ces personnes ne seront par là jamais justifiées, non plus que le superbe Pharisien, qui priait vers l’Autel en remerciant Dieu de ce qu’il n’était pas pécheur comme le Publicain [78]. Les bons ne peuvent non plus trouver d’avantage en allant à cette Table extérieure ; parce qu’on s’y doit seulement trouver avec les âmes qui sont unies à Dieu : parce qu’il n’y peut avoir de recréation où il n’y a pas d’union. Dieu ne peut prendre ses délices avec les hommes sinon autant qu’ils sont unis de volonté à la sienne ; et les âmes unies à Dieu ne peuvent nullement s’unir avec des âmes unies à la terre, telles que sont ceux qui se présentent extérieurement à cette Table.

35. Et quoique Jésus Christ ait dit : Faites cela en mémoire de moi [79], il n’a demandé par là autre chose que la Charité et l’union des Chrétiens ensemble avec son Esprit. Car il avait premièrement ordonné que tous les biens seraient communs entre les Chrétiens, et que personne ne garderait rien de propre [80] ; même punissait ceux qui se réservaient quelque chose pour eux-mêmes, si qu’il fit Ananias et Sapphira, lesquels moururent subitement aux pieds de S. Pierre pour avoir voulu garder quelque portion de leurs biens [81], et leur fut demandé pourquoi ils venaient mentir au S. Esprit, qu’ils devaient plutôt garder tous leurs biens, lesquels leur appartenaient : qu’il ne fallait pas venir se rendre en la communion des Chrétiens en demeurant propriétaires. Ne vous semble-t-il pas, Monsieur, que Jésus Christ a voulu recommander cette charité aux Chrétiens, et les rendre tous communs, même au regard des biens temporels, et du boire, et du manger ; et que c’est cela qu’il leur dit par ces mots, en disant : Faites cela en mémoire de moi ?

36. Mais on le prend tout d’un autre sens, et l’on croit qu’il suffit d’aller quelquefois aux Églises, et prendre là quelque morceau de pain. Ce qui est une grande erreur : car la charité est précisément nécessaire au salut [82]. Cette charité doit paraître en ce que tous ces communiants rendent leurs biens communs [83], en sorte que nuls d’iceux n’ait besoin de rien pour l’entretien de cette vie. Mais rien ne se fait de semblable : car un chacun tient ce qu’il a et tâche d’amasser encore davantage, et la charité est si refroidie [84] qu’on ne la sait plus voir entre les Chrétiens. Il n’y a plus qu’un amour charnel, qui regarde la chair et le sang, les parents, alliés, ou amis : pour le reste, qu’ils périssent de nécessité, ou non, personne ne s’en soucie : car on pense d’avoir satisfait à Dieu à manger ensemble un morceau de pain en sa mémoire.

37. Ce sont des tromperies si ouvertes qu’il serait impossible de ne les pas découvrir n’était que le Diable bande les yeux de l’entendement de tous les hommes. Car qui pourrait autrement se persuader que Dieu serait servi, ou que Jésus Christ serait imité en mangeant un morceau de pain extérieur ? Dieu, qui veut entièrement notre cœur et notre amour [85], et qui dit qu’il ne veut pas de sacrifice, mais la miséricorde [86] ? Et Jésus Christ nous donne pour la marque assurée que nous sommes ses disciples quand nous nous aimerons l’un l’autre. À cela, dit-il, l’on connaîtra que vous êtes mes Disciples [87]. Mais ces nouveaux Directeurs ont trouvé une doctrine toute contraire ; laissant l’amour, la miséricorde et la charité en arrière [88], ils apportent pour tous moyens de salut des cérémonies extérieures, enseignant qu’il faut être baptisés d’eau, et qu’il faut se trouver à la Cène en mémoire de Jésus Christ, quoiqu’ils oublient eux-mêmes l’Amour qu’il nous a enseigné et la charité entre les frères ; et aussi, que le Baptême est une obligation de suivre les œuvres et la doctrine de Jésus Christ [89]. Ils laissent toute la substance en arrière, et se tiennent seulement aux signes ou figures extérieures.

 

 

L’Antéchrist dans les prières.

 

X. L’Antéchrist règne dans les prières. Quelle est la véritable Prière. Quelle est celle de l’Esprit de l’Antéchrist, laquelle, avec les mêmes paroles que celles des Saints, n’est devant Dieu que compliments menteurs, trompeurs, et étudiés, qui tuent l’âme.

 

38. Car s’ils enseignent qu’il faut prier Dieu, ce n’est qu’avec des paroles ou des chants de Psaumes, ou bien des spéculations d’esprit. Cela vient de ce qu’ils ne savent pas ce que c’est la PRIÈRE, et pensent qu’elle consiste en des oraisons écrites sur quelque papier : pendant que la prière n’est autre chose qu’un entretien d’esprit avec Dieu. Ces personnes qui chantent ou qui lisent sont souvent d’esprit éloignées de Dieu, et cependant l’on avoue tous leurs chants et leurs oraisons pour des bonnes prières, encore qu’il n’y eût rien de semblable ; à cause que personne ne comprend qu’il n’y peut avoir d’autres prières que celles qui se font par un entretien d’esprit avec Dieu, ou en le louant en son esprit, ou le priant pour avoir ses grâces, ou bien le remerciant des grâces reçues [90]. Voilà en quoi consiste la prière ; car si elle consistait en chants, en paroles, ou lecture, Jésus Christ ne nous aurait pas dit qu’il faut toujours prier et jamais cesser [91] ; puisqu’il serait impossible qu’une personne parlât, lût, ou chantât toujours : car elle a besoin de boire, manger, reposer, et faire les autres choses nécessaires qui sont incompatibles avec des paroles ou des spéculations de prières continuelles ; et Dieu ne demandera jamais rien qui sera impossible à notre nature [92]. La prière donc continuelle que Dieu demande des Chrétiens est une élévation d’Esprit continuelle de son cœur à Dieu en toutes les choses dont l’homme peut avoir à faire dans le monde [93] ; que l’esprit regarde toujours droit à Dieu pour faire en toute chose ce qui lui sera agréable, ne voulant rien que sa seule volonté, soit en boire, en manger, en dormir, en travailler ; et tout le reste : que notre esprit soit toujours élevé à Dieu pour lui offrir toute chose, ou le remercier de ses dons et grâces.

39. Voilà la véritable prière, précisément nécessaire à salut ; et non pas les paroles, les chants ou les spéculations qu’enseignent nos Directeurs : parce que toutes ces prières extérieures se pourraient bien faire par nous jours et nuits sans que nous fussions pour cela agréables à Dieu : car le S. Esprit dit quelque-part : Ce peuple m’adore du bout des lèvres, et son cœur est bien loin de moi [94]. L’on peut voir cela de ses yeux de chair en la pratique d’aujourd’hui : lorsqu’on regarde ces personnes chanter aux Églises, ils témoignent d’avoir plus d’égard aux mots ou à la voix qu’à la signification des paroles.

40. On pourra alléguer, pour couvrir ces fourbes, que le Prophète David a lui-même chanté et prié extérieurement ; mais l’on ne remarque pas d’où venait son chant et ses paroles extérieures : car elles sortaient assurément du profond de son cœur et du plus intérieur de son âme [95]. Ce n’étaient pas des tons étudiés ou formés par l’air ; mais des paroles produites dans l’élévation de son esprit à Dieu. Il ne parlait pas des choses étudiées au dehors, mais des purs sentiments de son âme. L’on voit cela dans les divers Psaumes qu’il a faits selon l’état dans lequel il se trouvait : car après qu’il eût connu son péché, ce ne sont que soupirs et regrets qu’il prononce pour demander miséricorde à Dieu ; et lorsque son âme voit les grandeurs de Dieu, ce ne sont que chants d’allégresse et de louanges : et ainsi de toutes les autres dispositions intérieures. Il sortait de sa bouche ce de quoi son cœur était rempli ; et de l’abondance de ses sentiments intérieurs il formait des voix et des paroles, pour exprimer les sentiments que son cœur possédait. Mais nos prieurs et chanteurs ne savent et n’entendent le plus souvent ce qu’ils disent, et n’ont pas un seul sentiment de tout ce qu’ils chantent ou prient. Ce ne sont que des singeries, comme tout le reste ; pendant qu’ils présument d’être bien dévots lorsqu’ils se sont trouvés aux Églises, ou ont chanté quelques Psaumes, ou autres prières : le Diable amusant ainsi les hommes de bonne volonté, en leur donnant un faux repos de conscience afin qu’ils n’apprennent jamais véritablement ce que c’est de prier Dieu, croyant que c’est assez d’avoir jeté au vent des voix et des paroles.

41. L’on traite avec Dieu comme les hommes traitent maintenant l’un avec l’autre ; plus de cœur fidèle et sincère ; mais de beaux discours et de compliment. L’on dit Votre Serviteur souvent à celui pour qui l’on ne voudrait pas démarcher un pas pour le servir ; et aussi tous les compliments ne sont rien autre chose que des faussetés et des mensonges et tromperies. Ce mal est venu si avant, qu’on use des mêmes faussetés, mensonges et tromperies à l’endroit de Dieu même. On l’entretient de bons discours étudiés, ou des mêmes paroles que les Prophètes et Saintes âmes ont usé ; et les cœurs ont toutes des autres volontés que n’avaient ces Saints Personnages : ils n’ont pas quelquefois une seule pensée semblable, quoiqu’ils disent les mêmes paroles. Voilà ainsi que nous pensons tromper Dieu ; mais nous trompons seulement les hommes et nous-mêmes : car Dieu sonde les reins, et examine les consciences [96], et n’écoute pas à nos paroles, sinon lorsqu’elles sortent de l’abondance de notre cœur, de nos sentiments, et de notre volonté [97] ; autrement nos oraisons ne sont rien plus que le chant des oiseaux, le bêlement des moutons, ou l’aboi des chiens : voire beaucoup pires. Car je n’oserais exempter de péché ces oraisons faites à Dieu par routines et sans avoir son cœur élevé à lui ; parce que la plupart des paroles de ces oraisons sont des mensonges [98]. Nous disons quelques fois, comme David, que nos cœurs aspirent à Dieu nuit et jour [99] ; et nous ne l’avons peut-être pas fait une seule fois en notre vie. Nous disons d’aimer Dieu de tout notre cœur, pendant que n’avons en effet autre amour que pour nous-mêmes : et ainsi de tout le reste. Si l’on examinait tous les mots de nos oraisons, je crois que l’on trouverait assurément que toutes, ou la plupart, sont des vrais mensonges [100]. Et si le S. Esprit dit que la langue qui ment tue l’âme [101], combien d’âmes peuvent avoir tuées ces prières fausses ? Elles font pour le moins ce mal, que de donner aux hommes un faux repos, en croyant d’avoir satisfait à Dieu lorsqu’on a achevé un nombre de prières [102] : comme si Dieu était Marchand à compte, ou qu’il se plût en des beaux discours, comme les personnes qui sont volontiers flattées ou exaltées de parole.

 

 

XI. Comment l’Antéchrist pousse les hommes à prier à leur perdition ; et fait de la très parfaite prière de Jésus Christ un culte de l’Esprit de l’Antéchrist, la rendant une prière injurieuse à Dieu, fausse, illusoire, damnable et insensée.

 

42. Certes, Monsieur, ce sont des grandes tromperies et aveuglements que le Diable a semées par tout le monde pour gagner à soi les plus gens de bien par des apparences de prières et saintetés. C’est un véritable ANTÉCHRIST qui contrefait les œuvres de Christ en apparence, et les détruit par l’effet. Il enseigne la prière aux hommes, mais leur en dérobe l’Esprit. Il leur avance des oraisons mortes après leur avoir formé une foi morte ; et ainsi les fait périr avec plus de subtilité qu’il ne fit tomber nos premiers parents par l’organe du Serpent ; parce que ce même Diable est vieilli dans l’expérience de séduire les hommes par leurs propres inclinations ; et ceux qu’il voit portés à l’oraison, il les induit à en faire beaucoup, afin de ne pas donner de loisir à leurs esprits de s’élever à Dieu. Le S. Esprit nous enseigne de ne pas faire nos oraisons par multitudes de paroles, puisque Notre Père Céleste sait de quoi nous avons de besoin sans parler [103] : mais le Diable étouffe cette vérité, et nous donne quelque certaine satisfaction en beaucoup de prières qui ne sont pas véritables devant Dieu, mais plutôt des injures que l’on lui fait.

43. L’on l’appelle Notre Père qui es ès Cieux, pendant qu’on n’a autre confiance qu’aux Créatures, ou sur les biens de ce monde, dans lequel on voudrait toujours demeurer, moyennant d’y vivre en prospérité, l’on n’aspirerait guères au Ciel. L’on dit que le Nom de Dieu soit sanctifié, pendant qu’on tire l’honneur à soi, et qu’on sanctifie soi-même par des fausses vertus : car sitôt qu’une personne a reçu quelques lumières de Dieu, il s’estime saint, quoique bien souvent toute sa vertu ne consiste qu’en des belles spéculations, ou des vertus extérieures, plus morales que divines. Par où on voit qu’ils ne souhaitent pas véritablement que le nom de Dieu soit sanctifié, si qu’ils le disent de paroles ; non plus aussi que son Royaume nous avienne : car on voit par effet qu’un chacun tâche de régner en ce monde, et d’y prendre autant de plaisirs qu’on en a d’occasions et de commodités, sans posséder ce vrai désir du Royaume de Dieu : car je crois pour vrai que s’il n’y avait pas d’enfer, et qu’il donnât aux hommes leurs délices en cette vie, que fort peu de personnes désireraient un autre Royaume : en sorte que c’est mentir en effet de dire à Dieu que son Royaume nous avienne : et encore est-ce un plus grand mensonge de lui dire que sa volonté arrive ici en la terre comme au Ciel : car aussitôt qu’il arrive quelque chose de contraire à nos desseins, nous sommes alarmés, et cherchons toutes sortes de moyens pour faire arriver notre volonté, sans se soucier si elle est conforme à celle de Dieu, ou non. C’est assez que nous soyons satisfaits en ce monde, où nous ne sommes pas quelquefois résignés à la volonté de Dieu en choses qui nous sont les plus salutaires. Nous disons de bouche à Dieu que sa volonté soit faite, pendant qu’en effet nous ne voulons avoir autre chose que l’accomplissement de la nôtre, en s’efforçant autant qu’il est en nous que tout le monde acquiesce à nos désirs et à notre volonté. Par où se découvre le mensonge de notre demande, que la volonté de Dieu soit faite en la terre comme au Ciel ; puisqu’au Ciel tout est uni à la volonté de Dieu et que notre volonté propre y est si opposée en ce monde, où nous devrions véritablement souhaiter que sa volonté fût faite dans nos personnes et dans toutes les autres créatures tout de même qu’elle s’accomplit par les Anges et par les bienheureux dans le Ciel.

44. Nous prions encore Dieu qu’il nous donne tous les jours notre pain quotidien, cependant que nous travaillons afin d’amasser des richesses pour l’avenir [104], sans se vouloir aucunement attendre à la Providence de Dieu ; mais plutôt sur nos trésors, sur nos forces ou sagesse ; ou sur nos amis ou parents. En sorte que nous demandons à Dieu ce qu’en effet nous ne voulons point attendre de lui : ce qui semble être une vraie moquerie, de prier Dieu tous les jours qu’il nous donne le pain quotidien, et ne point cesser d’épargner des richesses pour l’avenir, sans se vouloir attendre un seul jour sur la prière que nous faisons à Dieu, mais s’efforcer à gagner toujours davantage, craignant que le pain quotidien nous manquerait en vieillesse. Et il semble que jamais on ne fasse réflexion sur la prière que nous faisons journellement à Dieu selon que Jésus Christ nous l’a enseigné dans le Pater, qui est la plus parfaite de toutes les prières, à cause que toutes les demandes nécessaires que nous devons faire à Dieu y sont contenues, tant pour notre corps que pour notre âme et salut éternel.

45. Les mots de notre Pater contiennent en sens parfait toutes les choses que nous pouvons demander à Dieu pour le temps et pour l’éternité : sur quoi nous ne faisons assez de réflexion. L’on nous apprend les mots si qu’on fait aux papegais ; et nous continuons à les dire tous les jours de notre vie sans jamais entendre ce que nous demandons à Dieu. Ce n’est pas sans sujet que nous ne les avons pas obtenus, et ne les obtiendrons pas aussi longtemps que ne savons ce que nous demandons. Il fut dit par Jésus Christ à la Mère des fils de Zébédée qu’elle ne savait ce qu’elle demandait, lorsqu’elle priait que ses deux enfants fussent assis au Royaume des Cieux, l’un à la droite et l’autre à la gauche de Jésus Christ : mais elle ne savait pas ce que c’était du Royaume des Cieux, ni comment on y entrerait [105]. Elle pensait demander de l’honneur, de la joie et du repos pour les deux fils ; et elle leur demandait des mépris, des souffrances, et des persécutions : à cause que personne ne peut entrer au Royaume des Cieux que par cette voie de souffrir et pâtir : à quoi cette bonne Mère ne faisait pas de réflexion ; mais regardait seulement aux honneurs et plaisirs qu’il y pouvait avoir d’être au Royaume des Cieux avec Jésus Christ.

46. Tous les hommes d’aujourd’hui en font de même, en demandant dans le Pater que le Royaume de Dieu leur avienne. Ils ne sont pas disposés à boire le Calice des souffrances, ni cheminer par la voie étroite que Jésus Christ a frayée, non plus que de renoncer à eux-mêmes ; et cependant ils demandent que le Royaume de Dieu leur avienne ! comme s’ils voulaient faire Dieu injuste et menteur, en disant par Jésus Christ que celui qui ne se convertit et ne devient comme un petit enfant, qu’il n’entrera pas au Royaume des Cieux [106] : chacun veut être grand dans le monde, et demande la droite ou la gauche ou Royaume des Cieux, lequel ne sera donné qu’aux petits, et à ceux que le Père a mis en sa préséance. Or cette préséance est expliquée lorsque Jésus Christ dit qu’il bénit son Père de ce qu’il a caché les choses de ce Royaume aux grands et sages, et qu’il les a révélées aux petits, et l’avoue en disant qu’il soit ainsi, Père, parce que ton bon plaisir a été tel [107]. Ne voyez-vous pas, Monsieur, que les hommes ne savent pas ce qu’ils demandent en leur Pater lorsqu’ils disent : Ton Royaume nous avienne ? pendant qu’ils cherchent encore de régner et jouir dans ce monde. Ce sont deux choses qui se contredisent directement, et voudraient rendre Dieu injuste en donnant le Royaume des Cieux aux personnes qui veulent régner dans ce monde, où Jésus Christ n’y a fait que pâtir et peiner. Ainsi en est-il dans toutes les autres pétitions ou demandes du Pater. Il n’y a rien que nous demandions de cœur véritablement. Ce ne sont que des paroles fausses ; et à juste raison dit le S. Esprit que tous les hommes sont menteurs [108] : puisqu’ils mentent bien à Dieu même en disant leur Pater.

47. Parce qu’on voit par effet qu’ils prient Dieu de leur pardonner leurs offenses comme ils pardonnent à ceux qui les ont offensés, cependant qu’ils gardent inimitié contre leurs propres frères : et s’il leur a dit ou fait quelque chose contre leur volonté, ils épient l’occasion de l’affronter et nuire, ou du moins ne lui font aucune amitié et le rejettent de leurs conversations. Or si Dieu accordait leurs prières, en leur pardonnant comme ils pardonnent à ceux qui les ont offensés, ils n’entreraient jamais en Paradis ; parce qu’il faudrait que Dieu les haït, ou du moins, les privât de sa divine présence, si qu’ils privent ceux qui les ont offensés de leurs conversations et de leurs amitiés. Si Dieu ne nous donne par grâce et faveur le Royaume des Cieux, nous ne le pouvons jamais avoir ni mériter. Et en priant qu’il nous pardonne comme nous pardonnons aux autres, nous lui demandons qu’il nous prive de toutes ses faveurs et ses grâces : à cause que nous privons de nos faveurs et de nos grâces ceux qui nous ont offensés, ne les voulant bénéficier en aucune chose. Cela se fait par les plus pieuses personnes, qui retirent leurs faveurs des personnes qui les ont offensées : car ceux qui ne font pas profession de vertu ne cessent pas seulement de faire grâces et faveurs à leurs ennemis, mais les haïssent ou persécutent ; sans faire réflexion qu’ils demandent tous les jours à Dieu d’être de lui haïs et persécutés, en demandant qu’il leur pardonne en la même façon qu’ils pardonnent à ceux qui les ont offensés.

48. En quoi l’on voit le grand aveuglement que le Diable a jeté dans les entendements de tous les hommes de maintenant, lesquels n’ont plus assez de lumière pour faire une seule demande à Dieu qui leur soit salutaire, ou une prière pour obtenir ses grâces : car le sens de la plus parfaite Oraison, qui est le Pater, que Jésus Christ même nous a enseigné, est tout corrompu dans leurs entendements, et n’ont retenu que des paroles trompeuses. Car nous lui demandons aussi de n’être pas induits en tentation, pendant que l’on demeure, voire on se plaît, dans les occasions du péché. L’un se plaît dans les négoces pour y nourrir son avarice ; l’autre se plaît dans les états ou grandeurs pour y nourrir son ambition ; l’autre dans les friandises pour y nourrir sa gloutonnie : celui-ci se plait dans les études pour être estimé savant : cet autre se plaît dans les choses mystiques et spirituelles pour être estimé saint : et ainsi de toute autre chose : un chacun se délecte dans l’objet qui l’incite à pécher ; comme un luxurieux se plaît à converser les beaux visages qui l’incitent à luxure. Et cependant l’on demande à Dieu pour n’être pas induit dans la tentation au même temps que nous nous y induisons de notre propre volonté, résolus à ne pas quitter les occasions qui nous font tomber dans la tentation ! C’est tout de même que si nous voulions entrer dans un grand feu et prier Dieu qu’il nous conserve de ne pas être échaudés ou brûlés. Si nous faisions des semblables demandes aux hommes comme nous faisons à Dieu, un chacun penserait que nous sommes des fous ou perdus de jugement et raison. Cependant nous traitons ainsi avec Dieu sans honte, en croyant même que nous l’honorons par nos folles demandes, en disant qu’il nous délivre de tout mal pour la conclusion pendant que nous ne voulons pas nous délivrer des maux qui sont en notre puissance.

 

 

L’Antéchrist dans les entendements.

 

XII. L’Antéchrist règne dans les Entendements, qu’il détourne de s’informer de la vérité, laquelle est maintenant semée par A. B. pour accomplir pleinement la Parabole de l’Évangile. Mais l’Antéchrist ensorcelle et tient les âmes, les attachant à des extérieurs qui leur donnent un faux repos, et qui couvrent sa malice et celle des hommes.

 

49. L’on voit assez par toutes les vérités ci-dessus que nous sommes déchus de la Justice [109], et que nos meilleures ou plus saintes actions sont des maux et des péchés devant Dieu [110]. Cependant, personne ne s’en veut délivrer, l’on aime mieux de perdre Dieu que de perdre l’idole qu’un chacun s’est fabriquée selon son inclination, ou sa fantaisie. Si l’on dit aux plus dévots d’aujourd’hui que l’Esprit de l’ANTÉCHRIST a établi dans la Chrétienté tous ces services de Dieu extérieurs, comme les aller aux Églises, aux prières, à la Cène, et le reste, l’on s’y opposera avec opiniâtreté, l’on y voudra demeurer attaché, sans vouloir seulement prendre la peine de sonder ou approfondir les causes et sujets qui nous font demeurer dans le mal, pendant que si souvent nous avons demandé à Dieu d’être délivrés de tous maux. Il en veut délivrer les hommes en leur faisant voir les causes et l’origine de tous leurs maux, afin qu’il les en puisse délivrer ensuite de leurs demandes ; mais ils ferment les yeux et les oreilles pour ne pas voir et entendre les vérités que Dieu leur manifeste [111], quoiqu’elles soient si claires, si raisonnées, et si ouvertement déduites que personne ne pourra plus trouver cause d’ignorance après que Dieu aura si manifestement découvert l’ANTÉCHRIST, point seulement par des révélations secrètes, des songes ou visions, mais aussi par des effets et des raisonnements si avérés que personne n’y peut contredire qui a le cœur droit : mais pour les méchants qui sont du parti de l’ANTÉCHRIST, qui sont liés au Diable par pacte tacite ou précis ; ceux-là tâcheront de couvrir la malice de leur faux Maître sous des matières d’État, ou des pieux prétextes, mais ne pourront pourtant changer la vérité, laquelle sera toujours véritable quoi qu’on lui contredise.

50. Je ne suis point envoyée pour chercher ou enseigner personne, mais je suis sortie de la solitude pour semer la parole de Vérité [112]. Si cette semence tombe dans des âmes bonnes, elle portera du fruit au centuple ; mais si ces vérités tombent sur des âmes endurcies à suivre leurs propres volontés et inclinations, comme des pierres, ces vérités sécheront en elles, quoiqu’elle leur paraîtra d’abord bonne semence, elle ne produira pas son fruit faute d’humeur de bonne volonté ; et si ces vérités tombent dans des âmes bonnes, lesquelles veulent néanmoins demeurer attachées aux biens et commodités de cette vie, la semence de cette vérité étant levée dans leurs âmes, elle sera par après suffoquée par les sollicitations des affaires temporelles ; et si ces vérités tombent dans des âmes qui sont ouvertes à tout le monde et veulent plaire aux hommes et servir à deux Maîtres, cette semence de vérité sera froissée en eux par les pensées extravagantes qui passent dans leurs esprits et foulent aux pieds les vérités de Dieu pour adhérer aux arguments et raisonnements des hommes ; et par ce moyen les Diables, qui voltigent autour comme un oiseau de nuit, emportent cette bonne semence.

51. Voilà ainsi que cette belle vérité, qui vient de Dieu, ne peut porter de fruit par toutes les personnes, qui sont comme la terre où elle sera jetée, à cause de l’empêchement ou indisposition qu’elle trouve dans la terre de leurs âmes. Ce qui est bien lamentable : à cause que Dieu ne force personne [113]. Il fait bien à tous, comme  il fait luire le Soleil sur les bons et les mauvais [114] : il envoie aussi la lumière de vérité à tout le monde [115] ; mais le mal est que si peu de personnes la veulent recevoir : plusieurs aiment mieux se laisser ensorceler l’esprit pour croire au mensonge et aux œuvres de l’ANTÉCHRIST [116] ; à cause qu’il séduit sous belles apparences. Il n’est pas seulement assis au Trône de Dieu dans les Églises matérielles qu’on appelle le Temple de Dieu, mais il a son plus grand domaine dans les âmes par les choses les plus saintes, comme, la Prière, les Sermons, le Baptême, la Cène, et le reste. Ce n’est pas de merveille qu’il tire par ces moyens les âmes bien-intentionnées, qui prennent ces choses comme des moyens pour aller à Dieu, sans s’apercevoir du mal et venin que Satan a caché sous ces choses, bien qu’il n’y aurait autre mal que la persuasion qu’il fait croire aux hommes, que là-dedans consiste le service de Dieu ; et les fait vivre au surplus en repos de leur salut, comme s’ils avaient tout satisfait par ces cérémonies extérieures, lesquelles le Diable n’empêchera jamais, moyennant qu’il puisse retenir les effets intérieurs que ces choses doivent opérer dans les âmes. Il laissera librement baptiser, moyennant que le cœur ne soit pas véritablement dédié à Dieu et engagé à l’imitation de Jésus Christ : à cause qu’il sait fort bien que l’eau extérieure ne purge pas l’âme qui se veut souiller dans les délices de ce monde : encore bien qu’elle ne prendrait en toute sa vie autre boisson que la seule eau du Baptême, cela ne lui servira que de plus grande condamnation, pour avoir abusé et s’être prévalu des choses saintes. De même en est-il de la Cène : car le Diable même incite ses Sorciers d’y aller souvent, selon le rapport que m’en ont fait plusieurs, disant que les Diables les induisent toujours d’aller souvent aux Églises et à la Table du Seigneur, et autres pieux exercices, afin que leurs malices ne soient sitôt découvertes. Si ces services de Dieu extérieurs attiraient quelques grâces de Dieu dans les âmes, sans doute que le Diable n’aurait garde d’inciter ses sorciers à les pratiquer.

52. Et si l’on ne veut pas croire que le Diable induit aussi d’aller aux Églises et à la Ste Table, parce que les Sorciers mêmes le disent, il ne faut que remarquer par expérience ce que tout le monde peut voir de ses yeux, que les méchants et personnes mal-vivantes vont aussi bien aux Églises que les autres, voire quelquefois davantage, à cause que ce manteau de service de Dieu couvre leurs plus grandes malices, et le Diable sait assurément qu’encore bien qu’une personne ne mangerait en toute sa vie autres choses que le pain de la Sainte Table, que néanmoins elle ne serait en rien moins méchante, et n’aurait pour cela un seul grain de Vertu davantage. Et si avec cela la personne était jour et nuit dans les Églises, chantant Psaumes, ou autres prières et oraisons, elle n’aurait pourtant le cœur plus élevé en Dieu, qui veut être servi en Esprit et en Vérité [117] : ce qui manquant à la personne, tout le reste ne lui servira de rien, quoique toute la vie serait employée dans les bonnes œuvres extérieures : à cause que Dieu n’a besoin de ces services [118] ; mais veut avoir notre Amour et notre Cœur [119] : ce que lui dénions le plus souvent, et croyons qu’il s’amusera avec nos œuvres extérieures. En quoi nous nous trompons grandement ; car Dieu est Esprit, et veut être servi en Esprit. Ce que le Diable sait assurément, pour cela laisse-t-il agir les hommes en autant de bonnes actions qu’il leur plaît, moyennant qu’il puisse retenir leurs cœurs en l’amour d’eux-mêmes, ou de quelques autres créatures. Cela lui suffit pour sa part : parce qu’il est assuré d’avoir l’âme de celui qui n’aime pas Dieu de tout son cœur [120].

 

 

L’Antéchrist dans les cœurs.

 

XIII. L’Antéchrist règne dans les cœurs, d’où il a banni l’Amour et la charité nécessaire à salut, que les hommes pensent de posséder, avec un Esprit Chrétien, pendant que l’Antéchrist a porté leurs affections aveuglément à des extérieurs de Sainteté apparente, que Christ et ses Apôtres n’ont pas même pratiqué de la même manière : comme sont les Temples, la Cène, les prêches continuels et fixes, faits avec parades et éloquence, et qui ne font que flatter, et que falsifier la Vérité.

 

53. Cela est le premier et plus grand commandement, mais le moins observé, à cause que cet Amour est une passion intérieure que les hommes ne découvrent que par les œuvres que cet Amour produit. Il n’y a que Dieu qui connaisse véritablement si nous l’aimons [121] : car le Diable nous persuade souvent que nous aimons Dieu, lorsque nous n’aimons que nous-mêmes ; et fait si bien expliquer les Sages et si bien gloser sur ce commandement, qu’il semble maintenant être changé ou annulé. Car s’il y avait encore dans les cœurs des hommes quelque Amour de Dieu, on en verrait les effets par l’amour du prochain [122] ; parce que la charité consiste à aimer Dieu de tout son cœur, et son prochain comme soi-même : ce qu’on ne voit plus se pratiquer en notre siècle ; où personne ne souhaite l’honneur, les richesses et plaisirs pour son prochain comme l’on fait pour soi-même : à cause que la charité est tellement refroidie, que celui qui maintenant ne hait pas son prochain ou ne lui fait dommage est tenu pour très homme de bien : et encore semblables personnes sont rares à présent, où chacun vise à son propre intérêt, et ne se soucie du dommage d’autrui. Ce lui est tout un si un autre a des pertes moyennant que lui ait le gain ; ou si un autre est en tristesse ou déshonneur, moyennant qu’on soit soi-même en honneur et plaisirs. Cet endurcissement de cœur est venu si avant, qu’on tiendrait pour folie de souhaiter du bien à son prochain comme à soi-même.

54. Par ou l’on voit assurément qu’il n’y a plus de charité entre les hommes, et par conséquent plus d’amour de Dieu dans les cœurs. Cependant un chacun se promet le salut, et se croit vrai Chrétien ; comme si Dieu était changé et la Loi Évangélique retournée. S. Paul dit qu’on ne peut être sauvé sans la charité [123] ; et Jésus Christ dit que celui qui ne renonce à tout ce qu’il possède ne peut être son Disciple [124] ; et Dieu commande que nous ayons à l’aimer de tout notre cœur [125]. Mais nous ne faisons nulles de ces choses, et voulons être sauvés et être Chrétiens, et disons de garder les commandements de Dieu. En tout quoi nous mentons au S. Esprit : en sorte que si Dieu permettait que les hommes mourussent subitement sitôt qu’ils mentent au S. Esprit, comme firent jadis Ananias et Sapphira aux pieds de S. Pierre [126], l’on ne pourrait maintenant plus marcher sur les rues pour les corps morts qu’il y aurait. Car le péché que fit Ananias et Sapphira en mentant à S. Pierre ne pouvait être si grand comme les mensonges que font maintenant continuellement au S. Esprit les hommes : parce que le mensonge fait à S. Pierre ne regardait que les biens temporels ; mais les mensonges des hommes d’aujourd’hui regardent les biens éternels ; et ne se font pas à la personne d’un Apôtre seulement, mais à Dieu même et à Jésus Christ.

55. Car lorsqu’on dit de garder les commandements de Dieu, et qu’on vit sans charité au prochain, l’on ment à Dieu, lequel nous demande : Comment nous pourrions aimer Dieu, que nous ne voyons point, si nous ne savons aimer notre prochain, que nous voyons devant nos yeux [127] ? Et quand nous disons que nous sommes des Chrétiens, et que nous ne sommes pas possédés du même Esprit qu’était Jésus Christ, nous sommes des menteurs [128] : parce qu’être Chrétien n’est autre chose que d’être Imitateur de Jésus Christ.

56. D’où se voit que nous sommes assurément séduits par nos pensées : car Dieu hier et aujourd’hui est le même [129]. Son premier commandement doit être observé de tous ceux qui veulent être sauvés [130] : car Dieu est immuable et ne change jamais [131]. II a commandé aux hommes qu’ils l’aimassent de tout leur cœur ; et ce commandement dure encore, parce que Dieu parle toujours, et sa parole ne cesse et ne cessera jamais [132]. Ce commandement nous a été fait dès le commencement du monde, et doit être observé jusques à la fin de tous les hommes qui seront jamais sauvés. Nous avons eu diverses Lois depuis la création du Monde par Moïse et autres Prophètes, aussi par Jésus Christ ; mais, toutes ces Lois ensemble n’étaient que des moyens pour arriver à cet Amour de Dieu. Les autres commandements, voire la Loi Évangélique, ne font que nous montrer en quoi les hommes se sont détournés de cet Amour qu’ils devaient à Dieu seul : en sorte que celui qui observe ce premier commandement, d’aimer Dieu de tout son cœur et son prochain comme soi-même [133] accomplit toutes les Lois et est vrai Chrétien.

57. C’est de quoi le Diable s’apercevant, il détourne les hommes de cette charité, et les entretient avec des bonnes œuvres extérieures, afin de par là charmer les esprits pour ne pas connaître l’obligation de cet AMOUR ou de cette CHARITÉ. Et encore que S. Paul en ait décrit si précisément les qualités [134], que ladite Charité doit avoir ; personne ne s’étudie à les acquérir, par une fausse croyance, qu’ils ont la charité, sans les conditions d’icelle. Car si un chacun s’examinait de près, il serait obligé de confesser qu’ils n’ont pas cette charité dans leurs âmes, se contentant d’avoir une croyance fondée sur le vent, qu’ils aiment Dieu ; à cause qu’ils ne le veulent pas volontairement offenser (selon qu’il leur semble) et qu’ils font extérieurement les devoirs d’un Chrétien ; pendant que ni l’une ni l’autre de ces choses ne les peuvent jamais sauver. Car S. Paul dit qu’encore bien qu’on transporterait les montagnes, qu’on aurait le don de Prophétie, etc. : que tout cela ne serait RIEN sans la charité [135]. Par où tous ces devoirs extérieurs de Chrétiens sont décrédités. Car d’aller aux Églises, aux Sermons, à la prière et à la Communion, n’est pas si grande chose que de transporter les montagnes et d’avoir le don de Prophétie : et cependant nous ne voulons pas confesser que tous ces services de Dieu extérieurs ne sont rien ; à cause que nous les faisons par notre amour propre, et que ne voulons chercher Dieu autre-part que dans ces amusements, lesquels si nous les abandonnions, nous nous trouverions sans Dieu.

58. Car plusieurs personnes ne connaissent pas autre Dieu que leurs Églises ou leurs Prédicateurs. Ce qui est bien lamentable, que le Diable ait aveuglé les âmes si avant qu’elles ne sont plus capables de connaître d’autre Dieu que des pierres, du bois, ou de la chair, qui sont tous bâtiments faits de mains d’hommes, lesquels doivent bientôt périr ; et alors ceux qui y sont ainsi attachés n’auront plus de Dieu, en n’ayant plus d’Églises ou de Prédicateurs. Je voudrais bien, Monsieur, que vous examinassiez un peu tout le Nouveau Testament pour voir si Jésus Christ ou ses Apôtres et Disciples ont ainsi bâti des Églises matérielles, ou ont ainsi prêché, prié, et tenu la Cène comme les Chrétiens aujourd’hui.

59. Pour moi, je m’imagine que Jésus Christ, ses Apôtres et Disciples ont tenu leurs Églises dans les lieux où ils trouvaient du peuple assemblé, soit aux champs, sur les rues, ou dans leurs maisons, et non pas dans les Temples magnifiques, ni parés ou ornés pour se faire regarder d’un chacun [136].

60. Il est à croire que la Cène se faisait tous les jours entr’eux [137], et qu’ils rompaient le pain en le bénissant [138] ; et qu’ils mangeaient ensemble ou départissaient leurs vivres par toutes les maisons, afin que personne d’entr’eux n’eût besoin de rien. Mais maintenant, cette charité Chrétienne est négligée. Un chacun tient son rang. Les riches ne voudraient manger avec les pauvres ni même leur rendre leurs biens communs : car il n’y a plus sinon mien et tien, et un dédain des pauvres : mais pour couvrir tous ces changements et abus, le Diable a inventé une communion extérieure où l’on prend un morceau de pain en mémoire de Jésus Christ ; et avec cela un chacun s’en va en sa maison, et demeure sans charité, et dit qu’il est vrai Chrétien, et qu’il sert à Dieu en se trouvant aux sermons ou prières communes : pendant qu’on lit que Jésus Christ était ordinaire de se retirer dans le Jardin pour prier son Père [139], si qu’il fit encore le dernier jour qu’il avait mangé avec ses Apôtres.

61. Il proférait aussi quelques paroles vocales, disant à son Père que s’il était possible, ce Calice se passât de lui ; toutefois, que sa volonté fût faite [140]. C’étaient véritablement des prières vocales ; mais elles sortaient du profond de son cœur, et d’un sentiment si sensible, qu’il lui fit suer du sang. Mais les Chrétiens prient sans sentiment, et disent des paroles en public sans que le cœur y pense. C’est comme quand les Juifs se mettaient à genoux devant Jésus Christ, lui disant : Dieu te garde, Roy : en se moquant de lui [141]. L’on dit assez que Dieu est Roy et qu’on le salue, mais on ne veut pas pourtant qu’il règne sur notre volonté ; mais désirons pour nous-mêmes les saluts et les honneurs.

62. Et nous ne sommes pas portés d’aller aux Prédications pour apprendre ce qu’il nous faut pratiquer, mais plutôt pour contenter notre curiosité : car nous entendons les mêmes choses cent fois avant de les mettre une fois en pratique. Ce sont comme des routines de chansons qui charment nos oreilles et les remplissent de vent. Les Apôtres et Disciples de Jésus Christ ne s’arrêtaient pas en un lieu ; mais en sortaient aussitôt qu’ils y avaient enseigné les choses nécessaires, afin de laisser croître la bonne semence qu’ils avaient semée dans les âmes. Mais ces Prédicateurs sont comme des Laboureurs qui continuellement cultivent la terre, l’hiver et l’été, sans donner lieu ou temps de laisser fructifier leur semence. L’un sème aujourd’hui, et l’autre lève cette semence demain pour en semer de l’autre. Et ainsi, tout n’est que confusion et amusement de l’ANTÉCHRIST. Cependant l’on ne le découvre pas, quoiqu’il soit si manifeste : à cause qu’il se rend invisible par ces Saintes apparences, et obscurcit les esprits de ses ténèbres afin que les hommes ne pénètrent pas le fond de leur intérieur pour sonder s’ils aiment véritablement Dieu, et s’ils sont des véritables Chrétiens.

63. Si l’on faisait sérieusement cet examen sans se flatter, les Chrétiens verraient assurément qu’ils ne sont que des Juifs, attachés à la lettre et aux Cérémonies extérieures ; voire qu’ils sont bien pis que les Juifs, lesquels tiennent encore (quoique mal à propos) les Cérémonies que Dieu leur avait données, mais les Chrétiens de maintenant ont inventé tant de nouvelles façons de faire, qu’on ne sait presque remarquer aucuns vestiges de la Loi Évangélique : car si l’on enseigne et prêche cette même Loi, ce n’est pas avec des façons humbles et des paroles simples et naïves, comme faisaient les Apôtres : ensuite de quoi S. Paul dit à ses Auditeurs qu’il n’est pas venu à eux avec des beaux discours ou des paroles éloquentes [142] : mais les Apôtres de maintenant enseignent en toutes parades et grandeurs, avec des subtils arguments et des discours éloquents, ayant passé beaucoup de temps ès Écoles ou Académies pour apprendre à les bien arranger, et être bons Orateurs. Ce qui est bien éloigné de la façon des Apôtres, qui étaient gens simples et grossiers, ne cherchant de plaire à personne, mais d’enseigner la pure vérité Évangélique, laquelle croissait dans les âmes comme une bonne semence venue du Ciel. Mais ces Prédicateurs de maintenant enseignent par vanité : aussi s’envole au vent le fruit de leurs paroles : ce qu’on voit assez par le peu d’effets qu’icelles font dans les âmes de ceux qui les entendent si souvent pour néant. Leurs Sermons sont comme des pures Comédies, qu’on écoute avec autant de contentement que le Prédicateur a de beaux discours ; et sitôt que le Sermon est achevé, la mémoire en est échappée. C’est pourquoi on y retourne si souvent, étant comme ceux de qui parle le S. Esprit, qu’ils apprennent toujours, et ne viennent jamais à la connaissance de la vérité [143].

64. Et ce n’est pas de merveilles, vu qu’on ne sait plus à présent où pourrait être cette belle Vérité. Elle est si défigurée qu’elle n’est plus reconnaissable. Les gloses, les explications ont rendu la vérité si obscure, qu’on ne la sait plus reconnaître. L’on appelle du nom de Vérité les choses qui sont plaisantes et agréables aux hommes [144] ; à quoi un chacun acquiesce : car la Vérité qui reprend ou choque leurs inclinations ne leur est nullement agréable : quoiqu’elle sortirait de Dieu on la rejette et méprise : on ne la veut pas seulement écouter et regarder : mais ces Vérités qui flattent et qui sont inventées par les hommes [145], sont aimées et suivies avec gaieté de cœur, nous éjouissant que le Diable et le monde nous flattent pour nous perdre, moyennant que leurs flatteries et fausses vérités soient un peu colorées de vertus et saintetés.

 

 

L’Antéchrist dans les mœurs et pratiques.

 

XIV. L’Antéchrist règne dans les mœurs et dans toutes les pratiques des Chrétiens, qui ont quitté la douceur et l’humilité de J. Christ pour prendre l’arrogance, la mauvaiseté, et la superbe ; et ont laissé ses pratiques basses et serviles pour faire tout avec parade dans un esprit d’orgueil.

 

65. L’on nous dit que Jésus Christ a fait la Cène avec ses Apôtres et qu’il leur a rompu le pain en disant : Faites cela en mémoire de Moi. C’est sur quoi les Chrétiens ont institué la Cène ou la communion, qui signifie le même mystère: et on contraint tous les Chrétiens à faire le même comme une chose que Dieu a commandée, ou Jésus Christ a ordonnée, croyant qu’un Chrétien ferait grand péché s’il méprisait cette ordonnance : mais on ne tient pas pour péché de mépriser les paroles que Jésus Christ a dites : Apprenez de moi que je suis doux et débonnaire et humble de cœur [146]. Ces paroles ne sont-elles pas, Monsieur, aussi sacrées que celles qu’il disait en faisant la Cène, pour les tenir en aussi grande estime ? Et cependant, personne ne dira qu’on offense Dieu à être arrogant, mauvais et superbe en son cœur : au contraire, on l’estime quelquefois comme vertu, en disant : « C’est une personne de courage, qui se défend bien, et maintient son honneur. » Voilà les fausses vérités du monde, qui font périr les hommes insensiblement et sur des beaux prétextes.

66. Aussi voit-on dans la pratique que toutes les personnes de maintenant sont de cœur superbe, aussi pauvres et petites qu’elles puissent être. L’on voit l’orgueil au travers de leurs pauvretés et misères. Personne ne veut retenir cette leçon de Jésus Christ, d’être humble de cœur ; mais un chacun retient bien qu’il faut se présenter à la Table du Seigneur : à cause que cela se fait avec parade et orgueil, mettant de beaux vêtements pour être vus et voir les autres : dans quoi la nature trouve de la satisfaction ; mais de s’étudier à imiter Jésus Christ dans ses actions d’humilité et de charité, personne ne le prend à cœur. Il a bien solennellement institué le lavement des pieds [147] ; et commandé que nous fassions ainsi les uns aux autres : et cela est négligé, à cause que c’est une action vile et abjecte, et qui nourrit la charité Chrétienne, en servant et secourant l’un l’autre au besoin : mais parce que la nature ne trouve là de satisfaction, ni l’orgueil de nourriture, l’on méprise cette institution du lavement des pieds : car personne ne veut plus servir, sinon ceux qui servent pour l’intérêt : autrement un chacun veut être servi, et ne veut servir personne ; encore bien que Jésus Christ ait dit si absolument qu’il n’est pas venu pour être servi, mais pour servir [148] personne ne suit cet exemple : aussi longtemps qu’on a la commodité de se raire servir, on ne demeurera pas sans se faire bien servir, et précisément, voire quelquefois superfluement, et sans nécessité, mais seulement pour faire paraître sa gloire et ses richesses, et le mérite qu’on a d’être bien servi ou suivi. Et avec tout cela l’on ferait scrupule de ne pas aller à la Cène, parce que Jésus Christ l’a commandé ; et on ne fait pas scrupule d’enfreindre tous ses autres commandements qui nous sont beaucoup plus nécessaires à salut ; comme est l’humilité de cœur et la charité du prochain, qui paraît dans le service qu’on lui rend au besoin.

 

 

L’Antéchrist dans le centre du bien.

 

XV. L’Antéchrist règne dans le centre du bien, où butent toutes les Lois de Dieu, qui est la Dépendance Amoureuse de Dieu : de laquelle ayant retiré les hommes, en Adam et après Adam, Dieu les a rappelés par des Lois à cette Amoureuse Dépendance tant par Moïse que par J. Christ : mais les Juifs en ont abusé s’arrêtant à l’écorce : les Chrétiens encore pis ; qui pour ce sujet seront exterminés sans ressource, au lieu que les Juifs se pourront convertir.

 

66 bis. L’on prend ainsi en toute chose les vérités des hommes, et l’on néglige cependant la vérité de Dieu, qu’il nous a envoyée par Jésus Christ. Et ainsi sommes régis par l’Esprit de l’ANTÉCHRIST au lieu de celui de Christ. Ce que fort peu de personnes croient ; à cause qu’ils ne pénètrent pas assez ce que c’est de l’ANTÉCHRIST : s’imaginant qu’il soit comme un monstre ou un Diable visible faisant extérieurement des actions méchantes : mais ce n’est rien autre chose qu’un Esprit malin, lequel tente les hommes pour les faire retirer de l’Amour et de la Dépendance de Dieu, afin d’adhérer à lui. Ce qu’il a tâché de faire depuis le commencement du monde, et n’a jamais cessé depuis. C’est en quoi l’Apôtre dit que cette vie est un combat continuel [149] : à cause qu’il faut continuellement et jusques à la fin combattre avec ce Satan, qui signifie Tentateur des hommes. Il a tenté en tout âge, et emporté beaucoup de victoires, ayant fait tomber nos premiers Parents en la désobéissance de Dieu, lequel par la grande miséricorde a pardonné cette offense moyennant une pénitence temporelle qui est le cours de cette mortelle vie, laquelle ne nous est donnée sinon comme la prison ou l’exil et le bannissement de notre partie, afin de satisfaire à la justice de Dieu [150] : pendant que les hommes sont si aveugles que de se plaire dans cette captivité, et se glorifier dans ces chaînes et garrots, où l’âme et le corps sont en continuelles ténèbres, contraintes, et esclavage. Le Diable sait si bien colorer ces misères, qu’il nous les fait avaler comme des délices : afin qu’au lieu de satisfaire à Dieu pour les péchés premiers, il nous fasse retomber dans des nouveaux, et offenser Dieu derechef par les mêmes choses avec lesquelles nous lui devons satisfaire [151]. Et par ainsi le Diable gagne toujours davantage, et a tellement accru son empire, qu’à peine l’on trouve maintenant des hommes qui ne lui soient assujettis ; les uns de leur choix et volonté délibérée, et les autres par ignorance et aveuglement.

67. Il a gagné si avant les hommes depuis Adam, qu’ils avaient tout-à-fait oublié Dieu et vivaient comme les bêtes, selon l’inclination de leurs natures : pour à quoi remédier, Dieu par sa continuelle bonté leur envoya Moïse, et leur écrivit des Lois et des préceptes. Ce n’est pas que Dieu voulait surcharger les hommes de faix pesants : car Dieu ne demandera jamais de l’homme autre chose que son Amour et sa Dépendance. Toutes les autres Lois et Préceptes ne servent à autre chose sinon pour faire retourner les hommes à cet AMOUR [152] : en leur faisant connaître par le menu toutes les choses qui les avaient retiré de l’Amour de Dieu, il leur défend de ne les plus faire, et de retourner dans l’adoration d’un seul Dieu, de sanctifier le jour du Seigneur, et d’honorer Père et Mère. Voilà les trois choses que Dieu commande par la Loi de Moïse. Tout le reste ne sont que des défenses de malfaire.

68. Mais pour faire observer ces trois choses, il a fallu que Moïse en ait ordonné diverses autres. À cause que les hommes étaient si abrutis qu’ils adoraient la figure des bêtes [153], pour cela édifia-t-il des Temples pour faire adorer le Vrai Dieu, dans lequel on lui ferait Sacrifices et Offrandes, afin de retirer leurs cœurs de l’avarice et amas des biens de ce monde, les obligeant d’en sacrifier quelque portion à Dieu, leur ordonnant aussi un jour de la Semaine pour l’employer au culte et service du même Dieu, et cesser pour ce temps des affaires et négoces de la terre, afin de s’employer ce jour particulièrement à prier et bénir Dieu, et entretenir leur esprit avec lui, en le sanctifiant et louant. Ce jour du Sabbat est encore aujourd’hui observé par les Juifs en un temps, et par les Chrétiens en un autre : mais les fins pourquoi il a été institué ne s’observent ni de l’un ni de l’autre. Les Chrétiens aussi bien que les Juifs n’ont retenu que l’écorce et le dehors, en ayant perdu l’esprit et la vie. Moïse a encore ordonné beaucoup d’autres cérémonies afin de retirer les hommes des soins et affections de la terre, à laquelle ils étaient fortement attachés, et ne donnaient temps ni attention pour adhérer à Dieu. Il fallait donner à ces hommes des emplois et des actions et cérémonies extérieures, ou autrement ils ne se seraient jamais appliqués qu’aux choses de la terre, sans élever jamais leurs esprits à Dieu. Ce n’est pas que Dieu ait jamais eu besoin de services ou cultes extérieurs ; mais les hommes, étant devenus si brutaux, ne savaient retourner à l’adoration d’un Dieu invisible que par des choses visibles et sensibles, conformes à leur indisposition et égarement.

69. Le Diable ayant encore depuis su gagner les hommes si avant que de leur faire abuser de tous les moyens qui leur étaient donnés tant pour satisfaire à Dieu pour leurs propres péchés, que pour les maintenir en sa grâce, il les a séduits jusques là que de les faire attacher si opiniâtrement auxdits moyens ou cérémonies de leurs Lois, qu’ils en sont devenus idolâtres, les tenant pour Dieu, dans l’oubli de l’Esprit du Vrai Dieu : car ils sont encore devenus autant avaricieux et attachés à la terre depuis toutes ces lois et préceptes, comme ils étaient auparavant icelles, et avec même plus de malices ; à cause qu’ils ont eu par ladite Loi plus de connaissance ; car auparavant, ils avaient des esprits plus brutaux qu’humains, et étaient devenus si stupides qu’ils ne savaient pas de malfaire si la Loi ne leur eût pas fait voir leurs péchés : mais depuis icelles Lois, ils pèchent contre leur savoir et leurs lumières, sachant bien qu’ils ne font pas ce que Dieu leur a commandé et ordonné. En sorte que leur chute et malice a encore une fois obligé la bonté de Dieu à nous faire miséricorde par un moyen plus parfait et spirituel, nous ayant envoyé Jésus Christ pour tirer les hommes hors de leurs erreurs et péchés [154], leur faisant voir comment ils abusaient des choses mêmes qui leur étaient ordonnées à salut [155], et qu’ils s’en servaient pour leur damnation, en quittant les fins pourquoi Dieu les avait instituées pour idolâtrer les moyens : si que font encore aujourd’hui aussi les Chrétiens, lesquels en blâmant et méprisant les Juifs, sont encore pire qu’iceux, à cause qu’ils ont eu plus grandes lumières et exemples.

70. C’est pourquoi ils seront absolument abandonnés de Dieu [156], et les Juifs se pourront encore repentir après avoir fait longue pénitence [157] ; mais les Chrétiens n’en auront plus de temps, à cause que la fin est venue et que tous maux seront exterminés et tous biens récompensés. Si ces Chrétiens étaient inquiétés ou troublés pour leurs malheurs, Monsieur, j’aurais encore espérance qu’ils retourneraient à Dieu par pénitence : mais on les voit au contraire dans un pos et une négligence de chercher la vérité et recouvrer la lumière de Dieu [158] : un chacun s’applique aux choses de la terre, et néglige celles qui sont éternelles [159] ; et avec cela, vivent et meurent dans un faux repos, sans qu’on les puisse éveiller. C’est une maladie universelle de léthargie, où tout le monde meurt en dormant, sans se souvenir que le Diable comme un Lion rugissant circuit toute la terre pour les dévorer [160], et qu’ils ne lui peuvent résister que par la force de la Foi, et cette Foi n’étant plus vivante ès hommes de maintenant, on les voit avec regret tous périr éternellement par les fausses persuasions de cet ANTÉCHRIST, qui leur crie paix et assurance [161], lorsque le danger est à la porte, lequel est si bon à prévenir moyennant qu’il soit découvert.

 

 

L’Antéchrist dans la libre volonté.

 

XVI. L’Antéchrist, qui est un Esprit de malice, d’injustice et de mensonge, opposé à l’Esprit de Bonté, de Justice et de Vérité, règne dans la Libre volonté de l’homme, et par elle dans la Nature, les Éléments, les Créatures, depuis que la libre volonté de l’homme, qui dominait sur tout, s’est volontairement soumise à son esprit en péchant librement.

 

71. Mais pour découvrir cet Esprit pervers de l’ANTÉCHRIST, il ne faut pas regarder aux actions extérieures de dévotions, non plus qu’aux paroles et discours spirituels et divins : à cause que par ces choses le Diable fait ses plus fausses tromperies [162] ; mais il faut regarder à l’essence de l’Esprit et de la vie, pour discerner si les hommes sont régis de l’Esprit de Dieu ou de celui du Diable. Cela est bon à discerner pour ses personnes spirituelles, lesquelles selon le conseil de l’Écriture éprouvent les esprits pour savoir s’ils sont de Dieu ou du Diable. Mais les personnes qui vivent selon la chair ne savent bien faire ce discernement, pour avoir l’âme trop ténébreuse [163] ; à cause que la chair et le Diable n’est qu’une même chose : depuis que la nature a été corrompue par le péché, elle a engendré toutes sortes de corruptions [164], parce qu’elle a fait alliance avec le mauvais esprit, qui est le Diable, lequel n’est autre chose que malice, injustice et mensonge, comme l’Esprit de Dieu n’est autre chose que Justice, Vérité et Bonté [165]. Hors de là, c’est un pur Esprit incompréhensible ; mais lorsque ces trois qualités résident dans une âme, c’est un indice assuré que Dieu la possède. Tout de même en est-il lorsqu’on voit résider la malice, l’injustice et le mensonge dans une âme : il est assuré qu’elle est possédée de l’Esprit de l’ANTÉCHRIST, et cela infailliblement : parce qu’il n’y a que deux esprits, savoir le bon et le mauvais. Le bon, est l’Esprit de Dieu : le mauvais, est l’Esprit du Diable : et aussi longtemps que la nature est demeurée soumise à la volonté de Dieu, elle a été toute bonne ; mais depuis qu’elle s’est soumise à la volonté du Diable, elle est devenue toute mauvaise. En sorte que si la nature était demeurée soumise à Dieu, elle n’aurait jamais su faire rien de mauvais : parce qu’elle a été créée de Dieu toute bonne : et depuis qu’elle s’est soumise à la volonté du Diable elle ne peut jamais rien faire sinon toutes choses mauvaises, parce qu’elle agit toujours selon l’Esprit de qui elle est régie et gouvernée.

72. La nature n’a en soi ni bien ni mal : parce qu’elle est une créature bornée : mais la volonté de l’homme étant une créature libre, elle peut faire bien et mal selon le choix qu’elle fait de se soumettre volontairement au bon Esprit, qui est Dieu ; ou au mauvais, qui est le Diable : en sorte qu’il ne faut pas dire : « C’est la faiblesse de ma nature qui m’incite à malfaire » ; ou : « C’est la générosité de ma nature qui m’induit au bien », parce que là sont des mensonges : car il n’y a que la libre volonté de l’homme qui peut bien et mal [166]. Si cette libre volonté n’eût pas consenti ou ne se fût pas soumise au mauvais esprit, il n’y pourrait avoir aucuns maux en toute la nature, tant celle des hommes que des bêtes, des plantes et des éléments, etc., car tout cela était limité à bien [167] ; néanmoins, soumis à la volonté libre de l’homme, laquelle avait le domaine sur toutes ces choses [168], comme Dieu l’avait sur cette libre volonté. Et comme Dieu était une Déité Indépendante, ainsi l’homme était une Déité dépendante de l’Indépendante, Éternelle et Incompréhensible Déité Suprême [169]. Partant, c’est toujours cette partie Divine, qui est en nous, qui peut faire bien et mal, et non pas la simple nature humaine, à laquelle on ne doit attribuer rien de bon ni rien de mauvais : car si elle fait quelque chose de bon, c’est toujours le bon Esprit auquel elle s’est soumise qui opère ce bien [170] ; mais si la nature fait mal, c’est toujours par la malignité de notre libre volonté [171], et non par faiblesse de nature [172], si que disons pour nous flatter ou excuser en aucune façon notre malice : car le péché ne peut être commis que par le consentement de la libre volonté, et nuls biens ne peuvent sortir de nous que par la bonne volonté qui réside en nous : icelle seule fait tout le bien et le mal [173], selon le bon ou mauvais esprit auquel elle se soumet. Car Dieu ne contraindra jamais la volonté qu’il lui a plu de laisser libre ; et le Diable peut encore moins forcer cette volonté à mal faire : vu qu’il n’a aucun pouvoir sur la moindre créature sinon autant que la libre volonté de l’homme lui en donne : a plus forte raison ne peut-il avoir puissance sur l’homme même sinon autant qu’il lui plaît de laisser dominer ce mauvais esprit sur sa libre volonté, par laquelle il a acquis pouvoir de dominer sur les éléments, desquels le Diable se sert pour tenter et tourmenter les hommes.

73. Et l’on voit le grand domaine et puissance qu’a le Diable maintenant sur les volontés des hommes lorsqu’il agit si furieusement par les éléments. L’on n’entend que des naufrages sur la Mer, des villes brûlées par le feu, des autres renversées par le tremblement de la terre, et tant d’autres misères par les tempêtes des vents : et l’on n’aperçoit pas que toutes ces choses arrivent par le consentement que les hommes ont donné au Diable de leurs libres volontés, lesquelles devaient dominer sur toutes ces choses [174], desquelles elles sont maintenant esclaves et misérables, par en avoir donné la puissance au Diable [175], qui de soi ne pouvait faire courber un fétu ; mais ayant gagné la libre volonté de l’homme, il semble faire tout ce qu’il lui plaît maintenant sur la terre, sans que personne y sache plus résister, puisqu’il a pour soi la plus grand part des volontés des hommes, qui se sont rendus ses agents et ses serviteurs à gage, ne voulant pas se départir de lui.

 

 

L’Antéchrist en tous.

 

XVII. L’Antéchrist règne en Empereur universel sur tous les hommes dans le spirituel et le temporel, où il n’y a plus universellement qu’injustice, mensonge et malice ; à quoi les Bons coopèrent, et qu’on ne peut découvrir sans persécution. Mais ce grand corps sera détruit, et l’Esprit de D. régnera ensuite jusqu’à la venue de Christ en gloire. Stupidité des hommes ; ils adhérent à l’Antéchrist et l’adorent.

 

74. En sorte qu’il ne faut plus attendre de remèdes à ces maux universels, mais bien de les voir avancer en pires et augmenter jusques à leur extrémité, parce que le Diable, qui fut ci-devant appelé Prince du Monde, en est devenu Empereur Universel, et régit sous sa conduite tout le spirituel et le temporel. Si l’on veut avoir la preuve de cela, il ne faut que regarder le comportement de tous les hommes, tant Ecclésiastiques que Séculiers, pour savoir s’ils ne sont pas régis par l’Esprit d’injustice, de mensonge, et de malice, qui sont les trois qualités qui composent l’Esprit de l’ANTÉCHRIST. L’Injustice est assez expérimentée par ceux qui ont à démêler avec Juges ou Supérieurs ; comme aussi parmi les gens de pratique, d’art, ou de trafique. L’on ne trouve plus de Justice ni de droiture en rien [176]. Les hommes ne s’oseraient même fier à leurs propres frères ; car les tromperies sont partout également [177] : comme est aussi le mensonge dans les paroles et les faits des hommes de maintenant : l’on ne sait plus à qui croire : ce ne sont que fourbes qu’on forge pour amuser l’un l’autre ; l’on ment plus effrontément qu’on n’oserait soutenir la vérité : les œuvres et la façon des hommes sont toutes mensongères : l’on étudie à parler doucement pendant qu’on a le cœur fier et arrogant : l’on tranche de l’homme de bien, pendant qu’on trompe son prochain : l’on ment à Dieu même par des dévotions extérieures [178], si que je vous ai montré, Monsieur, ci-dessus. L’on ment dans la vie spirituelle, parlant des choses divines pendant qu’on ne pratique que des actions humaines, voulant passer pour personnes spirituelles pendant qu’on est encore entièrement charnel : enfin, tout n’est que mensonges, aussi bien dans les paroles que dans les œuvres des hommes, dans lesquelles l’on ne saurait plus trouver aucune bonté, mais plutôt toutes sortes de malices et d’iniquité.

75. Ne sont-ce là pas des assurés témoignages et bien avérés que nous sommes régis par le mauvais Esprit, et que c’est maintenant que l’ANTÉCHRIST a son règne sur la terre par le mauvais Esprit qui anime maintenant tous les hommes ? C’est un mal universel, qui n’est pas semé dans un pays ou une province particulière ; mais on peut assez expérimenter que cet Esprit malin domine par tout le monde universellement, sens exception de lieux, de nations, d’états ou de condition des personnes [179]. Les unes sont précisément malicieuses, et les autres le sont tacitement, acquiesçant à la malice des autres insensiblement : car la malice commune est si grande que si une personne de bonne volonté ne se veut pas laisser tromper, elle ne pourra plus vendre, ni acheter, ni être servie, ou avoir ses commodités nécessaires : puisque personne ne fait plus rien par charité. Il faut que le juste demeure en nécessité, ou qu’il coopère tacitement aux péchés des autres, en fomentant leurs avarices, ou leurs orgueils, ou leurs mensonges, ne pouvant plus rien obtenir d’iceux qu’en acquiesçant à l’un ou à l’autre de leurs péchés. Mais peu de personnes aperçoivent cela, à cause des ténèbres universelles que le Diable a semées maintenant dans le monde, par lesquelles on prend le faux pour le vrai [180], et l’iniquité pour la Justice, ou la malice pour la Bonté ; et on ferait quelquefois scrupule de croire la vérité du mal qu’on découvre en son prochain : tellement le Diable a-t-il aveuglé l’entendement des hommes de maintenant qu’ils pensent bien faire en croyant à l’Esprit de l’ANTÉCHRIST et rejetant l’Esprit véritable de CHRIST.

76. Et si l’on veut découvrir cet esprit malin et déclarer la vérité de Dieu, l’on sera méprisé, injurié, calomnié, persécuté et poursuivi jusqu’à la mort : à cause que ceux qui tiennent le parti du Diable sont si nombreux et si puissants, qu’ils défendent par force et par autorité la malice de cet Esprit malin, et persécutent ceux qui se veulent lier à l’Esprit de Bonté, Justice, et Vérité de Dieu, à cause que celui-là contrarie l’esprit des plus Puissants, qui ne veulent être Vaincus par le petit nombre et le peu d’autorité qu’on remarque en ceux qui tiennent le parti du bon Esprit de Dieu.

77. Ce sont comme des grands Goliaths qui méprisent les attaques du petit David en se moquant de lui jusqu’à ce qu’il fût par lui terrassé et égorgé [181]. Ce qui arrivera assurément à ce grand corps des Esprits malins, qui animent les corps de si grand nombre de personnes aujourd’hui, et dominent et sont fort puissants dans le monde [182] : mais sitôt que la vérité de Dieu y paraîtra, tout ce grand Goliath sera terrassé et égorgé de sa propre épée [183], c’est à dire, de sa propre malice : car la vérité de Dieu est comme un glaive coupant des deux côtés [184], qui tranche tous les mensonges qu’elle rencontre, sans rien excepter. Ce qui nous est figuré par le petit David, qui n’était qu’un jeune jouvenceau sans armes. Cependant il combat et surmonte ce grand Géant qui voulait subjuguer tout le monde. Personne ne peut ignorer que la malice comme un grand Goliath, a presque subjugué tout le monde : mais il y a encore un petit David parmi les hommes qui emportera la victoire sur toute cette grande malice, non pas avec des armes, ni des disputes et combats, mais avec une petite pierre de la vive Foi. Celle-là est capable d’abattre toutes les grandeurs du monde [185], toutes les études, les puissants arguments, les Écoles, les opinions et les sentiments de tous les hommes par la connaissance de la droite vérité. Cette pierre de la foi n’est plus liée qu’à une fronde ou cordelette : cependant elle aura la force de terrasser tous ces grands édifices des opinions des hommes, et les faire mourir par leurs propres arguments, qui sont les armes avec lesquelles ils se défendent l’un contre l’autre ; mais ces armes seront émoussées, et n’auront plus de force sitôt que cette pierre de la vive foi sera jetée vers eux. Elle les occira tous. Et alors le bon Esprit régira les hommes en paix et en tranquillité [186] jusqu’à la venue de Jésus Christ sur la terre [187], qui exterminera tous maux et conduira ses fidèles serviteurs à la vie bienheureuse et éternelle, où il n’y aura plus de guerres, plus d’ennemis, plus de cris, plus de pleurs [188] ; mais une joie et repos permanent, qui ne prendra jamais fin.

78. C’est à quoi tous Chrétiens doivent aspirer nuit et jour : mais au lieu de ce faire, ils s’amusent à amasser dans ce monde des biens que les vers peuvent manger et les larrons dérober [189], et qui doivent nécessairement demeurer à la terre, sans les aider en rien après le petit voyage de cette vie, où celui qui est le moins chargé peut cheminer plus aisément, et arriver plus légèrement à sa vraie Patrie. Car s’il n’y avait pas un ensorcellement d’esprit dans les hommes, il serait impossible qu’une seule personne voulût amasser des richesses, qu’elle ne peut emporter, et qui lui causent en cette vie tant de peines, de soins, et d’inquiétudes qu’ils n’ont pas de temps et loisir de travailler pour les choses éternelles, ou pour découvrir les tromperies avec lesquelles le Diable les fait perdre à crédit. Ce qui est bien lamentable, et doit être regretté de toutes gens de bien. Mais personne ne connaît aujourd’hui son misérable état.

79. L’on est possédé de l’Esprit de l’ANTÉCHRIST et on ne l’aperçoit nullement ; au contraire, plusieurs lui obéissent et le PORTENT DANS EUX MÊMES sans le connaître, s’imaginant qu’ils ne sont pas possédés du Diable sinon lorsqu’il parle par l’organe de leurs corps et qu’ils soient tourmentés du Diable corporellement. Ce qui est un grand abus : car le Diable est un pur Esprit, et ne prétend rien des hommes par toutes les tentations qu’il leur fait, sinon de les faire détourner de l’Esprit de Dieu, qui porte en soi la Bonté, la Justice et la Vérité, pour les faire adhérer à son malin esprit de malice, d’injustice et de mensonge. C’est à quoi tendent et butent toutes les séductions du Diable : car il n’a que faire de notre corps ni de nos actions extérieures ; mais seulement du consentement de notre volonté au mal, afin qu’il puisse voir nos âmes confinées aux Enfers avec lui pour les tourmenter par son enragé désespoir ; et charmer son malheur par les tourments qu’il fera à ceux qui l’adoreront.

 

 

Séductions premières de l’Antéchrist.

 

XVIII. Comment l’Antéchrist, pour soumettre tous les hommes à sa fausse Déité, a séduit les premiers hommes sous belles apparences.

 

80. Voilà, Monsieur, les lumières que Dieu me donne touchant l’ANTÉCHRIST. Il me fait connaître qu’il n’est autre chose que la même FAUSSE DÉITÉ qui s’est au commencement voulu égaler à Dieu : et pour cela est-t-il appelé Diable. Et lorsqu’il a vu que Dieu avait créé l’homme pour prendre ses délices avec lui, et l’avait fait plus parfait que cet Ange rebelle n’avait jamais été, il a conçu une haine et rage à l’encontre de lui : pour cela a-t-il ramassé toutes ses ruses et puissances pour lui faire la guerre, et empêcher qu’il n’arrivât jamais à la fin pour quoi Dieu l’avait créé, enviant le bonheur qui lui devait arriver, duquel il se trouvait frustré par son orgueil.

81. C’est pourquoi sitôt qu’il vit le Monde créé et l’homme formé si beau et parfait, il ne perdit pas de temps, tournoyant aux environs pour découvrir par quels moyens il le pourrait détourner de Dieu [190] ; et lorsqu’il vit que Dieu lui avait donné une Femme pour se joindre à lui, le Diable pensa que par le moyen d’icelle il pourrait facilement gagner l’homme à soi par le moyen de ladite femme, qu’il aimait comme un membre de son propre corps. Et comme la femme était aussi conversant avec Dieu, le Diable n’avait pas aussi de pouvoir sur elle : il s’avisa d’entrer dans le serpent, et de par icelui approcher Ève, qui aimait cette bête comme un animal qui lui était semblable, avec lequel elle se jouait et prenait ses recréations. Ce que le Diable épiait, en sachant bien que la ressemblance engendre l’amour ; et que la familiarité est toujours autorisée de cette ressemblance. Et cette familiarité qu’avait le serpent avec notre Mère Ève fit prendre au Diable la hardiesse de lui parler par l’organe de cette bête, ayant cependant à demi gagné la volonté de nos premiers Parents par des spéculations d’esprit, leur faisant voir en pensée l’état glorieux dans lequel Dieu les avait créés, et toutes les beautés du monde, qui leur était assujetties, et la bonté et faveur des fruits qui servaient à leur nourriture.

82. Il leur fit tout premier désirer d’avoir encore plus de grâces et de puissance qu’ils n’avaient ; et, par ses tentations intérieures, il accroissait leurs désirs de plus en plus ; tantôt par la considération que Dieu était beaucoup plus parfait qu’eux, désirant d’arriver à la même perfection que lui ; tantôt par la curiosité de Savoir pourquoi Dieu avait défendu de ne pas manger d’un seul arbre, en permettant de manger de tous les autres : et ainsi la volonté d’Adam était chancelante. Car si Adam n’eût pas donné consentement à ces pensées, le Diable ne pouvait avoir de puissance sur le serpent ni aucunes autres créatures : parce que tout ce que Dieu avait créé était très bon [191], et ne pouvait malfaire sinon par le consentement de l’homme : mais sitôt qu’Adam eut donné entrée en son entendement aux curiosités et à la complaisance de tant de belles créatures, il glissa par ce moyen la malignité dans le Serpent et les autres bêtes : car à mesure que la volonté d’Adam s’est retirée de la dépendance de Dieu [192], à mesure le mal s’est fourré dans toutes les Créatures que Dieu lui avait assujetties : et lorsqu’il eut pleinement acquiescé à la volonté du Diable, et enfreint effectivement le commandement de Dieu, icelle malédiction fut sur toutes les bêtes, les plantes et les éléments, voire sur son propre corps et esprit.

83. Cela n’arriva pas si subitement comme l’on s’imagine : car Adam fut longtemps dans le Paradis terrestre sans être infidèle à son Dieu : mais par les continuelles suggestions de Satan, il acquiesça à la fin à la volonté, et donna son plein consentement à enfreindre le commandement de Dieu sous espoir qu’il deviendrait comme Dieu, si que le serpent avait persuadé à Éva, et elle à son mari Adam. Et pour confirmer leurs mauvaises volontés, ils prirent aussi extérieurement du fruit de l’arbre duquel Dieu avait défendu de ne manger ; et en mangèrent tous deux : par où fut perdue toute l’humaine race : parce que tous les hommes qui ont été, sont, et seront, étaient tous dans Adam ; et partant sont tous tombés en lui.

84. Mais le Diable n’a pourtant su avoir sous son domaine tous les hommes : car la Parole de Dieu s’est adressée à Adam pour le rappeler de son égarement, lui demandant : Où es-tu ? afin de le faire retourner en soi-même, et voir en quel état il s’était réduit. Et sitôt qu’Adam eut répondu : Me voici, Seigneur, avec un regret et extrême confusion, il reçut pardon de son péché moyennant de faire quelque temps de Pénitence, qui est, durant le cours de cette misérable vie mortelle, en laquelle tous les hommes entrent pour satisfaire à la Justice de Dieu [193], lequel par sa miséricorde changea la damnation et la peine éternelle dans une peine temporelle, pardonnant ainsi à tous les hommes plus favorablement qu’il n’avait fait à tous les Diables.

85. Ce qui renforça la haine et la jalousie du Diable à l’encontre de l’homme, lui faisant plus cruelle guerre qu’auparavant ; et anima tous les éléments et autres créatures de sa malice, pour par icelle nuire et grever à l’homme, et l’induire à toutes fortes de maux ; et eut tant de puissance sur les deux premiers enfants d’Adam, que l’un tua l’autre par envie que Caïn conçut à l’encontre d’Abel [194], pour ce qu’il était juste [195].

 

 

Remèdes aux premières séductions de l’Antéchrist.

 

XIX. Remèdes aux premières séductions de l’Antéchrist par le Christ, né d’une Vierge, et pourquoi. Pourquoi il s’est chargé de nos misères : Pourquoi il est Législateur : Comment il est notre Médecin, et guérit toutes nos plaies.

 

86. Et cette malice s’est si fort augmentée, que les hommes avaient presque tous perverti leurs voies [196], étant retombés dans la même damnation de leur propre volonté comme ils étaient tombés par la chute d’Adam. En sorte que la Bonté de Dieu fit encore une semblable Miséricorde à l’homme pour la seconde fois, en pardonnant leurs péchés moyennant d’embrasser derechef quelque temps de pénitence. Il créa à ces fins un second Adam, qui fut Jésus Christ, le tirant du sang d’une Vierge comme il avait tiré le premier Adam du limon de la terre ; et en forma un corps couvert de la mortalité, comme les autres hommes, quoi qu’il ne fût pas chargé du péché d’Adam, pour n’être pas sorti de sa semence, mais de celle seule de la femme, qui n’avait commis le péché que par participation du péché d’Adam, sans avoir directement contrevenu au commandement de Dieu, comme son mari Adam, lequel avait seul reçu la défense de manger du fruit d’un certain arbre [197] : en sorte que la malignité du péché n’était pas entrée en la semence de la femme comme en celle de l’homme, bien qu’elle dût subir la même pénitence temporelle, et être assujettie à souffrir les malignités de la terre, des astres et des éléments, à cause qu’elle avait coopéré au péché de son Mari, par lequel elle avait contracté sa pénitence temporelle, étant couverte de la même mortalité, mais pas de la même coulpe ou degré du péché : parce que Dieu ne lui avait pas fait directement le commandement qu’il avait fait à son Mari : de façon que si Ève eût mangé seule du fruit défendu, et pas Adam, tous les hommes n’auraient pas été perdus : à cause qu’ils n’étaient pas tous contenus dans Ève comme ils étaient tous contenus en Adam, lequel portait, en ses reins ou sa semence, tout l’humain lignage ; mais non pas Ève, qui ne lui avait été ajointe que comme une aide ou une compagne [198] : en sorte que dans la semence de la femme n’était pas contenu le péché originel. C’est pourquoi il est menacé au serpent que la semence de la femme lui brisera la tête [199], et non pas la semence de l’homme. Cela veut dire que spirituellement et naturellement doit sortir de la femme celui qui brisera la tête au Diable.

87. C’est pourquoi Dieu a voulu créer le corps de Jésus Christ de la seule semence de la femme, lui créant un corps et une âme comme les autres hommes [200], sans toutefois participer au péché commun à tous ceux qui sortent de la semence d’Adam par les autres hommes. C’est ce Second Adam qui fut envoyé de Dieu pour racheter les hommes de leur seconde chute [201]. Il n’est pas créé dans l’état glorieux et plaisant comme le premier Adam ; mais dans les misères d’un corps mortel et passible, de la même nature que la matière duquel il avait été formé, qui était le sang de la Vierge Marie. En cela a-t-il été chargé de nos langueurs et porté en soi nos misères [202] sans être coupable, comme sont tout le reste des hommes.

88. Mais venant pour rétablir le monde dans son premier état où il avait été créé, il fallait qu’il eût fait voir aux hommes, par une Loi qu’il leur enseignait, toutes les choses par lesquelles ils étaient sortis de l’Amour et de la Dépendance de Dieu. Et pas seulement comme un législateur, mais aussi comme un Médecin, il apportait les remèdes à nos maux, préparant les médecines qui devaient guérir nos plaies, et les avala lui-même le premier pour nous encourager à les prendre plus volontiers [203]. Il était sain du péché originel et actuel, pour n’avoir contracté d’Adam nulle inclination au péché, comme les autres hommes ; et encore moins était-il coupable de péchés actuels, vu qu’il était dès le premier instant de sa conception uni inséparablement à la Divinité, si étroitement qu’il n’en fut jamais un seul moment séparé [204] : cependant que pur et exempt de coulpe il se charge de la peine due au péché comme s’il eût été coupable : et cela pour nous donner exemple [205], et nous montrer par effet les œuvres que nous devions embrasser pour retourner dans la Grâce de Dieu, d’où nous étions sortis pour avoir adhéré au Diable et autres créatures.

89. Et comme l’avarice et convoitise des biens de ce monde avait rendu presque tous les hommes Idolâtres de l’or et de l’argent, il choisit la pauvreté et méprise les richesses [206], comme l’unique remède pour guérir cette plaie d’avarice. Et comme l’arrogance et la superbe des hommes leur avait fait denier l’honneur à Dieu pour se l’attribuer à eux-mêmes, il leur est venu enseigner la Douceur, la Débonnaireté, la Bassesse et l’Humilité [207], pas seulement de paroles, mais par effet, pratiquant lui-même toutes ces choses pour nous donner exemple, et montrer, comment il nous faut prendre la dernière place et prendre le moindre et plus méprisé pour résister à notre superbe, qui est une plaie mortelle ; comme est aussi l’Amour de nous-mêmes : pour cela notre Divin Médecin, qui est Jésus Christ, nous vient enseigner qu’il faut renoncer à nous-mêmes [208], et souffrir ou pâtir tout ce qui est contraire au sentiment de notre nature corrompue, laquelle ne souhaite que les aises, le repos et les sensualités naturelles, èsquelles les hommes étaient si adonnés, qu’ils ne cherchaient que les aises et les plaisirs de ce monde. Ce que Jésus Christ voulant guérir, il entreprend une vie pénible et labourieuse, endurant malaises et incommodités depuis sa naissance jusqu’au dernier soupir de sa vie : pour montrer aux hommes par son exemple comment ils doivent pâtir et souffrir en cette vie afin de remédier au péché d’Amour propre, qui tue les âmes.

90. Ce n’est pas que Jésus Christ ait eu besoin de la moindre de ces choses : car la moindre partie qui était en lui était toute pure, étant composée du pur sang d’une Vierge quant à sa nature humaine ; et de l’Esprit pur de Dieu quant à sa nature Divine [209] : en sorte que rien ne pouvait l’assujettir à aucune souffrance sinon l’amour qu’il portait à l’homme [210]. Et le voyant si éloigné de son Dieu, qui ne le voulait cependant perdre, il envoya Jésus Christ comme un Médiateur, pour réconcilier l’homme avec son Dieu. Et afin que le Diable ne les séduisît davantage, il leur envoie l’Esprit Saint par son Fils Jésus Christ pour les retirer de la Damnation où le Diable les avait tous acheminés [211]. Il ne parla plus à eux pour les rappeler, si qu’il avait fait Adam, par une voix qui l’effraya ; mais il mit sa voix et sa Parole dans un corps et une âme visible et sensible [212], afin que les nommes l’eussent mieux vu et compris par un organe semblable à leurs personnes. Et encore l’aveuglement des hommes était si grand que plusieurs ne l’ont pas compris ; quoiqu’il fut venu entre les siens, les siens ne l’ont pas compris [213], et ne le connaissent pas encore.

 

 

Réjection des remèdes de Christ.

 

XX. Comment l’Antéchrist a fait rejeter les remèdes de Jésus Christ par les Juifs et par les Chrétiens. Par ceux-là, sous le beau prétexte qu’il venait détruire la Loi : mais il est montré par des exemples qu’il venait la perfectionner, ou ramener les hommes plus efficacement à l’Amour de Dieu ; et que les Chrétiens rejettent et méprisent Jésus Christ encore davantage que les Juifs.

 

91. L’on a vu ses œuvres et entendu sa doctrine sans le connaître ou comprendre ; et avec juste raison Jésus Christ disait : Philippe, qui me voit, il voit mon Père ; et : il ne connaît ni le Père ni moi [214]. Combien d’injures fait-on continuellement à Dieu par cette méconnaissance ? Les Juifs ont rejeté et méprisé Jésus Christ parce qu’ils ne le connaissaient pas [215] ; et entendant qu’il leur venait enseigner les remèdes à leurs maux, ils l’ont persécuté, outragé, et à la fin mis à mort. Ils ont vu ses œuvres être bonnes, et sont devenus plus méchants parce qu’il était bon. Ils croyaient qu’il venait détruire la Loi de Dieu [216] lorsqu’il la venait perfectionner [217] : car la Loi de Dieu ne peut jamais changer, elle est toujours la même [218] : les changements des paroles ou des Cérémonies ne font rien à la Loi de Dieu, mais seulement elles servent aux hommes pour leur montrer par quels moyens ils sont déchus de la Loi de Dieu, ou de son Amour, qui est la même chose [219] ; parce que Dieu ne donnera jamais à l’homme d’autre Loi que celle de l’aimer : mais les hommes se retirant de cet Amour par divers moyens, il a besoin de leur enseigner diverses choses ; comme divers moyens, afin de par iceux les ramener dans cet AMOUR. Ce que les hommes ne comprennent pas, et jugent faussement selon l’apparence des choses.

92. Car si les Juifs eussent bien remarqué la Loi que Jésus Christ leur venait enseigner, elle n’était en rien contraire à la Loi première qu’ils avaient reçue par Moïse en substance ; quoique les paroles et les signes extérieurs étaient contraires. Par exemple : La Loi ancienne ordonne que les mâles, comme les chefs des familles, seront circoncis [220] : ce n’est pas que Dieu ait désiré le sang et la peine des hommes ; mais c’est qu’il leur voulait enseigner par ces signes extérieurs la mortification de la chair, l’appétit de laquelle avait occasionné le péché d’Adam en convoitant de manger d’un fruit bien agréable, et de devenir plus puissant et plus parfait. Cette inclination de la convoitise de la chair est naturelle à tous les hommes. Si bien qu’un chacun vivait selon la sensualité de sa chair, ayant oublié la vie de l’Esprit, lorsque Dieu ordonna la Circoncision. S’il eût seulement enseigné de paroles qu’il fallait retrancher les appétits de la chair, personne n’eût su comprendre cette mortification : à cause qu’ils étaient devenus si brutaux qu’ils n’entendaient plus rien que les choses visibles et sensibles : pour cela Dieu leur ordonne un signe extérieur de la mortification de la chair, par le souffrir des peines corporelles qu’il y avait en la circoncision ; lesquelles peines, étant souffertes pour l’amour de Dieu, mortifiaient les sensualités ou appétits de la chair. Et pour perfectionner la rudesse de cette Loi, Jésus Christ vient enseigner par esprit qu’il faut renoncer à soi-même et embrasser les souffrances et les croix pour l’amour de Dieu [221]. Ce n’est pas un changement de Loi : car la mortification de la chair devait aussi bien être observée des Chrétiens comme des Juifs ; mais c’est seulement un changement de paroles et de signes extérieurs, qui signifient la même chose : car être circoncis, et avoir renoncé à soi-même ou aux appétits de la chair, c’est toute la même chose en substance. Les cérémonies ou paroles extérieures n’y font rien. Si un Juif est circoncis en sa chair et si sa volonté n’est pas retranchée des volontés charnelles, il porte cette peine en son corps à la faveur du Diable, lequel ne demande rien à notre chair, mais seulement à notre cœur et notre volonté. Moyennant qu’il trouve cela à foi, il nous laissera bien circoncire et faire toutes les autres choses à l’extérieur, quoique saintement ordonnées de Dieu même : car le Diable est esprit, et n’est adoré que de notre esprit, sachant bien que notre corps n’est que pourriture : à quoi il ne veut prétendre.

