LES

 

RÉVÉLATIONS

 

CÉLESTES ET DIVINES

 

DE

 

SAINTE BRIGITTE

 

DE SUÈDE

 

COMMUNÉMENT APPELÉE

 

LA CHÈRE ÉPOUSE

 

DANS LESQUELLES TOUTES SORTES DE PERSONNES, DE QUELQUE QUALITÉ ET CONDITION QU’ELLES SOIENT, PEUVENT GRANDEMENT SE PERFECTIONNER, ADMIRER ET PRATIQUER DE GRANDES ET HÉROÏQUES ACTIONS DE VERTUS, SELON LEURS VOCATIONS, VACATIONS ET ÉTATS

 

Traduites par Me JACQUES FERRAIGE

 

DOCTEUR EN THÉOLOGIE

 

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TOME PREMIER

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LIBRAIRIE CATHOLIQUE DE PÉRISSE FRÈRES

 

 

1859

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À MADAME

 

LA DUCHESSE DE VENDÔME.

 

 

      MADAME,

 

LES œuvres de sainte Brigitte manifestent si clairement et si hautement la grandeur de Dieu, la profondeur de ses conseils éternels, et le soin incomparable que l’œil de sa providence infinie a sur nous, qu’on leur doit à juste titre le nom d’excellentes et divines. La doctrine qu’elles contiennent est si éminente, les pensées y sont si élevées, les avertissements si salutaires et les instructions si excellentes, qu’un Concile les a approuvées, que les plus savants et les plus parfaits y ont de quoi admirer, les moindres à beaucoup apprendre, et tous ensemble plus à suivre et à imiter.

Ces considérations m’ont poussé à les traduire, et les grandes obligations que la R. Mère du Val de Grâce, ses Filles et moi, avons à la mémoire de Madame la Duchesse de Mercœur, et à Votre Grandeur, Madame, ne me permettent pas de les dédier à autre qu’à vous deux. Mais puisque Madame de Mercœur, qui, pour le bien public, semblait devoir toujours vivre, a été transférée, par la main divine, de cette vie mourante à la vie éternelle, d’entre les bras de son unique et très chère fille, des Filles de la Passion et de tous les Ordres religieux, entre les bras de J. C., Fils unique du Père éternel et de la Vierge, en la compagnie des bienheureux ; et puisque la course de ses jours a prévenu celle de ma plume, je les dédie maintenant à sa mémoire éternelle et à Votre Grandeur ; à sa gloire et aux grâces dont Dieu vous a enrichie ; à ses lauriers et à vos combats ; à ses couronnes et à vos victoires ; à la vision et possession divine dont elle jouit, et aux désirs et soupirs continuels par lesquels vous y tendez en l’imitant, voire, par un amour transcendant, tâchez de la surpasser en charité, en piété, en justice et en humilité.

En vérité, MADAME, vous faites voir au ciel et à la terre, aux anges et aux hommes, que l’éclat le plus éminent et le plus digne d’une Princesse est de se rendre autant Mère des religieuses, épouses du Verbe incarné, qu’elle surpasse les autres en rang dans le monde ; autant charitable envers les nécessiteux, qu’elle est riche des biens du ciel et de la terre ; autant juste envers tous, qu’elle a de pouvoir sur ses sujets ; autant humble, que sa qualité la relève par-dessus les plus excellents ; autant généreuse à suivre Jésus-Christ, que les anges qu’on appelle Principautés (commis à la garde des princes), ont de prérogatives par-dessus les autres anges inférieurs : c’est ce qui fait, MADAME, que Votre Grandeur, unie à l’humilité de Jésus-Christ, qui était autant honoré dans le ciel que moqué sur le gibet, suit fidèlement Jésus en ses humiliations, et Jésus, d’une main adorable et favorable, vous élève à sa grandeur, et il marie et allie en vous, d’une union admirable, sa puissance à son humilité, sa justice à sa miséricorde, sa pitié à sa piété. Et vous, MADAME, suivant les douces atteintes et mouvements de son amour, vous commencez vos œuvres, paroles et pensées en lui, les continuez en lui et les finissez en lui, terme et principe de vos actions. Vous cherchez Dieu par celui qui est la vie, la vérité et la voie ; vous trouvez celui que vous cherchez, tenez celui que vous avez trouvé, et ne le laissez aller qu’il n’ait rempli votre cœur des torrents amoureux de ses vives et vivifiantes bénédictions.

C’étaient jadis, MADAME, les mêmes pensées, désirs et occupations de sainte Brigitte ; c’est le sujet que traitent ses œuvres vraiment divines ; c’est l’objet et le but où elles tendent. Madame de Mercœur vivait, et vous vivez comme cette sainte a écrit et vécu : aussi sont-elles arrivées à un même port et jouissent des mêmes félicités, auxquelles vous tendez si courageusement par les mêmes voies.

Il était donc plus que raisonnable de dédier cette traduction à sa mémoire immortelle et à la grandeur de vos vertus signalées qui ne s’éclipseront jamais, pour garder l’accord admirable de la vie de cette sainte à vos vies, de ses écrits à vos œuvres, et enfin reconnaître ici quelques parties de nos grandes obligations, que nous ne saurions reconnaître autrement, non certes faute de bonne volonté, mais de capacité, vu que notre petitesse n’a point de proportion à la grandeur de vos faveurs, ni tout notre savoir ni pouvoir d’abord à vos mérites : de sorte qu’il ne nous reste que ces divines œuvres, que nous vous présentons très-humblement, avec un désir qui va jusqu’à l’infini, de prier Dieu, par l’intercession de cette sainte, qu’il soit la récompense infinie de vos charités, la couronne de tant de mérites, le repos de tant de peines que vous embrassez pour ses épouses, et que nous vous puissions témoigner la juste reconnaissance que nous avons de tant d’obligations, les reconnaître devant Dieu, et avoir l’honneur d’être vraiment,

 

 

MADAME,                        

 

 

Votre très-humble et très-

obéissant serviteur,      

 

 

FERRAIGE. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

AUX

 

LECTEURS DÉBONNAIRES.

 

 

      MESSIEURS,

 

J’AI trouvé une lettre, au commencement du Livre VIII des Révélations célestes, qui peut et doit servir de Prologue, non seulement au susdit Livre, mais encore à toutes les œuvres de sainte Brigitte, pour en faciliter l’intelligence : c’est pour quoi je l’ai jugée digne d’être mise au commencement même de ses œuvres, de peur que, s’il se rencontrait quelques personnes n’ayant pas le maniement de la théologie, elles ne s’étonnassent d’abord de ce qui est écrit.

Je ne ferai point autre recommandation de ce livre que celle que l’Église en fait. Les souverains Pontifes, les docteurs, et le Concile de Constance l’ont approuvé, ainsi que les papes Urbain VI, Martin V et Boniface IX ; un Louis Blosius, Antoine de Cordoue, Michel Médina, et un nombre d’autres, dont je vous citerai les éloges.

Si vous me demandez en quelle langue ces Révélations ont été écrites par sainte Brigitte, je vous dirai que c’est en langue vulgaire ; puis son confesseur les mit en latin, comme vous le verrez dans ses œuvres, depuis traduites en diverses langues, voire abrégées, et enfin corrigées, vues, revues et illustrées de belles annotations et diverses leçons par Cons. Durand, prêtre et professeur en la sainte Théologie.

 

 

 

 

 

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APPROBATIONS

 

Et éloges sur les œuvres de sainte Brigitte.

 

 

LA première est tirée de la Bulle de la Canonisation de sainte Brigitte, par Boniface IX : Cette généreuse veuve a mérité à plusieurs, par la grâce du saint Esprit, de belles et saintes pensées, des affections intimes, et de déclarer des faits très occultes et secrets, avoir des visions et révélations diverses, de voir et ouïr, et de dire plusieurs choses d’un esprit prophétique, plusieurs desquelles ont été accomplies, comme nous le voyons décrit en ce volume des Révélations.

Martin V, Pape, en la confirmation de ladite Bulle, dit la même chose.

Louis Blosius au Livre qui s’appelle Monit. Spir. Cap. XIV. près de la fin, en parle en ces termes : Lors même que sainte Brigitte vivait, des évêques et théologiens signalés ont examiné ses œuvres ; et après sa mort, le Concile de Bâle députa quelques-uns, insignes en piété et doctrine, pour les examiner diligemment et attentivement, et tous assurèrent constamment qu’elles venaient de Dieu.

Antoine de Cordoue (Livre X, Quest. 44. in prob. 6. concl.) parlant des Révélations de sainte Brigitte, dit : Les Révélations de sainte Brigitte sont déjà approuvées et recommandées par le Concile de Constance, et par Urbain VI et Martin V, papes, et enfin par l’Église en la manière susdite.

Pierre Canisius, parlant des Révélations de sainte Brigitte, dit (Liv. I de la Bienheureuse Vierge Marie, Chap. VII) : Je ne me fâcherai point, en écrivant de la Sainte Vierge, de décrire quelques passages qui ont été divinement révélés à sainte Brigitte, et tellement approuvés par l’autorité des hommes très excellents, examinées et approuvées par l’Église Romaine, qu’elles n’ont point besoin d’autre défense auprès des catholiques.

Michel Medina (Livre II, de la droite Foi en Dieu) dit des Révélations de sainte Brigitte : Ce qui est faux est de l’astrologie ; le vrai, c’est de sainte Brigitte, qui a été signalée en l’esprit de prophétie ; elle montre évidemment les évènements de la république Ecclésiastique.

Nicolas Sarnère (Livre VI), parlant des Révélations de sainte Brigitte au nombre 1046, après avoir rapporté la Révélation du Livre VII, Chap. XIX, touchant le roi de Chypre, dit : Nous savons de là que cette Révélation a été de Dieu, d’autant que l’évènement a prouvé la prophétie, comme nous avons vu, car sainte Brigitte mourut plusieurs années avant que la République des Grecs fût totalement ruinée. Or, on ne peut prédire les choses futures que par l’Esprit de Dieu, qui seul sait ce qui est à venir, comme celui qui en est l’auteur, et qui sont en sa prescience.

Alphonse Mandoze, de l’Ordre de Saint-Augustin (in quodl. q. 5) dit : Les Révélations de sainte Brigitte sont approuvées par les Conciles de Constance et de Bâle, et par les papes Boniface IX et Martin V, qui les trouvèrent illustres en vérité et signalées en sainteté.

Martin Delrio, théologien de la Société de Jésus (Lib. de Disq. Mag. Tom. 2 ; libr. IV, cap. 1, q. 3, sect. 4) dit : Nous assurons qu’aux Révélations de sainte Brigitte, on ne trouve rien qui répugne ouvertement à la sincérité de la foi catholique, ou qui ne puisse subsister avec elle. Et un peu après, il dit : Comme Eugène III n’eût permis que les livres de S. Hildegarde fussent mis au jour pour l’utilité de l’Église sans les avoir bien examinés et fait examiner par le conseil des cardinaux et docteurs, de même Boniface IX n’eût permis que les livres de sainte Brigitte fussent divulgués sans ce que dessus.

 

Approbations des docteurs.

 

Nous soussigné, docteur en Théologie, confessons avoir lu, vu et attentivement considéré un Livre intitulé : LES RÉVÉLATIONS CÉLESTES ET DIVINES DE SAINTE BRIGITTE DE SUÈDE, traduit du latin en français par Maître JACQUES FERRAIGE, docteur en Théologie, lequel, outre les approbations du Concile de Constance et confirmations d’Urbain VI et Martin V, papes, avons jugé très-digne d’être mis en lumière, n’y ayant rien trouvé qui soit contraire à la Religion catholique, apostolique et romaine : au contraire, nous y avons vu des choses grandement utiles pour l’avancement des âmes en la vie spirituelle : c’est pourquoi nous l’avons jugé très-digne d’être imprimé.

    Fait à Paris, ce 1er août 1624.

FRANÇOIS GUILLEMAT.                        

 

Vu par nous la susdite approbation du docteur en Théologie, nous consentons à l’impression desdites Révélations, capables d’enflammer les âmes à la dévotion et au fervent amour de Dieu.

    À Lyon, ce 20 novembre 1649.

DEVILLE, Vic. Gén. Substit.                     

 

 

 

Lettre de monsieur Alphonse (d’abord évêque de Giennense, et puis après ermite de très bonne vie, d’où il fut surnommé le Solitaire), envoyée à tous les rois, et servant de Prologue à toutes les œuvres de sainte Brigitte.

 

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Ici sont repris ceux qui, à la légère et sans aucun examen précédent, approuvent et réprouvent les personnes qui assurent qu’elles ont des visions et révélations divines.

 

 

I.

 

À vous, ô sérénissimes rois ! et Dieu veuille que vous soyez vrais rois en Jésus-Christ !

Mes très chers Seigneurs, après vous avoir très humblement salués, me prosternant aux pieds de votre royale majesté, je vous dirai que c’est la coutume des rois de vouloir curieusement rechercher, et en recherchant, reconnaître la qualité des personnes qui leur écrivent, et demandent quelques secrets extraordinaires de la divine volonté. Et d’autant que, de notre temps plein d’ignorance et de ténèbres, il s’est élevé une dame de sang et d’esprit illustre, sainte Brigitte, du royaume de Suède, l’ornement et la gloire de toutes les femmes, qui, comme une très claire étoile, a épandu les rayons éclatants de sa sainteté en diverses contrées de la terre, et qui maintenant vous écrit par le commandement du Très-Haut, Empereur du Ciel, ce présent livre, qui lui a été divinement révélé, comme un beau miroir pour l’ornement de vos Majestés, pour la correction de vos mœurs, pour régir et gouverner saintement vos sujets : c’est pourquoi, mes très honorés et très redoutables seigneurs, de peur que le soudain et indiscret jugement de quelques indiscrets, vous portant à l’incrédulité et à la dureté de Pharaon, ne chasse de votre cœur, comme un tourbillon de vent, la semence de la créance et de la foi que vous pouvez déjà ajouter à cet excellent livre, le recevant avec toute humilité, comme il est écrit avec le doigt du Dieu vivant dans le cœur de cette sainte : à cette cause, de peur que vous ne soyez trompés en telle manière, j’ai résolu de vous montrer brièvement et suffisamment les conditions et qualités de l’âme de cette très heureuse Brigitte, et de quelle manière elle avait les visions dont Dieu se plaisait à l’honorer. Je prétends aussi vous manifester brièvement par écrit la manière de discerner les visions divines d’avec les maudites et trop pernicieuses illusions de Satan.

Je dis donc, Messeigneurs, qu’il y a plusieurs et diverses sortes de visions ; et d’autant que cette matière est comme étrangère et inconnue parmi les hommes, parce qu’ils ignorent presque tous la science de l’Écriture sainte, et qu’ils n’ont aucune expérience des sentiments de l’oraison mentale, de la contemplation et de la vie spirituelle, c’est pourquoi j’ai souvent désiré d’écrire un petit traité, qui, comme un van sert à séparer la paille du bon grain, servît à discerner les visions, et cela, à cause des dangers dans lesquels sont tombées, ô regret sans pareil ! plusieurs personnes de mon temps, faute d’être versées en cette matière si secrète et si peu ordinaire. Et parce que cette bienheureuse à qui ce livre fut divinement révélé, dit, au commencement d’icelui, qu’elle vit en vision un palais d’une grandeur incompréhensible, semblable à un ciel clair et serein, etc., je résolus alors de compiler le présent traité en forme d’épître, afin que, par le moyen de ce traité comme par le moyen d’un van, on puisse séparer le grain des visions bonnes et divines, d’avec la paille des visions pernicieuses et diaboliques, et qu’ainsi le grain pur et net soit serré et religieusement conservé comme dans le grenier des hommes spirituels et catholiques, et que la maudite paille des illusions diaboliques soit jetée au loin par le van de la sainte Écriture, et foulée aux pieds.