93. Mais les hommes par ignorance s’arrêtent en la considération des choses extérieures, comme firent les Juifs, en disant que Jésus Christ venait détruire leur Loi ; bien qu’en effet il la venait adoucir et perfectionner ; et nullement changer : encore bien qu’il dît que la Loi ancienne disait dent pour dent, et œil pour œil ; et que lui par sa Loi nouvelle disait : Aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent [222], etc. Ces paroles semblent toutes contraires, quoi qu’en effet, c’est la même chose : car il commande la Justice disant œil pour œil, afin qu’un chacun reçût comme il donnerait ; mais en voyant que les hommes abusaient des desseins de Dieu, et qu’au lieu de rendre œil pour œil par une droite justice qu’ils rendaient œil pour œil par esprit de vengeance et d’inimitié ; pour y remédier, Jésus Christ enseigne d’aimer ses ennemis et prier pour ceux qui nous persécutent, comme étant une chose beaucoup plus parfaite de souffrir avec patience, voire, céder le sien à son ennemi, que non pas de se venger de lui.

94. Si l’on remarquait, Monsieur, toute la Loi ancienne auprès de la nouvelle, l’on trouverait assurément qu’en substance c’est toute la même chose, et qu’il n’y a rien dans la Loi nouvelle que les moyens d’observer cette même Loi, fort adoucis et perfectionnés : comme est aussi le point de ce commandement de la Loi Ancienne, d’offrir à Dieu la dixième part de tout ce qu’on possède [223]. Cela est venu pour détacher les cœurs des hommes des biens de la terre, et leur faire connaître que tout ce qu’ils avaient venait de Dieu : et pour témoigner cette reconnaissance, il leur est ordonné d’offrir la dixième partie des biens qu’ils possèdent. Ce n’est nullement que Dieu ait besoin des biens temporels ; car le Ciel et la terre lui appartiennent ; mais c’est qu’il veut avoir l’amour des hommes, lesquels lui déniaient cette affection pour la porter aux biens de la terre, et étaient si aveugles là-dedans, qu’ils pensaient ne pouvoir subsister dans ce monde sans posséder les biens de la terre. C’est pourquoi Dieu supportant leur ignorance, il leur demanda seulement la dixième partie de leurs biens. Mais lorsque Jésus Christ est venu perfectionner cette Loi, il a enseigné qu’il faut quitter tous les biens qu’on possède en général, afin que le cœur fût parfaitement détaché de l’amour des créatures, pour aimer Dieu de tout son cœur [224]. Ce qui se fait plus aisément lorsque matériellement l’on offre à Dieu tout ce qu’on possède. Voyez-vous bien, Monsieur, que cette première Loi, de donner la dixième partie de son bien ; et cette deuxième Loi, de renoncer à tout ce qu’on possède, ne butent toutes deux qu’à une même fin, savoir, à AIMER DIEU, et pas les choses terrestres ? Mais cet Amour de Dieu est enseigné par des moyens divers : ce qui ne fait rien à la substance, si les hommes avaient la lumière pour découvrir la vérité. Mais le Diable leur bande les yeux, et leur donne un tel aveuglement, qu’ils prennent le faux pour le vrai, et méprisent ce qu’ils devraient estimer.

95. Par cette ignorance ont grandement manqué les Juifs, de ne pas recevoir la doctrine de Jésus Christ : mais les Chrétiens manquent sans comparaison davantage, vu qu’après avoir reçu cette doctrine ils font tout le contraire de ce qu’elle leur enseigne. L’on peut bien dire que les hommes sont maintenant dans un plus mauvais état qu’ils n’étaient lorsque Dieu a envoyé Moïse pour les enseigner : à cause qu’ils tiennent maintenant moins d’état de la Loi Évangélique qu’iceux ne faisaient de la Loi de Moïse, laquelle faisait que les hommes craignaient Dieu, ne l’osant entendre parler, mais disaient à Moïse : Parle-nous ; mais non pas le Seigneur [225]. Ce qui dénotait une grande crainte de Dieu. Mais à présent les Chrétiens sont si éloignés de Dieu, qu’ils n’ont non plus sa Crainte que son Amour. Un chacun vit à sa liberté comme des Indépendants de toutes choses, n’adhérant qu’à leurs propres sens et leurs propres volontés, tout de même que s’il n’y avait plus de Dieu ; et quoiqu’ils lisent la Loi Évangélique qui leur est laissée par écrit comme le Testament qui déclare les intentions de leur Sauveur Jésus Christ, ils le méprisent par leurs œuvres, voire aucuns par leurs paroles mêmes, ayant un tel mépris de Jésus Christ, qu’ils le manifestent quelquefois au dehors, et ne savent simuler les pensées de leurs cœurs sans le témoigner par des paroles et actions au dehors sur ce sujet.

 

 

Christ rejeté par l’Antéchrist.

 

XX. L’Antéchrist fait que les Chrétiens rejettent Christ quant à sa Personne, quant à sa vraie Satisfaction, son Imitation, la Pénitence à quoi elle nous engage. Item par des présomptions d’Élection de propres forces, et autres doctrines (dont il sera traité particulièrement dans les autres parties).

 

96. Je vous raconterai, Monsieur, ce qui m’est arrivé depuis peu dans une Conférence où j’étais de quatre personnes avec moi, où j’avais avancé fort à propos quelque chose de Jésus Christ : l’une de ces personnes me demanda si je croyais que Jésus Christ était Dieu, et s’il avait été de toute éternité ? À quoi je répondis qu’Oui ; en tant que Dieu il avait été de toute éternité ; et en tant qu’homme il n’avait été que depuis le temps qu’il fut né. Sur quoi ils se prirent à rire, en disant que je n’étais pas Socinienne, et que j’avais des simples croyances. Et pour autoriser leur savoir, une de ces personnes raconta l’exemple d’une femme Juive, laquelle était condamnée à être brûlée à cause de l’opiniâtreté de sa foi, et étant entrée dans le lieu de supplice, savoir, quelque maisonnette faite de bois, où on devait mettre le feu dedans, un certain Prêtre vint à elle avec un Christ représenté sur une croix, lui demandant, si elle ne voulait pas reconnaître le Christ, qui pour son salut avait tant souffert ? Sur quoi la femme Juive se mit en colère ; et ne pouvant rejeter crucifix avec ses mains, à cause qu’elle les avait liées, elle le poussa avec ses pieds, disant : Va arrière de moi avec ce Dieu créé ; et mourut en cette disposition. Ce que ce personnage me raconta comme une chose bonne que la femme Juive avait faite ; en disant : Cette Juive est morte vraiment martyre de Dieu. Je fus bien surprise d’entendre semblables discours de personnes qui font profession d’être des meilleurs Chrétiens.

97. Ne voit-on pas par cette histoire, Monsieur, que Christ n’est plus véritablement connu, non plus que le Père ? Car encore bien qu’on ait les Commandements de l’un et de l’autre, on ne les observe nullement, mais plutôt on s’en sert pour profaner la Parole de Dieu, et lui faire injures. Je sais bien que beaucoup de Chrétiens ne proféreraient pas volontiers de semblables paroles contre Jésus Christ : mais ils foulent semblablement aux pieds sa Loi Évangélique (comme la femme Juive foula le Crucifix) par leurs œuvres et par effet ; et pendant qu’ils parlent avec honneur de Christ, ils le blasphèment par leurs vies, ayant la bassesse et l’humilité à grand mépris, travaillant de cœur et d’esprit pour être grands et riches en ce monde, sur cette fausse supposition que Jésus Christ a tout satisfait pour eux, et qu’ils sont trop infirmes pour pouvoir faire aucuns biens : sans apercevoir que c’est le Diable qui leur a mis cette pensée dans l’esprit.

98. Car s’ils voulaient bien remarquer les forces et grâces qu’ils ont reçues de Dieu, ils verraient bien qu’ils n’en ont que trop pour suivre J. Christ et embrasser la vie Évangélique s’ils en avaient seulement la volonté absolue : car ils ont des bons jugements pour bien comprendre les affaires du monde, et des subtilités pour inventer choses qui leur sont bien avantageuses ; et avec cela, les forces et la santé du corps pour travailler de corps et d’esprit à la conquête des biens terriens. S’ils voulaient appliquer la vingtième partie de leur talent pour l’honneur et le service de Dieu, comme ils appliquent pour le service du monde, sans doute qu’ils deviendraient bientôt des véritables Chrétiens : mais à cause qu’ils n’ont pas ce véritable désir, le Diable les flatte par ces pensées que Jésus Christ a tout satisfait pour eux : comme si Jésus Christ était leur valet à gages pour porter leurs fardeaux pendant qu’eux prendront le repos et le bon temps ès délices du monde.

99. Pauvres aveugles et malavisés ! qui ne connaissent ni Dieu ni Jésus Christ ; et ne Savent en quelle façon il peut avoir satisfait pour eux : car Jésus Christ n’est pas venu pour les décharger de la pénitence à quoi le péché les avait assujettis par la droite Justice de Dieu [226] ; mais il est venu pour enseigner les hommes par quels moyens ils se pouvaient bien acquitter de ladite pénitence, et retourner en la grâce de Dieu [227]. Depuis le péché, Adam n’a pu être sauvé sinon en faisant longue pénitence pour un seul péché de désobéissance : et ces personnes en ont fait plusieurs, voire continuent journellement dans la désobéissance de Dieu ; et avec cela pensent être sauvés sans faire pénitence, ne remarquant pas que le S. Esprit dit : Si vous ne faites pénitence, vous périrez tous [228]. Il ne dit pas cela à quelques gens, nations, ou religions particulières, mais à tous les hommes en général, compris en ce mot de tous, sans excepter personne.

100. Mais le Diable, pour détourner de cette pénitence si nécessaire, il fait accroire à aucuns qu’ils sont les Élus de Dieu, et partant, qu’ils ne peuvent périr. Et aux autres il leur fait accroire que Jésus Christ a tout satisfait pour eux, et partant, qu’ils n’ont plus rien à satisfaire, mais attendent leur Salut assurément, comme font aussi ceux qui se croient élus ; et aussi, ceux qui croient d’avoir leur salut en leur pouvoir, indépendamment de Dieu, se fiant sur leurs forces et leur libre volonté, comme les autres se fient sur leurs Religions, en disant que leur Religion est la vraie et la plus assurée : et ainsi de mille autres espérances. Le Diable amuse les hommes pour leur faire présumer le Salut sans bonnes œuvres : ce qui est un péché contre le S. Esprit [229] qui ne sera pardonné ni en ce monde ni en l’autre [230].

101. Car la personne qui ne veut pas embrasser la pénitence que Dieu a ordonnée à Adam, et gagner sa vie à la sueur de son visage, ne satisfait pas à Dieu pour son péché originel ; et s’il n’embrasse pas la pénitence de la vie Évangélique que Jésus Christ nous a ordonnée pour nos péchés actuels, il n’y a nul salut à espérer ; mais une éternelle condamnation : pour avoir méprisé les ordonnances de Dieu, pas une fois, comme Adam, mais plusieurs fois et avec plus de malice : vu qu’Adam ne connaissait nullement quels maux cette désobéissance lui pouvait apporter : mais nous avons appris de Jésus Christ que celui qui aura vécu sans charité entendra à la fin : Allez, maudits, au feu éternel [231]. Et contre ce savoir, et aussi contre toutes les Lois Évangéliques, l’on veut vivre et mourir dans la présomption de salut, sans accomplir les commandements de Dieu enseignés si particulièrement par Jésus Christ d’œuvres et de paroles ! Le premier Adam a fait toute sa vie pénitence en continuels soupirs et regrets d’avoir offensé son Dieu ; et le second Adam, qui est Jésus Christ, a mené une vie si pénible et si méprisée, ayant souffert injustement une mort cruelle, cependant que les hommes d’aujourd’hui s’efforcent à prospérer et dominer en cette vie : et avec ce, présument d’avoir le salut éternel par un chemin tout contraire à celui que Dieu leur a ordonné et Jésus Christ montré par son exemple, pour lequel tous les hommes devraient rougir de honte de porter le nom de Chrétiens en des œuvres directement opposées à celles de Christ.

102. Et leur aveuglement est venu si avant qu’ils ne savent encore apercevoir qu’ils sont des véritables Antéchrétiens, et tout aussi bien ceux qui pensent être dans la vertu que ceux qui connaissent d’être pécheurs sont tous conduits par cet Esprit de l’ANTÉCHRIST, qui règne maintenant universellement par tout le monde, principalement parmi les Chrétiens [232]. C’est d’iceux qu’il tire ses plus grands avantages, à cause qu’il les trompe sous apparence de sainteté [233], en contrefaisant les œuvres et les paroles de Jésus Christ : avec quoi il éblouit tellement les yeux des gens de bien qu’ils feraient scrupule de croire que des choses en apparence si bonnes pourraient venir de l’esprit ou suscitation de l’ANTÉCHRIST.

 

 

XXII. Vision touchant la manifestation de l’Antéchrist : Il est bien plus dangereux quant à son règne en Esprit, qui est à présent, où les hommes sont régis d’un esprit contraire à Christ.

 

103. Si je vous pouvais, Monsieur, donner la visière ou lumière intérieure que Dieu me donne, vous seriez (comme tous les autres hommes) muet et confus d’un semblable aveuglement d’esprit, et crieriez de l’abondance de vos pensées : Que TOUS LES HOMMES ONT ABANDONNÉ LE VRAI DIEU POUR ADHÉRER À L’ESPRIT DE L’ANTÉCHRIST, qui est maintenant assis au Trône de Dieu, et se fait suivre et adorer comme s’il était Dieu ; Que ce temps prédit par Jésus Christ est pleinement arrivé en notre temps ; et Que le plus grand mal de tous est que les hommes ne le découvrent pas. Je souhaite que Dieu permît que tous les hommes vissent cet ANTÉCHRIST en la forme et manière que je l’ai vu il y a trois ans, ou davantage. Par une nuit je fus transportée en Esprit dans une place qui était si claire comme s’il y eût eu mille chandelles. Là je vis l’ANTÉCHRIST en chair ; pas comme un petit Enfant, mais comme un homme tout venu, qui a sa croissance accomplie. Il était sur un Théâtre grand, à demi couché sur un lit, d’une façon impudique, en telle pompe et magnificence qu’un Roy n’a pour l’ordinaire rien de semblable. Il avait aux environs de lui tant de gens et de valets, qu’ils ressemblaient à une grosse armée, revêtus de différentes livrées ; et en bas du Théâtre il avait du monde fort nombreux de toutes sortes de nations et de conditions, lesquels lui faisaient honneur à genoux, chacun en son ordre. J’en écrivis les particularités par une Rime fort légère le lendemain, à cause que je n’avais personne à qui je le pusse communiquer. Vous pourrez examiner de plus près les circonstances de cette vue par la même rime, que je vous envoie ci-jointe.

104. Ce n’est pas que je fasse grand état d’aucunes visions ou songes : mais lorsque j’ai pénétré depuis la façon et le comportement des hommes, j’ai bien pu voir, par des solides vérités, que l’ANTÉCHRIST est véritablement adoré de toutes nations, et que sa malice a un grand domaine et pouvoir sur les hommes : qu’il possède toutes les richesses et grandeurs de la terre, si que j’ai narré dans la même rime. Ce serait peu de chose qu’il parût visiblement en corps humain : car son mal est bien plus grand et redoutable lorsqu’il est inconnu et invisible (trompant les hommes par fausseté et hypocrisie) que s’il les persécutait seulement par force et par outrage ; parce que lors personne ne se rendrait de son parti sinon ceux qui veulent bien le suivre volontairement. Mais aussi longtemps qu’il ne paraît ouvertement, les gens de bien en sont séduits sans l’apercevoir ; et si son Règne dure encore longtemps, je ne sais qui pourra échapper de ses pièges : parce que les plus gens de bien croient d’adhérer à Dieu en adhérant au Diable.

 

 

XXIII. Description d’une Vision Divine touchant la manifestation extérieure de l’Antéchrist, qui règne partout en Esprit, et dont la découverte est proche.

 

 

 

            Cet Antéchrist est né

            Jà plus d’un an passé :

            Le temps est arrivé

            Qu’il soit manifesté.

 

 

            Description de l’Antéchrist corporel.

 

                Je l’ai vu en esprit

            Par une claire nuit,

            Sur un Théâtre grand,

            Riche et resplendissant,

            Couvert d’un pavillon,

            Bordé à l’environ,

            Tout tendu de velour

            Incarnat à l’entour.

 

 

            Sa gloire et sa suite.

 

                Dessus un lit mollet

            Demi couché il est,

            Il n’est plus en bas âge ;

            Mais un grand personnage.

                Sa gloire est sans pareille,

            On l’estime à merveille :

            Fait paraître son train

            De nuit en grand festin.

            Il a valets en nombre,

            Comme une armée innombre ;

            Du peuple aux environs

            De toutes nations.

 

 

            Son hommage.

 

                Chacun dit ses louanges,

            Comme à Dieu font les Anges.

            Chacun aime son joug ;

            On l’adore à genoux,

            En offrant de l’encens

            Un chacun en son rang.

 

 

            Ses sujets.

 

                Pauvre, Riche, et Seigneur,

            Chacun lui fait honneur :

            Gens d’état et d’office :

            Tout est à son service.

            Les Grands, Forts et Puissants

            Sont ses meilleurs Agents.

            Gens de Cloître et d’Église

            Lui offrent Sacrifice :

            Tous présentants leurs vœux :

            Moines, Religieux :

            Les Prélats et Abbés

            Y sont parmi mêlés.

            L’on y voit à foison

            Toute condition.

            Laïcs, Ecclésiastiques,

            Chrétiens et Hérétiques.

            Gens d’étude et Savants,

            Tout vient, se soumettants

            Sous ce Tyran inique,

            En ses faits, Diabolique.

            Cette grande Assemblée

            Ne peut être nombrée.

 

 

            Ses joies.

 

                Chacun y est plaisant,

            Tout y est triomphant :

            Le lieu clair à merveilles,

            Plus que mille chandelles.

 

 

            Ses appas.

 

                Ne faut être étonnés

            Si l’on suit ces beautés.

            Puisque l’homme aujourd’hui

            N’aime que ce déduit :

            L’honneur et les richesses

            Les plaisirs et liesses,

            Qui chatouillent le sens,

            Ne vivants qu’au présent.

            C’est pourquoi tant du monde

            Suit ce perfide immonde.

 

 

            Ses sujets, pactionnaires

            entre les Chrétiens.

 

                Des Chrétiens les TROIS QUARTS

            Il en a, pour sa part.

            S’il n’est tôt découvert

            Il aura l’Univers.

 

 

            Ses couvertures sous belles

            apparences de spiritualité.

 

                Ce qui est déplorable,

            Et le plus lamentable,

            C’est qu’il est méconnu,

            Et couvert de vertu,

            Voilé de tromperie,

            Vêtu d’hypocrisie ;

            Caché de Sainteté,

            Masqué de Piété :

            Rempli de bienséance,

            Belle condescendance.

 

 

            De Police et moralité.

 

                D’État et de Police

            Il couvre sa malice.

            Par la Civilité

            Il palli’ tout péché.

 

 

            De Doctrine, de Vertu, et de Religion.

 

                La vrai’ Théologie

            Devient Diabologie :

            La solide vertu

            Il a tout corrompu.

            Car sa Loi Diabolique

            Rend tout Pharisaïque,

            N’ayant que l’apparence,

            Mais nuls biens en essence.

 

 

            D’exercices pieux, cérémonies et choses saintes.

 

                Multiplie Sermons,

            Par pure ambition :

            Fait offrir Sacrifice ;

            Le tout à son service.

            Pousse à Confession

            Mais sans Contrition.

            À communier tant

            Induit beaucoup de gens,

            Pour faire Sacrilèges,

            Voir, mille Sortilèges.

                Plusieurs esprits bienfaits

            Voient bien ces méfaits.

            Mais nul ne s’imagine

            Quelle en est l’origine.

            L’on voit le mal régner,

            Et sur tout dominer,

            Sans connaître en Esprit

            Que c’est cet ANTÉCHRIST,

            Que son temps est venu,

            Son pouvoir absolu,

            Sur tout le genre humain :

            Il n’est rien plus certain

            Qu’il règne en Empereur,

            Sur tous Dominateur,

            Jusqu’au temps limité

            Qu’il soit exterminé.

 

 

            Ô Temps dangereux !

 

                C’est ce Temps dangereux [234],

            Où vivons malheureux.

            Si nous ne voulons croire

            Sur nous aura victoire,

            Par ruse et artifice,

            Et subtile malice.

 

 

            Prédit.

 

                Tout est prophétisé :

            Que nul n’y soit trompé !

            Faux Prophètes viendront,

            Plusieurs ils tromperont,

            Jusques aux élus mêmes [235].

            Ô quels dangers extrêmes !

 

 

            Péril universel.

 

                Si possible il était,

            Rien n’en échapperait [236] :

            Tout y serait séduit

            Par ce damnable Esprit,

            Qui veut tant s’exalter,

            Comme à Dieu s’égaler,

            Et s’asseoir en son Trône ;

            Quel horrible fantôme !

            Un Diable en chair humaine,

            Couvert d’œuvres divines,

            Comme un Dieu adoré,

            Et de tant honoré !

 

 

            Il n’y a que les Factionnaires

            exprès qui sachent bien croire

            que cet Antéchrist est né :

            les bons ne sachant y ajouter foi.

 

                Personne ne le croit

            Que celui qui le voit,

            Et est à son service

            Dans sa noire malice :

            C’est ses Pactionnaires,

            De JÉSUS adversaires,

            À lui tous dédiés,

            À JÉSUS renoncés,

            À Loi et à Baptême,

            Lui donnant l’âme même.

            Ceux-là sont transportés,

            Par les Diables portés

            Ès lieux où il paraît,

            Où un chacun le voit :

            À minuit environ

            Est le temps et saison

            Où tous ses adhérents

            S’y trouvent en leurs rangs ;

            Chacun d’eux le connaît,

            Y allants plusieurs fois.

            Les bons, qui n’y vont pas

            En sont en grands combats,

            N’osant tenir pour vrai

            Que l’ANTÉCHRIST soit nai :

            Parce qu’il ne paraît

            Aux yeux en tout endroit.

 

 

            L’ANTÉCHRIST ne paraîtra

            partout en corps.

 

                Ce qui n’est pas loisible,

            En effet impossible ;

            Qu’une masse de chair

            Soit par tout l’univers.

            Ce puant corps immonde

            N’ira par tout le monde,

            Christ n’y ayant été

            Lorsqu’il fut incarné :

            Cela n’est point bastant

            Pour demeurer errant,

            Ne croyant absolu

            Que son tempus est venu :

            Puis que son mal abonde

            Enfin par tout le monde.

 

 

            On voit par les fruits

            que son temps est venu.

 

                Le mal domine à main :

            Le bien est à sa fin.

            Les œuvres de Satan

            Sont partout, triomphant.

            L’on ne voit que Magie,

            Toute Sorcellerie.

            Tout est autorisé ;

            Rien n’est réprimandé.

            Fraudes et Tromperies,

            Luxure, Ire et Envies.

            Le bien persécuté,

            Le droit est opprimé.

            Sont-ce pas là les fruits

            Que ce Diable a produits ?

 

 

            Les signes et la Révolte

            universelle sont parus.

 

                Les voyants de nos yeux,

            Nous demeurons douteux !

            Aveuglement d’Esprit !

            Veut-on être séduit ?

            Quel signe attendons-nous,

            Qu’ils n’aient paru tous,

            Tout ce qu’a Dieu prédit ?

            Qu’on ne voie aujourd’hui

            La Révolte arrivée [237],

            L’ANTÉCHRIST en entrée !

 

 

            On s’est révolté partout

            contre l’Évangile,

            l’anéantissant.

 

                Partout ses faits immondes,

            Qui trompent tout le monde,

            Sont que trop révélés,

            D’effet manifestés.

            Vérité abolie :

            Le mensonge, on l’appuie.

            Parmi les plus Savants

            Se trouvent plus d’errants :

            De CHRIST l’enseignement

            Ne suivants nullement.

            Le tout est altéré

            Et de sens renversé.

            Personne ne pratique

            Ce qui est Déifique :

            Chacun son propre sens

            Suit au monde à présent,

            En oppositions

            JÉSUS, à vos leçons !

            Rien ne suit l’Évangile

            Un chacun le pointille :

            Par glose et raisonnette

            On le biffe, on le jette,

            On dit qu’il n’est plus temps

            De ces Enseignements.

                Quoi ! Dieu est-il muable ?

            N’est-il pas perdurable ?

            Tout ceci n’est-ce point

                        L’ANTÉCHRIST en bon point ?

            La vie d’à présent

            Le montre assurément.

 

                          *            *

                                 *

 

            Moyens pour connaître l’Antéchrist.

 

                L’on connaît l’arbre à son fruit :

            L’ANTÉCHRIST à son produit.

            De parole ni d’effet

            Nous ne suivons Christ parfait.

            Ce qui est contraire à Christ,

            Tout cela est Antéchrist.

 

 

            Chrétiens contraires à Christ en tout.

 

                 Tout ce qu’à nos yeux paraît

            Prêché de muette voix

            Que faisons directement

            Contre Christ assurément.

 

            Il aime la pauvreté ;

            Chacun la méprise assez.

 

            Il méprise les honneurs :

            Chacun les tient pour bonheurs.

 

            Il foule aux pieds la richesse :

            C’est ce qu’un chacun caresse.

 

            Il ne cherche qu’à souffrir :

            Personne ne veut pâtir.

 

            Il est de tous méprisé,

            Chacun veut être honoré.

 

            Il s’est fait petit Enfant :

            Un chacun veut être Grand.

 

            Il est l’opprobre des hommes ;

            En quoi ses suivants ne sommes.

 

            Il méprise les ébats :

            Nul ne veut suivre ses pas.

 

            Il vit toujours en détresse :

            Chacun veut vivre en liesse.

 

            Il est de tout rejeté :

            Tout veut être caressé.

 

            Il vit pour être imité :

            Chacun vit à volonté.

 

            Il commande à tous qu’on l’aime :

            Chacun n’aime que soi-même.

 

            Parle de se renoncer :

            Nul ne connaît ce métier.

 

            De gagner le Ciel par force :

            Personne ne s’y efforce.

 

            De pratiquer charité :

            Chacun en est éloigné.

 

            D’Aimer Dieu parfaitement :

            On en est loin à présent.

 

            L’on aime chose élevée :

            Lui, aime la méprisée.

 

            Il enseigne abjection :

            Nul ne suit cette leçon.

 

            Il cherche en tout les mésaises :

            Chacun veut vivre à ses aises.

 

            Il prend le plus méprisé :

            Chacun veut être estimé.

 

            Il est doux, traitable, et bon :

            Chacun suit sa passion.

 

            On le soufflette, il l’endure :

            Nul ne veut souffrir injure.

 

            Il choisit des pauvres gens :

            Chacun veut tenir son rang.

 

            Veut que soyons rejetés :

            Nous cherchons les dignités.

 

            Que soyons spirituels :

            Nous sommes tous naturels.

 

 

            Le mal a l’empire sur le bien.

 

                Par grand’ contrariété

            L’Évangile est méprisé.

            Tout ce que Satan produit

            A son domaine aujourd’hui.

            Le mal est autorisé,

            Et le vrai bien supprimé.

            Le méchant est secondé,

            Le juste est persécuté :

            De personne il n’a d’appui

            S’il est des Grands éconduit.

 

                          *            *

                                 *

 

            Réjection universelle du bien.

 

                L’on adore Soleil levant,

            Ceux qui tiennent les premiers rangs,

            Bons et méchants, il est très seur,

            Pourvu qu’on les voie en honneur.

            L’on ne peut dire vérité,

            Chacun voulant être flatté,

            Lever les bras à la malice,

            Si l’on prétend à quelque office :

            Celui qui veut être en crédit

            À flatter doit être bien duit.

 

 

            Estime et honneur universel du mal.

 

                Pour gens de bien et vertueux

            Les états ne sont pas pour eux.

            De craindre Dieu, aimer vertu,

            En ce temps on n’en parle plus.

            Si quelqu’un le fait en sa part

            Il faut qu’il se tienne à l’écart :

            On le rend sans aucun crédit

            Selon la façon d’aujourd’hui.

 

 

            Et cela, par tous :

            et grands et petits,

            bons et méchants.

 

                 Qui nous empêcherait de croire

            Que Satan n’aye la victoire ?

            Vu même que parmi les Grands

            Les maux y vont si dominants :

            Et ceux que l’on estime bons

            Suivent tous ces mêmes façons !

            Car aux méchants il est commun

            Malfaire et tromper un chacun.

 

 

            Règne des vices masqués.

 

            Larcins, Meurtres, et Homicides,

            Y sont presque rendus licites.

 

            Luxure, Ire, Envie, Paresse,

            L’on y persévère en liesse.

 

            Usure et Fraude, avec Mensonge,

            Sont usités sans qu’on y songe.

 

            Grandeur, Orgueil, et Avarice,

            Ne portent plus le nom de vice.

 

            Luxe, Gloutonnie, et Excès,

            Ne sont plus tenus pour péchés.

 

            Prendre à autrui par subtilesse

            Est souvent tenu pour sagesse.

 

                 Le mal ne peut être plus grand

            Devant Dieu qu’il l’est à présent :

            Il serait bien plus découvert,

            Mais d’hypocrisie est couvert.

 

 

            Leur découverte approche :

            alors ils nuiront moins.

 

                 Le temps vient qu’il se connaîtra :

            Lors moins de gens il trompera.

            L’ANTÉCHRIST étant furieux

            Est beaucoup moins pernicieux.

            Les gens de bien le connaissant

            Ne l’iront pas ainsi suivant,

            Si qu’ils font lorsqu’il est voilé

            De Vertu et de Sainteté.

            Bien que martyrs nous en mourrions,

            Devant Dieu très-heureux serions.

 

 

 

XXIV. Cette vision en songe, et ces vers en substance viennent de Dieu, avec tout ce que sait et qu’enseigne A. B. Comment et pourquoi Dieu lui enseigne et l’Écriture et tout ce qu’elle sait.

 

105. Lisez, Monsieur, avec attention tous ces vers. Ils me sont donnés de Dieu. Vous y trouverez beaucoup de lumières et de vérités Chrétiennes, profitables au salut des hommes, là où ils pourront voir l’état de leurs âmes, et avoir l’assurance que nous vivons maintenant au RÈGNE DE L’ANTÉCHRIST, par les œuvres et la disposition des hommes, qui n’ont plus rien retenu de chrétien ; puisqu’en effet tous leurs comportements sont Antéchrétiens. Il est vrai que le commencement de ces lumières est procédé d’un songe, qu’on ne doit croire ni rejeter, comme je fais aussi, pour savoir qu’il y a des songes qui viennent de Dieu, ainsi que furent les songes de Daniel [238] ; du petit Joseph fils de Jacob [239] ; et ceux de Joseph, Époux de la Mère de Jésus Christ, lorsque l’Ange lui dit en dormant : Prends la Mère et l’Enfant, et fuis en Égypte [240]. Mais je sais aussi qu’il y a des songes qui viennent du Diable, lequel représente souvent à l’homme en dormant choses impudiques, suscitant en lui des mouvements de colère, des esprits de vengeance, de fraude et avarice, ou autres sortes de maux, afin que la personne après son dormir puisse se remémorer ces choses, et tomber par icelles en péchés. Il y a aussi des songes qui proviennent de nature ; lorsque le corps repose, les esprits vitaux représentent à l’entendement de l’homme les choses qu’il a vues ou entendues en veillant. C’est pourquoi il ne faut jamais ajouter pleine foi aux songes, ne soit que Dieu confirme iceux en veillant, en la prière. Et partant je ne presse personne à croire le songe que j’ai eu de l’ANTÉCHRIST à cause que je l’ai songé ; mais seulement à cause que Dieu me l’a confirmé au fort de mes oraisons : lorsque je souhaitais de savoir si ce songe était véritable, Dieu me le confirma, avec beaucoup de circonstances, comme pouvez voir aux mêmes vers : en sorte que la vérité d’iceux en est très certaine.

106. Je ne suis aussi Poétesse pour avoir la curiosité de bien rimer, puisque je ne veux plaire à personne et méprise les louanges des hommes. Je veux seulement par ces vers faire entendre ce que Dieu me révèle ; à cause que je n’ai eu personne en ce temps-là à qui je puisse communiquer ces révélations, il me vint en l’esprit les rimes que vous voyez par écrit ; et je sais que le S. Esprit a souvent parlé aux Saints Prophètes par rimes [241] : point qu’iceux aient eu égard à bien rimer, ou si leurs rimes avaient tous leurs pieds et mesures ; mais ont seulement buté à bien observer la substance de l’inspiration de Dieu pour la déclarer aux autres. Voilà aussi le but que j’ai eu en écrivant ces vers, et non pour être louée pour mon savoir, puisque je n’ai aucune science qui soit mienne.

107. Car je n’ai jamais étudié et ne me sers d’aucune lecture, et les discours spirituels des hommes me servent d’empêchements en me laissant dans l’entendement quelques images de leurs discours ; là où mon esprit doit être tout libre et vide de toute image pour recevoir l’inspiration de Dieu, qui me donne toutes les sciences que j’ai ; et je puis bien dire avec l’Apôtre : Je ne vis plus, moi ; mais Jésus Christ vit en moi [242]. Ainsi puis-je dire avec vérité que tous mes écrits, et la sapience contenue en iceux, ne sont point de moi, mais du S. Esprit, lequel me verse en l’âme toutes les choses que je dois écrire ou parler, sans que je fasse aucuns devoirs pour rien apprendre ou savoir sinon celui de purifier mon âme de péchés et la tenir en recueillement en Dieu, sans la laisser distraire en choses vaines ou terrestres, tâchant toujours que ma conversation soit dans le Ciel [243]. Et avec ce, je n’ai besoin d’aucunes lectures ou méditations : car plus j’oublie mes propres pensées, de tant plus je reçois l’inspiration du Ciel, le sens des Écritures, et les paroles pour les pouvoir exprimer aux autres.

108. Diverses personnes se sont étonnées comment je peux alléguer en mes écrits tant de passages de l’Écriture sainte sans l’avoir jamais lue ; et ils se devraient étonner davantage de voir comment Moïse peut avoir écrit en la Genèse la Création du monde, qu’il n’a vue, pour n’être alors encore né ; et personne ne l’a aussi vue, pour la lui avoir racontée. Tous Chrétiens croient communément que Dieu lui a révélée : comme il est très véritable ; et aussi a-t-il révélé à tous autres Saints Prophètes tout ce qu’ils ont dit ou fait de sa part, voire quelques fois des choses que les Prophètes mêmes n’entendaient pas [244], et ne les eussent su expliquer tellement l’Esprit de Dieu parlait et opérait en eux : voire insensiblement leur faisait dire et faire des choses qu’ils n’entendaient. Ce même Dieu a encore aujourd’hui le même pouvoir de révéler tour ce qu’il lui plaît à ses amis : comme il fait en effet ; et si les hommes s’en rendaient capables par leurs dispositions, il y aurait maintenant plus de Saints Prophètes que jamais, à cause que nous sommes arrivés en la plénitude des temps, là où Dieu épandra son Esprit sur toute chair [245]. Mais l’indisposition des hommes empêche ces opérations en leurs âmes ; vu qu’ils s’opposent à l’inspiration de Dieu, ayant leurs volontés rebelles au vouloir de Dieu, aimant mieux d’adhérer au Diable et à leur nature corrompue qu’à la volonté de Dieu. Voilà pourquoi l’on trouve aujourd’hui si peu de Prophètes dans le monde, et qu’il y a si peu d’âmes à qui Dieu se communique et révèle immédiatement ses Secrets.

109. Toutes fois en a-t-il encore aucunes, desquelles j’en suis une, par sa grâce. Et c’est par là que j’apprends toutes les sapiences et merveilles du S. Esprit contenues en mes écrits, immédiatement, sans aucuns moyens humains. Je ne fais autre chose que d’être attentive à la voix intérieure de Dieu, de qui j’entends toute la substance de mes écrits et les passages des Écritures qui me tombent dans l’esprit à mesure que j’ai besoin de les alléguer pour l’intelligence de ceux qui sont attachés à l’Écriture et ne voudraient rien recevoir que ce qu’ils ont lu dans leur Bible. C’est pourquoi Dieu s’accommodant à leur faiblesse, il me fait si souvent citer des passages des Écritures, de crainte que les Chrétiens de maintenant ne disent ce que les Juifs disaient de Jésus Christ, qu’il venait détruire la Loi [246] ; ainsi pourraient dire ces Chrétiens de Nom, que je voudrais détruire l’Évangile. Et pour leur ôter cette pierre d’achoppement, Dieu me fait dire par mes écrits les mêmes choses contenues en l’Évangile, afin que nuls Chrétiens ne puissent rejeter ou révoquer en doute les choses qu’il me révèle par sa Dernière Miséricorde. Pour moi, je n’ai nul besoin de lire les Écritures pour recevoir davantage au fond de mon âme que tout ce qui est dans la Bible : du moins j’ai plus d’intelligence du sens d’icelle que n’ont eu les hommes depuis le commencement du monde jusques à présent : à cause que nous sommes arrivés dans l’accomplissement des temps, là où Dieu donnera l’intelligence de toute chose, envoyant son S. Esprit promis par Jésus Christ, qui doit enseigner toute vérité [247].

 

 

XXV. Le monde est juge irrévocablement, étant plein des Pactionnaires de l’Antéchrist, qui se multiplient sans nombre par la génération. Dieu veut retirer quelques bons à l’écart pour leur apprendre la vie Évangélique hors du Règne de l’Antéchrist.

 

110. C’est celui-là qui m’enseigne tout ce que j’écris, et ne cesse d’illuminer mon âme toujours davantage. C’est LUI qui me dit : Que le Monde est jugé ; Que la Sentence est irrévocable : Que les hommes sont déchus de la Foi ; et Que les trois parts d’iceux sont liés au Diable par pacte précis. Il y a plus de douze ans que cela me fut révélé. L’on peut considérer combien cette génération perverse est accrue depuis, puisque les enfants de semblables personnes contractent de leurs parents semblables maux [248] : d’où l’on peut facilement conclure quel empire le Diable a maintenant sur les hommes par tout le monde universel, et si ce n’est pas vraiment le RÈGNE DE L’ANTÉCHRIST auquel nous vivons maintenant.

111. Il faudrait être endurci de cœur ou stupide d’esprit pour ne le pas croire ; ou bien volontairement tenir de sa partie pour le méconnaître ou excuser, de crainte qu’il ne fût découvert : car ses adhérents n’aiment pas qu’il soit manifesté, puisqu’alors il ne pourrait plus tromper par fausse Sainteté ou hypocrisie, avec quoi il séduit les bien-intentionnés : desquels Dieu ayant pitié me fait écrire toutes ces choses par le menu, afin que nuls bons ne puissent périr par ignorance ; mais se délivrer en temps d’un si perfide ennemi, qui tâche avec toutes sortes d’artifices d’avoir tous les hommes sous son Empire. Ce que Dieu ne permettra, puisqu’il veut encore une fois rétablir son Esprit Évangélique sur la terre [249], là où ce petit nombre de fidèles s’assembleront pour être régis par l’Esprit de JÉSUS CHRIST.

112. Ce que je sais par le même Esprit qui me dicte le Règne de l’Antéchrist. Et je n’en parle point à l’aveugle (comme ont parlé aucuns Anciens Prophètes [250]) ; mais je vois et entends toutes les particularités de cette vie bienheureuse, de laquelle j’en écrirai à l’avenir, si Dieu me donne la vie. Ce m’est assez que j’aie déclaré ce que je sais du Règne de l’Antéchrist, afin que les bien-intentionnés se puissent délivrer du mal : ce qu’il faut faire avant de pouvoir faire le bien [251] ; puisque quitter le mal et faire le bien est le commencement de la vraie Sapience[252]. Dieu veut fournir les moyens de ce faire à ceux qui lui demeureront fidèles, en les retirant dans un coin du monde hors de la conversation des méchants [253], pour mieux se déporter du mal ; et en leur enseignant la pratique d’une vie Évangélique pour faire le bien. Ce qui est un grand bonheur ; qu’au milieu du règne de l’Antéchrist dans un temps si dangereux, Dieu épande encore la grande Miséricorde sur les bons, leur découvrant le danger dans lequel ils vivent sous se Règne de l’Antéchrist, et en leur fournissant au même temps les moyens et la doctrine pour mener une vie Évangélique. C’est une bonté vers les hommes plus grande que toutes celles que Dieu ait jamais témoignées aux hommes. Heureux seront ceux qui en jouiront, en se rendant tous à Dieu, leur Père céleste, en renonçant au Diable, au monde, et à la chair : car ce serait se tromper de croire que l’on puisse servir à deux Maîtres [254] ; ou bien, être Disciple de Jésus Christ et ensemble de la Synagogue de Satan. Il faut TOUT OU RIEN, puisque Dieu ne veut de cœur divisé. Il le veut avoir entier, puisqu’il lui appartient entier [255].

113. J’ai encore beaucoup de choses à dire de ce RÈGNE DE L’ANTÉCHRIST, pour montrer combien les hommes adhèrent à lui, et combien de pouvoir il a sur leurs entendements ; et combien il en tire à soi par hypocrisie et apparence de sainteté. Mais le volume serait trop gros pour traiter amplement de toutes ces choses. Je les ai divisés en Trois Parties pour en mieux faciliter la Lecture et vous donner, Monsieur, le temps et loisir de bien pénétrer cette Première Partie, là où vous trouverez assez de matière d’étonnement et de sujet d’actions de grâces à rendre à Dieu de ce qu’il vous a gardé d’un tel malheur que de naître de semblables parents adhérents au Diable.

114. Pour moi, je confesse d’avoir vécu longtemps en cette ingratitude vers Dieu, de ne l’avoir jamais remercié de ce qu’il ne m’a point fait naître de Parents qui fussent liés au Diable par pacte précis : puisque tous les Enfants qui naissent de semblables personnes sont tout de même que ceux qui les produisent, étant donnés au Diable par iceux Parents avant que naître, et ont toujours réitéré leur donation jusqu’à ce que l’Enfant soit venu à l’usage de sa propre raison. Alors de sa libre volonté il peut, s’il veut, rétracter toutes les donations qu’on a faites de lui au Diable ; ou, il les peut confirmer : ce qui arrive le plus souvent : à cause que le Diable a alléché ces jeunes cœurs par des caresses et sensualités de boire et manger, ou autres recréations sensibles, lesquelles les Enfants ne veulent abandonner, et aiment mieux se donner aussi eux-mêmes au Diable de leur propre volonté, et faire, comme leurs Parents, un pacte précis avec le Diable. Ce que m’ont déclaré plusieurs Sorcières que j’avais reçues en mon Hôpital à Lille, là où je pensais en faire des Enfants de Dieu, quoi que toutes étaient Enfants du Diable avant que de venir en cet Hôpital. Ces personnes, en nombre de cinquante-deux, m’ont déclaré beaucoup de particularités de ces diableries, qui confirment ce que Dieu m’en a révélé. Mais je ne crois leur dire comme je crois la révélation de Dieu, qui est toujours infaillible, et le Diable souvent menteur.

115. Je vous ai donc déclaré, Monsieur, les particularités du RÈGNE DE L’ANTÉCHRIST comme Dieu me le révèle, non parce que les Sorciers me l’ont dit. Vous y pouvez bien ajouter foi comme à une vérité de Dieu, lequel a dit de ses amis : Qui vous écoute, il m’écoute [256]. C’est que Jésus Christ n’étant plus sur la terre, il y a laissé son Épouse [257], qui est ceux qui possèdent sa Doctrine, afin que les bons trouvent toujours de la nourriture à leurs âmes. Dieu me donne par cela sa lumière de Vérité pour en éclairer les autres. Faites-en votre profit ; et ne doutez jamais de la sincérité de celle qui se dit,

 

Monsieur,          

 

Commencé en l’an 1668,                                          

et fini en l’an 1680.                                              

 

Votre très-humble Servante    

 

ANTHOINETTE BOURIGNON.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

F    I    N

 

De la Première Partie

 

D  E

 

L’Antéchrist Découvert.

 

_________________________

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Du Règne de L’ANTÉCHRIST ;

Et touchant ses Sujets et Pactionnaires Sataniques, Entretien

d’A. B. avec Dieu.

 

Nous sommes maintenant dans le Règne de l’ANTÉCHRIST. L’Antéchrist, ce n’est point un homme particulier, mais c’est le Diable incarné et grande légion de personnes, qui s’épardront par tout le monde.

Cela est aujourd’hui que la plupart des créatures raisonnables sont pactionnées avec le Diable, et cela par tout le monde universel.

Cela est aujourd’hui que les hommes se font adorer comme des Dieux sur la terre.

Cela est aujourd’hui que les méchants attirent tout le monde à eux sous couleur de piété.

Cela est aujourd’hui que le mal est honoré et le bien méprisé.

Cela est aujourd’hui que les méchants triomphent et le juste est oppressé et persécuté.

Cela est aujourd’hui que toutes les vertus extérieures ne sont que fausseté et hypocrisie au dedans.

Cela est aujourd’hui que toute la sainteté apparente est opérée par la vertu du Diable, qui par signes se fait estimer Dieu, contrefaisant ses œuvres.

Cela est aujourd’hui que le mal tire tout le monde à soi, et que peu en échappent.

Cela est aujourd’hui que le Diable a l’empire sur les cœurs et le domaine sur toute la terre.

Ne sont-ce point là toutes les marques de l’ANTÉCHRIST ?

Ce malheur est dans mon Sanctuaire. Le Diable s’est emparé de mon trône.

Doit-on couvrir ces méchants ?

Ce serait participer à leur malice.

Doit-on les craindre ?

Nullement, parce que leurs puissantes sont limitées, ne peuvent les surpasser.

Doit-on les vaincre par arguments ?

Non, car la subtilité du Diable surpasse celle des hommes.

Les peut-on converser ?

Bien, autant qu’il est nécessaire.

S’y peut-on fier ?

Nullement.

Doit-on prier pour eux ?

Les Diables n’ont besoin de prières, non plus que leurs partisans.

Les doit-on haïr ?

Oui, plus que les Diables.

Les doit-on persécuter ?

Ce sera en vain, puisqu’ils se soutiennent tous l’un l’autre fortement.

Ne doit-on résister à leurs maux ?

Oui, de toutes ses forces.

S’en doit-on garder ?

Oui, très prudemment.

Semblables gens sont-ils dévots à l’extérieur ?

Oui, plus que les autres.

Vont-ils à la Confesse et à la Communion ?

Oui, plus volontiers que les autres.

Font-ils des aumônes aux pauvres ?

Oui, pour paraître charitables.

Jeûnent-ils les Carêmes et autres jours commandés ?

Oui, devant les hommes.

Font-ils des actions justes et équitables ?

Oui, pour paraître gens de bien.

Ne paraît-il point de gros péchés en eux ?

Non, parce qu’ils sont faux et dissimulés.

Ne découvre-t-on point leur mal en les conversant ou parlant ?

Non. Ils paraissent plus honnêtes et retenus que les autres.

Conversent-ils avec gens de bien ?

Oui, pour être en telle réputation qu’iceux.

Sont-ils en la croyance de la Vérité et ès sentiments de bonne doctrine ?

Oui, pour tenir rang des plus parfaits.

 

Il est impossible de les découvrir sinon

en les pratiquant de bien près et

avec lumière du Ciel.

 

F     I     N.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indice des Titres mis au haut des pages, lesquels remarquent les matières en général.

 

L’Origine de l’Antéchrist.

Manifestation de l’Antéchrist.

Progrès de l’Antéchrist.

L’Antéchrist domine ès Églises.

L’Antéchrist domine dans les Conducteurs.

L’Antéchrist ès Sacrements.

L’Antéchrist dans les prières.

L’Antéchrist dans les entendements.

L’Antéchrist dans les cœurs.

L’Antéchrist dans les mœurs et pratiques.

L’Antéchrist dans le centre du bien.

L’Antéchrist dans la libre volonté.

L’Antéchrist en tous.

Séductions premières de l’Antéchrist.

Remèdes aux premières Séductions de l’Antéchrist.

Réjection des remèdes de Christ.

Christ rejeté par l’Antéchrist.

Réjection de Christ par l’Antéchrist.

Règne de l’Antéchrist.

Entretien d’A. B. avec Dieu touchant l’Antéchrist et les siens.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’ANTÉCHRIST

 

DÉCOUVERT.

 

Qui montre clairement, que nous sommes

maintenant arrivés en son Règne, et que

tant moins les hommes le découvrent,

de tant plus est-il dangereux et

pernicieux pour le salut de

leurs âmes.

 

Deuxième Partie.

 

P   A   R

 

ANTHOINETTE BOURIGNON.

 

 

À Amsterdam, chez Jean Rieuwerts et Pierre Arents,

Marchands Libraires, rue de la Bourse, 1681.

 

 

 

 

 

 

S. Jean en sa Ire Épître, ch. 2, v. 18.

 

Mes petits enfants, voici la dernière heure ;

et comme vous avez ouï que l’ANTÉCHRIST

viendra, il y a même dès à présent

beaucoup d’Antéchrists qui sont nés.

De là nous connaissons que

c’est ici la dernière heure.

 

 

 

 

 

 

AU LECTEUR.

 

JE voudrais, AMI LECTEUR, vous pouvoir inculquer jusqu’au fond de l’âme la vérité que nous vivons maintenant dans le Règne de l’ANTÉCHRIST, puisque l’incrédulité de cela en fait périr tant de bien-intentionnés, qui vivent en assurance, estimant vertu les plus noires malices du Diable, et par une mollesse ou bonté naturelle, veulent tout tourner en bien, pensant que c’est vertu d’avoir toujours bonne opinion de toutes choses. Ce qui n’est vérité ni Justice. Car en croyant le mal, bien, on est dans le mensonge ; et en prisant le mal comme s’il était bien, l’on trompe les Innocents qui le croient : et partant l’on commet double péché, l’un, en flattant les hommes, et l’autre, en mentant, pour ne point dire la vérité du mal, mettant un faux visage de bien au mal ; et cela, sous prétexte de vertu, ou de Charité Chrétienne : tellement sont les hommes maintenant aveugles au fait de la vraie vertu, qu’ils prennent la fausse pour la vraie, et croient d’être bien-vertueux lorsqu’ils vivent en des grandes imperfections : car c’est une chose en quoi la nature se délecte, de toujours juger en bien ce que les hommes disent et font : et l’on est alors estimé bon et vertueux, prisé d’un chacun pour la bonté qu’on semble avoir de tout interpréter en bien. Ce qui est une fine tromperie de l’ANTÉCHRIST, lequel couvre volontiers sa malice, et est bien-aise que ce dessein est secondé par les bons mêmes, qui pensent faire chose agréable à Dieu en ayant toujours bonne opinion du prochain. Mais ils se trompent : puisque Dieu n’aime que Justice et Vérité, qui sont ses vertus essentielles, auxquelles seules il a égard, et non à l’applaudissement des hommes, qui louent toujours ce qui est plaisant à leur sens, sans se ressouvenir que S. Paul nous a dit que celui qui veut plaire aux hommes n’est pas serviteur de Jésus Christ. Et partant, l’on ne doit jamais rien dire ou faire pour plaire aux hommes, mais demeurer toujours dans la droite vérité ; jugeant le mal, mal ; et le bien, bien, d’un droit jugement, et sans égard à personne.

Ce que fort peu de personnes font aujourd’hui. Chacun flatte et dissimule tant qu’il peut pour ne point être répréhensible devant les hommes, en voulant être estimé bon. Et parce que je ne cherche cela et que je suis Justice et Vérité, l’on me blâme et rejette, me poursuivant à mort : à cause que la vérité qui reprend n’est agréable au temps qu’elle s’entend ; mais celui qui en veut profiter doit mûrement examiner si toutes les actions des hommes ne sont pas autant de voix qui déclament que c’est l’ESPRIT DE L’ANTÉCHRIST qui régit maintenant les Esprits de tous les hommes, qui sont directement opposés à l’Esprit de Christ, pendant que presque personne ne voit cela. Les uns disent : « Il y a encore tant de gens de bien dans le monde. » Les autres disent : « L’on voit encore tant de démonstrations de piété, de fréquentations des Sacrements, et autres œuvres pieuses. L’on va ès Églises ; l’on donne des aumônes aux pauvres, etc. » Et moi je vous dis que toutes ces choses se peuvent faire par l’Esprit de l’ANTÉCHRIST, qui volontiers couvre sa malice avec les choses saintes. Pour cela dit l’Écriture qu’il sera assis ès lieux Saints.

Ceux qui doutent de cela n’ont qu’à lire ce présent Traité pour voir les ruses de ce perfide Ennemi, qui par tant d’artifices et de faussetés trompe les hommes maintenant, les induisant même à des cultes et dévotions extérieures pour paraître saints ou vertueux : par où les bons sont souvent séduits et trompés, pensant de converser avec des Chrétiens, qui souvent sont les Pactionnaires du Diable. Ce qui est le plus grand danger où nous vivons à présent est qu’on flatte le mal en se dissuadant qu’il n’est pas tel : voulant toujours bien penser de toute chose, sans discernement : par lequel moyen l’on est souvent trompé et séduit. Il vaudrait mieux (pour de deux maux choisir le moindre) toujours craindre qu’il y eût du mal dans ce que nous voyons et entendons, que de tenir pour bonnes les choses que ne connaissons assurément : puisque douter que votre prochain est mauvais lorsqu’avez à démêler avec lui, cela ne le rendra pas pire, mais vous précautionnera contre son mal, si aucun y en avait. Mais si vous voulez, Ami Lecteur, être préoccupé qu’il est bon lorsqu’au dedans il est mauvais, vous en serez assurément trompé et séduit, quelque prévoyance que vous eussiez : puisque la subtilité du Diable surpasse toujours l’adresse des hommes : car il sait et voit plus que l’homme, lequel est borné à la grandeur ou petitesse de son esprit corrompu ; là où le Diable a encore le savoir et l’agilité de l’Ange, voit et va partout en peu de temps, découvrant par conjecture les pensées et désirs des hommes : par où il les peut prévenir et prévaloir en beaucoup de choses : pouvant facilement tromper les meilleurs esprits. Et ceux qui pensent un être en plus grande assurance sont le plus en danger, présumant souvent d’être assez clairvoyants pour découvrir les ruses du Diable et de ses adhérents, lorsqu’ils en sont le plus trompés par la bonne opinion qu’ils ont d’aucunes personnes qui savent bien feindre et simuler. Combien y a-t-il d’hommes qui couchent avec des Sorcières, et combien de femmes couchent-elles avec des Sorciers sans en rien savoir ? Et avec combien d’amis sont les personnes familières, qu’ils tiennent pour gens de bien, voire pour vertueux, qui sont liés au Diable par pacte précis ? Et sont en si grand nombre qu’on ne les saurait conter. Et si on les connaissait, les bons n’oseraient sortir du logis, de peur de se frotter contre de semblables Sorciers. Mais à cause qu’on ne les connaît pour tels, l’on ne s’en donne de garde, en pensant qu’ils sont tous bons lorsqu’on ne les voit faire de mal : puisqu’ils n’ont nulles marques extérieures par où on les puisse connaître ; voire souvent les plus méchants sont ceux qui ont plus de démonstration de bien.

J’ai connu de ces personnes si bien morigénées qu’on les aurait pris pour des Anges Terrestres, qui se savaient virer et tourner au gré des personnes avec qui elles conversaient, feignant d’aimer la vertu avec les pieux, et la tempérance avec les tempérants : ainsi du reste. Car j’ai eu dans mon Hôpital des filles plusieurs années, qui ne m’ont jamais désobéi, d’une douceur et bonne conversation admirable : des autres si fidèles et amies qu’elles eussent bien voulu perdre leur vie pour conserver la mienne. Et si elles-mêmes ne m’eussent déclaré d’être liées par pacte avec le Diable, je ne l’aurais jamais voulu croire : si peu voit-on d’apparence de ce mal dans leurs comportements, un chacun se comportant selon la constitution de leur naturel : les colères et fougueux de nature suivent les mouvements d’icelle ; et les doux et modestes naturels demeurent dans leur douceur et modestie, sans faire aucun changement de leurs façons extérieures pour le pacte qu’elles font avec le Diable, puisque ce pacte n’est qu’un acte intérieur de leur libre volonté qui se dédie au Diable pour quelque petit plaisir qu’il leur promet. Ces péchés sont cachés dans leurs âmes sans qu’il en paraisse rien au dehors. Pour cela ne les connaît-on point, puisqu’il n’y a que Dieu qui connaisse l’intérieur des cœurs et sonde les fonds de nos intentions. Mais les hommes s’arrêtent à l’extérieur, qui souvent trompe les plus clairvoyants ; voire ceux qui présument avoir le plus d’esprit à ne se laisser tromper, ils le sont souvent plus lourdement que les simples, que Dieu aide pour leur innocence et simplicité, vu que l’Apôtre dit : Dieu résiste aux superbes, et aux humbles il donne son cœur.

C’est pourquoi l’on doit bien prier Dieu continuellement avec humilité de cœur en ce temps dangereux pour n’être séduit et trompé par cet ANTÉCHRIST et ses Adhérents. Pour moi, je confesse en avoir été jà diverses fois trompée, ayant tenu des personnes pour saintes qui étaient pactionnaires du Diable : voire j’ai demeuré avec icelles plusieurs années sans les connaître ou découvrir leur mal, jusqu’à ce qu’elles-mêmes me l’ont manifesté ; encore les voulais-je excuser, me voulant imaginer qu’elles rêvaient ou devenaient frénétiques. Mais les ayant depuis observées, et de près considéré le tout, j’ai trouvé que ce mal était réel en elles, et que ce n’était pas des choses imaginaires ; que ce mal n’était en elles que trop véritable, faisant en suite d’icelui des choses toutes surnaturelles. En sorte que je ne pus plus douter de leur mal, pour en être tout-à-fait convaincue par leurs propres paroles et faits. J’ai connu un jeune homme, âgé de 30 à 32 ans, qui était d’esprit fort vertueux en apparence : quoi qu’il fût de métier obligé à gagner sa vie, il prenait toujours le temps d’aller aux Églises et à toutes les solennités, où il était en telle modestie et recueillement qu’il donnait de la dévotion à le regarder. Son port et sa contenance en allant sur les rues était aussi comme d’une personne toute recueillie en Dieu, marchant sans regarder personne, ayant la vue baissée. Il était sobre et tempéré, chaste à l’extérieur, me disant souvent qu’il ne savait discerner une femme belle hors d’une laide ; que toutes lui semblaient égales, qu’il ne les regardait jamais pour cela ni pour autre chose. Il était véritable en ses paroles. Je ne l’entendis jamais mentir en diverses années qu’il me conversa, faisant fidèlement les affaires à quoi je l’employais, sans fraude ou tromperie. Il feignait d’avoir tant de charité pour les pauvres, que souvent rencontrant ès rues quelque pauvre mendiant qui était nu en temps d’hiver, il dévêtait ses propres habits pour les lui donner, retournant au logis couvert de son manteau seulement. Il avait grand zèle d’enseigner la Doctrine Chrétienne aux Enfants ignorants. Enfin il paraissait si rempli de vertus qu’on n’en saurait souhaiter d’avantage ; et parlait d’icelles et de choses mystiques comme un Séraphin. J’ai souvent pensé d’avoir eu trouvé en lui un autre moi-même ; et je l’écoutais (avec les autres personnes) comme s’il eût été un organe de Dieu. Mais après quelque temps l’on découvrit qu’il avait fait pacte avec le Diable, et que toutes ses vertus n’étaient que des hypocrisies et faussetés pour se faire estimer vertueux, afin d’avoir l’entrée parmi tous gens de bien. Ce qui était réussi à son souhait : puisque toutes les personnes pieuses étaient bien aise d’avoir sa conversation, et moi-même lui ai fait avoir de grands avantages, qu’il disait vouloir tous employer à l’assistance des pauvres : mais si tôt que ces profits et avantages furent en sa puissance, il se les appropria, commençant à dominer dans le monde ; il se maria, menant la vie gaie. Je lui demandai un jour comment il avait eu pu parler de choses si Divines et spirituelles en étant si charnel ? Il me dit : « J’étais le fils d’un pauvre paysan, mais j’avais le cœur grand et superbe, pensant nuit et jour par quels moyens je me pourrais faire estimer dans le monde. Je n’étais pas noble pour être jamais honoré pour ma noblesse, et n’avais pas d’argent pour me faire estimer à cause de mes richesses. Pensant au surplus qu’il n’y avait rien de plus estimé dans le monde que la vertu, je me résolus d’aller dans la ville et de chercher des livres spirituels qui traitent de la vertu, afin d’apprendre d’iceux ce qu’il fallait dire et faire pour être estimé vertueux : et je tombai sur un vieux livre dont l’Auteur est Cantsfeld, dans lequel, étudiant soigneusement, je compris en peu de temps ce que c’était de toute la vie mystique et spirituelle. Et j’avais bonne mémoire pour retenir les choses que j’avais lues, pour en parler ès occasions. Et comme je voyais qu’on admirait mes discours, cela m’enflait le cœur pour étudier davantage dans ce mystique. Et par ainsi je suis parvenu en estime parmi les gens de bien, et auprès de vous-même, en pensant qu’après avoir gagné votre amitié spirituelle, je vous aurais bien à la fin pour femme, à cause de la bonne estime que vous aviez de ma vertu ; quoique toute ma vertu n’était que tromperie, ayant seulement remarqué vos inclinations pour m’y conformer et me faire paraître semblable à vous à mon possible. Voilà comment j’ai pu me faire estimer spirituel par la lecture de bons livres que j’achetais par fois. Mais je n’ai rien en mon âme de bon : car je suis au Diable. » Ces choses, avec plusieurs autres, m’ont bien fait voir que nous sommes arrivés au temps de l’ANTÉCHRIST, et comment il se couvre du manteau de piété et vertu pour tromper les bien-intentionnés, qui par une tendre bonté interprètent tout en bien.

Personne ne doit croire d’avoir de l’esprit assez pour découvrir ces adhérents de l’ANTÉCHRIST : puisque Dieu m’a donné autant d’esprit naturel qu’à aucun autre, et outre cela, la lumière du S. Esprit : avec quoi néanmoins il faut que je confesse d’avoir été trompée plusieurs fois par ces Pactionnaires. Que ne doivent craindre les personnes ignorantes, ou simplement guidées d’un esprit naturel ? Je sens que les pointilleux esprits me demanderaient volontiers comment je n’ai pas découvert les fourbes de cet homme, puisque j’ai dit quelques fois de connaître l’intérieur des âmes ? Ce qui est très véritable : mais pas de la façon que la grossièreté de l’esprit humain le conçoit, comme si j’étais une Devine qui veut prédire toutes choses, ou sait en général tout ce qui se passe dans l’intérieur de toute personne : puisqu’il n’y a que Dieu seul qui est scrutateur des cœurs ; et nuls hommes ni Diables ne voient les pensées cachées des cœurs que par des conjectures : mais Dieu sonde les plus secrets mouvements de nos âmes, et révèle ce qu’il lui plaît à ses amis, comme il m’a souvent révélé les pensées d’aucunes personnes lorsque j’avais besoin de les savoir. Mais les fourbes et tromperies de ce sorcier m’ont été cachées jusqu’à ce que lui-même les a découvertes : de quoi je me suis depuis souvent plainte à Dieu, en lui demandant pourquoi il ne m’a révélé ce mal qui m’était si voisin et dangereux ? À quoi il m’a répondu : Pour vous exercer. Je pense que cette ignorance m’est venue pour l’incrédulité que j’avais en cette matière de Sorcellerie : puisque je ne savais alors croire que des personnes si pieuses en apparence fussent sorcières : comme j’ai été convaincue depuis de le croire par la révélation de Dieu et par l’expérience que j’ai eue de semblables personnes mêmes, qui m’ont déclaré tant de particularités de ces matières que je suis contrainte à les croire maintenant, ayant vu de mes yeux et entendu de mes oreilles des choses qui naturellement ne se pouvaient faire par des créatures humaines ; que ce devait être assurément des opérations du Diable, qui domine à présent sur les esprits de tant de milliers de personnes, qui leur ont donné leurs âmes pour accomplir ses volontés.

Il semble que cela est maintenant si commun qu’aucunes de ces personnes croient qu’il n’y a nulles autres personnes dans le monde. Car j’ai eu une fillette âgée de treize ans dans mon Hôpital, qui me vint déclarer comment elle était au Diable, en lui ayant donné son âme. Et comme je lui demandai pourquoi elle n’avait point déclaré ce mal plutôt, vu qu’elle avait jà demeuré quelque espace de temps à l’Hôpital, elle me répondit de n’avoir pensé qu’il fallait déclarer ce mal, puisqu’un chacun le savait bien, pour aller tous ensemble les nuits aux Sabbats. Je lui dis que moi je n’y allais pas. Elle dit : Voire, ma Mère, vous n’êtes pas comme me autre personne. Je lui dis qu’il y avait dans l’Hôpital tant d’autres personnes. Elle dit : Toutes celles-là vont au Sabbat de nuit avec moi, pas une exceptée : quoique j’avais alors 52 personnes à ma Table. Je lui demande si dans son Village il y avait aussi tant de semblables personnes ? Elle me dit que toutes en général les personnes de son Village, et aussi celles des Villages voisins qu’elle connaissait, étaient toutes telles. Je lui demande s’il n’y avait point de Pasteur et de Seigneur dans son Village ? Elle dit qu’oui ; et que tous allaient au Sabbat en leurs rangs comme ils étaient dans le monde, et que sa Mère l’avait souvent portée au Sabbat entre ses bras lorsqu’elle était jeune ; et qu’étant devenue plus grande elle avait eu un amoureux qui la transportait là de nuit. Cette Enfant était sincère, pas rusée, véritable, et de bonne volonté, tachant de se délivrer de la puissance du Diable : quoiqu’il semble qu’elle ne pouvait, pour avoir de sa libre volonté contracté avec le Diable depuis avoir l’usage de la raison. Qui pourrait maintenant douter après tant d’expériences que nous ne vivions à présent au Règne de l’ANTÉCHRIST, puisqu’il a tant de personnes sous soi, et que passé tant d’années Dieu m’a révélé que plus des trois Parts des hommes étaient liés au Diable : dont le nombre doit bien être augmenté depuis, à cause que ces sorcières m’ont dit diverses fois qu’avant se marier elles donnent tout le fruit qui proviendra de leur mariage au Diable ; et quand elles deviennent enceintes, elles donnent derechef au Diable le fruit qu’elles portent ; et lorsque ce fruit est né, elles le portent au Sabbat pour l’offrir au Diable, lui présentant avec l’enfant toute la puissance que ces Parents ont sur leurs enfants. En sorte qu’il serait bien rare qu’un enfant de Sorciers ou Sorcières fût autre que ses Parents. Par où cette génération perverse s’accroît tous les jours. Ce n’est point que de nécessité cet Enfant doive demeurer sorcier : puisque Dieu a donné le franc-arbitre à tous les hommes, et les parents n’ont de pouvoir sur leurs enfants sinon le temps qu’ils n’ont atteint l’usage de leurs raisons. Alors ces Enfants sont remis en leur pleine liberté, pouvant se rendre à Dieu ou au Diable. Mais l’habitude qu’ils ont au mal les retient, jointe à ce que le Diable les allèche par des sensualités et plaisirs apparents, en quoi la chair se délecte : ce que les Enfants ne veulent délaisser, et demeurent pour ce sujet au Diable de leurs franches volontés, se liant volontairement au Diable pour demeurer avec leurs parents sous la puissance du Diable. Par où s’augmente journellement le nombre de ces Pactionnaires, et le domaine de l’ANTÉCHRIST. C’est à présent que l’on peut dire avec vérité : Malheur aux habitants de la terre : car le Diable y est venu avec grande puissance, étant presque Empereur de tout le Monde. Je voudrais, AMI LECTEUR, que tout homme de bonne volonté se retirât à son possible de la conversation des autres, et gravât bien en son cœur que nous vivons maintenant au temps de l’ANTÉCHRIST, environnés de tant de ses Pactionnaires. Cela est si nécessaire qu’on ne peut bien vivre autrement : car si le mal n’est connu, il ne peut être évité. C’est le sujet qui m’a fait dilater sur une matière si odieuse, laquelle avez plus besoin de savoir que les Divins mystères cachés. Ce que vous assure,

 

AMIS LECTEURS,                    

 

Celle qui aime vos âmes,       

 

ANTHOINETTE BOURIGNON.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

SECONDE PARTIE

 

D E

 

L’ANTÉCHRIST

 

DÉCOUVERT.

 

 

 

I. Découverte du Règne de l’Antéchrist par l’opposition de son Esprit à celui de Christ. Christ venu pour relever les hommes des chutes de la propre volonté de chacun en particulier, non de la chute commune de tous en Adam, laquelle Dieu avait déjà pardonnée à tous en lui. Ce qu’on ne peut nier que par une méconnaissance de Dieu.

 

MONSIEUR, Je ne sais si vous voyez le Règne de l’ANTÉCHRIST comme moi, qui le vois comme le Soleil en plein Midi. Mais si vous n’avez pas encore ces claires vues intérieures, vous le pourrez facilement découvrir par les solides vérités de Dieu, lesquelles sont toujours infaillibles et plus assurées que deux et trois sont cinq : vu qu’en ôtant 1 des 3 il ne reste plus que 2, et en joignant cet 1 à 2, ils feraient 3, cependant l’on n’aura pas pour cela 5, mais seulement 3. Voilà les fausses vérités des hommes de maintenant : mais les vérités de Dieu sont fermes et infaillibles, discernant véritablement et sans aucunes tromperies. Pour voir donc s’il est véritable que l’Esprit de l’ANTÉCHRIST régit tout le monde maintenant, il ne faut que regarder en tout ce que les hommes font et disent si cela est conforme à l’Esprit de Jésus Christ : car tout ce qui est contraire à cet Esprit de CHRIST est assurément ANTÉCHRIST, qui ne signifie autre chose, en son nom propre, qu’un esprit contraire à celui de Christ.

2. Voilà le seul sujet pourquoi le Diable est appelé ANTÉCHRIST : pour dénoter que son Esprit est contraire à celui de CHRIST. Cela supposé, il faut maintenant regarder quel Esprit avait Christ. Tous Chrétiens savent assez qu’il avait le bon Esprit de Dieu : car Pilate même, qui l’a jugé à mort, a été obligé de confesser qu’il ne trouvait aucun mal en lui. Les Turcs mêmes confessent encore aujourd’hui qu’il était un Prophète de Dieu, quoiqu’ils n’en aient autre connaissance. Et pour avoir le témoignage qu’il était issu de Dieu, il ne faut que regarder le Nouveau Testament, dans lequel on peut voir quelle été sa Vie et sa Doctrine. Ceux qui font profession d’être Chrétiens ne peuvent ignorer qu’il a dit, de n’être pas venu au monde pour faire sa volonté, mais la volonté de celui qui l’avait envoyé [258] : nous montrant par là que sa propre volonté était tellement soumise et dépendante de la volonté de Dieu, qu’il ne voulait en rien suivre sa volonté propre, mais en toute chose la volonté de Dieu, laquelle était qu’il vînt racheter les hommes qui étaient perdus de leurs propres volontés plus misérablement qu’ils ne furent au commencement par le péché d’Adam. Et ne désirant pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et vive, pour cela envoya-t-il son Fils Jésus Christ pour les délivrer de l’esclavage du Diable, dans lequel ils s’étaient volontairement assujettis.

3. Plusieurs se trompent en croyant que Jésus Christ est venu pour nous racheter du péché d’Adam : vu que ledit péché avait été pardonné à tous les hommes en Adam : de la même façon qu’ils avaient tous péché en Adam ont-ils aussi tous été pardonnés en Adam, moyennant de subir la même pénitence d’Adam : ce pardon étant affecté à cette pénitence, personne ne la peut évader. En confirmation de cela dit le S. Esprit : Si vous ne faites pénitence, vous périrez tous [259]. Dieu n’est pas changeant pour avoir rétracté le pardon qu’il donna à Adam, et à tous les hommes en lui : duquel pardon personne n’est demeuré en doute : car Dieu rappela Adam après son péché, et lui remit sa faute, moyennant subir la pénitence : car Dieu même revêtit Adam d’un habit pour couvrir la honte qu’il avait de se voir nu, et eut soin de le faire sortir hors du Paradis terrestre, de crainte qu’il ne mangeât du fruit de l’arbre de vie, et que sa pénitence ne lui fût éternelle : à cause que cet arbre avait la vertu de continuer la vie à l’homme. Pour cela Dieu lui fit une grande miséricorde de le chasser hors du Paradis terrestre, afin que sa pénitence fût abréviée, et que sa vie misérable n’eût pas de si longue durée. Ce Paradis est encore sur la terre dans le même état qu’Adam l’a délaissé : mais les Anges, comme commis de Dieu à ce ministère, empêchent les hommes d’y pouvoir entrer [260], afin qu’ils achèvent tant plutôt le temps de cette mortalité, après laquelle nous jouirons pleinement des délices de ce Paradis, avec tout le reste du monde, que Dieu a créé pour les seules délices et entretiens du corps de l’homme [261]. En sorte qu’il ne faut pas s’imaginer que Jésus Christ nous soit envoyé de Dieu son Père pour nous racheter du péché qu’Adam avait commis en tous les hommes : à cause que Dieu le Père même en avait donné le pardon, et enjoint la pénitence selon sa droite Justice.

4. Il ne pouvait pardonner Adam seul, qui avait tous les hommes en soi : à cause que tous les hommes ne le pouvaient avoir offensé que par lui : vu que nul des autres hommes n’avait encore reçu l’être ni la vie, et par conséquent ne pouvaient avoir offensé Dieu sinon par Adam ; lequel étant remis en sa grâce, il fallait de nécessité que tous les hommes en général fussent aussi remis en la grâce de Dieu : vu qu’Adam et tous les hommes n’était lors qu’une même chose : car s’il y eût eu quelque division en cela, tous les hommes sans doute ne fussent pas tombés par le seul péché d’Adam ; tout de même que tous les Anges ne sont pas tombés avec Lucifer, parce qu’ils étaient créatures divisées : l’une donna son consentement, et pas l’autre : mais en Adam, tous les hommes étaient lors indivisiblement compris en lui par une telle sympathie que la volonté d’un seul homme ne se pouvait mouvoir sinon par la volonté d’Adam, qui tenait toutes les volontés des hommes qui seront jamais, unies à la sienne. L’on veut bien croire que tous les hommes sont tombés en Adam ; et l’on ne sait entendre qu’ils ont tous reçu le pardon en Adam : quoique l’un soit autant véritable que l’autre, vu qu’Adam n’a jamais été divisé sinon longues années après qu’il a eu produit des enfants. Alors la volonté d’Adam a été divisée en autant de personnes qui avaient vie et usage de leurs propres raisons. Mais parce qu’on n’entend pas le sens des Écritures, l’on les interprète chacun selon sa fantaisie, et l’on fait par là des grandes injures à Dieu sans fondement : car si l’on comprenait bien ce que c’est de Dieu, et les qualités essentielles qui se retrouvent toujours en toutes ses œuvres, l’on ne ferait pas si souvent des injures à Dieu comme l’on fait.

 

 

Que la S. Trinité est reniée par effet.

 

II. Méconnaissance de Dieu où l’Antéchrist a conduit les hommes. Que par la doctrine vulgaire de la Prédestination l’on nie et déchire la S. TRINITÉ, laquelle ne doit pas être conçue comme trois personnes d’individus : Mais comme trois Qualités ou Propriétés essentielles, relativement différentes, selon lesquelles cet être Juste et tout égal est Lumière ou Vérité, à soi et aux autres ; et Bonté, ou communication de soi à soi et aux autres. Dieu agit inséparablement selon ces trois propriétés dans toutes ses œuvres. Observer ses commandements et sa manière d’agir envers nous est meilleur que sonder son essence, etc.

 

5. L’on dispute de la Trinité qu’il y a en Dieu sans savoir ce que signifie Trinité. L’un dénie le S. Esprit : l’autre dénie le Fils : et ainsi l’on blasphème continuellement contre Dieu, qui n’est qu’un en essence, quoi qu’il porte en soi trois Qualités essentielles, qui sont diverses, comme est la Bonté, la Justice, et la Vérité [262].

6. La Justice peut bien être appelée Père [263] ; la Vérité, le Fils [264] ; et la Bonté, le Saint Esprit [265] : car il faut que les hommes se servent de quelques mots pour faire entendre leurs conceptions les uns aux autres : mais ce n’est pas pourtant qu’il y eût trois Personnes matérielles en Dieu, qui n’est qu’un en Essence ; de laquelle Essence personne n’est capable d’en comprendre aucune chose [266]. Il faut que tous esprits célestes et terrestres se courbent et fléchissent les genoux pour adorer cette incompréhensible Majesté Divine. Mais les hommes et les Anges peuvent bien comprendre et doivent reconnaître qu’en toutes les œuvres de Dieu il faut de nécessité que ces trois qualités y concourent, savoir, sa Justice, Vérité, et sa Bonté [267] ; et que rien ne peut avoir été fait de Dieu qu’avec Justice, Bonté, et Vérité toutes ensemble : et si l’une de ces trois qualités manquait en quelque œuvre, elle ne pourrait avoir été faite par Dieu, qui est indivisible de ces trois qualités, qu’on appelle trois Personnes.

7. L’on se débat et combat pour ces mots de Personnes ; et on n’entend nullement ce qu’elles signifient, déchirant et divisant les qualités de Dieu par effet pendant qu’on voudrait mourir pour soutenir opiniâtrement les termes et paroles des trois Personnes. Plusieurs de ceux qui les maintiennent si fortement, disent cependant et croient en effet que Dieu, après le péché d’Adam, a prédestiné aucunes personnes au salut éternel, et aucunes autres à la damnation éternelle ; et que cela est ainsi fait de Dieu par sa volonté absolue, laquelle doit nécessairement arriver, quoique les hommes fassent. Ne voilà pas les trois Personnes ou qualités de Dieu divisées par cette élection qu’il fait de l’un à salut et de l’autre à damnation ? Vu qu’on ne peut voir aucune Justice de Dieu en ceux qu’il élit à salut ; parce que ces élus ont en droite justice autant mérité la damnation que les réprouvés : pour avoir été également coupables du péché d’Adam, et qu’ils n’ont pu mériter non plus l’un que l’autre avant d’avoir eu l’être. Ce serait donc sans Justice que Dieu sauverait plus l’un que l’autre après l’avoir également offensé sans s’en pouvoir repentir, non plus les élus que les réprouvés. En quoi l’on rend Dieu coupable d’injustice, et on divise ses qualités, qui lui seront toujours inséparables ; et l’on veut qu’il ait élu les uns à salut par sa seule Bonté, et qu’il ait réprouvé les autres par sa seule Justice.

8. Ce qui ne peut jamais arriver dans les œuvres de Dieu, où l’une de ses qualités ne se peut retrouver sans l’autre : à cause que Dieu fait toujours ses œuvres parfaites et accomplies [268]. Et comme nous ne saurions commettre un péché ni faire une bonne œuvre sans que notre mémoire, notre entendement et notre volonté n’y entreviennent ; à cause que par la mémoire seule du bien et du mal nos œuvres bonnes ou mauvaises ne peuvent être accomplies ; non plus aussi par notre entendement : il faut que la volonté y consente après s’en être ressouvenu, et que l’entendement l’ait compris, ou autrement la volonté sans ces deux choses ne peut être de parfait consentement au bien ni au mal : car une personne sans jugement peut avoir volonté de bien et malfaire sans pécher ni être agréable à Dieu, à cause de l’imperfection de la volonté, qui n’est pas accompagnée de mémoire ou entendement, qui doivent de nécessité concourir tous trois ensemble avant que la personne puisse faire une bonne ou mauvaise œuvre accomplie ; tout de même Dieu ne peut faire nulles œuvres accomplies sans que sa Justice, sa Bonté, et sa Vérité y concourent toutes trois ensemble. Et partant, c’est un Blasphème de dire, qu’il sauve l’un par sa Bonté, et qu’il damne l’autre par sa Justice : à cause qu’il ne peut jamais damner ni sauver sinon par la Bonté, Vérité et Justice tout-ensemble : autrement Dieu ne serait pas parfait ; mais vicieux, ou passionné : comme sont les hommes.

9. Ce qui ne se peut penser sans blasphème, quoiqu’il se ferait par ignorance, il est toujours grand péché, parce que nous sommes obligés à étudier davantage pour savoir avec quelle perfection Dieu agit en notre regard, que non pas pour disputer ce qu’il y a dans sa Divine Essence, à quoi le Diable fournit assez de belles conceptions pour entretenir les esprits des bien intentionnés, qui avec les spéculations de connaître ce qu’il y a en Dieu, oublient de savoir ce qui est nécessaire à leur salut, et de connaître que Dieu ne fait jamais rien au regard des hommes que ce qui est bon, juste, et véritable tout-ensemble, et que l’une de ces trois qualités ne peut jamais aller sans l’autre : car ce sont les trois Personnes en un seul Dieu : Le Père, la Justice ; le Fils, la Vérité ; et le S. Esprit, la Bonté.

10. Lesquelles qualités de Dieu ne peuvent jamais avoir été l’une sans l’autre : parce que l’essence de Dieu étant sa volonté, qui est toujours accompagnée de Justice, Bonté, et Vérité, bien que ce soient trois choses distinctes, elles ne sont en essence qu’une même chose indivisible, comme est une personne accomplie en sa nature, son cerveau, sa parole et ses pensées : ce sont trois choses distinctes, qui composent cependant une même personne ; comme ces trois qualités de Dieu ne sont en effet qu’un même Dieu : sur quoi allant philosophant, on engendre des erreurs et des péchés sans aucun besoin. Car Dieu n’a jamais demandé de l’homme qu’il eût à comprendre ce qu’il y a en la Divinité ; mais il leur a envoyé Jésus Christ pour leur enseigner ce qu’ils doivent faire pour être sauvés, lequel Jésus Christ n’a pas dit qu’il nous faut savoir ce qu’il y a en l’essence de Dieu, mais nous a dit à tous : Apprenez de moi que je suis doux, débonnaire et humble de cœur.

11. Voyez un peu, Monsieur, comment les hommes veulent extravaguer, en laissant les doctrines salutaires pour aller s’enquérir de ce qu’il y peut avoir en l’Essence de Dieu ; et entendant que Jésus Christ dit qu’on baptise les Chrétiens au Nom du Père, du Fils et du S. Esprit, ils se vont imaginant qu’il y a en Dieu comme trois personnes humaines, les appelant trois Personnes Divines. Et encore qu’ils ne sachent comprendre ce qu’il y a dans eux-mêmes, ni ce que c’est que leur mémoire, entendement, et leur volonté, ils s’imaginent qu’ils comprendront bien quelque chose de ce qu’il y a en Dieu. Notre âme, qui n’est qu’une petite créature, nous est invisible et incompréhensible, quoiqu’elle soit dans nous, et que la voyions et sentions agir et opérer : personne ne saurait néanmoins comprendre ce que c’est d’une âme. Et on a bien la témérité de vouloir savoir ce que c’est de Dieu et des trois personnes de la Trinité qui sont en lui ; pas pour l’honorer ou aimer davantage, mais pour en savoir bien parler et disputer, et, qui pis est, en tirer des mauvaises conséquences. Car l’un méprise les trois Personnes de la Trinité de paroles ; l’autre la méprise par effet, en croyant que Dieu sauve l’un par sa seule Bonté, et qu’il réprouve l’autre par sa seule Justice. Et par ainsi toutes ces questions ne servent aux uns et aux autres que de condamnation : car ceux qui disent que Jésus Christ n’est pas Dieu, ils offensent autant que ceux qui disent que Dieu sauve l’un par sa seule Bonté et qu’il réprouve l’autre par sa seule Justice : parce que tous deux déchirent les qualités essentielles de Dieu.

 

 

III. Déclaration de la S. TRINITÉ par comparaison à ce qui est dans la créature. Savoir, du Père, comme Intelligence éternelle de son propre bien ; du Fils, comme bouche ou Parole ou communication éternelle de son bien à soi, porté aussi éternellement à le communiquer à d’autres ; et du S. Esprit, comme Cœur ou Amour éternel pour le bien communiqué à soi et aux autres.

 

12. Car comme l’homme a en soi l’Entendement, la Parole et l’Amour, dans le cerveau réside l’entendement, qui comprend ce qui est aimable ; dans la bouche réside la parole, qui déclare ce qui est compris ; et dans le cœur réside le centre de l’amour : ainsi avec plus de perfection ces trois choses résident en Dieu ; pour parler à la façon des hommes, l’Entendement de Dieu se peut appeler PÈRE ; et sa Parole, FILS ; et son Amour, S. ESPRIT : en sorte que s’il était comme une personne, l’on appellerait son cerveau, Père ; sa bouche, Fils ; et son cœur, le S. Esprit. Et comme ces trois choses sont inséparables de l’homme naturel, elles le sont en plus grande perfection en Dieu. L’homme ne peut rien comprendre sans cerveau, et ne peut parler sans bouche, et ne peut aimer sans cœur : et comme l’homme ne peut vivre parfaitement sans ces trois choses, aussi ne peut être Dieu parfait sans Amour en soi-même, et sans communiquer cet Amour, non plus que sans comprendre son bien. Il l’Entend ; il le Parle ou communique, et le produit par effet à toutes ses créatures, et ne cessera jamais de communiquer son bien, de parole, de volonté, et d’effet. Ce sont les trois Divines Personnes ou Qualités qui seront à toute éternité en Dieu. Il a toujours connu son bien en soi-même : il a toujours communiqué ce même bien à quelqu’un, et a toujours eu de l’amour pour ses créatures. Voilà les trois Personnes qu’il y a en Dieu. La première regarde soi-même ; parce qu’il s’est toujours aimé soi-même. La deuxième regarde la communication de cet Amour par la connaissance, qu’il donne de son bien. Et la Troisième regarde les effets de cet Amour, qui départit aux créatures son bien par les effets de sa Bonté, laquelle il élargit particulièrement aux hommes.

 

 

IV. Autre déclaration comparative de la TRÈS S. TRINITÉ : du Père, comme Entendement ; du Fils, comme Mémoire ou représentation et Idée réflexive de son Intelligence sur soi ; et du S. Esprit, comme Désir, Volonté, ou Amour : choses qui ne font proprement trois personnes qui soient trois esprits ou trois individus ; mais font trois facultés ou propriétés, différentes relativement et vraiment, et néanmoins unies essentiellement : comme la Justice, la Vérité, et la Bonté.

 

13. Si nous regardions bien ce qu’il y a en nous-mêmes, nous y verrions la figure de la S. Trinité. Car nous avons une mémoire, un entendement, et une volonté. Ce sont trois choses différentes, qui ne font néanmoins qu’une seule personne. Notre mémoire est autre chose que notre entendement : car on se peut bien ressouvenir de quelque chose sans l’entendre : et on peut bien l’entendre sans désirer de l’avoir ; et personne ne saurait distinguer ce que c’est de la mémoire, sinon qu’on dirait bien que c’est un esprit avec lequel on se ressouvient de ce qu’on a vu ou entendu ; et nuls ne savent ce que c’est de leur entendement, parce que c’est un esprit invisible qui entend et comprend ; et nul ne sait ce que c’est de la volonté, sinon que c’est un esprit qui désire et veut continuellement. Toutes ces choses sont en nous et ne les connaissons pas. Nous ne pouvons dire avec vérité qu’elles sont trois personnes, puisqu’en une seule personne sont comprises ces trois facultés. Ce ne sont aussi trois esprits ; car dans une personne il n’y a qu’un seul esprit, non plus qu’il n’y a qu’un corps. Tous les plus grands esprits du monde n’ont jamais su comprendre ce que c’est de la mémoire, entendement, et de la volonté de l’homme ; et tant de petites têtes veulent maintenant comprendre ce que c’est des trois Facultés de Dieu ! L’un les dépeint avec trois personnes humaines également grandes et semblables l’une à l’autre ; les autres les dépeignent comme un Vieillard, un Jeune-homme, et une Colombe. Ce qui ne sont que fictions de Poètes : car Dieu n’a pas en soi ni vieillesse, ni jeunesse, ni légèreté de Colombe : parce qu’il est éternel, sans aucun âge ni temps, et est toujours égal à soi-même, sans vitesse ou légèreté : mais il a contenu en soi de toute éternité la Justice, la Bonté, et la Vérité, et l’une de ces choses n’a jamais été sans l’autre, et ne sera aussi jamais.

 

 

Fraudes de l’Antéchrist découvertes par la Trinité

 

V. Au lieu des ténébreuses et infructueuses spéculations Scolastiques que l’Antéchrist a fait avoir par le passé de la S. TRINITÉ, l’on doit s’occuper à celle très lumineuse et très fructueuse de la Justice, Vérité, et Bonté de Dieu, par laquelle on peut découvrir les Séductions de l’Antéchrist. Et premièrement, voir par là que c’est une flatterie de l’Antéchrist que les hommes croient à présent qu’ils sont Enfants de Dieu.

 

14. C’est sur cette Trinité qu’il faut arrêter nos esprits, pour connaître que Dieu ne fait jamais aucune œuvre dans laquelle ces trois conditions ne s’y retrouvent toujours toutes trois ensemble. Et pour remarquer si nous sommes Enfants de Dieu, il faut voir si nous avons participé de lui à ces trois qualités de Justice, Bonté, et Vérité de Dieu, lesquelles ne se retrouvant dans notre âme toutes trois ensemble, il ne se faut pas persuader que nous sommes Enfants de Dieu. Car à mesure que nous l’approchons par Amour, à mesure ces trois qualités prennent accroissance en notre âme ; et à mesure que nous voyons nos âmes éloignées de Bonté, Justice, et Vérité, à mesure sommes-nous éloignés de Dieu.

15. De quoi plusieurs personnes sont fort ignorantes : car les unes croient d’être Enfants de Dieu parce qu’elles sont baptisées : l’autre croit être Enfant de Dieu pour être de quelque Ordre ou Religions qu’on appelle saintes : les autres croient être Enfants de Dieu parce qu’ils font quelques bonnes œuvres extérieures : les autres, à cause qu’ils savent bien comprendre les choses mystiques ; et les autres croient qu’ils sont Enfants de Dieu parce qu’ils croient en la S. Trinité ou en Jésus Christ : cependant qu’ils ne savent ce que c’est de la S. Trinité, non plus que ce que c’est de Jésus Christ. Et par ainsi un chacun fonde ses espérances d’être Enfant de Dieu, sur le vent ou l’imagination des hommes : parce qu’il n’y peut avoir nuls vrais Enfants de Dieu sinon ceux qui ont participé et possèdent au fond de leurs âmes la Justice, la Bonté, et la Vérité de Dieu. Ceux-là seuls sont les vrais Enfants de Dieu, et nuls autres.

16. Ce que le Diable sachant, il tâche toujours de couvrir la nécessité d’avoir ces trois vertus, et amuse les hommes à leur faire acquérir des vertus frivoles d’actions extérieures ou d’études mystiques, ou de belles conceptions, pour haranguer ou disputer ce qu’il y a dans la Divinité ; ou, si Jésus Christ est aussi Dieu. Et tout cela se fait avec mépris de Dieu et de la personne de Jésus Christ et blessures des consciences, qui s’éloignent par là de la connaissance du vrai Dieu, et ne connaissent aussi s’ils ont les qualités nécessaires à devenir son vrai Enfant. Et par ces moyens, le Diable pipe les âmes de ceux-mêmes qui ont la volonté de se rendre vrais enfants de Dieu, leur obscurcissant l’entendement, afin de ne pas découvrir s’ils ont la Justice, la Bonté, et la Vérité de Dieu en eux-mêmes : allant chercher au dehors des moyens ou degrés de vertus lesquelles n’apportent à leurs âmes aucunes perfections, mais les éloignent plutôt de Dieu et des vertus essentielles.

17. Car on entend tant de personnes parler hautement de la vertu, pendant qu’en effet ils ne pratiquent pas ce qu’ils disent. C’est une marque assurée que ces personnes ne sont pas possédées de la Vérité de Dieu dans leurs âmes : car ils n’oseraient dire ce qu’ils ne font pas s’ils étaient dans la véritable vérité. Les autres se portent d’aller aux Églises, de prier, donner aumônes, et autres œuvres pieuses : cependant qu’en leurs âmes ils auront leur prochain à mépris, ne voulant jamais bien faire à ceux qui les ont offensés ou à ceux qui ne sont pas de leurs sentiments ou profession : et par ainsi, n’ont nullement la Bonté de Dieu, qui fait bien à tous indifféremment : car notre prochain n’est pas nos parents ou amis, ou ceux qui nous cèdent ou flattent ; mais notre véritable prochain est toujours celui que nous voyons en notre besoin, qui il pourrait être, et d’où il pourrait venir : mais le Diable couvre toutes ces vérités pour nous amuser, et persuade que nous sommes bons lorsque faisons quelques œuvres pieuses, ou quelque assistance à nos amis : pendant que toute notre bonté n’est quelquefois que naturelle, ayant de l’inclination aux choses pieuses, ou à bien faire à ceux que nous aimons : èsquelles choses la Bonté de Dieu ne se retrouve nullement : car tout ce qui est de nature n’est pas de grâce ni Divin [269].

18. La nature regarde le temps, et le Divin l’éternel. Ce que, ne sachant bien discerner, nous prenons souvent la Justice, Bonté, et Vérité des hommes pour la Bonté, Justice et Vérité de Dieu. Et par ainsi sommes trompés et trompons les autres, qui croient que nous avons des vertus de Dieu lorsqu’en avons seulement des naturelles. Car l’on peut être juste pour être réputé gens de bien, ou parce que l’injustice est méprisée des hommes. L’on peut être véritable parce que le mensonge est odieux et désagréable aux hommes ; l’on peut être bon parce que notre naturel est doux ou flexible. Mais toutes ces vertus ne sont que morales et de nulle valeur devant Dieu. Il faut pour être son Enfant que nous ayons contracté ses qualités Divines, et que notre âme soit possédée de toutes ces trois choses ENSEMBLE, savoir, de Bonté, Justice et Vérité de Dieu : ou autrement, nos discours ne sont que fables, et nos bonnes œuvres des amusements. En quoi les hommes de maintenant sont grandement aveuglés : prenant en toutes choses l’écorce pour le bois et l’apparence pour la réalité : chacun s’estime bon, ou juste, ou spirituel, lorsqu’ils paraissent tels aux yeux des hommes, ne mettant peine de sonder jusqu’au fond pour découvrir si l’on est véritablement tel devant les yeux clairvoyants de Dieu, lequel seul nous doit juger en Justice, Vérité, et Bonté ; non pas les hommes, qui ne voient que la terre et le temps, et jugent que tout est bon ce qui paraît bon à leurs yeux. Mais la vue les trompe souvent, en prenant le faux pour le vrai. Ce qui leur rendra grande confusion devant Dieu lorsqu’ils verront clairement que toutes leurs meilleures actions n’ont été pratiquées que par l’instigation de l’Esprit de l’ANTÉCHRIST.

19. Ces vérités sont si claires, que si l’on avait la lumière de Dieu, l’on verrait et confesserait véritablement que toutes les meilleures actions des hommes de maintenant sont des œuvres Antichrétiennes. Mais parce que nous sommes en la ténébreuse prison de cette vie, on ne sait voir où l’on marche au fait des choses éternelles, non plus que les Égyptiens ne voyaient où ils marchaient corporellement durant les ténèbres d’Égypte [270] : ce qui a été la vraie figure de l’aveuglement spirituel de notre temps [271], où personne ne connaît plus Dieu, ni Jésus Christ, ni soi-même, et néanmoins si grand nombre de personnes se disent Chrétiennes, auxquelles Jésus Christ pourrait véritablement dire avec plus de sujet qu’il ne fit à S. Philippe, à tous en général et à chacun en particulier, Jean, Pierre, Jeanne, Marie ; qui me voient, voient mon Père, et ne connaissent ni mon Père ni moi : puisque par effet l’on voit les meilleures personnes d’entre les autres vivre toutes selon leur propre volonté ; et avec ce, disent qu’ils s’attendent d’être sauvés sur ce que Dieu est BON.

 

 

VI. L’espérance que l’on a d’être sauvé faisant sa propre volonté, et la couverture qu’on fait à ses péchés sous une seule des vertus de Dieu, sont découvertes pour faussetés de l’Antéchrist par la considération fructueuse de la Très sainte TRINITÉ.

 

20. S’ils connaissaient Dieu, ils connaîtraient bien qu’il n’usera jamais de sa Bonté seule : qu’il faut de nécessité que cette Bonté soit toujours accompagnée de Justice et de Vérité, ou autrement, Dieu ne serait pas parfait : voire, s’il sauvait une âme qui vit au gré de sa propre volonté, il ferait une chose injuste et mauvaise : injuste, parce qu’il n’y a rien plus juste et raisonnable que ce que la créature se soumette à la volonté du Créateur, de qui elle a reçu l’être et toute chose, et duquel elle attend son bonheur éternel, lequel ne demande autre chose de sa créature sinon l’abandon de sa propre volonté à la sienne ; et si cette créature dénie et refuse cela à son Créateur, il ne peut être juste qu’il la sauvât : et ne pourrait aussi être bon : puisque l’espérance de ce salut sans soumettre sa volonté à celle de Dieu, engendrerait toutes sortes de péchés : à cause que la propre volonté étant corrompue, elle est devenue la source de tous maux.

21. En sorte que si Dieu sauvait les hommes par sa seule Bonté, il coopérerait à augmenter ou continuer les péchés de ses Créatures, qui continueraient à suivre leur propre volonté sur cet appui de la Bonté de Dieu. Ce qui est une fausse espérance. Il est bien vrai que Dieu a la Bonté de nous vouloir sauver : mais il a aussi la Justice pour nous sauver Justement et Véritablement. Il a promis que toutes les fois que le pécheur se convertira et retournera à lui, qu’il le recevra à pénitence [272]. Et contre cette Vérité il ne sauvera jamais personne. Et celui qui veut demeurer en l’amour de soi-même et ne pas se convertir à Dieu, celui-là ne peut être sauvé par la seule Bonté de Dieu.

22. Par où se découvre la grande tromperie et aveuglement qu’il y a maintenant entre les hommes, où un chacun déchire les qualités de Dieu pour en tirer la partie qui fait à l’avantage d’un chacun. Ceux qui veillent vivre sensuellement déchirent sa Bonté ; ceux qui ont l’esprit de vengeance déchirent sa Justice ; et ceux qui veulent vivre civilement déchirent sa Vérité. Et ainsi un chacun croit d’avoir Dieu divisé, et n’a souvent que sa propre volonté. Car d’être bon sans être juste et véritable, c’est une bonté de bête. Les vaches sont bonnes : elles donnent du lait pour l’aliment des hommes, et leur font rarement aucun mal. C’est aussi une Justice de reprendre et corriger le mal : mais elle est Tyrannique si cette Justice n’est accompagnée de Bonté et de Vérité : car si Dieu corrigeait le mal des hommes par sa seule Justice, personne n’échapperait l’Enfer ; et s’il usait de sa seule vérité, tous les hommes se condamneraient eux-mêmes, et confesseraient que véritablement ils ont mérité l’Enfer : car il n’y a rien de plus véritable que l’homme mérite la damnation toutes les fois qu’il offense son Dieu.

23. Par où se voit le grand aveuglement où sont les créatures lorsqu’elles ne reconnaissent pas les trois personnes ou les trois qualités qu’il y a en Dieu, lesquelles lui sont toujours inséparables. En telle sorte que là où ces trois qualités ne résident, il n’y peut avoir de Dieu, ni de vraie foi où il n’y a la croyance de ces trois qualités toutes ensemble : par ce qu’il n’y a qu’un seul Dieu, lequel contient en soi ses trois choses essentiellement. C’est en ladite Trinité qu’il nous faut croire si nous voulons être sauvés. Pour cela Jésus Christ a-t-il enseigné à ceux qui veulent être ses Disciples, qu’ils soient baptisés au Nom du Père, du Fils, et du S. Esprit : c’est à dire, qu’ils soient enrôlés sous cette foi et étendard des trois qualités de Dieu, qu’un chacun a besoin de connaître et confesser, s’ils veulent être sauvés : parce que hors de cette croyance l’on ne peut connaître Dieu : parce qu’il est Esprit invisible et incompréhensible : mais il est visible et compréhensible par ses œuvres, lesquelles ont toujours en elles la Justice, Bonté, et Vérité [273].

 

 

VII. Exemples de quelques erreurs et abus venant de l’ignorance de la Justice, Vérité et Bonté de Dieu, qui est la vraie TRINITÉ : de laquelle les hommes se contestent par le principe d’un esprit naturel ou d’Antéchrist, sans l’Esprit de Dieu, seul nécessaire à ce sujet.

 

24. Et au lieu que les hommes doivent admirer et adorer ces trois qualités de Dieu, lesquelles on peut découvrir dans tout ce qu’il fait, on le blasphème et méprise par des croyances controuvées par l’imagination des hommes, les uns disant que Dieu sauve l’un par sa seule Bonté et qu’il réprouve l’autre par sa seule Justice, et que Jésus Christ a tout satisfait pour les hommes sans qu’ils aient besoin de satisfaire aucunes choses : les autres, au contraire, disent qu’il n’a rien satisfait, et que les hommes doivent tout satisfaire à Dieu par pénitence ou mériter le salut : et ainsi de mille autres choses. Comme si Jésus Christ par sa seule Bonté avait voulu payer pour nos malices, aussi bien celles qui étaient faites que celles à venir. En quoi il y aurait eu en Jésus Christ une grande injustice et coopération au mal à venir ; et d’autre côté, si les hommes doivent tout satisfaire à Dieu par leurs propres pénitences, l’on ne pourrait reconnaître de Bonté ès souffrances de Jésus Christ, non plus que de Justice. Il n’y aurait en toute sa vie qu’une seule Vérité, savoir qu’il a souffert et enduré. Car s’il ne nous avait rien mérité, nous n’aurions reçu nuls effets de sa Bonté ; et n’y pourrait aussi avoir de Justice qu’il eût tant enduré pour lui, qui était innocent de coulpe et pur de péchés, sans avoir mérité aucunes souffrances.

25. Par où nous pouvons découvrir l’ignorance en laquelle nous sommes au regard de la connaissance de Dieu : pendant qu’on dit de bouche de croire en un Dieu et Trois Personnes, et en Jésus Christ son Fils. On ne connaît et ne comprend ni l’un ni l’autre ; et l’on peut véritablement dire : Philippe, qui me voit, il voit mon Père ; et ne connaît ni mon Père ni moi. Car tous les Chrétiens savent et voient par les Écritures ce que Jésus Christ a dit et fait, pendant qu’ils ne connaissent ce que c’est Jésus Christ ; ni comment il a satisfait pour eux : savent aussi qu’il y a trois personnes en la Trinité, sans savoir ce qu’icelles signifient ou sont essentiellement, se rompant la tête et le cerveau pour comprendre les choses qui leur sont incompréhensibles, et délaissent ou ignorent celles qu’ils peuvent comprendre et leur sont absolument nécessaires à salut. Car celui qui ne connaît pas qu’en toutes les œuvres de Dieu il y a sa Bonté, sa Justice, et sa Vérité tout ensemble, il se pourrait désespérer en attendant la Justice de Dieu seulement. Et celui qui ne regarderait qu’à la Bonté de Dieu, il se pourrait endurcir en ses péchés sur la miséricorde de Dieu. Et celui qui ne regarderait qu’à la Vérité de Dieu, qui a dit : Toutes les fois que le pécheur se convertira et retournera à moi par pénitence, je le recevrai [274], cette promesse peut tenir les hommes en grande négligence de leur conversion à Dieu [275] ; en prenant cette vérité seule, ils croiront d’avoir leurs conversions en leurs pouvoirs toutes les fois que bon leur semblerait.

26. Et par toutes ces ignorances périssent la plupart des hommes maintenant : à cause qu’ils ne s’étudient pas assez à découvrir ce que c’est de Dieu ni ce que c’est de Jésus Christ sinon par des spéculations étudiées qui ne font rien de bon au salut des âmes, mais causent des péchés et des injures à Dieu : car le Diable tient par ces moyens à lui asservir les mieux-intentionnés, disant aux uns qu’il faut bien étudier pour maintenir l’Article de la Trinité, d’un seul Dieu en trois personnes : pendant qu’en effet et dans leurs pratiques, ils croient que Dieu sauve par sa seule Bonté, et qu’il réprouve par sa seule Justice. Ils divisent par effet la Ste. Trinité pendant qu’ils débattent par paroles et études pour la maintenir ; et ne voient nullement que le Diable les amuse pour les tromper. Car nulle-part les Écritures ne disent qu’il faut que les hommes sachent ou doivent savoir ce qu’il y a dans l’essence de Dieu [276] ; mais bien qu’il faut accomplir toute Justice [277], qu’il faut être doux et débonnaire, et humble de cœur, qu’il faut suivre Jésus Christ, parce qu’il est la vérité, la voie et la vie. Et ces choses ne sont pas appréhendées ni pratiquées cependant qu’on le dit tout prêt à mourir pour soutenir les trois personnes de la Trinité, sans rien démordre : comme si cette croyance était une foi Divine : pendant qu’ils ne savent pas ce qu’ils croient par ces trois Personnes. Et cette ignorance n’apporte que Schismes et divisions entre ceux-mêmes qui cherchent de plaire à Dieu, ayant, toutes les deux parties, sujet de soutenir leurs opinions. Ceux qui disent qu’il n’y a qu’un seul Dieu sont dans la vérité ; et ceux qui soutiennent qu’il y a en Dieu trois personnes divines sont aussi dans la vérité, s’ils ne se formaient pas des fantômes par ces trois personnes au lieu des qualités essentielles qu’il y a dans ce seul Dieu. Ces débats seraient bientôt finis si le Diable ne tirait pas ses avantages de l’une et de l’autre de ces parties. De l’une il en tire une opiniâtreté et mépris de Jésus Christ, disant qu’il ne peut être Dieu, puisqu’il n’y a qu’un seul Dieu ; et de l’autre il en tire de si mauvaises conséquences, qu’ils croient que Jésus Christ étant Dieu, il a tout satisfait pour eux moyennant que dans leur spéculation ils croient en Jésus Christ et à la Trinité.

27. Voilà ainsi que le Diable amuse l’un et l’autre sous des bons prétextes et avec les points principaux de notre Foi. C’est donc à juste cause qu’on dit que l’ANTÉCHRIST se fera adorer comme s’il était Dieu, et s’assiéra au Trône de Dieu et que l’abomination de la désolation sera dans le lieu saint [278] : car l’on voit maintenant toutes les choses les plus saintes être régies ou observées par l’Esprit de l’ANTÉCHRIST. Il ne s’amuse plus à tenter les méchants : parce qu’il les a tous gagnés à soi ; mais il tente les plus gens de bien par les choses les plus saintes et divines, leur donnant des sentiments divers sur les plus hauts mystères, afin de par là les amuser et divertir de ne pas découvrir ce qu’ils ont besoin de savoir et pratiquer pour leur bonheur éternel. Et l’on n’aperçoit pas ces fines ruses de Satan, avec lesquelles il a entrepris de gagner tout le monde à soi, les méchants par de mauvaises volontés, et les bons par de subtils amusements inutiles.

28. Voilà ainsi que l’ANTÉCHRIST établit son Règne et a le domaine sur l’esprit de tous les hommes, sans qu’iceux s’en donnent de garde, et même en pensant bien faire : car un chacun de ces disputants croient de soutenir la vérité : encore bien qu’une vérité ne peut contredire à soi-même : un chacun pense être dans la vérité quoiqu’ils soient tous en différentes croyances ; et le Diable prend plaisir à entretenir les hommes en ces débats et disputes de sentiments contraires : croyant un chacun de tenir le meilleur parti dans des choses où l’un n’est non plus dans la vérité que l’autre : pour être un chacun possédé de l’Esprit de mensonge, duquel l’ANTÉCHRIST en est l’inventeur ou le Père [279], qui produit tous ces combats et erreurs par son esprit ténébreux, et empêche un chacun de découvrir la claire vérité de Dieu, laquelle ne se peut découvrir que par l’Esprit de Jésus Christ [280], et non pas par l’Esprit du Diable ni de la Nature. Car celui qui veut approfondir les secrets divins par son entendement humain, il s’enfonce toujours en de plus grandes erreurs. C’est de là que sont venues tant de divisions et de confusions dans l’Église qu’on n’y trouve plus pierre sur pierre [281], c’est à dire, deux personnes unies ensemble par le lien de charité dans l’Esprit de Jésus Christ.

 

 

Esprit de Christ banni.

 

VIII. Il n’y a plus de Chrétiens, quoique l’Antéchrist persuade qu’on l’est à cause d’un Baptême, dont le violement nous rend pires que des Païens et que des Juifs.

 

29. Il n’y a plus que querelles et sentiments divisés par toute la Chrétienté, où l’on dit de croire en un seul Dieu, et au même Jésus Christ. Ce qui ne peut être véritable : car si l’on croyait tous au même Dieu, on aurait tous le même Amour et la même charité [282]. Ce qui ne se trouve pas en deux personnes uniformément. Et si l’on croyait au même Jésus Christ, l’on suivrait tous un même ordre et même façon de vie, pauvre et méprisée, comme celle qu’il nous a montrée par doctrine et pratique aussi longtemps qu’il a été sur la terre. Car nul ne peut être Chrétien que celui qui règle la vie selon les mœurs et la doctrine de Jésus Christ [283]. Voyez un peu, Monsieur, je vous prie, combien peu de personnes se trouvent maintenant sur la terre qui aient l’esprit de douceur, débonnaireté, et d’humilité de cœur, si qu’avait Jésus Christ ; et combien peu de ceux qui aiment la pauvreté, les mépris et les souffrances ; et combien y en a-t-il encore moins de ceux qui disent d’être venus en ce monde pour faire la volonté de Dieu et renoncer à leur propre ! Certes, Monsieur, je m’éjouirais bien grandement si je pouvais trouver une seule personne entre tant de millions qui se nomment Chrétiens, qui fût possédée de ce même Esprit de Jésus Christ. Ne faut-il pas craindre que c’est du temps présent que David a dit que Dieu a regardé par toute la terre, et qu’il n’a pas vu une seule personne qui fît bien [284], et qu’il reprend par diverses fois, pas jusqu’à un, parce que tous ont corrompu leurs voies ?

30. L’on trouve encore assez de personnes qui ont désir de bien faire, mais nuls de ceux qui effectivement soient possédés de l’Esprit de pauvreté, humilité, et charité de Jésus Christ. Il semble que sa vie et sa doctrine ne nous servent non plus qu’une histoire qu’on nous a racontée ou laissée par écrit pour mémoire d’une chose qui est passée, laquelle nous ne devons pas suivre ni imiter. C’est avec quoi le Diable a ensorcelé l’esprit de tous les Chrétiens pour les faire croire au mensonge et à ses tromperies, persuadant que c’est assez pour être Chrétiens d’être baptisés au Nom du Père, du Fils, et du S. Esprit, sans pénétrer à quoi nous sommes obligés par ce Baptême, qui ne signifie autre chose sinon la protestation de foi que nous professons de croire en un seul vrai Dieu, lequel porte en soi et exerce en toutes ses œuvres ces trois qualités ou personnes, de Justice, Vérité, et Bonté. Voilà la Foi d’un vrai Chrétien. Lorsqu’icelle foi est accompagnée de la doctrine et pratique de Jésus Christ, c’est une foi vivante et opérante ; ou autrement la foi sans les œuvres est une foi morte [285]. En sorte que ne pouvons être vrais Chrétiens ni vraiment baptisés que par cette promesse et obligation, de suivre et imiter les œuvres et la doctrine de Jésus Christ. À moins de ce faire, on ne peut être que des faux Chrétiens et des hypocrites, qui extérieurement se font baptiser, en protestant de renoncer au Diable, au monde, et à ses pompes pour suivre et imiter Jésus Christ ; et qu’après le Baptême, les vœux, et la promesse faite au dit Baptême, l’on renonce à Dieu et à Jésus Christ pour suivre le Diable, le monde, et ses pompes, auxquels on avait si solennellement renoncé ! Ne vaudrait-il pas mieux, Monsieur, de n’être pas baptisé et n’avoir pas tenté Dieu par cette promesse et serment faits au Baptême, que de lui fausser la Foi par après, et vivre en effet directement contraire à ce qu’on a promis à Dieu ?

31. Pour moi, je crois qu’il vaudrait beaucoup mieux d’être demeurés Païens que de vouloir se faire Chrétien de nom et pas d’effet [286]. Car sans doute que cette hypocrisie sera précisément punie en l’autre monde, et qu’un mauvais Chrétien sera plus puni aux Enfers qu’un mauvais Païen : car à celui à qui beaucoup est donné, beaucoup sera redemandé [287]. Outre ce, les Chrétiens ont su quelle était la volonté de Dieu leur Père par la vie et la doctrine de Jésus Christ ; et cependant ne l’ont pas voulu accomplir. Ne faut-il pas en droite Justice qu’ils soient battus de beaucoup plus de coups que les Païens qui n’ont pas connu la volonté de Dieu leur Père par Jésus Christ, à cause que le bonheur de cette connaissance ne leur est pas arrivé ? Et encore qu’ils aient fait choses dignes de plaies, ils ne méritent pas tant de châtiment pour leur ignorance, qu’un Chrétien qui a été enseigné par Jésus Christ. Je crois même que les Juifs ne seront pas si punis en l’autre monde de leurs mal-faits comme seront les mauvais Chrétiens pour les mêmes mal-faits : à cause qu’ils n’ont pas reçu tant de lumières, ni eu tant d’exemples pour accomplir la volonté de Dieu comme en ont eu les Chrétiens. Pour cela n’auront-ils pas de temps pour faire pénitence, si qu’ont eu les Juifs : car le monde est à sa fin, et leur malice est montée au comble, et ne peut aller plus outre [288] : car Jésus Christ est le dernier Médiateur entre Dieu et les hommes. Ils ne doivent plus attendre d’autre Loi que celle Évangélique ; ni d’autres moyens de salut que ceux qu’il nous a marqués par sa vie et doctrine.

 

 

IX. Doctrine de Jésus Christ, dernier remède. Le Diable en détourne par des vertus feintes. Les Spirituels rejetant l’Esprit d’enfance par orgueil, trompés par les ruses de l’Antéchrist. Au lieu de l’Esprit de Christ on n’a qu’apparence et dehors.

 

32. C’est pourquoi Jésus Christ disait véritablement que la dernière heure était venue au temps de sa naissance, parce que lors ont commencé les derniers remèdes que les hommes auront jamais pour guérir les plaies de leurs péchés. C’est pourquoi Jésus Christ est justement appelé Médecin, puisqu’il a apporté des remèdes à tous les péchés que les hommes pourraient jamais faire. Sa Loi Évangélique est le vrai remède à tous nos maux passés, et les préservatifs à ceux qui pourront avenir. C’est par ces moyens qu’il est notre vrai Sauveur, vu que par réelle Doctrine tous les hommes seront sauvés s’ils la veulent suivre et embrasser. Ce que le Diable sait bien : pour cela détourne-t-il les hommes de pratiquer cette doctrine, les amusant de beaux discours, de dévotions extérieures, de belles spéculations, leur donnant même des lumières et intelligences des divins mystères, moyennant qu’avec cela il les puisse entretenir, et détourner d’embrasser l’Esprit d’humilité, de patience, et de pauvreté, sachant bien qu’il régnera toujours dans les âmes qui n’ont pas acquis ces vertus essentielles et spirituelles. Car il donnera bien aussi de l’humilité extérieure, qui est souvent la plus haute superbe devant Dieu : car une personne qui porte habits humbles et parle humblement peut avoir le cœur plus superbe qu’un richement vêtu. Et parlant absolument, le Diable donnera bien aussi la pauvreté extérieure, moyennant qu’il puisse nourrir, dans le cœur couvert d’un pauvre habit, l’estime de soi-même ou de sa propre vertu, et le mépris des autres. Il donnera aussi bien de la patience feinte et simulée, souffrant quelques peines extérieures devant les hommes, et ne saura souffrir quelquefois avec patience un petit mot de mépris ou de contradictions.

33. Voilà tous les traits desquels le Diable se sert pour piper les hommes de maintenant, lesquels je découvre presque en toutes les personnes qui font profession de Vertu ; et j’en ai trouvées fort peu qui soient capables d’être averties de ces tromperies de Satan, lequel sait si bien ensorceler leurs esprits qu’ils croient avoir atteint les vertus essentielles lorsqu’ils n’ont que de simples vertus morales et apparentes. C’est pourquoi je les plains, sans les pouvoir aider, à cause de leur aveuglement, qui leur est si inconnu qu’on ne les sait éclairer. Jésus Christ a dit que les louanges de Dieu seront accomplies par la bouche des Enfants et des allaitants [289] : et presque toutes les personnes qui ont reçu quelques lumières de Dieu ou quelque apparence de vertus veulent être grandes et sages, n’ayant pas bien retenu que Jésus Christ a dit : Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur [290]. Car s’ils avaient imprimé cette leçon en leur mémoire, ils s’humilieraient toujours à mesure que les grâces de Dieu leur seraient offertes ; et par ainsi seraient plus petits et plus enfants lorsqu’ils s’approcheraient davantage de Dieu : car à mesure qu’on s’approche de lui, l’on contracte ses vertus et son Esprit : en sorte qu’il faut être fidèle à la lumière de Dieu, en s’humiliant à mesure qu’on la reçoit [291], et s’en servir premièrement pour connaître son néant et sa bassesse, sans l’aller prodiguer au dehors ou s’estimer d’avoir grandes choses : à cause que n’étant pas fidèle aux lumières de Dieu par les recevoir avec humilité de cœur, on les perd facilement ; et le Diable se transforme en Ange de lumière [292] : donne aussi des lumières intérieures presque toutes semblables à celles de Dieu. C’est ainsi que plusieurs personnes sont tombées après avoir bien commencé, et se sont troublé l’esprit, ou ont perdu la grâce de Dieu, par quelque estime d’elles mêmes ou quelque gloire cachée. J’ai si grand pitié, Monsieur, de voir ces personnes qui cherchent Dieu être aussi trompées de cet ennemi malin, qui tâche de toutes ses forces à gagner le petit nombre qui reste des hommes de bonnes volontés, et qui en gagne aussi plusieurs d’iceux par faute qu’ils ne découvrent pas les subtiles ruses de cet Esprit de l’ANTÉCHRIST, lequel est couvert et revêtu de l’Esprit de Christ pour couvrir sa malice.

34. Mais si les hommes spirituels avaient autant de prudence pour les choses éternelles comme les hommes du monde en ont pour conduire leurs négoces et les affaires temporelles, ils découvriraient assez que l’esprit qui les conduit dans leurs voies intérieures est l’Esprit d’un FAUX CHRIST : parce qu’encore bien qu’il induise à des choses bonnes, elles n’apportent cependant dans le cœur de ceux qui les font pas le même Esprit et le même sentiment que possédait le VÉRITABLE CHRIST, lequel était possédé d’une véritable pauvreté l’esprit, ne cherchant ni richesses, ni commodités, ni honneurs, ni plaisirs. Mais ces spirituels veulent bien encore avoir des richesses, s’ils pouvaient ; afin de par le moyen d’icelles, prendre leurs commodités et plaisirs ; ne rejettent pas aussi l’honneur qu’on leur fait, mais ressentent vivement le mépris et peu d’estime qu’on pourrait avoir d’eux. Et pour soumettre leurs volontés totalement à la volonté de Dieu, si que Jésus Christ disait n’être venu au monde que pour ce faire [293], ces personnes spirituelles ne savent apprendre cette leçon : car dans leurs meilleurs exercices, ils y sont attachés de leur propre volonté, de laquelle ils ne veulent point démordre ; et on aurait bien du mal à trouver dans le cœur de ces spirituels de la vraie humilité et du mépris de soi-même ; au contraire, nulles de ces personnes ne se voudraient égaler aux autres, croyant d’être quelque chose de plus que le commun, s’estimant plus que les hommes naturels, parce qu’ils font profession d’être des spirituels : cependant qu’on entend Jésus Christ qui dit qu’il n’est pas un homme, mais un ver, voire l’opprobre des hommes [294]. Et pour l’esprit de Charité qu’avait Jésus Christ, il n’est plus à trouver maintenant dans le monde : car on tiendrait pour fou celui d’entre les hommes spirituels qui voudrait se priver soi-même de son repos pour aider et secourir son prochain ; ou celui qui voudrait porter la charge de son prochain, et souffrir pour lui des affronts, des injures, des coups, des blessures, voire la mort, si besoin serait, pour le soulas du prochain : ce que Jésus Christ a tout fait et souffert, pas pour son égal ou son prochain, mais pour ses esclaves et ses petits serviteurs.

35. Où est, Monsieur, maintenant, cet esprit de charité entre les Chrétiens ? Saurait-on bien y retrouver encore aucuns vestiges dans les plus spirituels ? Je ne le sais apercevoir : au contraire, un endurcissement de cœur au regard du prochain. Je peux dire avec vérité d’avoir reçu souvent des admonitions ou des réprimandes des personnes doctes et spirituelles pour avoir quelquefois interrompu mon repos pour travailler au salut de mon prochain, ou pour avoir enduré des reproches et des persécutions pour avoir fait charité au prochain. Ces personnes doctes et spirituelles me tenaient bien malavisée de me voir embrasser des choses fâcheuses pour le salut ou bonheur des autres, disant que je pouvais bien servir Dieu en repos et à mon aise aussi bien que dans des embarras de charité si pénibles. Ne voilà pas, Monsieur, une preuve évidente que ces personnes spirituelles ne connaissent plus l’Esprit de Jésus Christ en rien, et qu’ils sont séduits par l’Esprit d’un FAUX CHRIST, qui les trompe sous des belles apparences et des fausses vertus, éclatantes au dehors lorsqu’en vérité il n’y a rien de solide au dedans ? L’on peut appeler les Chrétiens d’aujourd’hui des sépulcres blanchis, qui n’ont au dedans que des os de morts. Car que sont autre chose les bonnes œuvres extérieures que des œuvres mortes si elles ne sortent des vertus essentielles, dont le cœur doit être possédé ?

 

 

X. Christ est venu instituer un culte intérieur et Spirituel. L’Antéchrist en fomente et multiplie des extérieurs tout stériles.

 

36. L’on voit véritablement que les cœurs de maintenant, prenant même les plus spirituels, ne sont nullement possédés des vertus essentielles qui sortent de l’Esprit de Jésus Christ ; et cependant le Diable les amuse par des vertus apparentes ou des bienfaits extérieurs, afin de faire donner à Dieu l’écorce et le dehors, et garder pour le Diable le bois, le cœur, et le dedans. Lui seul a pour ce sujet inventé de bâtir des Temples pour adorer Dieu : car Jésus Christ étant venu au monde n’a pas enseigné de bâtir aucuns Temples : au contraire, il a dit à la femme Samaritaine à qui il demanda à boire, que le temps était jà venu qu’on n’adorerait plus Dieu ni dans les Temples, ni sur les montagnes, mais qu’on adorerait Dieu en esprit et en vérité [295]. Par où Jésus Christ nous a enseigné qu’il ne fallait plus comme du passé édifier des Temples pour adorer Dieu, ni sortir et aller sur les montagnes pour offrir sacrifice à Dieu : que ces choses avaient été enseignées aux Anciens pour la stupidité de leurs esprits, lesquels ne savaient rien comprendre sinon ce qu’ils voyaient et touchaient : parce que leurs naturels étaient si abrutis qu’il leur fallait des choses matérielles pour leur faire reconnaître un Dieu invisible. Mais sitôt que le même Dieu a eu la bonté d’envoyer Jésus Christ sur la terre, il est venu illuminer le monde et a spiritualisé les esprits des hommes pour leur faire connaître Dieu en esprit et en vérité.

37. C’est ce qu’il déclare à la femme Samaritaine, lui disant, que le temps viendra, votre était lors déjà venu qu’il ne fallait plus adorer Dieu dans le Temple ni sur la montagne, mais qu’il le fallait adorer en Esprit et en Vérité depuis que Jésus Christ parla à cette femme jusqu’à la fin du monde : car il parle du temps présent et du futur, pour montrer que Dieu ne demandera plus des hommes de culte extérieur, mais spirituel et intérieur. Comme il est esprit, il veut être servi en esprit ; et comme il est vérité, il veut être servi en vérité, et comme il est justice, il veut être servi en toute justice. Il a fallu de tout temps servir Dieu en cette sorte : car il n’a jamais eu besoin de Temples pour sa demeure [296], vu qu’il comprend toutes choses en soi. Il n’a non plus eu besoin de sacrifices ou services extérieurs [297], puisqu’il est pur esprit ; mais a ordonné du passé aux hommes de lui bâtir un Temple, de lui offrir Sacrifices, et lui rendre services extérieurs, mais toutes ces choses ne servaient que de moyens pour ramener les hommes à la connaissance et l’adoration du vrai Dieu intérieurement. Et sitôt que Jésus Christ est venu enseigner sur la terre, tous ces moyens grossiers et matériels devaient prendre fin, puisque le S. Esprit leur était envoyé afin qu’ils apprissent d’ores en avant à adorer Dieu en Esprit et en Vérité [298], et que chacune personne fussent les vrais Prêtres [299] pour lui offrir en sacrifice vivant leur propre volonté [300], pour la remettre dans la dépendance de Dieu, d’où elles étaient sorties par le péché d’Adam.

38. Et voyant que l’accomplissement des temps s’approchait, Jésus Christ a pris chair humaine et est venu enseigner aux hommes par quels moyens ils pouvaient retourner dans cette dépendance de Dieu pour se pouvoir réunir à sa volonté, et arriver par ce moyen à la fin première pour quoi l’homme a été créé, qui est pour prendre ses délices avec son Dieu à toute éternité [301]. Mais le Diable voyant que ce temps approche, et que Jésus Christ venait perfectionner la Loi et faire entrer les hommes dans une vie spirituelle, et sortir de la grossière et naturelle, il a tâché de contredire à Christ et maintenir les hommes dans les moyens naturels et extérieurs, afin qu’ils n’arrivassent jamais à la renaissance d’une vie vraiment spirituelle ; et a fait si grands progrès en cette entreprise que la plupart des hommes sont suspendus de la vie spirituelle par les moyens des choses extérieures et matérielles qu’il leur a proposées.

39. Et tout premier il leur a fait commencer à bâtir des nouveaux Temples et des nouvelles cérémonies et services de Dieu extérieurs : en telle sorte que les Chrétiens depuis Jésus Christ et ses Disciples sont encore retombés dans les Anciennes Cérémonies Judaïques, ayant seulement un peu dépeint les formes extérieures d’une autre couleur, quoiqu’en substance ils n’aient que des adorations de Dieu extérieures, et n’ont plus que des paroles et des lettres qui tuent [302], et nullement l’esprit qui vivifie. Le S. Esprit n’est plus écouté pour la doctrine des hommes [303] ; et Dieu n’a plus son Temple dans les âmes, pour les Temples matériels qu’on multiplie journellement, plus que n’ont jamais fait les Juifs ; et Dieu n’est plus prié ni adoré en Esprit ni en Vérité, pour les prières et les adorations vocales et extérieures que les Chrétiens entassent maintenant l’une sur l’autre, de quoi les esprits en sont si remplis, qu’ils ne donnent pas le temps et loisir à leur entendement d’écouter quelques bonnes inspirations, mais étouffent toutes les attentions intérieures par les agitations et actions extérieures que le Diable fait augmenter et multiplier journellement.

40. Ne voyez-vous pas, Monsieur, par une expérience certaine, que les services de Dieu extérieurs se multiplient tous les jours, et que la charité de Dieu se refroidit à mesure que ces cultes extérieurs s’augmentent ? Si ces Temples et ces prières et ces Sacrifices extérieurs étaient des acheminements pour arriver à la charité, sans doute que grand nombre de personnes y seraient déjà arrivées qui ont si longtemps fréquenté les Églises et les Sacrements, et autres choses qu’on appelle salutaires, et cela avec bonne intention : mais au contraire, on les voit plutôt refroidis en ladite charité que non pas échauffés dans icelle : car les hommes s’empirent tous les jours, voire tous les moments du jour. L’on voit cela assez par le commun train du monde : les jeunes personnes sont plus méchantes que les vieilles ; et les enfants encore beaucoup pires que les jeunes. En sorte que personne ne peut apercevoir avec un sain jugement que ces Temples, ces Sacrements et ces cultes extérieurs de dévotions soient des acheminements pour venir à la charité et vérité de Dieu, puisque ceux qui les ont si longtemps pratiqués sont après tant d’années moins charitables et véritables qu’ils n’étaient le premier jour qu’ils ont commencé ces exercices pieux par routine.

41. N’est-il pas bon, Monsieur, à découvrir par ces expériences que toutes ces choses sont des inventions du Diable, et pas des Institutions de Jésus Christ ? Puisque lui-même est venu pour mettre fin à toutes ces cérémonies extérieures, il faut bien que le Diable, pour le contredire, les ait inventées de nouveau [304], et qu’il induise lui-même les Chrétiens à les pratiquer en dépit de la Doctrine de Jésus Christ, laquelle enseigne d’adorer Dieu en Esprit et en Vérité. Car si cela ne venait pas du Diable, les personnes méchantes mêmes ne seraient si mortellement attachées à ces Temples et Cérémonies : car les méchants n’écoutent pas les inspirations de Dieu, pour se rendre si souvent aux Églises, par cet instinct Divin. Il faut de nécessité conclure que toutes ces dévotions extérieures sont des inventions du Diable pour amuser les bonnes âmes et les retirer de l’adoration du vrai Dieu en esprit et en vérité. Car si ces Temples et ces choses extérieures venaient de l’Esprit de Dieu, sans doute que Jésus Christ les aurait enseignées, et bâti des Églises en son temps, et aussi ses Apôtres et Disciples. Comment pourraient-ils avoir négligé des choses si bonnes et si nécessaires, si que les hommes disent à présent ? Ils seraient bien plus parfaits que Christ s’ils édifiaient tant de choses bonnes que lui y aurait négligées.

 

 

XI. Christ enseigne que pour être Chrétien il faut l’imiter. L’Antéchrist dit que cela est impossible : anéantissant ainsi la venue et la vie de J. Christ, l’efficace de ses mérites, la force de son Esprit, et la vérité de ses paroles.

 

42. Certes, Monsieur, celui qui ne voit pas que toutes ces choses sont inventées par l’Esprit de l’ANTÉCHRIST, et que nous vivons maintenant dans le temps de son Règne et de son plein domaine, il n’a pas d’oreilles pour entendre ni aussi d’œil pour voir [305], vu que toutes ces choses sont maintenant si claires à voir et faciles à entendre. Je bénis Dieu qu’il a ouvert les yeux à plusieurs pour leur faire mépriser ces choses extérieures : ils sont bien déportés du mal ; mais ils ne suivent pas encore le vrai bien, qui consiste en la possession du véritable Esprit de Christ, qui est humilité, pauvreté, et charité. Leurs esprits regardent encore la terre et les hommes. Ils ont quitté l’esprit du Diable extérieurement et directement ; mais le possèdent encore indirectement et intérieurement, par des moyens spirituels, desquels le Diable se sert pour les tenir à soi par le moyen d’un fil d’or ou de soie, et empêche qu’ils ne viennent jamais à la connaissance de la droite vérité, laquelle ferait assez connaître qu’ils ne sont pas possédés du même esprit qu’était Jésus Christ, et qu’ils ne peuvent être autrement des Chrétiens : à cause que Dieu est immuable et que Jésus Christ hier et aujourd’hui est le même : encore bien que les hommes et les Diables aient changé les pratiques de Jésus Christ en des pratiques nouvelles, la Loi Évangélique n’est pour cela aucunement changée ni altérée, mais demeurera jusqu’à la fin du Monde tout de même que Jésus Christ l’a établie. En sorte que celui qui ne la met en pratique ne peut être vrai Chrétien : en quoi les hommes se trouveront grandement trompés à la mort [306], en voyant alors qu’ils n’ont nullement été des Chrétiens, quoiqu’ils en aient fait la profession, exporté le titre et le nom : ils se verront devant Dieu des véritables Antichrétiens, ayant leurs entendements et leurs volontés été directement contraires et opposées à l’Esprit et à la volonté de Jésus Christ.

43. Tous ceux qui veulent sérieusement s’appliquer à considérer les vérités que Dieu me fait connaître, seront obligés de voir et confesser dans cette vie présente qu’ils ne sont nullement des VRAIS CHRÉTIENS. Mais la subtilité de cet Esprit de l’ANTÉCHRIST leur persuadera aussitôt : « Qu’ils ne peuvent être possédé du même esprit qu’a été Jésus Christ, et qu’il est impossible à la fragilité humaine de cheminer dans les mêmes voies que Jésus Christ a cheminées : parce qu’il était Dieu, et faisait des choses au-dessus de la portée des hommes ; et partant, que les Chrétiens ne le peuvent imiter ni suivre. » Ce qui est une fausse persuasion que le Diable met dans l’esprit des hommes pour les tromper : car Jésus Christ n’a rien enseigné aux hommes sinon ce qu’ils doivent pratiquer de nécessité pour être sauvés [307] : vu qu’en tant que Dieu, il ne pouvait pâtir ; et en tant qu’homme, il n’avait besoin de faire pénitence, puisqu’il n’avait jamais commis de péchés. En sorte que pour son regard il ne devait ni pâtir ni souffrir, ni être pauvre ni humble : car en tant que Dieu, toutes choses lui appartenaient ; et était aussi plus grand et honorable que toutes choses : voire même aussi en tant qu’homme : vu qu’il était vrai Fils de Dieu, qui a créé le Ciel et la terre pour ses Enfants, et qui les honore de le vouloir délecter avec eux. Par où se voit que Jésus Christ n’avait pas besoin d’être pauvre et humble, ni méprisé, non plus selon sa Divinité que son humanité, et qu’il a embrassé ce chemin étroit seulement pour montrer aux hommes les moyens par lesquels ils pouvaient connaître leurs orgueils et avarice [308], et autres péchés èsquels ils étaient tombés en se retirant de la volonté de leur Dieu, qui les avait créés pour des fins éternelles ; et qu’iceux s’étaient tellement abrutis à la terre qu’ils y avaient mis leurs cœurs et leurs amours. Et cependant la Bonté Divine a été si grande en leur regard qu’il leur envoie Jésus Christ pour leur enseigner par quels moyens et pratiques ils pouvaient retourner à Dieu et recouvrer sa grâce, laquelle ils avaient si lâchement perdue. Jésus Christ n’est pas envoyé aux hommes comme fut jadis Moïse, pour leur donner seulement la Loi de parole ou par écrit, mais aussi pour leur enseigner par pratique et effet toutes les choses qu’ils doivent faire et laisser afin de retourner dans la dépendance de Dieu et recouvrer leur salut éternel. En sorte que Jésus Christ n’a rien enseigné aux hommes sinon ce qu’ils doivent pratiquer, ou a illuminé leurs entendements pour connaître les vérités qui leur sont utiles et nécessaires.

44. Voilà la seule cause pourquoi Jésus Christ a suivi ce chemin étroit, et déclaré que le chemin large mène à perdition, ayant lui-même subi les peines dues aux péchés (quoique juste, pur, et innocent), afin de nous mériter de son Père l’Esprit de pénitence et de conversion, par les mérites des souffrances de Jésus Christ. Si nous croyons bien que les mérites de S. Étienne ont obtenu de Dieu la conversion de S. Paul lorsqu’il pria pour lui au milieu des douleurs de son martyre ; pourquoi à plus forte raison ne croyons-nous pas que les mérites des souffrances de Jésus Christ nous peuvent obtenir la conversion et l’Esprit de pénitence pour suivre et imiter ses œuvres et sa doctrine lorsque la voudrons suivre et pratiquer ? Sans doute que les souffrances de Jésus Christ, étant par lui offertes à son Père, nous obtiendront assurément la grâce de son Esprit : en sorte que celui qui va au Père, revêtu et couvert des mérites de Jésus Christ, obtiendra assurément son Esprit et sa charité : car le Père ne peut rien refuser de ce qu’on lui demande au Nom de son Fils [309], lequel lui a été obéissant jusques à la mort de la croix [310].

45. Si vous distinguez bien, Monsieur, l’humanité d’avec la Divinité de Jésus Christ, vous trouverez qu’il n’a rien fait en tant qu’homme sinon ce que peuvent faire tous les hommes qui ont soumis leurs volontés entièrement à celle de Dieu [311] ; voire encore davantage. L’on a vu cela par expérience, que les Apôtres et vrais Disciples ont eu l’esprit de pauvreté, charité, et de patience, comme avait Jésus Christ : car ils abandonnaient toutes choses pour le suivre [312], et travaillaient en sueur et labeur pour la charité qu’ils portaient au salut des hommes [313], se rendant infatigables pour les gagner à Dieu, et non pour amasser de l’argent, comme font les Apôtres de maintenant. Car S. Paul dit que ses mains gagnaient sa nourriture afin de n’être à charge à personne [314], et avec cela allait et cheminait en plusieurs endroits pour prêcher la parole de vérité et attirer les hommes à la connaissance d’icelle. Par où il montrait combien il brûlait de charité vers le salut de son prochain, laquelle était si grande qu’il priait quelquefois Dieu d’être Anathème pourvu que ses frères fussent sauvés [315]. Et quel esprit de patience a eu aussi ce S. Apôtre à souffrir les prisons, les fouets, les injures, voire la mort avec joie et contentement intérieur [316] ?

46. Ne voyez-vous pas, Monsieur, que ce n’est qu’un amusement de l’Esprit de l’ANTÉCHRIST, lequel nous fait accroire maintenant qu’on ne peut être possédé de l’Esprit de Jésus Christ parce qu’il était Dieu et pouvait faire toute chose ? Puisqu’on voit dans S. Paul et les autres Apôtres et Disciples vivre même esprit de pauvreté, charité, et patience ; quoiqu’iceux fussent simplement des hommes comme nous, cependant ils ont suivi et imité Jésus Christ de tout leur pouvoir. Est-il à croire que Dieu serait changé depuis, ou qu’il aurait enseigné depuis Jésus Christ un autre chemin de salut, ou autres méthodes ou façons de vivre ? Ce qui ne peut nullement être : à cause que Dieu est immuable, ne pouvant changer. Et si n’envoyera-t-il plus personne dans le monde pour enseigner les hommes : vu que Jésus Christ a tout parfait et accompli la Loi, et que le monde est arrivé à sa fin.

47. Il ne doit plus venir de Moïse ou d’autres Prophètes pour enseigner autre chose que la Loi Évangélique. C’est la dernière et la plus parfaite : pour cela cela est-il écrit que c’est la dernière heure lorsque Jésus Christ fut né : parce qu’il n’y a plus rien que Dieu ait pu faire pour les hommes, qu’il ne l’ait fait par Jésus Christ, comme l’organe par qui Dieu épandait aux pécheurs sa dernière miséricorde. Non, non, Monsieur, il ne se faut pas flatter. Il faut imiter Jésus Christ, ou être damné à toujours. Et encore que des Anges descendraient du Ciel pour enseigner autre chose que la Loi Évangélique, il ne les faut pas croire. Ce seraient des Anges de Satan, comme sont aussi les hommes qui glosent et expliquent cette Loi d’un sens tout contraire à la pratique de Jésus Christ et de ses Apôtres et vrais Disciples. Il n’y a rien à changer en tout ce que Jésus Christ a pratiqué : il faut le suivre, ou attendre la condamnation due aux faux Christs et faux Prophètes, en portant faussement le nom et le titre de Saints et de Chrétiens : vu que Jésus Christ a mérité par ses souffrances de son Père le S. Esprit pour tous ceux qui le cherchent et désirent. N’entendez-vous pas, Monsieur, que le S. Esprit dit qu’encore bien qu’un Père serait mauvais, si ne donnera-t-il à son Enfant choses mauvaises, mais lui donnera choses bonnes, quoiqu’il soit lui-même mauvais : à combien plus forte raison le Père céleste donnera-t-il le S. Esprit à tous ceux qui le demandent en vérité [317] ? Jésus Christ jure qu’il le donnera : comment donc serait-il à croire que les hommes de maintenant seraient incapables ou insuffisants de suivre ou imiter Jésus Christ, vu que c’est encore le même Dieu et ses mêmes créatures comme elles étaient à la venue au monde de Jésus Christ, et que par sa doctrine et exemple les hommes ont reçu beaucoup plus de lumières et de grâces du S. Esprit qu’ils n’avaient alors ?

48. L’on peut assez voir combien grossiers et ignorants étaient les Apôtres et le reste des hommes. Néanmoins ils ont reçu le désir [318] et les forces de suivre [319] et imiter Jésus Christ [320], et par ce moyen ont été faits participants de son Esprit et de sa charité. Si les hommes maintenant avaient les mêmes désirs, sans doute qu’ils auraient les mêmes grâces, voire en auraient de plus grandes que n’ont jamais eu les Apôtres, parce que nous sommes arrivés dans l’accomplissement du temps où nous devons recevoir le S. Esprit qui nous enseignera toutes vérités, et où les sciences sont multipliées : les esprits sont aussi plus éclairés. Mais au lieu d’appliquer ces lumières à découvrir les divins mystères, on les applique à découvrir les choses terrestres et naturelles, qui sont de si courte durée ; et après qu’on est bien versé en ce qui regarde la terre, l’on ne cherche ni ne trouve le S. Esprit, se contentant de s’établir dans la prison de cette vie comme dans un lieu de délices. Si l’on voyait une personne se plaire dans une obscure prison, la vouloir orner de beaux meubles, et s’accoutrer soi-même de vêtements riches et somptueux, sans doute que tout le monde jugerait qu’une semblable personne serait devenue insensée, ayant perdu le jugement ; et l’on ne voit pas qu’on fait bien plus grandes folies en se voulant enrichir, faire honorer, et prendre ses plaisirs dans cette vallée de larmes, où Dieu nous a envoyé pour y purger nos crimes, pendant que nous y voulons rechercher nos délices, et y trouver nos contentements ; et lorsqu’on les a choisis là-dedans, l’on juge aussitôt impossible à la nature humaine de pouvoir imiter la Vie et Doctrine de Jésus Christ.

49. Ce n’est pas qu’il y ait quelque impossibilité [321] : car Dieu ne demandera jamais des personnes rien qui leur sera impossible : en quoi faisant il serait un Dieu cruel ; mais c’est que le plaisir qu’on prend à suivre ses sens et ses brutales passions fait sembler tout ce qui leur est contraire ou opposé comme si c’étaient des choses impossibles : quoique véritablement les choses du S. Esprit soient beaucoup plus faciles à être pratiquées que non pas les choses de la chair et du sang [322] ; voire donnent mille fois plus de contentement au corps et à l’âme que ne peuvent jamais faire toutes les délices ensemble de cette misérable vie [323]. Mais comme le Diable nous veut empêcher de recevoir le S. Esprit ou le demander à Dieu notre Père, il nous fait trouver du goût et plaisir en cette vie, troublant notre imagination par la croyance qu’il nous serait impossible d’embrasser et suivre la Vie Évangélique : quoiqu’en effet il n’y peut rien avoir de plus consolant, voire de plus joyeux si tôt que les sensualités de la chair sont assujetties à l’Esprit. Il n’y a qu’un peu de violence à faire à nos passions ; et lorsqu’on les a vaincues, on est Roi de tout le monde. Quelles folies aux hommes de vivre si longtemps esclaves sous la Tyrannie des passions ! Les peines qu’elles nous causent sont sans comparaison beaucoup plus grandes et fâcheuses que la violence qu’il faut faire pour les surmonter et en demeurer le maître. Ce n’est rien autre chose que le Diable qui nous tyrannise aussi par nos propres passions et volontés, nous faisant imaginer d’avoir des plaisirs où il n’y a que des ennuis ; et, au contraire, nous persuade qu’il n’y a que des ennuis, peines et travaux à renoncer à nous-mêmes pour embrasser la Vie Évangélique, dans laquelle il n’y a en effet que des joies et du contentement. Toutes ces difficultés nous sont proposées par l’Esprit de l’ANTÉCHRIST, qui veut empêcher que ne suivions jamais Jésus Christ, lequel seul nous peut guider à salut : et les hommes sont si malavisés que de croire qu’il leur est impossible d’imiter Jésus Christ ; point parce que cela est véritable, mais parce que le Diable a gagné leur imagination pour leur faire croire au mensonge. N’entendez-vous point, Monsieur, que Jésus Christ dit que son joug est doux et sa charge légère ? Cependant on entend d’autre côté presque tous les hommes du monde dire qu’il leur serait impossible d’imiter Jésus Christ ! Il serait bon de savoir lequel de ces deux partis dit la vérité. Il est écrit : Malheur à l’homme qui a mis sa confiance à l’homme. Ne faut-il pas dire que c’est un grand malheur à celui qui aime mieux de croire qu’il est impossible d’imiter Jésus Christ, parce que les hommes le disent, que non pas de croire à Jésus Christ, qui est la vérité même, et qui nous assure, que son joug est doux et sa charge légère [324] ?

 

 

Vie Chrétienne plus facile que la mondaine.

 

XII. Preuve que la Vie et la Loi de Christ est facile et joyeuse, et que c’est la vie mondaine et Antichrétienne qui est difficile, pénible et fâcheuse, nonobstant les persuasions contraires de l’Antéchrist.

 

50. Je sais bien que les personnes charnelles et sensuelles ne croiraient pas que le joug de la Loi Évangélique est doux encore que Jésus Christ même le dise ; à cause que cette Loi les prive de toutes leurs avarices ou sales plaisirs, auxquelles choses ils sont accoutumés de le délecter et plaire, la privation desquelles complaisances leur semble impossible à surmonter. Cela leur est comme une montagne si haute qu’ils s’imaginent de n’y savoir jamais monter.

51. Ce n’est pas que la Loi Évangélique commande des choses impossibles : car elle ne commande sinon d’aimer Dieu et le prochain, comme faisait aussi la Loi de Moïse : en sorte que celui qui aime Dieu de tout son cœur et son prochain comme soi-même a accompli toutes les Lois de Dieu : mais cette Loi Évangélique défend beaucoup de choses, comme faisait aussi la Loi écrite : car entre les dix choses qu’elle commande, il n’y en a sinon trois qu’il faut faire, savoir : adorer un seul Dieu, sanctifier son jour, et honorer Père et Mère. Les autres sept ordonnances, ce sont des omissions ou choses desquelles il se faut abstenir, comme : Ne point tuer ; Ne point dérober : et le reste, que Dieu défend.

52. Il n’a jamais mis de charge sur les hommes qu’ils ne sachent porter : car aimer Dieu et ses Père et Mère, c’est une chose douce et qui nous est naturelle, d’aimer ceux de qui nous recevons du bien : et tout le bien que nous avons venant de Dieu, cela nous oblige à l’aimer ; et toute l’assistance dont nous avons besoin en notre imbécillité, venant de nos Pères et Mères, nous oblige aussi à les honorer. Et c’est la moindre reconnaissance que nous devons à Dieu de sanctifier un jour entre sept pour sa mémoire et honneur. En sorte que rien de ces trois choses ne sont impossibles à l’homme ; au contraire, elles sont très faciles et plaisantes à l’homme de bien : comme lui est aussi de s’abstenir de faire les maux défendus par ladite Loi écrite.

53. Mais les hommes charnels y trouvent de la difficulté, voire la veulent faire passer pour choses impossibles à être bien observées : comme si Dieu n’était pas un objet aussi aimable, pour être aimé de tout leur cœur, comme serait quelque créature de leurs semblables, ou de l’or, de l’argent, un chien, un oiseau, ou autres choses viles, lesquelles ils aiment de tout leur cœur. Ne voit-on pas bien, Monsieur, que le Diable a ensorcelé les esprits des hommes pour leur faire croire au mensonge et dire que la Loi Évangélique est impossible à garder, ou du moins grandement pénible et fâcheuse ? Pendant qu’en effet en vérité il n’y a rien de plus joyeux et plaisant [325]. Car sitôt qu’une âme est dégagée des affections du péché, elle vit dans une Liberté d’esprit si tranquille et agréable qu’elle semble être dans un convive continuel, où elle se repaît des doux entretiens qu’elle a avec son Dieu, et lui est par après impossible de se délecter en autres choses : car ce doux rassasiement intérieur lui fait perdre les désirs des richesses, les plaisirs des honneurs, et la délectation des plaisirs de la chair [326]. En sorte que tout ce qui regarde la chair et les sens lui devient pénible et fâcheux ; et le contentement qu’elle trouve par le repos d’une bonne conscience lui semble meilleur que toutes les délices et plaisirs qu’elle peut jamais avoir pris dans le monde.

54. Voilà ainsi que la Loi Évangélique n’a garde d’être difficile ou impossible à garder, puisqu’elle ne contient en soi que la délivrance de tous péchés, qui bourrellent ordinairement les âmes de ceux qui en sont chargés. Il faut plutôt dire que la Loi du monde est un faix pesant et un esclavage pénible, laquelle serait insupportable si le Diable n’avait pas charmé l’imagination des hommes pour les rendre insensibles à leurs malheurs et leur faire imaginer que ce qui est pénible et fâcheux soit doux et agréable [327] : car autrement il serait impossible qu’il y eût dans le monde une seule personne qui se voulût assujettir aux lois du monde, lesquelles ne donnent jamais de repos à ceux qui les veulent suivre et aimer.

55. Et pour voir cela en détail, il ne faut que considérer les soins et les inquiétudes où se retrouve la personne qui veut être riche. Combien de travail de corps et d’esprit a-t-elle pour chercher les moyens de gagner de l’argent : et lorsqu’elle les a trouvés, combien de transes et craintes de ne les voir pas bien succéder ! Combien de peines à les bien acheminer ! Quels ressentiments à ne les voir prospérer ! En quels périls ne s’expose pas celui qui se veut enrichir ! Il va par mer et par terre, où si grand nombre y perdent la vie : les uns par des naufrages, les autres par des voleurs : quelques-uns par les injures des temps, quelques autres par des malheurs ; l’un étant tombé de son cheval, l’autre du chariot, ou autrement précipités et péris. Et tout cela se fait cependant volontiers pour gagner de l’argent, ne se donnant pas quelques fois le temps pour boire, ou manger, ou dormir suffisamment : encore moins pour vaquer au salut de son âme. Et avec ce, personne ne dit que cette Loi du monde est impossible à être observée ! Au contraire, l’on estime comme heureux ceux qui s’efforcent à les suivre avec bon succès, pensant être brave homme lorsqu’on sait bien épargner de l’argent, quoique le soin de le conserver ne soit pas moindre que celui de l’acquérir. Et l’on n’a pas assez d’esprit de plaindre son malheur, quoiqu’il n’y ait pas de condition plus misérable que celle d’une personne qui est riche [328] ; parce que les richesses n’apportent que des inquiétudes et des fâcheries pour les bien conserver : il faut soutenir des procès et querelles, des envies et jalousies, des pertes fâcheuses, voire quelques fois des blessures et tueries pour les biens du monde, lesquels il nous faut laisser à la terre sitôt que la mort arrive, et ne pouvons rien emporter d’iceux sinon un sensible regret de les avoir aimés, et une douleur de les falloir abandonner.

56. Voilà où aboutit la Loi du monde, à rendre les hommes misérables durant cette vie, et les rendre malheureux à toute éternité, vu que si grand nombre descendent ès enfers pour l’or et l’argent. Et avec tout cela, l’on dit que la pauvreté Évangélique est bien fâcheuse, voire impossible à être observée. Se peut-il bien voir, Monsieur, une plus ouverte illusion du Diable que ce faux donner-à-entendre qu’il fait aux hommes ? Vu que par effet l’on a vu et voit encore que ceux qui vivent vraiment dans la pauvreté d’esprit sont heureux et contents, et ne manquent jamais d’avoir l’aliment nécessaire et l’habit pour le corps, qui est la seule chose que sauraient jamais donner tout l’or et l’argent du monde : car celui qui en a par excès n’en peut jamais tirer autre bien qu’un peu de viande et d’habits pour couvrir son corps. Tout le reste des biens de la terre sont des charges et des piquantes épines. Les Chrétiens doivent rougir de honte de mettre leurs cœurs et affections ès richesses de ce monde, où les Philosophes Païens les ont méprisées, voire jeté l’or et l’argent dans la mer pour se délivrer des soins et craintes qu’iceux leur eussent apportés. Ils ne savaient pas cependant parler de la Loi Évangélique, et possédaient cette pauvreté d’esprit, où les Chrétiens la rejettent et méprisent après avoir appris de Jésus Christ qu’elle est nécessaire à salut : car il dit en termes exprès que celui qui ne renonce à tout ce qu’il possède ne peut être son Disciple [329]. Ce n’est pas que Dieu ait besoin d’or ou d’argent, ou qu’il veuille priver les hommes de la jouissance des métaux qu’il a créés pour iceux ; mais c’est qu’il a compassion de les voir avilis à aimer la terre et les métaux lorsqu’ils ont été créés pour aimer Dieu, Créateur de toutes ces choses.

57. Dieu rappelle les hommes de leurs égarements par la Loi Évangélique, leur faisant voir par icelle en quoi ils sont déchus, et par quels moyens ils sont retirés de la dépendance de Dieu. Et au lieu que les hommes doivent acquiescer volontairement et avec joie aux Lois que Dieu leur donne pour les retirer à soi, ils en murmurent comme s’il leur faisait outrage [330], et disent qu’il leur est impossible de garder la Loi Évangélique, laquelle ne commande rien en soi sinon de cesser de malfaire et retourner dans l’Amour de Dieu.

58. Si l’on voit en cette Loi quelque chose de pénible, il faut que cette peine procède seulement de nos vices et mauvaises habitudes qui se sont naturalisées en notre chair : car autrement, la Loi Évangélique est toute d’Amour et de charité, et l’on ne peut dire avec vérité qu’elle soit fâcheuse à observer, et encore moins impossible, puisque Jésus Christ, les Apôtres, et tant d’autres personnes de chair et d’os comme nous l’ont observée avec joie, voire sont morts pour la défense d’icelle Loi. Un S. Estienne voit le Ciel ouvert pendant qu’on déchirait son corps de pierres [331]. Un S. Laurent se moque de son Tyran, lui disant au milieu des charbons ardents : Tournez-moi de l’autre côté si vous avez envie de manger de ma chair : elle est assez rôtie de ce côté-là. Combien d’Apôtres et de Disciples de Jésus Christ sont morts pour cette Loi Évangélique ? Et combien de cœurs généreux ont méprisé les richesses, honneurs, et plaisirs pour embrasser cette sainte Loi, dans l’observance de laquelle ils ont trouvé un repos, un contentement, et une satiété parfaite ? Je demanderais volontiers à tous ceux qui disent la Loi Évangélique être impossible à entretenir, si nous n’avons pas encore le même Dieu que celui qui était au commencement de l’Église, et si les hommes de maintenant sont faits ou créés d’autre étoffe que les premiers Chrétiens, et pourquoi la Loi Évangélique est plus difficile ou impossible à être observée pour les hommes de maintenant qu’elle n’était lorsque Jésus Christ l’est venu enseigner ? Et si c’est le même Dieu et ses mêmes créatures, pourquoi l’on s’imagine maintenant des difficultés ou impossibilités à l’observer, où ces premiers Chrétiens y trouvaient des si grands contentements qu’ils ne les savaient exprimer que par la joie qu’on voyait en eux au milieu des souffrances ?

59. Quelle lâcheté de cœur ont apporté les honneurs et plaisirs de ce monde aux hommes de maintenant, pour leur faire croire qu’ils ne peuvent imiter Jésus Christ ni embrasser la Vie Évangélique, qui seulement les incite à quitter ces faux honneurs et ces plaisirs infâmes, qui ne donnent que des inquiétudes et des bourrellements de conscience ! Car celui qui veut être honoré en ce monde est continuellement agité de déplaisirs ; puisque le plus souvent où il pense recevoir le plus d’honneur, il reçoit seulement des mépris. Prenez l’exemple d’Haman [332], lequel eut tant de dépit de n’être pas honoré de Mardochée, que cela même lui coûta la vie, qu’il perdit sur le même gibet où il pensait faire pendre Mardochée pour se venger du peu d’honneur qu’il lui avait rendu. Ne voyez-vous pas, Monsieur, que les honneurs du monde ne font que bourreler les hommes durant leurs vies, et que c’est souvent la cause de leur mort ? Combien de personnes sont mortes à la guerre pour l’honneur ? Combien de ceux qui ont été tués en duel pour ce point d’honneur ? Combien de fraudes, de larcins, mensonges et tromperies ne commet pas celui qui veut se maintenir en états et honneurs ? C’est presque un martyre continuel des soins et inquiétudes qu’il faut avoir pour se maintenir en honneur et réputation devant les hommes. Et tout cela semble facile et léger ; à cause que le Diable le fait ainsi paraître à la fantaisie des hommes, laquelle, étant obscurcie par cet Esprit ténébreux, ne découvre plus la lumière de vérité pour voir que l’humilité de cœur apporte à celui qui la possède un repos et paix intérieure [333], et une tranquillité d’esprit telle, que tous les honneurs du monde ne pourraient jamais rien donner de semblable. C’est pourquoi grandement sont à plaindre ceux qui méprisent la bassesse de Jésus Christ pour vouloir vivre en honneur parmi le monde, qui ne peut rassasier nos désirs, et encore moins sauver nos âmes : au contraire, la Loi du monde les fait assurément périr [334] ; et d’une peine temporelle les conduit aux peines éternelles : parce que les Lois du monde sont toutes contraires aux Lois de Dieu, et par conséquent toutes contraires à opérer notre salut, lequel ne se peut acquérir que par l’observance de la Loi Évangélique.

60. C’est se flatter de l’espérer par autres moyens, à cause de la corruption de notre chair : En quoi se trompent fort ceux qui disent avoir trop de fragilité pour observer la Loi Évangélique : à cause qu’icelle n’est seulement enseignée que pour les fragiles et pécheurs [335], et non pas pour les forts ni les justes, lesquels sont Loi à eux-mêmes. En sorte que si les hommes fussent demeurés dans la Justice, Jésus Christ ne fût pas venu dans le monde pour souffrir et mener une vie si pénible, ni mourir si honteusement. Dieu eût attendu de s’unir si étroitement à la nature humaine jusqu’à la résurrection des morts, et alors il s’eût manifesté dans un corps immortel et glorieux pour s’unir par Amour avec l’homme, aussi bien de corps que d’esprit. Mais il a prévenu ce temps pour la compassion qu’il eut des hommes, qui avaient perverti leurs voies et étaient volontairement sortis de la volonté et dépendance de Dieu, sans qu’ils fussent plus capables d’y pouvoir retourner sinon par des moyens puissants et des assistances divines.

61. Voilà le sujet pourquoi avant le temps Dieu créa le corps mortel de Jésus Christ, afin de faire sa dernière miséricorde à l’homme, en lui montrant tous les moyens par lesquels ils étaient sortis de la dépendance de leur Dieu pour se soumettre à leur propre volonté, laquelle est toujours unie à celle du Diable aussi longtemps qu’elle suit les mouvements et inclinations de la nature corrompue [336]. Et tout de même que Dieu rappela Adam après sa chute, lui demandant où il était, pour lui faire regarder son état misérable où le péché l’avait réduit : non que Dieu ignorât où était Adam : car il sait toute chose ; mais il désirait qu’Adam se fût regardé soi-même, pour se repentir et faire pénitence. Tout de même Dieu a rappelé les hommes après qu’il les a vus tombés dans le péché, point une fois seulement, comme avait tombé Adam ; mais des fois presque sans nombre, et cela avec beaucoup plus de malice. Car Adam ne savait nullement que le péché l’eût dû rendre si misérable. Il connaissait seulement le bonheur dans lequel Dieu l’avait créé, mais ne connaissait nullement le mal auquel le péché l’aurait assujetti. Mais les hommes depuis lui ont eu connaissance du bien et du mal, et pouvaient savoir par expérience qu’en quittant la dépendance de Dieu ils s’assujettissaient à toutes sortes de malheurs.

62. Ce que peuvent encore aujourd’hui expérimenter les personnes qui s’adonnent à suivre leur propre volonté : elles ne sont jamais contentes ni satisfaites quoi qu’elles possèdent dans ce monde. Un avaricieux n’a jamais des richesses à suffisance ; parce que l’avarice est comme une eau salée : plus on en boit, plus ils en sont altérés. Un luxurieux est aussi insatiable, et assujetti à toutes sortes de maux, tant du corps que de l’esprit. Quelles transes ! quelles craintes ! et en quels périls ne s’expose-t-il pas pour trouver l’occasion d’assouvir les plaisirs de la chair ? Plusieurs ont perdu la vie en cette recherche ; et les autres l’ont aussi perdue pour s’être trop vautrés dans ces sales plaisirs. Et pas moins ne sont aussi misérables ceux qui se délectent au plaisir du goût, ou à la gloutonnie : parce qu’il n’est aussi jamais satisfait, et souhaite toujours les sauces qu’il n’a pas. Plusieurs familles ont été ruinées par avoir voulu en vain satisfaire à la langue et au gosier : plusieurs ont gâté leurs santés et abrégé leurs vies par des excès de boire ou de manger ; et ont commis des homicides ou fait d’autres folies pour avoir perdu l’entendement à force de trop boire. En sorte qu’on ne voit que trop par expérience que les hommes s’assujettissent à toutes sortes de maux en voulant suivre leurs propres volontés. Ils se rendent esclaves du Diable et sont à charge à eux-mêmes, sans pouvoir trouver de repos ni de parfait contentement : car jamais l’œil ne sera las devoir, ni l’oreille d’entendre, non plus que les autres sens soûlés par les convoitises des plaisirs de cette vie misérable. Et cependant les hommes s’y veulent délecter, et cherchent du contentement dans les choses là où il n’y a que des misères, des ennuis, et des tourments.

 

 

Satisfaction de Christ et des hommes.

 

XIII. Christ est venu pour nous engager, par les choses qu’il a faites et souffertes, à l’imiter : l’Antéchrist, en déchirant la S. TRINITÉ, fait faussement croire qu’il a seul satisfait pour nous décharger de satisfaire nous-mêmes aux châtiments que la Justice de Dieu nous impose pour nos péchés.

 

63. Et tout cela se fait par l’aveuglement d’esprit procédant des ténèbres que le Diable a éparses par tout le monde, craignant que les hommes ne viennent à connaître et découvrir la vérité de leurs malheurs, et qu’ils ne se retournent dans la volonté de Dieu, qui est la source de tout bonheur. Tous ces malheurs étaient arrivés à presque tous les hommes lorsqu’il plut à Dieu d’envoyer Jésus Christ au monde, pas seulement comme une voix qui disait aux hommes : Où es-tu ainsi déchu de la dépendance de Dieu ? Mais il crée un corps et une âme semblable aux autres hommes, pour leur montrer par les œuvres d’icelui ce qu’il fallait faire et laisser pour retourner à Dieu après l’avoir si lâchement quitté afin d’adhérer à notre propre volonté. Plusieurs s’imaginent que Jésus Christ est venu en ce monde pour satisfaire à nos péchés par ses souffrances et par sa mort ; et, par la même conséquence, croient qu’il a tout satisfait pour nous, tant pour nos péchés passés que pour les péchés qui étaient encore à venir : ensuite de quoi ils vivent en repos, attendant le salut sur ce que Jésus Christ a tout satisfait pour eux, sans qu’ils jugent nécessaire de satisfaire en aucune chose. En quoi ils sont fort ignorants et dénient la Trinité des trois vertus de Dieu, qui sont toujours en toutes ses œuvres. Et quoiqu’ils confessent la Trinité en paroles, ils ne la croient pas en effet lorsqu’ils tiennent que Jésus Christ a tout satisfait pour eux. Si cela était, il n’y aurait pas de Justice ni de Bonté dans l’œuvre de notre salut : car il ne pourrait être juste que les hommes, qui volontairement ont péché contre Dieu [337], reçussent le pardon d’iceux péchés et le salut avec la joie éternelle sans faire aucunes pénitences ; et Dieu ferait aussi contre sa Bonté de charger les péchés de tous les hommes sur le corps saint et innocent de Jésus Christ, lequel n’a jamais été souillé d’aucuns crimes ou péchés. Ce serait user en son endroit de grande cruauté : laquelle ne se peut jamais retrouver en Dieu, lequel est Tout-bon, aussi bien que Tout-juste et Tout-véritable, et ne fera jamais rien où ces trois Qualités siennes ne s’y retrouvent tout-ensemble sans que l’une puisse être séparée de l’autre [338].

64. Si Dieu voulait user de sa seule Bonté au regard du salut des hommes, sans doute qu’il eût fait cela au pardon qu’il donna à Adam, et ne l’eût pas obligé à une si rude pénitence et de si longue durée. Il était aussi puissant de le remettre aussitôt en grâce, et dans le même état bienheureux auquel il l’avait premièrement créé : car il est toujours plus facile de réparer une chose que de la créer toute nouvelle : à cause que la matière du corps d’Adam était encore en être après son péché. Ce qui n’était pas avant sa création ; et il eût été plus aise et plaisant à Dieu de remettre Adam dans son état d’innocence, après qu’il avait regretté son péché, que de l’envoyer après le pardon d’icelui dans l’exil de cette misérable vie, pour souffrir des peines de corps et d’esprit aussi longtemps que cette vie dure. Mais Dieu ne pouvait donner ce pardon par sa seule Bonté. Il fallait l’intervention de ses autres qualités de Justice et Vérité [339] ; parce que l’une de ces personnes ne peut être sans l’autre. Quoi que Dieu soit seul en essence il est pourtant trois en personnes. Ce ne sont pas des personnes de chair et d’os, si que les ignorants s’imaginent ; ou trois personnes Divines, comme les plus Savants le professent : mais trois qualités que Dieu porte toujours en soi-même, et en fait aussi participants ceux qui ont soumis leurs volontés à la sienne : ils seront toujours autant possédés de l’esprit de Bonté, Justice et Vérité ; et à l’avenant qu’ils sont soumis à Dieu ils participent à ses mêmes qualités [340].

65. C’est en quoi plusieurs se trompent, en croyant qu’ils sont enfants de Dieu aussi longtemps qu’ils ne se voient pas remplis de ces trois conditions de Justice, Bonté, et Vérité de Dieu : car il ne fait jamais rien d’imparfait [341], ni œuvres quelconques dans lesquelles l’on puisse dire avec vérité que sa Bonté, sa Justice et sa Vérité ne s’y retrouvent toutes trois ensemble dans un même sujet. Il a pardonné à Adam son péché par sa grande Bonté : il (Adam) a été saisi de la mort par la Vérité de Dieu qui lui avait dit qu’aussitôt qu’il mangerait du fruit qu’il lui avait défendu de manger, qu’il mourrait [342]. Et par la Justice de Dieu Adam fut soumis avec toute sa postérité, à suer, peiner, et travailler durant cette mortelle vie, pour satisfaire à la Justice de Dieu. Voilà comment les trois Personnes ou Qualités de Dieu ont entrevenu dans le pardon que Dieu a donné à Adam à cause de son péché. Mais maintenant les hommes sont si aveugles que de croire que Dieu les sauvera par sa seule Bonté encore qu’ils n’accomplissent la pénitence donnée à Adam, non plus que celle due à leurs propres péchés : couvrant cet aveuglement par un pieux prétexte, que Jésus Christ a tout satisfait pour eux. Comme si Dieu était changé d’opinion et qu’il voulût maintenant sauver les hommes par sa seule Bonté sans plus exercer ni Justice ni Vérité. Ce qui ne se peut penser sans blasphème : à cause que Dieu est éternellement immuable en toutes ses œuvres [343] ; et s’il eût pu changer au regard du salut des hommes, il eût plutôt changé pour pardonner le péché d’Adam par sa seule Bonté, sans l’obliger à la pénitence et à la mort (vu qu’Adam n’avait commis qu’un seul péché de désobéissance par fragilité et persuasion du Diable et de sa femme), que non pas de pardonner aux hommes depuis lui, lesquels par leurs propres malices, et de leurs propres volontés délibérées ont tant de fois désobéi à leur Dieu, sans s’en repentir, vu qu’ils continuent encore à le faire journellement.

66. Ne vous semble-t-il pas, Monsieur, que les hommes d’aujourd’hui qui disent que Jésus Christ a tout satisfait pour eux, sans le vouloir imiter ni embrasser de pénitence, sont possédés de l’Esprit de l’ANTÉCHRIST, et qu’ils le doivent adorer et suivre à toute éternité ? Car quel moyen y a-t-il d’espérer leur salut aussi longtemps qu’ils ne veulent pas embrasser la pénitence que la Justice de Dieu a enjointe à tous les hommes, et encore moins celle que Jésus Christ leur est venu enseigner par œuvres et paroles ? Ne faut-il pas plutôt craindre que ces âmes sont du nombre des réprouvés que des élus, si qu’ils s’imaginent par la tromperie de Satan, qui leur fait présumer le salut sans bonnes œuvres, ce qui est un péché contre le S. Esprit, qui ne sera pardonné ni en ce monde ni en l’autre ?

 

 

XIV. L’Antéchrist, sous ombre que J. Christ est Dieu, porte les uns à ne le pas imiter en ses souffrances, comme si c’était la puissance et la Justice de Dieu qui en eussent eu besoin elles-mêmes pour sauver les hommes. Et en même temps cet Antéchrist pousse les autres à une autre extrémité, de nier la Divinité de J. Christ, sa Satisfaction, et son Adoration Souveraine.

 

67. Cependant, l’on ne les sait ramener à la connaissance de la vérité : à cause que cet Esprit d’ANTÉCHRIST les tient si étroitement enchaînés par leurs imaginations erronées, se persuadant qu’ils ne peuvent imiter Jésus Christ, parce qu’il était Dieu, et qu’il a fait des choses surnaturelles. Ces deux raisons néanmoins les obligent et encouragent à l’imiter davantage, à cause que par Jésus Christ l’on voit quelle force et vertu les hommes reçoivent lorsqu’ils sont animés par l’Esprit de Dieu [344] ; et que celui qui veut renoncer à soi-même et s’abandonner à la volonté de Dieu fait des choses qui surpassent la corruption de notre nature. Il faut bien comprendre ceci : car Jésus Christ n’est pas Dieu en tant qu’homme : parce qu’il a été créé en son temps comme fut au commencement Adam : il n’a pas été donc de toute éternité, et n’y peut jamais avoir qu’un seul Dieu éternel. Mais Jésus Christ, étant vraiment homme, a été cependant animé par l’Esprit de Dieu [345], et tellement soumis à sa sainte volonté, qu’il dit lui-même y avoir obéi jusqu’à la mort de la croix [346].

68. Ce n’était pas aussi que Dieu eût besoin de la mort pour sauver tous les hommes [347] : à cause qu’iceux avaient été créés dans leurs libres volontés, et ne pouvaient depuis être sauvés par la mort immédiate de Jésus Christ, qui n’avait de puissance sur leurs volontés [348] : mais c’était que Dieu voulait faire voir aux hommes par le moyen de Jésus Christ comment ils lui devaient être tous assujettis et soumis à sa volonté jusqu’à la même mort [349], et la mort de la croix. L’on dispute pour savoir si Jésus Christ est Dieu et s’il a été de toute éternité ; et l’on ne dispute pas pour soutenir que tous les hommes doivent être soumis à la volonté de Dieu jusqu’à la mort, comme Jésus Christ a été.