Commençant donc au nom de Jésus-Christ, et soumettant toujours tout ce que je dirai à la correction de notre Mère sainte Église, et à un meilleur et plus sage conseil, je dis que quiconque veut rechercher, examiner, discerner et juger sainement les espèces de révélations, doit avoir les deux choses susmentionnées, savoir : la théorie de la science de l’Écriture en matière de visions, science qu’ont subtilement et clairement décrite les saints Pères et les saints docteurs, et en outre la pratique de l’expérience de la vie spirituelle, des sentiments de consolation et des visions mentales qui lui auront été divinement infuses, ou spirituellement, ou intellectuellement. Et parce qu’aujourd’hui on trouve communément, à mon grand regret, en peu de personnes, cette théorie et cette pratique de discerner et juger justement des visions et esprits, c’est pourquoi plusieurs aveugles en cette matière se portent plutôt à l’étourdie et sans considération à condamner de simples et saintes personnes unies à Dieu par amour, qu’à discerner parfaitement, à approuver ou à réprouver justement ce qui le mérite, n’alléguant chose aucune raisonnable en leurs jugements précipités, et dans les paroles jetées à la volée, qu’on doit plutôt appeler médisances, si ce n’est que l’ange mauvais se transforme souvent en ange de lumière, et mettent en avant les exemples de quelques personnes spirituelles qui, par le passé, ont été trompées par le diable en leurs visions, sans se souvenir de ceux que Dieu, par ses divines infusions et visions, a illuminés, et qui ont ensuite éclairé et conduit les autres. Ces gens-là condamnent principalement les personnes spirituelles, simples et idiotes, le sexe féminin comme ignare, de peu d’estime et de capacité, et pour ce, indigne d’avoir des visions divines ou prophétiques, et ne considèrent pas que Dieu tout-puissant, tant dans l’ancien que dans le nouveau Testament, pour montrer sa toute-puissance, a souvent choisi pour soi ce qu’il y avait au monde d’infirme en l’un et en l’autre sexe, pour confondre les sages. D’un Pasteur, n’a-t-il pas fait un prophète ? N’a-t-il pas rempli de l’esprit de prophétie de jeunes ignorants ? N’a-t-il pas choisi, pour en faire ses apôtres et pour les remplir du Saint-Esprit, non des docteurs, mais des pêcheurs, des hommes rudes et grossiers ? Marie, sœur d’Aaron, Judith et Esther, ne furent-elles pas douées de l’esprit de prophétie ? Le roi Josias ne fut-il pas, en ce qu’il avait à faire, guidé et conduit par une femme prophétesse ? Ne vous souvient-il pas que Déborah, prophétesse, régit et gouverna le peuple d’Israël ? Anne aussi, Mère de Samuel, Agar et la femme de Manué, mère de Samson, et autres femmes, dans le vieux Testament, n’eurent-elles pas l’esprit de prophétie ? Dans le nouveau Testament, Anne, fille de Phanuel, prophétisa ; Élisabeth, femme de Zacharie ; sainte Luce, vierge, comme il est porté en ses livres ; les sibylles Tiburtine, Érythrée, et plusieurs autres, dont vous trouverez un grand nombre dans les cahiers sacrés et dans ceux des Saints, prophétisèrent aussi. Et à cause de cela, il est dangereux de condamner à la volée, ou d’approuver les visions spirituelles et les personnes qui assurent qu’elles ont des visions divines, avant d’avoir subtilement examiné la qualité de telles personnes, la manière de leurs visions, la qualité de la manière d’icelles, et que, comme avec une pierre de touche, on éprouve le tout par l’Écriture et par les écrits des saints docteurs, savoir, s’il vient ou de l’Esprit de vérité ou de l’esprit de mensonge. Nous voyons que Pharaon ne crut pas à Moïse, qui était homme simple, et qui toutefois avait vu Dieu : c’est pourquoi ce roi, ne croyant pas à sa vision et à sa parole, ou plutôt à la parole de Dieu, persista opiniâtrement dans son incrédulité et dans sa dureté ; c’est pour cela qu’il le précipita misérablement dans la mer Rouge avec le peuple d’Égypte. J’en ai aussi vu de mon temps plusieurs qui, réputant telles personnes spirituelles simples et idiotes, et leurs visions vaines et comme feintes ou fantastiques, se sont rendus désobéissants à Dieu, à cause de quoi ils ont approuvé et ressenti sur eux et leurs sujets les jugements de Dieu, qui auparavant leur avaient été prédits par telles personnes et par leurs visions.

Voyez en un exemple en la destruction du Royaume de Chypre, parce que le roi ne crut pas aux visions de sainte Brigitte, auquel ce présent livre fut révélé, comme cela est rapporté au Livre VII, Chap. XIX. J’en ai aussi vu et entendu d’autres qui, pour avoir cru aux illusions, ont fait une dangereuse chute. Voyez-en un exemple au Livre VI, Chap. LXVIII, et dans Cassien, au Livre de la Collation des Pères (Coll. 2), et plusieurs autres semblables : c’est pourquoi il est beaucoup plus sûr de peser mûrement et examiner les visions et les personnes qui les ont, et après les avoir examinées avec mûre délibération et jugées avec discrétion, de les approuver ou les désapprouver, car l’apôtre dit : Faites preuve des esprits, savoir, s’ils sont et s’ils viennent de Dieu ; et si dans l’examen qui en sera fait, il se trouve qu’ils soient de Dieu, nous devons les croire humblement et leur obéir en tout ; s’ils sont de l’esprit malin, nous devons les mépriser comme des illusions très pernicieuses, et n’y pas ajouter foi.

 

 

II.

 

Manière d’examiner la qualité de la personne qui a des visions. Manière de les avoir. Qualité et matière des visions et révélations.

 

LES saints Pères et les docteurs de l’Église disent que la personne qui a des visions doit être examinée de cette manière, savoir : si c’est une personne spirituelle, ou du monde et séculière ; si elle vit sous la discipline et obéissance spirituelle, spéciale et continuelle de quelque Père spirituel, catholique, avancé en âge, discret, vertueux et mûr, ou si elle se gouverne de son mouvement et volonté propres : de plus, si elle a tout aussitôt soumis ses révélations et ses visions telles qu’elle les a, à l’examen et au jugement de son Père spirituel, ou d’autres Pères spirituels plus anciens et discrets, avec humilité, craignant d’être trompée ; ou si, à l’occasion de ces visions, elle a présumé de soi, s’en est vantée ; ou si, en se prisant soi-même, elle a méprisé les autres. De plus, on doit examiner si de la personne voyant des visions, sortent des vrais actes de vertu, d’obéissance, d’humilité, charité, et oraison fervente, ou s’il en procède des actes de vanité, de jactance, de superbe, d’ostentation, d’un esprit altier, d’un désir de louange humaine, une nonchalance à l’oraison, une ambition des honneurs et des dignités. De plus, il faut savoir si cette personne est, parmi les hommes spirituels, en estime d’être vraiment catholique, fidèle et obéissante aux prélats et recteurs de l’Église, ou bien si l’on a quelque soupçon et défiance de sa foi ou de son obéissance envers ces recteurs et prélats ; de plus, si elle a longtemps, humblement et vertueusement persévéré en la vie spirituelle, dans la pénitence, et à avoir des visions fréquentes, ou si elle est novice en cela ; de plus, si cette personne voyant des visions a un bon entendement naturel et un jugement de la raison et de l’esprit vrai, discret et spirituel, ou si elle est d’un esprit léger, prompt, soudain et fantasque. Saint Grégoire dit en effet, dans ses Dialogues, que, entre les illusions et les révélations, les saints personnages discernent, par je ne sais quel goût intérieur, et savent, ou ce qu’ils reçoivent du bon esprit, ou ce qu’ils pâtissent du mauvais et du trompeur. Il faut voir en outre si cette personne a autrefois été examinée sur la manière et la matière des visions par des hommes lettrés et spirituels, et si elle a été approuvée ou non. Et ces points semblent suffire pour ce qui concerne l’examen de la personne.

Mais quant à ce qui touche la manière de voir et d’ouïr spirituellement et de recevoir les révélations ou visions, les saints Pères et docteurs de l’Église disent qu’on doit examiner avec soin si cette personne qui voit des visions, les voit en veillant, ou en dormant et songeant, et si c’est en vision corporelle, ou imaginaire et spirituelle, ou bien peut-être si c’est en vision intellectuelle et surnaturelle, et en ce ravissement d’esprit qu’on appelle extase : savoir, si elle a senti quelque mentale douceur surnaturelle de l’amour divin ou non ; si alors elle voit et entend quelqu’un qui lui déclare quelque mystère ou qui lui monstre quelque doctrine spirituelle ou non, et en quelle figure elle voit telle personne, et si elle sent alors quelque rayon d’une lumière surnaturelle qui lui manifeste la vérité divine de la matière de ses visions.

Elle doit aussi être examinée sur la qualité et la matière de ses visions, savoir, si elles s’accordent ou non avec la sainte Écriture, et si la vision tend à une vertueuse et honnête direction des actions humaines et au salut des âmes, ou bien si elle porte quelque erreur en la foi, ou si elle met en avant quelque chose de nouveau et de prodigieux, ou qui soit du tout contraire à la raison, ou qui nous détourne des actions et façons de faire bonnes, vertueuses et humbles ; savoir aussi si ces visions sont toujours vraies, ou quelquefois fausses et mensongères, en tant que ce qu’elles prédisent est quelquefois vrai, quelquefois faux. De plus, on doit voir si elles nous prédisent des honneurs, des richesses, de la louange des hommes, ou bien humiliation en toutes choses ; savoir aussi si elles nous portent à nous glorifier, à présumer de nous, et à nous confier en quelques vertus que nous puissions avoir, ou bien à nous humilier ; si elles nous poussent à obéir à des personnes spirituelles et vertueuses, voire les plus simples, et à nos supérieurs, ou bien au contraire. En un mot, je dis que, pour faire un parfait examen en cette matière, tant de la qualité de la personne qui voit des visions, de la qualité de la manière de vivre, que de la qualité de la matière des visions, et de la manière de discerner les esprits qui les montrent et les font glisser dans les cœurs, il faut savoir si ces esprits sont bons ou mauvais ; il faut lire, depuis le commencement jusqu’à la fin, le livre des célestes Révélations faites à cette bienheureuse Brigitte de Suède, où il est traité de ce sujet (Liv. I, Chap. IV et LIV ; Liv. III, Chap. X ; Liv. IV, Chap. XXIII et CX ; Liv. VI, Chap. LII et LXVI), et en plusieurs autres lieux, où on peut voir comme cette sainte était, par Notre-Seigneur et sa sainte Mère, pleinement instruite de cette matière de discerner les esprits, les visions et les sentiments de l’âme.

En effet, si ce subtil examen ne précède, celui qui approuvera ou réprouvera, de prime abord et sans autre discussion, la personne qui aura de telles visions, et ses visions et ses révélations, pourra tomber dans une dangereuse, parce qu’il est peut-être indiscret et trop prompt en ses jugements, approuvant, sans autre considération, les visions et la personne qui les a, et il admettra comme pour vraies des choses fausses, et comme fausses des choses vraies, par une erreur trop dangereuse ; et par ce moyen, les bonnes et vraies visions divines seront rejetées, sans qu’on y ajoute foi et sans y obéir, quoiqu’elles aient procédé véritablement de la volonté de Dieu ; au contraire, on croira et on obéira aux illusions, au détriment tant de celui qui les a eues que de celui qui les a approuvées légèrement et sans y bien penser, ce qui est souvent arrivé, tant dans l’ancien que dans le nouveau Testament. Et aujourd’hui encore, on tombe souvent en cette même erreur, faute d’un examen discret, mûr et judicieux.

 

 

III.

 

Ici est contenue la qualité de la personne et des vertus de la bienheureuse Brigitte, à laquelle ce livre-ci fut révélé.

 

LA théorie de ces choses vue, venons maintenant à la pratique d’icelles, considérant la qualité de la personne à qui ce livre-ci fut révélé.

Il faut donc savoir que la bienheureuse Brigitte, d’illustre de sainte mémoire, qui vit et entendit en esprit les visions et les révélations du présent livre, et de ce grand livre céleste, et plusieurs autres choses, et les écrivit par le commandement de Dieu, comme il est porté au Livre VI des célestes Révélations, Chap. CI, était issue du sang des rois des Goths, et grandement connue en Suède, royaume septentrional. Ses parents vécurent noblement et vertueusement. Quant à elle, vivant encore dans le mariage, elle amena son mari à la perfection de la continence, en sorte que plusieurs années se passèrent de la sorte. Tous deux vivants en cet état s’en allèrent en pèlerinage à Saint-Jacques de Galice, non sans de grands travaux et dépenses et avec une dévotion très ardente ; et après avoir été de retour ensemble en leur pays de Suède, son mari vint à mourir.

Brigitte alors, enflammée d’un incomparable amour de la chasteté, se donna entièrement à Jésus-Christ, qui la prit aussitôt pour son Épouse, la recevant et la chérissant par les paroles d’amour qu’il lui disait au cœur, comme il est porté au Liv. I, Chap. II des célestes Révélations. Et alors elle commença d’avoir plus clairement des visions divines, qu’elle soumit aussitôt humblement à l’examen de son Père spirituel, saint personnage, docteur en théologie, savoir, M. Mathias de Suède, chanoine de l’église de Linköping, lequel glosa toute la bible, comme il est porté au Liv. 6, Chap. LXXXIX des célestes Révélations. Sainte Brigitte soumit aussi humblement ses visions à l’examen et au jugement d’autres prélats et personnages spirituels et religieux, comme on peut le voir au Liv. IV, Chap. LXXVIII des célestes Révélations, et plus expressément au Prologue de la Règle du Sauveur, qui lui fut divinement révélée. Et après que tous ces grands personnages éminents en science et spirituels en leur vie eurent approuvé ses visions, infusions et révélations, et jugé qu’elles procédaient du Saint-Esprit, esprit de vérité, et non esprit trompeur, esprit de mensonge, lors désirant suivre en état de pauvreté Jésus-Christ pauvre, et marcher en quelque sorte sur ses traces, elle ne se réserva de tous ses biens que sa nourriture et ses vêtements les plus simples et les plus humbles. Ayant donc distribué tous ses biens à ses enfants et aux pauvres de Jésus-Christ, et se dépêtrant des liens du monde, elle sortit, par le commandement de Notre-Seigneur, de sa terre et de sa parenté, à l’exemple du grand patriarche Abraham, et après plusieurs journées, elle arriva enfin à Rome, pour y vivre dans la pénitence, et y visiter humblement les églises des apôtres, et les reliques des autres saints, jusqu’à ce que Notre-Seigneur lui donnât une autre charge.