69. Le Diable donne ainsi de belles spéculations pour retirer les hommes de leurs devoirs ; et ceux qu’il ne sait pas gagner à lui par les richesses ou plaisirs de ce monde, il les gagne par des amusements de choses mystiques et des subtiles inventions sur les divins mystères : et gagne par là les plus gens de bien. L’un pense être bien dans la vraie foi de soutenir que Jésus Christ est Dieu, et qu’il a tout satisfait pour les hommes ; et les autres pensent d’être bien plus illuminés en croyant que Jésus Christ n’a pas satisfait pour les hommes, voire qu’iceux ne le doivent pas prier. En quoi ils errent tous deux pour leur dommage. Car ceux qui croient que Jésus Christ est Dieu lequel a tout satisfait pour eux, ne pensent pas à faire pénitence, en croyant que Jésus Christ l’a fait assez pour eux : cependant que le S. Esprit dit : Si vous ne faites pénitence, vous périrez tous. Par où se mettent en grand danger de périr ceux qui ne veulent pas faire de pénitence : vu que l’Écriture assure qu’ils périront tous, sans excepter personne.

70. N’est-ce pas une croyance bien préjudiciable de dire que Jésus Christ a tout satisfait et qu’ils seront sauvés par la seule Bonté de Dieu ? Vu que cela ne peut être véritable. Car si Dieu eût voulu sauver les hommes par sa seule Bonté, il n’aurait pas envoyé Jésus Christ pour tant souffrir, vu que sa seule Bonté se devait plus élargir sur la personne de Jésus Christ, laquelle était juste et innocente, toujours unie inséparablement à sa Divinité ; que non pas que sa même Bonté se fût exercée sur des méchants pécheurs persévérants en leurs péchés : comme font la plus part de ceux qui croient que Jésus Christ a tout satisfait pour eux, et qu’ils seront sauvés par les mérites de Jésus Christ. Il faudrait pour être leur dire véritable que Dieu eût exercé toute la Bonté sur des méchants pécheurs, et qu’il eût exercé toute sa Justice sur le corps juste et innocent de Jésus Christ ; et qu’il eût aimé et supporté la malice des pécheurs, et haï et châtié la justice et bonté de Jésus Christ. Ce qui ne peut être véritable : car Dieu aime toujours le bien, et hait toujours le mal, et rend à un chacun selon ses œuvres, comme l’Écriture le déclare [350] : en quoi elle serait en erreur si en cas Jésus Christ eût tout satisfait pour les pécheurs et qu’iceux ne fussent obligés de souffrir les peines dues à leurs péchés : car leurs œuvres sont méchantes : et s’ils recevaient ainsi le salut sans faire pénitence, ils ne recevraient pas selon leurs œuvres, au contraire, ils recevraient du bien pour leurs malfaits, et Jésus Christ recevrait du mal pour ses bienfaits.

71. Par où se voit qu’il ne peut nullement être véritable que Jésus Christ aurait tout satisfait pour eux : non plus qu’il n’est aussi véritable ce que disent les autres, qui croient que Jésus Christ n’est pas Dieu et n’a pas satisfait pour eux, et qu’on ne le doit point prier pour obtenir le salut. Certes, Monsieur, ce sont de grandes injures faites à Dieu et aussi à Jésus Christ par leurs grossières ignorances : car encore bien qu’il soit très véritable qu’il n’y aura jamais qu’un seul vrai Dieu, si ne peut-on pas dire que Jésus Christ n’est pas Dieu ; puisqu’il est tellement uni à la Divinité que le seul vrai Dieu lui a toujours été inséparable [351].

 

 

Jésus Christ vrai Dieu et vrai Homme.

 

XV. Que Jésus Christ vrai Homme est aussi Vrai Dieu, son humanité étant unie très étroitement et inséparablement avec sa Divinité, qui est le vrai Dieu et la Parole éternelle, laquelle a créé toutes choses, et qui sauve en Christ. Mais le Diable fait abuser de cette croyance et aussi de la contraire.

 

72. Personne ne doute que Dieu ne soit partout et qu’il comprend tout en soi [352] : mais l’on voit pourtant qu’il ne fait pas en tout lieu et en toutes occurrences les mêmes opérations : car Dieu ne déclare pas ses secrets et merveilles à une âme méchante, comme il fait souvent à une qui est bonne : à cause que la volonté méchante empêche les opérations de Dieu en elle [353], et la volonté bonne donne entrée, lieu, et audience aux œuvres de Dieu, avec son plein consentement et volonté : et par ce moyen l’âme se divinise par la participation qu’elle contracte de son Dieu. N’entendez-vous pas, Monsieur, que l’Écriture appelle des Dieux les personnes à qui la parole de Dieu s’adresse [354] ? Ce n’est pas qu’elle veuille dire qu’il y ait plusieurs Dieux : car il n’y en aura jamais qu’un seul [355] : mais elle nous fait entendre que ceux qui reçoivent la parole de Dieu sont participants de son Esprit Divin, et là où est l’Esprit et la Parole de Dieu, là est Dieu même : tout de même que là où est notre entendement et notre parole, là est notre personne. Par ainsi, celui qui abandonne sa volonté à celle de Dieu et la laisse régir et gouverner par l’Esprit de Dieu, ce n’est plus la personne qui opère, mais c’est Dieu qui opère en la personne [356], laquelle a en soi autant contracté de Divinité qu’elle a de soumission à Dieu ; et est autant divinisée qu’elle a participé de la Justice, Bonté et Vérité de Dieu. C’est en ce sens que l’Écriture appelle des Dieux ceux à qui la parole de Dieu est adressée. Et cela est très véritable qu’une personne est autant Dieu que la Parole du même Dieu vit et opère en elle. Ce n’est pas pourtant que Dieu soit divisé en autant de personnes qui ont reçu sa Parole : car Dieu est indivisible, immuable, et inséparable, contenant tout en soi : mais il se dilate et étend sur les âmes à mesure qu’elles s’abandonnent à lui.

73. Or s’il fut jamais âme abandonnée à Dieu, ce fut celle de Jésus Christ, qui jamais un seul moment ne fut séparée de l’union étroite d’avec la Divinité. Elle a été le fourreau et la custode où Dieu a enfermé sa Parole. En sorte que Jésus Christ est la Parole de Dieu, qui se communique aux hommes. Lisez, Monsieur, en S. Jean vous trouverez qu’il dit qu’au commencement était la Parole, et que par icelle toutes choses ont été faites ; et que cette Parole était Dieu ; et qu’elle a été faite chair [357] : pour nous exprimer ce qu’est Dieu et ce qu’est Jésus Christ, nous faisant voir, que Dieu est Jésus Christ, et que Jésus Christ est Dieu, par participation et union de son humanité avec la Divinité [358]. Cet Apôtre dit qu’au commencement était la Parole. Et à la fin, qu’elle a été faite chair. Ces deux choses sont très véritables. Ce n’est pas qu’il veuille dire, que Dieu a de commencement ou de fin : car il a toujours été et ne finira jamais : mais il nous veut faire entendre comment Jésus Christ est Dieu aussi bien qu’homme.

74. Ce n’est pas que le corps de Jésus Christ soit éternel ; parce qu’il n’a été créé qu’en certain temps : mais la Parole de Dieu est éternelle, et a été devant que le corps de Jésus Christ fût créé, voire devant le commencement du monde : car le monde a été fait par icelle. Cette parole n’est pas aussi un corps de voix formée en l’air : comme est la nôtre : car Dieu n’a rien en soi de corporel, étant esprit purement invisible et incompréhensible : mais cette parole signifie la communication que Dieu fait de son bien. Or il a communiqué son bien avant que le monde fût fait ; comme aux Anges et autres créatures intelligibles : et lorsqu’il a voulu communiquer son bien aux hommes, il a créé le monde ; afin que par le moyen d’icelui les hommes pussent avoir communication de son bien par tant de belles créatures qu’il forma pour l’entretien et les délices des hommes, lesquels pouvaient par icelles connaître combien Dieu les aimait et leur faisait de bénéfices. Ç’a été donc par cette Parole ou la communication de son bien que Dieu a fait toute chose. Cette Parole a toujours été en Dieu et avec Dieu, et s’est seulement communiquée aux hommes depuis qu’elle a eu créé le monde et les hommes.

75. Elle s’est communiquée à Adam plus particulièrement qu’à ses successeurs par le moyen de tant de créatures qui lui étaient assujetties, toutes belles et toutes bonnes, témoignant le bien qui devait être en Dieu lorsqu’on en voyait de si grands dans toutes ses créatures. Et quoique les hommes depuis Adam voient les mêmes choses créées de Dieu, ils ne voient pourtant en elles les mêmes biens ni les mêmes perfections : parce que le péché a apporté en elles de la malignité, qui empêche de voir que Dieu a fait toutes choses bonnes : à cause qu’on voit maintenant qu’il y a aussi quelque chose de mauvais mélangé avec son bien. Dieu se communiquait aussi à Adam par le moyen de quelque corps ou voix formée de l’air pour rendre la communication plus intelligible [359] : car Adam dit qu’il avait entendu le Seigneur se promener dans le Paradis après son péché. L’on pourrait dire (comme disent ceux qui croient que Jésus Christ n’est pas Dieu) que cette voix et ce marcher qu’Adam entendit dans le Paradis n’était pas aussi Dieu, puisque Dieu n’a pas de corps : mais toutes ces opinions choquent la vérité : parce que la voix qui parlait à Adam et le marcher qu’il entendait était vraiment Dieu, lequel pour se communiquer à l’homme se servait de l’organe d’un corps et d’une voix, afin qu’Adam eût été susceptible d’entendre la communication de Dieu par quelque moyen conforme à sa nature : à cause qu’il est autrement impossible à l’homme de pouvoir entendre et encore moins comprendre ce que Dieu lui veut enseigner ; vu que la Divinité est au-dessus de toutes les forces et capacités humaines : et lorsque Dieu a la bonté de le vouloir communiquer à l’homme, il se sert toujours de quelques instruments corporels pour s’accommoder à la faiblesse et incapacité de l’homme. Pour cela, ne leur est-il pas permis de nier que ce soit Dieu même qui leur communique son bien lorsqu’il parle par quelque organe naturel, visible, ou intelligible.

76. Car si l’on veut dire que Jésus Christ n’est pas Dieu à cause qu’il est un corps humain, il faudrait par même conséquence dire que ce n’était pas Dieu qui parlait à Adam au Paradis terrestre, non plus que dans le buisson ardent que voyait Moïse, ni dans les nues ou les voix qui parlaient aux Prophètes. Il faut nier toutes les Écritures et toutes les merveilles que Dieu a faites au regard des hommes depuis le commencement du monde pour nier que Jésus Christ soit Dieu : parce que rien de tous ces signes et figures du Vieux Testament n’a jamais approché en perfection l’union étroite qu’il y a eu de la Divinité avec l’humanité de Jésus Christ : à cause que l’âme de Jésus Christ avait une qualité divine en soi, capable de cette union Divine : où les nues, les voix et le buisson ardent n’étaient que des simples créatures terrestres et matérielles. À quel point de malice sont maintenant arrivés les hommes, qu’ils disent que Jésus Christ n’est pas Dieu ! Vu qu’on a vu par expérience que toutes les œuvres de Jésus Christ ont été saintes et parfaites [360] : pour cela dit-il : Si je n’avais pas fait les œuvres que j’ai faites, vous n’auriez point de coulpe [361]. Et ailleurs : Si vous ne croyez pas en moi, croyez en mes œuvres.

77. Voyez un peu, Monsieur, je vous prie, comment le Diable embrouille les esprits des hommes pour les faire périr misérablement ! Aux uns il persuade que Jésus Christ était Dieu afin de ne se pas sentir obligés à l’imiter, comme ayant fait des choses surpassantes les forces naturelles ; et d’autre côté il persuade aux autres de croire que Jésus Christ n’est pas Dieu afin de ne le pas honorer et prier. Ne voyez-vous pas bien que ces fines et subtiles ruses de Satan ne tendent à autre chose qu’à faire périr les âmes de l’un et de l’autre par des mouvements pieux ? Car ceux qui disent de ne savoir imiter Jésus Christ parce qu’ils sont faibles et infirmes, demeurent en paresse et n’accomplissent pas seulement la pénitence ordonnée à Adam et à sa postérité : encore beaucoup moins celle que Jésus Christ leur est venu enseigner ; et par ainsi ne satisfont-ils pas à la Justice de Dieu, sans laquelle satisfaction personne ne peut être sauvé, mais doivent tous périr [362], selon que parle l’Écriture. Et ceux qui, croyant que Jésus Christ n’est pas Dieu, blasphèment contre la Bonté de Dieu qui a daigné nous envoyer un organe visible et sensible, tout semblable à notre nature humaine, par lequel il nous pût manifester palpablement ses volontés, et ce que nous devions faire et laisser pour lui être agréables : lequel organe nous devons estimer comme la cause de notre salut [363], vu que sans la venue de Jésus Christ au monde tous les hommes étaient plus misérablement péris qu’ils ne furent au commencement par la chute d’Adam : vu qu’un chacun des hommes en particulier avaient corrompu leurs voies et étaient tous sortis de la dépendance de Dieu de leur propre volonté délibérée, et vivaient en ce misérable état sans presque le connaître, parce que le Diable leur avait aveuglé l’entendement pour n’apercevoir leurs malheurs. En sorte que si Jésus Christ ne fût pas venu les enseigner pour leur faire connaître leurs péchés par la Loi Évangélique, et leur montrer les moyens d’en pouvoir sortir, sans doute que tous les hommes fussent péris éternellement. En sorte qu’on peut appeler véritablement Jésus Christ Notre Sauveur ; parce qu’il a sauvé le monde qui allait périr.

78. Ce n’est pas qu’il faille croire que directement le corps de Jésus Christ ait sauvé les hommes ; parce qu’il n’y a que Dieu qui puisse sauver et donner la vie éternelle bienheureuse. Mais ce même Dieu, par la Parole qu’il a produite au corps de Jésus Christ, nous a rappelé après nos péchés, comme il rappela Adam au commencement du monde, et d’une façon plus parfaite et efficace, parlant et conversant avec les hommes trente ans ou davantage, et confirmait sa parole par les œuvres et la pratique de Jésus Christ, lequel ils voyaient et touchaient. Ils ne voyaient pas Dieu, parce qu’il est invisible, et personne ne vit jamais Dieu : mais ils entendaient vraiment sa parole par la bouche de Jésus Christ. C’est ce que S. Jean nous assure lorsqu’il dit que la Parole de Dieu, qui a été de toute éternité, a été faite chair [364] en son temps. Ce que devons adorer en Jésus Christ : à cause que c’est la même Parole qui est en lui que celle qui a créé toute chose, et qui sera éternelle avec Dieu. L’on peut bien prier Jésus Christ comme Dieu : parce que Dieu est en lui [365], et opère et sauve en lui : car la Parole est Dieu. C’est pour cela que S. Jean dit que la Parole est faite chair et a conversé avec les hommes. Il ne parle pas que la parole de Jésus Christ soit faite chair : car sa chair a été faite avant sa parole, comme il arrive au regard de tous les hommes, qui n’apprennent à parler sinon après qu’ils sont nés de quelque temps : mais il parle de la Parole de Dieu, qu’icelle a été faite chair. Si la Parole de Dieu est devenue la chair de Jésus Christ, quelle différence peut-on trouver entre Dieu et Jésus Christ, puisque sa Parole est lui et qu’icelle a été faite chair ? Si Dieu et sa Parole, qui est la même chose, sont faits chair, la chair est donc devenue Parole : et la Parole étant Dieu de toute éternité, il faut conclure que la chair de Jésus Christ est Dieu de toute éternité, par la participation et union qu’elle a avec Dieu, qui est éternel. Voilà tout le mystère qu’il y a en Jésus Christ. Il est vrai Dieu, parce qu’il contient la Parole de Dieu. Il est aussi vrai homme, parce qu’il a été créé avec corps et âme comme nous.

 

 

Satisfaction de Jésus-Christ.

 

XVI. En quel sens, à quelles conditions, et pour qui J. Christ a mérité, satisfait, souffert, sauvé. Et qu’u e satisfaction absolue et de décharge pour les hommes répugne à la Bonté, Justice et Vérité de Dieu.

 

79. Mais qu’est-il de besoin pour notre salut de pénétrer tous ces hauts mystères ? Il nous doit suffire de savoir que Jésus Christ est envoyé de Dieu pour nous faire voir en combien de manières nous avons quitté la Dépendance de Dieu et combien de fois nous lui avons désobéi [366] ; afin de pouvoir chercher et trouver les moyens de retourner en sa grâce, et rentrer dans la dépendance de sa volonté. Ce que Jésus Christ nous est venu enseigner de parole et d’effet ne s’étant pas comporté comme un Dieu ou un homme saint et innocent, mais s’est volontairement revêtu de nos misères et a porté nos langueurs comme s’il eût été coupable [367], et sujet à faire pénitence : quoique jamais n’a eu de participation au péché [368], pour avoir été créé exempt de coulpe et formé du sang d’une Vierge : néanmoins il prend la figure d’un pécheur et porte les peines dues à nos péchés en sa chair innocente [369] : point pourtant qu’il faille croire (comme plusieurs malavisés) que Jésus Christ par ses souffrances a tout satisfait pour les péchés des hommes en telle sorte qu’ils n’aient pas de nécessité de satisfaire davantage pour leurs propres maux. Ce qui est une tromperie de Satan : car la Justice de Dieu ne serait pas accomplie lorsque l’innocent souffrirait pour le coupable pendant que le coupable vivrait sans souci, même dans la persévérance de ses péchés, si que sont la plupart de ceux qui disent que Jésus Christ a tout satisfait pour eux.

80. L’Esprit malin ne pouvait jamais couvrir sa tromperie d’un manteau plus pieux qu’avec les mérites de Jésus Christ : car avec l’espoir des mérites de Jésus Christ il entretient les mieux intentionnés en des damnables paresses, et ne se voulant efforcer à satisfaire à la Justice que Dieu leur a enjointe : et ainsi vivent et meurent dans un faux repos de salut, et périssent éternellement. Car Jésus Christ n’a pas mérité par ses souffrances le pardon pour ceux qui ne veulent pas faire de pénitence : à cause qu’il est uni à la volonté du même Dieu qui a ordonné à tous les hommes en Adam de gagner la vie à la sueur de leur visage. Et parce que Dieu est immuable, cette ordonnance ne sera jamais révoquée, encore bien que les hommes n’auraient pas contracté autre péché que celui d’Adam. Combien cette pénitence doit-elle être augmentée en eux après avoir commis tant de péchés actuels de leurs volontés délibérées ? Il ne se faut pas flatter pour se perdre : car Jésus Christ n’a nullement satisfait pour ceux qui ne suivront pas sa Doctrine et ses œuvres [370] : car s’il avait satisfait pour ceux qui ne le veulent pas imiter, ni quitter leurs péchés et embrasser la Vie Évangélique, Jésus Christ serait, assurément venu pour autoriser les hommes à continuer dans leurs péchés : car celui qui pense que Jésus Christ a tout satisfait pour les hommes, il croirait facilement qu’il a aussi bien satisfait pour beaucoup de péchés que pour peu ; et par ainsi ne prendront jamais soin de s’amender.

81. Ce sont des si grossières ignorances qu’on serait honteux de les réfuter ne soit qu’on voit les plus sages de notre temps se prévaloir de la Satisfaction de Jésus Christ pour persévérer dans une vie licencieuse, et jamais entrer dans la pratique d’une vie vraiment Chrétienne. L’on m’a quelques fois voulu arguer que je rejette la Satisfaction de Jésus Christ. Mais je crois que c’est parce que je ne tiens pas que Jésus Christ ait satisfait pour les hommes de la façon qu’iceux la prennent, à savoir que Jésus Christ ait satisfait pour tous les hommes et qu’ils seront sauvés par ses souffrances seulement, sans qu’ils soient obligés de souffrir eux-mêmes. Ce qui est une grande erreur. À cause que les souffrances de Jésus Christ ne seront jamais appliquées à d’autres sinon à ceux qui imiteront ses œuvres et sa doctrine [371].

82. Et ceux qui ne veulent point suivre ses pas espèrent en vain d’avoir les mérites de Jésus Christ et d’être participants de ses souffrances, parce que les souffrances d’un seul homme ne peuvent satisfaire pour tous les hommes depuis qu’ils ont usé de leurs raisons et de leurs libres volontés [372]. Si tous les hommes eussent été dans Jésus Christ comme ils étaient dans Adam, il y aurait eu quelque chose à espérer pour tous ceux qui n’avaient pas encore reçu l’usage de raison : néanmoins, les mérites de Jésus Christ ne les pouvaient jamais sauver, non pas une seule personne, après avoir atteint l’usage de raison, sans la coopération de leurs libres volontés [373], encore que mille fois Jésus Christ fût mort pour eux : parce que Dieu même ne sauvera jamais personne que ceux qui désirent et cherchent de tout leur pouvoir le salut de leurs âmes [374] : parce qu’elles ont été créées dans leur pleine liberté [375], et Dieu ne peut rétracter ce qu’il leur a une fois donné [376]. En sorte que si Jésus Christ a souffert et été mis à mort pour l’amour qu’il portait aux hommes, cela ne fera rien à tous ceux qui par Amour ne le veulent pas imiter.

83. Il a bien souffert pour tous de sa part [377] : car il n’est point partial pour aimer plus une personne que l’autre : son Amour et sa charité, étant unie à son Père, est toujours universelle, et s’étend sur tous les hommes eu général [378]. Pour cela a-t-il dit à ses Apôtres : Allez par tout ce monde universel, enseignez les hommes [379], et les baptisez au Nom du Père, du Fils, et du S. Esprit : comme s’il voulait dire : N’exceptez personne : mais apprenez à tous à croire qu’il y a en Dieu trois choses sans lesquelles Dieu ne fera jamais rien, et que tout ce qui arrivera aux hommes de la part de Dieu sera tous jours accompagné de Justice, Bonté, et Vérité : comme s’il voulait ordonner à ses Apôtres qu’ils enseignassent cela à tous ceux qui veulent être sauvés. Cependant ceux qui se disent Chrétiens aujourd’hui prétendent d’être sauvés sans Justice, ne voulant pas porter la peine de leurs péchés, mais croire qu’un autre juste et sans péché satisfera pour eux pendant même qu’ils ne font autre devoir que d’avoir une foi spéculative que Jésus Christ a tout satisfait pour eux.

84. Ne voilà pas, Monsieur, une opinion qui ne peut venir de Dieu ? Parce qu’elle n’a pas une seule qualité des œuvres de Dieu. Car il n’y peut avoir de Bonté au regard de Jésus Christ si Dieu voulait qu’il souffrît tant de peines innocemment. Il n’y peut aussi avoir de Vérité en ce que les hommes seraient sauvés sans souffrir et par les mérites d’un autre, puisque le S. Esprit dit que si l’on ne fait pénitence, qu’on périra tous [380]. Et n’y peut avoir de Justice de mettre à mort l’innocent pour le coupable. Par ainsi les hommes ne croient pas en la Trinité des qualités de Dieu sinon par paroles et par spéculations imaginaires, niant la Trinité en effet lorsqu’ils la confessent de bouche, ou, qui pis est, niant de bouche et d’effet la S. Trinité, et ne croyant que Jésus Christ est Dieu : vu qu’il dit lui-même qu’il et la Vérité [381], comme le Père est la Justice [382], et le S. Esprit la Bonté [383] : lesquelles choses se retrouvent toujours dans un seul vrai Dieu.

85. Et pour savoir véritablement comment Jésus Christ a satisfait pour les hommes, il faut qu’en cette satisfaction se retrouvent la Bonté, la Justice, et la Vérité de Dieu : parce qu’il ne peut être véritable qu’il ait satisfait autrement. Car Dieu ne changera jamais ses trois Qualités. La Vérité se retrouve assurément en ce que Jésus Christ a sauvé et racheté les hommes : point de la façon qu’on pense, qu’il ait voulu mourir pour faire entrer en Paradis les hommes chargés de péchés, ou ceux qui ne veulent pas travailler en ce monde pour satisfaire à la Justice de Dieu ; mais il les a sauvés et rachetés par le moyen de leur faire connaître leurs chutes et péchés [384] : car S. Paul dit que par la Loi il a connu ses péchés ; et pas seulement la Loi Évangélique, que Jésus Christ a apportée aux hommes, leur fait connaître leurs péchés, mais leur enseigne aussi les remèdes à iceux. En sorte que Jésus Christ peut justement être appelé notre Médecin : point que ses souffrances seules puissent guérir les plaies de nos péchés ; mais nous peuvent mériter la force et la grâce de les purger par pénitence salutaire à son imitation [385], en souffrant avec patience les travaux et persécutions qui nous arrivent en cette misérable vie.

 

 

Satisfaction de Christ et son application.

 

XVII. J. Christ a sauvé et guéri tout par sa doctrine et sa pratique moyennant que tous croient. Mais ceux trompés par l’Antéchrist et par une fausse Justice de Pharisien, n’ont qu’une Foi illusoire : comme les moqueurs des derniers temps.

 

86. En cette façon est-il véritable que Jésus Christ nous a sauvés et doit être appelé Notre Sauveur. Car avant que Jésus Christ vînt au monde, tout était déchu de la grâce de Dieu, et les hommes vivaient en toutes sortes de péchés, sans presque les apercevoir. C’est ainsi que Jésus Christ nous a sauvés lorsqu’il nous est venu enseigner. Ce n’est pourtant qu’il ait sauvé tous les hommes : à cause que tous n’ont pas voulu croire à lui : mais ceux qui l’ont cru ont été sauvés. Ce qui se fait encore à présent. Car tous ceux qui croiront en Jésus Christ seront sauvés assurément [386], parce qu’il a apporté les remèdes et les médecines salutaires et propres à guérir toutes nos plaies. L’avarice nous avait ôté l’Amour de Dieu pour le mettre dans les métaux et autres choses terrestres, où nos affections étaient attachées : pour cela Jésus Christ nous enseigne à quitter tout ce que nous possédons [387] : afin de retirer nos affections de toutes ces choses pour les remettre toutes en Dieu. L’orgueil et la gloire du monde avait fait dérober l’honneur qui est dû à Dieu seul, pour les attribuer à nous-mêmes. C’est pourquoi Jésus Christ dit : Apprenez de moi que je suis humble de cœur [388] : nous enseignant de prendre la dernière place [389], et dit qu’il n’est pas venu pour être servi, mais pour servir [390] ; afin que par les moyens de ces enseignements, les hommes puissent rendre l’honneur à Dieu sans plus l’attribuer à eux-mêmes, ni les uns aux autres. En troisième lieu, les hommes avaient oublié qu’ils étaient dans un lieu de pénitence et qu’ils devaient continuellement aspirer à une vie éternelle bienheureuse, s’aimaient eux-mêmes et cherchaient leurs contentements et plaisirs en cette vallée de larmes. Pour cela Jésus Christ leur dit qu’il faut renoncer à soi-même [391] et chercher les choses d’en haut, et pas celles qui sont sur la terre [392] ; voire, faire pénitence [393]. Et pour encourager les hommes à ce faire, il marche tout le premier par le chemin étroit et dit que le chemin large mène à perdition [394].

87. Voilà ainsi que ce Divin Médecin a médicamenté toutes les plaies de nos âmes, par des remèdes qu’il nous a donné contraires à leur malignité ; et a guéri et sauvé tous ceux qui se sont voulu appliquer ces remèdes et prendre plaisir à le suivre ; mais n’a pas mérité, comme on se veut persuader, pour ceux qui méprisent ses souffrances en voulant qu’icelles les sauvent sans les vouloir appliquer sur eux-mêmes : comme s’ils disaient : Médecin, guéri-toi toi-même : pendant qu’il n’a nulles infirmités, il n’aurait pas été juste qu’il souffrît des remèdes si pénibles : mais le grand amour qu’il porte aux hommes lui fait souffrir tous ces maux [395], afin de leur montrer par son exemple par quels moyens ils peuvent retourner à Dieu [396], et recouvrer sa grâce qu’ils avaient perdue ; et comme un fidèle Médecin, il goûte le premier la médecine afin d’encourager son malade à l’avaler plus aisément. Ce n’est pas pourtant que nos plaies seront guéries et nos langueurs ôtées parce qu’il a avalé de la médecine : car si à son imitation  nous ne prenons le breuvage des souffrances, jamais nous ne pouvons être sauvés [397], quoique nous disions de croire en Jésus Christ : parce que ce dire n’est pas véritable aussi longtemps que ne voulons pas embrasser la croix et le suivre.

88. Il ne peut être véritable que nous croyions en lui puisque ne faisons ce qu’il nous commande [398]. Sa Bonté paraît assez en la façon qu’il a satisfait pour nous : à cause que sans un excès de bonté et de charité vers les hommes, jamais Jésus Christ n’eût voulu endurer pour leur montrer un exemple si rude et pénible [399], lui qui n’était en rien coupable, mais méritait tout honneur et plaisir, pour être toujours demeuré dans l’état d’innocence ; mais avait tant de bonté et de charité pour les hommes, qu’il se soumit volontairement à porter les mêmes peines que leurs péchés avaient méritées. Mais cette Bonté ne pouvait être sans Justice : c’est pourquoi il souffre lui-même par Bonté afin que les hommes souffrent par Justice [400] : car encore bien qu’il eût pu racheter tous les hommes avec une seule goutte de son sang, il ne le devait faire sans l’intervention de la Justice de Dieu, qui requerrait qu’un chacun eût satisfait pour ses propres péchés [401] autant qu’il était juste pour la grièveté de leurs fautes : parce qu’autrement les trois qualités de Dieu n’eussent pas concouru dans la satisfaction des hommes.

89. Nuls ne peuvent véritablement croire en Jésus Christ sinon ceux qui croient en ses paroles comme étant la vérité sortie du Père. Et si on l’entend dire que celui qui ne renonce à tout ce qu’il possède ne peut être son Disciple [402] ; et que cependant l’on veuille demeurer dans la possession de tous les biens, honneurs et plaisirs de ce monde, c’est contre la vérité qu’on dit de croire en Jésus Christ : et encore est-il beaucoup moins véritable lorsqu’on ne croit pas à ses œuvres qu’il a faites pour nous donner exemple en disant : Soyez mes Imitateurs [403] ; et Ce que je vous ai fait, faites-le aussi les uns aux autres [404], lorsqu’il avait lavé les pieds à ses Disciples. C’est notre vrai Maître qui nous enseigne de servir notre prochain dans les choses même les plus viles. Et pendant que nous disons de bouche de croire en Jésus Christ, on ne croit par effet ni en ses paroles ni en ses œuvres : car personne ne veut renoncer à tout ce qu’il possède ; au contraire, on travaille et étudie tout le temps de sa vie à amasser davantage, comme si l’on se moquait de cet enseignement et aussi de son exemple, qui est de servir au prochain par charité en des services les plus vils. L’on dit bien par moquerie ce que les Juifs disaient à Jésus Christ en s’agenouillant devant lui : Dieu te garde, Roy [405] : car l’on entend les hommes assez se dire les uns aux autres : Votre Serviteur : mais si par effet l’on avait besoin de leurs services, ils laisseraient bientôt le prochain en peine et nécessité lorsqu’ils ne verraient pas d’apparence de salaire ou rétribution de services.

90. Voilà ainsi que le monde s’aveugle par des fausses persuasions que le Diable leur met en avant sous de belles apparences, sans apercevoir les tromperies avec lesquelles il en séduit plusieurs. Remarquez un peu, Monsieur, combien de personnes disent à présent de bouche de croire en Jésus Christ, et combien peu de celles qui croient véritablement ! On les entend assez dire : Je crois en Jésus Christ, et : Je ne veux faire tort à personne : Je traite fidèlement avec le prochain : Je donne à un chacun salaire et ce qui leur appartient : Je ne suis ivrogne ni paillard ; et je vis en tout en homme de bien et sans reproche. Ne voilà pas le vrai portrait du Pharisien qui priait au Temple et cependant ne fut pas justifié de Dieu [406] ? Il est à croire qu’il disait la vérité de tout ce qu’il faisait, et ne mentait en rien : cependant, il fut condamné, et le Publicain justifié. Ne semble-t-il pas à notre courte vue que Dieu n’a pas use de sa droite Justice à l’endroit de ces deux personnes qui priaient au Temple : à cause que le juste est condamné, et le pécheur justifié ? Mais les sens nous trompent souvent : parce qu’ils ne voient que l’apparence et le dehors : mais Dieu sonde les reins [407], et examine les consciences, et voyait que ce juste Pharisien faisait les bonnes œuvres pour plaire aux hommes et demeurer parmi eux en réputation [408] : comme font la plupart de ceux qui disent de croire en Jésus Christ, et ne vouloir faire tort à personne, pendant qu’ils ne le veulent pas imiter, ni payer la Justice que Dieu leur a ordonné de travailler en ce monde [409] : car ils cherchent le plus d’aises et de plaisirs en ce monde qu’il leur est possible, et ne voudraient ni souffrir ni travailler, n’était que le gain ou la réputation les obligeât. En sorte que si l’on ôtait de tout leur procédé l’intérêt, le plaisir, et l’honneur ou égard humain, l’on n’y trouverait nulle justice devant Dieu, ou beaucoup moins que dans le pauvre Publicain, qui se reconnaît véritablement pécheur et coupable, se retirant de Dieu pour son indignité et sa désobéissance.

91. D’où peut venir, Monsieur, un semblable aveuglement aux hommes de maintenant, qu’ils ne connaissent plus la vérité de Dieu, et prennent le bien pour le mal, en s’arrêtant au jugement de leurs semblables ? Ne faut-il pas confesser que le Diable a épars par tout le monde des horribles ténèbres : puisque personne ne voit plus où il marche, et qu’un chacun pense être dans la vérité lorsqu’il croit au mensonge ? Qui peut douter que l’abomination de la désolation ne soit maintenant dans le sanctuaire [410], et que l’Esprit de l’ANTÉCHRIST ne soit assis au trône de Dieu et se fasse adorer comme Dieu [411] ? Car il ne règne pas seulement parmi les âmes méchantes, où il a toujours eu son domaine : mais il règne aussi parmi les bons, et a son siège ès choses les plus saintes, où il se repose comme en son lieu d’honneur, à cause qu’il y est adoré comme s’il était Dieu : car la personne qui vit moralement bien devant les hommes, croit assurément d’être régie par le S. Esprit, pendant qu’il n’y a rien de semblable : car le Diable induit bien souvent les hommes à faire de bonnes œuvres extérieures afin de faire présumer le salut par icelles, et les tenir au surplus en repos, sans jamais atteindre à la charité nécessaire à icelui. Il nous forge des Fois et des croyances en Jésus Christ seulement imaginaires, et non véritables ni réelles : car celui qui a la Foi et croit véritablement en Jésus Christ, il devient un même esprit avec lui [412], et n’a garde de se contenter de ce qu’il ne fait tort à personne, qu’il n’est pas ivrogne et paillard ; qu’il traite fidèlement, sans tromperies ; ou bien qu’il est en réputation d’homme de bien : à cause que l’abstinence de toutes ces choses est seulement omettre de mal faire : ce qui n’est pas suffisant pour avoir le salut : car après s’être détourné du mal, il faut encore faire le bien [413], à moins de quoi personne ne peut dire avec vérité qu’il a la Foi et qu’il croit en Jésus Christ.

92. Car la Foi est toujours vivante et opérante [414], et la croyance en Jésus Christ est toujours accompagnée de l’amour des choses qu’il a faites et enseignées. L’on tiendrait pour raillerie si une personne disait qu’il croit en un autre lorsque par effet il mépriserait ses paroles et ses œuvres. À combien plus forte raison doit-on tenir pour railleurs ceux qui disent de croire en Jésus Christ pendant qu’en effet ils méprisent tout ce qu’il a dit et fait : haïssant la pauvreté et l’abnégation d’eux-mêmes, comme aussi les peines, les travaux, les persécutions et mépris, avec tout ce qui est aimable en Jésus Christ ?

93. C’est en ce temps dernier que sont élevés les moqueurs cheminants selon leurs concupiscences [415] : car les hommes n’ont rien plus commun en la bouche que de dire qu’ils croient en Jésus Christ, pendant qu’ils s’estimeraient misérables d’avoir une qualité seule de toutes celles qu’il avait étant au monde. Si un enfant était poursuivi à mort peu après sa naissance, combien le dirait-on misérable ? Et s’il fallait le sauver en pays étrangers parmi des peuples barbares et inconnus, et qu’il serait pauvre, méprisé, persécuté, emprisonné, et à la fin mis à mort, sans aucune cause, combien estimerait-on cette personne misérable ? Pendant qu’on se dit Chrétien et croyant en Jésus Christ, et qu’on se doit estimer heureux de le suivre, si on avait la Foi. Mais ces moqueurs ne cheminent pas selon la Foi, mais seulement selon leurs propres concupiscences, s’attachant à la terre et à la chair ; et non pas à la lumière de la Foi ni à la vie de l’Esprit, où chacun Chrétien doit tendre et buter, et travailler tout le temps de sa vie pour mourir à soi-même afin de vivre à Dieu [416].

 

 

Faux titres des Antichrétiens.

 

XVIII. Suivant l’Esprit de l’Antéchrist, on se dit rené, en cherchant les choses de la terre ; Enfant de Dieu, sans dépendre de sa volonté ; Spirituel, menant une vie naturelle et sensuelle ; et Chrétiens, sans l’Esprit de Christ.

 

94. Mais on ne voit maintenant rien de semblable entre les Chrétiens ; voire entre ceux qu’on estime les plus parfaits. Ce ne sont que des Chrétiens en peinture, embellis de divers beaux discours : les uns disant qu’ils sont renés ; les autres, qu’ils sont Enfants de Dieu ou personnes spirituelles : quoique par effet l’on les voie vivre encore dans l’esprit de la chair et des sens, convoitants les choses périssables, et adhérants à leur propre volonté, de laquelle ils veulent absolument dépendre. Ne voilà pas, Monsieur, des grandes erreurs et des profonds aveuglements ? Car pour être rené, il faut être mort à la corruption qui est entrée en notre chair par le péché d’Adam [417], et ne plus vouloir voir ni entendre ni désirer rien de ce qui regarde cette misérable vie, pour reprendre la vie et l’esprit du second Adam, qui est Jésus Christ, lequel n’incite pas aux choses qui regardent la chair et les sens, mais seulement à ce qui est éternel, divin, et surnaturel. En sorte que relui qui est rené en l’Esprit de Jésus Christ ne cherche plus rien sur la terre [418], mais les choses qui sont permanentes et éternelles : pendant qu’on voit ceux qui se disent renés encore travailler pour acquérir ou amasser des biens que la rouillure gâte et les vers mangent, et où les larrons dérobent [419] ; encore bien que Jésus Christ le défende si précisément et conseille d’amasser les biens qui sont permanents et des trésors pour le Ciel. L’on est encore curieux de voir, de savoir, de goûter, de toucher, de convoiter, de posséder les biens, honneurs et plaisirs de cette vie, autant qu’un chacun a en son pouvoir, et avec cela l’on croit d’être rené encore qu’on soit aussi vivant à sa propre volonté comme le reste des hommes.

95. Ce qui nous doit assez faire voir qu’on se trompe soi-même, et qu’on vit encore en la première corruption d’Adam, et non pas en véritables Enfants de Dieu ; vu que ses enfants sont toujours de volonté unis à la sienne inséparablement [420]. Pour cela dit Dieu de Jésus Christ qu’il est son Fils bien-aimé dans lequel il s’est délecté [421] ; à cause que Jésus Christ n’a jamais été un seul moment désuni de la volonté de Dieu son Père. Il dit lui-même qu’il n’est pas venu en ce monde pour faire sa volonté, mais celle de celui qui l’a envoyé [422] ; et dans ses plus grandes angoisses, approchant de la mort, il dit : Père, votre volonté soit faite ; et pas la mienne [423].

96. C’est ainsi que les hommes sont ENFANTS DE DIEU lorsqu’ils ont renoncé leur propre volonté pour être totalement soumis et dépendants de la volonté de Dieu. Et on voit qu’en effet ceux qui se disent être ses Enfants sont encore engourdis dans leurs propres volontés, presque en toutes choses, tant spirituelles que corporelles : les lieux, pays, ou maisons de leurs demeures doivent être selon leurs propres volontés, les compagnies, les passe-temps, leurs habits, leurs viandes, et tout le reste, doit être au goût et gré de leurs propres volontés ; ou autrement, ils ne seront pas bien contents : voire dans les choses spirituelles, il faut qu’un chacun s’accommode à leurs volontés, et que tous leurs pieux exercices se fassent au gré d’icelle ; ou autrement, ce ne sont que murmures et chagrins, voire détractions et mépris des autres qui ne suivent pas les mêmes voies. L’un veut aller souvent aux Églises, l’autre se plaît à beaucoup lire : ceux-ci veulent beaucoup de temps pour prier ; ceux-là beaucoup d’argent pour donner : ainsi de tout le reste : un chacun veut avoir sa volonté accomplie en ce à quoi il se porte, sans vouloir abandonner leurs volontés à celle de Dieu, pas même dans sa conduite intérieure : car sitôt qu’on n’a pas des goûts intérieurs, des lumières et consolations divines, on se plaint et lamente, et semble que Dieu nous fait tort de ne pas accomplir en toute chose notre propre volonté. Et avec tout cela, l’on ose bien dire d’être Enfants de Dieu, quoiqu’en effet l’on ne veuille autre Père ou Conducteur que notre propre volonté.

97. En quoi nous errons grandement : car Jésus Christ dit que ceux qui disent Seigneur, Seigneur, n’entreront pas au Royaume des Cieux, mais ceux qui font la volonté de Dieu son Père [424]. Et comment pourrait-on être Enfant de Dieu sans être abandonné à sa volonté, puisque si assurément est dit qu’on n’entrera pas autrement au Royaume des Cieux ? Par où se voit qu’abusivement l’on croit d’être Enfants de Dieu lorsqu’on aime encore sa propre volonté en quelque chose. Car en justice et en raison nous sommes obligés de remettre notre volonté à celle de Dieu, puisque nous avons reçu icelle de lui seul avec le corps et l’âme et toute chose. N’est-ce pas une grande ingratitude à une créature de dénier la Dépendance de sa volonté à son Créateur, qui ne demande rien autre chose d’elle en reconnaissance de tous ses bienfaits que cette dépendance de notre volonté à la sienne ? Et quoiqu’il n’y eût rien de plus raisonnable, rien de plus utile et profitable pour le corps et l’âme de la créature, si ne se veut-elle pas ranger sous cette ordonnance, aimant mieux de gémir sous l’esclavage de sa propre volonté que de régner sous la dépendance de celle de Dieu. Et avec ce avoir encore l’assurance de se dire ou croire d’être son Enfant par la fausse persuasion de Satan, qui ensorcelle les esprits des hommes pour les faire croire au mensonge en rejetant la vérité ! Car si l’on dit à ces personnes qu’elles ne sont pas Enfants de Dieu aussi longtemps que leurs volontés ne sont pas entièrement abandonnées à la sienne, elles s’alarmeront contre cette vérité, et soutiendront à force d’arguments qu’elles sont Enfants de Dieu, pendant qu’elles suivent directement l’esprit de l’ANTÉCHRIST, vu que tout ce qui est contraire à Christ est assurément ANTÉCHRIST.

98. Christ étant venu au monde seulement pour faire la volonté de Dieu, et ces personnes, qu’on appelle spirituelles, ne vivant que pour faire leurs propres volontés, sont par conséquent toutes Anti-Chrétiennes, sans l’apercevoir, pensant même être bien spirituelles ou illuminées de Dieu, quoique la vie spirituelle consiste en la mort des sentiments naturels et sensuels [425] ; à cause que tout ce qui est chair ne peut être esprit [426] ; et l’on ne peut vivre d’esprit auparavant d’être mort à la chair ; et à mesure que l’esprit vit, la chair se mortifie : l’un sort à l’avenant que l’autre entre ; parce que deux choses contraires ne se peuvent trouver dans un même sujet. La vie de l’Esprit est une vie de grâce, libre, dégagée, désintéressée, qui ne cherche et ne désire plus rien sur la terre sinon de plaire à son Dieu ; et la vie naturelle convoite toujours : car jamais l’œil n’est las de voir, ni l’oreille d’entendre [427], et le désir de convoiter. Mais sitôt que l’âme est spiritualisée, toutes ces choses meurent et se retirent comme insensiblement : à cause que celui qui prend ses plaisirs ès entretiens spirituels avec Dieu, ne se peut plus plaire ou délecter dans les choses sensuelles ou naturelles [428], pour trouver en Dieu la satiété de ses désirs, laquelle on ne peut jamais trouver en autre chose. En sorte que celui qui se sent encore dans les désirs du goût, les plaisirs de la chair, les convoitises des biens, des plaisirs, et honneurs, ne se peut véritablement dire spirituel, non plus que rené ou enfant de Dieu, et non pas seulement vrai Chrétien.

99. Car pour être Chrétien, il faut posséder les fondements de l’Esprit de Jésus Christ [429]. Celui qui ne les sent pas en son âme ne peut dire avec vérité qu’il est Chrétien ; et s’il trouve en son âme des sentiments contraires aux fondements de l’Esprit de Christ, il peut véritablement dire et croire qu’il est Anti-Chrétien : car Antéchrist ne signifie autre chose qu’un esprit opposé à l’Esprit de Christ. Il ne faut pas s’amuser à argumenter (si que font maintenant ceux qui se nomment Chrétiens) sur des termes ou passages obscurs des Écritures : mais il faut sonder si véritablement on possède au fond de son âme le véritable Esprit de Christ : car de savoir toutes les Écritures en son entendement et d’en très bien discourir, ou faire extérieurement ce que Jésus Christ a fait, ou bien ce qu’il a dit, tout cela ne nous rend pas Chrétiens : car le Diable même imite les actions et paroles de Jésus Christ autant qu’il peut, et se rend aussi semblable à lui qu’il lui est possible ; mais ne possède pour cela rien du tout des fondements de l’Esprit de Jésus Christ : car il ne saurait être humble, ni charitable, ni patient, ni mépriser les honneurs, vu que son ambition est de régner et dominer sur les hommes.

 

 

Satan possesseur des cœurs.

 

XIX. Que les Chrétiens dans les choses les plus saintes et le culte de Dieu n’ont que des mines extérieures et paroles creuses et fausses, pendant que le Diable possède le fond de leurs âmes par son Esprit de péché.

 

100. En sorte que lorsqu’une personne qui se dit Chrétienne n’a que la connaissance de la vertu et les paroles ou actions extérieures d’icelle, elle n’a encore rien davantage que le Diable, lequel surpasse même tous les hommes en sagesse et subtilités, par ce qu’il est un esprit fort illuminé, et qui sait plus jeûner, veiller, prier, aller aux Églises, donner aux pauvres, et faire toutes autres sortes de biens extérieurs, que nulles créatures humaines : parce qu’il est pur esprit, lequel a eu connaissance des Divins mystères plus que nuls hommes ne peuvent avoir en cette vie. Le Diable n’a pas aussi besoin de manger ni dormir, comme ont les hommes, et partant il fait bien par son malin esprit que les hommes s’abstiennent de toutes ces choses, et qu’ils se transportent souvent à l’Église ; car en ce lieu il y est plus adoré qu’ailleurs [430], et fait là faire aux hommes plus d’injures et de mépris de Dieu qu’en nulles autres places, à cause des hypocrisies et idolâtries et mensonges qui s’y commettent : car plusieurs y vont pour avoir le nom de dévots ou gens de bien, encore qu’ils n’aient dans le cœur ni dévotion, ni justice, et partant ne sont devant Dieu que des purs hypocrites : les autres font plus d’état de quelque Prédicateur qui parle à leur gré que de Dieu même, et lui portent en effet plus d’honneur et d’obéissance : à cause que les doctrines de ces hommes flattent davantage les vices que celle que Dieu leur a donnée par ses Prophètes ou par Jésus Christ [431].

101. En quoi se forme l’idolâtrie, puisqu’on délaisse la parole de Dieu pour suivre celles des hommes vicieux et imparfaits. Combien de mensonges ne se commettent-ils pas aux Églises, de fait et de paroles ? L’on dit d’aller aux Églises pour servir Dieu, pendant que le plus souvent l’on y va seulement pour sa propre satisfaction, ou pour l’égard humain. Et lorsqu’on prie et dit les mêmes choses qu’ont dites les Ss. Prophètes, ou l’oraison que Jésus Christ nous a enseignée, l’on ment le plus souvent devant Dieu ; à cause qu’on ne possède nullement les mêmes sentiments que possédaient les Saints.

102. Un David plein de repentance dit au Seigneur qu’il jeûne, et dessèche de pénitence [432], et lave sa couche de ses larmes [433], etc., mais les hommes qui disent les mêmes choses dans leurs prières sont des véritables menteurs devant Dieu : car ils n’ont pas souvent eu une fois contrition parfaite de leurs péchés, et mangent et boivent à leurs souhaits, et passent les nuits en délices et plaisirs, cependant qu’ils osent bien dire avec David qu’ils lavent leurs couches de leurs larmes.

103. Et lorsqu’ils disent le Pater, que Jésus Christ a enseigné, ils font encore de semblables mensonges devant Dieu : car en appelant Dieu leur Père, ils se rendent en effet Enfants de ce siècle, auquel ils ont beaucoup plus d’appui et d’attache ou affection qu’à Dieu leur véritable Père, sur lequel ils ne se veulent attendre ni confier. Et en disant que leur Patrie est au Ciel, ils se plaisent à demeurer sur la terre. Et en souhaitant que le Nom de Dieu soit sanctifié, ils se sanctifient eux-mêmes, voulant être estimés et honorés des hommes plus qu’ils ne veulent qu’iceux honorent le Nom de Dieu. L’on prie pour avoir le Royaume des Cieux, pendant qu’on veut régner en ce monde. L’on demande à Dieu que sa volonté soit faite ici en terre comme au Ciel, pendant qu’en effet on suit en toute chose sa propre volonté, et ne veut rien recevoir de contraire pour acquiescer à la volonté de Dieu, auquel nous demandons aussi qu’il nous pardonne nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés, et n’avons en effet nulle miséricorde pour le prochain, au contraire, haine et inimitié : car ce sont les plus gens de bien d’aujourd’hui qui ne prennent pas vengeance de ceux qui les ont offensés quoiqu’ils les rejettent et méprisent en leurs cœurs, ne leur voulant aucuns biens faire : en sorte que si Dieu nous délaissait comme nous délaissons ceux qui nous ont offensé, nous serions à toute éternité malheureux. L’on prie aussi Dieu qu’il ne nous laisse pas tomber en tentation, pendant qu’on se plaît souvent dans les occasions du péché. L’on nourrit en soi les pensées du Diable, du monde, et de la chair ; et avec cela l’on dit de bouche qu’il ne nous laisse pas tomber en tentation, en cherchant par effet d’y tomber volontairement par l’affection que portons aux occasions périlleuses. L’on demande encore à Dieu pour conclusion de nos prières qu’il nous délivre de tous maux, pendant que nous ne nous en voulons nullement déporter : car un avaricieux ne veut pas quitter son avarice ; un orgueilleux son orgueil ; un luxurieux sa luxure ; ainsi du reste des péchés, qui sont les choses seules qui doivent être appelées maux, vu que ce qu’on appelle maux, qui ne regardent que le corps, sont souvent des grands biens de l’âme [434], desquels il ne faut jamais prier d’en être délivrés : car les pertes de biens, d’honneurs, et de la santé, ont souvent attiré les âmes à Dieu. En sorte qu’il n’y peut avoir nuls autres maux que les péchés : mais en priant d’en être délivrés pendant qu’on les aime encore, c’est se moquer de Dieu, et mentir en toutes nos oraisons.

104. Voilà pourquoi le Diable n’empêchera pas d’aller aux Églises, ni de prier, avec tout le reste des bienfaits extérieurs, moyennant que le fond de nos âmes soit soumis à son esprit de superbe, d’inimitié, d’impatience, de convoitise d’honneur, de richesses et plaisirs, ou désirs de régir ou dominer en ce monde. Le Diable a assez de prise sur nous lorsqu’il n’y aurait qu’une seule de ces choses qui possédât nos âmes : parce qu’il se soucie fort peu du surplus. Il n’a que faire ni d’or, ni d’argent, ni de friands morceaux, ni d’habits, maisons, ou meubles somptueux, à cause qu’il est un esprit, à quoi toutes ces choses ne lui servent de rien. Il induit bien aussi à donner aux pauvres, puisqu’il n’a nulle prétention à la matière d’or ou d’argent, moyennant de tenir nos âmes dans la convoitise. Il peut rendre le cœur d’une pauvre personne aussi avare par cette convoitise que le cœur d’une riche par extrémité, parce que le tout consiste en la volonté [435], et pas en la matière des choses, vu que Dieu n’est pas matériel, non plus que le Diable, comme étant deux purs esprits, l’un bon et l’autre mauvais.

 

 

XX. L’Antéchrist détourne de Dieu l’intérieur des hommes, les amusant par l’extérieur ; et les régit tous aussi longtemps qu’ils sont hors de la Dépendance de la volonté de Dieu.

 

105. Dieu ne demande rien d’autre des hommes que d’être adoré en Esprit [436] ; et le Diable ambitionne la même gloire des hommes : toutes ses tentations malicieuses ne tendent qu’à posséder le fond de nos âmes, lesquelles appartiennent à Dieu, et doivent être possédées de son Saint Esprit [437], vu que cela a été la cause de leur création, et aussi de celle du Diable, lequel fut aussi créé pour être la résidence du S. Esprit. Mais ayant ces deux créatures, savoir l’Ange et l’homme, été créées toutes libres, elles ont toutes deux abusé de l’état heureux de cette liberté, en ne voulant dépendre de leur Auteur et Créateur : ce qui était si juste et raisonnable, qu’encore bien que Dieu n’aurait jamais demandé cette dépendance de ses créatures, si la lui devaient-elles avoir donné, et se tenir heureuses de pouvoir dépendre de la volonté de leur Créateur. Tant plus le devaient-elles faire lorsqu’il le désire et commande comme une chose juste et raisonnable et bonne : car rien ne se peut trouver de plus juste que ce que la créature se soumette à son Créateur, et rien de plus raisonnable que l’enfant se soumette à son Père, de qui il a toute chose, et espère de lui les biens éternels : et rien ne se peut trouver de meilleur que ce que l’homme soit uni à la volonté de son Dieu [438], de laquelle dérive toute sorte de biens ; et hors de laquelle sortent toute sorte de maux.

106. Car depuis que la volonté du Diable et celle de l’homme sont sorties de la dépendance de la volonté de Dieu, elles ont engendré toutes sortes de maux et péchés. Le Diable et l’homme sont seulement devenus mauvais par avoir suivi leurs propres volontés [439] : vu qu’aussi longtemps qu’ils ont demeuré dans la dépendance de Dieu, il ont toujours été des créatures parfaites et accomplies : en sorte qu’il ne faut pas des grandes études, des hautes spéculations, des Temples et services de Dieu matériels et extérieurs pour recouvrer la perfection de nos âmes ; mais il faut de nécessité remettre notre volonté sous la dépendance de la volonté de Dieu [440] ; et alors nous n’avons plus besoin d’aucunes Lois ou préceptes [441] : vu que lorsque la volonté de Dieu s’accomplit en nous, toutes ses Lois y sont en perfection.

107. C’est ce que le Diable tâche de nous tenir caché, en nous proposant au dehors beaucoup de choses extérieures pour entretenir notre esprit, qu’il ne vienne jamais à la connaissance de la seule chose nécessaire à notre salut, qui est l’ABANDON de notre volonté à celle de Dieu. Ce Satan étant opiniâtrement arrêté à demeurer esclave de sa propre volonté, voudrait bien avoir tous les hommes pour compagnons de ses malheurs. C’est pourquoi il les maintient toujours dans leurs propres volontés, encore bien qu’il leur permette de faire autres bonnes œuvres : parce qu’il sait que tout ne sera valable devant Dieu aussi longtemps que notre propre volonté n’est pas assujettie à celle de Dieu [442].

108. Il a presque assujetti tous les hommes à foi par cette couverture de biens extérieurs, personne ne se donnant de garde qu’il est régi là-dedans par l’Esprit de l’ANTÉCHRIST : quoiqu’il soit très véritable : à cause que l’Esprit de l’Ange et de l’homme ont été corrompus par la même cause, de ne pas vouloir dépendre de Dieu. En sorte que l’esprit du Diable et l’esprit naturel de l’homme sont dans la même corruption : et la propre volonté de l’homme est toujours conforme à la volonté du Diable ; et sont si unies et égales en malice, que le Diable et la chair n’ont qu’une même volonté, et s’accompagnent toujours l’une l’autre [443]. Le Diable tente, et la chair consent ; ou bien, la chair désire, et le Diable y satisfait. Ce de quoi les hommes ne se donnent assez de garde, pensant souvent être des fragilités humaines ce qui est des malices de la corruption du Diable et de la nature, qui également se veulent distraire de la volonté de Dieu pour suivre leur propre volonté, laquelle engendre toute sorte de maux, et a fait aller les hommes de mal en pire, jusqu’à cette extrémité où ils sont à présent arrivés si avant qu’ils ne connaissent plus en quoi consiste l’Esprit de CHRIST, pour voir en usage celui de l’ANTÉCHRIST, qui régit maintenant les bien-intentionnés et ceux même qui ont volonté d’être des vrais Chrétiens.

 

 

Le Sauveur, Dieu et Homme.

 

XXI. Pourquoi le Sauveur du Monde, qui est Jésus Christ, est nécessairement le Vrai Dieu éternel, et aussi Vrai Homme. Nécessité et but de sa venue. Mésintelligence de sa Satisfaction. Moqueurs des derniers temps.

 

109. Cela se fait à cause qu’ils ne discernent pas ce que c’est de Christ et de son Esprit. Les uns disent qu’il n’est pas Dieu, et les autres, qu’il ne le faut pas prier ; et les autres disent qu’il est Dieu, mais qu’il a tout satisfait pour les hommes, avec quoi ils seront sauvés. En quoi ils sont tous en des erreurs : car Christ est vraiment Dieu par l’union étroite qu’il y a de son âme avec le seul Vrai Dieu [444], qui est, a été, et sera toujours inséparable de son humanité, et partant doit être prié et honoré comme notre vrai Médiateur et Sauveur : car son humanité nous a apporté et enseigné les moyens de nous sauver, et sa Divinité nous pardonne nos péchés, lesquels la Bonté de Dieu ne pouvait pardonner sans sa justice, vu que Dieu ne fait jamais rien que ses trois qualités n’y concourent. Sa Bonté avait compassion de voir périr les hommes. Sa Vérité était qu’il ne désire pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et vive [445]. Et sa Justice a créé un second Adam pour apporter une Loi aux hommes par laquelle un chacun d’iceux pouvaient voir en combien de manières ils avaient péché contre Dieu et délaissé sa volonté : en montrant par pratique toutes les choses qu’ils devaient faire et laisser pour retourner dans la dépendance de Dieu, d’où ils s’étaient tous égarés.

110. Ce second Adam fut le corps de Jésus Christ, que Dieu créa comme le Médecin de nos âmes malades et navrées à mort plus qu’elles ne l’avaient été dès le commencement du monde. Car le Diable avait tellement gagné les volontés des hommes, que presque personne ne connaissait plus Dieu. L’on ne trouve pas que Jésus Christ ait trouvé aucuns vrais Prophètes ou âmes dépendantes entièrement de Dieu lorsqu’il est venu sur la terre : car s’il y en eût eu quelques-unes, sans doute qu’elles se fussent sitôt unies à Jésus Christ, qui possédait le S. Esprit, lequel est esprit Divin et de charité. Mais Jésus Christ demeura seul jusqu’à ce qu’il choisit des personnes grossières et idiotes pour être ses Apôtres. Sans faute s’il y eût eu lors quelque vrai Prophète dans le monde, Dieu lui eût donné cette consolation de se joindre à Jésus Christ avant tous autres. Il est bien à croire que le monde était tellement corrompu que personne ne se trouvait en ce temps mieux disposé à recevoir la lumière du S. Esprit que des pauvres pécheurs de poissons, auxquels Jésus Christ enseigna tout par le menu ce qu’ils devaient faire et laisser : encore ne le savaient-ils comprendre [446], tellement étaient-ils grossiers et terrestres qu’ils ne savaient comprendre les choses spirituelles.

111. C’est pourquoi l’on peut véritablement appeler Jésus Christ Sauveur de tout le Monde [447] : car s’il ne fût pas venu le racheter de l’esclavage du Diable, tout était péri avant qu’il se fît homme. Si Jésus Christ eût porté en ses reins ou en sa volonté tous les hommes, comme avait porté au commencement notre premier Père Adam, sans doute que tous les hommes eussent été sauvés en lui. Mais Jésus Christ ne portait pas en son corps tous les hommes, comme fit Adam ; ni aussi toutes les volontés d’iceux : à cause qu’un chacun d’eux étaient en la possession et jouissance de leurs propres volontés, lesquelles Jésus Christ ne pouvait contraindre, puisqu’il avait plu à Dieu de les avoir libres [448]. En sorte qu’il ne peut être véritable que Jésus Christ ait satisfait pour les hommes qui ne veulent pas embrasser sa Loi et ses enseignements pour satisfaire à la Justice de Dieu, laquelle ne pouvait être accomplie si le coupable ne voulait pas porter la peine de ses propres péchés, voulant injustement que l’innocent satisfît seul pour le coupable, encore bien même qu’il continuât en ses malfaits (si que sont la plus-part de ceux qui disent que Jésus Christ a tout satisfait pour eux), étant bien loin de penser de se convertir lorsqu’ils se sont imaginés qu’un autre portera toutes les peines dues à leurs péchés.

112. Ce qui est une grande tromperie de Satan, couverte d’une pieuse croyance : car Jésus Christ est venu nous enseigner en quelle manière et par quels moyens un chacun doit satisfaire à la Justice de Dieu pour ses propres fautes [449]. Mais les hommes ne connaissent maintenant ni Christ ni son Esprit, et suivent à l’aveugle les persuasions de Satan, qui en a maintenant encore gagné davantage qu’il n’avait fait lorsque Jésus Christ fut né ; parce qu’il s’est rendu plus spirituel, et attire les hommes par des moyens qu’il fait paraître saints ou divins, sans lesquels les gens de bien lui résisteraient, et ne les saurait persuader à faire choses mauvaises depuis qu’ils ont reçu la lumière que Jésus Christ a apporté au monde, laquelle ils pensent bien connaître, mais ne la connaissent pas bien. C’est en quoi S. Jean dit que la Lumière est venue au monde, et le monde ne l’a pas connue, non pas même ceux qui si disent être les siens : car les plus spirituels de ce temps ne connaissent pas CHRIST ni son Esprit ; et par même conséquence ne peuvent connaître ce que c’est ANTÉCHRIST et son Esprit.

113. Ils forment Christ comme un Dieu imaginaire ou injuste, et non véritable : Car si Dieu n’eût pas été uni à Christ, d’où eût-il pu avoir la charité de souffrir tant de peines et travaux, et la mort même, pour enseigner des ingrates créatures afin de les pouvoir sauver ? Ne fallait-il pas, Monsieur, une grâce et force du S. Esprit, et toute surnaturelle [450], pour avoir une semblable charité ? Quelle personne fut jamais dans le monde qui s’exposerait à des semblables excès de souffrances pour le salut d’autrui ? L’on a bien entendu qu’aucuns Prophètes ont été mis à mort, quelques Apôtres ou autres Martyrs, lesquels ont souffert pour leurs propres péchés et comme coupables [451] : car il est écrit : Celui qui dit être sans péché, qu’il est menteur [452]. Mais Jésus Christ, qui était pur et exempt de toute coulpe, n’ayant jamais été séparé de l’union avec Dieu, ne pouvait souffrir pour soi-même : cependant il souffre volontairement pour des malfaiteurs, voire pour les ennemis et ceux qui le mettent à mort [453], puisqu’aux abois d’icelle il prie pour ses Tyrans, disant : Pardonnez-leur, Seigneur, car ils ne savent ce qu’ils sont [454]. Cette charité, Monsieur, peut-elle venir de la nature humaine ? Ne faut-il pas être convaincu qu’elle est sortie de Dieu, et pas de l’homme, duquel sortent toutes fois les effets de cette charité ? Nul ne vit jamais Dieu [455], parce qu’il est invisible [456] : mais l’on voit bien en quel lieu Dieu habite, par les opérations qu’il y produit. Si Dieu n’eût pas été en Jésus Christ ; il n’y pouvait avoir une semblable charité, Justice, Bonté, et Vérité. Et si Jésus Christ n’eût pas été vrai homme, il ne pouvait souffrir aucune chose : parce que Dieu est impassible, aussi bien qu’invisible et incompréhensible.

114. En sorte qu’il faut de nécessité que Jésus Christ ait été Dieu et Homme tout-ensemble : puisque sans être homme il ne pouvait souffrir ; et sans être Dieu, il ne pouvait avoir la charité qu’il avait ni faire les œuvres surnaturelles qu’il faisait [457] : car tout ce qui est surnaturel est divin ; et à mesure que la personne meurt à soi-même, Dieu vit en elle. Or Jésus Christ n’a pas du tout vécu en soi : par ainsi Dieu a vécu et opéré totalement en lui. Il faut mépriser ce que disent ces Moqueurs, que Jésus Christ est un Dieu créé, et qu’il n’a pas este de toute éternité : car ces personnes ont été prophétisées ; l’Apôtre dit qu’il viendra des personnes moqueuses, cheminant selon leurs propres concupiscences [458]. Ces qualités leur sont très bien attribuées : car ils se moquent de Dieu même, en disant, que Dieu a été créé et qu’il n’est pas de toute éternité ; et ils cheminent selon leurs propres concupiscences lorsqu’ils veulent comprendre les mystères divins avec leurs entendements humains. Car s’ils avaient la lumière du S. Esprit, ils entendraient assez que Jésus Christ n’est pas un Dieu créé ni temporel : à cause qu’il n’y peut jamais avoir qu’un seul Dieu éternel, lequel n’eût jamais de commencement, comme il n’aura jamais de fin. Mais ce même Dieu éternel, qui seul a créé toute chose, a animé l’âme de Jésus Christ, et a enseigné et racheté les hommes par lui [459], et les jugera aussi par lui [460] : comme un instrument palpable à leurs sens, par lequel les hommes pouvaient sensiblement voir et entendre les choses qu’ils devaient faire et laisser pour devenir vrais Enfants de Dieu leur Père.

 

 

XXII. Dieu dès la création de l’homme a eu dessein de prendre notre nature pour se délecter éternellement avec l’homme : mais à cause du péché il est venu avant le temps pour détruire le Règne du Diable. Et c’est ce même Dieu qui est Jésus Christ, la Parole éternelle, créatrice de toutes choses, qui avec l’Intelligence Suprême, et l’Amour éternel, fait un seul Dieu en trois Personnes.

 

115. Le corps de Jésus Christ n’était de sa nature pas Dieu, mais véritablement homme créé de Dieu pour par lui se communiquer à l’homme, lequel ne pouvait voir ni entendre parfaitement Dieu par un autre organe que celui qui lui était tout semblable. Pour cela Dieu avait dessein de prendre un corps humain dès qu’il eut créé l’homme pour prendre ses plaisirs avec lui [461] ; à cause que nuls plaisirs ne se peuvent dire parfaits et accomplis entre deux choses dissemblables : parce que la ressemblance engendre l’amour et le contentement. Dieu se pouvait bien recréer avec l’âme de l’homme : parce qu’il l’avait ornée d’une qualité Divine [462] : en sorte qu’en se délectant avec l’âme de l’homme, il se délectait avec soi-même, trouvant en l’âme la partie de soi-même qu’il y avait inspirée : en sorte qu’il pouvait parfaitement prendre ses délices avec les hommes. Mais iceux ne pouvaient prendre leurs délices parfaites avec leur Dieu : à cause qu’il est purement esprit et que les hommes sont composés d’esprit et de corps tout ensemble. L’âme ou l’esprit de l’homme pouvait bien prendre ses délices avec l’Esprit de Dieu ; mais son corps ne pouvait avoir parfaites délices avec un esprit : d’autant qu’il était matériel : il lui convenait aussi un objet matériel, conforme à sa nature, pour avoir un contentement parfait. Et comme Dieu fait toutes choses parfaites et accomplies [463], il aurait pris un corps humain, semblable à l’homme, encore bien qu’Adam ni aucun homme n’eût jamais péché.

116. Car le péché n’a pas été la cause que Dieu s’est fait homme, mais l’amour qu’il portait aux hommes, et le désir qu’il avait de leur donner un parfait contentement, accompli à toute éternité. Cela fit qu’il se voulait faire homme, pour avoir une unité totale avec lui. Et voyant que l’homme ne se pouvait rendre semblable à Dieu, pour être corporel, Dieu voulut se rendre semblable à l’homme, en prenant un corps naturel, semblable aux autres hommes. Ce n’est pas pourtant à dire que le corps de Jésus Christ est éternel : car il a été créé en certain temps, et est venu plus tôt qu’il ne devait, à l’occasion du péché. Cessant icelui, Jésus Christ ne fût venu qu’au commencement de l’éternité de l’homme et lorsqu’il eût entré dans la vie éternelle bienheureuse : afin que jamais plus il n’eût pu tomber, Dieu s’eût uni parfaitement à lui de corps et d’âme, et eût à ces fins formé le corps de Jésus Christ d’une manière parfaite, impassible et incorruptible, afin de prendre à toute éternité ses délices avec les hommes [464] et iceux avec leur Dieu par le moyen de l’organe du corps glorieux de Jésus Christ. Mais le péché étant accidentellement survenu à l’homme, lequel l’avait tellement éloigné et séparé à la fin de son Dieu qu’il fût péri si Jésus Christ n’eût pas prévenu et entré au monde auparavant le temps de sa gloire (car les hommes s’allaient tous perdant, quoique Dieu leur eût souvent pardonné et envoyé des Prophètes pour les enseigner et rappeler : ils étaient cependant si aveuglés qu’ils ne connaissaient plus la fin bienheureuse pourquoi ils étaient créés) ; desquels Dieu ayant pitié, il envoya Jésus Christ avant le temps afin de rappeler les hommes de leurs égarements, et leur enseigner visiblement et sensiblement les moyens de retourner à Dieu et recouvrer son union bienheureuse, qu’ils avaient perdue par le péché [465].

117. Le Diable savait bien que Jésus Christ devait venir régner avec les hommes en sa gloire ; mais il ne savait pas qu’il devait venir souffrir et pâtir pour iceux. C’est pourquoi Jésus Christ lui était au commencement inconnu ; mais sitôt qu’il eut commencé à le découvrir, il crie par un Démoniaque : Pourquoi es-tu venu avant le temps pour me tourmenter [466] ? Comme s’il lui eût voulu reprocher qu’il venait prématurément et avant le temps prescrit ès Écritures, lesquelles parlent partout de la venue en gloire de Jésus Christ, et fort peu de sa venue en opprobres. Le Diable pour cela ne savait pas souffrir que Jésus Christ était venu devant le temps de son règne ; parce que le Diable avait entrepris de dominer sur les hommes durant le temps de cette mortelle vie. Il se tourmentait contre Jésus Christ de ce qu’il venait empêcher son entreprise, laquelle avait eu grand progrès sur les hommes jusques alors : et Jésus Christ venait empêcher qu’il ne gagnât le tout. C’est pourquoi le Diable était fâché, lui criant en demandant : Pourquoi il l’était venu tourmenter avant le temps, puisque le monde devait encore durer en sa mortalité, et que Jésus Christ devait seulement régner après la résurrection des hommes, et de toutes choses.

118. Mais l’amour que Dieu portait aux hommes était inconnu au Diable, et fit qu’avant le temps Jésus Christ vint au monde pour fiancer la Nature Divine avec la Nature humaine, qui devaient être l’Époux et l’Épouse unis ensemble à toute éternité. Cette alliance fut promise à Abraham et aux Anciens Pères [467]. Les fiançailles furent observées à la naissance de Jésus Christ : mais les noces et le mariage sera accompli au jour de la résurrection glorieuse [468], lorsqu’il viendra régner avec les hommes sur la terre pour les unir à Dieu, comme il est uni au même Dieu. Alors tous seront des Dieux par participation et union de leurs volontés avec Dieu [469], comme a été Jésus Christ depuis sa naissance et sera à toute éternité, avec tous ceux qui auront suivi sa doctrine et son Esprit. C’est la prière que Jésus Christ fit à son Père avant mourir, lui demandant que ceux qui ne sont pas du monde soient avec lui là où il est, et qu’ils soient un avec son Père ; et comme le Père est un avec lui, qu’eux aussi soient tous consommés en un avec lui [470].

119. Voilà ce que c’est du corps de Jésus Christ, et pourquoi il a été créé, assavoir, afin que Dieu eût pleinement se délecté en l’homme, et lui communiqué son bien par le moyen d’un organe semblable à lui. Dieu a toujours formé quelque corps pour se communiquer à l’homme, parlant quelque fois à Moïse et autres Prophètes par une voix formée en l’air, ou quelques corps de nuées, quelques tonnerres ou tourbillons de vents, quelques clartés ou feux, comme il fit par un buisson ardent [471]. Ce n’est pas que tous ces corps fussent Dieu ; mais c’est qu’il se servait d’iceux afin que les hommes, qui étaient corporels, l’eussent mieux pu entendre que par son pur esprit, qui eût été incompréhensible à l’entendement humain ; et pour s’accommoder à la faiblesse et grossière matière de l’homme, Dieu s’est servi en tout temps de corps matériels pour se mieux communiquer à l’homme. Mais en l’accomplissement des temps, Dieu avait dessein de ne plus se servir de corps figuratifs pour se communiquer à l’homme ; mais de prendre un véritable corps humain en tout semblable aux autres hommes, afin que l’alliance qu’il voulait faire avec l’homme eût été parfaite en tout sens et, cessant toutes figures, que l’homme eût joui de la chose figurée, tant corporellement, que spirituellement. Quoique fort peu de personnes reconnaissent cela, il est cependant très véritable : puisque le Seigneur le dit ainsi.

120. En sorte que Jésus Christ est Vrai Dieu, aussi bien que Vrai Homme : et partant a été de toute éternité [472], n’ayant jamais eu de commencement, et n’aura jamais de fin : à cause que le même Dieu (qu’un chacun croit incompréhensible aussi bien qu’éternel) a été en un temps uni à Jésus Christ d’une liaison si étroite et indissoluble que jamais n’en a été un seul moment séparé depuis sa conception. En sorte que le corps de Jésus Christ en tant qu’homme peut dire avec plus de fondement que S. Paul : Je vis, non pas moi, mais Jésus Christ vit en moi [473]. Cet Apôtre sentait bien qu’il y avait autre chose qui vivait en lui que lui-même : cependant, il était homme pécheur, ou sujet à péché, et se vantait véritablement que Dieu vivait en lui. Combien davantage est-il véritable que l’Esprit de Dieu vivait et opérait en Jésus Christ [474], qui ne fut créé pour autre chose que pour servir d’organe à Dieu, par lequel il se voulait communiquer aux hommes et leur départir son bien ? Qui peut donc douter de l’éternité de Jésus Christ, puisque le seul Dieu éternel est en lui si uni, que son humanité y est toute abîmée et anéantie [475] ? En sorte qu’il peut dire avec plus de fondement que S. Paul qu’elle ne vit plus en lui, mais la seule Divinité vit en lui, laquelle nous devons toujours prier et adorer, en méprisant ces frivoles arguments qui disent par ignorance : Si Dieu est en Jésus Christ, donc il n’y a plus de Dieu dans le Paradis : à cause que Dieu n’a pas une place limitée pour son Paradis, vu qu’il comprend toute chose en soi et ne peut être compris ni contenu de rien. Ces malavisés confessent que Dieu est partout et, pour maintenir mieux leurs erreurs, disent qu’il ne serait plus en Paradis s’il était dans Jésus Christ.

121. Leurs erreurs sont si grossières qu’on serait honteux de les réfuter, voire de croire que les hommes sont venus à tel aveuglement, si moi-même je ne les avais entendu prononcer de semblables blasphèmes contre Dieu et dire que Jésus Christ n’est pas Dieu et qu’il n’a pas été de toute éternité : quoique ces deux choses soient fausses et abusives, inventées par l’Esprit de l’ANTÉCHRIST, qui est Esprit d’erreur et de mensonge, vu que Dieu est en Jésus Christ, et que Jésus Christ est en Dieu inséparablement uni, comme sont en Dieu ces trois Qualités de Justice, Bonté, et Vérité. De quoi j’ai assez parlé ci-dessus : outre lesquelles il y a aussi trois choses en Dieu qui sont autant inséparables que celles ci-dessus nommées, qu’on peut bien appeler Trois Personnes pour parler à notre mode. Ce sont trois choses toujours inséparables qui sont en Dieu, savoir : l’Entendement, qui signifie LE PÈRE ; la Parole, qui signifie LE FILS ; et l’Amour, qui signifie le S. ESPRIT. Ces trois choses sont une seule essence ; et l’une ne fait jamais rien sens l’autre. Car Dieu n’est pas vicieux comme l’homme, qui forme souvent en son Entendement ce qu’il ne dit pas de parole, et encore moins il aime. Mais en Dieu, tout y est parfait et accompli. Ce qu’il a en son entendement, il le produit, parce que le propre du vrai bien c’est de se communiquer ; et aussi il l’aime, vu que tout ce que son Entendement produit et sa Bouche parle est parfaitement Bon, et partant aimable. En sorte que tout ce que Dieu conçoit et parle, il l’aime. Ces trois choses ont toujours été en Dieu [476] : et par conséquent Jésus Christ, étant sa Parole, a été de toute Éternité, aussi bien que sa Sapience et son Amour. Dieu n’a été, n’est, ou ne sera jamais sans ces trois choses, non plus qu’une personne ne peut être sens cerveau, sans bouche, ou sans cœur : car si l’une ou l’autre de ces choses corporelles lui manquait, elle ne pourrait longtemps demeurer vivante. Tout de même Dieu ne pourrait être Dieu si la Sapience, la Communication, et l’Amour lui manquaient. En sorte que ceux qui disent que Jésus-Christ n’a pas été de toute Éternité sont en grand aveuglement. Puisque Dieu n’a jamais été sans communiquer son bien, il ne peut jamais avoir été sans sa Parole Divine, laquelle à la fin a été faite chair [477] : et cette chair est temporelle, mais la Parole de Dieu qui est dans cette chair a été de toute éternité : car par elle toutes choses ont été faites. Partant elle était de nécessité avant toutes choses, puisqu’elle a produit tout ce qui a été fait au Ciel et en la Terre.

 

 

Séductions flatteuses de l’Antéchrist.

 

XXIII. La prétention d’élection et la satisfaction par voie de décharge et de substitution, sont plus pernicieuses au salut que la négation de la Divinité de Jésus Christ ; sont même une négation de la Divinité de Jésus Christ ; sont même une négation de la S. TRINITÉ, une réjection de Jésus Christ, et des flatteries trompeuses de l’Antéchrist.

 

122. Je ne veux pas croire qu’après des vérités si claires il y pourrait encore avoir une personne en cet aveuglement. Mais je trouve encore dans quelques autres une plus grande erreur sur ce même fait. Car j’entends que plusieurs croient que Jésus Christ a été Dieu de toute éternité pendant qu’ils tirent de cette croyance une conséquence si mauvaise qu’elle apporte plus de préjudice à leur salut que ne fait l’aveuglement de croire que Jésus Christ n’est pas Dieu : parce que l’ignorance du mystère de l’union de la Divinité avec l’humanité rend leur mal un peu moindre ; et quoiqu’il soit bien grand et blâmable, il ne donne pas tant de liberté à l’homme de malfaire comme fait la croyance de ceux qui disent « que Jésus Christ a tout satisfait pour eux » : car cette mauvaise conséquence les rend négligents à suivre la Loi de Jésus Christ et imiter ses vertus, ou demander son Esprit : se contentant de savoir ce qu’il a enseigné et pratiqué sans se mettre en devoir de lui obéir ou l’imiter.

123. Je ne saurais voir, Monsieur, entre tous les maux, de plus grands que celui-là. Car le mal que font ceux qui disent que Jésus Christ n’est pas de toute éternité ne les retire pas de la crainte de Dieu, ni de bien faire, afin d’opérer leur salut et tâcher de prier pour avoir l’Esprit de Dieu. Mais ces personnes qui croient que Jésus Christ a tout satisfait pour elles, présument le salut sans bonnes œuvres (qui est un péché contre le S. Esprit [478] que l’Écriture dit qu’ils ne seront pardonnés ni en ce monde ni en l’autre [479]), et ne se mettent en devoir de faire pénitence, ni même de craindre Dieu, lorsqu’ils s’assurent qu’ils sont du nombre des élus, et que Jésus Christ a tout satisfait pour eux, et vivent et meurent appuyés sur ce faux repos, qui n’est qu’un bâton rompu, lequel les fait périr insensiblement, mais sans ressource ; vu qu’après la mort il n’y a plus de rémission. Et quoique les premiers ne soient pas fermes en la vraie Foi, ils sont plus en état de l’obtenir que les seconds, par prières et bonnes œuvres, qui ordinairement attirent la miséricorde de Dieu à leur envoyer la lumière qu’ils cherchent et pour laquelle ils prient [480] : où les autres demeurent opiniâtrement arrêtés sans vouloir rien faire pour obtenir miséricorde, sur la fausse persuasion que Jésus Christ a tout satisfait pour eux, sans aucun fondement.

124. Et faute qu’ils ne connaissent pas les trois Personnes en la Divinité, ils soutiennent fortement de paroles qu’il y a une Trinité en Dieu, pendant qu’ils la nient absolument par effet lorsqu’ils croient que Dieu les sauvera sans justice en leur regard, sans bonté au regard de Jésus Christ, et sans vérité que le S. Esprit a prononcé en disant que s’ils ne font pénitence, ils périront tous [481] : ce qui serait un mensonge si en cas ils étaient sauvés sans vouloir faire de pénitence pour leurs péchés, voulant injustement qu’un autre satisfasse pour eux pendant qu’ils ont la vie et le temps de faire pénitence, laquelle (vie) ils emploient à prendre leurs délices et  ébats pendant qu’ils croient que Jésus Christ a mené une vie pénitente, pleuré, peiné et travaillé, et souffert jusques à la mort de la croix. Ce qui choque directement la Bonté de Dieu en son regard, s’il avait voulu que l’innocent fût si cruellement traité pour le méchant coupable qui effectivement demeure persévérant en ses péchés par la Foi spéculative qu’il a que Jésus Christ a tout satisfait pour leurs péchés, et encore ceux à venir. Il ne se peut rien voir ni entendre de plus inique, de plus injuste, et de moins véritable et qui choque plus directement les trois qualités essentielles de Dieu, sans lesquelles il ne fit ni ne fera jamais aucune chose. Je demanderais volontiers à ces Messieurs les Prédestinés ce qu’ils croient que c’est la S. Trinité en laquelle ils se vantent si constamment de croire ? Il faut bien dire que ce sont trois choses à eux seulement imaginaires : car ils ne disent pas qu’il y a trois Dieu, mais un seul en trois personnes. Et combien qu’ils ne sauraient rien discerner de ces trois personnes, ni dire ce qu’elles peuvent être, ils sont toutefois obligés d’avouer que Dieu est tout Bon, tout Juste, et tout Véritable. Car les Turcs, Juifs, et Païens, avec tout le reste, croient que cela est véritable, et possèdent une foi aveugle en eux-mêmes que Dieu ne peut rien faire de mauvais, ni d’injuste, ni de mensonger.

125. Mais ces Prédestinés sont plus éloignés de la vraie Foi que ces Païens et infidèles : puisqu’ils attribuent à Dieu la damnation des hommes, l’injustice des souffrances de Jésus Christ, et le mensonge de la partialité, faisant Dieu excepteur des personnes, en croyant qu’il les a particulièrement choisis à salut. Ce qui sont des grandes calomnies contre les œuvres de Dieu et l’amour qu’il porte à tous les hommes [482], en témoignage duquel il a envoyé son Fils Jésus Christ sur la terre pour les tous sauver [483] et ramener à soi, sans nuls excepter. Car l’Écriture dit tout exprès que Dieu n’est pas Excepteur des personnes [484] ; et Jésus Christ dit qu’il n’est pas venu pour sauver les Justes, mais attirer les pécheurs à pénitence [485]. Si ceux qui se disent Prédestinés sont justes ou Enfants de Dieu, comment peuvent-ils croire que Jésus Christ a tout satisfait pour eux lorsqu’il dit de n’être pas venu pour sauver le juste ? Et d’autre côté, comment les mérites de Jésus Christ leur pourront-ils être appliqués sans vouloir faire de pénitence, puisque Jésus Christ exprime nettement qu’il est venu appeler le pécheur à pénitence ? Il semble, Monsieur, que ces personnes ne comprennent pas bien ce qu’elles croient, vu que leurs croyances se contredisent en tout point : car ils se disent plus justes que tous les autres ; voire si l’on parle de leur Religion, soutiennent qu’elle est la plus parfaite de toutes les Religions. Si cela était véritable, Jésus Christ n’est donc pas venu mériter pour eux, selon qu’il dit si précisément qu’il n’est pas venu pour le juste ; et s’ils n’ont autre appui de salut que sur les seuls mérites de Jésus Christ, c’est s’appuyer sur un bâton rompu lorsqu’il dit que ses mérites ne sont pas pour les Justes ; et s’ils se confessent pécheurs, comme il n’est que trop véritable, ils doivent assurément périr selon le dire de l’Écriture, que tous ceux qui ne veulent faire de pénitence périront tous, sans excepter personne, mais les comprend tous en général.

126. Ne voit-on pas, Monsieur, que le Diable séduit maintenant les bien-intentionnés ; et qu’il sait si bien dépeindre et colorer ses fines ruses qu’elles semblent des appuis saints et solides ? Car qui ne serait surpris d’entendre qu’il nous persuade d’espérer le salut par les mérites de Jésus Christ ? Il n’y peut avoir à l’apparence rien de plus divin et parfait : car cela se couvre aussi d’une fausse humilité et connaissance qu’on ne peut rien faire de bien, et qu’en connaissant sa faiblesse l’on s’attend sur les mérites de Jésus Christ. Mais si l’on veut ôter ce beau masque, l’on découvrira aussitôt qu’il n’y a rien autre chose en effet qu’une pure sensualité, amour de soi-même, et présomption de salut sans bonnes œuvres. Car la sensualité naturelle qu’il y a en nous ne veut rien souffrir, mais aime tout ce qui est plaisant et délectable aux sens. Et celui qui s’aime soi-même, il ne veut pas être humilié ou méprisé ; mais cherche tout ce qui lui semble bon et avantageux, prend ses aises et son repos, et partout le plus beau, meilleur, et plus honorable, et avec ce, veut aussi avoir le salut éternel, comme une chose qui lui est due et lui doit venir assurément. Voilà ce que l’homme naturel aime, cherche et désire : à quoi s’accommodant l’Esprit de l’ANTÉCHRIST, il confirme toujours la nature en ses sensualités : et de crainte que la partie supérieure de l’homme ne voie par la lumière intérieure de ne pouvoir ainsi arriver au salut éternel, en continuant ici dans une vie naturelle, il couvre ses rets de saintes paroles : mettant dans l’esprit des uns qu’il faut honorer et estimer Jésus Christ parce qu’il est Dieu, et notre Sauveur et Rédempteur. Ce qui en apparence est grande piété et honneur à Dieu ; mais sous ce manteau il cache le mépris et l’injure que ces personnes font à Dieu, en croyant qu’il les sauvera en méprisant par effet ses Lois et ses Commandements.

 

 

XXIV. Les prétendus Prédestinés se dégoûtent de l’observance de la Pénitence et des Commandements de Dieu pis que les Païens : n’ont qu’une foi humaine et stérile : et méprisent par effet Jésus Christ aussi bien que font ceux qui nient sa Divinité et ses mérites.

 

127. Le premier qui fut donné à Adam, et à tous les hommes en lui, de gagner sa vie à la sueur de son visage, est par eux tenu pour une chose mauvaise, s’estimant bienheureux d’avoir des richesses et commodités pour vivre à l’aise, voire pour prendre leurs plaisirs en ce monde au lieu d’y pleurer leurs péchés, si que fit Adam, comme étant ici le temps et lieu de pénitence : pendant qu’ils tâchent de tout leur possible d’en faire un lieu de délices et plaisirs, où personne ne veut se peiner et travailler pour faire pénitence et accomplir ce commandement de Dieu. Et si le gain, l’honneur, ou la nécessité n’obligeait les hommes à travailler, un chacun d’iceux voudrait vivre en paresse. Ce qui n’est que trop avéré par la pratique des hommes de maintenant, qui ne voudraient faire aucune chose s’ils ne voyaient espérance de gain, d’honneur, ou de plaisirs pour leurs personnes. Et cependant osent bien assurer qu’ils gardent les commandements de Dieu : à cause que le Diable leur donne toutes ces fausses persuasions dans leurs esprits.

128. Car ils ne gardent en effet nuls des autres commandements de Dieu, non plus que celui de gagner la vie à la sueur de leur visage. Ce que tous les hommes en général sont obligés de faire : car Dieu n’a pas distingué le pauvre d’arrière du riche, vu qu’il n’ordonnait pas ce travail pour gagner seulement l’entretien du corps, lequel il leur avait donné gratuitement, voire délicieusement cessant le péché : les arbres eussent porté des fruits si salutaires et savoureux, que nulles viandes ou autres saveurs ne sont en rien comparables aux goûts que les fruits de la terre eussent portés d’eux-mêmes et sans aucuns labeurs. C’est pourquoi Dieu n’a pas ordonné le travail pour avoir la nourriture du corps ; mais pour faire pénitence en labourant et travaillant en ce monde : bien que plusieurs ne puissent avoir l’aliment du corps sans travail : cela n’est que pour obliger les hommes davantage à accomplir leur pénitence si justement à eux enjointe. Mais au lieu de l’accepter et accomplir volontairement, ils étudient nuit et jour à trouver les moyens de s’en exempter et de vivre à l’aise, au lieu de satisfaire à la pénitence que Dieu leur a commandée, en disant qu’ils gagneraient la vie à la lueur de leur front. Ils accomplissent encore moins son commandement de l’aimer de tout leur cœur. Car l’on voit l’affection de tous les hommes de maintenant se porter à aimer cette vie de tout leur cœur. L’un est attaché aux honneurs et l’autre aux richesses ou plaisirs de cette vie : et avec cela, se persuadent de garder les commandements de Dieu ! quoiqu’ils ne fassent rien de semblable, ne gardant par effet ni ses Lois, ni ses commandements anciens, et encore moins la nouvelle Loi Évangélique, laquelle Jésus Christ est venu enseigner de fait et de paroles. Car l’on voit que ceux qui disent de croire en Jésus Christ et de l’honorer comme Dieu se moquent en effet de ses œuvres et de sa doctrine, lorsqu’ils veulent qu’il souffre seul et qu’ils pensent que la Doctrine n’a été que pour lui-même, sans qu’ils se mettent en devoir de le suivre ou imiter, disant qu’il suffit que lui l’ait observé et mérité pour eux.

129. Ne voilà pas, Monsieur, des parfaites railleries contre toute sorte de justice et de raison ? Cependant c’est la foi et la croyance de ceux qui se disent Enfants de Dieu, Prédestinés à salut, et de la plus parfaite Religion. Voyez, je vous prie, combien loin de Dieu et de la vérité peuvent être ceux qui sont moins Chrétiens ! Et cependant les uns et les autres croient qu’ils seront sauvés. Si le Diable ne leur avait persuadé ce salut sans bonnes œuvres, il serait impossible qu’une seule personne fût en repos sans chercher les véritables moyens par lesquels elle pourrait être sauvée : car tous les hommes portent en eux-mêmes cet instinct ou désir de salut et de bonheur éternel. C’est en quoi le S. Esprit dit que personne n’eut jamais sa chair en haine [486]. Un chacun aime son bonheur et son bien, et nul bien ne peut être comparable au bien éternel. C’est pourquoi un chacun porte en soi le désir du bien éternel, encore qu’il n’aurait que la lumière naturelle : car l’on a vu plusieurs Païens mépriser cette misérable vie pour l’espoir de la vie éternelle : quoiqu’ils n’eussent connaissance des commandements de Dieu ni de la doctrine Évangélique, ils observaient par effet l’une et l’autre pour le désir de la vie Éternelle bienheureuse. Mais les Chrétiens de maintenant n’ont en effet la vertu de ces Païens, encore bien qu’ils se vantent de Savoir les commandements de Dieu et la Doctrine Évangélique.

130. Est-ce de merveille que Jésus Christ a dit que les Païens, etc., entreront au Royaume des Cieux, et que les Enfants du même Royaume seront chassés dehors [487] ? Vu qu’iceux gardent plus les commandements de Dieu que ceux qui se disent ses Enfants et des Chrétiens, lesquels ont maintenant mis toutes leurs vertus dans des spéculations imaginaires, ou des beaux discours et des fois humaines que les hommes se sont données par tradition les uns aux autres. L’un croit à ce Père ; l’autre à ce Docteur ; l’autre à cette communauté ; l’autre à quelque esprit subtil qui, peut-être, a été adhérant au Diable de son vivant, et a tiré de lui des sciences et des arguments pour faire humer à plusieurs la doctrine du Diable encore après sa mort. Car si la Doctrine de Calvin contient en soi que Jésus Christ a tout satisfait pour les hommes, lesquels ne soient pas obligés de satisfaire eux-mêmes, il a tiré cette étude du Père de mensonge : puisque la Justice de Dieu ne peut permettre que les hommes soient sauvés sans faire eux-mêmes de pénitence pour leurs propres péchés [488]. Il les a bien créés sans leur coopération, mais ne les peut sauver sans icelle ; et s’ils pensent sa flatter en disant qu’ils croient en Jésus Christ et ne coopèrent à leur salut par icelle foi, ils sont menteurs : parce qu’il n’y a pas d’autre foi par laquelle on puisse être sauvé que la Foi vivante et opérante [489]. En sorte que croire en Jésus Christ sans imiter ses vertus, c’est une Foi morte, seulement humaine ou imaginaire. Abraham fut sauvé par foi : mais sa foi était si vivante et sa volonté si abandonnée à Dieu qu’il fut prêt à sacrifier son Fils unique aussitôt qu’il sut que c’était la volonté de Dieu. Mais les personnes qui disent de pouvoir être sauvées par la Foi qu’ils ont en Jésus Christ, ne voudraient bien souvent sacrifier à Dieu la moindre de leurs propres volontés, et se présument d’avoir la Foi, pour leur malheur et damnation, puisque S. Paul dit si assurément que personne ne peut être sauvé sans la charité [490], encore bien qu’on ferait des autres merveilles : comment auraient ces personnes la charité, qui est l’amour de Dieu, lorsqu’ils s’aiment tant eux-mêmes, rejetant ou méprisant les mérites de Jésus Christ ?

131. Et viennent aucuns si avant que de dire qu’il n’est pas Dieu, et qu’ils ne le doivent pas prier ; et pensent avec cette erreur être plus illuminés que les autres, qu’ils voudraient même accuser d’idolâtrie en adorant un corps humain pour le Vrai Dieu. Cela est aussi sorti du même esprit de l’ANTÉCHRIST, lequel s’accommode toujours à l’avenant de la disposition des hommes ; et à ceux qui ont Jésus Christ en estime, il leur laisse bien estimer ; mais leur fait monter cette estime si avant qu’elle lui tourne à mépris, lorsqu’ils font de Jésus Christ comme on ferait de son valet, en voulant qu’il porte toute la charge et le fardeau de leurs péchés sur sa chair innocente, sans qu’ils daignent de vouloir charger sur eux la moindre pesanteur, voulant vivre à l’aise et prendre leurs plaisirs pendant qu’ils considèrent les peines et travaux de Jésus Christ. C’est bien par effet mépriser leur Sauveur en disant de l’estimer et l’honorer comme Dieu et homme. Si une personne avait estime de son ami il ne viendrait jamais à le despecter si avant que de souffrir qu’il portât ses ordures ou lui rendît des services si pénibles : car celui aime bien fidèlement qui a plus de ressentiment de voir que son aimé souffre, que de souffrir soi-même ; et porterait plus volontiers les peines en son propre corps que de voir l’ami qu’il estime les porter pour lui. Là où il y a de la sincère amitié, il y a toujours des débats pour prévenir de servir avant qu’être servi.

132. Mais ces personnes, qui disent d’estimer et croire en Jésus Christ, ne lui font pas en effet tant d’honneur ou de démonstration de bonne volonté que ferait un Maître à son valet, lequel ne pourrait souffrir qu’il portât des charges trop pesantes sans y porter la main pour le soulager, ou bien l’empêcher de ne pas se trop travailler à son service. Et ces Chrétiens d’aujourd’hui veulent bien que Jésus Christ ait sué le sang, peiné et travaillé, souffert jusqu’à la mort de la croix pour les sauver, sans vouloir prêter la main pour porter la moindre peine : voulant qu’à la façon de leur esclave Jésus Christ endure tout seul et travaille pour leur salut, pendant qu’ils vivent à l’aise. Et avec cela, ils attendent le salut pour avoir dit qu’ils croient en Jésus Christ, sans vérité, et s’imaginer sans fondement qu’il a tout satisfait pour eux. Ce sont des fourbes de Satan si manifestes, qu’il faut être sans jugement pour ne les pas découvrir et détester un semblable aveuglement que le Diable a jeté dans les esprits de tous les hommes, à chacun selon leurs portées et inclinations. Car ceux qui croient que Jésus Christ n’est pas Dieu, et méprisent ou rejettent ses mérites, ne les jugeant pas nécessaires à salut, sont dans le même aveuglement de l’Esprit de ténèbres : puisque sans les mérites de Jésus Christ personne ne pouvait être sauvé. Il fallait de nécessité que ce second Adam fût né pour racheter tous les hommes qui s’étaient volontairement perdus et retirés de la Dépendance de Dieu.

 

 

Salut libre. Antéchrist régnant.

 

XXV. Les Mérites de Jésus Christ ne sauvent personne sans remettre librement notre volonté dans la dépendance de Dieu : de quoi dépend le salut. Christ étant venu le proposer par sa doctrine et sa vie lumineuse, l’Antéchrist a répandu ses ténèbres en tout, et est assis comme un Roy dans le lieu saint.

 

133. Ce n’est pas pourtant que Jésus Christ eût la puissance de sauver tous les hommes en la même façon qu’Adam les avait tous perdus. Il y a en ces deux Adams grande différence. Car le premier Adam avait en sa seule volonté la libre volonté de tous les hommes, lesquels étaient en sa puissance jusqu’à ce que chacun homme en particulier eût été venu à l’usage de sa propre raison, et en la liberté d’user de leurs propres volontés un chacun en son particulier : ce qui n’était encore arrivé lorsqu’Adam pécha : car il n’avait encore produit nuls hommes sur la terre : il les portait tous dans ses reins et dans sa volonté. En sorte que tous les corps des hommes étaient contenus dans son seul corps ; et toutes leurs volontés étaient aussi contenues dans la seule volonté d’Adam, laquelle les pouvait perdre et sauver en se perdant ou sauvant soi-même [491]. Mais Jésus Christ, le Second Adam, ne pouvait sauver ou damner les hommes de la même façon : à cause qu’iceux étaient jà produits, et en la possession de leur libre volonté, laquelle Dieu même, et encore moins Jésus Christ, ne pouvaient forcer ni contraindre : vu que jamais Dieu ne rétracte ce qu’il a une fois fait, ni ne reprend ce qu’il et une fois donné : parce qu’il est ferme et immuable en toutes ses œuvres. Il pouvait bien créer dix mille mondes de nouveau avec autant de nouveaux Adams, mais il ne pouvait pas sauver une seule âme arrivée à l’usage de raison sans son consentement [492] : à cause que sa puissance ne trouve pas d’opposition à la création des choses qu’il tire du néant ; mais elle trouve de l’opposition en la volonté de l’homme, laquelle il ne peut contraindre depuis qu’il l’a voulu avoir toute libre.

134. En sorte que Jésus Christ ne pouvait sauver une seule âme par ses mérites, ses souffrances, et sa mort, sans que l’âme même de sa libre volonté le remette dans la dépendance de la volonté de Dieu [493]. Encore bien que dix mille Jésus Christ seraient morts pour elle, cela ne la peut sauver sans remettre sa volonté à celle de Dieu : car nulles créatures ne sauraient se sauver elles-mêmes. C’est Dieu seul qui donne la vie éternelle à toutes [494] ; mais ne la donnera jamais bienheureuse sinon aux âmes qui s’abandonnent à lui [495] : parce que la volonté de l’homme est toute mauvaise [496] : depuis qu’elle a été corrompue par le péché, cette volonté ne saurait jamais plus bien faire [497]. Il faut que la volonté de Dieu seul fasse tout le bien [498] ; et cette volonté de Dieu ne peut opérer dans une âme aussi longtemps que sa propre volonté opère encore en elle ; parce qu’étant tout mal, elle ne peut être tout bien, comme est la vie bienheureuse qu’on appelle le Salut. Ce tout bien ne peut jamais arriver à l’homme s’il n’est délivré de tout mal, qui est sa propre volonté : car deux contraires ne peuvent subsister ensemble dans un même sujet. Il faut que l’un ou l’autre en sorte. Or encore bien que Dieu aurait créé mille Jésus Christ, et que chacun d’iceux aurait souffert mille morts, tout cela ne serait pas capable de sauver une seule âme sans qu’elle se voulût remettre entièrement dans la dépendance de Dieu, qui seul la peut sauver lorsque la propre volonté ne lui donne pas d’opposition, et qu’elle soit réduite à néant. En sorte que de l’anéantissement de notre volonté dépend notre salut [499] : à cause qu’icelui vient de Dieu seul, lequel ne peut jamais être accompagné d’aucun mal ; et aussi longtemps que sa volonté ne règne pas absolument dans nos âmes, il ne les peut sauver : parce qu’il ne peut rien faire qui soit accompagné d’aucuns maux, et que notre propre volonté est la source et l’origine de tous maux.

135. D’où se voit que Jésus Christ n’a pas racheté les hommes de la façon qu’on le prend, ou par ses seuls mérites, comme on se veut persuader : mais cependant, il n’y a rien de plus assuré que si Jésus Christ n’était pas venu au monde et nous enseigné en souffrant jusques à la mort, personne ne pouvait jamais être sauvé : à cause que tous avaient abandonné la volonté de Dieu et vivaient selon leur propre volonté, laquelle avait engendré toutes sortes de maux ; desquels les hommes ne s’apercevaient nullement ; comme il leur est encore arrivé à présent ; mais plus subtilement : car l’ignorance qui était dans les hommes au temps que Jésus Christ est venu sur la terre était si grossière, qu’ils ne comprenaient les choses divines et spirituelles, mais seulement les choses visibles et matérielles, vivant presque comme les bêtes, qui suivent leurs instincts naturels. Mais à présent les esprits ont été éclairés et les sciences multipliées : Jésus Christ a enseigné une vie mystique, que le S. Esprit a établie dans les cœurs des Apôtres et de leurs Disciples, pour leur faire mépriser cette nature corrompue et embrasser l’Esprit et la doctrine de Jésus Christ, qui ne tend qu’aux choses éternelles et divines [500].

136. Ce néanmoins la malice des hommes de maintenant fait que les mêmes lumières du S. Esprit leur servent de moyens pour se retirer davantage de la dépendance de Dieu qu’ils n’avaient fait du passé et lorsqu’ils ne connaissaient les choses divines que par des figures. Car on n’entend à présent que des questions et débats sur les choses mystiques et spirituelles, par lesquels l’on blasphème contre Dieu et ses plus divins mystères. L’on se querelle sur celui de la S. Trinité ; sur l’Incarnation du Fils de Dieu ; sur la Prédestination des hommes ; et enfin sur tous les plus hauts mystères de la Foi : pendant qu’on ne connaît en effet ni Dieu, ni Jésus Christ, ni sa propre âme ; à cause qu’il n’y a plus de vraie Foi dans le monde, et qu’on ne sait pas même ce que c’est de la vraie Foi. Depuis qu’on a quitté et perdu les fondements d’icelle, un chacun s’est forgé quelque foi selon sa fantaisie, à laquelle on a donné le Nom de Foi fort mal à propos : car la vraie Foi n’est autre chose qu’une lumière Divine et surnaturelle que Dieu a infusée en notre âme en la créant [501] : mais ce qu’on appelle maintenant Foi ne sont autre chose sinon des spéculations des hommes : l’un s’imaginant une chose, et l’autre une autre, chacun selon ses inclinations Et le Diable fournit à un chacun des raisons pour soutenir son opinion, voire les appuyer sur quelque passage des Écritures saintes, encore bien que personne ne les ait encore entendues en sens parfait : parce qu’il faut que le même Esprit qui les a dictées en donne lui seul l’intelligence. Et au lieu de purger son âme et soumettre sa volonté à Dieu pour obtenir son S. Esprit qui doit tout expliquer, l’on se rompt la tête à trouver des conceptions pour en avoir l’intelligence. Ce qui est pure vanité et amusement d’esprit. Car jamais l’esprit de l’homme ne peut entendre les choses divines par sa lumière naturelle [502] ; à cause que cette nature est bornée et finie, et que ses choses divines sont sans limites et éternelles. La raison humaine peut bien être la servante de la lumière divine, pour faire et dire ce que la lumière divine et surnaturelle enseigne ; mais ne peut jamais être la Maîtresse ou interpréter les divins mystères.

137. Ceux qui croient autrement sont séduits par l’Esprit de l’ANTÉCHRIST, qui se sert de l’Écriture même pour tromper les mieux intentionnés. Cela se peut voir et toucher au doigt : car si l’intelligence qu’on a des Écritures venait du S. Esprit, il n’y aurait nulles différentes opinions : vu qu’il n’y a qu’une vérité et une seule Église, comme il n’y a qu’un seul Dieu. Mais à cause que cet ANTÉCHRIST domine à présent sur ce qu’on appelle Vérité, Église, et Dieu, il apporte tant de divisions, confusions, et de sens contraires, que tout est en débats, querelles et dissensions, se haïssant l’un l’autre avec inimitié mortelle sur les principaux points de la Foi et Religion Chrétienne. Jésus Christ nous a commandé d’aimer l’un l’autre pour marque que nous sommes ses Disciples : À cela, dit-il, connaîtra-t-on si vous êtes mes Disciples, lorsque vous vous aimerez l’un l’autre [503]. Voyez, je vous prie, Monsieur, si les Chrétiens de maintenant sont Disciples de Jésus Christ, et s’ils portent cette marque qu’il leur a signifiée. Ne voit-on pas plutôt qu’ils portent la marque d’ANTÉCHRIST, qui n’est rien autre chose qu’un faux Christ, qui s’oppose à l’Esprit du vrai Christ ? L’Esprit de Christ, c’est un Esprit d’Amour, de paix, et d’union : à quoi est toute opposée la pratique des hommes d’aujourd’hui. Les vrais Chrétiens doivent être tous d’un accord, d’un cœur, et d’une volonté avec celle de Christ. Et on les voit si divisés qu’à grand peine en trouve-t-on deux de mêmes sentiments et de même volonté ; voire serait-il rare d’en trouver un qui fût parfaitement uni à l’Esprit de Jésus Christ. Et avec cela, l’on veut encore révoquer en doute que nous vivons dans le Règne de l’ANTÉCHRIST, et qu’il soit maintenant assis au lieu Saint [504] !

 

ANTHOINETTE BOURIGNON.

 

 

Fin de la Seconde Partie de

 

L’ANTÉCHRIST DÉCOUVERT.

 

 

 

 

 

 

 

 

Table des Matières et Abrégé de cette Seconde Partie de

 

L’Antéchrist Découvert.

 

I. Découverte du Règne de l’Antéchrist par l’opposition de son esprit à celui de Christ. Christ venu pour relever les hommes des chutes de la propre volonté de chacun en particulier, et non de la chute commune de tous en Adam, laquelle Dieu avait déjà pardonnée à tous en lui. Ce qu’on ne peut nier que par une méconnaissance de Dieu.

II. Méconnaissance de Dieu où l’Antéchrist a conduit les hommes. Que par la Doctrine vulgaire de la Prédestination l’on nie et déchire la Ste. TRINITÉ, laquelle ne doit pas être connue comme Trois Personnes d’individus, mais comme Trois Qualités ou Propriétés essentielles relativement différentes, selon lesquelles cet Être Juste et tout égal est Lumière ou Vérité à soi et aux autres, et Bonté ou communication de soi à soi et aux autres. Dieu agit inséparablement selon ces trois propriétés dans toutes ses œuvres. Observer ses Commandements et sa manière d’agir envers nous est meilleur que sonder son Essence, etc.

III. Déclaration de la Ste. TRINITÉ par comparaison à ce qui est dans la Créature : Savoir : du Père, comme Intelligence éternelle de son propre bien ; du Fils, comme Bouche, ou Parole, ou Communication éternelle de son bien à soi, porté aussi éternellement à le communiquer à d’autres ; et du S. Esprit, comme Cœur ou Amour éternel pour le bien communiqué à soi et aux autres.

IV. Autre déclaration comparative de la Très sainte TRINITÉ : du Père, comme Entendement ; du Fils, comme Mémoire ou Représentation et Idée réflexive de son intelligence sur soi ; et du S. Esprit, comme Désir, Volonté, ou Amour : choses qui ne font proprement trois personnes qui soient trois esprits ou trois Individus, mais sont trois facultés ou propriétés différentes relativement et vraiment, et néanmoins unies essentiellement : comme la Justice, la Vérité, et la Bonté.

V. Au lieu des ténébreuses et infructueuses spéculations Scolastiques que l’Antéchrist a fait avoir par le passé de la Ste. TRINITÉ, l’on doit s’occuper à cette très lumineuse et très fructueuse de la Justice, Vérité, et Bonté de Dieu, par laquelle on peut découvrir les Séductions de l’Antéchrist. Et premièrement, voir par là que c’est une flatterie de l’Antéchrist que les hommes croient à présent qu’ils sont Enfants de Dieu.

VI. L’Espérance que l’on a d’être sauvé en faisant sa propre volonté, et la couverture qu’on fait à ses péchés sous une seule des vertus de Dieu, sont découvertes pour faussetés de l’Antéchrist par la considération fructueuse de la Très sainte TRINITÉ.

VII. Exemptes de quelques erreurs et abus venant de l’ignorance de la Justice, Vérité, et Bonté de Dieu, qui est la vraie TRINITÉ : de laquelle les hommes se contestent par le principe d’un esprit naturel ou d’Antéchrist, sans l’Esprit de Dieu, seul nécessaire à ce sujet.

VIII. Il n’y a plus de Chrétiens, quoique l’Antéchrist persuade qu’on l’est à cause d’un Baptême dont le violement nous rend pires que des Païens et que des Juifs.

IX. Doctrine de Jésus Christ, dernier remède. Le Diable en détourne par des vertus feintes. Les spirituels rejettent l’Esprit d’enfance par orgueil, trompés qu’ils sont par les ruses de l’Antéchrist. Au lieu de l’Esprit de Christ, on n’a qu’apparence et dehors.

X. Christ est venu instituer un culte intérieur. L’Antéchrist en fomente et multiplie des extérieurs tout stériles.

XI. CHRIST enseigne que pour être Chrétien il faut l’imiter : l’Antéchrist dit que cela est impossible : anéantissant ainsi la venue et la vie de J. Christ, l’efficace de ses Mérites, la force de son Esprit, et la Vérité de ses paroles.

XII. Preuve que la Vie et la Loi de Christ est facile et joyeuse ; et que c’est la vie mondaine et Antichrétienne qui est difficile, pénible, et fâcheuse, nonobstant les persuasions contraires de l’Antéchrist.

XIII. Christ est venu pour nous engager, par les choses qu’il a faites et souffertes, à l’imiter : l’Antéchrist, en déchirant la S. TRINITÉ, fait faussement croire qu’il a seul satisfait pour nous décharger de satisfaire nous-mêmes aux châtiments que la justice de Dieu nous impose pour nos péchés.

XIV. L’Antéchrist, sous ombre que Jésus Christ est Dieu, porte les uns à ne le pas imiter en ses souffrances, comme si c’était la Puissance et la Justice de Dieu qui en eussent eu besoin elles-mêmes pour sauver les hommes. Et en même temps cet Antéchrist pousse les autres à une autre extrémité, de nier la Divinité de Jésus Christ, sa Satisfaction, et son Adoration souveraine.

XV. Que Jésus Christ Vrai Homme est aussi Vrai Dieu, son humanité étant unie très étroitement et inséparablement avec sa Divinité, qui est le vrai Dieu et la Parole éternelle, laquelle a créé toutes choses, et qui sauve en Christ. Mais le Diable fait abuser de cette croyance, et aussi de la contraire.

XVI. En quel sens, à quelles conditions, et pour qui Jésus Christ a mérité, satisfait, souffert, sauvé. Et qu’une satisfaction absolue et de décharge pour les hommes répugne à la Bonté, Justice et Vérité de Dieu.

XVII. Jésus Christ a sauvé et guéri tous par sa Doctrine et sa Pratique moyennant que tous croient. Mais eux, trompés par l’Antéchrist et par une fausse justice de Pharisien, n’ont qu’une foi illusoire, comme les moqueurs des derniers temps.

XVIII. Suivant l’Esprit de l’Antéchrist on se dit rené, en cherchant les choses de la terre ; Enfant de Dieu, sans dépendre de sa volonté ; spirituel, menant une vie naturelle et sensuelle ; et Chrétien, sans l’Esprit de Christ.

XIX. Que les Chrétiens dans les choses les plus saintes et le culte de Dieu n’ont que des mines extérieures et des paroles creuses et fausses, pendant que le Diable possède le fond de leurs âmes par son Esprit de péché.

XX. L’Antéchrist détourne de Dieu l’intérieur des hommes, les amusant par l’extérieur ; et les régit tous, si longtemps qu’ils sont hors de la dépendance de la volonté de Dieu.

XXI. Pourquoi le Sauveur du Monde, qui est Jésus Christ, est nécessairement le Vrai Dieu Éternel, et aussi Vrai Homme. Nécessité et but de sa venue. Mésintelligence de sa satisfaction. Moqueurs des derniers temps.

XXII. Dieu, dès la Création de l’homme, a eu dessein de prendre notre nature pour se délecter éternellement avec l’homme ; mais à cause du péché il est venu avant le temps, pour détruire le Règne du Diable. Et c’est ce même Dieu qui est Jésus Christ, la Parole Éternelle, Créatrice de toutes choses, qui avec l’Intelligence Suprême et l’Amour Éternel fait Un Seul Dieu en trois Personnes.

XXIII. La prétention d’Élection et la Satisfaction par voie de décharge et de substitution sont plus pernicieuses au salut que la négation de la Divinité de Jésus Christ ; sont même une négation de la S. TRINITÉ, une rejection de J. Christ, et des flatteries trompeuses de l’Antéchrist.

XXIV. Les prétendus Prédestinés se dégoûtent de l’observance de la Pénitence et des Commandements de Dieu pis que les Païens ; n’ont qu’une Foi humaine et stérile ; et méprisent par effet J. Christ aussi bien que font ceux qui nient sa Divinité et ses mérites.

XXV. Les Mérites de Jésus Christ ne sauvent personne sans remettre librement notre volonté dans la dépendance de Dieu : de quoi dépend le Salut. Christ étant venu le proposer par sa doctrine et sa vie lumineuse, l’Antéchrist a répandu ses ténèbres en tout, et est assis comme un Roy dans le lieu saint.

 

Le Catalogue des Livres imprimés de Mademoiselle Bourignon se trouve dans l’une des Parties de ce Traité, joint à sa Confession de Foi.

 

Les citations de l’Écriture Ste. qui se trouvent dans les marges de quelques livres de l’Autrice ne sont sas d’elle. Il en est de même des Annotations, excepté celles dont il est expressément dit que ce sont d’elle-même.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’ANTÉCHRIST

 

DÉCOUVERT.

 

TROISIÈME ET DERNIÈRE PARTIE.

 

En laquelle est clairement montré que tous les Schismes, Divisions et Disputes des Églises proviennent de l’Esprit de l’ANTÉCHRIST, qui par le moyen des Écritures et choses saintes, a fait évanouir de l’esprit des hommes la vraie Foi et la Charité, pour y planter l’inimitié et les discordes et disputes, afin que les Chrétiens se haïssent l’un l’autre, au lieu de s’aimer, comme Jésus Christ leur a commandé.

 

Par

 

ANTHOINETTE BOURIGNON.

 

À Amsterdam, chez Jean Riewerts, et Pierre Arents

Marchands Libraires, rue de la Bourse, 1681.

 

 

 

 

 Matth. XII, v. 30.

 

Celui qui n’est pas avec moi (CHRIST) est contre moi (CONTRE-CHRIST ou ANTÉCHRIST) ; et celui qui n’assemble et ne réunit point avec moi est un dissipateur.

 

 

 

 

AU LECTEUR.

 

Voici, AMI LECTEUR, la dernière pièce de l’ANTÉCHRIST DÉCOUVERT, qui traite comment le Diable aveugle l’Esprit des hommes, étant masqué du visage de Jésus Christ, en se servant des saintes Écritures, et les faisant gloser et disputer sous prétexte d’un Zèle de la gloire de Dieu et du salut des âmes : quoiqu’il n’y ait rien de semblable : puisqu’on ne tire en effet des Écritures que des moyens à pécher. Chacun dit de s’appuyer sur icelle, pendant que personne ne suit en effet ses Enseignements. L’on apprend les Écritures afin d’en savoir bien discourir et de se faire louer pour cette science. L’on dresse des Académies, l’on forme des Universités pour étudier en la Théologie ; et après que tout est bien considéré, l’on n’y apprend qu’à bien disputer et braver son prochain par de subtils arguments qui enflent les cœurs d’orgueil et de vanité, au lieu que ces études devraient tendre à la bassesse de Jésus Christ, apprenant ce qu’il nous a enseigné. Cette Doctrine est la vraie étude : le Collège des Apôtres est la vraie Académie où les Chrétiens doivent aller étudier dans l’Université des Chrétiens de la Primitive Église.

Mais tout cela est mis à quartier depuis que le Diable a fait établir des Collèges et Universités terrestres et matérielles pour enseigner la Jeunesse. Il gagne par là les jeunes cœurs, en les remplissant de superbe et d’arrogance. Car sitôt qu’ils ont seulement appris le Latin, ils sont Domine : étant plus avancés, Bacheliers : et puis, Licenciés : en après, Docteurs ; et puis, Professeurs, etc. Voilà ainsi que les Saintes Lettres leur servent de matière à pécher et augmenter iceux péchés jusqu’à l’infini. Car lorsque ces personnes sont montées à quelques degrés d’honneur, les voilà dans l’avarice, afin d’avoir de quoi à maintenir leurs gloires, augmenter leurs servants, et méliorer leurs Tables : enfin, il n’y a péché qui ne prenne racine dans leurs âmes par l’ambition qu’ils ont contractée des études : pendant qu’on les appelle Théologiens, comme s’ils avaient acquis la science de Dieu, en ayant seulement humé la Doctrine des Diables [505], qui sous ce manteau de science Divine les ont remplis de vanité et d’orgueil ; pendant que les hommes les estiment et honorent comme s’ils tenaient la place de Dieu, écoutant leurs paroles comme si elles venaient de Dieu. Par où le Diable tire ses plus grands avantages, en faisant que ses fourbes et tromperies passent par eux dans le peuple qu’ils ont sous leur pouvoir comme Pasteurs ou Régents de leurs âmes. Ce qui donne bien de l’autorité aux fourbes et tromperies de l’ANTÉCHRIST lorsqu’il se peut servir de ces personnes d’études, qui sont en crédit parmi le peuple.

Et les hommes sont si aveuglés par leurs péchés qu’ils ne découvrent point ces choses, quoiqu’elles paraissent assez clairement et sont manifestes à ceux qui ont tant soit peu de bon jugement. Car il ne faut que remarquer l’Institution de l’Église Chrétienne et les Actes des Apôtres pour découvrir comment ils le sont comportés en toutes leurs voies, et voir en après comment se comportent les Prêtres de notre temps ; et l’on trouvera que si les Apôtres ont été des Chrétiens, que nos Apôtres modernes sont des Antichrétiens, directement opposés à l’Esprit et à la doctrine de Christ. Car au lieu que les vrais Apôtres de Jésus Christ ont été pauvres, ces modernes veulent être riches, ne butant qu’après les meilleures prébendes : et où les vrais Apôtres ont été humbles et méprisés, ceux-ci veulent être grands, estimés et honorés d’un chacun. Et ainsi de tout le reste : puisqu’on ne saurait pas trouver une action de tous ces Prêtres qui soit conforme aux actions des Apôtres ; quoiqu’ils veuillent porter le nom et titre d’Envoyés de Dieu, comme le Diable leur donne, afin de mieux tromper les hommes qui, les prenant pour des Envoyés de Dieu, écoutent leurs paroles et les suivent, quoique bien souvent ils enseignent le chemin de l’Enfer au lieu du chemin étroit qui mène à salut. Et par ainsi les hommes sont trompés par les choses saintes mêmes. Il faut bien dire que les hommes par leurs péchés soient abandonnés à l’Esprit d’erreur et de mensonge, puisqu’ils estiment bonnes les choses qui sont toutes contraires à Christ. Car qui entendit jamais que Jésus Christ fît bâtir des Écoles et Universités pour étudier ses Apôtres et Disciples ? Ne voit-on pas plutôt qu’il a méprisé les sciences humaines, vu qu’il a dit à Nicodème, un sage de ce temps-là : En vérité, en vérité, je vous dis que si vous n’êtes converti et devenu comme un petit enfant, vous n’entrerez point au Royaume des Cieux. Ce qui fut une menace bien grande, qui doit faire frémir tous les Savants ès lettres, qui s’élèvent pour leur savoir et ne sauraient posséder leur science comme ne la possédant point. Iceux sont assurés de leur damnation s’ils ne se convertissent et deviennent comme petits enfants, selon les paroles de Jésus Christ : pendant que les plus sages parents croient maintenant bien faire d’envoyer leurs Enfants aux études. Pauvres malavisés ! qui dépensez vos argents pour apprendre vos Enfants à disputer, là où Jésus Christ dit que nos paroles doivent être : Oui, oui ; et Non, non ; et que ce qui est dit hors de là est mal ! Voulez-vous donc dépenser vos biens pour apprendre vos Enfants à malfaire ? Et s’il faut rendre compte d’une parole oiseuse, combien grand sera le compte à rendre d’avoir passé toute sa vie en des études pas seulement oiseuses, mais infructueuses et mauvaises ?

Pensez sérieusement, AMI LECTEUR, à ce que Jésus Christ a fait et dit lorsqu’aucuns de ses Disciples l’abandonnèrent. Il ne dit pas aux autres qu’ils allassent disputer avec eux pour les convaincre et ramener, mais il leur dit : Voulez-vous vous en aller aussi avec eux ? Pour montrer que Jésus Christ ne veut pas des disputes ni des controverses entre les Chrétiens, entre lesquels il ne doit avoir qu’Amour et Charité, comme on lit qu’en l’Église Primitive tous les Chrétiens étaient unis dans une même volonté en Dieu. Et pour détruire cette Union, l’Esprit de l’ANTÉCHRIST a planté au cœur des Chrétiens le désir d’étudier, et a fait établir des Écoles et Universités afin de subtiliser les Esprits pour se bien contrecarrer et critiquer sur les choses les plus saintes : d’où naissent les mépris, les querelles et inimitiés de l’un contre l’autre : si bien qu’au lieu de s’aimer, comme Jésus Christ a ordonné, l’on se hait, voire se bat et se tue l’un l’autre. Et tout cela vient de l’ANTÉCHRIST, lequel a pris à tâche de contrecarrer les œuvres et la Doctrine de Jésus Christ dès le commencement qu’il s’est revêtu de notre mortalité. Le Diable s’est étudié à choquer et contrecarrer toutes les Institutions de Jésus Christ : et a si bien réussi, que jusqu’à présent il a presque assujetti tous les hommes sous ses Lois. En sorte que l’on devrait plutôt appeler maintenant l’Église de Dieu Antichrétienne que Chrétienne. Ce qu’un chacun peut voir en considérant qu’il y a si peu de personnes qui suivent la Doctrine de Jésus Christ, et si grand nombre qui suivent la Doctrine de l’ANTÉCHRIST, directement opposée à celle de Christ. Ce qui est un témoignage assuré que l’ANTÉCHRIST règne et a le dessus en la Doctrine de Jésus Christ.

Ce que les hommes n’aperçoivent : parce que le péché aveugle l’âme, et la rend stupide en son malheur. C’est des hommes de maintenant que l’Écriture dit : Ils ont des yeux, et ne voient point : ils ont des oreilles, et n’entendent point. Car y peut-il avoir plus grande surdité et aveuglement que de voir les comportements des hommes, et n’apercevoir qu’ils sont régis par l’Esprit de l’ANTÉCHRIST ? Ou plus grande surdité que de ne pas entendre que leurs sentiments sont Antichrétiens en les entendant prêcher mensonges et blasphèmes contre Dieu ? Car les uns disent que Dieu a choisi quelques hommes à la damnation et quelques autres à salut. Ce qui serait une grande injustice en Dieu, lorsque deux personnes ayant également péché, l’une serait sauvée et l’autre damnée. L’on prêche aux pécheurs impénitents qu’ils seront sauvés par les mérites de Jésus Christ : là où le même Christ dit : Si vous ne faites pénitence, vous périrez tous. N’est-ce pas une Doctrine Antichrétienne de dire qu’on sera sauvé sans pénitence, lorsque Jésus Christ dit qu’on périra assurément tous si l’on ne fait pénitence ? L’on a des oreilles pour ouïr prêcher ces choses, avec encore mille autres, qui sont contraires à la Doctrine de Jésus Christ, et l’on ne les entend point ! prenant plus à cœur la doctrine des hommes que celle de Jésus Christ, à cause que cette doctrine Antichrétienne flatte plus la nature corrompue que la Doctrine de Jésus Christ : c’est pourquoi l’on penche et s’encline plus à croire le mal que le bien, et l’on est bien aise lorsque les savants savent trouver des gloses et des raisons pour renforcer ou autoriser ce mal. Et l’on donne souvent de l’argent pour édifier des Académies et les renter, en pensant par là offrir sacrifice à Dieu, ou faire œuvre pieuse : quoique tout étant bien considéré, ces études ne servent qu’à controuver des raisons pour excuser les péchés et donner un faux repos aux pécheurs persévérants, qui ne veulent quitter leurs péchés et veulent cependant être sauvés. Et ces sages étudiants trouvent des gloses et des inventions pour leur promettre le salut de la façon qu’ils le veulent avoir, afin de les flatter et consoler en cette vie, sans prendre égard à l’éternité.

Voilà tous les fruits qui proviennent de ces études : puisqu’on ne les entreprend que pour apprendre à bien disputer et quereller son prochain. Aussi n’y trouve-t-on d’autre exercice. Les meilleurs disputeurs sont les plus estimés, et ont davantage de titres d’honneurs. Et par ce moyen s’accroît l’inimitié entre les Chrétiens, et s’augmente le Règne de l’ANTÉCHRIST. Car le Diable subtilise toujours l’Esprit des hommes pour inventer des choses nouvelles, qui les flattent ou excusent dans leurs péchés. Pour cela voit-on les personnes de maintenant avoir plus d’esprit que du passé, et plus d’adresse pour gagner de l’argent ou pour chercher leurs aises, leurs appétits et sensualités, ou friandises : à cause qu’ils appliquent leurs subtilités et adresses à toutes ces choses, au lieu de les appliquer à découvrir la volonté de Dieu, et la mettre en pratique.

Ce qui doit être le seul emploi du Chrétien : puisqu’il n’a autre chose à faire en ce monde que d’y opérer son salut ; n’y étant venu que dans une terre de bannissement, pour y faire pénitence : pendant que l’on y veut vivre comme dans un lieu de délices et de repos, se croyant heureux d’avoir la commodité de s’y bien traiter et dorloter : quoique cela soit un malheur pour le corps et pour l’âme, laquelle se précipite ès enfers en prenant ses délices dans des sensualités si viles, là où qu’elle ne doit prendre ses délices qu’en Dieu seulement. Et l’on voit par expérience que ces sensualités corruptibles rendent aussi l’homme malheureux quant à son corps : puisque l’on vit maintenant si peu sur la terre au regard de ce qu’ont vécu les Anciens qui nous ont devancé. Plusieurs ont passé en cette vie des centaines d’années par la sobriété de leurs aliments, et n’ont pas été sujets à tant de sortes de maladies comme sont les personnes d’à présent, qui par leurs excès et gloutonnies corrompent leur santé, amassent tant de mauvaises humeurs, qui souvent les font mourir avant le temps ; et en pensant faire du bien à eux-mêmes par les friands morceaux et l’excès de bonnes viandes, ils se font du mal et abrègent leurs vies, là ou les Anciens en buvant de l’eau et mangeant des viandes grossières sobrement ont prolongé leurs vies et demeuré en santé. Mais les hommes aveugles voient et savent ces choses tant par les Écritures que par expérience, et ne les veulent croire, encore moins suivre : et prennent leur malheur pour bonheur. Ce qui les rend misérables pour le temps et pour l’éternité.

Quoique ces étudiants leur donnent bonne espérance, en excusant leurs péchés, ils ne laisseront pour cela de périr éternellement ; puisque Dieu a voulu créer l’homme pour être aimé de lui de tout son cœur, et qu’icelui met son cœur et ses affections en des viandes corruptibles et en l’amour soi de même, en mépris de la fin pourquoi Dieu l’a créé. Dieu ne veut pas avoir des hommes esclaves pour les contraindre par arguments ou autre violence ; puisqu’il a voulu avoir des Enfants tous libres, sans être forcés à l’aimer que par la Loi d’Amour même. Et si l’homme ne le veut aimer volontairement de sa franche et libre volonté, il ne veut pas que les hommes contraignent l’un l’autre, pour les toujours laisser jouir de leur pleine liberté, que Dieu leur a premièrement donnée, sans qu’icelle soit en aucune façon altérée de personne.

En quoi se trompent grandement plusieurs Zéleux qui, par force, industries, ou autres moyens, veulent tirer les autres dans la perfection ou Religion là où ils ne veulent aller. Ces personnes, par leurs aveuglements, veulent être plus saintes et plus sages que Dieu, lequel veut tout par Amour et rien par force : là où les hommes veulent contraindre encore l’un l’autre à les suivre, et un chacun à faire ce qu’ils font eux-mêmes. Pour cela dit l’Écriture, ils assemblent des Docteurs selon leurs désirs, afin de gagner les autres à suivre leurs propres volontés, en prenant plus d’autorité sur leur prochain que celle que Dieu s’est voulu réserver pour soi-même. Pour cela Jésus Christ n’a jamais attiré ni contraint personne, disant seulement : Celui QUI VEUT être parfait vende tout ce qu’il a et le donne aux pauvres, et me suive. Il ne dit pas : je veux que vous soyez parfait, ou je veux que vous me suiviez ; mais si vous voulez me suivre ou être parfait ; laissant les hommes dans leur libre volonté de faire comme ils voudraient, usant toujours de ce même langage : comme lorsqu’il dit : Celui QUI VEUT venir à moi, qu’il renonce à soi, ou bien : QUI VEUT être mon Disciple, qu’il renonce à soi, prenne sa croix, et me suive : laissant ainsi toujours la personne libre de choisir le bien ou le mal, comme il lui plaît, comme il est libre de ce faire sans que Dieu le contraigne à rien : car il veut avoir le cœur entier tout libre. Ce qui doit confondre ces Sectaires, qui par forces d’arguments, de querelles et disputes veulent attirer les hommes à eux, voire les contraindre par force à les suivre : et une chacune Religion tire à soi au lieu de conduire à Dieu, voulant avoir le domaine l’un sur l’autre plus grand que celui que Dieu s’est voulu réserver sur l’homme.

C’est le sujet pourquoi l’on étudie et va aux Académies, afin d’acquérir par après des esclaves sur lesquels on veut dominer. Ce qui vient de l’ambition de l’Esprit de cet ANTÉCHRIST, lequel pousse toujours les hommes à s’élever par-dessus leurs semblables et à régir en Maîtres, en ayant beaucoup de sujets sous soi pour se faire honorer et estimer. Ce que Jésus Christ n’a jamais cherché, et a aussi toujours été méprisé et rejeté, disant de Lui-même : Je ne suis pas un homme, mais l’opprobre des hommes : ce qu’il est même maintenant en son esprit dans toute la Chrétienté, où l’Esprit de Dieu est estimé folie au peuple et scandale aux sages. Car qui ne voit aujourd’hui que les hommes en général estiment folie de refuser les honneurs, les états, et dignités ou richesses, lorsqu’on les peut légitimement avoir ? Et qui n’estime pour fou celui qui en ce monde pouvant vivre à l’aise, avoir ses plaisirs et commodités, se rend serf, prend le malaise et labeur pour la vie éternelle ? L’on estime une semblable personne folle. Ce que je sais par ma propre expérience. Car si tôt que je fus résolue d’embrasser la bassesse de Jésus Christ et de travailler à l’assistance du prochain, en me privant des plaisirs et commodités de ce monde, tous mes Parents, voire mon propre Père, me regardait comme une folle, disant à ses amis confidents : J’avais une brave fille, mais depuis qu’elle s’est mise la dévotion en tête, elle se trouble l’esprit et devient inutile à toute chose. Et lorsque je pris le régime de l’hôpital, qui était un exercice pénible et fâcheux, n’y ayant rien de plus importun que de régir des enfants de pauvres gens, mal morigénés, quelques fois brutaux comme des bêtes, mes parents venaient toujours me représenter la folie que je faisais de m’appliquer à un exercice si pénible, là où je pouvais vivre à l’aise et servir Dieu en repos avec les commodités que Dieu m’avait données : pensant par là témoigner leur sagesse et la folie mienne. Et je crois que tous les hommes qui vivent selon leur nature sont frappés de semblable sentiment, tenant, avec les Gentils, pour folie la bassesse de Jésus Christ : ce que les sages tiennent aussi pour scandale avec les Juifs, puisqu’ils ont horreur de sa pauvreté et crainte de ses mépris, voulant toujours être exaltés et honorés comme le sel de la terre, quoi qu’icelui soit tout corrompu. Car ils se scandalisent lorsqu’on n’a pas d’eux tant d’estime et d’honneur qu’ils désirent. En sorte que Jésus Christ leur est plus en scandale qu’il n’a été aux Juifs du passé.

Comment seraient-ils donc Chrétiens ou Disciples de Jésus Christ étant opposés directement à son Esprit ? Ne faut-il pas conclure qu’ils sont des vrais Disciples de l’ANTÉCHRIST, sans aller aux Académies pour aller disputer ces choses lorsque l’on voit que toutes leurs actions sont Antichrétiennes, rejetant même la vraie Doctrine Chrétienne, ne voulant souffrir qu’un autre la suive non plus qu’eux-mêmes ? Car depuis que Dieu m’a fait connaître sa pure vérité, et que je l’ai communiquée aux autres, j’ai été persécutée de ces Prêtres et savants, voire poursuivie à mort. Et tout de même que les Prêtres et Scribes ont mis Jésus Christ à mort, ainsi ceux qui sont aujourd’hui en même dignité me veulent aussi mettre à mort, et élèvent le peuple contre moi pour me poursuivre, persécuter, et tuer. Ce qu’ils ont jà pensé de faire en beaucoup de manières, comme de me faire arquebuser par les champs ou dans mon logis ; quelques fois par des poisons, autres fois présentant des sommes d’argent pour me venir meurtrir dans mon lit. Mais comme Dieu a promis par son Prophète que tous instruments dressés contre ses amis ne succéderont point, je l’ai souvent expérimenté ; et toutes les fois que ces Prêtres ont voulu me faire emprisonner ou condamner à une prison perpétuelle, je me suis toujours retirée en temps. En sorte que jusqu’à présent je n’ai pas encore été sous leur puissance, ne sachant si j’y viendrai un jour. Car le serviteur n’est pas plus grand que son Maître. S’ils ont bien tué le corps de Jésus Christ, ils pourront bien aussi tuer le mien pour la même doctrine que j’enseigne, qui choque la vie et les mœurs des Savants, ou pour mieux dire, qui choque la doctrine de l’Antéchrist, laquelle ils estiment et préfèrent à la doctrine de Jésus Christ, qui est maintenant mise en oubli, voire tout-à-fait méprisée et vitupérée par les gloses et explications de ces savants, qui s’efforcent à édifier le Régné de l’ANTÉCHRIST, les uns par malice, les autres par ignorance.

En sorte qu’un chacun édifie sa damnation au lieu d’opérer son salut. Et avec ce, l’on vit en paix et assurance au milieu de si grand danger, et l’on ne pense d’être encore arrivés à la fin du monde ni au Règne de l’ANTÉCHRIST. Ce qui est lamentable : puisque le péril ne s’amoindrira pour notre incrédulité, mais plutôt le péril s’accroît : puisque celui qui ne veut croire le goûtera et se laissera facilement séduire par ces mauvaises doctrines, qui en ont jà fait périr si grand nombre, quoique par ignorance, ce qui n’excuse point le péché : puisque celui qui pèche ignoramment va ignoramment ès enfers : à cause que celui qui a la volonté résolue de chercher, il aura bien le moyen de trouver. Et si l’ANTÉCHRIST a été jusqu’à présent caché, il est maintenant assez découvert par les Trois Traités que Dieu m’a inspiré d’écrire pour l’advertance aux bons, qui n’oseraient penser de si grands maux comme il y a dans toute la Chrétienté, quoiqu’il soit très véritable et hors de doute. Car si Jésus Christ a dit que de son temps il y avait déjà plusieurs ANTÉCHRISTS, combien ce nombre peut-il être augmenté depuis mil six-cents ans et plus ? Il y a bien plus de nécessité à savoir cela pour le salut de l’âme que de savoir la gloire du Paradis : puisque Dieu m’a fait cesser de parler de cette félicité éternelle pour découvrir le Règne de l’ANTÉCHRIST, afin qu’on s’en donne de garde, et ne s’en laisse tromper par des saintes apparences. Je ne laisserai de poursuivre ci-après les Traités du Nouveau Ciel et de la Nouvelle Terre pour vous encourager, Mon cher LECTEUR, à combattre cet Ennemi par l’Espérance de la Félicité éternelle : laquelle vous souhaite,

 

Ami Lecteur,                            

 

Celle qui aime votre âme.      

 

ANTHOINETTE BOURIGNON.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

INDICE DES MATIÈRES,

 

selon qu’elles sont marquées au haut de chaque page.

 

 

 

L’Antéchrist source de débats et d’erreurs.

Couvertures du règne de l’Antéchrist.

L’Antéchrist aveugle les hommes.

L’Antéchrist fait mépriser Christ.

La Foi renversée par la présomption.

Les grâces de Jésus Christ méprisées par un orgueil d’Antéchrist.

Preuves que l’on est Antichrétiens.

Voie de perdition, suivie.

Nécessité d’imiter les souffrances de Jésus Christ.

Nécessité d’imiter Jésus Christ.

Nécessité d’embrasser la Loi Évangélique.

Nécessité que chacun opère son salut.

L’Antéchrist domine en tout état.

Tous les Chrétiens sont Antichrétiens.

L’Antéchrist Auteur des Controverses.

Comment l’Antéchrist a affermi son Règne.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’ANTÉCHRIST

 

DÉCOUVERT.

 

TROISIÈME PARTIE.

 

I. Comment l’Antéchrist par les Écritures mêmes, et par l’oubli des Fondements de la Foi, et sous couvertures saintes, a produit entre les Chrétiens des disputes, haines, erreurs, Sectes, et divisions, contraires à l’Esprit de Christ. Plusieurs exemples de tout cela.

 

 

MONSIEUR,

 

Nous voyons toutes les opérations de l’ANTÉCHRIST, et ne les connaissons pas : à cause qu’il est si bien masqué du visage de JÉSUS CHRIST. Il sème sa zizanie entre les Chrétiens par les Écritures mêmes, persuadant un chacun de croire qu’il en a trouvé le vrai sens, quoi que tous soient divisés et contraires l’un à l’autre : car l’un appelle son frère Hérétique, et l’autre aussi ; haïssant chacun ce qui n’est pas conforme à la préoccupation de leurs esprits, condamnant et damnant l’un l’autre, sans que personne soit demeuré dans la droite vérité ; n’ayant aucune matière de disputer sinon pour soutenir que l’une de leurs corruptions serait moindre que l’autre. Car pour tout bien conclure, il faut avouer que tout est corrompu généralement ; et si l’une des corruptions était un peu moindre que l’autre, ce serait fort peu de chose, puisque toutes les corruptions également ne valent rien et doivent être jetées bien loin de nous plutôt que de les vouloir maintenir, colorer, ou blanchir.

2. Mais l’Esprit de Satan maintient ces disputes pour faire que les Chrétiens se haïssent l’un l’autre, parce qu’il sait bien que le S. Esprit dit que celui qui hait son frère est homicide [506]. Pour cela les tient-il en inimitié le plus qu’il peut sur des matières spirituelles et de Religion, afin d’avoir à la fin tout à foi. Il a presque tous les hommes temporels, et tire continuellement à soi ceux qui veulent être spirituels. Ne les pouvant gagner par des maux manifestes, il les pipe sous prétextes de vérité et sainteté, les conduisant par la S. Écriture, voire les plus hauts mystères de notre Foi, pour par là tirer toutes sortes d’erreurs et de blasphèmes contre Dieu.

3. En quoi l’on peut véritablement appeler notre temps dangereux, et confesse que le monde est à sa fin et au Règne parfait de l’ANTÉCHRIST. Car sa malice ne pourrait monter à plus haut degré que de se servir de toutes choses saintes pour se faire adorer comme s’il était Dieu. Il est bon à voir que le Diable a bientôt achevé de jouer son personnage sur le théâtre du monde, et que son règne tire à fin : parce qu’il ne saurait aller plus outre que de faire évanouir la vraie Foi de tous les cœurs des hommes : si qu’il a fait à présent.

4. Ce n’est pas de merveilles que le S. Esprit demande s’il trouvera bien encore la Foi lorsqu’il viendra ? Puisque ceux qui ont reçu sa lumière ne la sauraient plus trouver dans le monde, et par conséquent, plus de charité : car la Foi engendre l’Amour, et où il n’y a plus de Foi il n’y peut avoir d’Amour. Les FONDEMENTS DE LA FOI sont de connaître un seul vrai Dieu [507], qui porte en soi les qualités [508] de Tout-juste [509], Tout-bon [510], et Tout-véritable [511]. Voilà l’article de la vraie Foi d’un seul Dieu en trois Personnes. Le second Fondement est de croire que le même Dieu ne peut jamais malfaire [512] ; que toutes ses œuvres sont justes, bonnes, et véritables [513] ; et qu’elles seront éternelles [514].

5. Si l’on s’arrêtait à ce seul vrai Dieu en croyant à ses qualités essentielles, l’on n’aurait garde de faire tant de questions et d’arguments extravagants sur la Prédestination des hommes, ni sur la Personne de Jésus Christ ; non plus que sur sa Venue en gloire, et la Résurrection, et le Renouvellement de tout le Monde. Car si l’on croit que les œuvres de Dieu sont éternelles, l’on conclura facilement que le monde et toutes ses créatures seront à la fin rétablies en l’état de leur première création [515], voire avec plus de perfection qu’elles n’avaient au commencement. À cause qu’il a été donné à Adam un certain temps d’épreuve de sa fidélité à Dieu avant qu’il ait voulu perfectionner toutes choses. Et s’il fût demeuré fidèle, sans désobéir à son Dieu, il aurait encore reçu plus de grâces qu’au point de sa création : parce que Dieu est une fontaine de grâces, qui coule toujours sans se tarir. Ce qu’éprouveront ceux qui lui seront fidèles jusques à la fin du monde. Car Dieu ne changera jamais ses desseins, quoi que l’homme fasse. Cela doit être la vraie Foi de tous Chrétiens, et l’espérance qu’ils doivent avoir d’une vie éternelle après cette mortelle et passagère.

6. Et si l’on avait la Foi pour croire que Dieu est Tout-bon et que rien de mauvais ne peut sortir de lui, on ne pourrait jamais penser que Dieu damne les hommes : parce que cela est le plus grand mal du monde, et que rien ne leur pourrait arriver de pire que la damnation : bien loin de croire qu’il les aurait prédestinés à icelle. Car s’il y a une âme damnée, ce ne peut jamais être que contre la volonté de Dieu : vu que de sa volonté ne peut sortir que tout bien. Sur cette véritable supposition, un chacun peut voir que c’est la seule volonté de l’homme qui damne son âme : car Dieu ne peut coopérer ni consentir à sa damnation. Pour cela est-il écrit que ce n’est pas la volonté de Dieu qu’une seule âme périsse, mais bien qu’elle vive.

7. Et tout de même que c’est la seule volonté de Dieu qui donne le salut ; ainsi est-ce la seule volonté de l’homme qui donne la damnation. Il n’y peut avoir de mélange en ces deux choses : parce que la volonté de l’homme ne peut jamais bien faire ; non plus que la volonté de Dieu faire le mal. Et aussi longtemps que l’homme demeure dans sa volonté, il ne peut jamais se sauver. Car Dieu ne le peut sauver que de sa seule volonté ; et lorsque la volonté de l’homme n’est pas remise en la volonté de Dieu, il ne peut sauver son âme : à cause que Dieu lui ayant donné sa libre volonté, il n’y a plus rien : l’homme en peut jouir et user à bien et à mal, comme il lui plaît. C’est comme une chose donnée, qui n’appartient plus au donneur après le don ; mais à celui qui l’a reçu ; si ce n’est que le don soit rendu au donneur, il n’en peut plus autrement légitimement jouir. De même en est-il de notre salut, lequel Dieu a donné à tous les hommes en les créant ; et depuis leur avoir donné, il n’en est plus demeuré le Maître, jusques à ce que celui qui l’a une fois reçu lui rende de la libre volonté. Car personne ne peut sauver soi-même ; et la volonté, depuis qu’elle est corrompue, ne saurait avoir un bon désir jusqu’à ce qu’elle soit rendue à Dieu, lequel vit alors en l’âme et y opère les bons désirs et bons effets, et le salut éternel.

8. Voilà ainsi que notre salut dépend immédiatement de la remise de notre volonté à celle de Dieu ; car tout ce que notre propre volonté fait est assurément mauvais ; et il ne faut faire autre chose que suivre notre propre volonté pour être damné ; comme il ne faut faire autre chose qu’abandonner notre volonté à celle de Dieu pour être sauvé : vu que sa volonté est que tous hommes soient sauvés et que personne ne périsse. Il accomplit toujours sa volonté en nous sauvant sitôt que notre volonté est par nous remise en la sienne. Ce qu’il ne peut faire autrement, pour le don qu’il nous a fait de notre volonté.

9. Si l’on possédait ce Fondement de la Foi, il serait impossible d’avoir de si extravagants sentiments sur le fait de notre salut, et penser : Qu’aucuns sont prédestinés à la damnation, ou bien : Qu’on sera sauvé par les seuls mérites de Jésus Christ. Ce qui est contre la Foi de sa Justice, et de sa Vérité, et de sa Bonté. Et aussi longtemps que nous ne bâtissons pas nos sentiments sur le Fondement de ces trois Qualités de Dieu, toutes nos sagesses sont des ignorances, toutes nos révélations des illusions ; et toutes nos conceptions ne sont que des spéculations imaginaires : desquels défauts sont sorties toutes les erreurs, les divisions, et schismes que nous voyons maintenant dans l’Église, où presque tous les Chrétiens se méprisent et haïssent l’un l’autre. Dans l’Église Romaine chacun a son Patron. L’un tient l’opinion de S. Augustin ; l’autre de S. Ambroise ; l’autre de S. Jérôme ; et ainsi du reste : un chacun estime ce qu’il a choisi pour le meilleur et méprise tous les autres : car les Ordres et Religions mêmes les plus parfaites sont en combat et dissensions. En telle sorte que s’ils n’étaient pas soumis à un Chef supérieur, il est à craindre qu’on verrait entr’eux des guerres, comme on voit entre les Princes et États séculiers. Et ceux qui se sont retirés de l’Église Romaine, sous prétexte de quelque Réformation de ses abus, sont encore plus divisés, ayant forgé autant d’Églises diverses que la diversité des opinions de ces Réformateurs apparents, lesquels ont beaucoup plus difformé que reformé. En sorte qu’on ne trouve plus pierre sur pierre dans le Temple de Dieu. Le ciment de la charité étant ôté, toutes les pierres sont déjointes et séparées.

10. L’on ne vit jamais tant de Temples de bois et de pierres matérielles, ni jamais si peu d’âmes unies à Dieu, lesquelles seules composent le vrai Temple du S. Esprit, la véritable Église, et la seule Épouse de l’Agneau. Et cependant un chacun de ceux qui se font appeler Chrétiens se croient membres de l’Église : parce que le Diable a ainsi fabriqué et peinturé des Églises extérieures et matérielles pour suspendre les esprits et les empêcher de connaître quelle est la véritable Église : s’étant masqué du visage de Jésus Christ pour tirer tout le monde à soi [516], en disant : Christ est ici, et là : quoiqu’il ne puisse être nulle part sinon là où que son Esprit vit, duquel toutes ces Églises sont bien éloignées : car son Esprit est esprit d’amour et de charité, où tous ces Chrétiens sont possédés d’Esprit de haine, de discorde et divisions.

 

 

Couvertures du Règne de l’Antéchrist.

 

II. Que l’Antéchrist couvre et avance son Règne par des habitudes routinières de Lecture de l’Écriture Ste., d’Églises, de Prédications, de Prières, de Communions : à toutes lesquelles choses il incite les hommes, en bannissant d’elles l’Esprit et la charité de Jésus Christ.

 

11. Ne voit-on pas par là que c’est maintenant que règne l’Esprit de ce FAUX CHRIST, lequel est contre CHRIST, Fils de Dieu ? Parce que l’Esprit du vrai Christ n’est plus connu par ceux qui se nomment Chrétiens. Ils sont tous possédés de l’Esprit de ce FAUX CHRIST, sans l’apercevoir, parce que leur malheur leur est devenu insensible : à cause que le Diable a su si bien dépeindre l’Esprit de Christ d’une fausse couleur, qu’on ne sait presque apercevoir sa laideur. Il fait congréger les personnes comme représentant les Collèges des Apôtres et Disciples de Jésus Christ : mais il empêche bien que l’Esprit des Apôtres et des Disciples n’entre jamais dans ces congrégations, assemblées, ou Églises. Si l’on veut ouvrir les yeux, l’on verra assez que la communion des Ss. n’est pas dans ces Églises : car tout y est divisé, aussi bien intérieurement qu’extérieurement. Ils n’ont rien de commun que le seul Temple matériel, auquel ils se retrouvent ensemble : au surplus, leurs volontés sont divisées, voire leurs doctrines et sentiments, et surtout la bourse et l’argent.

12. Qui ne voit par ces vérités que toutes ces choses sont fondées sur l’Éprit du Diable ? Encore bien qu’elles soient masquées de belle apparence de service de Dieu, ou d’imitation des Saints, ce n’est en effet que tromperies et faussetés pour amuser les hommes, lesquels croient avoir entendu la Parole de Dieu en ayant prêché ou entendu les Saintes Écritures : quoiqu’en effet ils n’aient jamais soumis leurs volontés pour obéir à Dieu, mais suivi continuellement leurs volontés propres : car par les Écritures l’on découvre assez la volonté de Dieu : à cause que c’est le Vieux et le N. Testament que notre Père céleste nous a laissé par écrit ; et le diable ne nous empêchera pas de les lire assez souvent pourvu qu’il sache bien empêcher que ne les mettions à exécution.

13. Si un Enfant lisait continuellement le Testament de feu son Père ou le portait partout avec soi, pendant qu’en effet il ne mettrait à exécution les volontés que son Père a fait mettre sur ce papier, ne dirait-on pas avec vérité qu’un tel Enfant n’écoute pas la parole de son Père ? En peut-on moins dire de ceux qui si souvient lisent ou entendent les Testaments que Dieu notre Père nous a laissés pour faire connaître à ses Enfants sa volonté, sans toutes fois vouloir mettre à exécution ce que nous entendons si souvent dire qu’il a voulu ou demande de nous ? Encore bien qu’on porterait partout avec soi les livres ou papiers dans lesquels sont écrits ces Testaments, ou qu’on les entendrait lire continuellement, cela ne mettra jamais notre conscience en repos, ni ne donnera satisfaction à Dieu : parce que n’écoutons par effet sa parole pour lui obéir. Au contraire, de savoir et d’entendre la volonté de Dieu notre Père et ne la pas effectuer, c’est une double condamnation : car il est écrit que celui qui a su la volonté de son Père et ne l’a pas faite sera battu de beaucoup de coups. C’est ce que le Diable désire fort, pour la haine mortelle qu’il porte aux hommes. Il leur fait souvent lire et écouter les Saintes Écritures sans les pratiquer, afin qu’ils soient battus de beaucoup de coups : à cause que ceux qui ne les entendent pas bien, ou ne savent ce qu’elles commandent, seront battus de peu de coups, encore qu’ils aient fait choses dignes de plaies.

14. Ne voyez-vous pas par là, Monsieur, que c’est le Diable qui induit les personnes à souvent prêcher ou entendre les Écritures ? Car le bon Esprit de Dieu ne fait jamais choses inutiles. Il induira bien les hommes à entendre la Parole de Dieu pour apprendre ce qu’on doit faire et laisser ; mais sitôt qu’on a entendu ce qui est nécessaire, on se met en devoir de l’exécuter : comme un fidèle héritier de son Père lit avec attention le Testament ou le papier auquel sont écrites les intentions et dernières volontés de son feu Père ; mais après qu’il les a une fois bien entendues, il enferme ce papier en lieu sûr, et s’applique à mettre son contenu en exécution, sans plus revoir le papier jusqu’à ce qu’il lui survienne quelque doute ou difficulté sur icelui. Alors il le reprend pour s’en apaiser. Cela ont fait les Apôtres et premiers Chrétiens, usant ainsi des Sermons et Instructions de la Parole de Dieu. Car sitôt qu’ils l’avaient suffisamment enseignée ou apprise dans un lieu, ils s’avançaient en un autre pour donner à un chacun des enseignements autant qu’il en avait de besoin, et pas davantage : parce qu’ils savaient bien qu’il faudra rendre compte de toutes paroles oiseuses. Ils n’avaient garde de faire des Sermons oiseux et inutiles, si que font les Prédicateurs de maintenant, qui ne cessent de parler, et les auditeurs d’écouter mille fois les mêmes choses, sans jamais les mettre en effet.

15. Ne voit-on pas bien que tous ces Sermons ne sont que des Comédies que le Diable joue sur le Théâtre du monde en représentant les actions que Jésus Christ et ses Apôtres ont faites étant sur la terre? Il fait bien les mêmes morgues, mais n’a rien de son Esprit, auquel il contredit directement, même dans les choses extérieures. Car les Apôtres prêchaient simplement par le mouvement du S. Esprit ès rues, ès champs, ès maisons où ils trouvaient du peuple assemblé. Mais ces Nouveaux Prédicateurs doivent avoir bien étudié leur leçon avant monter en chaire, et être vêtus et parés à l’avantage, bien disants, et agréables aux yeux et oreilles de leurs Auditeurs. En sorte qu’au lieu de voir en eux la sainteté et humilité des Apôtres, l’on n’y voit que la vanité et orgueil.

16. Et avec tout cela, l’on a encore du mal à faire croire aux hommes qu’ils sont animés par l’esprit d’un FAUX-CHRIST : a cause que tout est coloré de service et Parole de Dieu : comme aussi est la Prière et la Cène, lesquelles ce mauvais Esprit n’a garde d’empêcher les hommes de les pratiquer, puisqu’il en sait tirer tous les avantages. Il souffre bien que les hommes prient et chantent ce qu’ils appellent louanges de Dieu ; voire il prie et chante avec, sachant bien que la bouche parle ce que le cœur ne pense point. La Prière n’est autre chose qu’une élévation de cœur à Dieu ; et les Chrétiens d’aujourd’hui ont leurs cœurs élevés aux prétentions des biens de la terre, y aspirant presque jours et nuits : les uns s’imaginants par quels moyens ils deviendront riches ; les autres comment ils pourront arriver à quelque état, office, ou bénéfice. Les autres pensent comment ils donneront à leur corps ses aises et plaisirs ; et ainsi du reste : un chacun ayant son cœur élevé à ce qu’il affectionne davantage.

17. Cependant ils croient d’avoir prié lorsqu’ils ont été aux Églises, dit les Prières communes, ou chanté quelques Psaumes ou Cantiques : mais ils n’ont rien fait que battre l’air : parce qu’il faut que la vraie prière vienne du fond du cœur et de l’entendement, parlant à Dieu dans nos affections ou nos besoins, le bénissant ou lui demandant sa grâce selon nos nécessités. Et lorsque notre intérieur est ému de ce faire, c’est alors prier : mais non pas par des routines ou de temps précis ou affecté seulement : car le S. Esprit dit qu’il faut toujours prier, et jamais cesser. Il ne nous peut demander des choses impossibles : mais nous n’entendons pas bien le S. Esprit, et traitons avec lui comme s’il était corporel et voulût de nous des services extérieurs, ou des routines de pensées et paroles bien composées, polies, et ordonnées par l’industrie des hommes à certains temps et heures. Toutes lesquelles choses ne regardent que le Civil et extérieur ; et ne peuvent être applaudies que par les hommes qui jugent selon leurs sens. Mais Dieu sonde les reins et examine les consciences, et veut qu’on ait toujours son cœur élevé à lui, et pas seulement quand l’on est aux Églises, ou à certain temps qu’on a pris à taxe de faire ses prières : parce que bien souvent l’on a lors le cœur moins élevé à Dieu qu’en autre temps : voire en allant et venant, ou faisant quelques autres choses nécessaires, l’esprit s’élève bien souvent de soi-même, ou Dieu l’attire plus fortement, que non pas à l’Église ou lorsque pour satisfaire aux autres ou à nous-mêmes nous préfixons le temps de prier.

18. Car ce serait donner des Lois à Dieu de l’obliger à venir nous entendre en certain temps et lieu pour accorder nos prières. C’est avec son valet qu’il faut ainsi traiter, et l’appeler lorsqu’il nous plaît, et le renvoyer lorsque n’avons plus besoin de ses services. Dieu certes, Monsieur, n’est pas notre valet, pour être obligé de venir seulement ès lieux et places, ou au temps que voulons l’appeler ; mais il le faut toujours écouter pour suivre sa volonté à toute heure et à tous moments. Voilà la prière continuelle que le S. Esprit requiert de nous : car il serait impossible de se trouver toujours aux Églises ou dans quelques lieux de prières : parce qu’il faut boire, manger, dormir, travailler, et toutes autres choses nécessaires qui empêchent cette prière extérieure, mais ne peuvent empêcher la vraie prière intérieure qui se fait par la seule élévation d’esprit à Dieu pour le bénir ou lui demander ses grâces. Le temps précis de nos prières doit être celui de notre besoin : et nous avons continuellement besoin de ses grâces : c’est pourquoi il nous faut continuellement prier, et jamais cesser ; c’est à dire, que notre cœur doit être toujours élevé à Dieu, ou pour le remercier des grâces reçues, ou pour lui en demander des nouvelles, en lui parlant continuellement pour savoir ce qu’il nous faut faire et laisser pour lui être agréable ; et ne rien faire sinon ce qu’on connaît être sa volonté. Si l’on se trouve en nécessité de boire, manger, dormir, ou travailler, que cela se fasse parce que Dieu l’a ainsi ordonné, le bénissant en toutes ces choses. Cela est la véritable prière continuelle, et non pas nos oraisons de routines, qui souvent se font sans aucunes élévations d’esprit à Dieu.

19. Car le Diable nous aveugle l’entendement pour nous faire croire au mensonge, en nous persuadant que nous avons prié lorsque nous nous sommes trouvés aux Églises ou prières communes qui se font à certains temps et heures : et l’on s’imagine que cela suffit : employant au surplus le temps à gagner ou dépenser argent, à prendre ses divertissements et plaisirs : auxquelles choses l’on a presque toujours l’esprit élevé, et l’attention de ses pensées : avec quoi l’on pense d’être bon Chrétien et d’avoir satisfait à Dieu : s’estimant encore davantage lorsqu’ordinairement l’on se trouve à la Cène ou à la Table du Seigneur : croyant d’être en la communion des Saints ou en union avec Jésus Christ, bien qu’il n’y ait rien de semblable : parce qu’on voit ces Communiants n’avoir non plus de charité que les autres, voire quelques fois plus superbes et endurcis, et plus éloignés de l’Esprit de Jésus Christ.

20. Les Turcs et Païens ont plus de soin d’assister le prochain, et plus de crainte de Dieu, que n’ont ceux qui fréquentent les Sacrements. Ils font seulement ces Cérémonies extérieures, et leurs cœurs ne s’y conforment nullement. En la Primitive Église, les Chrétiens s’assemblaient journellement pour manger ensemble, afin d’entretenir l’amitié, et faire que personne n’eût besoin de rien, et que les riches eussent nourri les pauvres, et que tous biens fussent communs pour le secours et assistance d’un chacun : à cause que tous n’étaient qu’un cœur et une volonté, l’on ne parlait point de mien et de tien, car tous les cœurs étaient unis en Jésus Christ, et personne n’avait rien de propre. Cette communion est laissée par tradition des Apôtres ; et Jésus Christ a dit : Faites cela en mémoire de moi : afin de maintenir la charité entre les frères Chrétiens, et de demeurer ensemble unis à Jésus Christ.

21. Mais on n’a plus retenu que l’écorce et l’apparence : pour l’esprit et la réalité, il est perdu et inconnu. L’on se trouve bien ensemble à la Table extérieure ; mais nullement uni de désir ni de volonté ni d’Esprit en celui de Jésus Christ : au contraire, chacun est divisé ou séparé, sans soin ni charité du prochain ; et au lieu de l’Amour, il y a souvent de la haine si grande entre ceux qui sont assis à la même Table, ou goûtant du même banquet, qu’ils souhaiteraient bien que le morceau lequel leurs frères mangent leur servît de poison. Car on sait assez que ceux qui haïssent leurs frères sont homicides devant Dieu en leurs âmes : et cependant ils ne laissent de se trouver à la Communion des Saints extérieurement ; parce que cela leur donne de la gloire d’être gens de bien, ou bons Chrétiens.

22. Le Diable tire de là de très grands avantages en ajoutant aux péchés des hommes l’hypocrisie, laquelle est fort abominable devant Dieu, lequel a dit qu’il jettera la fange de nos solennités sur nos visages [517] : donnant par là à entendre que toutes ces Cènes et solennités extérieures sont des fanges et des ordures qui nous couvriront le visage de honte et de confusions : car si souvent avons par des signes extérieurs approché de Dieu et nous uni à Jésus Christ pendant que notre cœur et nos affections en ont été bien éloignées. Je veux croire que plusieurs font toutes ces choses avec bonne intention, et que même aucuns s’y préparent à leur possible ; mais tout cela ne sont que des dévotions sensibles, qui ne mettent rien dans l’âme. On les voit bien un peu plus recueillis et dévots le jour de la communion qu’en autre temps, et on ne les trouve pour cela plus charitables par après, ni plus humbles, ni plus soumis à Dieu et renoncés à eux-mêmes ; encore bien qu’on prendrait les plus parfaits de notre temps, l’on ne les voit pas changer de vie pour aller souvent à la communion. Car ceux qui sont portés à l’avarice, à l’orgueil, etc., ils le sont encore autant après si longues communions que la première fois qu’ils les ont commencées, voire souvent encore plus attachés à leurs propres volontés.

23. En sorte que toutes ces dévotions extérieures ne sont que des amusements de Satan pour tromper les mieux-intentionnés, qui ne remarquent pas le véritable sens pourquoi ces choses sont ordonnées : car si les personnes étaient par la communion unies à Jésus Christ, elles deviendraient un Esprit avec lui, et ne vivraient plus à elles-mêmes, mais Jésus Christ vivrait en elles, témoignant assez par leurs actions extérieures qu’elles ne sont pas venues au monde pour faire leurs volontés, mais celle de Dieu ; qu’elles ne chercheraient plus leur gloire, ni n’amasseraient des trésors en la terre ; mais, à l’imitation de Jésus Christ, seraient patientes, douces et débonnaires, et humbles de cœur : car en s’étant uni à lui, on participe assurément de son Esprit, et on s’abandonne à la volonté de Dieu comme icelui a été abandonné jusqu’à la mort, et la mort ignominieuse de la Croix. Ce n’est pas qu’il soit de besoin que tous ceux qui sont unis d’esprit à Jésus Christ meurent tous si ignominieusement ; mais c’est qu’ils sont assurément soumis à la volonté de Dieu en toute chose, bien qu’il faudrait endurer la mort pour accomplir la volonté de Dieu, lorsqu’il le permettrait ainsi. Mais l’on ne voit pas la moindre disposition semblable dans les cœurs de ceux qui fréquentent les Sacrements : d’où on peut tirer un témoignage assuré qu’ils n’ont pas été unis à Jésus Christ par ces fréquentes communions extérieures, et qu’il est à craindre qu’ils ont plutôt reçu leur condamnation par la même chose qui leur devait donner la vie : puisque Jésus Christ dit : Qui mange ma chair indignement, il mange Son Jugement. Ne voyez-vous pas, Monsieur, que le Diable se sert maintenant de toutes les choses saintes pour condamner les hommes, leur faisant connaître et estimer tous les divins mystères pour en abuser et s’en servir à leur damnation ?

24. L’on pourrait demander s’il ne faut plus faire la Cène, aller aux Églises, ou prier extérieurement ? À quoi je répondrais qu’il ne peut être bon d’autoriser tant d’abus, de péchés, et d’hypocrisies. Mais je ne mépriserais pas ceux qui crieraient à Dieu du profond de leurs cœurs comme faisait David, priant de paroles, de voix, et de larmes extérieures, lorsque ces signes sortiraient de l’abondance du cœur et du fond de la pensée. Car le cœur qui est plein d’affections et de désirs ne peut toujours retenir sa voix ni ses larmes : vu que Jésus Christ même étant au Jardin des Olives parlait et suait sang et eau, en témoignage de la détresse où son cœur était oppressé. L’on ne peut blâmer les prières, les soupirs et les larmes qui sortent d’un cœur vraiment contrit ou d’un esprit vraiment élevé à Dieu ; non plus que l’assemblée ou communion des fidèles lorsque véritablement ils sont unis de cœur, d’âme, et de volonté à l’Esprit de Jésus Christ : car il est permis de témoigner et contester devant le monde qu’on est Chrétien et qu’on est participant de la Table du Seigneur : mais tout le malheur est que les usages de ces choses sont corrompus, et ces signes extérieurs sont tous faux témoins aussi longtemps que notre esprit n’est pas élevé à Dieu en priant, et que notre cœur et notre volonté ne sont pas conformes à l’Esprit de Jésus Christ.

25. Voilà toute la difficulté que je trouve dans les dévotions extérieures : sur quoi un chacun se doit bien examiner et voir si toutes ces cérémonies sont des véritables services qu’on rend à Dieu, ou si ce ne sont que des ordures [518] : et en tel cas, il les faut jeter bien loin de nous, craignant que Dieu ne les jette sur notre face, selon sa parole. Car il ne se faut pas laisser tromper. Les jugements de Dieu sont tout autres que celui des hommes, qui nous disent falloir pratiquer ces dévotions extérieures pour tâcher d’avoir par icelles la dévotion intérieure : pendant que la pratique nous fait voir tout le contraire. Car on ne vit jamais tant de solennités, tant d’Églises, de prières et de Communions, et si peu d’amour de Dieu et de charité au prochain. Faut-il être insensé pour charmer son malheur et ne point découvrir les pièges de notre ennemi, qui avance si fort à nous perdre, en promettant de nous sauver par des dévotions apparentes ? Car si elles étaient les véritables moyens de nous mener à Dieu, l’on ne verrait pas les hommes de maintenant s’en éloigner tous les jours davantage, et devenir pires par la pratique des choses saintes en apparence. Ne faut-il pas conclure de là que l’abomination de la désolation est maintenant dans le Sanctuaire, et que le Diable est assis au Trône de Dieu pour se faire adorer comme s’il était Dieu ?

 

 

L’Antéchrist aveugle les hommes.

 

III. L’Antéchrist, par esprit de présomption et de flatterie, aveugle les hommes pour ne se pas connaître, ni qu’ils n’ont point l’Esprit de Christ, ni même son extérieur lorsqu’il est bas. Exemple au lavement des pieds, que quelques-uns n’ont que par singeries.

 

26. Qui peut encore douter après tant de vérités mises au jour que nous ne vivions à présent dans le Règne de l’ANTÉCHRIST, et que l’Esprit de Jésus Christ ne règne plus à présent dans les âmes ? Un chacun se laisse dominer par un esprit qui est tout contraire à celui de Christ ; et avec cela, il y a une si grande hypocrisie dans les esprits des hommes, qu’un chacun pense être au chemin de son salut, voire dans celui de la perfection. Les uns disent qu’ils sont Enfants ou élus de Dieu ; les autres croient d’être conduits par la Lumière du S. Esprit, et ceux qui fréquentent les Églises et les Sacrements se disent des véritables Chrétiens. En sorte que tous les hommes sont en des si grands aveuglements, que personne ne discerne plus l’Esprit de CHRIST hors de l’ANTÉCHRIST, parce qu’à l’extérieur l’ANTÉCHRIST paraît plus saint et parfait que le véritable CHRIST.

27. C’est pourquoi je me trouve maintenant si aliénée des hommes, que je ne les sais plus converser avec utilité : car les méchants découverts sont si arrêtés dans leurs malices, qu’on perdrait temps à les en vouloir retirer ; et ceux qui semblent bons sont aussi si opiniâtrés à leurs préoccupations d’esprit, qu’il n’y a nuls moyens à leur faire voir la vérité. Un chacun pense avoir le meilleur, et se tiennent à ce qu’ils se sont imaginés d’être bons. Ils sont remplis d’eux-mêmes, pendant qu’ils n’ont pas seulement faim et soif de la Justice. L’un se tient dans ses exercices de dévotions ; l’autre aux lectures et belles spéculations ; et l’autre à l’opinion qu’il a d’être conduit du S. Esprit : pendant que de tous les hommes que j’ai connus jusqu’à présent je n’ai pas trouvé un seul qui ait atteint l’Amour de Dieu, ou la vraie Charité. Je crois que c’est de ceux-ci que le S. Esprit dit : Malheur à vous, riches, qui êtes remplis : car vous aurez faim. Il faut que je les laisse, à cause qu’ils pensent être riches : quoiqu’en effet ils soient pauvres. Je crains qu’ils auront seulement faim et soif de la justice lorsqu’il sera trop tard, et que le temps de la miséricorde sera passé ; qu’ils ne trouveront pas alors à rassasier leur faim.

28. J’ai grand pitié de les voir périr, et ne les peux aider sans leur consentement. L’Esprit de l’ANTÉCHRIST les a aveuglés sans qu’ils le veulent reconnaître. Si on leur dit qu’ils ne sont pas des vrais Chrétiens, ils s’en offensent, et se voudraient venger de ceux qui leur portent des nouvelles si salutaires, la croyance desquelles leur doit éveiller l’esprit pour demander et chercher après les moyens de le devenir : car encore bien qu’on aurait véritablement acquis quelques vertus, l’on n’est pourtant arrivé à l’amour de Dieu ni à l’état d’un vrai Chrétien. Le S. Esprit dit : Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait [519]. Si l’on tendait à cette perfection, l’on n’aurait garde d’être rempli lorsqu’on a seulement quelque chose de mystique dans l’entendement ; ni de se dire riche lorsqu’on a acquis quelques vertus apparentes : car on sera toujours aussi longtemps vraiment pauvre qu’on n’est pas arrivé à l’Amour de Dieu, lequel on ne peut jamais posséder avant avoir quitté l’Amour de soi-même et de toute autre chose hors de Dieu. Si peu de personnes ont fait cela, et si grand nombre disent d’aimer Dieu et être Chrétiens ! quoiqu’en effet ils n’aient ni l’une ni l’autre de ces choses ; voire, ne savent pas bien ce que c’est d’aimer Dieu ni d’être vrais Chrétiens : et n’ayant pas bien pénétré ce que c’est de l’Esprit de Jésus Christ, ils ne savent comprendre ce que c’est de l’Esprit de l’ANTÉCHRIST.