Or, elle avait toujours avec soi deux Pères spirituels très experts, d’un âge mûr et déjà bien avancé, vertueux et vierges, qui la suivirent jusqu’à la mort. Il était à propos, en effet, que cet époux, parangon de chasteté, qui recommanda en mourant la Vierge, sa très sainte Mère, à un disciple vierge, recommandât aussi sa nouvelle épouse, et la fît diriger des vierges, par des Pères vertueux, dont l’un, personnage très religieux, était moine et prieur de Cîteaux, vierge en son corps, et assez versé dans les lettres. Et parce que cette sainte écrivait, comme on dit, ses Révélations par le commandement de Jésus-Christ, en sa langue gothique, c’est pourquoi, par le même commandement de Notre-Seigneur, ce prieur traduisit du goth en latin tous les livres à elle divinement révélés. Il est fait mention de ce religieux au Prologue du Livre céleste, à la fin.

L’autre Père spirituel était un prêtre de Suède, qui était aussi vierge, vénérable et de très sainte vie, lequel gouvernait toute la maison de cette dame, et qui enseigna à elle et à sa fille, la grammaire et le chant, par le commandement de Notre-Seigneur, et l’achemina en la voie des vertus par ses paternelles corrections.

Durant tout le cours de sa vie, sainte Brigitte, pratiquant toute sorte de vertus, obéit à ces Pères aussi humblement qu’un humble et vrai religieux a la coutume d’obéir à son supérieur et à son prélat, ce qui fit qu’elle parvint à un tel degré d’humilité, d’obéissance et de parfaite mortification de sa propre volonté, que, quand elle allait dans les lieux saints pour gagner les indulgences, accompagnée toujours du prêtre susdit, son Père spirituel, elle n’osait lever les yeux, qu’elle tenait toujours baissés, sans avoir premièrement demandé et obtenu de lui un congé spécial pour cet effet. Chaque jour, elle se confessait deux ou trois fois, et chaque dimanche, elle et sa fille, qui mena avec elle une vie digne de louange et persévéra jusqu’à la mort en une viduité très honnête et très chaste, faisant une continuelle pénitence, elle, dis-je, et sa fille, recevaient le corps de Notre-Seigneur avec une très grande dévotion et une profonde humilité, vivant toujours dans l’austérité des grandes pénitences corporelles, qu’elles faisaient secrètement, pénitences qu’elles ne présentaient pas par vaine gloire aux yeux des hommes, mais qu’elles offraient à Dieu seul en toute humilité, simplicité de cœur et pureté d’esprit, sous l’obéissance spirituelle que continuellement et humblement elles rendaient aux deux susdits Pères spirituels. La bienheureuse Brigitte découvrait incontinent à ces Pères les Visions qu’elle avait, et soumettait humblement le tout à leur jugement et discrétion. Elle était humble, non seulement à l’extérieur, devant les hommes, mais aussi devant Dieu, et à l’intérieur, elle s’estimait si indigne et si grande pécheresse, que souvent, en l’oraison, parlant à Jésus-Christ, elle l’admirait, étonnée, et le blâmait en quelque sorte de l’avoir choisie, elle si indigne, pour avoir des visions divines, pour ouïr et écrire ses très saintes paroles, comme vous pourrez le voir clairement au Livre II, Chap. XV, et au Livre VI, Chap. LII, au commencement, et Livre II, Chap. XVIII, et autres endroits des Révélations.

Mais quelle patience avait cette Dame, et quelle était l’égalité et tranquillité de son esprit ? Je n’en veux pas répondre. Que plutôt vous réponde, sur ce point, sainte Agnès, cette glorieuse vierge, qui en rend témoignage au Livre IV, Chap. XXIV. Voyez cela plus au long dans la Vie de la même bienheureuse Brigitte.

Quelle fut aussi l’ardeur de sa charité envers Jésus-Christ et sa Mère ? Voyez Livre IV, Chap. LXIII ; Livre VII, Chap. LII, et autres. Elle aimait aussi le prochain avec une compassion, une affection maternelle si grande, que, priant Notre-Seigneur pour plusieurs en particulier et pour tous en général, elle jetait souvent un torrent de larmes, accompagné d’une très fervente dévotion, comme il appert au Livre III, Chap. XXIII, et autres. Voire même comme une fois le roi de Suède voulut grever tous les sujets de son royaume par de grandes exactions, afin de s’acquitter de certaine somme qu’il devait, la bienheureuse Brigitte lui dit : Sire, ne faites pas cela, mais prenez mes deux fils, et donnez-les pour otages, jusqu’à ce que vous ayez le moyen de payer, et n’offensez point Dieu ni vos sujets. On voit cela plus clairement en la légende de sa Vie.

En un mot, elle était tellement ornée et remplie de toutes les autres vertus, que Notre-Seigneur la reçut pour son épouse d’une manière admirable, et la visita très souvent de ses divines grâces et d’incomparables consolations, lui disant : Je vous ai élue pour mon épouse, afin de vous montrer mes secrets, parce que cela me plaît. Il dit ensuite : À cette cause, je vous prends pour mon épouse, et pour mon contentement propre tel qu’il est convenable à la divine Majesté d’avoir une âme chaste. (Livre II, Chap. II, etc.)

Or, de toutes ces faveurs et de toutes ces grâces, elle ne s’enorgueillissait jamais, mais au contraire, elle s’humiliait tous les jours, se croyant, avec des larmes dont je suis témoin, de plus en plus obligée à son Dieu, craignant d’en subir un jugement plus rigoureux, témoignant qu’elle eût beaucoup mieux aimé de demeurer inconnue et cacher le précieux trésor des divines révélations, pour ne s’en maintenir que mieux dans l’humilité, mais que Notre Seigneur, par son exprès commandement, l’obligea plusieurs fois à écrire et annoncer sans crainte ses divines paroles aux souverains pontifes, à l’empereur, aux rois, aux princes et à leurs peuples, afin que, par ces divines paroles, savoir, du livre céleste et de celui-ci, les pécheurs se convertissent à Dieu, et que les justes et les bons allassent de vertu en vertu, on le voit clairement au Livre VII, Chap. XXVII, au Livre VI, Chap. CI, etc., des célestes Révélations, et en ce présent Livre de l’Empereur Céleste aux rois, en plusieurs chapitres. Qui pensera en effet qu’une telle vie fût exposée aux illusions des esprits malins ? Qui osera reprendre et taxer Jésus-Christ d’une impiété si grande, que de laisser sans défense une créature espérant en lui, et le glorifiant, non pas soi-même, d’une plénitude de son amour et charité ? Un bon époux expose-t-il sa chaste et fidèle épouse à la concupiscence et à l’infamie d’un adultère ?

 

 

IV.

 

Il est ici montré en quelle manière sainte Brigitte avait des visions et révélations.

 

AYANT déjà parlé de la qualité de la personne et des vertus de sainte Brigitte, et voyant que plusieurs s’étonnent et doutent de la grâce qui lui fut donnée de voir et d’ouïr des visions spirituelles, lesquels, désireux d’être rendus certains de la manière qu’elle les avait, m’ont souvent requis et prié de leur faire connaître clairement, et de les assurer de la vérité de ce point, et par l’infusion de quel esprit toutes ces choses sont révélées : pour ces causes, à l’honneur de Dieu, de la Vierge et de cette sainte, comme aussi pour mettre entièrement hors de doute tous ceux qui y sont, je leur montrerai, premièrement, en quelle manière elle voyait et oyait ses révélations et visions : et après, je prouverai par l’Écriture qu’assurément elles venaient, non de l’esprit trompeur, mais du Saint-Esprit. Je dis d’abord que je peux vous assurer de la manière qu’elle avait ses visions, non seulement par mes paroles, mais aussi par celles de la sainte même, qui, en plusieurs chapitres de ses livres, la fait humblement et assez clairement connaître, et principalement Livre IV, Chap. LXXVII, et au Livre VI, Chap. LII, où elle parle à Jésus-Christ en ces termes :

« Ô mon Dieu, que j’aime par dessus toutes choses, tous ceux qui oient ce que vous avez fait avec moi, l’admirent et s’en étonnent. Car quand il vous plaît, vous endormez mon corps, non d’un sommeil corporel, mais d’un certain repos spirituel, et lors vous réveillez mon âme comme d’un sommeil, pour voir, ouïr et sentir spirituellement. Ô mon Dieu, mon Seigneur, que les paroles de votre bouche sont douces ! Vraiment il me semble, toutes et quantes fois que j’oie les paroles de votre Esprit, que mon âme les dévore et les engloutit en soi-même avec un certain sentiment d’une douceur ineffable, comme si c’était quelque viande très délicate et savoureuse, laquelle viendrait à tomber sur mon cœur avec une joie et consolation indicibles. Toutefois ce qui me semble d’admirable, c’est que, quand j’ois vos paroles, lors je deviens et rassasiée et famélique tout ensemble : rassasiée, d’autant que, pour lors, aucune autre chose ne me plaît que celle-là ; famélique, d’autant que l’appétit de ces choses augmente toujours, etc. »

Il est parlé de ceci au Prologue, comme aussi à la fin de la Règle du Sauveur divinement révélée à la Sainte, et ailleurs, en plusieurs endroits.

Moi-même (j’en prends Dieu à témoin), j’ai vu plusieurs fois cette sainte, quelquefois assise, quelquefois prosternée en terre, demeurer toute engloutie et absorbée dans l’oraison, et comme si elle eût été sans âme, privée de l’usage des sentiments du corps, ravie en telle extase d’esprit, ne voyant et n’oyant rien de ce qui se faisait au lieu où elle était corporellement. Or, étant revenue, elle me racontait, à moi, indigne, et à ses deux confesseurs, les visions qu’elle avait eues, les merveilles et les grands secrets qu’il avait plu à Dieu de lui communiquer.

Sa manière aussi d’avoir des visions se voit assez clairement dans une vision et révélation secrète envoyée par elle au pape Grégoire XI, où il est raconté comment, étant en oraison en veillant, elle fut ravie en esprit ; et lors il lui semblait que toutes les forces du corps lui manquaient, mais son cœur s’enflammait, et en quelque sorte bondissait d’une ardeur de charité. Son âme était consolée, et son esprit affermi et conforté d’une certaine force divine ; toute sa conscience même et tout son entendement étaient remplis d’une intelligence spirituelle, comme il est rapporté là-dedans. Quelquefois aussi elle ressentait, avec une joie d’esprit ineffable, un admirable mouvement corporel en son cœur, comme s’il y eût eu là-dedans un petit enfant, qui, se tournant, faisait un mouvement qui se voyait par dehors ; et sur le doute qu’elle eut que ce ne fût une illusion diabolique, elle le montra à ses Pères spirituels, qui, le voyant et touchant, furent grandement étonnés et extrêmement ébahis. Toutefois Jésus-Christ et la Vierge l’éclaircirent de ce doute, lui donnant à connaître d’une belle manière, et lui disant que ce mouvement du cœur n’était pas une illusion, mais la grâce divine et l’opération du Saint-Esprit, comme cela est rapporté au Livre II, Chap. XVIII, et au Livre VI, Chap. LXXXVIII.

Sachez aussi que sainte Brigitte, priant en veillant, voyait quelquefois en esprit certaines formes ou figures, dont, pour l’heure, elle ne savait pas la signification, mais elle demeurait dans le doute et l’incertitude, comme il est porté au Livre IV des Révélations célestes, etc., et en ce présent Livre de l’Empereur céleste aux rois, Chap. XXXI. Et ces visions lui étaient déclarées par la suite, quelquefois par Jésus-Christ, comme il est rapporté aussi au Chap. XXXI, et au dernier chapitre du Livre IV. Quelquefois aussi, il ne lui en était rien enseigné, et elle en demeurait toujours incertaine, comme on peut le voir en quelques chapitres du Livre céleste. Quelquefois aussi, en veillant, elle voyait en esprit des visions de certaine espèce, et presque toujours icelles lui étaient expliquées à l’heure même par Jésus-Christ lui parlant par la Vierge, sa Mère, par un ange ou par quelque saint, comme vous verrez au Livre IV, Chap. VII, et au Livre VI, Chap. XXXV et LII, et en ce livre, Chap. IV et ailleurs.

Mais vous me demanderez peut-être : Comment se peut-il faire que cette sainte, veillant en oraison, pouvait voir, comme elle voyait souvent, ravie en esprit, Notre-Seigneur, sa Mère, les anges et les saints, qui sont essentiellement dans le ciel et n’en bougent ? et en un même instant, comment pouvait-elle voir les âmes tourmentées en purgatoire et en enfer, les démons y parlant, voire même des personnes vivant encore en ce monde ? Et quand elle voyait tout cela, son âme était-elle dans son corps, ou hors d’icelui ?

Je réponds très bien à cette question, non pas moi, mais ce miroir de toute sagesse et de toute sapience et science, la Reine du ciel, Marie, au Livre VI, Chap. LII, où il est arrêté que cela se faisait par une merveilleuse élévation et illustration de l’entendement de sainte Brigitte, pour une grande utilité de toute l’Église, par la coopération et ministère du Saint-Esprit, vu que, parfois, quelque figure de Jésus-Christ ou des saints se présentant à elle dans son extase, au même instant, quelques grandes merveilles étaient comme versés dans son entendement, savoir, des solutions de questions, des révélations de mystères, des directions nécessaires aux actes vertueux, des règles d’une sainte vie, et ce, par une influence d’une lumière surnaturelle et divine.

En cette manière, elle eut comme en un moment tout le Livre des questions, qui est le cinquième entre les Livres du volume céleste, comme aussi la Règle du Sauveur propre pour les religieuses, comme on le voit à la fin d’icelle, au Chap. XXIX.

Quelquefois aussi elle voyait des yeux du corps un ange qui, par le commandement de Dieu, lui dictait peu à peu un très beau et assez long discours, qu’elle écrivait à mesure que l’ange le lui dictait. Et ainsi fut écrit, par intervalles de temps, ce très excellent et angélique discours sur l’excellence de la Vierge, qui est divisé par leçons, lesquelles doivent être lues la nuit, à Matines, dans le courant de la semaine, par les religieuses de la Règle du Sauveur.

Quelquefois aussi sainte Brigitte vit, non seulement en esprit, mais aussi de ses bienheureux yeux corporels, Notre-Seigneur Jésus-Christ et la Sainte Vierge, sa Mère, principalement sur la fin de sa vie, comme on le verra ci-après, ce qu’alors elle témoignait à sa fille et à ses Pères spirituels. Et, le plus souvent, ne voyant personne, elle ouït la voix du Fils de Dieu, ou de la Vierge, ou de quelque ange, ou de quelque saint, qui lui parlait et lui disait des paroles admirables pour le bien du prochain, pour la direction des mœurs, la conversion des peuples et la révélation des mystères, comme il appert en tous ses livres, où la plupart des chapitres commencent par tels ou semblables mots : Le Fils parle... ou la Mère parle à l’Épouse, etc. Et en cette manière quelquefois lui étaient prédites beaucoup de choses à venir par des paroles obscures dont elle ne savait la signification, ni s’il les fallait entendre littéralement, par figure, spirituellement, ou en quelle manière : voire même elle entendait souvent telles paroles au pied de la lettre, comme fit saint François ; et toutefois, Notre Seigneur ou sa Mère, parlant, voulaient qu’elles fussent entendues spirituellement, comme on le voit au quatrième Livre céleste, Chap. XV et LXXV, et en ce Livre, Chap. XLVIII, et ailleurs.

Quelquefois il lui était distinctement parlé en termes si clairs que la vérité en signification d’iceux se découvrait incontinent à elle, comme il est aisé de le voir en plusieurs chapitres du Livre céleste, et en ce Livre, Chap. XLVIII.