29. L’Esprit de CHRIST est le S. Esprit, bon, juste, et véritable : l’Esprit de l’ANTÉCHRIST est un Esprit mauvais, trompeur, et menteur. Ce sont deux Esprits qui peuvent tous deux résider dans l’âme des hommes, y opérant chacun leurs qualités à bien ou à mal, selon le consentement de l’âme. Ces deux esprits seraient très faciles à discerner si le Diable ne s’était pas revêtu du manteau de Christ et de toutes les œuvres qu’il lui a vu faire, hormis celles qui tendent à humilité : pour cela il n’imite pas Jésus Christ ès choses qui en elles-mêmes soient humbles. Il induit bien à communier ou tenir la Cène, parce que cela se fait avec honneur et parade : mais il n’incite pas à laver les pieds les uns aux autres, quoique Jésus Christ l’ait fait avec plus de solennité que non pas la Cène, et commandé de faire cela les uns aux autres [520] : mais à cause que c’est un office vil, le Diable ne le met pas en vogue. Il y a bien quelques particuliers qui le font une fois par an au temps de la Passion ; mais ce ne sont que les morgues extérieures, comme des autres choses. Jésus Christ a institué le lavement des pieds pour enseigner aux Chrétiens la charité fraternelle et montrer comment ils doivent se servir l’un l’autre au besoin en des choses les plus viles, comme de laver les pieds aux Pèlerins lorsqu’ils sont sales et lassés du chemin. Mais quand on veut remémorer ce mystère divin, l’on ne va pas chercher les pauvres, sales, et recrus ; mais avec toute magnificence on fait semblant de laver les pieds de ceux qui n’ont pas cheminé, même après qu’ils les ont bien lavé eux-mêmes : et on ne voit pas que c’est une moquerie de la charité que Jésus Christ nous a voulu enseigner en ce mystère ! Le Diable faisant ainsi partout le singe pour imiter les œuvres de Jésus Christ, en méprisant son Esprit par lequel seul nous pouvons être sauvés.

 

 

L’Antéchrist fait mépriser Christ.

 

IV. L’Antéchrist porte quelques-uns à ravir à Christ sa Divinité, même à dédaigner de le prier, quoique les Saints puissent l’être : combien plus le doit être J. C. qui, en tant que Vrai Dieu Éternel, peut seul nous sauver par soi-même ; et en tant qu’homme, est le Médiateur de notre Salut.

 

30. Car jamais personne n’a été sauvé et ne le sera que par l’Esprit de Jésus Christ. Il n’y a qu’un Dieu et qu’un S. Esprit, qui est l’Esprit du seul vrai Dieu [521], lequel prit sa résidence dans le corps de Jésus Christ [522], et personne ne peut être sauvé que par le même Esprit de Jésus Christ. Ces pointilleux qui débattent que Jésus Christ n’a pas été de toute éternité, sont bien ignorants ; vu que l’Esprit Saint qui a animé son âme, et nous a enseigné par lui, est le Vrai Dieu qui fut de toute éternité. Il a parlé aux hommes quelquefois par des tonnerres, des éclairs, des voix et des nuées ; mais en son temps il a parlé par le corps de Jésus Christ comme son fidèle organe [523], dans lequel il n’a jamais trouvé nulle opposition, ni un seul moment de séparation d’avec cette Divinité éternelle [524].

31. Mais les hommes, au lieu de s’étudier à pratiquer les leçons que Jésus Christ leur a enseignées, ils appliquent leurs esprits à pénétrer les secrets divins pour leur damnation : à cause que ces disputes et spéculations des mystères divins leur engendrent un mépris de Jésus Christ sans qui ils n’auraient jamais pu obtenir le salut. Il est leur Sauveur, Rédempteur, et Médecin de leurs âmes : pendant qu’ils disent qu’il ne le faut pas prier et qu’ils foulent aux pieds son image et ressemblance. Ce qui est bien abominable, d’entendre ceux qui portent le nom de Chrétiens mépriser l’Auteur du Christianisme. Ils veulent prendre Jésus Christ comme une chose mystérieuse qu’on ne sait comprendre ; et dans cette incompréhensibilité ils en prennent matière de le mépriser.

32. Si ces personnes n’étaient pas possédées de l’Esprit de l’ANTÉCHRIST elles ne pourraient jamais venir à telles extrémités que de mépriser Jésus Christ, encore bien même qu’ils ne sachent comprendre comment il est Dieu de toute éternité : à cause que les mystères de Dieu sont toujours adorables en eux-mêmes, et sommes obligés d’adorer ce que ne savons comprendre : et encore bien qu’il n’y aurait autre chose en Jésus Christ que la seule humanité, si serait-elle encore très honorable, vu qu’icelle nous a montré l’exemple de toutes sortes de vertus et de bienfaits. Si le peuple d’Israël eût pu avoir le corps de Moïse après sa mort, il était à craindre qu’ils en fussent devenus Idolâtres, pour l’estime et le respect qu’ils lui portaient, en sachant qu’il avait parlé au Seigneur et leur annoncé ses volontés. Pour cela Dieu a permis que son corps demeurât caché et le lieu de sa sépulture inconnu [525]. Ces personnes si grossières et ignorantes ont porté tant d’honneur et de respect à un simple homme, parce qu’il leur était envoyé de Pieu comme son Prophète ; et ces Chrétiens malavisés n’ont pas de honte de mépriser Jésus Christ, le Roy de tous les Prophètes ! Quel mal ont-ils trouvé en Jésus Christ pour le mépriser ? L’on voit qu’en toute sa vie il a bien fait à tous, et jamais aucun mal à personne. Pilate même, qui l’a condamné à mort, dit qu’il ne trouve nul mal en lui. Les Juifs ont eu par lui leurs malades guéris, leurs aveugles illuminés, leurs démoniaques délivrés, leurs boiteux redressés, leurs morts ressuscités : avec tant d’autres bénéfices ; et encore qu’il ait été d’eux maltraité et mis à mort, il n’a jamais rendu mal pour mal, mais tout souffert avec patience, priant même pour ses ennemis encore au détroit de la mort. Tout cela sont des effets d’une grande bonté et perfection très aimable et estimable : encore bien même que ces aveugles ne sauraient comprendre comment Jésus Christ est Dieu (par union de sa Divinité avec son humanité, laquelle a participé de cette divinité), si le doivent-ils honorer et prier comme un grand Saint et Prophète de Dieu, lequel fait la volonté de ceux qui l’aiment [526].

33. Si ces malavisés étaient dans la communion des Saints, ils sauraient assez que tout est commun entre iceux, et qu’ils sont tous membres d’un même corps [527] : si le pied est blessé, la main le soutient et le cure ; et si le bras est foulé ou rompu, les pieds le portent en place et lieu où il puisse être reguéri. Ainsi en est-il du corps mystique de l’Église de Dieu. Les vrais membres d’icelle sont toujours contribuants au secours les uns des autres, et ne sont jamais séparés [528], ni ne seront à toute éternité : car ceux qui sont morts au Seigneur sont encore vivants en l’union de la Sainte Église, aussi bien que ceux qui restent dans le corps mortel pour achever leur pénitence. En sorte que tous les corps et les âmes des fidèles, tant vivants que trépassés, se peuvent aider et secourir l’un l’autre lorsqu’on requiert secours avec humilité de cœur, comme les malades requièrent l’assistance de ceux qui sont encore bien dispos. Ceux qui sont passés heureusement de cette misérable vie et sont morts au Seigneur sont les Saints membres de l’Église de Dieu [529] ; et ceux qui sont encore dans le corps mortel sont les membres du même corps, mais sont malades et infirmes, ayant besoin de secours et d’assistance. C’est pourquoi il ne faut pas mépriser la coutume de ceux qui invoquent les Saints qui sont décédés de ce monde, comme s’ils ne pouvaient savoir nos nécessités ni entendre nos oraisons : à cause qu’ils ne sont jamais séparés de nous ; mais toujours unis et liés par le lien de charité à ceux qui vivent sur la terre en la même charité ; et même leurs âmes bienheureuses nous accompagnent encore après la mort. Car il ne se faut pas imaginer qu’il y ait quelque lieu précis au dessus des nues pour le Paradis des âmes : parce qu’étant des esprits, elles n’ont pas besoin de lieu de consistance. Leur Paradis, c’est Dieu : et étant en Dieu, elles sont partout et n’ont besoin de chemin ou de navires pour venir à nous, non plus que n’ont besoin nos pensées pour voler à elles : étant tous esprits, ils se voient et entendent en Esprit lorsqu’ils sont en Dieu, soit que leur corps soit mort ou vivant.

34. Mais ces âmes brutales, qui ne connaissent que la terre et la chair, n’entendent point les choses de l’Esprit [530], et blasphèment contre Dieu et les Saints par leur grossière ignorance et malavisé jugement, qui par orgueil ne se veut soumettre à ce qu’ils ne comprennent par leurs sens brutaux. Ils ne font pas si grand mal de ne vouloir prier les Saints ; à cause qu’iceux ne les peuvent sauver immédiatement, sinon les secourir comme Médiateurs auprès de Dieu pour leur obtenir ses grâces : mais Jésus Christ, comme DIEU et HOMME, nous peut sauver immédiatement si nous le voulons suivre : parce qu’il est le Vrai Dieu Éternel, qui seul peut sauver en tant que Dieu [531] ; et est notre Médiateur, notre Maître, notre Médecin en tant qu’homme [532], lequel s’est constitué notre Pleige et Caution pour obtenir notre délivrance. En sorte que ce sont bien des misérables créatures qui disent de ne vouloir prier Jésus Christ : puisque le Salut de tous les hommes dépend de lui et que sans lui personne ne peut être sauvé [533]. Il faut bien que le Diable ait grande puissance sur de semblables créatures pour leur faire mépriser Jésus Christ et ne le vouloir prier.

 

 

La Foi renversée par la présomption.

 

V. L’Antéchrist fait séparer les trois qualités de Dieu par les uns sous prétexte de la satisfaction de J. C. ou présomption d’élection ; et par les autres, croyant de faire d’eux-mêmes tant de bien que de mériter la vie éternelle. Choses qui sont contre les Fondements de la Foi ci-dessus ; et sont impossibles. But, utilité et fruits de la pénitence et des bonnes œuvres.

 

35. À quel point d’extrémité de malheurs sont maintenant arrivés tous les hommes pour avoir perdu les FONDEMENTS DE LA FOI ! Ils se sont tellement égarés dans leurs erreurs qu’ils sont presque rendus incapables de voir ou entendre la vérité, chacun errant selon son sens : encore bien que leurs erreurs soient toutes contraires, elles sont pourtant autant préjudiciables au salut les unes que les autres : erreur est erreur ; et tout ce qui n’est pas sorti (ou provenu) de la vérité de Dieu est tromperie et damnation. En sorte que la plupart des hommes sont au chemin de l’Enfer pensant être en celui de salut, passent ainsi la vie et meurent misérablement, sans l’apercevoir, et même croyant leur salut assuré. Cela est lamentable et digne d’être pleuré avec larmes de sang. Qui ne s’étonnerait de voir si grand nombre de personnes périr l’une par l’eau, l’autre par le feu, sans l’appréhender ? Celui qui le voit de loin en est tout transi de crainte, où celui qui est dans le danger ne l’appréhende nullement.

36. Il faut bien prier Dieu qu’il envoye sa lumière sur la terre pour éclairer ces aveugles qui disent de voir. Pour cela sont-ils aveugles, car s’ils connaissaient leur aveuglement, ils seraient guérissables ; mais parce qu’ils disent de voir, ils demeurent aveugles, sans vouloir prendre de remèdes à leur aveuglement. Ceux qui périssent par le feu sont ceux-là qui disent que Jésus Christ a tout satisfait pour eux et ne se mettent en devoir de satisfaire aucune chose ; ou qui attendent le salut par la seule Bonté de Dieu, sans sa Justice et sa Vérité. Si grand nombre ont été dévorés et brûlent encore aux Enfers après la mort : à cause qu’ils n’ont pas voulu reconnaître la Justice de Dieu durant cette vie, ils la goûteront à toute éternité dans l’autre. Ayant voulu jouir en ce monde de la seule Bonté de Dieu, il faut de nécessité qu’ils jouissent de sa seule Justice en l’autre. Puisqu’ils n’ont point voulu souffrir les trois qualités de Dieu ensemble, il faut qu’ils les souffrent séparément. Le temps qu’ils choisissent pour jouir de la seule Bonté est fort court en cette vie, et prendra bientôt fin ; mais le temps qu’ils choisissent pour jouir de la seule Justice de Dieu est de longue durée et ne finira jamais. Ils se sont flattés pour se perdre durant cette misérable vie, qui passe si légèrement ; et ne voulant faire de pénitence temporelle, se soumettent à la pénitence éternelle [534] : comme font aussi ceux qui périssent par l’eau de pénitence en ce monde, lorsque par icelle ils veulent mériter le Paradis. Ceux-là se soumettent à la pénitence éternelle par la pénitence temporelle.

37. L’un et l’autre sont conduits par l’Esprit de l’ANTÉCHRIST, qui aboutit toujours à la superbe et orgueil, quoiqu’il la couvre d’humilité et de piété apparente. Il semble que ce soit une chose pieuse de croire que Jésus Christ ait tout satisfait pour notre salut ; et que c’est une espèce d’humilité de se tenir fragile et incapable de faire quelque bonne œuvre. Mais ce n’est qu’un faux masque avec lequel le Diable cache son orgueil. Car si l’on examine bien le fond, pourquoi l’on veut croire que Jésus Christ a tout satisfait, l’on trouvera que ce n’est qu’une superbe présomption d’être élus ou enfants de Dieu, lesquels méritent le salut sans rien faire : comme les Enfants des riches parents, qui se présument de pouvoir librement prodiguer et débaucher, à cause qu’ils savent que leurs Pères sont riches : pendant qu’en effet cette croyance et présomption en a rendu plusieurs misérables en cette vie même, comme seront assurément à toute éternité ceux qui prodiguent les grâces de Dieu et passent le temps de pénitence en des divertissements plaisants, sur la croyance que Dieu est bon et qu’ils seront sauvés par les mérites de Jésus Christ. Ce qui est une superbe présomption : en ne voulant rien faire pour moyenner leur salut, croyant qu’il leur doit arriver comme s’ils en étaient propriétaires : en disant de bouche qu’ils sont trop fragiles pour opérer le bien, pendant que leurs cœurs sont enflés d’orgueil de s’estimer dignes de mériter la vie éternelle par leur élection.

38. Voilà ainsi que le Diable cache la superbité de son esprit sous des faux titres d’humilité : car ces personnes ne sont pas trop fragiles pour bien conduire leurs négoces et amasser de l’argent. S’ils employaient le même soin et la même vigilance pour les affaires éternelles, ils ne seraient que trop capables d’imiter Jésus Christ. Ce n’est rien qu’un ensorcellement d’esprit qui les fait s’imaginer qu’ils ne sont pas obligés à ce faire ou qu’ils n’ont pas la capacité. Comme aussi sont atteints du même charme ceux qui rejettent la Satisfaction de Jésus Christ ou veulent mériter salut par leurs bonnes œuvres. Ceux-là sont dans la même présomption d’esprit en s’élevant dans les pensées de pouvoir mériter le Ciel. Ce qui est une grande tromperie. Car que pourrait jamais mériter un pauvre rien si qu’est l’homme ? Quel mérite pourrait sortir d’une chair corrompue comme est la nôtre ? Tout ce que l’homme a en ce corps mortel n’est que temporel : comment donc pourrait-on en cette vie mériter la vie éternelle ? L’on achèterait plutôt un Royaume ou Empire de ce monde pour un denier qu’on ne pourrait acheter la vie éternelle pour tous les bienfaits ou pénitences de tous les hommes ensemble. Car l’Empire ou le Royaume de ce monde n’est que temporel non plus que le denier ; mais la vie bienheureuse est une chose éternelle et divine : en sorte que rien de créé ne la peut jamais acheter ni mériter ; parce que la vie éternelle est plus grande et estimable que toute chose : rien de créé ne lui peut-être comparé ; et encore moins les œuvres des hommes pourraient être le prix de sa valeur.

39. C’est pourquoi ceux qui font pénitence ou autres bonnes œuvres pour mériter la vie éternelle sont grandement à plaindre : parce qu’une semblable croyance provient d’une superbe cachée, qu’on s’imagine être d’un bon esprit. L’on se peine en vain en faisant pénitence pour ce sujet. Aussi voit-on ordinairement ceux qui font leurs bonnes œuvres pour mériter la vie éternelle avoir le cœur fort superbe et mépriser leurs prochains ; parce qu’ils pensent de trafiquer avec Dieu en marchandant son Paradis pour leurs bonnes œuvres, et n’estiment jamais les personnes qui ne font pas le semblable, les méprisant comme gens de moindre étoffe et indignes de leurs compagnies ou communautés. Et cependant tous leurs mérites sont vains, et leurs bonnes œuvres des péchés de superbe. Car Dieu n’a à faire de rien, ayant tout en soi-même [535]. Il ne veut pas vendre son Paradis, mais l’a créé pour le donner aux hommes gratuitement. L’on peut bien penser que les hommes n’avaient fait aucunes bonnes œuvres ni rien mérité lorsque Dieu a créé le monde, au milieu duquel il a placé le Paradis pour leurs corps, où ils doivent vivre éternellement. Et lorsque Dieu a résolu de créer l’homme à sa ressemblance pour prendre ses délices éternellement avec lui, l’homme ne pouvait alors rien avoir mérité, puisqu’il n’avait pas encore reçu l’être et était dans le néant d’où Dieu l’a tiré par sa seule miséricorde. Il lui a donné l’être par grâce, et l’a fait par là même digne de sa conversation divine, lui donnant gratuitement la jouissance de sa Divine Union, pour toute l’éternité recréer son âme ; et par la même grâce il lui donne tout ce beau monde que voyons, lui assujettissant toutes les choses qu’il avait créées en icelui, afin de recréer à toute éternité son corps. Et tout cela s’est fait par la seule grâce et bien-veuillance que Dieu avait pour l’homme avant même qu’il eût été tiré de son néant [536].

40. Si Dieu a donné dès le commencement à l’homme la vie éternelle et le Paradis par pure grâce, comment serait-il possible qu’il les voulût maintenant vendre pour quelques œuvres imparfaites et corrompues que feraient les hommes ? Dieu est-il devenu pauvre pour avoir besoin de nos aumônes ou mérites ? Ne faut-il pas plutôt croire que l’ennemi de notre bien nous met ces imaginations dans la tête pour maintenir les hommes en orgueil et empêcher qu’ils n’entrent jamais en la vie éternelle qui est bienheureuse, les uns en les faisant penser qu’ils sont élus ou Enfants de Dieu, à qui le salut ne peut jamais manquer ; et aux autres leur faisant croire que la vie éternelle est à vendre pour le prix de leurs bonnes œuvres ? Ce qui est autant abusif l’un que l’autre : à cause que Dieu donne toujours toute chose par grâce et n’a aucun besoin de nos bonnes œuvres, et n’est aussi partial [537] : mais nos péchés seuls ont besoin de pénitences, de larmes, et prières, pour en obtenir le pardon ; et les Conseils Évangéliques nous sont d’observance nécessaire si nous voulons recouvrer la grâce qu’avons perdue par nos péchés.

41. Car on ne peut jouir de la grâce de Dieu sans désister du péché ; et l’on ne peut jouir du Paradis sans posséder la grâce de Dieu. Ces deux choses étant affectées l’une à l’autre vont toujours de pair. Nous ne pouvons avoir le Paradis que par grâce [538] ; et ne pouvons aussi avoir la grâce qu’en désistant du péché [539] ; et ne pouvons désister du péché que par le moyen des bonnes œuvres [540] : en sorte que si l’on ne prenait des sens contraires aux paroles, l’on pourrait dire que c’est par nos bonnes œuvres que nous méritons le Paradis : à cause que par icelles nous le méritons indirectement : car les bonnes œuvres faites avec droite intention obtiennent la Miséricorde de Dieu et le pardon de nos péchés [541], lequel pardon remet nos âmes en la grâce de Dieu, laquelle grâce mérite la gloire éternelle. En sorte que véritablement les bonnes œuvres méritent cette gloire éternelle indirectement. Mais la superbe intention des hommes fait que toutes leurs bonnes œuvres ne peuvent rien mériter. Car ils pensent que Dieu leur est obligé de leur donner son Paradis pour leurs bonnes œuvres ; et Dieu donne tout pour rien aux âmes qui sont en sa grâce.

42. Mais le Diable a de si fins traits et de si subtiles inventions, qu’il fait perdre les mieux vivants par des bonnes œuvres et choses les plus saintes, pouvant véritablement dire qu’il est maintenant assis dans le Sanctuaire, et y fourre son abomination [542]. Lorsqu’on dit qu’il sera assis au Trône de Dieu et se fera adorer comme s’il était Dieu [543], ce n’est pas à dire qu’il sera seulement assis dans les sièges honorables des dignités Ecclésiastiques, si qu’aucuns veulent croire : car le Diable n’a que faire de siège matériel : parce qu’il n’a pas de corps : étant seulement esprit, il se fait suivre et adorer en esprit par tous ceux qui n’ont pas la lumière de Dieu et suivent leur lumière naturelle, laquelle n’est capable de découvrir les fines ruses de ce vieux Serpent qui s’est masqué du visage de Jésus Christ et incite à faire des bonnes œuvres par orgueil et pour faire présumer la vie bienheureuse à ceux qui en sont bien éloignés et ne la peuvent acquérir par le sens qu’il leur propose, de gagner le Paradis par leurs mérites, sous des traits si subtils qu’on ne les sait presque apercevoir : à cause qu’il se glisse seulement dans l’intention des personnes pour corrompre leurs œuvres bonnes et les choses les plus parfaites. Pourquoi l’on peut véritablement dire qu’il est entré dans le Sanctuaire, y corrompant les choses les plus saintes.

43. Mais celui qui veut remarquer de bien près, il découvrira bientôt qu’il y a maintenant de l’orgueil caché dans les choses les plus saintes. Le Diable est, passé longtemps, entré dans les trafics et négoces pour y apporter la fraude ; et aussi dans les états et offices pour y apporter l’esprit d’avarice ; et dans les dignités pour y apporter son esprit de superbe. Mais après avoir assujetti tout cela sous sa Loi, il y soumet encore à présent les mieux intentionnés, et ceux qui ont renoncé aux biens, honneurs et grandeurs de la terre pour suivre Jésus Christ. Ceux-là ne sont pas soumis au Diable par les péchés communs à tous les autres qui suivent l’orgueil, l’avarice, et la tromperie ouvertement ; mais ils y sont soumis par une présomption intérieure et spirituelle qui leur fait croire de mériter le Paradis par leurs bonnes œuvres. Si les mêmes œuvres se faisaient avec humilité de cœur et contrition de leurs péchés (pour auxquels remédier ils se macérassent le corps et donnassent quelque partie de leurs biens aux pauvres [544], afin de dégager leurs affections des biens de la terre pour aimer ceux qui sont éternels), ce serait le vrai moyen de retourner à Dieu et obtenir le pardon de ses péchés : à quoi seulement toutes nos bonnes œuvres peuvent servir, et à rien d’autre.

44. Si cette vérité était connue de ceux qui font profession de vertu et de vivre spirituellement en faisant des bonnes œuvres, on les verrait plus humbles que les autres, et n’aurait garde de mépriser ceux qui ne font pas les mêmes choses qu’eux : parce qu’ils croiraient facilement qu’un autre n’a pas tant de vices à surmonter ni de péchés à pleurer comme ceux qui font beaucoup de bonnes œuvres ; puisqu’icelles ne servent qu’à bien tempérer notre vie et à obtenir pardon de nos péchés. Car en effet le juste n’a besoin de Loi ni de bonnes œuvres [545]. Si ceux qui les font avaient cette humilité d’esprit pour croire qu’ils sont obligés à faire beaucoup de bonnes œuvres, à cause qu’ils sont chargés de beaucoup de péchés, lesquels doivent être corrigés par des violences faites à notre propre volonté, et des libéralités qui s’opposent à notre avarice ; ce sens est très véritable et vient de l’Esprit de Jésus Christ, lequel bute toujours à l’humilité et bassesse. Si les gens de bien en étaient possédés, les mieux-faisants seraient les plus humbles, disant et croyant que leurs grandes malices les obligent à des grands bienfaits. Mais hélas ! L’on ne voit rien de semblable : car ceux qui font bien croient que Dieu leur est obligé : voire, aucuns sont venus si avant qu’ils rejettent les mérites de Jésus Christ en voulant être sauvés par le mérite de leurs propres œuvres. Ce qui est fort abominable.

 

 

Grâces de Jésus Christ méprisées par l’orgueil de l’Antéchrist.

 

VI. La nécessité des Mérites de Jésus Christ déclarée par celle de sa venue. Abus de sa Satisfaction en la tenant pour un mystère incompréhensible qui nous décharge de souffrir. Reconnaissance que tous doivent à Christ, les uns ne devant par leurs bornes œuvres mépriser ses mérites, ni les autres dire que donc il n’a rien fait pour nous s’il ne nous a pas déchargé de souffrir. À quoi l’Antéchrist les pousse sous des prétextes de belle apparence.

 

45. Car si Jésus Christ n’eût pas mérité, nulle chair ne pouvait être sauvée : à cause que tous les hommes avaient corrompu leurs voies et ne connaissaient point le malheureux état dans lequel ils étaient tombés sans l’apercevoir. Si Jésus Christ n’eût pas apporté sa Loi, les hommes n’eussent jamais connu leurs péchés. Ils fussent morts de Père en Fils dans les délices de ce monde, la convoitise des richesses, la concupiscence de la chair, et l’orgueil de vie, sans reconnaître que toutes ces choses les menaient à la damnation. Ils avaient quitté la dépendance de Dieu pour adhérer à eux-mêmes, sans connaître que cela était mauvais ; et ainsi périssaient tous insensiblement si la Loi de Jésus Christ ne fût pas venue pour leur faire connaître leurs péchés. Et si Jésus Christ n’eût pas lui-même observé cette Loi, un chacun l’eût rejetée, ou crû impossible à être observée ; puisqu’il y a bien encore aujourd’hui des âmes si méchantes qui la disent impossible, après savoir vu pratiquer par Jésus Christ même, lequel n’était nullement coupable ni obligé à nulles Lois, en étant juste. L’un rejette les Mérites de Jésus Christ et l’autre tient sa Loi impossible à être observée. Si les Chrétiens d’aujourd’hui font choses semblables après avoir reçu la Lumière de l’Évangile et vu les œuvres et la doctrine de Jésus Christ, que ne faisaient point les hommes auparavant tant de lumières ? Ne faut-il pas conclure que tous étaient au chemin de perdition, sans remède ? Car en ne connaissant pas leur maux, ils ne pouvaient chercher les remèdes à iceux.

46. Il fallait donc un Médiateur entre Dieu et les hommes pour les faire rentrer en sa grâce ; ou autrement personne ne pouvait plus être sauvé. C’est pourquoi ce Médecin de nos âmes est venu apporter la médecine à nos maux [546], et l’a avalée le premier pour nous encourager à la boire volontiers [547]. Ce n’est pas pourtant que Dieu eût besoin des hommes et de toutes leurs œuvres : car Dieu les pouvait tous laisser en la perdition et créer quantité d’autres mondes dans un état parfait et glorieux. Et Jésus Christ en tant qu’homme n’avait aussi besoin des hommes, toute sa gloire consistant dans l’union béatifique qu’il avait avec son Père ; et encore bien que tous les hommes seraient péris, cela n’eût en rien diminué sa gloire. Mais l’amour qu’il portait à Dieu [548], et la charité qu’il avait aux hommes [549] fut le seul sujet pourquoi il voulut souffrir, afin de leur montrer que par la même souffrance ils pouvaient recouvrer la grâce de Dieu [550].

47. Ce n’est pas pourtant qu’il nous soit venu racheter par un mystère imaginaire, si qu’aucuns se veulent persuader que par quelque voie incompréhensible il ait payé les peines dues à nos péchés pour nous exempter de les porter nous-mêmes. Cela est encore une subtile invention de Satan : car Dieu ne fait jamais rien au regard des hommes que des choses qu’ils sont ou seront capables d’entendre [551] ; et quoiqu’ils ignorent beaucoup de choses, ils les entendront à l’avenir : à cause qu’il n’y a rien de si caché qui ne doive être à la fin découvert [552]. Tous les mystères de notre Foi, toutes les choses que Dieu a créées pour l’homme, toutes les Saintes Écritures, avec tout ce qui a été fait pour l’homme, sera par lui entendu totalement. Partant, il n’a pas occasion de s’aller forger des choses mystérieuses en l’air, lesquelles ne lui apportent aucunes utilités : comme est de croire que Jésus Christ n’est pas Vrai Dieu ni aussi vrai homme, mais qu’il est quelque mystère caché ou inconnu. Car cela n’est pas véritable et ne peut rien profiter au salut des hommes, lesquels ne peuvent suivre ou imiter quelque mystère caché, si qu’ils disent d’être l’Incarnation de Jésus Christ. Car il est Vrai Dieu, qui fut de toute éternité : il est aussi vrai homme, créé du sang d’une Vierge, comme Adam a été créé du limon de la terre.

48. Il ne faut pas aussi s’imaginer qu’il ait satisfait pour nos péchés par un mystère inconnu : car en tant que Dieu, il ne pouvait satisfaire [ainsi] pour les autres hommes ; parce que chacun doit recevoir selon ses œuvres, et point selon les œuvres de son prochain. Si l’on se veut aussi imaginer qu’il a satisfait mystérieusement comme Dieu et homme, c’est tomber en la même erreur. Car toute la partie Divine qui était en Jésus Christ ne pouvait donner le salut aux hommes sans les obliger à porter la peine due à leurs péchés : car si la Justice de Dieu eût pu permettre cela, il l’eût fait assurément en la personne d’Adam, qui n’avait commis qu’un seul péché par fragilité, où les autres hommes en avaient commis un grand nombre par leurs pures malices. Ne faut-il pas croire que la même Justice demeure toujours en Dieu, et qu’icelle ne peut permettre par quel mystère que ce soit que les hommes soient sauvés par les mérites d’un autre sans porter eux-mêmes la pénitence ? Car Dieu, en tant qu’homme, ne pouvait satisfaire pour tous les hommes, non plus qu’Adam ne les a pu délivrer de la peine due au péché, encore bien qu’il fît une si longue pénitence. La Justice de Dieu requérait que chacun eût porté la peine due au péché [553]. Encore bien même qu’ils n’eussent commis autre péché que celui qu’Adam avait commis en eux, si fussent-ils tous soumis à porter les misères de cette vie présente, suer, peiner et travailler pour satisfaire à la Justice de Dieu des péchés mêmes que les hommes n’avaient pas commis, sinon indirectement par la volonté d’Adam. Combien à plus forte raison serait-il possible que Jésus Christ, un seul homme, satisfît pour tant d’hommes qui volontairement ont commis tant de péchés, voire en commettent encore journellement, si que font ceux qui croient que Jésus Christ a tout satisfait pour eux ? Cette opinion ne peut jamais servir à rien sinon à autoriser les pécheurs en leurs péchés. C’est pourquoi il ne peut être véritable que Jésus Christ ait porté les peines dues à nos péchés pour nous délivrer des souffrances. Il ne le devait ni pouvait faire sans choquer la Justice de Dieu, laquelle s’exercera toujours constamment en toutes ses œuvres.

49. Mais il ne faut pourtant tomber dans l’autre extrémité de ces malavisés qui disent de falloir s’appuyer sur leurs bonnes œuvres, en méprisant les souffrances de Jésus Christ. Ce qui est une noire malice de l’ennemi, qui voudrait bien dérober l’honneur dû à Jésus Christ : car encore bien que Jésus Christ n’ait pu satisfaire pour nos péchés sans que nous en portions les peines [554], si est-il assurément le Sauveur du monde [555], l’ayant racheté hors de la puissance du Diable, dans laquelle les hommes s’étaient volontairement engagés. Le Diable les conduisait tous par leurs propres concupiscences, et les hommes le suivaient à l’aveugle dans cette voie dangereuse mais facile à leurs sens. C’est pourquoi il avait si aisément gagné tout le monde : a cause que l’esprit du Diable et l’esprit de la nature est le même Esprit, et sont tous deux devenus mauvais par la même chose. Car le Diable pour devenir Diable ne fit rien autre que de penser qu’il voulait être semblable à Dieu, pour ne plus demeurer sous la dépendance de Dieu ; et l’homme a commis aussi tout le même péché, en désirant d’être semblable à Dieu [556]. En sorte que ces deux volontés, du Diable et de l’homme, se sont portées au même mal. C’est pourquoi la nature s’accorde toujours bien avec le Diable : car il n’y a point de différence entre leurs deux volontés, étant toutes deux restées dans l’indépendance de leur Dieu : avec cette différence seulement que l’homme a été reçu à pardon moyennant un temps de pénitence, et que le Diable n’a pu avoir de pardon. Ce n’est pourtant que Dieu soit partial, en pardonnant à l’homme, et pas au Diable, mais c’est que l’homme a péché par fragilité, étant induit à cela par le moyen de tant de belles créatures qui amusèrent ses sens pour le divertir de Dieu : mais le Diable, étant pur esprit, ne pouvait être induit à pécher contre Dieu que par sa seule malice. Voilà pourquoi Dieu a aussitôt pardonné à l’homme, qui fut repentant et contrit ; et a condamné justement le Diable, lequel demeura obstiné en sa malice, persévérant en icelle sans contrition ou repentir.

50. Si nous avions la lumière de vérité, l’on verrait bien clairement que Dieu ne fait jamais rien que par droite Justice, et partant qu’il ne peut permettre que Jésus Christ ait porté seul en son corps les peines dues à nos péchés, ni aussi qu’il soit digne de mépris ; puisqu’il nous est venu enseigner les moyens par lesquels nous pouvons être délivrés de l’esclavage du Diable et opérer les œuvres nécessaires à notre salut. L’on estimerait bien une personne qui nous aurait enseigné quelque art ou métier pour gagner notre vie en ce misérable monde, et qui nous aurait enseigné gratuitement, sans profit, pour la seule amitié qu’il nous portait. L’on se sentirait obligé tous les jours de sa vie d’honorer un semblable bien-facteur, et dire et confesser que c’est lui qui nous donne la vie ; puisqu’il aurait donné les moyens pour avoir l’entretien d’icelle. Et si une telle personne était si ingrate, de vouloir ou désirer que son Maître et son bien-facteur travaillât lui-même pour gagner la vie à cet ingrat, sans qu’il veuille prendre la peine de travailler lui-même en faisant ce que le Maître lui a enseigné, je ne doute pas, Monsieur, que vous ne disiez, avec tous les hommes du monde, que ce Disciple est un ingrat et indigne de vivre. Et s’il venait si avant que de mépriser le même Maître et dire qu’il n’a rien fait pour lui, puisqu’il doit encore porter les peines de son travail, l’on jugerait bien méchante une telle ingratitude. Et cependant l’on veut faire passer pour justes et gens de bien ceux qui disent et font les mêmes choses à l’endroit de Jésus Christ, et méprisent la grande charité qu’il a eue à nous venir enseigner les moyens de gagner la vie éternelle. Jésus Christ ne nous a rien demandé ; mais nous a donné la Sapience qu’il avait reçue de son Père tout pour rien, sinon pour l’amour qu’il portait à son Père. Et voyant que ce n’était pas sa volonté que les hommes périssent, il s’est offert soi-même à lui pour les aller racheter ; point par des choses imaginaires, mais par des œuvres saintes et parfaites qu’il voulait opérer en leur présence au prix de sa vie, et en épandant jusqu’à la dernière goutte de son sang pour l’amour qu’il portait à leur salut, leur montrant par paroles et effets combien il les aimait. Cet Amour, Monsieur, ne doit-il pas être réciproqué par les hommes, qui doivent être aussi prêts de mourir pour Jésus Christ comme lui a été par effet prêt à mourir pour eux ? L’Amour et le respect que les hommes lui doivent est inexplicable, encore bien que Jésus Christ ne serait que simplement homme.

51. Et cependant ces ingrates créatures osent bien le mésestimer et croire qu’ils seront bien sauvés sans lui, ou par le moyen de leurs bonnes œuvres, qui sont œuvres mortes sans l’union des œuvres de Jésus Christ. Car tout ce qui ne participe pas de son Esprit ne peut être saint [557] : son Esprit est le seul Dieu qui peut sauver, et son humanité est le seul Maître, qui enseigne le droit chemin de salut. C’est pourquoi il dit qu’il est la voie et que personne ne va au Père que par lui [558]. Ce qui est très véritable : car si les hommes pouvaient être sauvés sans Jésus Christ, ç’aurait été en vain qu’il fût venu au monde avant le temps, et qu’il eût tant souffert et pâti. À quoi bon tant d’enseignements donnés aux hommes par Jésus Christ puisqu’ils pouvaient bien être sauvés sans iceux ? Pourquoi Jésus Christ devait-il précipiter le temps de sa venue en gloire, si les hommes n’avaient eu besoin de lui pour être sauvés ? Pourquoi devait-il prendre un corps passible et mortel, puisque ses souffrances et sa mort ne pouvaient rien faire aux hommes qui croient d’être sauvés sans les mérites de Jésus Christ, voire en le méprisant ? La Sapience éternelle n’avait-elle pas assez de prévoyance pour savoir que les hommes se pouvaient bien sauver par leurs propres actions sans permettre que Jésus Christ eût pris tant de peines et fatigues pour les retirer de tant de misères où Dieu les voyait plongés ? Il semble que ces personnes ingrates et ignorantes soient plus sages que Dieu, lorsqu’ils croient d’avoir trouvé un moyen de salut hors des mérites de Jésus Christ. Mais c’est en effet que l’Esprit de l’ANTÉCHRIST est entré dans leurs âmes pour leur faire mépriser Jésus Christ et s’estimer eux-mêmes comme s’ils étaient capables de se sauver sans lui.

 

 

VII. Orgueil, ingratitude et aveuglement tant de ceux qui méprisent les Mérites de J. Christ que de ceux qui par sa Satisfaction se veulent dispenser de bien faire, et aussi de ceux qui nient sa Divinité éternelle. Nécessité des mérites de J. Ch. pour bien faire et pour obtenir pardon et accès vers Dieu. Il faut changer de vie pour en jouir.

 

52. Ces personnes périssent par orgueil aussi bien que celles qui disent Jésus Christ avoir tout satisfait pour eux. Ils tombent tous dans le même péché de superbe et ingratitude, quoique par des moyens divers. L’un est superbe de croire qu’il sera bien sauvé par ses propres œuvres ; et est aussi fort ingrat de ne pas vouloir reconnaître ce que Jésus Christ a fait pour lui, payant ses bienfaits de mépris et d’irrévérence. Et les autres commettent le même péché de superbe, en se présumant d’être les Élus de Dieu ou ses Enfants, à qui le salut appartient, sans vouloir travailler pour afin de l’obtenir ; et tombent aussi dans le péché d’ingratitude en ne voulant pas rendre à Jésus Christ ce qu’il a payé pour eux. Ils connaissent qu’il a été constitué leur Pleige et Caution ; voire qu’il a effectivement payé les peines dues à leurs péchés : cependant qu’ils ne se veulent mettre en aucun devoir de lui restituer. Ne serait-ce pas une grande ingratitude qu’une personne dise à celui qui aurait payé sa dette comme son Pleige et sa Caution, qu’il demeure en repos, sachant bien que sa dette est payée, sans être en soin de restituer ce même payement à celui qui l’aurait payé pour lui ? L’on tiendrait une semblable personne pour méchante et ingrate : pendant qu’on se croit Enfant de Dieu en faisant les mêmes choses à la personne de Jésus Christ. L’on dit qu’il est notre Pleige et que par ses souffrances il a payé la peine due à nos péchés, étant mort pour nous racheter : pendant qu’on ne veut rien souffrir ni compatir à ses peines : voulant que nos dettes demeurent payées avec le bien d’autrui.

53. Ces différentes personnes disent également bien, mais font toutes deux très mal. Car Dieu ne se contentera pas de belles paroles avec lesquelles on ne peut amuser sinon les hommes : mais Dieu sonde les reins et examine les consciences. De dire que Jésus Christ a satisfait pour nous et qu’il a payé notre rançon, ce sont des beaux mots ; et aussi de reconnaître notre fragilité et dire que sommes incapables de bien faire de nous-mêmes. Ce sont toutes vérités, hors desquelles néanmoins nous tirons de si mauvaises conséquences, qui font périr les âmes éternellement : les unes aussi bien que les autres.

54. Car ceux qui disent qu’il n’y a qu’un seul vrai Dieu sont en ce point dans la vérité, puisqu’il n’y peut jamais avoir qu’un seul Vrai Dieu qui créa toutes choses. Et de dire aussi qu’il faut travailler pour opérer notre salut, c’est une chose assurée que personne ne l’obtiendra jamais sans travailler. Mais ces bonnes paroles produisent des mauvais effets : car en disant qu’il n’y a qu’un Vrai Dieu, et ne pas vouloir connaître qu’icelui soit en Jésus Christ [559], c’est une erreur : puisque ce même Dieu est toujours partout en son essence, et qu’il est particulièrement par sa présence dans les âmes de ses fidèles, opérant en elles ses volontés, voire y prenant ses délices et ébats, puisque le centre des âmes sont les lieux de ses demeures et de ses honneurs, n’y ayant rien de créé qui soit capable de la résidence de Dieu comme sont les âmes pures, dégagées de péchés et d’elles-mêmes, dans lesquelles il prend ses délices et plaisirs. C’est pourquoi l’Écriture appelle les hommes des Dieux à qui la parole de Dieu est adressée [560]. Ce n’est pas pourtant à dire qu’il y aurait autant de Dieux que de personnes qui ont reçu la parole de Dieu ; mais c’est que le seul vrai Dieu se dilate et se communique par icelles comme les organes capables pour communiquer son bien. Si cela arrive aux hommes fragiles et pécheurs, et que Dieu se communique à eux, voire fasse sa demeure en eux et les rende des Dieux par participation, à combien plus forte raison Jésus Christ doit-il être appelé Dieu [561], lui qui jamais n’a été un seul moment désuni ou séparé de la Divinité, y étant si étroitement uni que son humanité y est comme toute abîmée et anéantie, pour être si parfaitement divinisée ? En sorte que l’homme est comme devenu Dieu, ou Dieu est devenu homme : car encore bien qu’il y ait deux choses différentes, savoir, Dieu et homme, si sont-elles si unies de volontés que les deux sont devenues une même chose.

55. Ce qui doit ouvrir les yeux à ces pauvres aveugles qui n’osent pas prier Jésus Christ, craignant d’être idolâtres, et font cependant une Idole de la fantaisie que le Diable leur a mise dans l’esprit pour leur faire mépriser Jésus Christ, en croyant bien faire de penser qu’il n’est pas Dieu ; comme aussi de penser qu’ils seront sauvés par leurs propres œuvres sans les mérites de Jésus Christ. Ce qui est un grand aveuglement.

56. Parce que si Jésus Christ ne leur eût pas mérité la grâce de bien faire, ils n’étaient pas capables d’avoir une seule bonne pensée ni le désir de faire une bonne œuvre [562]. En sorte que toute la grâce qu’ils ont de faire quelque bien vient des mérites de Jésus Christ, quoique par ignorance ils le méprisent comme des pauvres aveugles, qui ne savent rien discerner par l’infirmité de leurs vues. Car si Jésus Christ ne fût pas venu apporter la lumière au monde, personne ne voyait l’état de son malheur. Et s’il n’eût point prié son Père, personne n’aurait eu la grâce de recevoir sa lumière. En sorte que sans Jésus Christ tous les hommes fussent demeurés perdus par leurs aveuglements ; et n’eussent jamais pu comprendre par quels moyens ils eussent dû retourner à Dieu si Jésus Christ ne leur fût pas venu enseigner de paroles et d’effet. Et s’il eût seulement enseigné de paroles, comme les autres Prophètes, personne ne l’aurait suivi ; vu qu’on croit encore aujourd’hui être impossible d’imiter Jésus Christ et de suivre la vie Évangélique. Mais il l’a mise lui-même en pratique devant les yeux des hommes afin qu’à son imitation ils tâchassent de satisfaire à la Justice de Dieu par l’union de ses souffrances et de sa charité [563], qui sont des holocaustes agréables à Dieu son Père plus que nos offrandes maculées et nos œuvres souillées de péchés.

57. Si une personne avait offensé son semblable mortellement, il n’oserait lui-même procurer la paix et le pardon de son offense, mais interposerait quelque Médiateur qui fût ami à la personne offensée, afin d’adoucir son juste courroux. Mais ces personnes qui veulent être sauvées par leurs bonnes œuvres ont trop de superbité pour prendre Jésus Christ comme Médiateur, mais vont la tête levée s’adresser à Dieu, lequel ils ont si souvent offensé qu’ils attirent plutôt sa main vengeresse sur leurs têtes que le pardon de leurs péchés : parce que Dieu résiste aux superbes, et aux humbles il donne son cœur [564]. S’ils joignaient leurs bonnes œuvres à l’humilité de Jésus Christ, ils recevraient par aventure la miséricorde de Dieu par son Fils Jésus Christ : mais se tenant debout comme le Pharisien qui remerciait Dieu de ses bonnes œuvres [565], ils ne seront non plus justifiés qu’icelui n’a été en sortant du Temple : à cause que celui qui n’est pas revêtu de Jésus Christ n’est pas admis vers son Père : vu qu’avant sa venue au monde tous les hommes étaient ennemis de Dieu. En sorte que celui qui n’est pas revêtu de Jésus Christ ne peut être reconnu pour son ami, encore moins pour son enfant, vu que l’Esprit de Jésus Christ est le Fils unique auquel il prend son plaisir, et pas en autre : tellement que celui qui pense aller à Dieu sans l’entremise de Jésus Christ, il sera rejeté comme indigne et téméraire : à cause que Jésus Christ est la seule porte de salut [566] : ceux-là là sont larrons qui veulent entrer par des fenêtres au Royaume des Cieux, parce qu’icelui appartient aux Disciples de Jésus Christ seulement.

58. En quoi se trompent fort ceux qui croient d’y avoir l’entrée en le méprisant ou rejetant ses mérites, qui en ont ouvert la porte à tous ceux qui le voudront suivre et imiter ; non pas pourtant à ceux qui estiment Jésus Christ et ses mérites mais avec ce ne veulent pas embrasser de pénitence, sous ce prétexte que Jésus Christ a tout satisfait pour leurs péchés, comprenant même ceux qu’ils commettront à l’avenir, aussi bien que ceux qu’ils ont commis du passé. Dans laquelle erreur sont la plupart de ceux qu’on appelle Chrétiens, voire les plus parfaits d’entre les autres. L’on n’entend rien de plus commun entre leurs pieux discours que de dire : « Dieu est bon : il nous sauvera. Et Jésus Christ est mort pour nous donner l’entrée du Paradis. » Et avec ces beaux discours un chacun pense d’avoir le Paradis assuré, encore bien qu’ils vivent et meurent dans leurs sentiments et mouvements naturels. Ce qui est une grande tromperie : car Dieu, quoiqu’il soit bon, ne sauvera personne sinon celui qui aura satisfait à sa divine Justice [567]. Les mérites des souffrances et de la mort de Jésus Christ ne seront jamais appliqués sinon aux âmes qui sont renées dans l’Esprit de Jésus Christ [568] : car il n’a souffert sinon pour ceux qui d’une vie naturelle entreront dans une vie spirituelle.

59. Car Jésus Christ dit qu’il faut accomplir toute Justice [569]. Or il ne serait pas juste que ceux qui auraient quitté la dépendance de Dieu pour dépendre de leurs propres volontés jouissent des mérites de Jésus Christ sans se convertir et embrasser son esprit ; puisqu’il n’est venu que pour attirer le pécheur à repentance [570], et que celui qui demeure persévérant en sa vie naturelle ne se peut repentir ; et par ainsi ne peut jouir des mérites de Jésus Christ, puisque ce n’est pas pour iceux qu’il a souffert ou mérité, mais seulement pour ceux qui par ignorance ou fragilité avaient quitté la dépendance de Dieu [571], et se délectaient parmi les créatures, sans penser qu’ils ne se devaient délecter qu’en Dieu seul. Ils vivaient dans les ténèbres de la mort sans le savoir. C’est pourquoi Jésus Christ en a eu compassion, et s’est offert à son Père, lui promettant qu’ils se convertiraient et feraient pénitence, moyennant qu’il leur portât la lumière de vérité, par laquelle ils pouvaient sortir de leurs ténèbres et de leurs erreurs. C’est en quoi Jésus Christ a été notre Pleige et a répondu pour notre pénitence, avec laquelle nous devions être sauvés, et pas autrement. Il est venu nous délivrer des ténèbres par sa lumière ; mais ceux qui ont mieux aimé leurs ténèbres n’ont point aimé cette lumière. Il est bien venu délivrer les hommes de l’esclavage de Satan : mais ceux qui ont mieux aimé leurs chaînes et captivités que la liberté des Enfants de Dieu n’ont pu jouir d’icelle [572]. Jésus Christ enfin est bien venu nous délivrer de la damnation : mais point de la peine due à nos péchés [573]. Parce que Dieu nous a bien créés sans nous, mais ne nous peut sauver sans nous. C’est pourquoi Jésus Christ nous est venu enseigner tous les moyens par lesquels nous pouvons être sauvés [574] ; mais ne nous peut sauver par force et sans vouloir embrasser le chemin de salut, que Jésus Christ nous a frayé en y marchant tout le premier [575].

60. C’est pourquoi l’on se forge des chemins en l’air lorsqu’on pense que Jésus Christ nous est venu sauver d’une façon spéculative, ou par quelques mystères incompréhensibles : vu que notre rachat est accommodé selon notre capacité. Mais le Diable, pour nous détourner de prendre le chemin droit par où Jésus Christ a marché, nous éblouit l’esprit de choses imaginaires, afin que ne venions jamais à la connaissance de la droite vérité ; faisant croire aux uns qu’ils ne peuvent être sauvés par les mérites de Jésus Christ ; et aux autres que ses mérites les sauveront, encore bien qu’ils ne fassent nul effort pour l’imiter et suivre. Et ainsi divers autres sentiments qu’il glisse par sa subtilité dans les esprits des hommes, afin de les détourner de Dieu, et les faire périr misérablement. Car si l’on considère bien de près à quoi butent les divers sentiments sur les divins mystères, l’on trouvera que ce n’est que pour autoriser la fantaisie d’un chacun, et vivre selon sa liberté. Car celui qui croit que Jésus Christ a tout satisfait pour lui, il domine en ce monde sans souci. Et l’autre qui croit que Jésus Christ ne lui a rien mérité, il ne veut être sujet à nulles de ses Lois, mais vivre sans refrein, ainsi que sa nature requiert. Et par ces moyens personne ne renouvelle sa vie, et par conséquent on ne peut jouir des mérites de Jésus Christ, lesquels sont seulement appliqués aux âmes qui sont renées en son Esprit.

 

 

Preuves que l’on est Antichrétiens.

 

VIII. Les propriétés de l’Esprit de Christ, et celles de la nature corrompue : sur quoi on doit s’examiner et se juger non pas rené, mais Antichrétien et Sectateur du Diable, qui se sert de la nature corrompue pour accomplir le mal qu’il inspire, mais n’y contraint pas non plus que Dieu à embrasser les 2 moyens du salut en Christ.

 

61. Considérez, Monsieur, je vous prie, combien peu il y en a maintenant sur la terre qui sont renés en l’Esprit de Jésus Christ ! L’on entend bien encore à présent plusieurs personnes dire qu’elles sont renées ; mais l’on ne voit encore de personnes qui soient dans cette charité qu’elles donnassent leurs vies pour le salut du prochain [576], comme Jésus Christ a fait. L’on n’en trouve pas aussi de celles-là qui soient en vérité si dépendantes de la volonté de Dieu comme Jésus Christ fut au jardin des Olives [577] ; ou qui disent être venues au monde pour faire la volonté de Dieu, et non pas leurs propres volontés [578]. L’on n’en trouve pas aussi de celles qui choisissent en toutes choses le moindre ou la dernière place [579] : non plus aussi de celles qui aiment la pauvreté, le mépris, non plus que les souffrances et les calomnies [580] : qui aiment leurs ennemis [581] ; et fassent bien à ceux qui leur font mal : ni aussi de celles qui préfèrent le bien et l’avantage de leur prochain à celui qui leur est propre [582], ou à leur avancement ou commodités. Cependant toutes ces choses sont les effets de l’Esprit de Jésus Christ, qu’on a vu opérer dans sa personne [583], et qu’on verrait aussi infailliblement opérer dans toutes celles qui seraient renées en son Esprit ; parce que l’Esprit de Jésus Christ hier et aujourd’hui est tout le même et ne changera jamais.

62. Mais le Diable, pour amuser les hommes, leur fait accroire qu’ils sont renés en l’Esprit de Jésus Christ lorsqu’ils vivent encore en l’esprit de la nature corrompue, laquelle est directement opposée à Jésus Christ : car elle s’aime soi-même et se soucie peu du prochain ; ne veut dépendre que de sa propre volonté jusqu’à sa mort. Cette nature corrompue demande aussi toujours le plus beau et meilleur, ou le plus honorable ; et convoite aussi toujours l’abondance plutôt que la nécessité. Elle est volontiers louée et estimée, évitant les peines et les souffrances à son possible ; se ressent des injures et hait ses ennemis ; se garde de bien faire à ceux qui lui ont mal-fait, et estime pour prudence de prendre partout ses avantages, sans regarder au dommage du prochain. Voilà tous les effets que produit notre Esprit naturel, lequel est directement opposé à l’Esprit de Jésus Christ.

63. Ceux qui se disent renés doivent examiner le fond de leurs consciences pour voir s’ils y trouveront les effets de l’Esprit de Jésus Christ, et si les mouvements de leurs âmes sont possédés des mêmes sentiments et effets comme était l’âme de Jésus Christ de toutes les choses susdites. Mais s’ils trouvent que leurs sentiments et volontés ne sont pas telles, c’est en vain qu’ils se disent ou se croient renés : parce que s’ils sentent encore les effets en leurs âmes de la nature corrompue, si qu’ils sont narrés ci-dessus, ils peuvent dire et croire qu’ils sont encore des personnes charnelles, et non pas spirituelles. Car le vieil homme vit encore en elles, et ne sont pas renouvelées, si qu’elles se persuadent. Car celui qui est vraiment rené a fait mourir en soi le Vieil Adam pour y laisser vivre le Nouveau, qui est Jésus Christ [584].

64. Et si longtemps qu’on ne sent pas véritablement ce nouvel Esprit de Christ vivre et dominer dans nos âmes et nos sentiments, l’on ne peut dire d’être des vrais Chrétiens ; mais plutôt des Anti-Chrétiens : à cause que ce qui est de la nature s’oppose autant à Christ comme ce qui est du Diable : vu que ces deux volontés sont également corrompues par le même péché d’ambition ; en sorte que celui qui suit sa nature suit le Diable ; et celui qui suit le Diable suit la nature ; parce que le Diable se sert toujours de nos mouvements naturels pour nous séduire et tromper : ce qu’il ne pourrait faire si facilement par des choses purement spirituelles comme est son esprit et sa nature.

65. Il nous excite bien à mal faire par des pensées ; mais nous fait accomplir le mal par le moyen des choses naturelles, visibles et sensibles à nos sens : comme par exemple : il nous fera convoiter le bien d’autrui ; mais il fera naître l’occasion d’avoir effectivement le bien d’autrui en notre puissance pour, par usures, fraudes, ou tromperies, faire que notre convoitise sorte son effet : comme aussi en matière d’ambition il porte bien des pensées d’orgueil dans notre cœur, et par après il incite un autre à nous prévaloir ; ou bien fait qu’on nous loue ou présente des états ou offices honorables, afin que notre cœur donne plein consentement à l’ambition que notre désir avait conçu : comme il fait aussi au regard de la luxure ; il suscite en nous des pensées déshonnêtes, et par après nous montre des objets impudiques, ou fait entendre des discours semblables, afin de par ces moyens naturels donner consentement aux suggestions spirituelles qu’il avait mises premières dans notre esprit. Car le Diable de soi-même n’a pas la force ni puissance de nous faire pécher ; et encore moins damner. Il peut seulement nous présenter les moyens ; c’est à nous à faire à les accepter ou rejeter.

66. Et comme ce mauvais esprit ne peut forcer nos volontés, ainsi le bon Esprit de Dieu ne force jamais la même : parce que c’est lui qui la créée toute libre : par ou l’on peut assez comprendre que Jésus Christ ne nous sauvera point par ses seuls mérites : comme tant de personnes s’imaginent. Il a bien le pouvoir de nous mériter la grâce de Dieu pour embrasser les moyens de retourner à lui, et les forces et le courage de satisfaire à la Justice de Dieu : car rien n’est refusé à celui qui demande à Dieu en humilité de cœur ; signamment lorsqu’on demande sa grâce pour le prochain : à cause qu’une telle prière est accompagnée de charité, de laquelle Jésus Christ est rempli en abondance. Partant, il ne faut pas douter que Jésus Christ nous obtiendra toujours par ses mérités les grâces nécessaires à le suivre et imiter ; mais il n’obtiendra pourtant que nous soyons sauvés sans embrasser sa doctrine et son exemple.

67. Ce sont les deux moyens qu’il présente à tout le monde [585], et principalement aux Chrétiens : mais il est en leur pouvoir de les accepter, ou rejeter, si que bon leur semble, tout de même que la mauvaise tentation ; à laquelle résistant, on emporte la victoire sur ses ennemis, et obtient de nouvelles grâces de Dieu : pour cela dit-on que la plus grande tentation est de n’être point tentés : à cause que la tentation purifie l’âme et la fortifie pour les combats, dans lesquels Dieu se plaît en voyant l’épreuve de sa fidélité, icelle en étant attaquée. Tout de même fait le bon Esprit. Il offre et présente la doctrine et les souffrances de Jésus Christ à l’âme comme l’unique moyen de son salut : mais si elle les rejette, il la laisse périr, ne pouvant la forcer ; et si elle les accepte, elle emporte la victoire sur ses ennemis [586], et obtient des forces et grâces pour les combats à l’avenir. Car celui qui abandonne tout ce qu’il possède sera délivré du péché d’avarice ; et celui qui renonce aux honneurs du monde se délivrera du péché d’orgueil ; et celui qui renoncera à la propre volonté sera Roy et Seigneur de toute chose ; par ainsi son âme régnera avec Jésus Christ en ce monde et en l’autre, Mais celui qui ne veut accepter la doctrine de Jésus Christ et suivre son exemple, ne peut jouir de ses mérites : parce qu’il n’a souffert que pour ses Imitateurs [587], et ne prie pas pour le monde [588], mais pour ceux que son Père lui a donnés du monde. Et son Père ne lui a donné sinon ceux qui seront unis à son Esprit [589]. Car Dieu n’est pas partial ni accepteur des personnes. Les Juifs étaient son peuple, et il les a abandonnés lorsqu’ils ont quitté son Esprit. Les Chrétiens sont aussi son peuple ; mais sont maintenant abandonnés à l’Esprit d’erreur parce qu’ils ont quitté son S. Esprit.

 

 

IX. Chrétiens sont Antichrétiens, opposés à l’Esprit de Christ, n’ont que des occupations mondaines par un esprit mondain, sans Foi, Charité, Crainte de Dieu, ne craignant que les hommes, pèchent pis que les Juifs contre la lumière du S. Esprit, sans laquelle reprendre ils ne peuvent être sauvés.

 

68. Il n’y a plus rien à reconnaître de l’Esprit de Jésus Christ dans l’esprit des Chrétiens de maintenant, à cause qu’ils se sont forgés tant de sentiments contraires à l’Esprit de Christ, qu’on ne voit plus le moindre vestige du chemin où il a marché : et avec cela l’on a inventé tant de beaux mots et tant de belles conceptions, qu’on s’imagine d’être des Chrétiens, lorsqu’on est en effet des véritables Antichrétiens. Et le Diable a su si bien colorer cette fourbe, qu’on s’offenserait d’entendre la vérité salutaire.

69. Les hommes ont tellement abandonné Dieu qu’ils ne le craignent ni connaissent plus ; mais se craignent et estiment l’un l’autre pour les avantages temporels. Chacun s’étudie à satisfaire aux Grands, ou à parler comme les autres veulent entendre. Chacun tâche d’obliger celui de qui il espère profit, honneur, ou plaisir ; et pour ce qui regarde Dieu, on le néglige fort aisément comme une chose loin de nous. Combien y a-t-il de personnes de toutes sortes d’états et de conditions qui ont employé toutes leurs vies à étudier ou travailler pour se rendre agréables aux hommes, ou pour faire quelque fortune dans ce misérable monde qui doit sitôt périr, et qui n’ont encore rien fait ni étudié pour connaître Dieu ? Tous les trafics, les pratiques ou travaux que font aujourd’hui les hommes, ne butent et tendent qu’à gagner de l’argent. Et avec cela portent le nom de Chrétiens ! Comme si Jésus Christ avait institué les trafics ou négoces de ce monde ! quoiqu’il nous ait conseillé d’amasser des Trésors au Ciel, où les larrons ne dérobent point [590]. Comme s’il nous voulait enseigner de mépriser les biens périssables et de travailler seulement pour acquérir ceux qui sont permanents [591]. Et les Chrétiens sont si aveugles en ce point, qu’ils disent même qu’ils sont appelés de Dieu aux négoces et trafics ou pratiques du monde ! Comme s’il était vrai que Jésus Christ eût institué des Marchands, des Procureurs et Avocats, ou autres emplois tendant aux honneurs, richesses, et plaisirs de cette vie, auxquels cependant il a fait directement renoncer tous ceux qui désiraient d’être ses Disciples, même jusqu’à faire quitter le petit métier que faisaient ses Apôtres, afin de le suivre plus aisément [592] ; voire quelquefois leurs femmes et enfants, pour être entièrement détachés de la chair et du sang. Et les Chrétiens de maintenant s’y vautrent et nourrissent, en disant même que Dieu les y a appelés ! Combien de mariages se font-ils pour assouvir seulement les plaisirs de la chair ? Et avec cela on ose bien dire que Dieu les a liés ensemble ! Si on avait souvent demandé conseil à Dieu aussi bien qu’à sa concupiscence, l’on ne se trouverait pas si tôt engagé dans des liens si étroits où il faut demeurer quelques fois au péril de son salut.

70. Ne voyez-vous pas, Monsieur, le grand aveuglement des hommes de notre siècle, qui s’efforcent à qui mieux-mieux d’avoir des grandes richesses, des honneurs, des plaisirs et contentement mondains, et se piaffent là-dedans en disant qu’ils sont Chrétiens et Disciples de Jésus Christ ? Voyez un peu la fausseté que le Diable a mise dans leurs esprits pour les faire perdre insensiblement ! Ils ont perdu les FONDEMENTS DE LA FOI ; ne connaissant plus que Dieu est Tout-juste, Tout-bon, et Tout-véritable. Car un chacun forge Dieu selon son Idée. Ils ont perdu la CHARITÉ ; et un chacun ne regarde plus qu’à soi-même. Ils ont perdu la CRAINTE DE DIEU ; ne craignant plus que les hommes : et si ce petit rideau d’égard humain était ôté, un chacun commettrait fraudes, larcins, meurtres, paillardises, et tous autres péchés ouvertement. Mais à cause qu’on ne veut point paraître méchants devant les hommes, on ne fait ces choses que couvertement en son cœur. En sorte que le péché de superbe retient les autres péchés, en secret, devant les hommes, lesquels on craint, et pas Dieu, devant qui l’on fait librement toutes sortes de maux sans honte et sans crainte ; et on n’appréhende rien de tout ce qui est seulement commis en sa présence, au désu des hommes. Avec tout cet oubli et méconnaissance de Dieu l’on pense encore être sauvé, sans craindre sa droite justice, qui n’épargnera jamais personne.

71. Les hommes sont maintenant arrivés dans un état beaucoup plus déplorable qu’ils n’étaient lorsque Jésus Christ a pris chair humaine : à cause qu’ils avaient alors perdu la Foi, négligé la charité, méconnu Dieu, et délaissé sa crainte, par pure ignorance et fragilité, parce qu’ils n’avaient jamais reçu le S. Esprit pour les illuminer à connaître les choses surnaturelles [593], Dieu les ayant toujours régis par des figures et choses sensibles et visibles à leurs sens : mais depuis que Jésus Christ est venu sur la terre, il a apporté aux hommes le S. Esprit [594], afin qu’ils puissent comprendre les choses mystiques et surnaturelles, remplissant à ces fins leurs entendements des lumières de cet Esprit Saint : car il a dit diverses fois à ses Apôtres et Disciples : Recevez le S. Esprit [595] : et ce qu’il a dit à iceux, il l’a dit aussi à tous les hommes qui devaient venir depuis eux [596]. Et l’on voit en effet que les hommes de maintenant sont fort illuminés, et connaissent assez les choses mystiques : on les entend quelques fois parler des choses divines comme des Séraphins. Ils parlent le langage des Anges, et vivent en effet comme les bêtes, ou bien encore pis. Ne faut-il pas donc que les hommes de maintenant attendent une plus grande condamnation que n’ont eue ceux qui ont rejeté la Doctrine de Jésus Christ et ont fait mourir sa personne ? Parce que ceux-là ne connaissaient pas ce qu’ils faisaient : ce que Jésus Christ déclare sur la croix en disant : Pardonnez-leur, Seigneur : car ils ne savent point ce qu’ils font [597].

72. Et ce n’est pas de merveilles, vu qu’ils ne savaient ce que c’était de la lumière du S. Esprit, s’arrêtant toujours aux choses extérieures, visibles et sensibles, sans rien comprendre de divin ou surnaturel. Ils avaient la Loi de Dieu, consistant en cultes ou cérémonies extérieures ; et ils entendaient que J. Christ venait changer leurs façons de faire en des choses meilleures et plus parfaites : ce qu’ils ne savaient comprendre : soutenant que leurs Lois ne pouvaient changer, comme étant données de Dieu par Moïse ; et les Sages, demeurant sur ce obstinés, n’ont pu être capables de recevoir le S. Esprit. C’est pourquoi ils ont persécuté et mis à mis mort Jésus Christ. Ce n’est pas que je veuille dire qu’ils aient bien fait : car ils ont grièvement péché en rejetant la lumière que Dieu leur envoyait pour perfectionner leurs Lois, et tirer leurs âmes de ces sentiments naturels à des Divins et spirituels ; mais je veux seulement montrer que leurs malices ont été beaucoup moindres que celles des Chrétiens de maintenant, lesquels ont reçu le S. Esprit et la Doctrine de Jésus Christ, se prévalant à tout moment de savoir ce que Jésus Christ a dit et fait durant sa vie, faisant une profession particulière de lire et relire son Évangile, les œuvres et doctrine de ses Apôtres, et avec tout cela pèchent contre la lumière qu’ils ont reçue par la miséricorde de Dieu ; et pendant qu’ils haïssent les Juifs pour avoir tué le corps de Jésus Christ, ils ne découvrent pas qu’ils tuent journellement (au tant qu’il est en eux) son S. Esprit [598], c’est à dire, qu’ils étouffent les lumières et ses opérations en eux.

73. Ils connaissent qu’il y a un S. Esprit qui illumine leurs âmes, mais ne suivent ni sa lumière ni ses opérations, aimant mieux demeurer attachés à la chair et au sang qu’aux suggestions du S. Esprit, auquel ils veulent seulement adhérer par spéculations, et nullement par effet. C’est en quoi leur péché est infiniment plus grand que ceux qu’ont commis les Juifs en tuant le corps de Jésus Christ, lequel a dit lui-même que les péchés commis contre le Fils de l’homme seront pardonnés, mais que les péchés commis contre le S. Esprit ne seront pardonnés ni en ce monde ni en l’autre [599] : à cause qu’une malice si volontaire, péchant contre sa lumière et sa connaissance, ne peut en bonne justice jamais être pardonnée [600] ; non plus au temps présent qu’au temps qui est encore à venir ; vu qu’il n’y a plus d’autre miséricorde à attendre après la venue du S. Esprit. Le Père a eu son Règne : le Fils a eu son temps d’enseigner les hommes ; et le S. Esprit de leur donner l’intelligence des mêmes enseignements. En sorte qu’il ne faut rien plus attendre d’autre : parce que le S. Esprit est venu accomplir et perfectionner toutes choses ; et celui qui pèche contre icelui est condamné sans rappel. Ceux qui ont péché contre le corps de Jésus Christ ont eu le S. Esprit, qui leur a donné la lumière pour connaître leurs mal-faits, au moins à ceux qui ont voulu recevoir icelle lumière. Ils ont vu et connu leurs fautes, et ont aussi eu le temps de faire pénitence pour obtenir pardon de leurs péchés qu’ils avaient commis contre le Fils de l’homme. Mais les hommes de maintenant n’auront d’autres lumières que celles du même S. Esprit, contre lequel ils pèchent ; ni aussi d’autre temps que celui d’à présent, où le monde est à sa fin.

74. Si quelqu’un se veut convertir, il faut qu’il r’embrasse cette lumière du S. Esprit, et qu’il suive le même chemin que Jésus Christ a suivi lorsqu’il était au monde, sans attendre autres changements ou nouveautés quelconques, puisque Dieu ne saurait faire à l’homme de plus précis enseignements que ceux qu’il a faits par Jésus Christ, lequel n’a pas seulement porté la parole de Dieu dans sa bouche, mais dans son cœur et dans toutes ses actions : et cela nous est connu sensiblement, et le S. Esprit nous en a donné l’intelligence pour le comprendre [601], n’y ayant plus rien de caché de tout ce que nous devons faire et laisser pour rentrer dans la dépendance de Dieu, ou dans la soumission de notre volonté à la sienne : ce qui est la seule chose qu’il requiert des hommes, lesquels sont si ingrats que de se retirer d’icelle pour adhérer à leur propre volonté, laquelle n’est autre qu’une volonté animale, voire plus brutale que les bêtes mêmes, qui règlent en certaine façon leurs volontés mieux par leur instinct naturel que ne font les hommes avec leur raison humaine, laquelle devait être soumise et captivée par la lumière du S. Esprit comme étant la guide et la maîtresse de nos âmes, laquelle nous rendons servante et esclave de nos passions brutales sitôt que nous la retirons de la dépendance de la volonté de Dieu, laissant dominer ce qui doit servir, et servir ce qui doit dominer.

 

 

Voie de perdition, suivie.

 

X. On va aveuglément et nombreusement à la damnation. Plus elle est nombreuse, plus est-elle malheureuse. La propre volonté y mène. Adam l’a corrompue en tout, mais s’il n’avait obtenu pardon pour tout, la Bonté de Dieu n’aurait pas permis qu’il produisît des autres hommes, mais il aurait été damné seul et stérile.

 

75. Mais cet ordre renversé gouverne maintenant tout le monde : pendant qu’ils se disent paix et assurance [602], leur malheur est à la porte pour les emporter tous ; parce qu’ils ont délaissé la droite voie, ils ont été abandonnés à l’esprit d’erreur et de ténèbres [603] ; et le plus grand de tous ces maux est qu’ils ne connaissent point leurs malheurs. Ils gémissent sous l’esclavage de Satan, pensant être dans la liberté de délices. L’un va le chemin de l’Enfer, et l’autre le suit à la piste et sans rentrer en soi-même. Un chacun se perd à crédit, faute de ne vouloir ouvrir les yeux de son entendement pour voir que les hommes ont pris un chemin fourchu : et au lieu d’avancer par le chemin de salut, ils avancent continuellement au chemin de l’Enfer.

76. Ce qui ne leur donne pas d’arrière-pensées est qu’ils le voient si nombreusement accompagnés en la voie de perdition [604], et qu’ils en voient si peu prendre le chemin étroit de salut : cependant que le nombre des damnés ne diminuera pas la peine d’un en particulier : au contraire, plus y aura-t-il d’âmes damnées, plus pénibles seront les peines d’un chacun d’iceux accidentellement. Car comme les âmes bienheureuses recevront de la joie accidentelle par la compagnie des âmes bienheureuses, laquelle s’accroîtra à mesure que le nombre des bienheureux sera grand, ainsi tout de même s’accroîtront les peines des âmes damnées à mesure que le nombre des damnés sera grand, lesquels, voyant et entendant les rages et désespoir les uns des autres, se maudiront davantage ; comme les âmes bienheureuses se recréeront davantage d’entendre des louanges de Dieu par si grand nombre de Saints, et comme la musique est plus parfaite et accomplie lorsqu’elle est formée de plusieurs voix, et aussi la tristesse est redoublée lorsqu’on y entend les lamentations de plusieurs ensemble. C’est pourquoi les peines de l’Enfer ne seront pas amoindries à chaque particulier pour le grand nombre de ceux qui les ont accompagnés en cette misérable vie dans le chemin large où les ont conduits leurs propres volontés. Et encore bien que presque personne ne chemine à présent par d’autre voie, si ne laisse-t-elle pas de mener tous ceux qui la suivent à la damnation éternelle : vu que notre propre volonté, étant une fois corrompue, ne peut plus rien produire que corruption et péchés [605]. Et comme le Diable ne peut plus bien faire depuis que sa volonté s’est une fois détournée de Dieu ; ainsi l’homme ne peut plus faire aucun bien depuis que sa volonté a été corrompue par Adam.

77. Ce n’est pas que les hommes feront damnés en Adam depuis qu’il a reçu le pardon de son péché : car Dieu ne damne personne pour le péché d’autrui avant que les hommes aient eu l’être. Si Adam ne se fût pas repenti et obtenu le pardon et la miséricorde de Dieu, sans doute que nuls hommes en particulier n’eussent été produits, et par conséquent n’eussent pu être damnés ; mais Adam eût porté en sa propre âme et en son propre corps la damnation de tous les hommes ; et Dieu eût créé des nouvelles créatures en la place des hommes, comme il a créé les hommes en la place des Diables. Mais la miséricorde étant faite à Adam, et à tous les hommes en lui, Dieu leur donna ce temps d’épreuve pour faire pénitence.

 

 

Nécessité d’imiter les souffrances de Jésus Christ.

 

XI. Dieu, avant se joindre parfaitement aux hommes, leur a donné un temps d’épreuve, et cela dans un état de délices, lequel, à cause du péché survenu, est changé en état de souffrances, où ils doivent combattre leur corruption, à quoi J. C. est venu les aider par son Esprit et par son exemple : mais eux voudraient être guéris par une une voie imaginaire, et que J. C. par sa satisfaction eût changé le temps d’épreuve de souffrances en celui de délices, se disant trop infirmes pour être éprouvés en souffrances, quoiqu’ils le soient trop pour l’être en délices.

 

78. Le temps d’épreuve était désigné de Dieu pour l’homme dès sa création, non point pour y faire pénitence, comme il est depuis le péché ; mais ce temps d’épreuve était seulement pour éprouver la fidélité que l’homme aurait pour son Dieu avant qu’il le confirmât en sa grâce et parfaite union, si que Dieu avait dessein dès le commencement de prendre chair humaine, afin de s’unir à l’homme entièrement, aussi bien de corps que d’esprit. Dieu eût créé Jésus Christ en gloire afin d’être uni inséparablement à l’homme après son temps d’épreuve. C’est pourquoi l’on peut dire avec vérité que Jésus Christ fut créé en la volonté de Dieu dès aussi tôt qu’Adam a été créé, pour être produit au jour sitôt que le temps d’épreuve de l’homme eût été accompli : parce que Dieu voulait prendre un corps particulier, plus parfait et accompli que tous les autres, pour par le moyen d’icelui être uni aux corps des hommes aussi bien qu’à leurs âmes à toute éternité.

79. Mais cette unité parfaite ne pouvait être faite avant le temps d’épreuve que Dieu avait donné aux hommes pour voir combien ils seraient fidèles à leur Dieu. Le péché étant survenu tout au commencement de ce temps d’épreuve, il a fallu qu’au lieu d’être éprouvés en toutes sortes de délices, ils le soient maintenant en toutes sortes de misères et de souffrances, et ainsi parachever le temps de cette épreuve en générations perverses et adultères. Depuis que l’homme a rompu l’alliance fidèle qu’il devait à son Dieu, il s’est rendu adultère, et produit en cet état les hommes en perversité.

80. Ce n’est pas pourtant que les hommes naissent dans l’obligation ou la nécessité de commettre le péché : parce que la pleine liberté de faire bien ou mal leur est demeurée entière, aussi bien depuis le péché qu’avant icelui [606]. Mais c’est que tous les hommes apportent en naissant la corruption de la chair, qui les incline au mal, et les retire du bien : à cause que cette corruption de notre chair ne doit durer qu’un petit temps, et puis est réduite à néant. C’est pourquoi notre chair ne vise pas à l’éternité : à cause que sa corruption ne la peut jamais prétendre : pour cela ne regarde-t-elle que le temps, pour ne pouvoir rien espérer davantage.

81. Mais si notre âme et notre raison faisaient leur office, ils réduiraient bientôt cette nature corrompue à néant : vu qu’elle n’est qu’un corps mort, engendré de poussière, qui doit retourner en la même poussière. C’est comme une bête que la raison doit conduire selon sa prudence. Car la partie naturelle, qui est en l’homme, est plus dissolue que celle des bêtes si elle n’est guidée et bridée par l’entendement et la raison. Ce n’est qu’un sac de mortalité, de quoi notre corps est revêtu pour un temps ; et cependant les hommes sont si misérables que d’assujettir leurs raisons et leurs volontés à cette carcasse puante qui doit être mangée des vers. N’est-ce pas bien, Monsieur, dégénérer de sa noblesse lorsqu’une âme divine, créée de Dieu pour vivre éternellement avec lui, s’assujettit à une charogne puante, laquelle l’asservit à toutes sortes de misères, et le plus souvent à des peines éternelles qui ne prendront jamais fin ? La corruption de notre nature ne peut pécher, à cause qu’elle est vraiment brute. Mais la volonté de l’homme qui la laisse régner en soi pèche grandement [607] ; puisqu’il est une si noble créature, créée à l’image de Dieu, et capable de prendre ses délices avec lui ; et qu’elle l’en retire pour suivre la volonté d’un animal corrompu, si qu’est notre nature mortelle, laquelle se pourrait vautrer et rouler dans toutes les ordures de la terre si elle était dans le corps et l’âme d’une bête, mais étant cette nature corrompue dans le noble corps et âme de l’homme, elle ne doit jamais se mouvoir que par la volonté suprême, qui dépend de celle de Dieu.

82. Ce qui ne se fait pas par les hommes de notre temps, lesquels pour l’ordinaire sont esclaves de leur chair corrompue, la suivant partout où elle les conduit. Ce qui a apporté un tel divorce entre Dieu et l’homme, qu’on n’en voit presque plus nuls qui s’y tiennent attachés [608] ; mais un chacun suit sa chair à l’aveugle et adhère à sa volonté, au lieu de la maîtriser et la soumettre à la raison.

83. Ce mal général étant arrivé aux hommes, Dieu ne les a pourtant voulu abandonner absolument ; mais a envoyé Jésus Christ avant la fin du temps de notre épreuve, pour leur faire voir la misère où ils étaient plongés. Il n’est pas venu (si que plusieurs croient) pour payer la peine due à des si grandes corruptions, ou bien pour donner espoir de salut à ceux qui veulent persévérer en icelles : mais il est venu seulement nous amener son S. Esprit [609], pour nous découvrir nos malheurs, et faire connaître par sa lumière le noble état que nous avons quitté pour prendre la condition des bêtes qui vivent selon les mouvements de la nature. Ce S. Esprit n’est pas encore donné en pleine perfection pour nous apprendre toute vérité [610] ; mais ne nous est donné que trop suffisamment par Jésus Christ pour nous faire voir qu’il faut renoncer à soi-même et à sa nature corrompue si l’on veut retourner dans la dépendance de la volonté de Dieu, hors de laquelle il n’y peut avoir de salut.

84. Et le S. Esprit n’a pas montré cela par sa seule intelligence, ou lumière de l’entendement ; mais aussi Jésus Christ en a montré les pratiques. Car Dieu, au lieu d’avoir damné Adam et tous les hommes en lui avant qu’ils eussent l’être, pour créer des nouvelles créatures qui lui eussent été obéissantes, il a mieux aimé par sa grande bonté pardonner à Adam, et à tous ceux qui suivront volontairement sa pénitence. Et lorsqu’il a vu que les hommes depuis lui avaient derechef quitté sa dépendance, de leurs propres et libres volontés, il leur a encore pardonné moyennant d’embrasser la Loi que Jésus Christ venait apporter comme l’unique moyen et remède à tant de maux où ils s’étaient volontairement plongés.

85. Il ne se faut pas aussi imaginer que Jésus Christ soit un fantôme, ou quelque corps formé de l’air ; non plus qu’une chose mystérieuse ou imaginaire. Car Jésus Christ est un véritable homme, avec corps et âme comme nous, chargé aussi de nos misères et de notre mortalité [611], voire de la même inclination au mal comme tous les autres hommes sont en venant au monde [612]. C’est pourquoi il n’a pas satisfait pour nous de la façon qu’aucuns s’imaginent, par quelque mystère caché : car si Dieu eût voulu sauver les hommes par des choses inconnues ou des mystères cachés, il n’avait pas besoin d’envoyer Jésus Christ sur la terre pour tant souffrir et endurer ; vu qu’il est Tout-puissant en soi-même, et peut tout ce qu’il veut absolument [613], sans l’entremise des souffrances de Jésus Christ. Si en cas il eût voulu sauver les hommes sans leur faire embrasser sa Loi Évangélique, il n’était nullement nécessaire que Jésus Christ leur eût venu enseigner tant de choses diverses, s’ils ne les devaient pas nécessairement pratiquer. Toutes les souffrances de Jésus Christ eussent été souffertes en vain si en cas les hommes pouvaient bien être sauvés avec des spéculations imaginaires, comme sont que Dieu les sauvera par des vois ès toutes mystérieuses. Cette ignorance est si grossière qu’on croirait perdre temps à la mettre au jour si on ne voyait pas tant de beaux esprits engourdis dans ces ténèbres, en croyant et disant qu’ils seront sauvés par les mérites de Jésus Christ, quoiqu’ils ne suivent pas ses œuvres et sa doctrine. Ce sont des filets avec lesquels le Diable a enfilassé les âmes des mieux intentionnés ; et quoiqu’ils ne disent pas absolument qu’il ne faut pas suivre Jésus Christ, leur foi et croyance est que Jésus Christ est mort pour eux, et qu’il a tout satisfait pour leurs péchés par ses souffrances.

86. Cette mauvaise conséquence, qu’il aurait tout satisfait par ses souffrances, est la damnation de plusieurs qui, appuyant leur salut sur cette Foi et croyance, s’imaginent d’être trop infirmes pour imiter Jésus Christ : pendant que cette raison est toute contraire au vrai sens. Car c’est à cause de notre infirmité qu’il nous faut embrasser les conseils de la Loi Évangélique, les croix et les souffrances, puisque notre nature est trop faible pour demeurer dans la dépendance de Dieu en vivant en délices et plaisirs.

87. Nous voyons la preuve de cela en Adam, qui avait son temps d’épreuve dans un lieu de délices, d’aises et de contentement, et qu’il y a demeuré si peu dans la Dépendance de Dieu : les beautés et bontés des créatures qui lui étaient assujetties, les délices dans lesquelles il se trouvait, furent la cause qu’il oublia sitôt les devoirs et respects qu’il devait à son Dieu, lequel lui avait donné toute chose. Il s’égara par fragilité en l’admiration des créatures et oublia leur Créateur. L’on a vu la même fragilité aux Anges, qui étaient créés dans un état de délices et d’honneur, lequel ils perdirent bientôt pour ne savoir longtemps souffrir de si grands biens sans en abuser. Si les Anges et Adam dans un état si parfait n’ont pas eu la force de supporter l’honneur, les délices et les joies sans devenir infidèles à Dieu, combien moins l’homme les pourrait-il supporter sans commettre la même infidélité, lui qui est devenu si faible et infirme depuis le péché et la corruption ? L’on voit par expérience que les honneurs changent les mœurs, et que les délices et grandeurs pervertissent les cœurs : d’où l’on peut nettement conclure qu’il faut de nécessité embrasser les souffrances et imiter Jésus Christ à cause de notre fragilité : vu que la corruption de notre nature ne permet pas de lui lâcher la bride par une vie douillette et licencieuse, qui mènerait infailliblement notre âme à perdition. En sorte que l’infirmité alléguée par ces aveugles, de ne pouvoir imiter Jésus Christ, est leur condamnation propre : car s’ils ont trop de fragilité et faiblesse pour imiter Jésus Christ, ils en ont encore plus pour supporter les aises et les contentements de cette vie en demeurant fidèles à Dieu.

88. D’où se voit que leur allégation de faiblesse à suivre Jésus Christ est un mensonge sorti de Satan ; vu qu’il faut avoir beaucoup plus de force et de vertus pour gagner le Paradis dans une vie prospère et délicieuse, que non pas dans les adversités et misères, où on recourt pour l’ordinaire à Dieu plutôt que dans les prospérités [614]. La même faiblesse que nous alléguons d’avoir pour souffrir nous oblige à embrasser les souffrances : puisque l’expérience nous apprend d’être plus fidèles à Dieu en souffrant qu’en jouissant. Pour cela dit Jésus Christ qu’un Riche entrera difficilement au Royaume des Cieux ; voire avec autant de difficulté qu’un chameau passerait par le pertuis d’une aiguille [615]. Ce n’est pas que les richesses en elles-mêmes nous puissent empêcher l’entrée du Royaume des Cieux ; mais c’est que la fragilité humaine est trop grande pour en pouvoir bien jouir. C’est pourquoi Jésus Christ nous a enseigné la pauvreté comme un support à notre fragilité. Il nous a aussi enseigné la bassesse, l’humilité, le mépris, les souffrances et incommodités, sachant bien que notre fragilité ne saurait souffrir la gloire, les louanges et les délices en demeurant fidèles à Dieu. C’est en quoi Jésus Christ est notre Médecin, ayant rapporté les remèdes à nos maux et à nos faiblesses et infirmités.