Sachez toutefois que, ainsi que je l’ai souvent entendu de sa bouche, tout indigne que j’étais, elle sentait toujours en son âme et en son esprit, quand elle avait toutes ces visions, une très grande douceur de l’amour de Dieu et d’une divine et ineffable consolation, de telle sorte qu’elle ne pouvait me le dire qu’avec des larmes et soupirs entrecoupés.

 

 

V.

 

Il est ici examiné, par l’Écriture, dans quelle espèce de visions sont contenues les visions de ce Livre, et autres révélées à sainte Brigitte.

 

APRÈS avoir rendu certains, par plusieurs chapitres ci-dessus allégués, ceux qui pourraient douter de la qualité et des vertus de la bienheureuse Brigitte, et avoir éclairci les diverses manières dont elle voyait et oyait les visions et les révélations de ce présent livre et des autres, il resterait maintenant à voir la qualité de la matière de ces visions et de ces révélations ; mais, comme j’en ai déjà parlé ci-devant et qu’il en sera encore parlé ci-après, je n’en dirai pas davantage.

Il me reste maintenant examiner et à déclarer, conformément à l’Écriture et au dire des saints docteurs, dans quelle espèce de visions sont ordinairement contenues toutes ces visions et ces révélations.

Il faut donc savoir, premièrement, que saint Augustin, au Livre VII sur la Genèse à la lettre, et saint Jérôme, au Prologue de l’Apocalypse, distinguent trois principales sortes de visions : la vision corporelle, la spirituelle et l’intellectuelle.

La vision corporelle, c’est celle que l’on a quand on voit quelque chose avec les yeux du corps. La vision spirituelle ou imaginaire, c’est celle que l’on a quand, soit en dormant, soit en veillant, nous voyons en esprit les images des choses par lesquelles quelque autre chose nous est signifiée, comme Pharaon vit des épis, et Moïse le buisson ardent, celui-là en dormant, celui-ci en veillant. La vision intellectuelle est celle que l’on a quand, par la révélation du Saint-Esprit, nous comprenons avec l’entendement la vérité des mystères comme elle est : c’est de cette manière que saint Jean vit les merveilles contenues dans l’Apocalypse, car il ne vit pas les figures seulement en esprit, mais il comprit aussi ce qu’elles signifiaient.

Or, la première sorte de visions, savoir, la vision corporelle, n’importe pas beaucoup à notre sujet, bien que quelquefois la bienheureuse Brigitte ait vu des yeux du corps la glorieuse Mère de Dieu et son Fils, savoir, quand elle était jeune fille, car elle vit un autel sur lequel était assise la Mère de Dieu, qui l’appela et lui mit une couronne sur la tête ; et de nouveau, lorsque Brigitte était en travail d’enfant, la Vierge entra chez elle, et à la vue de toutes les dames qui étaient là présentes, la toucha, et Brigitte fut aussitôt délivrée, comme on le lit dans sa Vie ; et encore, quand elle vit le feu descendre du ciel sur l’autel, et qu’elle vit, dans la main du prêtre qui célébrait, une hostie dans laquelle elle voyait un agneau, et dans l’agneau la face d’un homme, et dans cette face un agneau ; et puis, lorsqu’elle vit, dans l’hostie que ce prêtre tenait entre ses mains, un enfant vivant qui, faisant le signe de la croix sur les assistants, dit ces paroles : Je vous donne ma bénédiction, à vous qui croyez, et je serai le Juge de ceux qui ne croient point (Voir le Livre VI célest. Chap. LXXXVL) ; comme aussi, lorsqu’elle était proche de sa fin, elle vit de nouveau corporellement Jésus-Christ qui la consolait : car il faut croire que telle vision lui fut montrée par Jésus-Christ, à elle qui était son épouse, par le moyen du Saint-Esprit, pour la consoler, et non pas qu’elle vînt de l’esprit malin pour la tromper et l’abuser, ce qui appert clairement, parce que Jésus-Christ, cinq jours avant qu’elle expirât, lui avait prédit le jour de sa mort, lui enjoignant de recevoir les sacrements de l’Église, et donner l’ordre à elle révélé pour ses affaires et pour celles de son monastère, commandement que le diable ne lui eût point fait à la fin de sa vie, si cette vision fût venue de lui.

On peut aussi montrer que cette vision venait de Dieu, d’autant qu’au dernier point de sa vie, elle reçut dévotement, en présence de plusieurs personnes, la sainte communion et l’extrême-onction ; et après avoir reçu les sacrements, elle vit des yeux du corps Jésus-Christ qui la consolait, et mettant humblement son esprit entre ses mains, elle expira. (Livre céleste – VII, Chapitre dernier, et à la fin de la légende de sa Vie.)

Toutefois je ne m’arrête pas davantage en cette manière de voir des visions, savoir, corporellement, d’autant que sainte Brigitte voyait peu souvent des visions avec les yeux corporels.

Nous ne parlerons pas non plus de la deuxième sorte de visions, savoir, de la vision spirituelle ou imaginaire de ceux qui dorment, d’autant que ces songes sont tenus pour très-suspects par saint Grégoire, au Livre IV de ses Dialogues, Chap. XLVIII, et le même se peut voir aussi au Livre IV, Chap. XXXVIII, bien que quelquefois les songes soient véritables, bons et venant de la part de Dieu. (Voyez, au Livre céleste, la méthode que vous devez suivre quand de pareils songes arrivent.) Et en cette manière aussi, savoir, en dormant, cette sainte dame, étant encore jeune fille, vit une fois Jésus-Christ comme s’il eût été crucifié à l’heure même ; et elle eut à l’avenir une grande tendresse de cœur envers la passion de Jésus-Christ. Mais telle vision par songe n’appartient point à notre sujet, d’autant que sainte Brigitte voyait en oraison presque toutes ses visions, en veillant, et non en dormant, comme on peut le voir clairement dans plusieurs chapitres du Livre céleste. Venons donc à cette deuxième sorte de visions spirituelles ou imaginaires de ceux qui veillent, laquelle concerne notre matière.

Saint Augustin en parle ainsi au Livre XII sur la Genèse, à la lettre : On a coutume d’appeler extase, quand l’attention que l’âme rend au corps et à ses sens, est détournée et emportée ailleurs ; car pour lors, on ne voit aucune chose corporelle, quoique présente à nos yeux, et l’on n’entend aucune voix, d’autant que toute la vue et la pointe de notre esprit sont fixées, ou sur les images des corps, par une vision spirituelle, ou, par une vision intellectuelle, aux choses qui n’ont point de corps et qui ne sont figurées par aucune image de corps.

De ces paroles, il appert clairement que quand cette sainte était en vision, assoupie d’aise et du doux sommeil de l’amour divin, comme hors des sens du corps, comme elle-même le racontait ci-dessus, lors elle était en extase, transportée hors de soi-même. Et le diable, comme on le verra ci-après, ne peut verser une telle douceur et une telle ardeur de l’amour divin dans l’âme d’aucun, d’autant qu’il ne saurait communiquer à autrui ce qu’il n’a pas lui-même. Or, quand cette sainte dit, dans ses livres, que Dieu réveillait alors son âme comme d’un sommeil, pour voir, ouïr et sentir les choses célestes, divines et spirituelles, et qu’alors, elle voyait des visions, et qu’elle oyait la voix de celui qui lui parlait en esprit, il appert de là clairement, par les paroles déjà citées de saint Augustin, que lors elle était ravie en esprit par une vision spirituelle ou imaginaire, d’autant qu’elle voyait en esprit ces images ou idées, et oyait les paroles qui procédaient des choses vues. Et quand elle dit, comme il a été rapporté ci dessus, qu’en ce ravissement et cet extase, toute sa conscience et tout son entendement étaient remplis et illuminés d’une intelligence spirituelle, et que, Notre-Seigneur lui parlant de plusieurs choses, elles étaient en un moment infuses dans son esprit, comme toute la Règle du Sauveur, le Livre des Questions, et plusieurs autres choses, par une certaine influence d’une lumière intellectuelle, par là il nous est clairement montré que lors elle était ravie en cette extase, et que lors son entendement était illuminé et illustré divinement par une vision surnaturelle et intellectuelle. Et sachez que Satan ne peut verser dans nulle âme cette illumination ou illustration de l’entendement, d’autant qu’en la vision intellectuelle, jamais l’âme ne peut être trompée par le diable, comme on le verra clairement plus bas, par l’autorité de saint Augustin et de saint Thomas d’Aquin. Et en ce point, tous les docteurs tombent d’accord.

Lors aussi qu’elle dit que, lorsqu’elle était en ce ravissement ou extase, le Fils de Dieu ou la Vierge, quelque ange ou quelque saint, lui parlait et lui disait les choses contenues dans le Livre céleste et dans ce présent Livre, nous en concluons que Dieu, Père de miséricorde, pour la direction de cette sainte et la nôtre, daigna éclairer nos consciences par les paroles de sa doctrine, et qu’il voulut, par le ministère de cette sainte, lui parlant entièrement par la vision intellectuelle, nous instruire, nous enseigner ses secrets mystères et les choses à venir, et nous donner plusieurs autres enseignements très-saints.

Saint Grégoire (Moral. lib. 28, c. 2.) nous instruit savamment et pleinement de cette locution intérieure, en ces termes : « Il faut savoir, dit-il, que le parler, la locution divine, se distingue en deux sortes, car, ou Dieu parle par soi-même ou par l’entremise d’un ange. Quand Dieu parle par soi-même, la seule force de l’inspiration intérieure se découvre en nous ; quand il parle par soi-même, le cœur est instruit et informé de sa parole sans paroles et sans syllabes, d’autant que sa vertu est reconnue par une certaine élévation intérieure, qui, remplissant l’âme, la tient comme suspendue et comme retenue en l’air ; et quand l’âme n’en est pas remplie, elle s’appesantit, car cette vertu est un poids qui, au lieu de l’appesantir, élève l’âme qu’elle remplit ; c’est une lumière incorporelle qui remplit l’intérieur, et qui, l’ayant rempli, le borne et l’enceint par dehors ; c’est un discours sans bruit, d’autant qu’il ouvre l’ouïe et ne sait ce que c’est que faire du bruit ; car que l’Esprit de Dieu nous dise quelques paroles, c’est autant comme qui dirait que, par une vertu secrète, il nous intime ce qu’il faut faire, et que, sans le bruit et sans la longueur d’un discours, il rend soudain l’esprit de l’homme, auparavant ignare, très-bien versé en la connaissance des choses occultes.

Et après, le même saint ajoute : On voit plutôt qu’on n’oit la parole de Dieu adressée à nous intérieurement, d’autant que lorsqu’elle s’insinue soi-même dans notre cœur sans le délai et la longueur du discours, elle éclaire d’une soudaine lumière les ténèbres de notre ignorance. Jusques ici saint Grégoire.

Or, cette sainte, par un tel parler divin, adressé à elle intérieurement, était enseignée par son Époux Jésus-Christ qui lui parlait, et était instruite de toutes les choses contenues en ce livre et au Livre céleste, pour la doctrine spirituelle des souverains pontifes et des prélats, des empereurs, des rois et des peuples, comme aussi pour la conversion des infidèles, comme il appert par la lecture de tout le Livre céleste et de celui-ci.

Saint Grégoire ajoute aussi, au lieu préallégué, disant : Dieu nous parle quelquefois par des anges revêtus de corps formés de l’air, qu’ils prennent pour un temps, et avec lesquels ils se présentent à nos yeux à guise d’autres hommes, comme il advint à Abraham, qui put, non-seulement voir trois hommes, mais aussi les recevoir dans sa maison. Le même saint ajoute : Car si les anges qui nous annoncent quelque chose intérieure ne prenaient pour un temps des corps formés de l’air, ils ne paraîtraient point aux yeux de notre corps. Jusques ici saint Grégoire.

Or, en cette même manière, Dieu, par son ange, parlait souvent à cette sienne épouse, et principalement lorsqu’étant à Rome, il lui envoya l’ange qui lui dicta le discours de l’excellence de la Vierge, ange que, tous les jours, elle vit des yeux du corps ; et icelui lui dictant ce discours, elle l’écrivit par divers intervalles de temps.

Mais vous pourrez me demander pourquoi Dieu dit quelquefois ses paroles si obscurément qu’elles peuvent être interprétées en divers sens, et quelquefois elles sont autrement entendues de la personne qui les oit et des autres hommes, et autrement de Dieu qui les annonce, comme il appert en saint François, quand il lui fut dit par Jésus-Christ : Va-t’en, et répare mon Église ; et en plusieurs autres qui ont entendu matériellement et au pied de la lettre les paroles qui se devaient entendre spirituellement.

Je réponds, selon la doctrine de saint Augustin au Livre Ier sur la Genèse, de saint Thomas d’Aquin, en sa 2. 2., et des autres docteurs, que le prophète n’entend pas toujours bien les choses qui lui sont dites et révélées en vision. Sur ce point, voyez la solution que donne à cette sainte la glorieuse Vierge Marie en ce présent Livre, Chap. XLVIII, et Livre IV, cél. Chap. XV et LXXV, et ailleurs. Et en telle manière, sainte Brigitte entendait quelquefois corporellement ou littéralement les paroles de ses visions ; et toutefois, Jésus-Christ ou sa Mère parlant à elle, les entendait spirituellement ou par figure, comme il appert par les lieux cotés ci-devant.

Il appert donc évidemment des choses susdites et de la matière des livres divinement révélés à cette sainte, qu’elle a eu de Dieu une très-singulière grâce de l’esprit de prophétie, par le moyen du parler intérieur de Dieu à son cœur, et par la vision spirituelle et intellectuelle à elle donnée divinement et gratuitement, d’autant que la vraie prophétie, la révélation, la science et la doctrine, sont causées et procèdent de la vision spirituelle ou imaginaire de quelques corps ou signes, y étant ajoutée de plus l’influence d’une lumière intellectuelle et surnaturelle de la vérité divine, comme il appert des sentiments et manières susdites, èsquelles elle voyait ces visions, et des paroles de saint Augustin au Livre XII sur la Genèse, à la lettre, où il y a un texte formel et très-clair touchant ce point, d’autant que les images corporelles sont exprimées et représentées en son esprit, et l’intelligence d’icelles presque toujours révélée à l’âme. Voire même je dis hardiment, selon la doctrine de saint Thomas, en sa 2. 2. q. 163, et des autres docteurs, que le degré de prophétie divinement et gratuitement donné à cette sainte est, entre les autres degrés de prophétie, jugé un des plus éminents, ce qui est lorsque le prophète voit, non-seulement les signes des paroles et des actions, mais aussi voit en veillant quelqu’un qui lui parle ou qui lui montre et donne à entendre quelque chose, et principalement si celui-ci apparaît et se représente comme Dieu, d’autant qu’ils disent que le prophète, par ce moyen, s’approche plus de la cause révélée que si celui qui parle se montrait en figure d’homme ou d’ange, selon ce qui est écrit en Isaïe, Chap. VI : J’ai vu le Seigneur assis, etc., et surtout de ce qu’entre toutes les écritures révélées à tous les prophètes, les écrits de cette sainte lui ont été révélés en une manière de les entendre plus claire que les autres écritures aux autres prophètes, d’autant que, comme dit Nicolas de Lyra, au Prologue sur le psautier (et tous les autres docteurs le confirment), le degré de prophétie où l’intelligence est plus claire, est toujours plus excellent, pourvu que d’ailleurs toute autre chose y soit égale.

 

 

VI.

 

Il est ici prouvé par l’Écriture que les visions et révélations de ce livre et des autres de sainte Brigitte ont procédé du Saint-Esprit, et non de l’artifice et piperie de Satan ; et ceci est prouvé par sept signes ou raisons contenues en ce chapitre suivant.

 

D’AUTANT que nous venons de montrer tout présentement à quiconque y prendra soigneusement garde sous quel genre de visions est contenu ce présent livre et tous les autres révélés à sainte Brigitte, il est maintenant temps que nous voyions, par la doctrine des saints, si les visions et révélations de ces livres lui sont venues, ou du Saint-Esprit, ou de l’esprit de mensonge. Je dis donc qu’il y a plusieurs différences par lesquelles on peut clairement discerner la révélation ou vision qui vient du bon esprit, d’avec celle qui vient du mauvais, tant à la qualité de la personne qui a telle vision et aux sentiments intérieurs de son âme, qu’en sa manière de voir et en la matière des visions, examinant et recherchant publiquement à quoi telle vision nous induit et nous pousse.

Or, afin que cette sainte ne fût trompée en cette connaissance et pratique de discerner les visions, elle en fut plusieurs fois instruite et assez clairement informée par des visions et enseignements divins, comme il est porté au Livre céleste, Chap. LIV ; au Livre II, Chap. XIX ; au Livre III, Chap. X. Voyez sept différences entre les visions du bon et du mauvais esprit, qui lui sont assignées par la Vierge, au Livre IV, Chap. XXIII et CX, et au Livre VI, Chap. LXVIII, LXIX et XCII et autres. Et bien que cette grâce, divinement et gratuitement donnée à sainte Brigitte, soit si claire et si manifeste qu’il n’est pas possible qu’elle soit obscurcie, ou tant soit peu ternie par quelque illusion du malin esprit qui eût pu s’y mêler, vu même qu’autrefois en Suède elle fut très-diligemment examinée de ceci par des prélats et hommes spirituels et des docteurs en théologie, et qu’il fut déterminé par eux que cette grâce était divine et venait du Saint-Esprit ; comme aussi derechef à Naples, en la présence de Mgr Bernard, archevêque, et de trois docteurs en théologie et plusieurs autres savants personnages, cette grâce (dont je suis témoin) fut approuvée. Même une révélation, que lors elle leur présenta par l’un des susdits docteurs, fut, par le commandement de la reine et de l’archevêque, publiée et solennellement prêchée en l’église cathédrale devant tout le peuple de la ville, expressément appelé pour ce sujet, ce néanmoins pour une plus abondante satisfaction et contentement de ceux qui pourraient douter de ceci, ce leur semble, avec quelque raison, comme aussi pour clore entièrement la bouche aux médisants et aux calomniateurs.

Je veux prouver, par la doctrine des saints Pères et des docteurs, que ces visions furent divinement infuses et données à la susdite sainte pour l’instruction et le bien de tout le corps de l’Église, et pour la direction de tous les élus, et non pas suggérées par l’esprit de mensonge, ce que je prouve par sept signes ou raisons par lesquelles est discernée la vision du bon Esprit d’avec l’illusion de Satan.

Le premier signe très-certain que la vision soit divine est quand la personne qui voit des visions est vraiment humble et vit sous l’obéissance et discipline continuelle de quelque Père spirituel, discret, vertueux, et a la pratique de la vie spirituelle ; quand elle ne présume point de soi, ne se glorifie, ne se vante, ne désire les louanges humaines et ne cache ses visions, mais vivant avec une vraie humilité, découvre tout aussitôt toutes ses visions et tentations, et les soumet avec humilité à l’examen et au jugement de son Père spirituel ou des autres Pères anciens, et lors reçoit comme approuvé ce qu’ils approuvent, et rejette comme réprouvé ce qu’ils jugent le devoir être, car je dis qu’une telle âme ne peut être trompée. Et de ceci, il y a un texte tout clair dans Cassien, au Livre de la Collation des Pères, en la Collation 2, où il est parlé de ce moine qui fut trompé par le diable qui se présentait à lui en figure d’ange ; et en la même Collation où l’abbé Moïse en parle en ces termes : Aucun, dit-il, ne peut être trompé en façon que ce soit, qui ne vit pas selon son jugement, mais selon l’exemple des plus anciens ; et l’ennemi rusé ne pourra se jouer de l’ignorance de celui qui ne sait ce que c’est de cacher, par une pernicieuse honte, toutes les pensées qui naissent en son cœur, mais les réprouve ou les reçoit, les ayant fait passer par l’examen des plus anciens, car soudain qu’une mauvaise pensée est découverte, elle se flétrit, et avant de l’avoir discernée et jugée, le serpent infernal étant tiré de l’obscur et sombre cachot du silence par la vertu de la confession et manifestation, et étant mis au jour et en évidence, se retire et s’enfuit tout confus, se voyant découvert, car les suggestions ont du pouvoir en nous, et nous commandent aussi longtemps qu’elles demeurent cachées dans le cœur. Jusques ici ce sont les paroles de l’abbé Moïse. Voyez le même un peu plus bas. Comme ainsi soit donc que sainte Brigitte vécut sous l’obéissance spéciale de ses Pères spirituels, sages et vertueux, et qu’elle eut en soi une très-profonde et vraie humilité, et qu’elle soumit humblement toutes ses visions, tentations, et tout ce qu’elle avait à faire, à l’obéissance, à l’examen et au jugement des susdits personnages et autres, je conclus par là, suivant la détermination de ce saint Père Moïse et des autres saints Pères, que tout ce qui lui a été révélé en ses livres est venu du Saint-Esprit, et non de l’esprit malin ; et ce signe est très clair et très-manifeste parmi tous les spirituels, et une doctrine générale pour se garantir de toutes les tentations, suggestions et illusions du diable.

Le deuxième signe d’une vision divine auquel une âme ne peut être trompée, c’est quand au temps où elle voit des visions, elle se sent toute remplir et comme doucement enivrer et enflammer du feu de l’infusion de la charité divine et d’une saveur intérieure de la douceur de l’amour de Dieu, car je dis qu’aucun ne pouvant donner ce qu’il n’a pas, le diable ne peut en aucune manière verser dans l’âme cette douceur intime de charité et d’amour, d’autant qu’il ne l’a pas : c’est pourquoi je conclus que celui qui opère ces merveilles en l’âme, c’est Dieu, principalement si l’âme est lors fortifiée et toute remplie de la lumière d’une ferme créance, d’un respect à la foi catholique et d’une obéissance envers la sainte Église, comme il est porté au Livre IV des célestes Révélations, Chap. LXXVIII. Ceci même se prouve fort bien par les paroles d’Hugues de Saint-Victor, au Soliloque de l’arrhe de l’âme, où l’âme lui parle en ces termes : Répondez, je vous prie, à cette dernière demande : qu’est-ce que cette douceur dont le souvenir a coutume de me toucher si fort au cœur, et avec une telle véhémence et suavité que je commence à être toute mise hors de moi-même et tirée je ne sais où ? Je suis soudainement changée : je commence à bien être plus que je ne saurais dire. Ma conscience se réjouit, perd le souvenir des douleurs passées ; mon cœur tressaille d’aise ; mon entendement s’éclaircit ; mon esprit est illuminé ; mes désirs sont remplis de joie, etc. À cette demande de l’âme, Hugues répond en ces termes : Vraiment, c’est ton bien-aimé qui te visite, c’est-à-dire, Dieu. Saint Antoine dit la même chose, montrant à ses disciples la manière de discerner les visions bonnes et saintes des illusions, comme il se peut voir en la Vie des Pères, au Livre I, en la légende de saint Antoine. Saint Grégoire aussi, Livre XXVIII de ses Morales, Chap. II, dit que quand Dieu parle par soi-même à l’âme, la seule force de l’inspiration intérieure se découvre en nous, d’autant que la vertu d’icelle se connaît par une intime et très-douce élévation, etc. Voyez plus clairement ceci au Livre IV des Révélations célestes, Chap. LXXVIII, et au Livre VII, Chap. IV, et ailleurs en plusieurs endroits, de tous lesquels se tire une preuve que toutes les choses révélées à sainte Brigitte, contenues en ces livres, ne lui ont pas été suggérées par le malin esprit, mais par l’Esprit plein de douceur et le Dieu de toute consolation, comme il appert par les passages cotés ci-dessus, et par les sentiments pleins de consolation qu’elle avait au temps où elle voyait des visions et où elle oyait ce divin parler.

Le troisième signe par lequel on discerne la vision divine d’avec l’illusion du diable, c’est quand l’âme, étant en vision, soit corporelle, soit imaginaire et spirituelle, sent une influence d’une lumière surnaturelle et intellectuelle, et d’une vérité intelligible, et comprend lors la vraie signification de ces visions et paroles, et que son entendement est ouvert, la vérité de cette matière lui étant lors montrée et manifestée ; car cette influence d’une lumière surnaturelle et intellectuelle dans l’âme, soit qu’auparavant il ait précédé une vision corporelle ou imaginaire, soit qu’il n’en ait point précédé, ne peut jamais provenir du diable, mais de Dieu seul, comme dit saint Thomas en sa 2. 2., traitant de la prophétie, en la Quest. 78 : Les démons, dit-il, manifestent aux hommes ce qu’ils savent, non par une illumination de leur entendement, mais par quelque vision imaginaire, ou bien parlant sensiblement, sans toutefois éclairer leur entendement. Et en ceci manque et est différente cette prophétie de la véritable. Saint Augustin aussi, au Livre XII sur la Genèse, à la lettre : L’âme, dit-il, est abusée et trompée en la vision corporelle, etc., et il ajoute peu après : En la vision spirituelle ou imaginaire, c’est-à-dire, ès semblance des corps qu’on voit en esprit, l’âme est aussi trompée, lorsqu’elle pense que les choses qu’elle voit ainsi sont les corps mêmes, etc. Et un peu plus bas : Et si, dit-il, on voit les choses à venir, en sorte qu’on connaisse que ce sont choses à venir dont on juge les images présentes, soit que ce soit par une assistance divine et par l’entremise de quelqu’un qui expose ce qu’elles signifient, comme il était exposé et déclaré en l’Apocalypse de saint Jean, c’est une grande révélation, bien que peut-être celui à qui telles choses sont montrées ne sache s’il est dans son corps, ou dehors, et qu’il les voie, son esprit étant retiré et aliéné de ses sens. Jusques ici saint Augustin.

Mais on peut demander en ceci quelle différence il y a entre la révélation qui se fait comme par feinte à l’entendement humain, ou par illusion en l’imagination et esprit de l’homme, et celle qui se fait divinement par une vision intellectuelle. Je réponds après saint Thomas en sa 2. 2. q. 173. art. 2, que la prophétie ou révélation qui se fait selon l’imagination et le jugement de l’entendement humain, se fait selon la force de la lumière naturelle et intellectuelle. Mais par le don de la prophétie divine, l’entendement humain reçoit quelque chose au-dessus de ce qui appartient à la faculté naturelle pour l’un et pour l’autre chef, savoir, pour le jugement par l’influence de la lumière intellectuelle et pour la représentation des choses, qui se fait par quelques espèces. Et quant à ce deuxième chef, la révélation diabolique ou feinte par l’esprit humain peut être semblable à la prophétie et révélation divine, mais non pas quant au premier. Jusqu’ici saint Thomas. Desquelles paroles il appert que lorsque la lumière intellectuelle, surnaturelle, est infuse en l’âme, soit qu’elle soit en vision imaginaire ou qu’elle n’y soit pas, ne peut procéder du diable, mais de Dieu. Donc, puisque cette sainte a toujours, en ses visions, reçu cette influence d’une lumière intellectuelle et surnaturelle, et qu’en icelle il y a eu toujours quelqu’un qui les lui exposa, comme Notre Seigneur, sa Mère, un ange ou quelque saint, qui lui déclaraient et exposaient ces semblances et ces paroles dites en figure, et qui lui montraient la vraie signification de ces visions, comme il appert dans ses livres, il suit de là que toutes ses révélations et ses livres sont venus de Dieu, qui peut faire ce que nous venons maintenant de dire, non de Satan, auquel cela est impossible, comme il appert par la doctrine de saint Augustin et de saint Thomas ci-dessus alléguée, en laquelle tous les saints Pères s’accordent.

Le quatrième signe par lequel on reconnaît la différence qu’il y a entre la vision ou la révélation divine et l’illusion diabolique, c’est quand le prophète ou le voyant prédit toujours choses véritables, parle des mystères et enseignements catholiques, et des mœurs honnêtes et vertueuses. Et ce sont des signes que telles visions viennent de Dieu, d’autant que le diable, en ses illusions, quelquefois dit des choses vraies pour tromper, et quelquefois de fausses ; mais le St-Esprit ne prédit jamais chose fausse, mais toujours vraie, ce que saint Thomas prouve clairement au lieu préallégué, disant : En quelques signes, voire même extérieurs, la prophétie des démons peut être discernée d’avec la prophétie divine, d’où saint Jean Chrysostome, sur saint Matthieu, dit que les devins prophétisent en l’esprit de Satan. Mais on le discerne en ce que Satan dit quelquefois des choses fausses, mais le Saint Esprit, jamais. D’où il est dit, au Chap. XVIII du Deutéronome : Si vous me répondez en votre âme : Comment puis-je entendre la parole que le Seigneur n’a point dite ? vous en aurez ce signe que ce que le prophète aura prédit au nom du Seigneur, et toutefois ne sera pas arrivé, le Seigneur n’en a point parlé, etc. Saint Augustin aussi, au Livre XII sur la Genèse, à la lettre, dit que quand quelques personnes, étant tombées en extase et élévation d’esprit, voient quelques signes ou images des corps en vision imaginaire ou spirituelle, si le malin esprit les prend en ce point, il les fait ou démoniaques, ou arreptices, ou faux prophètes. Mais quand c’est le bon Esprit, il les fait fidèlement parler des mystères, ou, par le surcroît de l’intelligence de la lumière divine, les rend vrais prophètes, ou leur fait voir pour un temps et raconter ce qui doit être montré par eux. Jusques ici saint Augustin. Or, comme ainsi soit que cette bienheureuse n’a jamais prédit que des choses véritables, pourvu qu’elles soient bien entendues ; qu’elle n’a dit en ses livres mensonge aucun, ou chose fausse, déshonnête et non catholique, mais toutes choses vraies et qui confirment la foi catholique et condamnent les hérétiques ; qu’elle a toujours traité des vertus, comme il appert en ce livre et aux autres à elle révélés, de là on conclut clairement que tout lui a été infus et montré par la grâce de Dieu, et non par illusion diabolique.