89. Ce que les hommes prennent d’un sens tout renversé, en disant qu’ils sont trop faibles à avaler les médecines, lorsqu’en effet ils sont trop faibles et débiles pour ne point mourir de la mort éternelle sans avaler les médecines qui les peuvent guérir, et rien d’autre. En sorte que lorsqu’ils disent d’être trop faibles pour imiter Jésus Christ, ils disent indirectement qu’ils sont trop faibles pour être sauvés : et partant, au lieu qu’ils s’appellent les élus, ils sont en effet les réprouvés par leur propre condamnation, en se disant trop faibles pour imiter Jésus Christ, lequel toutes fois n’est rien venu enseigner sinon ce que les hommes devaient faire et laisser pour recouvrer le salut. Car Jésus Christ n’avait nul besoin de rien souffrir, parce qu’il n’avait jamais péché. Et Dieu n’avait aussi besoin des souffrances des hommes, puisqu’il est Souverain, indépendant de toutes choses [616] : nos souffrances ne lui peuvent aider ni servir en rien, mais elles peuvent grandement servir à bien régler nos passions, et les réduire soumises à Dieu, afin qu’il en dispose à notre salut.

 

 

Nécessité d’imiter Jésus Christ.

 

XII. Les hommes, au lieu de dépendre de Dieu, lui ont toujours été infidèles dans la jouissance des créatures. Dieu leur pardonnant les en a sevrés plusieurs fois par des Lois et pénitences, pour les aider et guérir : jusqu’à ce qu’enfin leurs péchés étant à l’extrémité, il les oblige pour leur guérison à tout renoncer et à une pleine pénitence par l’envoi de J. Christ, donné pour Patron, dont il faut nécessairement embrasser l’Esprit et l’exemple pour être sauvés.

 

90. Voilà tous les avantages que nous pouvons tirer à imiter Jésus Christ et embrasser sa Loi Évangélique, laquelle ne nous servira de rien quoique Jésus Christ l’ait pratiquée. Sa pratique ne sauvera pas une seule âme autre que celles qui feront les mêmes choses à son Imitation [617]. Et partant, ceux qui ne le veulent pas imiter ne veulent pas être sauvés. Personne ne se doit flatter en ce point. C’est un arrêt donné de Dieu, que personne ne peut être élu à la vie bienheureuse sinon ceux qui embrasseront la vie Évangélique [618].

91. S’il y avait entre les Païens ou infidèles encore quelques-uns qui fussent demeurés dans la dépendance de Dieu, ils pourraient bien entrer dans la vie éternelle bienheureuse [619] : à cause que l’éternité bienheureuse est affectée à cette dépendance, et cela, dès le commencement du monde [620]. Car Dieu n’a jamais fait à l’homme qu’un seul commandement essentiel, lequel était de dépendre de lui comme de son Souverain. Et Dieu, toujours immuable, ne changera jamais cette unique Loi qu’il a une fois donnée à l’homme. C’est pourquoi celui qui la garde sera assurément sauvé, de tel lieu, nation, ou condition qu’il puisse être, en tout temps, et en tout âge. Car Dieu ne surchargera jamais l’homme d’autre faix que du joug de son Amour, qui engendre la soumission de l’homme à son Dieu, laquelle est toujours affectée à l’Amour, vu que celui qui aime est toujours soumis à son aimé.

92. S’il est venu à l’homme des autres Lois depuis cette première, elles ne sont pas procédées de Dieu, mais seulement engendrées des hommes mêmes, qui ont produit ces Lois par leurs péchés. Ce n’est pas que les Lois soient mauvaises ; vu que Dieu les a données, de qui rien de mauvais ne procède : mais elles sont très bonnes pour médeciner nos maux. Les Hommes avaient blessé et navré leurs propres âmes de plusieurs plaies mortelles, desquelles ils ne pouvaient jamais être guéris que par le Souverain Médecin, qui est Dieu, lequel vint visiter Adam lorsqu’il eut blessé son âme par le péché. Il avait le mal en soi et ne pouvait être guéri que par des remèdes qu’il prendrait en soi-même. C’est pourquoi Dieu lui donne à avaler la Médecine de peiner, suer, et travailler, pour guérir ces aises, repos et délices qui l’avaient induit à quitter la dépendance de son Dieu ; et lui ôte les délices de la vie comme un remède préservatif pour ne plus tomber dans l’oubli de Dieu par le moyen de la jouissance d’icelles. Ce n’est pas que Dieu prît plaisir à voir peiner et travailler Adam, ni aussi qu’il se plût à le voir privé des délices du Paradis terrestre. Car il avait créé toutes ces choses pour le repos et plaisir d’Adam, et Dieu ne se peut jamais repentir de rien. C’eût bien été son plaisir de voir Adam dans la liberté et jouissance de toute chose tout le temps de son épreuve. Mais voyant qu’il lui était devenu infidèle, il lui donne des Lois pénibles afin d’empêcher qu’il ne fût plus retombé dans son infidélité, en voyant à quelles peines cette infidélité l’avait asservi.

93. Tout le même est encore arrivé lorsque tous les hommes depuis Adam étaient tombés dans la même infidélité à leur Dieu. Et encore bien qu’ils étaient soumis à travailler et souffrir les incommodités que le péché d’Adam avait causées, et qu’ils n’étaient plus ès délices du Paradis terrestre ; si avaient-ils encore la pleine liberté de toute autre chose, sans être assujettis à autre Loi qu’à celle que la nature leur suggérait, de laquelle-même ils déchurent encore ; et contre raison et nature ils oublièrent leur Dieu, de qui ils tenaient toutes choses, et mirent leur affection aux bêtes et autres créatures, en la retirant de Dieu, lequel voyant leurs chutes et infidélités si grandes qu’ils avaient bien mérité d’être de lui exterminés et perdus, l’excès de la Bonté de Dieu fut si grande qu’il leur pardonna pour la seconde fois, leur donnant pour satisfaire à sa Justice des Lois de pénitence ; et leur ordonnant aussi plusieurs cérémonies qu’ils devaient observer à son service, afin qu’ils se fussent journellement ressouvenus de lui, et qu’ils fussent assujettis à des Lois, craignant que la trop grande liberté ne les eût fait derechef tomber dans l’infidélité et oubli de leur Dieu.

94. Et nonobstant tous ces remèdes et prévoyances que Dieu a eus pour maintenir l’homme en la grâce par tant de moyens divers, les hommes ont toujours abusé de ses grâces et faveurs, continuant leurs infidélités, voire avançant en pis, si avant qu’ils ont abusé des Lois et cérémonies mêmes, et ont rendu aux créatures l’honneur qui appartenait à Dieu, se rendant idolâtres d’or et d’argent, d’honneurs et de plaisirs de leurs corps : en sorte que la fin était pire que le commencement, après avoir tant reçu de pardons, de grâces, d’indulgences, de Lois, et d’enseignements. Car au commencement l’homme ne pouvait faire si grand péché en tombant dans l’infidélité comme à la fin : à cause qu’il n’avait pas de connaissance du mal [621], et ne savait à quelles misères le péché pouvait assujettir l’homme ; ne sachant aussi qu’il lui ferait perdre Dieu, ni la vie éternelle, et qu’il le priverait de tout bonheur, duquel il jouissait ; ne sachant en particulier ce qu’il devait faire ou laisser pour plaire davantage à Dieu. Mais depuis que les hommes ont eu reçu la Loi de Moïse, ils ont appris par icelle à connaître leurs péchés et à entendre les choses qu’ils devaient faire et laisser tout par le menu, et les menaces à ceux qui enfreindraient les Lois de Dieu, n’expérimentant que trop les misères où le péché avait réduit tous les hommes. Car Dieu leur fit écrire par Moïse comment il avait créé le monde, et comment l’homme avait été déchassé du Paradis ou lieu de délices à cause de son péché. En sorte que toute cette science, et tant d’expérience, devait rendre les hommes plus avisés à l’avenir, et les tenir plus en crainte et circonspection pour bien régler leurs vies et ne point tomber dans l’ingratitude avec l’infidélité. Mais cette nature corrompue n’a pas voulu reprendre vigueur nonobstant tant d’aides et de faveurs que Dieu lui présentait pour se relever de sa chute. Car fort peu de personnes ont observé la Loi de Dieu donnée par Moïse. C’est pourquoi Dieu fut souvent obligé de châtier les hommes par des grands fléaux, lesquels ne les ont pourtant réduits à leurs devoirs ; au contraire, leur ont endurci le cœur si avant, que les maux étaient devenus irrémédiables. Car les législateurs de la Loi même tuaient les Prophètes que Dieu leur envoyait : en sorte que les hommes ne connaissaient plus ni Dieu, ni sa Loi, ni ses Enseignements, vivants et régnants dans ce mondé comme si les hommes n’eussent plus dépendu que d’eux-mêmes. Et si la miséricorde de Dieu n’eût point été surabondante, tous les hommes n’avaient que trop mérité la damnation éternelle : pendant que cette grande Bonté de Dieu suggère encore quelque moyen pour les délivrer de cette damnation, et leur pardonner encore une fois leurs péchés.

95. Dieu avait toujours produit sa Parole pour communiquer son bien à l’homme ; mais à la fin il rendit cette Parole chair [622], l’environnant d’un corps et d’une âme, toute semblable aux autres hommes, afin qu’ils eussent mieux entendu cette Parole par un organe visible et sensible à leurs sens. Pour ce sujet, Dieu créa le corps de Jésus Christ, pour par lui renouveler les hommes au lieu de les abîmer et en créer de nouveaux ; et plutôt que d’attendre la génération de nouvelles créatures naturelles, il reprend celles qui étaient jà produites selon la chair, pour avec cette même étoffe former des nouvelles créatures spirituelles, se contentant d’en créer un seul qui devait former tous les autres. Et comme le premier Adam avait porté en ses reins la semence de tous les hommes naturels, aussi ce second Adam, qui fut Jésus Christ [623], porterait en soi la semence de tous les hommes spirituels, lesquels devaient renaître par son Esprit Divin. En sorte que Jésus Christ est le Père de tous les hommes spirituels comme Adam est le Père de tous les hommes naturels. Et tout de même qu’il n’y peut jamais avoir de créature humaine si elle n’est provenue de la semence d’Adam, ainsi aussi ne peut-il y avoir d’hommes renés que par l’Esprit de Jésus Christ, lequel il a épandu sur ceux qui ont reçu sa lumière de vérité, ou ceux qui la recevront jusqu’à la fin du monde [624].

96. C’est pourquoi il ne se faut pas flatter pour se perdre : car personne n’entrera en Paradis s’il n’est revêtu de l’Esprit de Jésus Christ, non plus que personne ne peut être humain que celui qui est provenu de la nature d’Adam : l’un étant notre Père naturel, et l’autre notre Père spirituel. Si bien que les hommes se trompent fort d’attendre le salut sans être renés dans l’Esprit de Jésus Christ : parce que Dieu ne connaît que sa Nouvelle Créature [625] : à cause que la vieille a tellement défiguré son image qu’elle n’est plus reconnaissable. Mais Dieu l’a refigurée dans son Fils unique, qui est Jésus Christ [626], afin que par lui cette première figure reprenne forme ès autres hommes qui avaient gâté et défiguré en eux cette belle image de Dieu qui les devait sauver et mener à la vie éternelle bienheureuse. En sorte que le vrai Patron et seul modèle des Enfants de Dieu, c’est Jésus Christ ; et celui qui ne veut pas suivre sa vie et imiter son exemple ne peut être Enfant de Dieu ni vrai Chrétien ; mais est assurément dans la condamnation des réprouvés [627], pour avoir abandonné Dieu et ne pas vouloir prendre les moyens que Dieu nous a montrés par Jésus Christ afin de retourner à lui.

97. C’est la condamnation des hommes que la lumière est venue au monde [628], et qu’ils ne l’ont pas voulu recevoir, ou qu’ils ont mieux aimé leurs ténèbres que la lumière. Les hommes qui ont rejeté la lumière lorsque Jésus Christ est venu au monde sont morts en leurs péchés ; mais ceux qui ont connu et reçu la lumière et ne l’ont pas suivie ont encore plus grande condamnation que ceux qui ne l’ont pas connue, quoique l’un et l’autre soient damnés sans ressource, avec tous ceux qui ne reprendront efficacement la doctrine Évangélique. Et cela, jusqu’à la fin du monde ; à cause que plus d’autres remèdes ne seront donnés de Dieu [629] que ceux que Jésus Christ nous est venu enseigner comme la dernière miséricorde de Dieu et le dernier pardon qu’il donnera aux hommes, les ayant rachetés de la damnation où ils s’étaient plongés pour la troisième fois lorsqu’il envoya Jésus Christ au monde. Et comme pour la première chute nuls hommes n’ont pu être sauvés sans accomplir la pénitence que Dieu avait enjointe à Adam ; et la deuxième chute en laquelle les hommes étaient tombés volontairement, personne ne fut jamais sauvé sinon ceux qui observèrent la Loi donnée par Moïse [630] ; ainsi pour la troisième fois que Dieu a pardonné aux hommes par l’entremise de Jésus Christ [631], il est très certain que personne ne sera sauvé sinon celui qui accomplira la Loi Évangélique que Jésus Christ nous a apportée [632] : parce qu’il n’y a plus de temps d’attendre autre miséricorde, puisque celle-là est la dernière, comme Jésus Christ même l’a dit étant encore au monde [633], que la dernière heure de Dieu était venue : c’est à dire, la dernière miséricorde de Dieu sur les hommes : qu’ils n’en devaient attendre d’autre : parce que le temps de notre épreuve est fini, et que Dieu a pardonné aux hommes autant que sa Justice le peut permettre jointe à sa grande Miséricorde.

98. En sorte qu’on peut maintenant demander avec beaucoup de sujet qu’est-ce que Dieu eût pu faire pour l’homme qu’il ne l’ait pas fait [634] ? Et quelle Amour pourrait être plus grande que celle qu’il a témoignée ? Car autant de fois que l’homme s’est retiré de lui et rendu son Ennemi, autant de fois l’a-t-il reçu en grâce et pris à merci, moyennant quelque petite pénitence passagère. Et cependant les hommes jusques aujourd’hui sont encore si ingrats de ne pas reconnaître les bienfaits de Dieu, ni vouloir accepter la pénitence qu’il leur a enjointe par Jésus Christ ; mais ont l’esprit si superbe et ignorant qu’ils veulent être sauvés par leurs propres mérites, les uns rejetant les Mérites de Jésus Christ, et les autres sa doctrine et son exemple, sans les vouloir observer, voulant que lui ait souffert et travaillé pendant qu’eux prennent l’aise et le repos !

 

 

XIII. La présomption d’être sauvés par les seuls mérites de J. C. sans l’imiter (ce qui est un beau prétexte de l’Antéchrist) est un grand malheur, est fausse, est contre les fondements de la Foi, la Justice, Vérité et Bonté de Dieu, son immutabilité, détruit la nécessite de la venue de Jésus Christ et celle de ses souffrances.

 

99. Ne vous semble-t-il pas, Monsieur, que les hommes sont arrivés à l’état le plus malheureux qu’ils n’aient encore été depuis que le Monde fut créé [635] ? Parce qu’ils n’ont jamais eu tant de lumières divines que maintenant, et jamais moins d’Amour et de respect pour Dieu, ni moins d’obéissance pour les affaires de leur salut. Car Dieu leur donne les Conseils Évangéliques pour, par l’observance d’iceux, faire mourir en eux le Vieil-nomme et revivre au Nouveau. Mais ils veulent demeurer attachés à la corruption de leur chair durant leur vie, et avec cela être à la fin sauvés. L’on ne voit rien plus commun dans les hommes de maintenant que se plaire dans l’accomplissement de leurs propres volontés, et suivre les mouvements et inclinations de la nature ; et néanmoins se disent des Chrétiens et des personnes renées, qui attendent le salut à pied coi, comme se moquant des conseils Évangéliques, ou comme s’ils n’étaient pas donnés pour eux, mais pour Jésus Christ tout seul, se contentant que lui les ait observé sans les observer eux-mêmes : comme si par une certaine magie ils voulaient faire passer les souffrances de Jésus Christ dans eux-mêmes insensiblement et sans en vouloir ressentir quelque incommodité : et encore avec ce auront bien l’effronterie de demander pourquoi Jésus Christ a souffert si ses souffrances ne les peuvent sauver ? Disant qu’il a donc souffert en vain.

100. Cela vient de ce que le Diable leur a aveuglé l’entendement pour ne jamais connaître en quelle manière Jésus Christ a satisfait pour eux, afin de les faire blasphémer contre Dieu et mépriser Jésus Christ. Et il a obtenu en partie ses prétentions : car la plu part des hommes blasphèment contre Dieu lorsqu’ils veulent être sauvés en suivant leurs propres volontés : comme si Dieu était injuste, et qu’il sauvât des animaux comme sont les hommes qui suivent leur nature et méprisent Jésus Christ, lorsqu’ils veulent que lui pâtisse et souffre tout seul, comme s’il était coupable et qu’il eût mérité les souffrances et la mort pour les démérites. Voyez un peu, Monsieur, a quelle extrémité de malice sont arrivés les hommes de maintenant, après avoir reçu par Jésus Christ la lumière du S. Esprit, et savoir comment il a cheminé étant sur la terre ! Si tous les hommes étaient perdus avant la venue de Jésus Christ (comme il est très véritable), combien plus le doivent-ils être maintenant en péchant journellement contre leur propre savoir et conscience ? Jésus Christ dit aux Pharisiens : Si je n’avais pas fait les œuvres que j’ai faites à votre vue, il n’y aurait pas de coulpe en vous : mais parce que les avez vues et pas cru en moi, vous êtes coupables [636]. Ce qui se pourrait dire aux Chrétiens de maintenant, qu’ils savent ce que Dieu a fait pour eux, et les œuvres et pratiques de Jésus Christ, pendant qu’ils ne se croient pas être obligés à l’imiter et suivre.

101. Cette ignorance leur est survenue depuis qu’ils ont perdu les Fondements de la Foi et qu’ils ne croient plus dans la Trinité des trois qualités essentielles et inséparables de Dieu ; et ne comprennent pas qu’il est immuable en toutes ses œuvres. Car si les hommes étaient maintenant sauvés par les seuls mérites de J. Christ sans le falloir imiter, il serait de nécessité vraisemblable que Dieu serait changé, et que par la Loi Évangélique il aurait détruit ses autres Lois données auparavant. Ce qui ne peut être [637] : car Dieu ne peut être divisé en soi-même, ni rétracter ce qu’il a une fois ordonné. Il a voulu que les hommes travaillassent et peinassent pour satisfaire à sa Justice du péché qu’Adam avait commis : et tous ceux qui n’ont voulu ou ne voudront jusqu’à la fin du monde accomplir cette pénitence, ne peuvent jamais être sauvés, vu que le pardon n’a été donné qu’en accomplissant ladite pénitence. En sorte que si Adam même, si parfait qu’il était, n’eût pas voulu embrasser cette pénitence tout le temps de sa vie, il ne pouvait jamais être sauvé : quoique Dieu lui eût pardonné la coulpe, la pénitence était néanmoins affectée à ce pardon. En sorte que tous les hommes sortis de sa semence sont soumis à la même pénitence, encore bien qu’ils n’auraient pas commis de péchés actuels : à cause que ce qui fut enjoint à Adam ne sera jamais rétracté ; non plus aussi les autres Lois que Dieu a données depuis aux hommes.

102. Elles sont irrévocables et sans rappel [638], et doivent être observées jusqu’à la fin du monde. En sorte que celui qui n’observe pas la Loi donnée par Moïse, écrite dans la pierre pour éternelle mémoire, ne peut jamais être sauvé [639] : parce que Dieu ne rétracte jamais ce qu’il fait une fois. Les divers péchés des hommes ont engendré diverses Lois, et si ces lois ne sont pas observées pour contrecarrer ces divers péchés, ils ne peuvent être pardonnés ; à cause que les dix Commandements ne sont autres que les remèdes aux péchés des hommes, lesquels ne voulant pas recevoir, ils ne peuvent être guéris, mais mourront dans leurs péchés. Ainsi de toutes les autres Lois et Ordonnances de Dieu : elles doivent toujours être observées par ceux qui sont coupables [640], à moins de quoi personne ne peut être sauvé [641]. En sorte que ceux-là se trompent fort qui croient être sauvés depuis que Jésus Christ est venu au monde, sans observer la Loi Évangélique qu’il a apportée ; vu qu’icelle n’est autre chose que la guérison de nos maux[642] ; et ceux qui ne la veulent pas observer ne veulent pas être guéris, et ne le feront aussi jamais [643].

103. Car si Dieu voulait sauver les hommes par les seuls mérites de Jésus Christ, il n’aurait jamais permis qu’il eût souffert tant de choses diverses. Une seule goutte de son sang eût été capable de sauver tout le monde ; voire une goutte de sa sueur ; ou une larme ; voire un seul soupir de son cœur pouvait attirer toutes les grâces de Dieu sur les hommes, sans autres peines ou labeurs ; puisque Dieu ne regarde pas à nos actions extérieures, desquelles il n’a aucun besoin [644], comme étant un pur esprit, qui sonde les désirs des cœurs et ne dénie ses grâces à celui qui lui demande en vérité d’une pure intention et une droite conscience [645]. Car sitôt que le pécheur se convertit, il le reçoit à pénitence, et lui donne ses grâces en abondance. En sorte que si Jésus Christ eût seulement demandé ou désiré les grâces de Dieu pour sauver tous les hommes, il les eût assurément obtenues par un seul soupir de son cœur, de tant plus que sa prière eût provenu de pure charité, en demandant le salut du prochain, et pas son propre, duquel il était en jouissance par l’union qu’il avait inséparablement avec Dieu.

104. Par où l’on peut assez comprendre que si Dieu eût voulu sauver les hommes par les seuls mérites de Jésus Christ, il n’aurait nullement été besoin qu’il fût venu en ce monde pauvre et méprisé, poursuivi, maltraité et mis à mort : car sa Foi seule eût été capable de satisfaire à Dieu pour tous les hommes ; vu que le S. Esprit dit que celui qui a la foi peut toutes choses [646]. Mais cette Foi nous montre que Dieu ne donne jamais ses grâces que par Justice, Bonté, et Vérité ; et partant, que les hommes ne pouvaient être sauvés par les mérites de Jésus Christ sans qu’iceux eussent embrassé les moyens de leur salut : puisque cela n’eût été bon, ni juste, ni véritable. Car quelle bonté se pouvait trouver dans le salut des hommes qui étaient remplis de péchés et arrêtés à suivre leur propre volonté, qui les eût aussi accompagnés dans le salut éternel ? Ce qui eût été une chose bien mauvaise, vu que l’homme est misérable dès en ce monde lorsqu’il est soumis à sa propre volonté, et le serait sans doute encore davantage dans la vie bienheureuse si en cas sa propre volonté l’accompagnait comme elle fait ici. Ce qui serait véritable si Dieu sauvait les hommes avant qu’ils eussent en ce monde vaincu et surmonté cette propre volonté perverse. Car si elle les accompagnait en l’autre monde, ils n’y jouiraient point d’une vie heureuse, mais malheureuse, sous l’esclavage de leurs propres volontés : en sorte qu’on ne pourrait trouver la Bonté de Dieu dans le salut des hommes qui seraient sauvés par les mérites de Jésus Christ sans le vouloir suivre et imiter en ce monde. Il n’y aurait pas aussi de Justice si Dieu sauvait les hommes par les mérites de Jésus Christ sans qu’iceux veulent quitter leurs péchés et se remettre dans la dépendance de Dieu, qui est la chose la plus juste et raisonnable du monde. Il ne serait aussi véritable que Dieu sauvât maintenant les hommes sans faire pénitence : puisqu’il l’a requise de tout temps et depuis le premier péché d’Adam. Par où se voit que nulles des trois Qualités de Dieu ne se pourraient retrouver dans le salut des hommes par les seuls mérites de Jésus Christ. Et partant, il ne peut être véritable qu’aucuns seront sauvés par ces mérites selon qu’ils s’imaginent, puisque Jésus Christ n’a pas souffert et n’est pas mort pour sauver les hommes immédiatement mais bien pour leur enseigner le chemin de salut [647], restant à un chacun d’iceux à le prendre et laisser, vu que jamais la libre volonté ne fera ôtée à aucuns hommes, puisqu’ils en doivent jouir à toute éternité.

 

 

Nécessité d’embrasser la Loi Évangélique.

 

XIV. Dieu ne peut sauver les hommes s’ils n’ôtent eux-mêmes les obstacles qui sont en eux : pour à quoi les aider il leur a envoyé de temps à autre des Prophètes, et enfin Son Fils, qui s’est rendu compagnon de leurs misères pour par son exemple les encourager à prendre la guérison et mourir à leur corruption.

 

105. Dieu nous a bien pu créer sans nous ; mais ne nous peut sauver sans nous : à cause qu’à la création il n’a trouvé nulles oppositions, créant l’homme de rien selon son bon plaisir et sa seule volonté ; mais il trouve de l’opposition en l’homme, laquelle l’empêche à le sauver [648], ce qu’il ne peut faire sinon lorsque l’homme voudra ôter ces empêchements de son salut. Car Dieu ne le peut sauver autrement, pour la liberté qu’il lui a donnée en le créant. Il ne faut donc plus s’imaginer qu’on sera sauvé sans embrasser la Loi Évangélique, qui ne contient autre chose en soi que les véritables moyens d’ôter les empêchements à notre salut [649]. Car Dieu n’a pas besoin que nous soyons pauvres, souffreteux, ou méprisés, vu qu’il nous a donné tous biens en abondance, nous ayant placés dans un lieu de délices, honorés, et servis des Anges mêmes. Et il ne se peut repentir de tous ces bienfaits pour désirer maintenant que nous en soyons privés : mais ce sont nos seuls péchés qui ont besoin de toutes ces choses ; et notre salut en a si grande nécessité, qu’à moins d’ôter tous ces empêchements, nous ne le pourrons jamais posséder.

106. Car si longtemps que nous n’avons pas embrassé la pauvreté d’esprit, notre avarice empêche que Dieu ne nous puisse sauver. Et aussi longtemps que nous ne méprisons les honneurs de ce monde, notre orgueil empêche Dieu de nous pouvoir sauver. Et aussi longtemps que nous n’avons renoncé à nous-mêmes, notre sensualité empêche Dieu à nous sauver. En sorte que tous ces empêchements n’étant ôtés, il n’y a point de salut à espérer, encore bien que mille Jésus Christs seraient morts pour nous : parce que notre salut dépend de Dieu seul, lequel néanmoins ne le peut donner à personne sinon lorsqu’un chacun en son particulier lui ôte ses empêchements propres [650]. Car personne ne se peut sauver soi-même, et encore moins un autre, vu que le salut vient de Dieu seul : et partant, Jésus Christ en tant qu’homme ne nous pouvait sauver ; mais bien nous pouvait-il montrer par parole et exemple ce que nous devons faire afin que Dieu nous sauve.

107. En tout temps Dieu a suscité des créatures humaines pour faire remémorer à l’homme les choses qu’il devait faire et laisser pour être sauvé [651]. Adam a enseigné cela par œuvres et paroles tout le temps de sa vie ; mais ne prévoyait encore toutes les fautes et infidélités dans lesquelles les hommes eussent tombé après lui. Et à mesure que les hommes se sont égarés de Dieu, sa bonté a toujours suscité quelqu’un de ses Serviteurs et Prophètes pour rappeler les hommes à leurs devoirs. S’ils fussent demeurés attentifs à la voix intérieure de Dieu, ils n’auraient jamais eu besoin de personne. Car le S. Esprit eût toujours enseigné un chacun autant qu’ils en auraient eu besoin pour leur salut. Mais les hommes s’étant égarés de Dieu, et appliqué leur entendement à la spéculation des choses terrestres, ils se sont rendus incapables d’entendre la voix intérieure du S. Esprit, et par ce moyen ont mis leurs affections dans les créatures périssables, au lieu de les laisser dans le Créateur de toutes choses. Et la grande Bonté de Dieu ne désirant de les voir périr, leur a en tout temps envoyé quelqu’un pour les rappeler. Élie, Énoch, Abraham, Moïse, David, et tant d’autres Prophètes, ont été les Ministres de Dieu pour faire ces devoirs, et ont en effet ramené à la connaissance de Dieu tous ceux qui les ont voulu croire et suivre leurs enseignements. Mais n’ont jamais pu sauver personne d’eux-mêmes, ni par leurs mérites ou bonne vie ; mais ont montré seulement les moyens par lesquels un chacun pouvait arriver à salut, et ont prié Dieu pour obtenir sa grâce, afin que les autres hommes les pussent suivre et imiter. Car la charité produit toujours la bien-veuillance du prochain, aimant et souhaitant que tous les hommes fussent unis à Dieu dans la même Charité : vu que le plus grand contentement qu’il y ait dans le monde, c’est d’être associé avec son semblable par l’union de charité. C’est pourquoi Élie s’attristait et se plaignait au Seigneur d’être délaissé seul Prophète dans le monde [652], lequel pour le consoler lui dit qu’il y avait encore sept mille lesquels n’avaient point ployé les genoux devant l’idole. Ce n’était pas que Dieu voulût reprendre Élie de ce qu’il se disait seul Prophète : à cause que cela était véritable : mais c’était qu’il le voulait encourager à prêcher, et à prier davantage pour les hommes, puisqu’il y en avait encore quelque nombre entre les autres qui n’avaient pas fléchi devant l’idole et étaient encore capables de recevoir ses enseignements et se convertir à Dieu.

108. Voilà les moyens desquels Dieu s’est servi en tout temps pour attirer les hommes aux devoirs de leur salut. Ce n’est pas qu’il ait jamais sauvé un homme par un autre homme ; vu qu’il n’y a que lui seul qui peut sauver : mais c’est qu’il a toujours donné les lumières aux hommes par des organes palpables à leurs sens, afin que personne ne pût périr par ignorance. Et dans l’accomplissement des temps, où tous les hommes étaient plus égarés de Dieu que jamais, il envoya son véritable Fils Jésus Christ sur la terre, afin que pour la dernière fois il donnât le remède parfait et accompli pour guérir toutes telles sortes de maux que les hommes avaient jamais su commettre. Car la Loi Évangélique contient en soi tous les remèdes à tous les maux que jamais pourraient commettre les hommes. C’est la souveraine Médecine qui guérit toutes sortes de blessures. Mais il faut qu’un chacun l’applique à soi-même, autrement elle ne profitera de rien, non plus que ne feraient à notre corps naturel les drogues qui sont dans la boutique des Médecins ou Apothicaires : si un corps infirme ne les avale lui-même, il ne peut être guéri, quoique tous ses voisins le voudraient avaler pour lui. Tout de même en est-il de la santé de l’âme, laquelle nous ne recouvrerons jamais à moins que d’incorporer les médicaments que Jésus Christ nous a préparés [653], voire éprouvés et avalés lui-même pour nous encourager à les prendre volontiers à son exemple [654].

109. Il n’a pas seulement fait comme les autres Prophètes, qui nous ont départi les médecines propres à guérir nos âmes gratuitement, donnant tout pour rien, vu qu’ils n’avaient nulles prétentions à la terre. Mais Jésus Christ, Chef de tous les Prophètes, nous donne gratuitement ce qu’il a reçu de son Père ; et, outre ce, se charge de nos misères et porte lui-même les peines de nos maux comme s’il en était coupable [655]. Quoiqu’il fût juste et innocent, il ne se hontit pas de prendre la forme d’un pécheur pour nous accompagner dans nos misères et compatir à nos douleurs [656]. Si l’on voyait quelque grand Prince se mettre dans la prison pour accompagner un criminel fort coupable afin de le conseiller et encourager jusqu’à la mort, voire mourir avec lui pour sa consolation, et compagnon de ses misères, ne dirait-on pas, Monsieur, que ce Prince aurait un amour extrême pour ce criminel, et qu’il lui fait en cela une plus juste assistance que de le délivrer de la prison pour lui donner pleine liberté ? À cause que par icelle il pourrait par après retomber en des plus grands crimes, qui le feraient perdre corps et âme. Ne faut-il pas croire en sain jugement que ce Prince est cause du salut de l’âme et du corps de ce criminel, en l’ayant conseillé et disposé à une bonne mort, et aussi le conseillé et assisté corporellement durant sa vie ? Vous pouvez, Monsieur, découvrir par cet exemple l’ingratitude de ceux qui disent que Jésus Christ a souffert en vain s’il ne les pouvait sauver par ses mérites, vu qu’il a sauvé et racheté hors de l’esclavage du Diable tous ceux qui ont suivi et suivront ses conseils. Car il leur a mérité par les souffrances la grâce de satisfaire à Dieu par l’exemple de sa vie et de sa doctrine.

110. Cette grâce a été distribuée à tous ceux qui ont voulu efficacement suivre et embrasser la Vie Évangélique. C’est pourquoi Jésus Christ doit être appelé SAUVEUR DES HOMMES, puisqu’il en a sauvé plusieurs par son exemple. Il était bien un Grand Roy et Prince [657] ; puisqu’il a toujours dominé sur la nature corrompue, n’étant jamais tombé en aucun défaut, nonobstant qu’il fût revêtu de la même infirmité de nature comme tous les autres hommes, et passible et mortel comme nous. Car le corps de Jésus Christ étant formé d’une matière humaine, qui était la semence de la femme [658], il a porté en sa nature toutes les infirmités et faiblesses de la nature humaine, comme Adam a porté en son corps les qualités des quatre éléments et de toutes autres créatures desquelles son corps avait été composé en sa première création : mais la matière de quoi fut composé le corps immortel du second Adam, qui est Jésus Christ, était déjà enveloppée dans la corruption et la mort par le péché du premier Adam [659]. En sorte qu’encore bien que Jésus Christ soit le virai Fils de Dieu, pour n’avoir jamais été un seul moment séparé de la Divinité, si était-il revêtu de nos misères, et portait en son corps nos langueurs, s’étant volontairement rendu dans la prison de cette mortelle vie pour nous venir conseiller et encourager, nous qui étions comme coupables justement envoyés dans la prison de cette vie pour y purger nos crimes et péchés [660]. Et quoique Jésus Christ, ce Grand Prince, ne fut jamais coupable de rien, il a cependant, pour l’amour qu’il nous portait, voulu descendre au lieu de nos misères pour nous y accompagner, nous consoler par sa présence, et aider de compagnie à porter notre faix et les peines de nos maux : ne nous ayant pas seulement servi et secouru dans nos misères ; mais encore voulu mourir pour nous accompagner aussi à la mort même : craignant que le courage nous défaudrait pour endurer la mort que nos péchés ont méritée, il meurt en notre présence comme s’il eût été criminel ou chargé de nos mêmes forfaits : tout cela par pur Amour qu’il portait aux coupables, lesquels avaient justement mérité la mort. En sorte que s’il les eût délivrés sans les laisser souffrir, ils fussent infailliblement morts (par après) de la mort éternelle.

 

 

Nécessité que chacun opère son salut.

 

XV. Penser être sauvé par les seuls mérites de J. C. sans y coopérer, est faire J. C. coopérateur au péché, renoncer à la vérité, et à son honneur. Et ainsi tous les prétextes allégués jusques ici pour se dispenser de son Imitation, prouvent que l’Antéchrist possède les Esprits des hommes par des sentiments opposés à Christ, sous couleur de piété, d’humilité, et d’honneur de Dieu, etc.

 

111. Car encore bien que Jésus Christ eût pu racheter tous les hommes qui étaient sur la terre à sa venue au monde par ses seuls mérites, sans qu’ils eussent été obligés de travailler eux-mêmes à leur salut, sans doute que les hommes après sa mort se fussent adonnés à des plus grands péchés et négligences de Dieu [661] : puisque l’on voit par effet que ceux qui croient être obligés à suivre et imiter Jésus Christ sont si relâchés et négligents qu’on les voit vivre dans l’oubli de Dieu et la recherche des biens et honneurs du monde, ou bien remplis de l’Amour d’eux-mêmes. Si ces meilleurs croyants vivent en tant de négligence et de péchés, que n’auraient pas fait ceux qui croiraient qu’ils ne sont pas obligés à imiter Jésus Christ, s’il était véritable que Jésus Christ eût tout satisfait pour eux sans qu’ils fussent obligés de rien faire ? Il faudrait conclure en ce regard que les mérites de Jésus Christ auraient autorisé leurs péchés à venir, et qu’il leur aurait permis de pécher davantage, sans aucune crainte. Ce qui ne peut être véritable : car Jésus Christ est venu pour détruire le péché et la mort [662], et pas pour les soutenir ; mais bien pour nous montrer les moyens de vaincre le péché et la mort, en surmontant par les Conseils Évangéliques les inclinations de notre nature corrompue, laquelle ne se veut rendre ni soumettre sinon par les forces et violences des pratiques contraires à ses inclinations [663]. C’est pourquoi le S. Esprit dit que cette vie est un combat continuel [664], et que le Royaume des Cieux souffre force, que les violents le ravissent [665]. Ces passages de l’Écriture, avec tant d’autres, nous enseignent assez que Jésus Christ n’a pas satisfait pour nous de la façon que le prennent ces pauvres ignorants, qui attendent le Salut par les seuls mérites de Jésus Christ en se disant être trop faibles pour l’imiter ou le suivre. Ce qui est une grande tromperie de notre ennemi commun, qui tâche de gagner tout à soi par des apparences de biens, comme est la croyance que Jésus Christ a tout satisfait pour nous. Ce qui se dit par des mots pieux, et néanmoins sont pestilentieux en effet pour tuer les âmes qui les voudront croire et suivre : à cause qu’il n’y a qu’une seule voie de salut, qui est celle que Jésus Christ nous a montrée par son exemple, nous disant lui-même qu’il est la voie, la vérité, et la vie [666].

112. Il est très certain qu’il nous faut être sauvés par les seuls Mérites de Jésus Christ, parce que tous les hommes eussent péri dans leurs voies de perversité si Jésus Christ n’eût pas venu montrer la voie qui mène à salut : personne ne l’aurait jamais su trouver, les esprits des hommes étant si obscurs et ténébreux, qu’ils croient être dans la droite voie au chemin de perdition. Et combien que Dieu eût envoyé tant de Prophètes pour leur enseigner, ils ne savaient comprendre ces saintes admonitions par l’endurcissement de leurs cœurs. Il fallait de nécessité que Jésus Christ fût venu faire les œuvres que les hommes devaient faire pour retourner au chemin de salut [667], d’où ils étaient totalement sortis sans apercevoir les vestiges ou carrière [668], ne fût que Jésus Christ eût venu frayer lui-même le chemin et nous mériter par les souffrances d’un chemin si épineux la grâce de le pouvoir suivre. D’où se voit que les mérites de Jésus Christ seuls sauveront les hommes ; mais pas de la manière qu’ils le prennent maintenant pour donner la liberté à leurs sens de mener une vie licencieuse sous l’espérance que J. Christ a tout satisfait pour eux. Ce qui semble une croyance pieuse, voire honorable, en donnant la gloire à Dieu de leur salut : sans découvrir le venin qui est caché là dessous. Car en disant qu’on veut honorer les mérites de Jésus Christ, qui seul nous fait mériter le salut, on le méprise par effet en voulant qu’il porte seul la peine due à nos péchés sans vouloir souffrir aucune chose pour l’imiter : comme si Jésus Christ était notre valet à gage, obligé à porter les pesants fardeaux pendant que nous demeurons dans l’oisiveté et paresse.

113. Nous croyons comme Chrétiens que Jésus Christ est la Vérité, parce que lui-même l’a dit en l’Évangile ; et voulons par effet mépriser les paroles qu’il a dites : Soyez mes imitateurs [669], ou : Si quelqu’un me veut suivre, qu’il prenne sa croix [670] ;  et ailleurs : Celui qui ne renonce à soi-même ne peut être mon Disciple [671] : avec beaucoup d’autres vérités sorties de la bouche de Jésus-Christ, auquel nous disons de croire, mais mensongèrement, puisque voulons avoir la vie sans observer la Loi et ses enseignements, vu que lui seul est la vie qui mène à salut, lequel personne n’obtiendra que celui qui marchera par la voie qu’il nous a montrée, et frayé le chemin en y marchant le premier. Non plus ne seront sauvés ceux qui suivent autres vérités que celles qu’il nous a enseignées ; et mourront éternellement ceux qui veulent avoir la vie éternelle par autres moyens qu’en embrassant la vie que Jésus Christ a menée, aussi longtemps qu’il a été sur la terre. Par où se voit que l’Esprit de l’ANTÉCHRIST possède maintenant tous les esprits des hommes, en leur donnant tant de sentiments contraires à la Vérité de Dieu, et cela sous couleur de piété et d’honneur de Dieu, et prétexte d’attribuer entièrement aux mérites de Jésus Christ le bonheur de notre salut, quoiqu’il doit être attribué à Dieu seul, qui nous l’a donné gratuitement avant qu’eussions reçu l’être, puisqu’il a créé tous les hommes à salut, et nuls à damnation : car ce n’est pas sa volonté qu’un tout seul périsse [672]. En sorte qu’il ne faudrait pas laisser d’attribuer l’honneur à Dieu de notre salut, encore bien que Jésus Christ n’eût rien mérité : puisque sans aucuns mérites Dieu nous avait tous crées pour être sauvés, par sa seule Bonté et Miséricorde, vu que les hommes, ni Jésus Christ, ne pouvaient rien mériter avant d’avoir eu l’être, et étaient dans le néant. Par où se voit que c’est une fausse couleur que l’Esprit de l’ANTÉCHRIST donne pour faire croire aux hommes qu’ils honorent Dieu en croyant que Jésus Christ a tout satisfait pour eux ; puisqu’ils le déshonorent extrêmement à ne pas vouloir suivre les enseignements que son Fils unique leur est venu montrer avec tant de peines et souffrances, jusques à la mort ignominieuse de la croix, pour les encourager à souffrir et mourir, si besoin était, afin de rentrer dans la dépendance de Dieu et retrouver le véritable chemin de salut d’où ils étaient volontairement sortis.

114. Ne voyez-vous pas, Monsieur, par tous ces faux donner-à-entendre, que c’est l’Esprit de l’ANTÉCHRIST qui régit maintenant l’Esprit des hommes et leur fournit des subtils arguments afin de les détourner de l’imitation de Jésus Christ, leur faisant entendre le mensonge pour la vérité ? En quoi presque tout le monde le croit et suit ; à cause qu’il couvre ses tromperies de pieux prétextes, et qu’il enseigne des choses qui sont conformes aux sens et inclinations de notre nature corrompue. Car s’il était véritable qu’il ne fallût point satisfaire à Dieu par pénitence pour nos péchés, et que Jésus Christ seul eût satisfait pour nous, notre corruption s’inclinerait beaucoup plus facilement à cette croyance spéculative, que non pas à faire pénitence et imiter Jésus Christ : à quoi la nature répugne, aimant toujours mieux jouir que pâtir, être riche que pauvre, et honorée que méprisée. En quoi ce Père de mensonge nous flatte pour nous perdre, quoique ses arguments soient paroles pieuses, comme serait que Jésus Christ a tout satisfait pour nous, et que sommes trop fragiles pour satisfaire à Dieu, avec mille autres faux prétextes. Ce ne sont que tromperies inventées par cet esprit de l’ANTÉCHRIST, qui s’est maintenant fourré ès choses saintes, et a par ce moyen presque gagné tous les hommes du monde sans qu’ils s’en donnent de garde ou veuillent se persuader que nous vivons dans le Règne de cet ANTÉCHRIST, quoiqu’il domine sur leurs esprits.

 

 

L’Antéchrist domine en tout état.

 

XVI. L’Esprit de l’Antéchrist domine en tous états, grands et petits. Ayant tâché d’empêcher la publication de la Doctrine Évangélique (si opposée à lui et si nécessaire à salut) et ne l’ayant pu, il en a empêché la vertu et les effets entre les Chrétiens de toutes sortes de condition, de profession, d’emploi. Et les ayant remplis de ses maximes diaboliques, opposées à Christ, les a tous rendus Antichrétiens.

 

115. Si vous désirez, Monsieur, de découvrir cette vérité, il ne faut que considérer avec moi sérieusement le comportement des Chrétiens de maintenant, et vous les expérimenterez beaucoup plus remplis et possédés de l’Esprit de l’ANTÉCHRIST que de celui de CHRIST. Voyons tout par le menu en tous les états et conditions de nos Chrétiens. Vous semble-t-il que les Rois, Empereurs, ou autres Monarques, sont possédés de l’Esprit de Christ lorsqu’ils se guerroient l’un l’autre, d’où sortent tant de meurtres, larcins, et autres abominations [673] ? L’Esprit de Christ est paisible, qui commande d’aimer nos ennemis [674] : ce qu’il nous a montré par son exemple, jusqu’aux abois de sa mort : il dit : Pardonnez-leur, Seigneur, car ils ne savent ce qu’ils font [675]. Sa Loi enseigne aux Chrétiens d’aimer son ennemi et de prier pour ceux qui nous persécutent ; voire de donner à ceux qui nous ôtent le nôtre, et ne point le redemander ; et si on nous contraint d’aller une lieue, qu’il en faut aller deux ; voire si l’on nous donne un soufflet sur une joue, qu’il faut présenter l’autre : avec plusieurs autres enseignements pour montrer qu’il faut faire du bien à nos ennemis, voire les aimer. Ce qu’il a aussi pratiqué pour nous donner exemple, en se baillant à ceux qui le maltraitaient. Combien de bienfaits ont reçu de lui les Pharisiens ? Il guérissait leurs malades, faisait voir leurs aveugles, marcher droit les boiteux, et ressusciter leurs morts, avec tant d’autres marques de bien-veuillance pour ceux qui le persécutaient et poursuivaient à mort. Tout cela pour nous donner exemple, et montrer que son Esprit était paisible, plus prêt à pâtir qu’à se défendre. Voyez, Monsieur, si cet Esprit de J. Christ se retrouve dans aucuns Chrétiens de maintenant ! Si l’on ne voit point tout le contraire par leurs désirs de vengeance ! Ce qui dénote assez que l’Esprit de l’ANTÉCHRIST domine en leurs entendements. Car tout ce qui est contraire à Christ est assurément ANTÉCHRIST. Je ne dis pas tout ceci pour blâmer et reprendre les Rois et Grands de ce monde qui guerroient, un Chrétien contre l’autre. Car je ne suis pas venue pour reprendre personne, et j’honore les personnes en autorité et leur obéis, à l’exemple de Jésus Christ, qui obéissait à César, et autres Lois des hommes : mais je me dilate sur chacun état en particulier afin de vous faire examiner le tout, pour voir si l’Esprit de Christ domine encore à présent sur les esprits des hommes ; ou si c’est l’esprit de nature, qui nous est commun avec les bêtes, ou bien si c’est celui du Diable, qui est opposé à Christ.

116. Les hommes suivaient l’esprit de nature avant la venue de Jésus Christ, vivants en l’oubli de Dieu et suivants tous leurs sens brutaux, comme les bêtes, qui n’attendent d’autre vie que celle présente. C’est pourquoi leur béatitude consiste à prendre ici leurs délices et plaisirs. Ces personnes brutales n’ont jamais pu commettre de si grands péchés comme en commettent à présent les Chrétiens : parce qu’elles n’ont jamais reçu tant de lumières, et se sont seulement laissé guider par leurs instincts naturels. Ce qui est un grand mal : vu qu’étant créés de Dieu si nobles créatures, ornés d’une âme divine et spirituelle, qu’ils se soient cependant ainsi abrutis l’esprit pour prendre leurs plaisirs et porter leurs affections à des créatures subalternes, indignes de leurs amitiés. Cela s’est fait par pure fragilité humaine, s’attachant plus à ce qu’ils voyaient et sentaient qu’à Dieu, qui est invisible aux sens naturels, et ne se peut voir que par les yeux de la Foi. Mais les Chrétiens depuis ont reçu le S. Esprit et sa lumière par la doctrine et pratique de Jésus Christ. En sorte que leurs péchés sont beaucoup plus abominables devant Dieu que ceux qu’ont commis les Juifs et Païens : parce qu’ils pèchent contre leurs lumières et leur savoir.

117. Cela ne peut être une fragilité humaine ; mais une malice Diabolique, laquelle s’est fourrée dans leurs entendements par ce malin esprit [676], pour s’opposer à Christ, lequel n’a jamais fait tant de devoirs pour tenter les hommes dès le commencement du monde comme il en a fait depuis la naissance de JÉSUS CHRIST, lequel il a tâché d’exterminer, afin d’empêcher que la Lumière Évangélique ne vînt au jour, sachant bien qu’il n’aurait plus de prise sur les hommes, lesquels embrasseraient cette sainte doctrine. Pour cela tâcha-t-il à faire mourir le corps de Jésus Christ, endurcissant les cœurs des personnes de Bethlehem afin de refuser logement à la Vierge Marie au temps qu’elle devait enfanter ce Fils Jésus, espérant que la froidure et nécessité ferait mourir un si tendre enfant en naissant emmi les champs dans une pauvre étable. Et voyant que cette première invention n’avait pu empêcher que Jésus Christ ne demeurât en vie, il se saisit du cœur d’Hérode pour lui persuader de le mettre à mort [677] ; craignant que cet enfant nouveau-né ne lui ôtât sa couronne. Mais tout fut en vain, puisque Dieu voulait envoyer sa lumière aux hommes par le moyen de son Fils Jésus. Il empêcha le Diable de lui ôter la vie, et le fait devenir homme parfait, afin que les hommes le puissent voir et entendre, et recevoir la divine lumière par l’organe d’un homme semblable à eux, visible et palpable à leurs sens. Ce qui fut la plus grande miséricorde que Dieu fit jamais aux hommes, laquelle surpasse de beaucoup celle de leur création. Car il vaudrait beaucoup mieux n’avoir jamais été créé que de n’être pas sauvé [678] ; et personne ne pouvait être sauvé sans avoir la lumière de la Loi Évangélique que Jésus Christ nous a apportée [679]. Ce que le Diable apercevant a employé toutes ses forces et industries pour empêcher que les hommes ne reçussent cette lumière : mais en vain : puisqu’elle a été reçue de si grand nombre aussi longtemps que le Diable fut enchaîné, pour donner commandement à la Loi Évangélique : car s’il eût été délié, si qu’il a été depuis, il aurait pu empêcher tous hommes à recevoir la doctrine de J. Christ, si qu’ont fait les Pharisiens opiniâtres ; et l’Église de Jésus Christ n’aurait pu prendre naissance. Le Diable a bien eu puissance de l’agiter ; mais non de la submerger : à cause qu’il fut enchaîné pour un temps, et ses puissances ôtées par la naissance de cette Épouse de Dieu, qui lui ôta lors ses forces, et lui brisera la tête à la fin. C’est pourquoi le Diable est bien enragé à l’encontre d’elle, la poursuit et la persécute à son possible : parce qu’il sait bien que nuls hommes ne seront sauvés sans icelle.

118. S. Paul nous dit que si la Loi ne lui eût point défendu de convoiter, qu’il ne savait point que la convoitise était péché [680]. Ainsi tout le reste des hommes eussent péri par ignorance si la Loi Évangélique ne fût venue à notre connaissance : car on avalait le péché comme l’eau, sans voir qu’ils faisaient mal. C’est pour quoi Jésus Christ leur apporte la Loi Évangélique afin qu’ils connussent leurs péchés et vissent les moyens par lesquels ils en pouvaient sortir. Car si Jésus Christ n’eût point déclaré qu’il fallait renoncer à soi-même, personne n’a sa chair en haine : un chacun eût suivi ses sens sans penser malfaire : pendant que celui qui se suit soi-même va à perdition [681] : parce que notre nature, étant corrompue, engendre toutes sortes de maux et péchés, ne pouvant sortir d’icelle rien de bon [682]. Ce qu’on ne saurait bien comprendre si la Loi de Jésus Christ n’eût enseigné qu’il faut renoncer à soi-même : ainsi de tout le reste : personne ne voyait ce qu’il devait faire ou laisser si la Loi Évangélique ne leur eût été donnée. Ce qui fut un grand bonheur pour tous ceux qui sont nés dans le Christianisme.

119. Mais en voyant la manière de vivre de ceux qu’on appelle aujourd’hui Chrétiens, je ne sais si ce bonheur n’est pas leur malheur [683] : puisqu’après avoir reçu cette Loi Évangélique, et appris par icelle tout ce qu’ils doivent faire et laisser, vivent cependant pis que les Païens, ne se laissant pas seulement régir par leur instinct naturel, comme les bêtes ; mais par l’Esprit de l’ANTÉCHRIST. Car s’ils se laissaient seulement guider par l’esprit naturel, ils ne commettraient que péchés sensuels et fragiles : où on les voit vivre en toutes sortes de péchés spirituels et opposés à la doctrine Évangélique. En sorte qu’ils sont en effet des véritables Anti-Chrétiens, en portant faussement le nom de Chrétiens : parce qu’ils ne possèdent en effet un seul trait de l’Esprit Évangélique. Vous pourrez voir cela clairement, Monsieur, si poursuivez à examiner tous les états du monde, voire toutes les personnes en particulier ; et serez lors obligé de confesser que tous (et vous-même) sont possédés de cet Esprit de l’ANTÉCHRIST, outre cet Esprit brutal qui leur est naturel.

120. Jésus Christ nous a enseigné qu’il faut observer toute Justice [684]. Et où trouve-t-on cette observance, puisqu’on voit par effet souvent dominer l’injustice et le juste condamné ? Rien n’est plus ordinaire dans les Tribunaux de Justice, où l’on a inventé tant de formalités de procédures que cela corrompt toute la Justice. Car encore bien qu’aucuns d’entre les Juges aiment la Justice, ils ne la peuvent administrer à la partie qui en a le droit si elle n’observe toutes ces formalités, qui sont assurément produites par l’Esprit de l’ANTÉCHRIST, lequel donne assez de subtilités aux siens pour observer ces formalités et surprendre par icelles le juste et droit de cœur qui, ne prenant égard qu’à son bon droit, est souvent condamné à grand tort par de semblables surprises. En sorte que la Justice ne s’observe nulle-part ; mais bien l’injustice, contre les conseils Évangéliques, auxquels l’ANTÉCHRIST est toujours opposé.

121. Jésus Christ nous dit qu’il faut être parfait comme son Père céleste est parfait [685] : c’est à dire : qu’il faut toujours aspirer à la plus grande perfection, et jamais s’arrêter au chemin d’icelle jusqu’à ce que soyons arrivés à son Père Céleste. Qui fait aujourd’hui cela ? Tout le monde vit et meurt engourdi dans ses imperfections, bien loin de tendre à la perfection de notre Père Céleste. Les Nobles de sang doivent être les plus vertueux, n’y ayant que la vertu qui ennoblit l’homme : parce qu’au regard du sang, tous les hommes également sont sortis d’Adam [686], et par conséquent sont tous nobles de nature. Mais ceux qu’on appelle aujourd’hui nobles doivent être sortis de gens vertueux ; parce qu’il n’y a autre noblesse que celle qui sort de la Vertu. Et par conséquent ceux qui s’appellent nobles doivent être les plus vertueux et qui particulièrement aspirent à la perfection du Père Céleste, selon le conseil de Jésus Christ. Mais que voyez-vous, Monsieur, dans la noblesse de maintenant ? Les trouve-t-on dans l’observance des conseils de Jésus Christ, aspirants à la perfection du Père céleste ? Ne les voit-on pas plutôt aspirer après le vice, abusants de leurs grandeurs et richesses pour augmenter leurs péchés ? En quoi ils suivent l’Esprit de l’ANTÉCHRIST, contredisant à celui de Christ, qui enseigne de tendre à grande perfection ; où l’autre induit à tendre à grandement pécher. En sorte qu’on ne cesse pas seulement de travailler pour devenir parfait ; mais on travaille pour devenir plus vicieux. Ce à quoi attire toujours cet Esprit de l’ANTÉCHRIST, qui choque et s’oppose à celui de Christ.

122. Si vous voulez voir quel Esprit règne maintenant dans la pratique et dans les négoces, il ne faut qu’écouter les conseils de Jésus Christ, qui défend d’amasser des trésors dans ce monde, où les vers mangent et les larrons dérobent ; mais d’amasser des trésors au Ciel, où cela n’arrive [687]. Et voir si ce conseil est suivi par les Avocats, Procureurs, Marchands, Médecins, Chirurgiens, et autres. Encore bien qu’ils se disent Chrétiens, et fassent profession de vertu, tous leurs emplois néanmoins ne tendent qu’à gagner de l’argent et amasser des trésors en ce monde, pensant que cela est permis, à cause que l’Esprit de l’ANTÉCHRIST le leur persuade, afin de s’opposer aux Conseils de Jésus Christ. Ce que suivent aussi les Artisans, Laboureurs, et gens de métier, qui emploient tout le temps de leurs vies à suer, peiner et travailler pour gagner de l’argent, au lieu de travailler pour satisfaire à la Justice de Dieu, qui ordonne à tout homme de gagner son pain à la sueur de son visage [688]. L’on méprise tous ces conseils et ordonnances pour suivre l’Esprit de l’ANTÉCHRIST, qui empêche de satisfaire à Dieu par nos labeurs, pour induire aux mêmes labeurs afin de gagner de l’argent, inquiétant souvent les laboureux ou Ouvriers à bientôt achever leurs ouvrages afin d’en gagner davantage : quoi qu’on ne doive jamais travailler pour avoir achevé, mais afin de satisfaire à l’Ordonnance de Dieu ; et ne pas souhaiter d’avoir achevé, puisqu’après un ouvrage il en faut reprendre un autre, et vivre en labeur tout le temps de cette vie, laquelle nous est seulement donnée pour faire pénitence.

123. Voyez, Monsieur, combien éloignés de ces sentiments sont toutes ces personnes de divers états et conditions, et combien fortement elles sont possédées par l’Esprit de l’ANTÉCHRIST sans l’apercevoir, un chacun croyant être Chrétiens et en la doctrine de Jésus Christ quoiqu’ils soient Antichrétiens et suivent la Doctrine du Diable, qui lui est opposée directement. Le pis est qu’on n’ouvre point les yeux pour découvrir ces vérités, étant tous les hommes endormis dans un faux repos d’être Chrétiens pour en porter le nom. Ce qui leur servira de plus grande condamnation, étant une grande hypocrisie de se faire appeler Chrétiens en vivant pis que les Païens, qui jamais n’ont reçu la lumière pour imiter Jésus Christ. C’est pourquoi il a dit qu’ils entreront au Royaume des Cieux, et que les Enfants du même Royaume seront chassés dehors [689].

 

 

XVII. Que l’Esprit de l’Antéchrist opposé à la charité, à la paix, à l’uniformité de Christ, domine dans toute la Chrétienté, et dans toutes ses Religions, Sectes, partis, par haines, Schismes, disputes, discordes et confusions de sentiments humains, opposés les uns aux autres.

 

124. Les Chrétiens sont assurément les Enfants du Royaume, mais ils ne savent pas ce que c’est d’être Chrétiens en effet, pensant que c’est assez d’avoir été baptisés, ou bien nés de Parents portant le nom de Chrétiens, ou dans le lieu de la Chrétienté. Certes, Monsieur, toutes ces choses ne font point le Chrétien. Il faut suivre et imiter Jésus Christ pour être vrai Chrétien [690]. En sorte que celui qui ne l’imite point est pire que Païen ; et celui qui est opposé en ses œuvres à celles de Jésus Christ est assurément possédé de l’Esprit de l’ANTÉCHRIST.

125. Sur cette véritable supposition vous pouvez voir combien peu il y a de Chrétiens, et quel grand nombre il y a d’Antichrétiens, par les œuvres et pratiques des hommes de maintenant. Il ne se faut pas hontir de découvrir qu’on est guidé par cet Esprit d’ANTÉCHRIST ; mais plutôt s’efforcer à lui ôter ce domaine qu’il a sur notre Esprit, afin d’y laisser régner l’Esprit de Jésus Christ. Mais si nous ne découvrons qu’il règne en nous, jamais ne sera déchassé ce mauvais Esprit. Nous vivrons portant le nom de Chrétiens en étant en effet devant Dieu des vrais Antichrétiens, pour être possédés d’un esprit directement opposé à celui de Christ. Ce qui se retrouve dans toute la Chrétienté, dans laquelle doit dominer l’Esprit de paix, d’Amour, et de Charité, de quoi l’Esprit de Jésus Christ était possédé : mais on n’y voit maintenant autres choses que schismes, divisions, disputes et débats, l’un Chrétien contre l’autre : et au lieu de l’Esprit de charité qui doit lier tous Chrétiens par ensemble [691], comme étant tous vrais membres d’un même corps, l’on n’y voit qu’inimitié, qui divise les cœurs, en se haïssant l’un l’autre, méprisant et condamnant un Chrétien l’autre à damnation par haine mortelle. Ce qui choque directement l’ordonnance que Jésus Christ a faite aux Chrétiens, en leur disant : Aimez-vous l’un l’autre. À cela connaîtra-t-on que vous êtes mes Disciples [692]. Il nous donne cette marque extérieure, d’AIMER L’UN L’AUTRE, pour montrer que sommes Chrétiens. À cela, dit-il, le connaîtra-t-on, quand vous aurez de l’Amour l’un pour l’autre.

126. Ne vous semble-t-il pas, Monsieur, que cet Esprit de charité et d’Amour, qui doit unir tous les cœurs des Chrétiens en l’Esprit de Jésus Christ, est maintenant banni de leur cœur, et que l’Esprit de l’ANTÉCHRIST y domine pleinement, puisque non seulement l’on cesse de s’aimer l’un l’autre, mais on se hait et se méprise ? Les Romains condamnent tous ceux qui ne sont sous leur obéissance. Les Luthériens se moquent des Romains, disant que c’est eux qui sont les vrais Évangéliques, que les Romains sont pleins d’erreurs. Les Calvinistes se disent les élus et prédestinés à salut, se moquent des deux autres comme s’ils étaient Idolâtres : ainsi de tout le reste ; et cela sans fondement autre que celui de l’opinion de quelqu’homme que ses partisans veulent suivre. Voilà sur quoi sont appuyées toutes ces divisions de Religions. L’un se tient à l’opinion qu’a eue Luther ; l’autre à celle qu’a eue Calvin. Et ainsi de tous les autres prétendus Réformateurs, lesquels peut-être en suivant leurs passions ont trouvé des inventions pour faire ces divisions et apporter ces confusions, ayant plutôt difformé que reformé. Car pour faire une véritable Reforme il faut toujours reprendre la forme de la première institution. Jésus Christ avait si saintement institué son Église primitive. Si elle était déchue en quelque point, il fallait seulement réformer les erreurs, et non la diviser en formant des nouvelles Institutions. Car je ne vois vivre, dans l’esprit des personnes qui se disent reformées, de ce qui vivait dans l’esprit des premiers Chrétiens, qui abandonnaient tout ce qu’ils possédaient pour suivre Jésus Christ [693], et mettre tout en commun pour l’assistance des Frères [694]. Mais ces Reformés amassent le plus qu’ils peuvent, et ne sont communs en rien. En sorte que tous ces changements et nouvelles Religions ne sont rien autre chose sinon des opinions des hommes pour disputer et se haïr l’un l’autre.

127. Ce qui m’est insupportable, en voyant que tous croient en un Dieu et en la Doctrine de Jésus Christ, tous sont baptisés au Nom de la Très-sainte Trinité, et tous s’appellent Chrétiens, confessant le même Credo, priant la même Oraison Dominicale que Jésus Christ nous a enseignée, et avec tout cela sont divisés de cœur et se haïssent l’un l’autre. Ne voit-on pas, Monsieur, que c’est l’Esprit de l’ANTÉCHRIST qui s’est fourré dans le Sanctuaire, et qu’il a possédé le cœur et l’esprit de ces Chrétiens pour les diviser et mettre en discorde, afin de se haïr l’un l’autre ; parce qu’ès troubles et confusions le Diable tire ses avantages et tire les âmes à soi ? C’est lui qui est l’auteur du mensonge ; et a inventé tant de disputes entre les Chrétiens [695] : car l’Esprit de Christ n’est point disputeur [696] : puisque lorsqu’aucuns Disciples de Jésus Christ l’ont eu abandonné, et que ses Apôtres lui en firent le rapport, il ne les envoya point disputer avec eux, mais leur demande s’ils voulaient le quitter aussi [697] ? Pour montrer que les débats et disputes ne lui étaient agréables, laissant aller en paix ceux qui ne le voulaient plus suivre.

128. Si les Chrétiens maintenant étaient possédés de son Esprit, ils en feraient de même, et prieraient pour ceux qu’ils croient être en quelques erreurs, au lieu de les haïr et persécuter pour icelles. Car celui qui croit son Frère être en des erreurs l’est quelque fois lui-même davantage. En sorte que celui qui soutient d’être dans la vérité est souvent dans les plus grandes erreurs : parce que les diverses opinions des hommes sont autant de diverses erreurs. Il n’y a que la Doctrine Évangélique qui ne peut errer ni faillir, n’y ayant qu’une seule Vérité, un seul Dieu, et une seule vraie Églises hors de laquelle il n’y a point de salut. Si ces Églises différentes étaient dans la droite vérité, il y aurait plusieurs Dieux et plusieurs vérités. Mais n’y ayant qu’un seul Dieu et une seule vérité immuable, il faut conclure que toutes ces Églises et ces nouvelles inventions ne sont qu’erreurs et mensonges sortis de l’Esprit de l’ANTÉCHRIST, parce que tous ces sentiments se contredisent l’un l’autre, sont en divisions et confusions, etc., qui sont les propres qualités du Diable, contredisant aux qualités de l’Esprit de Jésus Christ, qui est Esprit de paix et d’union, en charité, disant à ses disciples : Je vous donne ma paix, je vous laisse ma paix [698]. Et même après sa Résurrection venant avec iceux il les salue en disant : La paix soit avec vous [699] : pour toujours témoigner que son Esprit est paisible.

129. Si ces Réformateurs avaient eu le S. Esprit, ils auraient été possédés de ses fruits, dont l’un est la Paix [700], et n’auraient eu garde d’employer tant de temps à écrire tant de querelles, disputes et controverses qui n’apportent à la Chrétienté que confusion et la haine entre les Chrétiens : parce que toutes leurs raisons et arguments ne sont qu’invention des hommes, qui avec leurs courtes vues ont voulu pénétrer le Ciel et découvrir les secrets cachés des mystères divins. Tout cela par leur esprit naturel : ont tordu et tourné les sens des Écritures un chacun selon sa conception. Et ni l’un ni l’autre n’a découvert la vérité : parce qu’il faut de nécessité que le même Esprit qui a dicté les Écritures Saintes en donne lui-même l’intelligence [701]. Si ces personnes qui ont voulu réformer les abus de l’Église eussent employé leurs talents à purifier leurs âmes et s’adonner à l’oraison, elles auraient bien découvert par la lumière Divine que tous ces sentiments divers ne peuvent être la Vérité, laquelle est toujours uniforme, en tel lieu qu’elle soit, et jamais divisée ni contraire à soi-même. Car l’Église de Dieu est unique. Il n’aura jamais qu’une seule vraie Épouse [702], qui sont les âmes possédées par l’Esprit de Jésus Christ. Rien d’autre ne peut être vraie Église ; et sont des âmes adultères celles qui se disent son Épouse sans avoir cette condition. Voyez un peu, Monsieur, combien de fornications spirituelles commettent ces Instituteurs de nouvelles Églises qui n’ont rien que les paroles extérieures, et nullement son Esprit en effet ! Je m’étonne comment il a été possible que tant de bons esprits aient suivi ces nouvelles inventions, et comment elles ont pu continuer si longtemps, sans fondement que celui de l’opinion de quelques hommes en particulier. Nous sommes tous Enfants de Dieu par la création, et devenus frères par la régénération de l’Esprit de Jésus Christ : pourquoi nous diviser en après et haïr l’un l’autre à cause de quelques sentiments contraires, lesquels bien souvent ne font rien à notre salut ? Si l’ANTÉCHRIST n’était pas dans son Règne, il serait impossible que les hommes fussent venus à si grande extrémité et aveuglement. Car appliquant seulement leur raison naturelle, ils verraient assez que ces nouvelles Religions ne s’établissent pas dans l’Esprit de l’Église primitive ; mais au contraire, qu’elles sont plus charnelles que spirituelles. Ce qu’il faut que tout homme de bon jugement avoue. Cependant qu’ils ont de la peine à croire que nous vivons maintenant au Règne de l’ANTÉCHRIST, et qu’il domine sur leurs esprits.

 

 

XVIII. Que l’Antéchrist domine dans l’État Ecclésiastique par un esprit erroné de contention, d’avarice, d’orgueil, d’ambition et de présomption.

 

130. Ce qui est si manifeste et évident par les actions des hommes, de quelque condition qu’ils puissent être. On les voit tous agir par un esprit contraire à Christ, prenant même les plus parfaits, et ceux qui font profession d’être vrais Chrétiens, spirituels, Théologiens, ou Gens d’Église. Ils sont cependant possédés de divers sentiments, enseignant diverses doctrines : comme si Christ était divisé, ou que sa doctrine se contredise. Car on entend les Prédicateurs se choquer l’un l’autre, contredisant un jour à ce qui un autre jour a été enseigné. Cela ne peut venir de l’Esprit de vérité. Il faut que l’un ou l’autre parle mensonges, ou bien l’un et l’autre ensemble sont remplis de l’Esprit du Père de mensonge. Car s’ils parlaient vérité, elle se doit maintenir, puisqu’elle ne peut changer en demeurant toujours véritable : quoi que les hommes contredisent, elle ne changera jamais pour cela ; parce que la vérité est Dieu, autant immuable que lui-même [703]. En sorte que si ces Prédicateurs étaient dans l’Esprit de Dieu, ils ne se pourraient jamais contredire ; mais s’accorderaient en tous points. Car, étant tous Chrétiens, n’auraient qu’une même doctrine et un même Esprit en Jésus Christ. Mais étant maintenant régis par cet Esprit de l’ANTÉCHRIST, qui est esprit d’erreur à qui Dieu nous a abandonnés pour nos péchés, il ne se faut étonner s’ils se débattent et divisent.

131. Je souhaite, Monsieur, que vous pussiez voir le temps dangereux où nous vivons à présent, et que vous pussiez porter cette lumière à tous hommes de bonne volonté, afin qu’ils sortissent de l’esclavage du Diable dans lequel ils sont détenus sans le connaître : encore bien qu’ils voient son Esprit d’erreur et de mensonge dans ceux qu’on estime les plus parfaits. L’on s’imagine qu’il y a partout de la fragilité humaine, et nullement que c’est le Diable qui possède leurs Esprits : quoiqu’il soit très véritable : car la fragilité humaine ne s’étend plus avant qu’à chercher ses propres aises et plaisirs ; mais ces Théologiens cherchent la damnation des autres par leurs mauvaises doctrines, contraires à celle de Jésus Christ, sans qu’ils aient plaisir ou avantage dans la damnation des autres. En sorte que s’ils n’étaient possédés de l’Esprit de l’ANTÉCHRIST il serait impossible qu’ils s’étudiassent à nous enseigner autre chose que ce que Jésus Christ nous a enseigné, sans trouver tant de gloses et explications pour déguiser la vérité Évangélique, laquelle nul ne pratique, quoique tous ces Théologiens la sachent assurément.

132. Ils lisent que Jésus Christ a été pauvre d’esprit [704] ; et eux sont riches de désirs et d’esprit, aspirants toujours à avoir davantage de biens, d’honneurs et de dignités. Ils savent que Jésus Christ a été humble, prenant en tout le moindre et la dernière place [705] ; pendant qu’ils cherchent les prééminences, les états et offices honorables. Un simple Prêtre souhaite d’être Pasteur : un Pasteur de devenir Chanoine : un Chanoine voudrait bien être Évêque ; et ainsi du reste : chacun aspire toujours à plus haute dignité ou rang d’honneur. Il n’y a si petit moine qui ne voulût bien être Supérieur, ou dominer sur les autres, aimant mieux de régir que d’obéir. Chacun s’avance le plus qu’il peut, bien loin de chercher la dernière place, comme Jésus Christ nous a enseigné [706]. Mais son Esprit est maintenant banni du cœur de ceux qui s’appellent Chrétiens, et l’Esprit de l’ANTÉCHRIST y a pris sa résidence sans qu’ils le découvrent, à cause de l’égarement de leurs esprits qui, s’amusant à considérer les actions des autres, oublient de découvrir de quel esprit ils sont conduits eux-mêmes, et suivent ainsi à l’aveugle l’un l’autre en malfaisant, à cause que ceux qui font mal sont si nombreux qu’on serait presque honteux à faire autrement que le plus commun : ayant oublié que Jésus Christ a dit que le chemin large même à perdition, et que grand nombre entrent par la porte large [707].

133. En sorte que tout ce qui se pratique maintenant par les Doctes et Ecclésiastiques est régi par un Esprit tout contraire à celui de Christ, et cela en toutes choses, vous prenant, Monsieur, à témoin pour déclarer en vérité si votre âme est régie par l’Esprit de Christ depuis tant d’années que vous êtes d’Église ; ou bien si vos Confrères en dignités sont aussi possédés de l’Esprit de Christ. Vous en connaissez si grand nombre. En avez-vous connu beaucoup qui à l’imitation de S. Nicolas, et tant d’autres, aient fui les charges et dignités, se cachant dans les déserts pour les éviter ; aimant plus la dernière place que les rangs d’honneur ? Ne faut-il pas que vous confessiez qu’il n’y a plus de personnes possédées de cet Esprit, mais assurément de l’Esprit d’ambition : briguant les premières places et rangs d’honneur, bien loin de les fuir ou refuser ? Et puisque cette expérience vous apprend cela, pourquoi doutez-vous encore que l’Esprit de l’ANTÉCHRIST ne domine au lieu Saint ès esprits de ceux qui doivent régir les autres ? Si le sel est corrompu, avec quoi salera-t-on la chair [708] ?

134. Je sais bien qu’en regardant ces personnes Ecclésiastiques à l’extérieur seulement, l’on ne jugerait pas qu’elles sont possédées de l’Esprit de l’ANTÉCHRIST, en les voyant modestes, sobrement vêtues, prêcher et enseigner l’Évangile au peuple. Cela les fait appeler Disciples de Jésus Christ. Mais si l’on pénètre leur intérieur jusqu’au fond, l’on trouvera qu’ils ne sont que Disciples de l’ANTÉCHRIST ; parce qu’en effet ils possèdent toutes ses qualités, et nulles de celles de Jésus Christ, qui a enseigné d’être doux et débonnaire et humble de cœur [709]. De quoi ces personnes sont bien éloignées. Car sitôt qu’ils sont arrivés à l’état Ecclésiastique, il semble qu’ils vêtent la superbe avec la robe simple, regardant si on les honore et estime si que leur état le requiert. Ils ne voudraient plus lors s’égaler à leurs égaux ; mais se préfèrent à tous hommes pour leurs dignités, s’étudiant pour se faire valoir et entrer en bonne réputation parmi les hommes. Tout cela est contraire à l’Esprit de Christ, ayant au lieu de sa douceur, l’arrogance ; et au lieu de sa débonnaireté, la fierté ; voulant subjuguer les personnes laïques, et dominer sur elles par autorité suprême, les assujettissant à leurs volontés et désirs comme si elles étaient leurs esclaves, obligées à leur tout céder. Ce qui est bien éloigné de l’humilité de cœur que Jésus Christ leur a enseignée, vu que leurs cœurs ne respirent que l’ambition.

135. Je ne veux pas dire que les personnes Ecclésiastiques ne soient dignes d’honneur ; mais je voudrais bien qu’ils le reçussent avec humilité de cœur. Ce qu’ils doivent avoir contracté en se rendant Disciples de Jésus Christ. Car tant plus qu’on s’approche de lui, plus on contracte de ses qualités. C’est être larron de désirer l’honneur : parce qu’il n’est dû qu’à Dieu seul [710]. Si le peuple les honore comme tenant la place de Jésus Christ en terre, cela les devrait humilier davantage, en sentant au fond de leurs âmes qu’ils ne sont pas tels qu’on les estime ; ou, pour le moins, ne peuvent en nulle façon désirer ni affecter l’honneur. C’est à faire à ceux qui leur en doivent d’en prendre le soin ; et à eux de s’étudier à devenir doux et débonnaires et humbles de cœur. Mais on voit tout le contraire, étant toujours veillants pour voir si on les honore. Et si quelqu’un manque, ils le reprennent avec paroles arrogantes et superbes. Ce qui fait assez voir que l’Esprit de l’ANTÉCHRIST les régit : et ne le voudraient pourtant confesser ; quoiqu’il soit si manifeste.

136. Ils couvrent cette ambition de gloire de Dieu et d’édification du prochain, s’étudiant pour trouver des gloses et raisons qui montrent qu’ils sont dignes d’honneur et d’autorité, en étant en effet dignes de blâme et mépris, à cause que Jésus Christ dit qu’il résiste aux superbes [711]. Ne faut-il pas entendre que c’est de ces Ecclésiastiques qu’il parle, puisqu’ils sont si véritablement enflés d’orgueil qu’ils ne veulent céder à personne, croyant d’avoir en eux toutes les sciences du monde pour avoir feuilleté quelques livres, ou appris quelques sciences scolastiques, qui n’est en effet que vanité et ignorance : quoique le moindre étudiant soit si attaché à ce qu’il a une fois conçu, que si Dieu même venait enseigner le contraire, ils y contrediraient de tout leur possible, et appelleraient des Docteurs selon leurs désirs [712] afin d’y résister fortement, et demeurer dans la préoccupation de leur esprit. Ce qui est une haute superbe, d’aimer plus leurs propres conceptions que les vérités de Dieu : pendant que presque tous les sages sont aujourd’hui dans cette ambition. J’ai parlé aux Sages de diverses Religions, et trouvé tous unanimement portés à soutenir leurs propres opinions et sentiments : un chacun me voulant persuader que sa Religion était la meilleure, sans que j’aie pu apercevoir qu’une seule fût dans la vérité de Dieu, ni même dans la volonté de la recevoir : chacun se contentant d’adorer la propre Idole qu’un chacun d’eux s’est forgée dans l’esprit.

 

 

Tous les Chrétiens sont Antichrétiens.

 

XIX. Démonstration manifeste que tous les Chrétiens d’à présent sont des Antichrétiens, n’ayant ni l’Esprit de Christ ni aucunes de ses qualités, mais tout le contraire dans leurs cœurs, mouvements, et pratiques, avec un orgueil Satanique de vouloir passer (à leur damnation) pour des Chrétiens, ne voulant pas humblement et utilement confesser qu’ils sont des vrais Antichrétiens.

 

137. Voilà à quel haut degré de superbe est montée la Chrétienté en toutes sortes d’états et de conditions. Cela n’est-il pas lamentable de voir les Chrétiens contrevenir en toute chose à l’Esprit de Jésus Christ, tant les États en général, que les hommes en particulier ? Un chacun se verra possédé de l’Esprit de l’ANTÉCHRIST s’il veut sans préoccupation d’esprit considérer mûrement ses désirs et volontés, ses œuvres et inclinations. Il trouvera que tout cela est mû par l’Esprit de l’ANTÉCHRIST ; et rien du tout par l’Esprit de Christ : et partant, que tous faussement portent le titre de Chrétiens, méritants de nom propre être appelés Antichrétiens : si qu’ils sont en effet [713].

138. Car qui voit-on aujourd’hui entre les hommes être possédé de l’Esprit duquel Jésus Christ était possédé ? Et qui a la charité de souffrir et mourir pour le secours du prochain [714], quoique Jésus Christ ait bien souffert et mouru pour ses ennemis ? Qui sent en son âme une pauvreté d’esprit, volontaire, comme Jésus Christ a eue, lequel, pouvant posséder toute chose, a choisi la pauvreté et le mépris ? Il pouvait naître Empereur ou Roy de toute la terre, avoir tous les grands Monarques du monde pour ses Apôtres et Disciples ; posséder toutes les richesses du monde avec toutes les beautés et bontés qu’il y a dedans : parce qu’en tant que Dieu et homme tout lui appartenait en propriété, pour avoir créé toutes choses. Ce néanmoins Jésus Christ choisit toutes les moindres choses pour s’en servir. Il prend une simple fillette pour sa Mère ; une étable pour son lieu de naissance ; la crèche des bêtes pour son pavillon ; pour son nourricier un pauvre charpentier, vivant comme un étranger et pèlerin, sans service, sans honneur, ès mésaises que la pauvreté apporte avec soi. Et lorsqu’il veut établir son Église, il choisit de pauvres pêcheurs pour ses Apôtres, gens méprisés et ignorants ; et ainsi de tout le reste. Jésus Christ a toujours choisi le moindre et le plus méprisé, jusqu’à la mort la plus ignominieuse de la croix, mourant sur un gibet comme un malfaiteur ou larron et meurtrier.

139. Ne voyez-vous pas, Monsieur, quel était l’Esprit de Jésus Christ par toutes ses actions, qui témoignent assez qu’il est possédé d’une pauvreté d’esprit volontaire, laquelle il a enseignée aux Chrétiens par œuvres et paroles, prêchant pour une béatitude la pauvreté d’esprit [715], comme s’il voulait canoniser ou béatifier les âmes qui en sont possédées ? Mais hélas ! où peut-on maintenant rencontrer ces âmes bienheureuses qui possèdent la pauvreté d’esprit parmi si grand nombre qui se disent Chrétiens ou Disciples de Jésus Christ ? Combien y en a-t-il peu qui aiment la pauvreté et choisissent le moindre lorsqu’ils peuvent avoir le plus ; ou le petit s’ils peuvent avoir le grand ; ou la condition méprisée lorsqu’ils peuvent avoir l’honorable ? Personne ne désire d’être pauvre aussi longtemps qu’il peut être riche ; et ne choisira le moindre s’il peut avoir le meilleur. Expérimentez cela, Monsieur, par votre propre nature. Vous remarquerez qu’elle cherche et prend toujours le plus beau et meilleur en toutes choses. Si on lui met deux ou trois pommes à son dessert, elle choisira toujours la plus belle, si qu’elle fera dans ses habits, meubles et maisons, et toute autre chose : parce que la nature naît dans l’esprit de convoitise [716], et convoite assurément toujours ce qui lui semble le plus beau et meilleur ; ce qui lui est le plus aise et commode, le plus estimé et applaudi des hommes. Mais celui qui suit sa nature, il vit en bête, et non en Chrétien : parce que la Doctrine de Jésus Christ enseigne de renoncer à soi-même, et d’emporter le Royaume des Cieux par force et violence [717], en contraignant la nature à se soumettre à la Loi Évangélique contre ses inclinations naturelles, si que Jésus Christ a pratiqué, ne déniant point seulement à son corps de suivre ses inclinations, mais aussi à sa volonté, disant qu’il n’est pas venu pour accomplir icelle, mais la volonté de celui qui l’a envoyé [718].

140. S’il faut renoncer à soi-même pour être Disciple de Jésus Christ, et aussi prendre sa croix et le suivre [719], il est tout constant qu’il n’y a plus nuls vrais Chrétiens : car personne ne veut prendre sa croix pour suivre Jésus Christ. L’on a bien du mal à traîner les croix que Dieu même nous met souvent sur les épaules. L’on veut bien suivre Jésus Christ sur la montagne du Tabor, mais par sur celle du Calvaire. Cependant, l’on ne peut jouir sans avoir pâti [720]. C’est pourquoi Jésus Christ demanda aux Enfants de Zébédée s’ils sauraient bien boire le Calice avec lui avant qu’entrer en son Royaume [721] ? Ce qu’il demande à tous les Chrétiens. Car s’ils ne veulent embrasser les souffrances et suivre et imiter Jésus Christ, ils ne sont pas vrais Chrétiens. L’on ne cesse pas seulement d’être à présent vrais Chrétiens, puisqu’on est devenu Antichrétiens, pour ne pas seulement cesser de suivre Jésus Christ, mais suivre tout ce qui lui est opposé ; et au lieu de renoncer à sa propre volonté, l’on en est devenu Idolâtre, la suivant avec plaisir autant qu’il est au pouvoir d’un chacun, et souffrant avec murmures et chagrin tout ce qui nous arrive de contraire. C’est bien loin de contredire nous-mêmes à notre propre volonté, ou d’y renoncer totalement pour obéir à Jésus Christ.

141. Nous sentons en nous-mêmes une Loi toute contraire à celle de Jésus Christ, qui nous guide et conduit toujours vers l’inclination de la nature : et nous ne savons pas cependant avouer que nous ne sommes pas Chrétiens, et encore moins Antichrétiens, bien qu’il ne soit que trop véritable. C’est l’Esprit de superbe qui nous fait dénier cela contre vérité, pour ne pas vouloir porter un titre méprisé, ni être appelés Antichrétiens, mais voulant toujours demeurer dans les titres honorables de se faire appeler Chrétiens devant les hommes, quoique devant Dieu l’on ne soit rien de semblable. L’Esprit de l’ANTÉCHRIST étant un Esprit de superbe, ne peut souffrir le moindre mépris, bien qu’il en soit digne de toute sorte, comme étant ennemi de Dieu, hors duquel il n’y peut avoir rien de bon ni d’honorable ; et celui qui veut être appelé faussement du nom de Chrétien est dans une fort haute superbe : car de s’enorgueillir d’être riche et honoré dans ce monde, dans l’estime et bien-veuillance des hommes, tout cela n’est que temporel et passager ; mais désirer d’être honoré comme Chrétien, c’est une superbe éternelle lorsque la chose n’est pas véritable ; et autant que les choses éternelles sont plus estimables que les temporelles, autant est la superbe plus grande qui se veut maintenir au rang de Chrétien, ne voulant jamais avouer qu’on ne l’est pas quoiqu’il soit tout manifeste. Ce qu’un chacun peut trouver en sa propre conscience.