Le cinquième signe par lequel se discernent les visions venant du bon Esprit ou du malin, ce sont les fruits et les œuvres qui procèdent de ces visions ou révélations, parce que, selon l’Évangile, un mauvais arbre ne peut pas faire de bons fruits, et vous les reconnaîtrez par leurs fruits, car la prophétie a été ordonnée et donnée aux hommes par une grande miséricorde de Dieu, pour la direction des actions humaines, pour servir de guide en ce qui est à faire, ou pour la révélation des mystères : donnée, dis-je, comme une lumière divine, par laquelle les hommes fussent conduits et instruits, tant en la connaissance de la foi qu’en toutes les œuvres et actions vertueuses, selon qu’il était expédient pour le salut des élus. Et la prophétie a été toujours saintement diversifiée selon la diversité des temps et des affaires, comme dit saint Thomas en sa 2. 2. traitant de la prophétie ; car il est dit aux Proverbes 29 : Quand la prophétie aura manqué, lors le peuple sera dissipé. C’est pourquoi, quand nous voyons que, par telles visions ou révélations, l’entendement de celui qui les voit est éclairé, sa vie corrigée, que les hommes vicieux s’en convertissent, et abandonnant le vice, embrassent une vie vertueuse et religieuse, de la guerre et de la haine viennent à la paix et à l’amour, de la superbe et de la rébellion à l’humilité et à l’obéissance, et du mal au bien, et que cela arrive à plusieurs et persévère longtemps, lors c’est un signe très-certain que les visions et révélations qui ont produit tel fruit, ont procédé du Saint-Esprit, non du diable, des visions ou plutôt des illusions duquel on voit procéder tout le contraire ; car elles ont accoutumé de faire fourvoyer l’homme de la foi catholique, des bonnes mœurs, de la doctrine saine et entière, de l’obéissance et subjection dues aux prélats, à l’Écriture et à l’Église. Comme ainsi soit donc que des visions et révélations de sainte Brigitte contenues en ces livres, aient toujours procédé les fruits qui sont de Dieu, savoir, sa vertu et pureté de mœurs, la conversion et amendement du prochain, la révélation des mystères, la confirmation de la foi, la condamnation des hérétiques, la répréhension des vices et la vraie prophétie des choses à venir, toutes lesquelles choses se voient clairement en tous ses livres et sont connues en divers quartiers du monde, par l’expérience de plusieurs personnes : à cette cause, on conclut nécessairement que tous ces fleuves et toutes ces eaux vives ont pris leur source de la très-pure et claire fontaine du Saint-Esprit, non du lac croupissant, impur et infect de l’illusion, afin qu’en ce temps obscurci par les ténèbres du vice, les hommes fussent instruits et comme conduits par la main à ce qu’ils doivent faire, par cette sainte doctrine, et qu’évitant par ce moyen la terrible et rigoureuse justice de Dieu contenue en ces livres, ils se jetassent entre les bras de la miséricorde et de la bonté.

Le sixième signe que ces visions soient de Dieu, et non du malin esprit, c’est la fin louable et vertueuse de la personne qui les a eues ; car il faut savoir que quand quelques personnes ont demeuré longtemps trompées par ces illusions en apparence de lumière, le diable leur montrant beaucoup de choses vraies, pour les tromper en une seule fausse, nous trouvons dans les saints Pères que, presque toujours, ces personnes, ainsi abusées, ont été étouffées par le diable, et sont mortes en quelque erreur, ou d’une mauvaise mort, ou soudaine, ou sans recevoir les sacrements à la fin. Et Dieu a voulu découvrir toujours ceci aux autres, afin de leur enseigner à se prendre garde de semblables illusions feintes et colorées. Mais ès saints qui ont été consolés et illuminés en leur vie par des visions divines, Dieu a toujours fait le contraire en leur mort, et parce qu’en leur vie, les protégeant toujours, il les a conduits et ornés de plusieurs vertus et miracles en la mort, aussi par une grâce singulière, il les a rendus célèbres, leur donnant en cette manière son jugement d’approbation, comme il appert en saint Jean l’Évangéliste et en plusieurs autres, et même en cette sainte et bienheureuse épouse de Jésus-Christ : car elle fut prévenue d’une merveilleuse grâce d’en haut, d’autant que, de degré en degré, elle monta des choses les plus basses aux plus hautes ; car elle fut sublime en son humilité, vive et rigoureuse en sa mortification, prudente en sa simplicité, et remarquable par-dessus le commun en ses bonnes mœurs : à cause de quoi Notre-Seigneur l’enrichit en sa vie de merveilleuses grâces surnaturelles, l’orna de visions et de paroles divines pour le bien et l’utilité de l’Église séraphique ; même, à la fin de ses jours, il lui prédit sa mort, et à son trépas, pour marque d’approbation, se faisant voir à elle des yeux du corps, non sans une singulière consolation, il reçut son âme aux noces célestes, l’embrassant avec affection et suavité, comme sa chère épouse. Vous verrez ceci clairement au dernier Livre céleste, Chapitre dernier, et en la légende de sa vie : car par une telle approbation, Dieu voulut comme apposer son sceau, et rendre authentique, pour le bien de l’Église et de tous les fidèles, l’écriture de ses livres révélés à sa chère épouse, d’autant que, étant apparu à elle tant de fois durant sa vie par une vision prophétique, spirituelle et intellectuelle, lui prédisant la mort avant son trépas, il se montra à elle, par une vision plus que prophétique, savoir, corporelle.

Le septième signe des visions qui viennent du Saint-Esprit est la gloire et l’éclat des miracles après la mort de la personne qui a vu des visions : car il n’est pas raisonnable que celui qui est trompé toute sa vie par les illusions du diable soit, après sa mort, rendu célèbre par des miracles divins. Et parce que cette très-digne épouse de Jésus-Christ ne fut pas trompée en ses visions par le diable durant sa vie, après sa mort, Notre-Seigneur la clarifia par plusieurs grands miracles, savoir, par la résurrection de plusieurs morts, par la guérison de nombre d’aveugles, de sourds, et d’une infinité d’autres malades de diverses maladies, afin que celle qu’il avait rendue illustre en sa vie, il nous la montrât encore plus signalée après sa mort, toutes lesquelles choses sont tellement connues et manifestes, si bien prouvées par titres authentiques et tellement divulguées au royaume de Suède qu’à Rome et en Sicile, et en plusieurs autres parties du monde, où, pour la révérence de son nom et de sa mémoire, on trouve son image peinte par les fidèles en plusieurs églises, qu’elles n’ont point besoin d’autre preuve, et ne peuvent être ou cachées ou mises en doute. C’est aussi ce qui doit préparer l’esprit de tous ceux qui lisent ces révélations à les croire plus facilement, voyant que tous les discours et tant de grands miracles compris dans icelles ne prêchent autre foi que celle que Jésus-Christ a prêchée. Elles ne nous mettent pas en avant un nouveau Jésus-Christ, ou antéchrist, mais nous avertissent de croire, craindre et aimer avec plus de ferveur celui-là même qui a souffert pour nous sur l’arbre de la croix. Elles ne diminuent ou n’ajoutent rien à la vérité qui est en Jésus-Christ. Sa miséricorde et sa justice se montrent pour l’avancement de notre salut plus clairement en ses livres qu’en ceux des autres prophètes, car les paroles célestes de ces présents livres nous enseignent à craindre Dieu comme il faut, à l’aimer pieusement, et à désirer sagement les choses célestes.

Vous donc qui lisez ces choses, approuvez-les, et si vous trouvez le contraire, contredisez-y hardiment. Arrière donc le soupçon téméraire de l’esprit trompeur ! Arrière la superbe détraction et l’envie du jugement téméraire ! et qu’on fasse place à la gloire et à la grâce de Dieu, lesquelles on reconnaît être d’autant plus grandes que plus elles semblent incroyables à notre peu de foi et à notre ignorance. Donc, rendons grâces au Père des miséricordes et au Dieu de toute consolation, qui, parmi le nombre infini des misères du monde déjà caduc, va au-devant des misérables par tant de miséricordes, afin qu’ils ne tombent au gouffre du désespoir.

 

 

VII.

 

Courte récapitulation de tout ce qui a été dit ci-devant.

 

RÉCAPITULANT donc la susdite manière de faire l’examen des personnes qui voient des visions et des révélations, je dis brièvement que la personne qui, en cet examen, se trouve humble, et principalement si elle vit sous l’obéissance continuelle d’un Père spirituel, à la discrétion duquel elle soumette tout, et que son entendement, ravi en extase en l’oraison, sente une singulière douceur de l’amour divin, et lorsqu’elle est en la vision imaginaire ou en la seule simple intellectuelle, qu’elle sent une influence de la surnaturelle, intellectuelle lumière de la vérité divine, et que lors la vérité de cette matière lui est manifestée, et que toujours, en ses visions, elle prédit choses véritables, et que de ses visions procède toujours le fruit de l’édification et amendement, tant de soi-même que du prochain : je dis que telle personne n’est point abusée et trompée par le diable, et que ses visions ne sont point illusoires et à mépriser, au contraire, qu’elles sont entièrement divines, et comme telles, doivent être humblement reçues de la main de Dieu, y ajoutant foi, leur obéissant en toute manière, et les mettant en exécution, comme il appert de toutes les choses susdites et de la doctrine de tous les docteurs et saints Pères, qui tous traitent amplement de cette matière.

 

 

VIII.

 

Prologue du Livre de l’Empereur céleste aux rois et aux princes, où ils sont avertis de recevoir dévotement ce livre, comme venant de la main de Dieu, et de suivre par effet cette doctrine.

 

VENANT à la matière de ce livre, il porte le titre de L’EMPEREUR CÉLESTE ENVOYÉ AUX ROIS, d’autant qu’il fut divinement révélé par la vision spirituelle et intellectuelle à la bienheureuse Brigitte, autrefois sérénissime princesse de Néricie en Suède, laquelle, comme j’ai dit ci-dessus, était née de l’illustre race des rois des Goths. Il était en effet raisonnable que celle que l’Empereur Jésus Christ prenait pour son épouse, et qu’il envoyait quasi comme en qualité d’apôtre avec ses paroles évangéliques aux empereurs et aux rois, fût de race royale et de nation illustre.

Et afin que toutes les révélations qui concernaient les rois et les empereurs fussent mises en un livre, nous les avons tirées du jardin spacieux du livre céleste, compris en sept livres, et les prenant comme des fleurs pour faire une nouvelle couronne royale, et les assemblant avec d’autres prises ailleurs, nous les avons toutes amassées dans ce livre : car bienheureux est celui qui lit et qui oit les paroles de la prophétie de ce livre, et garde ce qui est écrit en icelui, car le temps est proche !

Vous donc, ô empereurs, rois, reines, princes, princesses, abaissez vos têtes devant Dieu, c’est-à-dire, humiliez vos esprits superbes, pleins d’ambition et de vains désirs. Recevez humblement cette précieuse, céleste et royale couronne, de la main d’une si royale et si belle épouse de Jésus-Christ, c’est-à-dire, la sainte doctrine du présent livre qui traite avec quel habit et à quels jours les rois doivent porter la couronne, comme aussi quelle vie honnête et dévote ils doivent mener ; quelles doivent être les reines, leurs femmes ; quels hommes les rois doivent prendre et tenir auprès d’eux pour conseillers ; quels ils doivent éloigner et chasser d’auprès de leur personne ; comment ils doivent créer des chevaliers, et comment traiter la noblesse, le peuple et tous leurs sujets ; comment ils doivent régir leur royaume, avancer, conserver et maintenir le bien public ; en quelle manière, savoir est, discrète, juste et méritoire, ils doivent marcher contre les infidèles et leur faire la guerre. Enfin il leur est montré en ce livre un glaive à deux tranchants sortant de la bouche de celui qui est assis sur le trône, c’est-à-dire, la terrible justice de Dieu sur quelques rois qui, pour leurs péchés, ont été en leur vie prives de leur état, et tués par le glaive de la divine justice, mourant d’une mauvaise mort et pleine d’opprobres, et sur quelques autres après leur mort, les âmes desquels cette épouse de Jésus-Christ voyait au jugement divin jugées d’une épouvantable et rigoureuse façon, et après condamnées : afin de montrer aux rois d’à présent combien aigu et tranchant est ce glaive divin qui, d’un côté, punit quelques-uns, en l’honneur et en la vie, par l’humiliation et la mort ; de l’autre, bien plus affilé, après la mort, les punit en leur âme par peines horribles et par la damnation éternelle, et afin qu’ils sachent que, devant Dieu, il n’y a point acception de personnes, et qu’ils entendent combien rigoureux est le jugement divin qui les attend avant et après la mort, et combien et en quelle manière ils doivent craindre Dieu en tout ce qu’ils ont à faire : c’est pourquoi, ô rois, entendez maintenant, et de ces choses instruisez-vous, vous qui jugez la terre. Servez le Seigneur avec crainte, et réjouissez-vous en lui avec tremblement. Prenez, je vous prie, humblement cette doctrine et discipline, de peur que le Seigneur n’entre enfin en colère, d’autant que quand sa colère se sera bientôt allumée, bienheureux tous ceux qui, avec un cœur pur et des œuvres justes, auront espéré en lui, qui est le roi des rois et le Seigneur des seigneurs, par tous les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.

 

 

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LES

 

RÉVÉLATIONS CÉLESTES

 

DE

 

SAINTE BRIGITTE

 

DE SUÈDE.

 

 

 

LIVRE I.

 

Notre-Seigneur Jésus-Christ parle à son épouse bien-aimée.

 

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I.

 

Comment Notre-Seigneur Jésus-Christ certifie sa très-excellente incarnation ; en quelle manière il improuve ceux qui profanent et faussent la foi et le baptême, et en quelle sorte il invite son épouse bien-aimée à le chérir.

 

JE suis le Créateur du ciel et de la terre, un en déité avec le Père et le Saint-Esprit. Je suis celui qui parlait aux patriarches et aux prophètes et celui qu’ils attendaient. C’est pour accomplir leurs désirs, selon ma promesse, que j’ai pris la chair humaine sans péché ni concupiscence, entrant dans les entrailles de la Vierge comme un soleil resplendissant passe par la vitre pure et transparente. En effet, comme le soleil, en passant par la vitre, ne l’offense pas, de même la virginité de Marie n’a été ni lésée ni offensée, quand j’ai pris d’elle mon humanité. Or, j’ai pris l’humanité de telle sorte que je n’ai pas laissé la Divinité.

Et bien que je fusse dans le ventre de la Vierge avec l’humanité, je n’étais pas moindre en déité avec le Père et le Saint-Esprit, conduisant et emplissant toutes choses, d’autant que, comme la splendeur ne se sépare jamais du feu, de même ma déité ne s’est jamais séparée de l’humanité, pas même dans la mort. D’ailleurs, j’ai voulu que mon corps, pur de tout péché, fût déchiré pour les péchés de tous, depuis la plante des pieds jusqu’au sommet de la tête, et qu’il fût attaché et cloué sur la croix. Certes, il est maintenant immolé tous les jours sur l’autel, afin que l’homme m’aime davantage, et se ressouvienne plus souvent des bienfaits et des faveurs dont je l’ai comblé. Mais maintenant, je suis oublié de tous, négligé, méprisé, et chassé de mon propre royaume comme un roi à la place duquel le larron pernicieux (le diable) est élevé et honoré. Enfin, j’ai voulu que mon royaume fût en l’homme, et je devais à bon droit être son roi et son Seigneur, puisque je l’avais créé et racheté. Or, maintenant, il a enfreint et profané la foi qu’il m’avait promise au baptême, violé et méprisé les lois que je lui avais données ; il aime sa propre volonté et dédaigne de m’ouïr ; en outre, il exalte le diable, ce pernicieux larron, et il lui a donné sa foi. Il est vraiment larron, attendu qu’il me ravit, par ses suggestions mauvaises et par ses fausses promesses, l’âme que j’avais rachetée de mon sang. Il ne me la ravit pas parce qu’il est plus puissant que moi, puisque je suis tellement puissant que je puis tout par ma parole, et je suis si juste que, quand bien même tous les saints me supplieraient, je ne ferais rien qui serait tant soit peu contraire à ma justice ; mais il me la ravit d’autant que l’homme, doué du libre arbitre, cède au diable, ayant méprisé mes commandements : il est donc juste et raisonnable que l’homme expérimente sa tyrannie. Car le diable a été créé bon par moi ; mais tombant par sa mauvaise volonté, il m’est comme serviteur pour la vengeance des méchants. Or, bien que je sois si méprisé maintenant, néanmoins, je suis si miséricordieux, que quiconque demandera ma miséricorde et s’humiliera, je lui pardonnerai tout ce qu’il aura commis, et l’affranchirai et le délivrerai de ce larron pernicieux ; mais celui qui persistera à me mépriser, je le visiterai en ma justice, de telle sorte qu’il tremblera de peur à ma voix ; et quiconque l’expérimentera dira : Malheur ! pourquoi ai-je donc provoqué la Majesté divine à l’ire et à l’indignation ?

Or, vous, ma fille, que j’ai choisie pour moi, et avec qui je parle de mon Esprit, aimez-moi de tout votre cœur, non pas comme un fils ou une fille, ou bien comme les parents aiment leurs enfants, mais plus que tout ce qui est au monde ; car moi, qui vous ai créée, je n’ai pardonné à aucun de mes membres pour l’amour de vous, et j’aime tellement votre âme que j’aimerais mieux encore être crucifié une autre fois, si c’était possible, que de m’en priver. Imitez mon humilité ; car moi, qui suis le roi de gloire et le roi des anges, j’ai été revêtu de vieux haillons et attaché nu à la colonne. J’entendis tous les opprobres, toutes les calomnies qu’on vomissait contre moi. Préférez ma volonté à la vôtre, car ma Mère, votre Dame, depuis le commencement de sa vie jusqu’à la fin, n’a jamais fait autre chose que ce que je voulais. Si vous faites cela, votre cœur sera dans mon cœur et sera enflammé de mon amour ; et comme ce qui est sec et aride est facilement enflammé par le feu, de même votre âme sera remplie par moi, et je serai en vous, de sorte que toutes les choses temporelles vous seront amères, et toute volupté charnelle vous sera comme un poison. Vous vous reposerez dans les bras de ma Divinité, où il n’y a aucune volupté charnelle, mais où il y a joie et délectation d’esprit ; car l’âme qui se remplit de joie intérieurement et extérieurement, ne pense ni ne désire autre chose que la joie dont elle tressaille. Aimez-moi donc tout seul, et vous aurez à foison tout ce que vous voudrez. Eh quoi ! n’est-il pas écrit que l’huile de la veuve ne défaillit point ? que Notre-Seigneur a donné de la pluie à la terre, selon la parole du Prophète. Or, je suis le vrai Prophète. Si vous croyez à mes paroles et les accomplissez, l’huile, la joie, l’exultation ne vous manqueront jamais.

 

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II.

 

Notre-Seigneur Jésus-Christ parle à sa fille prise maintenant pour épouse. Il traite des vrais articles de la foi, et quels sont les ornements, les signes et les volontés que l’épouse doit avoir en comparaison de l’Époux.

 

JE suis le Créateur du ciel, de la terre et de la mer, et de tout ce qui y est renfermé, un Dieu avec le Père et le Saint-Esprit (ego et Pater unum sumus. Joan. 10.30), non pas comme on disait autrefois, dieux de pierre ou d’or, mais un Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit ; trine en personnes et un en substance ; créant toutes choses et n’étant créé par aucune ; immuable et tout puissant ; étant sans principe et sans fin. Je suis celui qui est né de la Vierge, sans perdre ma Divinité, mais l’associant à l’humanité, afin qu’en une seule personne je fusse vrai Fils de la Vierge. Je suis celui qui a été suspendu à la croix, mort et enseveli sans altération de ma Divinité ; car bien que je fusse mort en l’humanité et en la chair que j’avais seul prise, je vivais néanmoins en la Divinité, en laquelle j’étais un avec le Père et le Saint-Esprit. Je suis celui qui est ressuscité des morts, qui est monté au ciel, et qui vous parle maintenant avec mon Esprit. Je vous ai choisie et prise pour mon épouse, afin de vous manifester mes secrets, car cela me plaît ainsi. Vous m’appartenez aussi par quelque droit, puis qu’en la mort de votre mari, vous avez résigné votre volonté en mes mains, vu que, même après son décès, vous avez pensé et m’avez demandé avec prière comment vous pourriez être pauvre, et vous avez voulu tout laisser pour l’amour de moi. C’est pourquoi vous m’appartenez de droit. Il a fallu que, pour un si grand amour, j’aie en soin de vous ; et partant, je vous prends en épouse et pour mon propre plaisir, tel que Dieu doit le prendre avec une âme chaste. L’épouse doit donc être prête lorsque l’époux voudra solenniser les noces, afin qu’elle soit décemment enrichie, ornée et purifiée. Vous vous purifiez, lorsque vous pensez incessamment à vos péchés ; lorsque vous pensez comment, dans le baptême, je vous ai purifiée du péché d’Adam ; combien de fois, étant tombée dans le péché, je vous ai supportée et soutenue. L’épouse doit aussi avoir sur sa poitrine les signes et les livrées de son époux, c’est-à-dire, vous devez faire attention aux bienfaits dont je vous ai comblée, aux œuvres que j’ai faites pour vous, savoir : combien noblement je vous ai créée en vous donnant un corps et une âme ; combien éminemment je vous ai douée, en vous donnant la santé et les choses temporelles ; combien doucement je vous ai ramenée, quand je suis mort pour vous et vous ai rendu l’héritage, si vous le voulez avoir. L’épouse doit aussi faire la volonté de son époux. Quelle est ma volonté, si ce n’est que vous m’aimiez par-dessus toutes choses et ne désiriez autre chose que moi ? J’ai créé toutes choses pour l’amour de l’homme, et je les lui ai toutes assujetties : mais lui, il aime toutes choses, excepté moi, et il ne hait que moi. J’ai de nouveau racheté l’héritage qu’il avait perdu ; mais l’homme est tellement aliéné de sens et de raison qu’il aime mieux cet honneur passager, qui n’est qu’écume de mer, qui monte en un moment comme une montagne, et est soudain réduit à rien, que l’honneur éternel, où est le bien sans fin.

Or, vous, mon épouse, si vous ne désirez que moi ; si vous méprisez tout pour l’amour de moi, non-seulement je vous donnerai en douce et précieuse récompense des enfants et des parents, mais aussi des richesses et des honneurs, non pas l’or et l’argent, mais moi-même, moi qui suis roi de gloire, je me donnerai à vous en époux et en prix. Si vous avez honte d’être pauvre et d’être méprisée, considérez que moi, votre Dieu, vous ai précédée en cela, car mes serviteurs et mes amis m’ont laissé en terre, d’autant que je n’ai pas recherché les amis de la terre, mais du ciel. Que si vous craignez le faix du labeur et de l’infirmité, considérez combien il est douloureux de brûler dans le feu. Que mériteriez-vous, si vous aviez offensé quelque seigneur temporel comme vous m’avez offensé ? Car bien que je vous aime de tout mon cœur, néanmoins je ne porte pas la moindre atteinte à ma justice : comme vous m’avez offensé en tous vos membres, en tous vous y satisferez. Cependant, pour la bonne volonté et pour les propos qu’on fait de s’amender, je change ma justice en ma miséricorde, remettant, pour un petit amendement, les plus cuisants supplices.

Embrassez donc franchement un petit labeur, afin qu’étant purifiée, vous obteniez plus tôt une grande récompense ; car il est raisonnable que l’épouse souffre et travaille avec l’époux, afin que plus fidèlement elle se repose avec lui.

 

 

III.

 

Paroles de Notre-Seigneur Jésus-Christ à son épouse touchant la doctrine de l’amour, et de l’humeur de l’épouse envers son époux. De la haine des méchants contre Dieu et de la dilection du monde.

 

JE suis votre Dieu et le Seigneur que vous honorez. Je suis celui qui, par sa puissance, soutient le ciel et la terre, et qui n’est soutenu par aucun appui ni par aucunes colonnes. Je suis celui qui, sous les espèces du pain et du vin, vrai Dieu et vrai homme, est immolé tous les jours. Je suis le même qui vous ai choisie. Honorez mon Père ; aimez-moi ; obéissez à mon Esprit ; déférez à ma Mère un grand honneur comme à votre Dame. Honorez tous mes saints ; gardez la foi droite que vous enseignera celui qui a éprouvé en soi le conflit de la vérité et de la fausseté, et qui a vaincu par mon secours. Gardez mon humilité vraie. Quelle est l’humilité vraie, si ce n’est se manifester tel qu’on est, et louer Dieu des biens qu’il nous a donnés ?

Mais maintenant, plusieurs me haïssent et réputent mes œuvres et mes paroles à douleur et à vanité, et ils embrassent et aiment l’adultère, le diable ; car tout ce qu’ils font pour moi, ils le font avec murmure et amertume, et ils ne confesseraient pas mon nom, s’ils n’étaient pas confondus par la crainte des hommes. Or, ils aiment si sincèrement le monde, que le labeur et les peines qu’il leur donne ne les lassent jamais, et qu’ils sont toujours plus fervents en son amour. Leur service me plaît ni plus ni moins que si quelqu’un donnait de l’argent à son ennemi pour faire tuer son propre fils. Ceux-ci font la même chose, car ils donnent une petite aumône, et m’honorent seulement de leurs lèvres, afin que la prospérité mondaine leur soit favorable, et qu’ils jouissent des honneurs et des voluptés. De là vient que leur esprit est mort pour le profit et l’avancement du vrai bien. Or, si vous me voulez aimer de tout votre cœur et ne désirer rien que moi, je vous attirerai à moi par la charité, comme l’aimant attire le fer ; et je vous placerai en la force de mon bras, qui est si puissant qu’aucun ne le peut étendre, si ferme que quand il est étendu, aucun ne le peut plier ni courber ; il est encore si doux qu’il surpasse toutes les choses aromatiques, et n’entre pas en comparaison avec les délectations du monde, parce qu’il les surpasse toutes.

 

 

IV.

 

Paroles de Notre-Seigneur Jésus-Christ à son épouse, par lesquelles il lui dit qu’elle ne doit craindre rien de ce qui lui a été révélé, ni penser que ce soit du malin esprit. Il dit aussi de quelle manière on peut connaître le bon et le mauvais esprit.

 

JE suis votre Créateur et votre Rédempteur. Pourquoi avez-vous eu crainte de mes paroles, et pourquoi avez-vous réfléchi, pour savoir si elles étaient du bon ou du mauvais esprit ? Dites-moi, qu’avez-vous trouvé en mes paroles que la conscience ne vous ait pas dicté de faire ? Où vous ai-je commandé quelque chose contre la raison ?

À cela sainte Brigitte, épouse, répondit : Non ; mais toutes ces choses sont vraies, et je me suis malheureusement trompée.

L’Esprit, ou bien l’époux, répondit : Je vous ai commandé trois choses par lesquelles vous puissiez connaître le bon esprit : 1° je vous ai commandé d’honorer Dieu, qui vous a créée et qui vous a donné tout ce que vous avez. La raison vous dicte que vous l’honoriez par-dessus tout. 2° Je vous ai commandé de tenir une foi droite, savoir, que sans Dieu il n’y aurait rien de fait, et que, sans lui, rien ne peut être fait. 3° Je vous ai commandé aussi d’aimer la juste et raisonnable continence en toutes choses, car le monde a été fait pour l’homme afin qu’il en usât à sa nécessité, de sorte aussi que, par les trois choses contraires à celles-ci, vous pouvez connaître l’esprit immonde, car le diable vous pousse à la recherche de votre propre louange et à vous enorgueillir de ce qui vous est donné. Il vous pousse aussi à la perfidie et à la déloyauté ; il vous enflamme aussi d’incontinence tous les membres, et embrase le cœur de la concupiscence de toutes choses. Il déçoit parfois sous prétexte de bien. C’est pourquoi je vous ai commandé d’examiner tous les jours votre conscience et de la découvrir à ceux qui sont sages et spirituels. Partant, ne doutez plus que le bon Esprit ne soit avec vous, quand vous ne désirerez que Dieu et que vous serez tout enflammée de son amour. Je puis seul faire cela, et il est impossible que le diable s’approche de vous ; même aucun mal ne peut s’approcher de l’homme sans que je le permette, ou à cause de ses péchés, ou bien pour quelque occulte jugement connu de moi seul, car il est ma créature, comme tout le reste, et je l’ai fait bon ; mais il est mauvais par sa malice, et c’est pourquoi je suis Seigneur sur lui. Partant, plusieurs m’imputent à faute, disant que ceux qui me servent avec grande dévotion, sont fous et possédés du démon. Ils me font semblable à l’homme qui, ayant une femme chaste qui se confie en son mari, l’expose à un adultère. J’en ferais de même, si je permettais qu’un homme juste et qui m’aime, fût donné au diable. Mais parce que je suis fidèle, le diable ne dominera en rien l’âme qui me sert fidèlement et dévotement. Or, bien que quelquefois mes amis semblent des fous, cela n’arrive pas pourtant par l’instigation du diable, ni parce qu’ils me servent avec une fervente dévotion, mais bien, ou par la faiblesse du cerveau des hommes, ou pour quelque sujet occulte et secret qui sert à les humilier. Il se peut faire aussi parfois que je donne puissance au diable sur la chair des hommes justes, pour leurs plus grandes récompenses, ou bien qu’il obscurcisse leurs consciences ; mais dans les âmes de ceux qui ont la foi et la dilection envers moi, il n’a ni domination ni pouvoir.

 

 

V.

 

Paroles d’un très-grand amour adressées à l’épouse de Jésus-Christ, en la figure admirable d’un camp bien rangé, par lequel l’Église militante est désignée. Comment, par les prières de la bienheureuse Vierge et des saints, l’Église de Dieu est encore réédifiée.

 

JE suis le Créateur de toutes choses. Je suis le roi de gloire et le Seigneur des anges. Je me suis fait un noble camp où j’ai mis mes élus. Mes ennemis ont percé le fondement de ce camp, et ils ont tellement prévalu sur mes amis, qu’ils ont fait sortir la moelle de leurs pieds liés et attachés à la colonne. Leur bouche a été froissée avec des pierres, et ils ont été opprimés de faim et de soif ; et d’ailleurs, ils poursuivent leur Seigneur. Maintenant, mes amis demandent secours avec gémissement ; la justice crie vengeance, et la miséricorde néanmoins veut le pardon.

Alors Dieu même dit à l’armée céleste qui est debout devant lui : Que vous semble-t-il de ceux-ci, qui ont envahi et occupé mon camp ? L’armée céleste répondit unanimement : Seigneur, en vous est toute justice, et en vous nous voyous toutes choses. Vous êtes Fils de Dieu, sans principe et sans fin ; tout jugement vous est donné ; vous êtes leur juge. Et Notre-Seigneur leur dit : Bien que vous sachiez et voyiez tout en moi, néanmoins, pour l’amour de cette épouse (sainte Brigitte), prononcez un juste jugement. Et eux répondirent : Telle est la justice et l’équité : que ceux qui ont percé la muraille soient punis comme des larrons ; que ceux qui persistent en leur malice soient châtiés comme ceux qui entrent par assaut ; que les captifs soient affranchis et les faméliques rassasiés.

Alors, la Mère de Dieu, la Sainte Vierge Marie, s’étant tue au commencement, parla en ces termes : Mon Seigneur et mon très-cher Fils, vous avez été en mon ventre vrai Dieu et vrai homme ; vous m’avez sanctifiée par votre bonté, moi qui n’étais qu’un vase de terre. Je vous en prie, ayez pitié d’eux encore une fois.