142. Mais étant possédés de l’Esprit de l’ANTÉCHRIST, on ne pourra jamais avouer la vérité : vu qu’il est le Père de mensonge et qu’il ne se saurait humilier en rien. Le Diable sait bien prier, veiller, jeûner, faire des miracles, prophétiser, parler des hauts mystères de la Divinité, vu qu’il n’a rien perdu des lumières qu’il avait en étant Ange ; mais il ne saurait jamais s’humilier : à cause que l’esprit qui est en lui est la superbe, laquelle il imprime dans les âmes de tous ses adhérents, qui font aussi des bonnes œuvres et parlent divinement, mais ne savent venir à ce point de confesser qu’ils ne sont pas des Chrétiens, et encore moins qu’ils sont des Antichrétiens. Ils devraient être possédés de l’Esprit humble de Jésus Christ, pour déclarer, comme il est véritable, qu’ils sont des vrais Antichrétiens, et nullement des Chrétiens, en ne se sentant possédés de l’Esprit que Jésus Christ avait étant sur la terre ; à moins de quoi on ne peut être Chrétien, ni de nom, ni de fait. En sorte que celui qui ne sent pas en son âme le mépris des richesses et honneurs du monde, il n’est pas Chrétien. Et s’il sent un désir de les avoir et posséder, il est Antichrétien, en possédant des sentiments tout-contraires à ceux que Jésus Christ a eus et enseigné aux Chrétiens d’embrasser et suivre.

143. Un chacun doit être convaincu en son intérieur par ces vérités, et connaître de cœur et de bouche qu’on n’est pas Chrétien, et désirer de le devenir. Mais cet Esprit de l’ANTÉCHRIST, qui possède maintenant presque tous les esprits des hommes, empêche cette confession, émouvant les cœurs à s’opposer à ces vérités, voire les combattre par les Sages de ce siècle, qui aiguisent leurs esprits et feuillettent les livres pour trouver des arguments afin de choquer cette belle vérité et donner un faux repos aux hommes d’être vrais Chrétiens, pendant qu’en effet ils sont Antichrétiens, pour être véritablement possédés d’un Esprit tout contraire à celui de Christ. S. Paul confesse qu’il sent en soi une Loi contraire qui l’oblige à faire ce qu’il ne veut pas, et il ne fait ce qu’il voudrait bien [722] : mais les Chrétiens de maintenant ne se veulent tant humilier que de connaître qu’ils sont possédés d’un esprit tout contraire à celui de Christ : se vantant par jactance d’être vrais Chrétiens. Ce qui ne peut être véritable à moins que d’être renés en l’Esprit de Jésus Christ.

144. Qu’il serait beau à voir, Monsieur, que ces personnes qui se disent renées le fussent en effet ! Combien de joie causeraient-elles à mon âme ! Mais hélas ! je ne les saurais remarquer en rien différer des autres personnes mondaines. Il est bien vrai qu’elles ont un port extérieur, des paroles et gestes étudiées, un peu plus retenues que les autres ; mais au dedans sont autant curieuses et convoiteuses et sensuelles comme tout le reste des hommes, affectant les honneurs des hommes, cherchant leurs aises et commodités au possible, sans voir qu’ils disent faussement d’être renés. Car celui qui est rené dans l’Esprit de Jésus Christ est assurément possédé de son Esprit, et cherche les choses d’en haut, et non plus celles qui sont sur la terre [723]. Un chacun se doit reconnaître par cette pierre de touche, et sonder s’il cherche encore quelque chose sur la terre. Et s’ils trouvent au fond de leurs âmes qu’ils ont leurs prétentions encore en ce monde, c’est un témoignage assuré qu’ils ne sont point renés et ne vivent dans l’Esprit de Jésus Christ : parce qu’icelui dit que son Règne n’est point de ce monde [724] : voire qu’il ne prie pas pour le monde [725], recommandant seulement à son Père ceux qu’il lui a donné du monde, parce qu’ils sont siens ; et non ceux qui sont du monde. Mais ces personnes qui se disent renées sont autant du monde et de son esprit que tout le reste des hommes : n’étant en rien différents sinon de paroles et d’habits : ce qui n’est qu’une pure hypocrisie. Car Dieu sonde les reins, et examine les consciences [726]. L’on peut bien faire accroire aux hommes que sommes renés, mais pas à Dieu, qui voit le fond de nos pensées et de quel esprit elles sont mues.

145. C’est pourquoi il vaudrait beaucoup mieux s’humilier en connaissant qu’on n’est point vrai Chrétien, mais plutôt Antichrétiens, si qu’il est très véritable. Car si nous étions Chrétiens, nous serions possédés du même esprit qu’était Jésus Christ [727], le Christianisme ne consistant à en porter le Nom, ou à être baptisé et croire que nous sommes renés ou enfants de Dieu ; mais à posséder efficacement l’Esprit de Jésus Christ, qui est humble, pauvre, patient, et charitable [728]. Si toutes ces qualités nous manquent, nous manquons assurément d’être Chrétiens ; et si nous avons les qualités contraires, nous sommes véritablement Antichrétiens.

146. Pourquoi nous flatter dans une affaire d’où dépend notre bonheur éternel ? Car si nous reposons dans cette croyance d’être Chrétiens, nous mourrons Antichrétiens en effet, puisque nos œuvres sont toutes opposées à celles de Jésus Christ ; en allant après cette vie en la compagnie du Maître que nous avons ici servi. Voilà où aboutit cette fausse croyance, d’être Chrétiens pour en porter le Nom, ou pour avoir été baptisé : parce qu’un chacun recevra selon ses œuvres [729] ; et non selon ses paroles ou sa croyance. Ne vaudrait-il pas mieux croire que nous ne sommes pas Chrétiens, mais plutôt Antichrétiens, comme il est véritable, que de porter durant la vie le nom de Chrétien, et être après la mort jugés de Dieu et condamnés pour ANTICHRÉTIENS ? Quel mal pourrait faire une personne à croire qu’il n’est pas Chrétien et tâcher de le devenir ? Encore bien qu’elle fût véritablement Chrétienne, elle ne pourrait qu’aspirer à une plus grande perfection et s’humilier devant Dieu davantage : mais en soutenant opiniâtrement d’être Chrétien, l’on ne fait nuls devoirs pour le devenir, pensant qu’il suffit de mourir opiniâtre dans cette fausse croyance, qui en a jà fait périr si grand nombre, lesquels ont été trouvés devant Dieu des Chrétiens de paille, propres à allumer le feu de sa juste vengeance, qui ne s’éteindra jamais.

147. Voilà la fin où aboutit cette présomption d’être Chrétiens. Elle ne penche que du côté de la damnation éternelle : car celui qui croit d’être Chrétien ne le deviendra jamais, vivra en repos, et mourra sur un faux oreiller que Satan lui tient sous la tête afin qu’il ne puisse voir le danger de son malheur éternel : puisque jamais personne ne sera sauvé que celui qui possède l’Esprit de Jésus Christ [730] ; et personne ne l’a jamais été aussi du passé sinon ceux qui ont été possédés du même Esprit : parce qu’il n’y a qu’un Dieu, une vérité et une vraie Doctrine [731], hors de quoi n’y peut avoir de salut. Que les hommes se flattent tant qu’ils voudront, ils ne peuvent arriver à salut que par la seule voie de la Vie Évangélique [732] : parce qu’elle contient toutes les choses nécessaires à salut. Ce que le Diable sachant, il tâche à nous faire présumer d’être Chrétiens afin que n’embrassions jamais cette Doctrine Évangélique.

148. Si les hommes n’étaient pas tout-à-fait perdus de jugement ou ensorcelés d’esprit, ils ne se pourraient jamais imaginer d’être Chrétiens en vivant de la manière qu’on vit à présent. Ils ont l’Évangile à la main, qui déclare comment Jésus Christ, ses Apôtres, et premiers Chrétiens ont vécu ; et voient devant leurs yeux comment vivent ceux qui s’appellent Chrétiens à présent : pouvant par ces deux raisons juger s’il y a de la conformité en quelque chose, et conclure que ne sommes pas Chrétiens, conformes à ceux de la primitive Église : parce que Dieu est immuable et ne peut changer : ce qu’il a lors enseigné, il nous l’enseigne encore aujourd’hui. Car la parole de Dieu parle toujours [733], et ne se contredit jamais. Si les Chrétiens d’aujourd’hui font tout au contraire de la Doctrine de Jésus Christ, ils sont des vrais Antichrétiens, sans nul doute. Car ce mot d’ANTÉCHRIST ne signifie autre chose sinon contraire à Christ : et, par conséquent, tout ce qui est contraire à Christ est parfaitement ANTÉCHRIST.

149. Que les hommes se tourmentent tant qu’ils voudront de ce qu’on les appelle Antéchrists, il n’y a nul mot qui puisse mieux signifier ce qu’ils sont maintenant devenus ; puisque toutes leurs œuvres en effet sont Antichrétiennes, c’est à dire, contraires à l’Esprit de Jésus Christ, et partant possédées par l’Esprit de l’ANTÉCHRIST, qui domine maintenant sur toute la terre ayant l’Empire et Grande Puissance sur les cœurs des hommes, sans qu’ils l’aperçoivent, et encore moins l’appréhendent ; parce qu’il est si bien masqué de Vertu et Sainteté que plusieurs feraient scrupule de croire qu’ils sont possédés de son Esprit, s’ils n’examinent de bien près les mouvements de leurs cœurs, et les inclinations de leur nature, lesquels ils trouveront assurément portés à l’avarice, souhaitant les biens de ce monde ; comme aussi à la vaine gloire, désirant d’être estimés et loués, et dignes de tout honneur, en sorte qu’il semble aux personnes de maintenant qui ont quelques commodités qu’il n’y a rien de trop beau, trop bon, et trop précieux pour satisfaire à leur ambition, laquelle croit de mériter toujours le meilleur et se fâche qu’on lui présente le moindre.

150. Ces mouvements, Monsieur, peuvent-ils venir d’un autre Esprit que de celui de l’ANTÉCHRIST ; vu que Jésus Christ a toujours cherché le moindre et le plus méprisé ? Faut-il aller demander aux Docteurs de la Loi si cela est véritable, puisqu’un chacun Chrétien en peut faire l’expérience en sa propre conscience et être juge de soi-même ? Il ne faut pas avoir de jugement pour ignorer ces vérités ; vu qu’elles peuvent être connues de tous ceux qui ont encore désir de se sauver ; ou autrement, ils trahiraient leurs consciences et pécheraient contre leur lumière, qui éclaire assez chaque Chrétien pour connaître ce que Jésus Christ a fait et enseigné, et voir au même instant que leurs vies ne sont nullement conformes à ses enseignements. Et par ainsi un chacun peut bien voir qu’il n’est pas Chrétien, mais bien Antichrétien, sans avoir beaucoup étudié ; vu que les études servent d’empêchement à découvrir la vérité que la Simplicité propose.

 

 

L’Antéchrist Auteur des controverses.

 

XX. L’Antéchrist Auteur des Disputes, controverses, spéculations stériles sur les choses spirituelles, a par là détourné les Chrétiens de la seule chose nécessaire, qui est la Dépendance de Dieu, ou l’Imitation de Jésus Christ.

 

151. L’Esprit de l’ANTÉCHRIST a suscité tant de disputes sur les mystères de la Foi, afin d’amuser les hommes de bonne volonté, leur faisant passer la Vie à débattre des questions fort peu nécessaires : puisque Jésus Christ dit à la Madeleine qu’il n’y a qu’une chose nécessaire [734] : comme il est assurément véritable. Car si le Chrétien sait qu’il doit imiter Jésus Christ et qu’il le fasse, il lui suffit, sans avoir de besoin d’aller spéculant les secrets divins, comme font plusieurs, qui se divisent et se débattent sur des opinions controuvées des hommes, qui veulent pénétrer ce qui ne les touche. Les uns veulent savoir ce qu’il y a en Dieu : les autres veulent comprendre ses œuvres, et comment qu’il sauve et damne les hommes. Et ainsi des autres divins Mystères. Chacun veut tendre à découvrir les mystères cachés de Dieu, quoiqu’ils soient à tous hommes incompréhensibles [735], lesquels les devraient adorer au lieu de les disputer.

152. Il n’y a que l’Esprit de l’ANTÉCHRIST qui meuve toutes ces disputes pour nous faire négliger la seule chose nécessaire à notre salut, la quelle est la Dépendance de notre volonté en toutes choses à la volonté de Dieu [736]. Si un chacun avait bien pénétré cette nécessité, l’on ne verrait pas tant de divisions, de Schismes et de disputes ; puisque tous les hommes détermineraient cette question et avoueraient qu’il est juste, bon et nécessaire que la créature dépende de son Créateur, de qui elle tient toutes choses. Et par ainsi tous seraient d’accord et en paix. Mais sortant de cette seule chose nécessaire, l’on va argumentant sur des choses inutiles avec lesquelles le Diable nous amuse, faisant passer la vie en des spéculations imaginaires, sans aucun profit ni salut, remplissant les esprits de vent par des sciences scolastiques, qui enflent et rendent ordinairement les hommes superbes [737], leur subtilisant leurs esprits pour à qui mieux-mieux faire connaître leurs adresses et subtilités à beaucoup savoir et bien argumenter, pendant qu’ils sont des grands ignorants au fait des choses éternelles [738], dans lesquelles ils doivent vivre éternellement en joie ou en détresses. Et on oublie cette éternité pour des gloires passagères que les hommes se donnent les uns aux autres [739].

153. L’on se peine et travaille à étudier afin de porter le titre de Docteur, et être en estime et réputation parmi les hommes : quoique bien souvent l’on soit devant Dieu en des grossières ignorances dans les choses mêmes qu’on soutient avec tant de force et d’arguments. Si l’on était des Chrétiens, l’on ne chercherait point de plaire aux hommes ; mais bien les moyens de plaire à Dieu et d’opérer son salut : parce que Jésus Christ dit que celui qui cherche de plaire aux hommes n’est point son Disciple [740]. Par où l’on peut assez voir s’il y a beaucoup de Chrétiens maintenant sur la terre, c’est à dire des personnes qui ne cherchent point de plaire aux hommes. Car nuls ne sont Chrétiens sans être Disciples de Jésus Christ, parce que le nom de Chrétien signifie Christ : et partant celui qui n’est pas possédé de l’Esprit dont Jésus Christ était possédé n’est pas Chrétien. Voyez un peu, Monsieur, je vous prie, comment se trompent les hommes de maintenant, qui se croient Chrétiens en passant toutes leurs vies à plaire aux hommes : cependant qu’ils sont obligés de confesser que Jésus Christ est la vérité, et qu’il a dit que ceux qui veulent plaire aux hommes ne sont point ses disciples ! Ils portent cette Foi en la bouche pendant que par œuvres ils dénient l’essence de leur Foi [741], s’efforçant de vouloir plaire aux hommes pendant qu’ils se disent Disciples de Jésus Christ, en ne l’étant nullement, si que leur déclare cette Vérité infaillible qui ne peut mentir.

154. Mais l’Esprit de l’ANTÉCHRIST, qui est esprit de mensonge, leur persuade faussement qu’ils sont Chrétiens, voire délateurs de la Loi Évangélique, lorsqu’ils savent bien disputer et défendre les points de leurs Religions. Ce qui est une grande tromperie et amusement de Satan, qui en a jà conduit grand nombre ès Enfers qui sont morts pour la défense de quelques opinions des hommes. Ceux-là sont morts les Martyrs du Diable en pensant mourir Martyrs de J. Christ. Ne voyez-vous pas, Monsieur, que nous vivons dans le temps où le Diable est déchaîné, et au règne de l’ANTÉCHRIST, puisqu’il a acquis tant de puissance sur tous les esprits des hommes, qui acquiescent à toutes ses persuasions, même en croyant bien-faire ; parce qu’il est assis au trône de Dieu pour se faire adorer comme s’il était Dieu [742] ? Combien y en a-t-il, des Docteurs de la Loi, lesquels pensent honorer Dieu par leurs disputes et controverses, pendant que le Diable en tire tous ses avantages [743] ? Parce que ces querelles et débats ne font qu’engendrer l’inimitié entre les Chrétiens, les mépris l’un de l’autre et les injures : en tout quoi l’Esprit de Jésus Christ ne peut entrevenir, puisqu’il est Esprit de paix, d’amour et de concorde [744] : et l’Apôtre nous recommande de prévenir l’un l’autre par honneur [745].

155. Ne vaudrait-il pas mieux que ces Docteurs, Prédicateurs, ou Sages étudiants, nous enseignassent la douceur, la charité, l’humilité de Jésus Christ, que toutes ces disputes et controverses ? Puis qu’il n’y a qu’une chose nécessaire [746], par le dire de la vérité même ; faut croire que tous arguments, disputes et contentions sont superflues, servant à se moquer et se mépriser l’un l’autre au lieu de s’aimer, si que Jésus Christ nous a commandé de faire [747]. Car que touche-t-il à un Chrétien de savoir comment Dieu engendre son Verbe, et s’il y a trois personnes en Dieu ? À quoi servent ces questions pour notre salut ? Ne vaudrait-il pas mieux inculquer à tous Chrétiens qu’ils sont obligés d’imiter Jésus Christ pour être sauvés, puisque cela est la seule chose nécessaire [748] ? Car si nous pensons être venus au monde pour accomplir la volonté de Dieu, si que Jésus Christ nous déclare, qu’il n’est pas venu pour faire sa volonté, mais celle de celui qui l’a envoyé [749], et qu’il dit aux Chrétiens qu’ils soient ses Imitateurs [750], il fallait toujours insister là-dessus, sans aller inventer tant de nouvelles questions : vu que la dépendance de notre volonté à celle de Dieu suffit à tous les hommes pour être sauvés ; parce que toutes les sciences et vertus consistent là-dedans ; vu que celui qui abandonne sa volonté à celle de Dieu est conduit et illuminé par le S. Esprit [751], n’ayant besoin d’écouter les arguments des hommes, qui sur tous les sacrés mystères font des questions en voulant pénétrer les secrets de Dieu les plus profonds, quoiqu’ils leur soient totalement incompréhensibles et au-dessus de leur portée, avec quoi ils font mille injures à Dieu, le formant comme une créature, disant qu’il a en soi trois personnes, le Père, le Fils et le S. Esprit, corporels, forgeant ainsi un Dieu selon la grossesse et l’ignorance de notre entendement, quoiqu’il n’y ait ni Ange ni homme qui ait vu jamais Dieu ou compris ce qu’il est [752]. Il est bien vrai que Jésus Christ a usé de ces termes lorsqu’il ordonne à ses Apôtres de baptiser au Nom du Père, du Fils, et du S. Esprit [753]. Cela était pour faire entendre à notre mode les trois qualités qu’il y a en Dieu, de Bonté, de Justice et de Vérité : dénotant qu’en toutes les œuvres de Dieu ces trois qualités y concourent toujours toutes trois ensemble : enseignant aux Chrétiens que toutes leurs actions doivent aussi être accompagnées desdites trois qualités ; comme ont été accompagnées toutes les œuvres et paroles de Jésus Christ, ainsi en doivent être accompagnées les œuvres et paroles de tous les Chrétiens.

156. Ces enseignements leur seraient utiles et profitables bien plus que de savoir comment Dieu engendre son Fils, ou combien de personnes il y a en Dieu : vu que cela ne nous appartient de savoir [754], non plus que le mystère de l’incarnation du Fils de Dieu. Il nous doit suffire pour l’imiter de croire qu’il est envoyé de Dieu pour nous enseigner le chemin de notre salut [755]. Il vaut bien mieux s’étudier à cette imitation qu’à pénétrer les secrets Mystères de cette Incarnation, qui ne nous profitera en rien sans cette Imitation.

157. Et partant, ce n’est que vanité de s’amuser à ces spéculations, qui ne mettent rien dans nos âmes qu’une satisfaction à nos sens, qui se délectent souvent ès curiosités de savoir les choses divines plus que celles qui sont si nécessaires. Cela dérive de ce que le Diable ne peut souffrir que la Doctrine de Jésus Christ soit suivie, amusant les Chrétiens pour les en divertir par de belles spéculations sur les divins mystères : croyant avec ce d’être arrivés au degré de la perfection pour savoir comprendre et discourir des œuvres de Dieu et de la Doctrine de Jésus Christ, laquelle un chacun comprend à sa mode en suivant ses inclinations, sans aucun fondement de vérité. Tous Chrétiens doivent savoir que Jésus Christ a été humble de cœur, pauvre d’esprit, obéissant et soumis à son Père jusqu’à la mort ignominieuse de la Croix, pendant que fort peu s’étudient à imiter ces vertus ; et si grand nombre s’efforcent à savoir les conseils et déterminations de Dieu, quoiqu’ils ne sachent comprendre les œuvres qu’il fait en la nature, ni comment se forme un poulet dans un œuf. Ne voit-on pas, Monsieur, que c’est le Diable qui a inventé toutes ces études et hautes spéculations afin de divertir les hommes de la chose nécessaire, et les retirer de leurs devoirs sous des bons prétextes de s’étudier en la Théologie ? S. Paul disait de ne savoir rien sinon Jésus Christ crucifié [756]. Mais ces Docteurs veulent bien être plus sages, en faisant des gloses et questions sur la Doctrine Évangélique même, pour la déguiser et faire paraître comme si elle était une histoire de laquelle on dût se remémorer sans la pratiquer, se contentant de spéculer comment Jésus Christ a cheminé sans le vouloir suivre ou comprendre comment il a établi toute chose en disant : Soyez mes IMITATEURS.

 

 

Comment l’Antéchrist a affermi son Règne.

 

XXI. L’ANTÉCHRIST pousse à imiter J. C. par le seul extérieur, comme par le Baptême, dont on abuse, sans suivre la vie de Christ, souillant les hommes par là d’hypocrisie, de présomption d’être Chrétiens, et d’autres péchés : les occupant à pointiller sur les formalités de ce sacrement et de celui de la Cène, pendant qu’ils s’égarent du but et de la fin. Et ce sont là les moyens par lesquels il a avancé son RÈGNE jusques dans le Trône de Dieu.

 

158. Il s’est fait baptiser : en quoi les Chrétiens l’imitent à l’extérieur, se faisant tous baptiser, chacun à sa façon, sans néanmoins s’imiter en l’essence du Baptême, qui est une Confession publique devant les hommes qu’on est Enfant de Dieu et Disciple de Jésus Christ, lequel a dit que celui qui le confessera devant les hommes sera par lui confessé devant son Père ; et qui le renie devant les hommes sera renié devant son Père [757] : pour montrer que le Baptême est une œuvre parfaite et accomplie lorsqu’on est au dedans de son âme vrai Disciple de Jésus Christ, et qu’on le témoigne aussi extérieurement devant les hommes par le Baptême, lequel est une Profession de la Foi Chrétienne. En sorte qu’être baptisés n’est autre chose qu’être enrôlés Soldats de Jésus Christ, disposés à vivre et mourir pour la défense de sa Loi et Doctrine, l’embrassant comme le seul moyen de notre bonheur éternel. En sorte que le Baptême est une chose sainte et sacrée, comme sont aussi toutes les œuvres que Jésus Christ a faites sur la terre. Elles doivent toutes être appelées Sacrements, vu que rien ne peut sortir de lui que choses saintes et sacrées, comme ne devrait aussi sortir d’un Chrétien après qu’il est baptisé rien que choses saintes, puisqu’il est enrôlé dans la Compagnie des Saints, de laquelle Jésus Christ en est le Capitaine, marchant toujours le premier en la bataille pour nous encourager à le suivre.

159. Mais nous sommes devenus si poltrons que ne voulons rien souffrir au service qu’avons entrepris par le baptême. Nous regardons bien dans les Saintes Écritures les peines et travaux qu’a soufferts Jésus Christ notre Capitaine, sous lequel nous sommes enrôlés ; mais ne prenons pourtant la résolution de l’imiter : et encore bien que sachions notre vie être un combat continuel [758], l’on y vit à l’aise et en repos pendant que notre Capitaine se peine et travaille pour notre défense, couchant sur le bois dur de la croix pendant que couchons sur les lits mollets en toutes sortes de délices. Que vous semble-t-il, Monsieur, de semblables soldats ? Ne méritent-ils pas le fouet et la mort puisqu’ils laissent mourir leur Capitaine pendant qu’ils prennent leurs ébats et contentements sensuels ? Ne doivent-ils pas attendre une prison perpétuelle pour une telle lâcheté ? Ce que doivent bien appréhender tous les Chrétiens, qui sont baptisés à l’extérieur et pas résolus de suivre et imiter Jésus Christ ni son Esprit intérieur. Ceux-là sont tous ces mauvais serviteurs, qui méritent d’être jetés ès ténèbres extérieures, où il aura pleurs et grincement de dents [759].

160. Voilà la sentence que doivent attendre tous ceux qui sont baptisés et portent le nom de Chrétiens sans l’être en effet : parce que rien ne déplaît davantage à Dieu que l’hypocrisie, et personne ne peut être plus grand hypocrite que celui qui se dit disciple de Jésus Christ et Chrétien lorsqu’en effet il est Antichrétien. Cette qualité se contracte assurément de l’Esprit de Satan, lequel voulant avoir la gloire de vertu et sainteté se couvre toujours du manteau d’Imitateur de Jésus Christ, lequel s’étant fait baptiser extérieurement le Diable incite aussi les hommes à faire le semblable, et prendre indignement le Nom de Chrétiens, afin de par ces moyens les tenir en repos, sans s’informer ce que c’est d’être véritables Chrétiens, se contentant d’en porter le titre et signe extérieur en se faisant baptiser.

161. Ce qui est un faux témoignage et un signe de grande hypocrisie. Car être enrôlés au catalogue des saints en demeurant méchants, c’est un double péché, voire un triple péché, d’infidélité, de mensonge, et de tromperie, en faussant la foi qu’on promet à Dieu au Baptême, de renoncer au Diable, au monde, et à ses pompes, pendant qu’on aime et suit l’un et l’autre par effet. Et on ment aussi en disant d’être Chrétien, puisqu’en effet on n’imite en rien Jésus Christ, trompant ainsi les hommes en voulant paraître ce qu’on n’est nullement aussi longtemps que nos œuvres démentent notre Baptême et notre profession.

162. Qu’il y en aura de bien trompés à la mort, lorsque tous ces faux visages seront ôtés et que paraîtrons des vrais Antichrétiens, n’ayant seulement que porté le masque de Chrétiens au dehors, et la réputation ! Cela ne servira aux Chrétiens de nom que de plus grande condamnation : parce qu’à celui à qui beaucoup a été donné, beaucoup sera redemandé [760] ; et nuls n’ont reçu plus de grâces et lumières de Dieu que les Chrétiens, qui ont vu cheminer Jésus Christ en toutes ses voies, et voient encore journellement le récit des Actes des Apôtres et premiers Chrétiens. Ils ont aussi reçu la lumière Évangélique par la venue du S. Esprit. En sorte qu’ils ne peuvent rien ignorer de ce qu’ils doivent faire et laisser pour devenir vrais Chrétiens, et ne peuvent périr par ignorance, mais pèchent volontairement contre leur savoir et contre leurs lumières. C’est pourquoi les Apôtres seront leurs Juges au jour du Jugement, interrogeants chacun Chrétien s’ils ont observé les enseignements qu’ils leur ont laissés par écrit, ou s’ils ont à leur imitation renoncé au monde pour suivre Jésus Christ ? Et cela fera leur condamnation, que la lumière leur a été donnée, et qu’ils ont mieux aimé leurs ténèbres que la lumière [761], laquelle condamnation ne s’étendra point sur les Turcs et Païens à qui la lumière n’a point été donnée, ni la Foi pour croire en icelle. Mais les Chrétiens ont reçu la lumière par Jésus Christ, et ont crû en icelle ; mais ne la veulent pas suivre, depuis que l’Esprit de l’ANTÉCHRIST est entré au Sanctuaire, et a persuadé aux Chrétiens qu’il leur suffit de faire à l’extérieur les choses que Jésus Christ a faites, sans posséder rien de son esprit ni suivre ses Doctrines.

163. Et ainsi les hommes s’amusent par des si fausses persuasions, nullement véritables : à cause que Dieu est Esprit [762], et nos âmes sont aussi esprits, lesquelles ne peuvent rien faire d’agréable à Dieu sinon ce qui se fait en esprit et en la vérité de Dieu. Car encore bien qu’un Chrétien soit baptisé extérieurement au Nom du Père, du Fils et du S. Esprit, cette eau et ces paroles ne lui profiteront de rien s’il ne tâche d’acquérir en son âme ces trois qualités, de Justice, de Bonté, et de Vérité de Dieu [763], et ne sera fait Chrétien par le Baptême s’il n’embrasse la Doctrine de Jésus Christ, et ne la suit efficacement : à moins de quoi, tous nos Baptêmes, nos Cènes et autres Sacrements ne serviront de rien à nos âmes, qui sont des esprits, n’ayant besoin des choses matérielles sinon pour l’édification du prochain ou la confirmation que sommes vrais Disciples de Jésus Christ, en te voulant suivre et imiter aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur.

164. Mais ce sont tromperies de l’ANTÉCHRIST de croire que nous ferons sanctifiés par les Sacrements seulement extérieurs : parce que le Diable même peut bien recevoir toutes sortes de Sacrements en demeurant Diable. Il peut bien être baptisé et porter cette marque extérieure de Disciple de Jésus Christ, quoi qu’il ne veuille jamais imiter ses vertus. Et ne profitera point davantage le Baptême extérieur au Chrétien de nom qu’il profitera au Diable ; au contraire, lui sera le Baptême et tous autres Sacrements, grandement préjudiciables ; pour avoir profané les choses Saintes. C’est pourquoi le Diable ne détourne pas les hommes de recevoir les Sacrements ; mais les incite plutôt à les fréquenter souvent : parce qu’il tire de là sa gloire et la damnation des hommes, qui pensent être Chrétiens et avoir satisfait à Dieu avec ces solennités et marques extérieures, ne se mettant en souci d’examiner leurs âmes, pour voir si elles sont possédées du même Esprit qu’a été celle de Jésus Christ. Le Nom de Chrétien leur donne un faux repos de salut, et les Sacrements extérieurs les enflent de vaine gloire, en présumant d’être en la communion des Saints, ou en la Sainte Église, quoi que rien de tout cela ne soit véritable devant Dieu : car sans être possédé du même Esprit qu’a été Jésus Christ, de charité, d’humilité, de pauvreté d’esprit, et le reste, personne ne se doit promettre le salut, sinon celui qui a le désir de se convertir et s’efforcer à imiter doresénavant Jésus Christ. Car les Sacrements extérieurs n’impriment rien en l’âme si au dedans elle n’est préparée à la sainteté. Parce qu’il n’y a qu’une vraie Sainte Église, laquelle est composée des âmes entièrement soumises à la volonté de Dieu en pratiquant la Doctrine de Jésus Christ.

165. S’il y a en cette Sainte Église de la zizanie semée parmi le bon grain, Dieu la laissera en semble jusqu’au temps de la moisson [764], qui approche : c'est-à-dire : au jour dernier du Jugement : et alors il fera arracher cette ivraie pour la brûler, réservant le bon grain au grenier de sa gloire. Alors on verra trop tard que les Signes extérieurs des Sacrements ne nous ont pas mis en la Communion des Saints ; puisque les âmes qui les ont si souvent reçus ne seront sanctifiées devant Dieu.

166. Ne voyez-vous pas, Monsieur, qu’il y a de l’erreur en toutes choses, voire ès plus saintes, et qu’on prend souvent l’écorce pour le bois, supposant que le bois est sous l’écorce ? Ce qui est fort peu véritable. Tous nos Théologiens veulent dire qu’ils croient et supposent que ceux qui reçoivent les Sacrements à l’extérieur sont consacrés à Dieu intérieurement. Mais cette supposition est fausse, puisqu’on voit par expérience que ceux qui sont baptisés, ou reçoivent les autres Sacrements, ne sont en rien différents d’avec les personnes mondaines ; et demeurent après le Baptême autant convoiteuses et sensuelles qu’elles l’étaient avant icelui.

167. Les Anabaptistes s’estiment les plus parfaits ; parce qu’ils joignent la Foi avec le Baptême en baptisant des personnes qui sont arrivées à l’usage de raison, capables de croire et être baptisées tout ensemble : mais le malheur est qu’on ne les trouve en effet non plus Chrétiens ni possédés de l’Esprit de Jésus Christ que ceux qui sont baptisés en bas âge avant d’avoir l’usage de raison. C’est pourquoi je ne saurais juger lequel fait mieux, en baptisant des enfants ou des grandes personnes ; vu que l’une ni l’autre ne vivent en effet Chrétiennement, non plus après le baptême qu’avant icelui. Car encore bien que ces Anabaptistes disent qu’ils sont renés par le baptême, il n’est pourtant véritable, vu que celui qui est rené ne cherche plus les choses de la terre, mais celles qui sont d’en haut [765] : pendant qu’on voit ces rebaptisés convoiter autant l’or, l’argent, honneur et délices de cette vie comme font ceux qui sont baptisés en bas âge, lesquels n’ont jamais compris ce que c’est du baptême, pour l’avoir reçu innocemment avant d’avoir l’usage de raison pour comprendre qu’ils sont enrôlés Soldats de Jésus Christ et le doivent imiter et suivre.

168. En quoi ces rebaptisés sont encore plus coupables que ces enfants nouveau-nés, la damnation desquels sera inculpée aux Parents d’iceux s’ils ne leur enseignent point les devoirs d’un vrai Chrétien lorsqu’ils sont parvenus à l’usage de leur raison : parce que tous Chrétiens sont obligés à ce faire. C’est pourquoi l’on prend Parrains et Marraines qui répondent pour l’enfant, en disant qu’il veut être baptisé, qu’il renonce au Diable, au monde, et à ses pompes afin d’entrer au bercail de Jésus Christ et devenir son Disciple, comme un vrai membre de la sainte Église. Mais hélas ! ce ne sont que paroles étudiées : car depuis que le Baptême extérieur est achevé, il n’y a Parrains ni Marraines qui s’informent si l’enfant observe les promesses qu’iceux ont faites pour lui au Baptême. On les voit suivre le monde, ès pompes et vanités, sans arrière-pensées ni aucun ressouvenir des promesses qu’ils ont faites à Dieu au Baptême. Pères et Mères, Parrains et Marraines, ne savent souvent eux-mêmes ce que c’est d’être Chrétiens ; et partant ne le peuvent enseigner à leurs enfants, pensent qu’il leur suffit de les avoir fait baptiser extérieurement. En quoi ils sont plus Juifs que Chrétiens, en prenant les cérémonies extérieures de baptême et autres Sacrements pour l’essence d’iceux, comme les Juifs prennent la lettre de Dieu au lieu de son Esprit, quoiqu’il soit écrit que la lettre tue, mais l’esprit vivifie [766] ; pour montrer aussi bien aux Juifs qu’aux Chrétiens que toutes ces cérémonies extérieures sans l’Esprit d’icelles servent à l’un et à l’autre de plus grande condamnation, voire tuent leurs âmes par le péché d’hypocrisie et de mensonge, confessant l’un et l’autre d’être peuple de Dieu pendant qu’ils adhèrent à l’Esprit du Diable et de l’ANTÉCHRIST, toujours opposé à celui de Christ.

169. Ce n’est pas de merveille si ce malin esprit a tant de puissance pour les faire croire au mensonge, puisqu’il tient sous ses lois les bien-intentionnés, les Sages et Docteurs de la Loi, en les occupant à étudier et composer de gros volumes afin de soutenir la dignité de ces Sacrements extérieurs. Ce qui divertit d’en connaître l’essence intérieure : car que sert-il de savoir en quelle manière les grâces de Dieu nous sont appliquées par le Baptême si notre cœur et notre volonté n’est point disposée à suivre et imiter Jésus Christ en devenant son vrai disciple, vu que le Baptême ne signifie autre chose que la régénération d’une personne naturelle qui renonce à soi-même pour embrasser une vie toute spirituelle [767] ? Voilà ce que l’on professe au Baptême ; et si le Baptême extérieur n’est pas le témoignage de cette résolution intérieure, toutes les sortes de Baptêmes ne serviront de rien à notre salut, quand bien nous serions cent fois baptisés.

170. C’est dommage que tant de bons esprits s’amusent à pénétrer les secrets divins pour savoir comment Dieu nous donne ses grâces, au lieu de préparer nos âmes à les recevoir. Combien de questions sur l’opération du Baptême, et sur la nécessité de le recevoir ; et combien peu sur la nécessité de s’y bien préparer ? Il n’y a point de mille personne une qui sache de ne pouvoir être Chrétien sans posséder dans son âme l’Esprit de Jésus Christ. Grand nombre tiennent que le Baptême est nécessaire à salut, pendant que si peu sont véritablement baptisés : car celui n’est pas Chrétien et ne peut être baptisé qui n’a le désir d’être ou devenir disciple de Jésus Christ, vu que le Baptême n’est que le signe extérieur qui témoigne aux hommes que sommes Soldats de Jésus Christ. Et quand cela n’est pas véritable et réel au fond de nos âmes, les Cérémonies extérieures du Baptême sont des faux témoins qui nous condamneront au jour du Jugement, où celui qui a été baptisé sans être devenu Chrétien sera plus châtié que celui qui ne fut jamais baptisé et n’a eu désir de l’être. Et celui qui meurt Catéchumène sans avoir reçu le Baptême sera plus heureux que celui qui l’a reçu et n’a accompli l’office d’un vrai Chrétien : parce que le cœur fait l’œuvre [768], et la volonté nous fait être vrais Disciples de Jésus Christ [769].

171. Cela est le vrai Baptême d’Esprit [770], beaucoup plus estimable que le Baptême d’eau seulement, qui n’opère rien sans la disposition de celui qui le reçoit : en sorte que si un enfant baptisé n’est pas instruit (venant à l’usage de raison) des promesses qu’il a faites à Dieu au Baptême, et qu’il ne les mette point en effet, il ne peut être sauvé, quoiqu’il fût baptisé d’eau, qui signifie la pénitence nécessaire à salut ; et celui qui ne met peine à renoncer à ses inclinations vicieuses et naturelles pour se revêtir d’une vie spirituelle, en mourant au vieil homme pour devenir une nouvelle créature, celui-là n’est pas rené, et ne peut être sauvé, quoiqu’il eût été souventes fois arrosé de l’eau du baptême. Je souhaiterais bien que tous nos Docteurs enseignassent cette nécessité d’être Chrétiens et de faire pénitence, au lieu de débattre sur les formes et opérations des Sacrements : vu qu’il serait beaucoup plus profitable au salut des âmes. Ce que le Diable sachant, il empêche les hommes de bonne volonté par des disputes et débats : ayant jà gagné à soi tous les méchants par des œuvres et désirs méchants, il tâche maintenant à gagner les bons et les doctes par des arguments peu nécessaires sur les plus hauts mystères de notre foi.

172. Combien y en a-t-il sur l’Eucharistie ? L’un soutient que le corps de Jésus Christ y est tout vivant sous les espèces de pain et de vin : l’autre dit qu’il se fait, par la consécration, une Transsubstantiation du pain et du vin au corps de Jésus Christ, en sorte qu’il n’y a plus de pain ni de vin. Les autres soutiennent que ce n’est qu’une mémoire de ce que Jésus Christ a fait sur la terre, et commandé aux Chrétiens de faire le même en sa mémoire. Toutes ces différentes croyances ne font qu’engendrer discordes entre les Chrétiens, voire inimitiés et haines. Il serait bien plus souhaitable que tous les Chrétiens ensemble tâchassent de découvrir la fin de ce Sacrement et ce que Jésus Christ nous a voulu enseigner par cela, que de vouloir pointiller ses formalités extérieures, qui sont aussi fort peu de choses sans la connaissance de ce que Jésus Christ nous a voulu enseigner en ce Sacrement, qui est l’union et la charité que doivent avoir par ensemble tous frères Chrétiens.

173. Premièrement, il prend du pain et du vin pour nous enseigner que tous les Chrétiens doivent être autant de grains moulus ou de raisins pressés par ensemble au moulin des souffrances ou bien au pressoir de charité, se laissant moudre par ensemble ès tribulations et souffrances, comme le froment se dispose par le moulin à être fait pain pour la nourriture de son Maître, de même doivent être disposés tous Chrétiens par ensemble d’endurer la persécution pour la Justice, afin d’être disposés à être offerts en Sacrifice au Seigneur, et demeurer inséparablement unis d’un cœur et d’une volonté comme tous les grains sont unis par ensemble pour être faits un pain [771] ; afin que tous Chrétiens puissent dire comme S. Paul : Qui me séparera de la Charité ? Ni mort, ni vie [772], etc. Voilà la signification de la matière du pain et du vin avec lesquels Jésus a institué ce Sacrement, pour apprendre aux Chrétiens la liaison étroite qu’ils doivent avoir par ensemble ; comme la liqueur du vin se fait de plusieurs grains sans pouvoir discerner ce qui est sorti de l’un ou de l’autre, aussi doit être la Charité des frères Chrétiens, se laissant presser tous ensemble, afin de se rendre plaisants à Dieu, sans divisions ou débats quelconques en matière de Religion ; vu qu’il n’y a qu’un Dieu, une Vérité, et une vraie Église. Ce Sacrement nous a été laissé de Jésus Christ afin qu’en sa mémoire nous entretenions l’Amour et la Charité par ensemble [773], étant tous unis d’un même vouloir et Charité en l’Esprit de Jésus Christ : et pour signe extérieur de cette union, il ordonne que mangions par ensemble en mettant tout en commun, si qu’ont fait les Premiers Chrétiens [774].

174. Il est bien plus salutaire de savoir cette leçon que Jésus Christ nous a enseignée, et la suivre, que de nous informer comment se fait cette transsubstantiation. Car il nous suffit d’être d’esprit et de volonté unis à ce que Jésus Christ nous a enseigné en étant sur la terre. Il ne dit pas : Concevez comment je fais ce mystère, mais : Mangez ; Ceci est ma chair : Buvez ; ceci est mon sang [775]. C’est à dire, incorporez cette Doctrine que je vous ai donnée pendant que j’ai vécu en chair. Cela est ma chair et mon sang que je vous laisse. La charité, la fraternité que je vous ai enseignée, mangez et buvez cela, et vous aurez vie en vous [776] et vivrez éternellement. Jésus Christ n’enseigne point qu’il faille examiner comment se fait cette Transsubstantiation, mais que nous devons incorporer sa Doctrine ; moyennant quoi nous aurons la vie éternelle. Qu’est-il donc besoin de nous amuser à ces curiosités de savoir en quelle manière cela se fait, puisque devons seulement opérer le sujet pourquoi il se fait, savoir pour unir les cœurs des Chrétiens en charité avec l’Esprit de Jésus Christ, et que selon sa prière nous soyons un comme il est un avec son Père [777].

175. Mais les hommes de maintenant ne s’attachent qu’à l’extérieur ; et le Diable leur fournit des disputes, et propose des cas et des doutes sur les formes et circonstances des mystères les plus cachés pour leur faire passer le temps en des choses oiseuses et infructueuses pour détourner de notre cœur et mémoire les choses qui sont à notre bien et au salut de nos âmes. Et l’on ne s’aperçoit point que par de semblables moyens l’ANTÉCHRIST établit plus fortement son Règne, et pipe les bien-intentionnés par ces choses saintes et pieuses, prenant son siège par ces moyens au Trône de Dieu même. De quoi les hommes ignorants ne s’aperçoivent, et périssent avec cet ANTÉCHRIST insensiblement. Duquel malheur je prie Dieu qu’il vous garde, en demeurant,

 

MONSIEUR,                                          

 

Votre très humble servante.         

 

ANTHOINETTE BOURIGNON.    

 

 

Fin de la Troisième et dernière Partie de l’Antéchrist découvert.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

TABLE ET ABRÉGÉ

 

de cette

 

TROISIÈME PARTIE

 

et des matières y contenues.

 

I. Comment l’Antéchrist par les Écritures mêmes, par l’oubli des Fondement de la Foi, et sous des couvertures Saintes, produit entre les Chrétiens des disputes, haines, erreurs, sectes, et divisions, contraires à l’Esprit de Christ. Plusieurs exemples de tout cela.

II. Que l’Antéchrist couvre et avance son Règne par des habitudes routinières de lectures de l’Écriture Sainte, d’Églises, de Prédications, de Prières, de Communions, à toutes lesquelles choses il incite les hommes, bannissant d’elles l’Esprit et la Charité de Jésus Christ.

III. L’Antéchrist, par esprit de présomption et de flatterie, aveugle les hommes pour ne se pas connaître, ni qu’ils n’ont point l’Esprit de Christ, ni même son extérieur lorsqu’il est bas. Exemple au lavement des pieds, que quelques-uns n’ont que par singerie.

IV. L’Antéchrist porte quelques-uns à ravir à Christ sa Divinité, même à dédaigner de le prier, quoique les Saints puissent l’être. Combien plus le doit être Jésus Christ ; qui en tant que Vrai Dieu Éternel, peut seul nous sauver par soi-même ; et en tant qu’homme est le Médiateur de notre Salut.

V. L’Antéchrist fait séparer les 3 Qualités de Dieu, par les uns sous prétexte de la Satisfaction de Jésus Christ ou présomption d’élection ; et par les autres, croyants de faire d’eux-mêmes tant de bien que de mériter la vie Éternelle. Choses qui sont contre les Fondements de la Foi ci-dessus, et sont impossibles. But, utilité, et fruit de la pénitence et des bonnes œuvres.

VI. La Nécessité des mérites de Jésus Christ déclarée par celle de sa venue. Abus de la Satisfaction en la tenant pour un mystère incompréhensible qui nous décharge de souffrir. Reconnaissance que tous doivent à Christ, les uns ne devant par leurs bonnes œuvres mépriser ses mérites ; ni les autres dire que donc il n’a rien fait pour nous s’il ne nous a pas déchargé de souffrir. À quoi l’Antéchrist les pousse sous des prétextes de Belle apparence.

VII. Orgueil, ingratitude, et aveuglement, tant de ceux qui méprisent les mérites de J. Christ que de ceux qui par sa Satisfaction veulent se dispenser de bien-faire ; et aussi de ceux qui nient sa Divinité éternelle. Nécessité des mérites de Jésus Christ pour bien faire et obtenir pardon et accès vers Dieu. Il faut changer de vie pour en jouir.

VIII. Les propriétés de l’Esprit de Christ et celles de la nature corrompue : sur quoi on doit s’examiner et se juger non pas rené, mais Antichrétien et Sectateur du Diable, qui se sert de la nature corrompue pour accomplir le mal qu’il inspire, mais n’y contraint pas, non plus que Dieu à embrasser les 2 moyens de salut en Christ.

IX. Chrétiens sont Antichrétiens, opposés à l’Esprit de Christ, n’ont que des occupations mondaines par un esprit mondain, sans Foi, Charité, Crainte de Dieu, ne craignent que les hommes, pèchent pis que les Juifs, contre la lumière da S. Esprit, sans laquelle reprendre ils ne peuvent être sauvés.

X. On va aveuglément et nombreusement à la damnation. Plus elle est nombreuse, plus elle est malheureuse. La propre volonté y mène. Adam l’a corrompue en tous. Mais s’il n’avait obtenu pardon pour tous, la bonté de Dieu n’aurait pas permis qu’il produisît d’autres hommes ; mais il aurait été seul et stérile.

XI. Dieu, avant se joindre parfaitement aux hommes, leur a donné un temps d’épreuve, et cela dans un état de délices, lequel à cause du péché survenu est changé en état de souffrances, où ils doivent combattre leur corruption, à quoi Jésus Christ est venu les aider par son Esprit et par son Exemple. Mais eux voudraient être guéris par une voie imaginaire, et que Jésus Christ par sa Satisfaction eût changé le temps d’épreuve de souffrances en celui de délices, se disant trop infirmes pour être éprouvés en souffrances, quoiqu’ils le soient trop pour l’être en délices.

XII. Les hommes, au lieu de dépendre de Dieu, lui ont toujours été infidèles dans la jouissance des créatures. Dieu leur pardonnant les en a sevrés plusieurs fois par des Lois et pénitences pour les aider et guérir : jusqu’à ce qu’enfin leurs péchés étant à l’extrémité, il les oblige pour leur guérison à tout renoncer et à une pleine pénitence, par l’envoi de J. Christ, donné pour Patron, dont il faut nécessairement embrasser l’Esprit et l’exemple pour être sauvés.

XIII. La présomption d’être sauvés par les seuls mérites de J. Christ sans l’imiter (ce qui est un beau prétexte de l’Antéchrist) est un grand malheur, est fausse, est contre les fondements de la Foi, la Justice, Vérité et Bonté de Dieu, son Immutabilité, et détruit la nécessité de la venue de Jésus Christ et celle de ses souffrances.

XIV. Dieu ne peut sauver les hommes s’ils n’ôtent eux-mêmes les obstacles qui sont en eux : pour à quoi les aider, il leur a envoyé de temps à autre des Prophètes, et enfin son Fils, qui s’est rendu compagnon de leurs misères, pour par son exemple les encourager à prendre la guérison et mourir à leur corruption.

XV. Penser être sauvés par les seuls mérites de J. Christ sans y coopérer, est faire J. Christ coopérateur au péché, renoncer à sa vérité et à son honneur. Et ainsi tous les prétextes allégués jusques ici pour se dispenser de son Imitation prouvent que l’Antéchrist possède les Esprits des hommes par des sentiments opposés à Christ, sous couleur de piété, d’humilité, d’honneur de Dieu, etc.

XVI. L’Esprit de l’Antéchrist domine en tous états, grands et petits. Ayant tâché d’empêcher la publication de la Doctrine Évangélique (si opposée à lui et si nécessaire à salut) et ne l’ayant pu, il en a empêché la vertu et les effets entre les Chrétiens de toute sorte de condition, de profession, d’emploi. Et les ayant remplis de ses maximes Diaboliques, opposées à Christ, les a tous rendus Antichrétiens.

XVII. Que l’Esprit de l’Antéchrist, opposé à la charité, à la paix, à l’uniformité de Christ, domine dans toute la Chrétienté et dans toutes ses Religions, sectes, partis, par haines, Schismes, disputes, discordes et confusions de sentiments humains opposés les uns aux autres.

XVIII. Que l’Antéchrist domine dans l’État Ecclésiastique par un esprit erroné de contention, d’avarice, d’orgueil, d’ambition, et de présomption.

XIX. Démonstration manifeste que tous les Chrétiens d’à présent sont des Antichrétiens ; n’ayant ni l’Esprit de Christ, ni aucune de ses qualités ; mais tout le contraire dans leurs cœurs, mouvements, et pratiques ; avec un orgueil Satanique de vouloir passer (à leur condamnation) pour des Chrétiens, ne voulant pas humblement et utilement confesser qu’ils sont des vrais Antichrétiens.

XX. L’Antéchrist Auteur des disputes, controverses, spéculations stériles sur les choses spirituelles, a par là détourné les Chrétiens de la seule chose nécessaire, qui est la Dépendance de Dieu, ou l’Imitation de Jésus Christ.

XXI. L’Antéchrist pousse à imiter Jésus Christ par le seul extérieur, comme par le Baptême, dont on abuse sans suivre la vie de Jésus Christ : souillant les hommes par là d’hypocrisie, de présomption d’être Chrétiens, et d’autres péchés, les occupant à pointiller sur les formalités de ce Sacrement et de celui de la Cène, pendant qu’ils s’égarent du but et de la fin. Et ce sont là les moyens par lesquels il a avancé son Règne jusques dans le Trône de Dieu.

 

 

FIN.

 

 

 

 



[1] Sap. 1, v. 13, 14.

[2] 1 Jean 3, v. 8.

[3] Jude v. 6.

[4] Éphés. 6, v. 12.

[5] Jean 8, v. 44.

[6] Apoc. 20, v. 10.

[7] 1 Jean 2, v. 22, et ch. 4, v. 3.

[8] 2 Thess. 2, v. 4.

[9] Gen. 3, v. 4, etc.

[10] 2 Tim. 3, v. 1.

[11] Matth. 7, v. 15, et ch. 24, v. 24, 25.

[12] 2 Tim. 3, v. 5. – Tit. 1, v. 16.

[13] Matth. 8, v. 12, etc., et ch. 21, v. 31.

[14] Jean 8, v. 37.

[15] Matth. 3, v. 9.

[16] 2 Thess. 2, v. 4. – Apoc. 13, v. 4 et 8.

[17] 1 Cor. 13, v. 4-8.

[18] 2 Cor. 4, v. 4.

[19] 2 Thess. 2, v. 3.

[20] Apoc. 12, v. 17, et ch. 13, v. 7.

[21] 2 Thess. 2, v. 4. – Apoc. 13, v. 4.

[22] Apoc. 12, v. 12.

[23] Matth. 24, v. 22 et 24.

[24] Matth. 4.

[25] Sap. 1, v. 13.

[26] Jacq. 1, v. 17.

[27] Apoc. 12, v. 4.

[28] Matth. 24, v. 29.

[29] Apoc. 1, v. 20.

[30] Jean 2, v. 18.

[31] Act. 8, v. 18-19.

[32] 2 Cor. 11, v. 3.

[33] 1 Cor. 1, v. 10-12.

[34] 1 Cor. 11, v. 21.

[35] 1 Cor. 6, v. 8.

[36] Matth. 10, v. 19. – I Cor. 1, v. 19, 20, etc.

[37] Psal. 119, v. 97-100. – 2 Tim. 3, v. 16, 17.

[38] Ps. 119, v. 130.

[39] Isa. 29, v. 10-14. 1 Cor. 2, v. 14.

[40] Jean 15, v. 5.

[41] Ps. 129, v. 1.

[42] Dan. 2, v. 45.

[43] Matth. 5, v. 3.

[44] Matth. 26, v. 23.

[45] Marc 1, v. 25.

[46] Jean 13, v. 8.

[47] Matth. 5, v. 13.

[48] Matth. 16, v. 18. 1 Tim. 3, v. 15.

[49] Matth. 13, v. 25, 30, 38.

[50] Ps. 53, v. 3, 4.

[51] Ps. 22, v. 7.

[52] 2 Tim. 3, v. 8.

[53] Jean 9, v. 41.

[54] 2 Cor. 11, v. 14, 15.

[55] 2 Thess. 2, v. 10-12.

[56] 2 Tim. 4, v. 4.

[57] 1 Rois 22, v. 22, 23. – Apoc. 16, v. 13, 14.

[58] 2 Pier. 2, v. 3, 18, 19.

[59] Rom. 2, v. 28, 29. – 1 Pier. 3, v. 22.

[60] Marc 16, v. 16.

[61] 1 Cor. 6, v. 10.

[62] Act. 5, v. 3.

[63] Matth. 15, v. 18.

[64] Matth. 5, v. 28.

[65] Marc 16, v. 16.

[66] Matth. 10, v. 32.

[67] Luc 12, v. 48.

[68] Jean 13, v. 15.

[69] Tite 1, v. 16.

[70] Apoc. 3, v. 20.

[71] 1 Cor. 11, v. 29.

[72] Jean 13, v. 27.

[73] Matth. 26, v. 70, etc.

[74] Matth. 26, v. 56.

[75] Matth. 26, v. 35.

[76] Matth. 23, v. 13.

[77] Luc 16, v. 1.

[78] Luc 16, v. 1 et 14.

[79] 1 Cor. 11, v. 24.

[80] Act. 4, v. 32.

[81] Act. 5, v. 5-10.

[82] 1 Cor. 13, v. 1-3.

[83] Jean 3, v. 16, 17.

[84] Matth. 24, v. 12.

[85] Prov. 23, v. 26.

[86] Matth. 12, v. 7.

[87] Jean 13, v. 35.

[88] Matth. 23, v. 23.

[89] 1 Pier. 3, v. 21.

[90] Jean 4, v. 24. – Éphés. 6, v. 17. – Col. 3, v. 16.

[91] Luc 18, v. 1. Coloss. 4, v. 2.

[92] Jean 5, v. 3.

[93] Col. 3, v. 16-17.

[94] Isa. 29, v. 13.

[95] Ps. 25, v. 1. Ps. 119, v. 145.

[96] Jér. 17, v. 11.

[97] Amos 5, v. 23.

[98] Ps. 78, v. 34.

[99] Ps. 130, v. 6.

[100] Isa. 59, v. 13. – Osée 7, v. 13 ; ch. 12, v. 1-2.

[101] Sap. 1, v. 11.

[102] Isa. 58, v. 3.

[103] Matth. 6, v. 7.

[104] Ps. 39, v. 7.

[105] Matth. 20, v. 22.

[106] Matth. 18, v. 3.

[107] Matth. 11, v. 25-26.

[108] Ps. 116, v. 11.

[109] Isa. 59, v. 14.

[110] Isa. 64, v. 6.

[111] 2 Tess. 2, v. 10. – Isa. 30, v. 9-11.

[112] Matth. 13, v. 3, etc.

[113] Ps. 110, v. 3.

[114] Matth. 5, v. 45.

[115] Jean 1, v. 9 ; ch. 3, v. 19.

[116] 2 Thess. 2, v. 10-12

[117] Jean 4, v. 24.

[118] Act. 17, v. 25.

[119] Prov. 23, v. 26.

[120] 1 Cor. 16, v. 22.

[121] Jean 21, v. 17.

[122] 1 Jean 4, v. 20-21.

[123] 1 Cor. 13, v. 1-3  ; ch. 16, v. 22.

[124] Luc 14, v. 33.

[125] Matth. 22, v. 37.

[126] Act. 5, v. 5-10.

[127] Jean 4, v. 20.

[128] Rom. 8, v. 9. – 1 Jean 2, v. 4-6.

[129] Hébr. 13, v. 8.

[130] Matth. 19, v. 17.

[131] Jacq. 1, v. 17.

[132] 1 Pier. 1, v. 25.

[133] Rom. 13, v. 10.

[134] 1 Cor. 13, v. 4-7.

[135] 1 Cor. 13, v. 1-3.

[136] Matth. 5, v. 1, etc. – Act., ch. 2, 3, 11, 14, 17, etc.

[137] Act. 2, v. 46.

[138] Act. 2, v. 45-46.

[139] Luc 22, v. 39.

[140] Matth. 26, v. 39.

[141] Matth. 27, v. 29.

[142] 1 Cor. 2, v. 4.

[143] 2 Tim. 3, v. 7.

[144] Isa. 30, v. 10.

[145] Jér. 23, v. 16-17. – 2 Tim. 3, v. 3-4.

[146] Matth. 11, v. 29.

[147] Jean 13, v. 4-15.

[148] Matth. 20, v. 28.

[149] Job 7, v. 1. – Éphés. 6, v. 11-12.

[150] Job 10, v. 14. – Ps. 119, v. 75. – Prov. 11, v. 31.

[151] Jér. 5, v. 3.

[152] Matth. 22, v. 38-40.

[153] Ps. 106, v. 19-20.

[154] Jean 3, v. 19.

[155] Matth. 23, v. 13, etc.

[156] Apoc. 18, v. 21.

[157] Isa. 40, v. 1-2. Rom. 11, v. 25-26.

[158] Apoc. 3, v. 15-17.

[159] Apoc. 18, v. 11-13.

[160] 1. Pier. 5, v. 8.

[161] 1 Thess. 5, v. 3.

[162] 2 Thess. 2, v. 9. 2 Tim. 3, v. 5.

[163] 1 Cor. 2, v. 14.

[164] Gen. 6, v. 5.

[165] Éphés. 5, v. 9.

[166] Deut. 30, v. 19. Sirach, 15, v. 16-17. 4 Esdr. 9, v. 11-12.

[167] Sap. 1, v. 14.

[168] Gen. 1, v. 26.

[169] Act. 17, v. 28.

[170] Phil. 2, v. 13.

[171] Matth. 15, v. 18.

[172] Isa. 5, v. 1, 2, 4.

[173] Matth. 12, v. 35.

[174] Ps. 8, v. 7.

[175] Rom. 8, v. 20.

[176] Mich. 7, v. 1-6.

[177] Ps. 12, v. 3.

[178] Osée 7, v. 13 ; ch. 12, v. 1.

[179] Apoc. 16, v. 13-14.

[180] Isa. 5, v. 20.

[181] Sam. 17.

[182] Éphés. 2, v. 2, et ch. 6, v. 12.

[183] Ps. 149, v. 6, etc.

[184] Hébr. 4, v. 12.

[185] Dan. 2, v. 35.

[186] Luc 2, v. 14.

[187] Apoc. 20, v. 3.

[188] Apoc. 21, v. 3-4.

[189] Matth. 6, v. 19.

[190] Gen. 3, v. 1, etc.

[191] Gen. 1, v. 31.

[192] Rom. 8, v. 20.

[193] Ps. 119, v. 75. – Isa. 40, v. 2.

[194] Gen. 4, v. 8.

[195] Jean 3, v. 12.

[196] Gen. 6, v. 12.

[197] Gen. 2, v. 17.

[198] Gen. 2, v. 18.

[199] Gen. 3, v. 15.

[200] Hébr. 2, v. 14-17.

[201] 1 Cor. 15, v. 45-47.

[202] Isa. 53, v. 4.

[203] Matth. 20, v. 23.

[204] Luc 1, v. 35.

[205] 2 Pier. 2, v. 21-24.

[206] Matth. 8, v. 20.

[207] Matth. 11, v. 29.

[208] Matth. 16, v. 24.

[209] Luc 1, v. 35. – Hébr. 9, v. 14.

[210] Jean 3, v. 16.

[211] Jean 7, v. 38-39.

[212] Jean 1, v. 14.

[213] Jean 1, v. 11.

[214] Jean 14, v. 9.

[215] Act. 3, v. 17.

[216] Jean 19, v. 7.

[217] Matth. 5, v. 17.

[218] Ps. 119, v. 144.

[219] Matth. 22, v. 40.

[220] Gen. 10, v. 17, etc.

[221] Matth. 16, v. 24.

[222] Matth. 5, v. 38, etc.

[223] Nombr. 18, v. 21.

[224] Luc 14, v. 26-33.

[225] Exod. 20, v. 19.

[226] Marc 8, v. 34-35.

[227] Rom. 8, v. 3-4. – Phil. 3, v. 8-9.

[228] Luc 13, v. 3 et 5.

[229] Hébr. 6, v. 6 et 8.

[230] Jean 5, v. 13.

[231] Matth. 5, v. 41.

[232] Matth. 24, v. 15. – 2  Thess. 2, v. 4.

[233] 2 Cor. 11, v. 14.

[234] 2 Tim. 3, v. 1.

[235] Matth. 24, v. 24.

[236] Matth. 24, v. 22.

[237] 2 Thess. 2, v. 3.

[238] Dan. 7, v. 1.

[239] Gen. 37, v. 5-9.

[240] Matth. 2, v. 19.

[241] Deut. 32. Job. Ps. Prov. Eccl. Cantiq. Lam. de Jérém.

[242] Gal. 2, v. 20.

[243] Phil. 3, v. 20.

[244] Jér. 30, v. 24. – Dan. 12, v. 4, 8, 9.

[245] Joël 2, v. 28.

[246] Luc 23, v. 5. – Jean 19, v. 7.

[247] Jean 16, v. 13.

[248] Ps. 58, v. 4.

[249] Apoc. 13, v. 1.

[250] Dan. 12, v. 8-9.

[251] Ps. 34, v. 15.

[252] Job 28, v. 28.

[253] Isa. 26, v. 20.

[254] Matth. 6, v. 24.

[255] Prov. 23, v. 26.

[256] Luc 10, v. 16.

[257] Matth. 28, v. 20.

[258] Jean 6, v. 38.

[259] Luc 13, v. 3.

[260] Gen. 3, v. 24.

[261] Apoc. 21, v. 7.

[262] Ps. 89, v. 15.

[263] Jean 17, v. 25.

[264] Jean 1, v. 9, et ch. 14, v. 6.

[265] Ps. 143, v. 10.

[266] Jean. 1, v. 18.

[267] Ps. 33, v. 5.

[268] Deut. 32, v. 4.

[269] Jean. 1, v. 13, et ch. 3, v. 6.

[270] Exod. 10, v. 21, 23.

[271] Apoc. 9, v. 8.

[272] Ézéch. 33, v. 14-16.

[273] Ps. 53, v. 5.

[274] Ézéch. 33, v. 12.

[275] Sirac. 5, v. 5, 6, 8.

[276] Ps. 139, v. 6.

[277] Matth. 3, v. 15.

[278] 2 Thess. 2, v. 3, etc.

[279] Jean 8, v. 44.

[280] 1 Cor. 2, v. 11. 14.

[281] Matth. 24, v. 2.

[282] Éphés. 4, v. 2-6.

[283] 1 Jean. 2, v. 6.

[284] Ps. 14, v. 2-3.

[285] Jacq. 2, v. 26.

[286] 2 Pier. 2, v. 21.

[287] Luc 12, v. 48.

[288] Apoc. 18, v. 5.

[289] Ps. 8, v. 3. – Matth. 21, v. 16.

[290] Matth. 11, v. 29.

[291] 2 Cor. 12, v. 11.

[292] 2 Cor. 11, v. 14.

[293] Jean. 6, v. 38.

[294] Ps. 22, v. 7.

[295] Jean 4, v. 21-23.

[296] Act. 7, v. 48.

[297] Isa. 1, v. 11-14.

[298] Jean 16, v. 13.

[299] 1 Pier. 2, v. 9.

[300] Rom. 12, v. 1.

[301] Prov. 8, v. 31.

[302] 2 Cor. 3, v. 6.

[303] 2 Tim. 4, v. 3.

[304] Gal. 3, v. 1. – Coloss. 3, v. 20-23.

[305] Isa. 6, v. 9.

[306] Matt.7, v. 22-23.

[307] Matth. 7, v. 24-27, et ch. 28, v. 20.

[308] 1 Pier. 2, v. 21. – Jean 12, v. 46 ; ch. 13, v. 15.

[309] Jean 16, v. 26-27.

[310] Phil. 2, v. 8.

[311] Jean 14, v. 12.

[312] Matth. 19, v. 27.

[313] Act. 20, v. 34-35.

[314] 1 Thess. 2.

[315] Rom. 9, v. 3.

[316] 2 Cor. 11, v 23, etc.

[317] Luc 11, v. 13.

[318] Phil. 2, v. 13.

[319] Phil. 4, v. 13.

[320] 1 Cor. 11, v. 1.

[321] 1 Jean 5, v. 3.

[322] Matth. 11, v. 30.

[323] Ps. 19, v. 11, et Ps. 119, v. 103, 143.

[324] Matth. 11, v. 30.

[325] Ps. 119, v. 143.

[326] Phil. 3, v. 8.

[327] Isa. 5, v. 20.

[328] 1 Tim. 6, v. 9.

[329] Luc 14, v. 33.

[330] Mal. 1, v. 13.

[331] Act. 7, v. 55.

[332] Esth. 3, v. 6 ; ch. 7, v. 9-10.

[333] Matth. 11, v. 29.

[334] Jacq. 4, v. 4.

[335] Matth. 9, v. 12.

[336] Rom. 8, v. 7.

[337] Exod. 34, v. 7.

[338] Ps. 89, v. 15.

[339] Exod. 34, v. 6-7.

[340] Éphés. 5, v. 9.

[341] Deut. 32, v. 4.

[342] Gen. 2, v. 17.

[343] Eccl. 3, v. 17. – Jacq. 1, v. 17.

[344] Rom. 8, v. 1-5.

[345] Luc 4, v. 18.

[346] Jean 10, v. 18. – Phil. 2, v. 8.

[347] Ps. 16, v. 2.

[348] Sirac. 15, v. 17.

[349] 1 Pier. 2, v. 21.

[350] Rom. 2, v. 8.

[351] Col. 2, v. 9.

[352] Jér. 23, v. 23-24.

[353] Sap. 1, v. 4.

[354] Jean 10, v. 34-35.

[355] 1 Tim. 2, v. 5.

[356] Jean 10, v. 38 ; ch. 14, v. 10-11.

[357] Jean 1, v. 1, etc.

[358] 2 Cor. 5, v. 19.

[359] Gen. 3, v. 8.

[360] Jean 10, v. 25.

[361] Jean, 15.

[362] 1 Cor. 9, v. 17. – Hébr. 12, v. 8.

[363] Hébr. 5, v. 9.

[364] Jean 1, v. 14.

[365] 2 Cor. 5, v. 19.

[366] Jean 7, v. 7.

[367] Isa. 53, v. 4.

[368] 1 Pier. 2, v. 22.

[369] Phil. 2, v. 7.

[370] Hébr. 5, v. 9.

[371] Philip. 3, v. 10. – Hébr. 5, v. 9.

[372] Matth. 16, v. 24. – Rom. 8, v. 4 et 17.

[373] Là-même.

[374] Prov. 8, v. 17.

[375] 4 Esdr. 8, v. 56.

[376] Rom. 11, v. 29.

[377] 2 Cor. 5, v. 15.

[378] Ps. 145, v. 9.

[379] Matth. 28, v. 19.

[380] Luc 13, v. 3.

[381] Jean 14, v. 6.

[382] Jean 17, v. 25.

[383] Rom. 5, v. 5.

[384] Jean 12, v. 46.

[385] Rom. 8, v. 3-4. – Philip. 3, v. 10.

[386] Jean 3, v. 16-18.

[387] Luc 14, v. 33.

[388] Matth. 11, v. 29.

[389] Luc 14, v. 10.

[390] Matth. 20, v. 28.

[391] Matth. 16, v. 24.

[392] Col. 3, v. 1-2.

[393] Matth. 4, v. 17.

[394] Matt. 7, v. 13.

[395] Gal. 2, v. 20.

[396] Jean 13, v. 15-17 ; ch. 14, v. 21.

[397] Phil. 3, v. 10.

[398] Jean 14, v. 12.

[399] 1 Pier. 2, v. 21.

[400] Luc 23, v. 41. – Rom. 8, v. 3-4.

[401] Isa. 40, v, 2. – Rom. 8, v. 4. – Gal. 6, v. 5.

[402] Luc 14, v. 33.

[403] Jean 12, v. 26.

[404] Jean 13, v. 15.

[405] Matth. 27, v. 29.

[406] Luc 18, v. 10, etc.

[407] Apoc. 2, v. 23.

[408] Matth. 23, v. 5.

[409] Isa. 40, v. 2.

[410] Matth. 24, v. 25.

[411] 2 Thess. 2, v. 4.

[412] 1 Cor. 6, v. 15.

[413] Ps. 44, v. 15.

[414] Gal. 2, v. 20.

[415] 2 Pier. 3, v. 3.

[416] 2 Cor. 5, v. 14-15.

[417] Gal. 5, v. 24.

[418] Col. 3, v. 1-2.

[419] Matth. 6, v. 19.

[420] Matth. 6, v. 10.

[421] Matth. 3, v. 7.

[422] Jean 6, v. 38.

[423] Matth. 26, v. 39.

[424] Matth. 7, v. 21.

[425] Gal. 5, v. 24.

[426] Jean 3, v. 6.

[427] Eccl., 1, v. 8.

[428] Gal. 6, v. 14.

[429] Rom. 8, v. 9.

[430] Matth. 24, v. 14. – 2 Thess. 2, v. 4.

[431] 2 Tim. 4, v. 3.

[432] Ps. 109, v. 23-24.

[433] Ps. 6, v. 7.

[434] Ps. 119, v. 71.

[435] Matth. 1, v. 35.

[436] Jean 4, v, 24.

[437] 1 Cor. 6, v. 20.

[438] Ps. 73, v. 8.

[439] Ps. 81, v. 13. – Isa. 66, v. 4.

[440] Isa. 1, v. 19.

[441] Gen. 5, v. 18-23.

[442] Isa. 58, v. 13.

[443] Éphés. 3, v. 2.

[444] Jean 10, v. 36. – 2 Cor. 5, v. 19.

[445] Ézéch. 33, v. 12.

[446] Matth. 15, v. 16.

[447] 1 Jean 4, v. 14.

[448] Ps. 110, v. 3.

[449] Rom. 8, v. 4.

[450] Hébr. 9, v. 14.

[451] 2 Macch. 7, v. 18.

[452] 1 Jean 1, v.  8.

[453] Rom. 5, v. 6-10.

[454] Luc 23, v. 34.

[455] Jean 1, v. 18.

[456] 1 Tim. 1, v. 17.

[457] Jean 7, v. 36-38.

[458] 2 Pier. 3, v. 3.

[459] Jean 6, v. 40, etc.

[460] Jean 5, v. 22.

[461] Prov. 8, v. 31.

[462] Gen. 1, v. 26 ; ch. 2, v. 7. – Act. 17, v. 28.

[463] Deut. 32, v. 4.

[464] Apoc. 21, v. 3.

[465] Jean. 17, v. 26.

[466] Matt. 8, v. 29.

[467] Luc 1, v. 73.

[468] Apoc. 19, v. 7.

[469] 2 Pier. 1, v. 4.

[470] Jean 17, v. 23-24.

[471] Ps. 99, v. 7.

[472] Apoc. 1, v. 8 et 11.

[473] Gal. 2, v. 20.

[474] Luc 4, v. 18.

[475] 2 Cor. 5, v. 19.

[476] Prov. 2, v. 2-3. – Jean 1, v. 1. –  1 Jean 4, v. 8.

[477] Jean 1, v. 14.

[478] Hébr. 10, v. 29.

[479] Matth. 12, v. 31.

[480] Act. 10, v. 4, etc.

[481] Luc. 13, v. 3.

[482] Jean 3, v. 16.

[483] 1 Tim. 2, v. 4.

[484] Act. 10, v. 34.

[485] Matth. 9, v. 13.

[486] Éphés. 5, v. 29.

[487] Matth. 8, v. 12.

[488] Luc 13, v. 3.

[489] Jacq. 2, v. 14.

[490] 1 Cor. 13, v. 1-3.

[491] Rom. 5, v. 22.

[492] Jean 5, v. 40. – Apoc. 22, v. 17.

[493] Hébr. 5, v. 9 ; conf. Ps. 110, v. 3.

[494] Isa. 45, v. 21.

[495] Isa. 58, v. 13.

[496] Gen. 6, v. 5.

[497] 2 Cor. 3, v. 5.

[498] Phil. 2, v. 13.

[499] Isa. 58, v. 13.

[500] Jean 6, v. 27 et 63.

[501] Jean 1, v. 9.

[502] 1 Cor. 2, v. 14.

[503] Jean 13, v. 35.

[504] 2 Thess. 2, v. 4.

[505] Jacq. 3, v. 14-16.

[506] Jacq. 3, v. 14-16.

[507] Hébr. 11, v. 6.

[508] Ps. 89, v. 15.

[509] Jean 17, v. 25.

[510] Ps. 143, v. 10.

[511] Jean 14, v. 6.

[512] Ps. 5, v. 5. – Ézéch. 33, v. 11. – Sap. 1, v. 13-14.

[513] Ps. 33, v. 4-5.

[514] Eccles. 3, v. 14.

[515] Rom. 8, v. 21.

[516] 2 Tim. 3, v. 5.

[517] Mal. 2, v. 3.

[518] Mal. 2, v. 2.

[519] Matth. 5, v. 48.

[520] Jean 13, v. 4, etc.

[521] 1 Cor. 12, v. 4-6.

[522] Jean. 8, v. 28. – 2 Cor. 5, v. 19. – Hébr. 5, v. 14.

[523] Hébr. 1, v. 2.

[524] Jean 8, v. 28-29.

[525] Deut. 33, v. 6.

[526] Jean 9, v. 31.

[527] 1 Cor. 12, v. 12-27.

[528] Jean 17, v. 22.

[529] Hébr. 12, v. 22-23.

[530] 1 Cor. 2, v. 14.

[531] Rom. 14, v. 11, et Isa. 45, v. 23-25.

[532] 1 Tim. 2, v. 5.

[533] Act. 4, v. 12.

[534] Luc 13, v. 3.

[535] Act. 17, v. 25.

[536] Matth. 25, v. 34.

[537] Act. 10, v. 34.

[538] Éphés. 2, v. 8.

[539] Isa. 1, v. 16-18. – 2 Cor. 6, v. 17.

[540] 1 Cor. 15, v. 34.

[541] Dan. 4, v. 24. – Act. 10, v. 4.

[542] Matth. 24, v. 15.

[543] 2 Thess. 2, v. 4.

[544] 1 Cor. 9, v. 27.

[545] 1 Tim. 1, v. 9.

[546] Luc 4, v. 18-19.

[547] Matth. 20, v. 23. – 1 Pier. 2, v. 21.

[548] Jean 14, v. 31.

[549] Jean 10, v. 11.

[550] Jean 14, v. 6.

[551] Jean 16, v. 13-25. – 1 Cor. 2, v. 10-12. – 1 Jean 5, v. 20.

[552] Matth. 10, v. 26.

[553] Rom. 2, v. 5-6.

[554] Matth. 20, v. 23. – Coloss. 1, v. 24. – 1 Pier. 2, v. 21-24.

[555] 1 Jean 4, v. 14.

[556] Gen. 3, v. 5.

[557] Rom. 8, v. 9.

[558] Jean. 14, v. 6.

[559] 2 Cor. 5, v. 19.

[560] Ps. 82, v. 6.

[561] Jean 10, v. 35-36.

[562] Jean 15, v. 5.

[563] Phil. 3, v. 10. – Col. 1, v. 24.

[564] 1 Pier. 5, v. 5.

[565] Luc 18, v. 11, etc.

[566] Jean 10, v. 9.

[567] Isa. 27, v. 9, et ch. 40, v. 2. – Ézéch. 16, v. 59-60.

[568] Rom. 8, v. 4.

[569] Matth. 3, v. 15.

[570] Matth. 9. v. 13.

[571] Isa. 53, v. 6.

[572] Jean 3, v. 19-20.

[573] Matth. 20, v. 23. – Hébr. 12, v. 3-10.

[574] Jean, 17, v. 8.

[575] Hébr. 10, v. 20. – 1 Pier. 2, v. 21.

[576] 1 Jean 3, v. 16.

[577] Matth. 26, v. 39.

[578] Jean 6, v. 38.

[579] Luc 14, v. 10.

[580] Luc 14, v. 26-33. – Matth. 5, v. 3, etc.

[581] Matth. 5, v. 44.

[582] Matth. 20, v. 28. – Phil. 2, v. 6.

[583] Phil. 2, v. 4-5.

[584] Gal. 2, v. 20, et ch. 5, v. 14.

[585] Jean 3, v. 15 ; ch. 14, v. 23.

[586] Phil. 3, v. 10.

[587] Hébr. 5, v. 9.

[588] Jean 17, v. 20.

[589] Rom. 8, v. 9.

[590] Matth. 6, v. 19-20.

[591] Jean 6, v. 27.

[592] Luc. 14, v. 26-33.

[593] Jean 7, v. 29.

[594] Jean, ibid.

[595] Jean 20, v. 22.

[596] Marc 13, v. 37.

[597] Luc 23, v. 34.

[598] Hébr. 10, v. 29.

[599] Matth. 12, v. 32.

[600] Hébr. 6, v. 6.

[601] Jean 5, v. 20.

[602] 1 Thess. 5, v. 3.

[603] Isa. 29, v. 10. – 2 Thess. 2, v. 11.

[604] Matth. 7, v. 13.

[605] Job. 14, v. 4.

[606] Deut. 30, v. 19.

[607] Matth. 15, v. 18.

[608] Ps. 14, v. 3. – Luc 18, v. 8.

[609] 1 Jean 5, v. 20.

[610] 1 Cor. 13, v. 9.

[611] Hébr. 2, v. 14.

[612] Voyez ceci divinement bien expliqué dans la seconde Partie de la solide vertu, lettre VI.

[613] Ps. 115, v. 3. – Luc 1, v. 37.

[614] Ps. 119, v. 67-71.

[615] Matth. 19, v. 23-24.

[616] Job. 35, v. 6-8.

[617] Jean 12, v. 26. – Hébr. 5, v. 9.

[618] 2 Tim. 2, v. 21.

[619] Matth. 8, v. 11.

[620] Matth. 7, v. 21.

[621] Gen. 2, v. 17, et ch. 3, v. 5.

[622] Jean 1, v. 14.

[623] 1 Cor. 15, v. 46.

[624] Jean 7, v. 39.

[625] Ps. 1, v. 7.

[626] 2 Cor. 4, v. 4-6.

[627] Jean 3, v. 36.

[628] Ibid. v. 19.

[629] Act. 4, v. 12.

[630] Ps. 103, v. 17-18.

[631] Job 33, v. 29.

[632] Matth. 7, v. 24-27.

[633] Hébr. 1, v. 1. – 1 Jean 2, v. 18.

[634] Isa. 5, v. 4.

[635] Marc 13, v. 19.

[636] Jean 15, v. 22.

[637] Matth. 5, v. 17-18.

[638] Ps. 119, v. 142.

[639] Deut. 30, v. 17-18.

[640] Ps. 119, v. 4.

[641] Et v. 115.

[642] Tite 2, v. 11-12.

[643] Jean 3, v. 36.

[644] Act. 17, v. 25.

[645] Jean 9, v. 31.

[646] Marc 9, v. 23.

[647] Jean 14, v. 6.

[648] Matth. 23, v. 37.

[649] Act. 3, v. 26.

[650] Isa. 1, v. 16-17.

[651] Hébr. 1, v. 1.

[652] 1 Rois 19, v. 14-18.

[653] Jean 6, v. 53.

[654] Matth. 20, v. 23.

[655] Isa. 53, v. 4. – 1 Pier. 2, v. 21-24.

[656] Phil. 2, v. 7.

[657] Apoc. 1, v. 5.

[658] Gen. 3, v. 15.

[659] Rom. 8, v. 3.

[660] Gen. 3, v. 23.

[661] Isa. 16, v. 19.

[662] 1 Jean 3, v. 8.

[663] 1 Cor. 9, v. 27.

[664] Job 7, v. 1.

[665] Matth. 11, v. 12.

[666] Jean 14, v. 6.

[667] Jean 13, v. 12-17, et ch. 15, v. 22.

[668] 1 Pier. 2, v. 25.

[669] Jean 13, v. 15.

[670] Matth. 16, v. 24.

[671] Luc 14, v. 26-33.

[672] 2 Pier. 3, v. 2.

[673] Jacq. 4, v. 1.

[674] Matth. 5, v. 44.

[675] Luc 23, v. 31.

[676] Éphés. 2, v. 2.

[677] Matth. 2.

[678] Matth. 26, v. 24.

[679] Jean 12, v. 36.

[680] Rom. 7, v. 7.

[681] Rom. 8, v. 13.

[682] Jean 3, v. 6.

[683] Matth. 11, v. 21.

[684] Matth. 5, v. 10.

[685] Matth. 5, v. 48.

[686] Act. 17, v. 26.

[687] Matth. 6, v. 19-20.

[688] Gen. 3, v. 19.

[689] Matth. 8, v. 11-12.

[690] Jean 12, v. 26.

[691] Col. 3, v. 14.

[692] Jean 13, v. 34-35.

[693] Matth. 19, v. 27.

[694] Act. 2, v. 44-45, et 4, v. 34-35.

[695] Jacq. 3, v. 14-16.

[696] Matth. 12, v. 19. –  Jacq. 3, v. 17.

[697] Jean 6, v. 67.

[698] Jean 14, v. 27.

[699] Jean 20, v. 19.

[700] Gal. 5, v. 22.

[701] 1 Cor. 2, v. 11-12.

[702] Cantic. 6, v. 8.

[703] Jean 1, v. 9.

[704] Matth. 5, v. 3.

[705] Matth. 11, v. 29.

[706] Luc 14, v. 10.

[707] Matth. 7, v. 13.

[708] Matth. 5, v. 13.

[709] Matth. 11, v. 29.

[710] 1 Tim. 1, v. 17.

[711] 1 Pier. 5, v. 5.

[712] 2 Tim. 4, v. 3.

[713] Tit. 1, v. 16.

[714] Jean 3, v. 16.

[715] Matth. 5, v. 3.

[716] Jacq. 4, v. 5.

[717] Matth. 11, v. 12.

[718] Jean 6, v. 38.

[719] Matth. 16, v. 14.

[720] Rom. 8, v. 17.

[721] Matth. 20, v. 22.

[722] Rom. 7, v. 23.

[723] Col. 3, v. 1.

[724] Jean 18, v. 36.

[725] Jean 17, v. 9.

[726] Jér. 17, v. 10.

[727] Rom. 8, v. 9.

[728] Ibid.

[729] Rom. 2, v. 6.

[730] Rom. 8, v. 9.

[731] Éphés. 4, v. 4-6.

[732] Jean 14, v. 6.

[733] 1 Pier. 1, v. 25.

[734] Luc 10, v. 42.

[735] 1 Cor. 2, v. 14.

[736] Ps. 73, v. 25-26.

[737] 1 Cor. 8, v. 1.

[738] 1 Cor. 3, v. 19.

[739] Jean 5, v. 44.

[740] Gal. 1, v. 10.

[741] Tit. 1, v. 16.

[742] 2 Thess. 2, v. 4.

[743] Jacq. 3, v. 14-16.

[744] Gal. 5, v. 22.

[745] Rom. 12, v. 10.

[746] Luc 10, v. 42.

[747] Jean 13, v. 34.

[748] 1 Cor. 2, v. 2.

[749] Jean 6, v. 38.

[750] Jean 13, v. 15.

[751] Ps. 73, v. 23-24.

[752] Jean 1, v. 18.

[753] Matth. 18, v. 19.

[754] Job 36, v. 26. – Prov. 30, v. 4.

[755] Jean 17, v. 3 et 8.

[756] 1 Cor. 2, v. 2.

[757] Matth. 10. v. 32-33.

[758] Job 7, v. 1. – Éphés. 6, v. 12.

[759] Matth. 22, v. 13.

[760] Luc 12, v. 48.

[761] Jean 3, v. 19.

[762] Jean 4, v. 24.

[763] Rom. 2, v. 29. – 1 Pier. 3, v. 21.

[764] Matth. 13, v. 24-30.

[765] Col. 3, v. 2.

[766] 2 Cor. 3, v. 6.

[767] Rom. 6, v. 3-5.

[768] Prov. 23, v. 26.

[769] Apoc. 22, v. 17.

[770] Jean 3, v. 5.

[771] 1 Cor. 10, v. 16-17.

[772] Rom. 8, v. 35, etc.

[773] 1 Cor. 11, v. 24-25.

[774] Act. 2, v. 42-46 ; ch. 4, v. 34-35.

[775] 1 Cor. 11, v. 24-25.

[776] Jean 6, v. 56-57.

[777] Jean 17, v. 21.

 

 

 

 

 

 

 

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