Alors Notre-Seigneur répondit à sa Mère : Bénie soit la parole de votre bouche ! elle s’est élevée vers Dieu comme une odeur très-aromatique. Vous êtes la gloire et la Reine des anges et des saints, attendu que vous avez en quelque sorte consolé la Divinité et réjoui tous les saints. Et parce que votre volonté a été, dès le commencement de votre jeunesse, unie à la mienne, je ferai encore une fois ce que vous voulez. Et il dit à l’armée : D’autant que vous avez généreusement combattu, je serai encore apaisé à raison de votre charité. Voilà que je réédifierai ce mur pour l’amour de vos prières. Je sauverai et guérirai ceux qui ont été opprimés par violence ; je les honorerai au centuple au-delà des calomnies qu’ils ont souffertes. Mais je donnerai paix et miséricorde à ceux qui se feront violence et qui me demanderont miséricorde ; et ceux qui la mépriseront sentiront et éprouveront ma justice.

Il dit ensuite à son épouse : Mon épouse, je vous ai choisie et j’ai versé mon Esprit dans le vôtre, ou bien je vous ai attirée dans le mien. Vous entendez mes paroles et celles de tous mes saints, qui, bien qu’ils voient toutes choses en moi, ont néanmoins parlé pour l’amour de vous, afin que vous compreniez mieux ; car vous, qui êtes encore en la chair, vous ne pouvez voir toutes choses en moi, comme eux, qui sont des esprits épurés et dégagés de la matière. Maintenant aussi, je vous dirai ce que ces choses signifient : le camp dont nous avons parlé ci-dessus est l’Église militante, que j’ai édifiée de mon sang et de celui de mes saints ; je l’ai liée et conjointe par mon amour, et j’ai mis en elle mes élus et mes amis. La foi en est le fondement, savoir, de croire que je suis juge juste et miséricordieux. Or, maintenant, le fondement est creusé, d’autant que tous croient en moi et publient ma miséricorde, mais presque pas un ne me publie juste juge ni ne croit que je juge justement. Car ce juge serait inique, qui, ému de miséricorde, renverrait les méchants impunis, afin que les méchants oppriment de plus en plus les justes. Or, je suis juge juste et miséricordieux, de sorte que je ne laisse pas le moindre péché impuni ni le moindre bien sans récompense. Ceux qui pèchent sans crainte, qui nient que je sois juste, et troublent de la même manière mes amis qui ont troublé ceux qui sont liés au cep, sont entrés en la sainte Église par le creux de la muraille, car mes amis n’ont point de joie ni de consolation, mais on vomit sur eux mille sortes d’opprobres, et on les tourmente comme des démoniaques. S’ils parlent de moi avec vérité, on les repousse et on les accuse de mensonge. Il y en a qui désirent grandement d’ouïr parler ou dire des choses bonnes, mais il n’y a personne qui les écoute ou qui leur parle des choses justes. On vomit des blasphèmes contre moi, qui suis Seigneur et Créateur : ils disent en effet : Nous ne savons pas s’il y a un Dieu ; et, s’il y en a un, ne nous en soucions point. Ils jettent par terre l’étendard de ma croix et le foulent aux pieds, disant : Pourquoi a-t-il souffert ? À quoi cela nous sert-il ? S’il veut satisfaire ici nos appétits et nos désirs, nous en sommes contents : qu’il garde son royaume et son ciel. Je veux aussi entrer dans leurs cœurs, mais ils disent : Nous aimons mieux mourir que de quitter nos volontés. Voyez, ô mon épouse ! de quelle trempe ils sont : je les ai faits, et avec une parole, je les pourrais effacer et détruire : néanmoins, regardez comme ils s’enorgueillissent contre moi. Or, maintenant, à raison des prières de ma Mère et de tous les saints, je suis encore si miséricordieux et si patient, que je veux leur envoyer les paroles qui sont sorties de ma bouche, et leur offrir ma miséricorde. S’ils la veulent recevoir, je serai apaisé et je les aimerai, sinon, je leur ferai ressentir ma justice, et ils seront confondus publiquement devant les anges et les hommes, et ils seront jugés de tous comme des larrons. Car comme des larrons pendus au gibet sont dévorés par les corbeaux, de même ceux-ci seront dévorés par les démons, sans jamais se consommer ; et comme aussi ceux qui sont punis par le cep de bois ne trouvent aucun repos, de même ceux-ci seront en tout et partout environnés de douleur et d’amertume. Un fleuve ardent coulera en leur bouche, et leur ventre ne sera pas rempli et rassasié, mais de jour en jour ils seront en proie à de nouveaux supplices. Or, mes amis seront sauvés, et seront consolés par les paroles qui sortent de ma bouche. Ils verront ma justice et ma miséricorde. Je les revêtirai des armes de l’amour, et les rendrai tellement forts, que les adversaires de la foi tomberont à la renverse comme de la boue ; et ils auront honte éternellement, quand ils verront ma justice, parce qu’ils ont abusé de ma patience.

 

 

VI.

 

Paroles de Jésus-Christ à son épouse. Comment son Esprit ne peut être avec les iniques. De la séparation des mauvais d’avec les bons. De la mission des bons, et de ceux qui sont armés spirituellement contre le monde.

 

MES ennemis sont comme des bêtes farouches qui ne se peuvent jamais rassasier ni s’apaiser ; leur cœur est tellement vide de charité que la pensée de ma passion n’y entre jamais. Jamais cette parole n’est sortie une fois de l’intime de leur cœur : Seigneur, vous nous avez rachetés : louange vous soit pour votre amère passion ! Comment mon Esprit peut-il être avec eux ? Ils n’ont aucun amour envers moi ; ils trahissent librement les autres afin d’accomplir leurs volontés ; leur cœur est plein de vile vermine, c’est-à-dire, d’affections du monde ; le diable a mis en leur bouche la fiente du péché : c’est pourquoi mes paroles ne leur plaisent point. Partant, je les séparerai de mes amis avec la scie tranchante ; et comme il n’y a pas de mort plus amère que celle qui est faite avec la scie, de même il n’y aura pas de supplice qu’ils n’expérimentent et n’éprouvent ; et le diable les sciera par le milieu ; et ils seront séparés de moi, parce qu’ils me sont odieux ; tous ceux aussi qui sont unis avec eux seront séparés de moi : c’est pourquoi j’envoie mes amis pour séparer de mes membres les membres du diable, car ils sont vraiment mes ennemis. Je les envoie donc comme mes soldats à la guerre, car celui qui afflige sa chair et s’abstient des choses illicites, est en vérité mon soldat. Ils ont pour lance les paroles que j’ai dites ; pour glaive en leur main la foi ; pour cuirasse sur leur poitrine l’amour, afin qu’en toute sorte de rencontre, ils m’aiment de même manière. Ils ont au côté le bouclier de la patience, afin de supporter toutes choses patiemment, car je les ai enserrés comme l’or dans le vase, et maintenant ils doivent sortir et marcher par ma voie. Et moi, je ne pouvais entrer, selon la justice bien ordonnée, en la gloire majestueuse avec mon humanité sans tribulation : comment donc y entreront-ils ? Si leur Seigneur souffrait, est-ce extraordinaire qu’ils souffrent ? Si Notre-Seigneur a supporté les coups de fouets, ce n’est pas grand-chose s’ils endurent les paroles. Qu’ils ne craignent pas, car je ne les laisse jamais ; car comme il est impossible au diable de toucher le cœur de Dieu et de le diviser, de même il lui est impossible de séparer de moi mes amis. Et d’autant qu’ils sont devant moi comme l’or précieux, s’ils sont éprouvés par un petit feu, je ne les abandonne pas pourtant, mais cela réussit pour une plus grande récompense.

 

 

VII.

 

Paroles de la glorieuse Vierge Marie à sa fille sainte Brigitte, qui lui enseignent la manière d’être vêtue. Quels sont les vêtements et ornements dont une vierge doit être revêtue et parée.

 

JE suis Marie, qui ai enfanté le vrai Dieu et le vrai homme, le Fils de Dieu. Je suis la Reine des anges. Mon Fils vous aime de tout son cœur, c’est pourquoi aimez-le aussi. Vous devez être ornée et revêtue de vêtements honnêtes ; je vous montrerai quels et comment ils doivent être : car comme vous avez eu premièrement une chemise, puis une tunique, des souliers, un manteau, et un collier sur votre poitrine, de même maintenant, spirituellement, vous devez avoir la chemise de contrition : car comme elle est plus proche de la chair, de même la contrition et la confession sont la première voie pour aller à Dieu, voie par laquelle l’âme qui se réjouissait dans le péché est purifiée, et la chair sale et sordide est revêtue. Les deux souliers sont les deux affections, savoir : la volonté de s’amender des fautes commises, et la volonté de faire le bien et de s’abstenir du mal. Votre tunique est l’espérance, avec laquelle vous aspirez à Dieu : car comme la tunique a deux manches, de même la justice et la miséricorde se trouvent en votre espérance, afin que vous espériez en Dieu de telle sorte que vous ne négligiez pas sa justice. Et pensez tellement à sa justice et à son jugement que vous n’oubliiez sa miséricorde, car il ne se fait aucune justice sans miséricorde, ni aucune miséricorde sans justice. Le manteau est la foi : en effet, comme le manteau couvre tout, de même l’homme, par la foi, peut comprendre et atteindre toutes choses. Ce manteau doit être parsemé des signes de l’amour de votre cher époux, savoir : comment il vous a créée, comment il vous a rachetée, comment il vous a nourrie et vous a introduite en son esprit, et vous a ouvert les yeux de l’esprit. Le collier est la considération de la Passion, qui doit être incessamment en votre poitrine : comment mon Fils a été conspué et flagellé ; comment il a été ensanglanté ; comment, ayant tous les nerfs percés, il était debout sur la croix ; comment tout son corps trembla dans sa mort, à cause de sa douleur immense ; comment il mit son esprit entre les mains de son Père. Que ce collier soit toujours suspendu sur votre poitrine. Que sa couronne soit sur votre tête, c’est-à-dire, aimez tant la chasteté que vous aimiez mieux endurer les coups de verges que vous salir désormais. Et de là, soyez en tout pudique et honnête ; ne pensez à rien ; ne désirez rien que votre Dieu, votre Créateur : quand vous le posséderez, vous posséderez tout ; et ainsi parée et enrichie, vous attendrez l’arrivée de votre cher Époux.

 

 

VIII.

 

Paroles de la Reine du ciel à sa fille bien-aimée sainte Brigitte, par lesquelles elle lui enseigne de quelle manière elle doit aimer et louer le Fils et la Mère.

 

Je suis la Reine du ciel. Il faut chercher avec soin la manière dont vous me devez louer. Ayez pour certain que toute la louange de mon Fils est ma louange, et que qui l’honore m’honore. En fait, nous nous sommes réciproquement aimés avec tant de ferveur, que nous avons été tous deux comme un seul cœur ; et il m’a si spécialement honorée, moi qui n’étais qu’un vase de terre, qu’il m’a exaltée par-dessus les anges. C’est donc de cette manière que vous me devez louer :

Béni soyez-vous, ô Dieu ! Créateur de toutes choses, qui avez daigné descendre dans le sein de la Vierge Marie sans incommodité, et qui avez daigné prendre d’elle une chair humaine sans péché ! Béni soyez-vous, ô Dieu ! qui êtes venu à la Vierge sainte, qui êtes né d’elle sans péché, remplissant des tressaillements d’une joie ineffable son âme et tous ses membres ! Béni soyez-vous, ô Dieu ! qui avez réjoui la Vierge Marie, votre Mère, après l’Ascension, lui donnant tant d’admirables consolations, et qui l’avez elle-même visitée en la consolant divinement ! Béni soyez-vous, ô Dieu ! qui avez emporté au ciel le corps et l’âme de la Vierge Marie, votre Mère, et qui l’avez honorablement placée auprès de la Divinité, au-dessus de tous les anges. Faites-moi miséricorde à raison de ses prières amoureuses.

 

 

IX.

 

Paroles de la Reine du ciel à sa fille bien-aimée, qui traitent du doux amour que le Fils avait envers la Vierge Mère. Comment, d’un mariage très-chaste, la Mère de Dieu fut conçue et sanctifiée dans le sein de sa mère. Comment elle a été enlevée en corps et en âme dans le ciel. Des vertus de son nom. Des anges, bons ou mauvais, députés pour l’homme.

 

JE suis la Reine du ciel. Aimez mon Fils, attendu qu’il est très-honnête ; et quand vous le posséderez, vous aurez toute honnêteté. Il est aussi très-désirable ; et quand vous l’aurez, vous aurez tout ce qui est désirable. Aimez-le aussi, car il est très-vertueux ; et quand vous l’aurez, vous aurez toutes les vertus. Je vous veux dire avec combien de délices il a aimé mon corps et mon âme, combien aussi il a honoré mon nom.

Mon Fils m’a plutôt aimée que je ne l’ai aimé, car il est mon Créateur ; il a fait et uni avec tant de chasteté le mariage de mon père et de ma mère, qu’ils ne voulaient jamais avoir affaire ensemble que pour avoir des enfants. Et lors qu’il leur fut annoncé par l’ange qu’ils enfanteraient une Vierge d’où procéderait le salut du monde, ils eussent mieux aimé mourir que de se connaître par amour charnel. Et certes, la volupté charnelle était éteinte en eux. Néanmoins, je vous certifie qu’ils se connurent en la chair, non par concupiscence voluptueuse, mais contre toute sorte de volupté, par la charité divine, par la parole de l’ange qui l’annonçait ainsi, et par la dilection divine ; et ainsi, c’est par la charité divine que ma chair a été faite.

Or, mon corps ayant été fait, Dieu, créant mon âme, la mit dans mon corps, et soudain mon âme et mon corps ont été sanctifiés, âme que les anges gardaient et conservaient jour et nuit dès qu’elle fut créée ; et lorsque mon âme était sanctifiée et était unie à mon corps, ma mère ressentait tant de joie qu’il serait impossible de le dire. Après avoir accompli le cours de ma vie, il éleva premièrement mon âme, qui dominait le corps, vers la Divinité, si excellemment au-dessus des autres, et puis mon corps, qu’il n’y a corps d’aucune créature qui soit si près de Dieu que le mien. Voyez combien mon Fils a aimé mon corps et mon âme.

Mais il y en a qui sont d’un malin esprit, qui nient que j’ai été enlevée vers la Divinité en corps et en âme, et quelques autres le nient aussi pour ne le savoir mieux. Mais il est bien certain que j’ai été enlevée vers la Divinité en corps et en âme.

Voyez aussi combien mon Fils a honoré mon nom : mon nom est MARIE, comme ou le lit dans l’Évangile. Lorsque les anges entendent prononcer ce nom, ils se réjouissent en eux-mêmes, et rendent grâces à Dieu, qui leur a fait une telle grâce et une telle faveur, que, par moi et avec moi, ils voient l’humanité de mon Fils glorifiée en la Divinité. Ceux qui sont dans le purgatoire s’en réjouissent outre mesure, comme un malade gisant dans son lit, s’il entend quelque parole de soulagement et qui lui plaise, tressaille soudain d’un contentement indicible. Les bons anges aussi, entendant prononcer le nom de Marie, se rapprochent soudain des hommes justes qu’ils gardent, et de l’avancement desquels ils se réjouissent merveilleusement : car à tous les hommes sont donnés de bons anges pour leur garde, et de mauvais anges pour les éprouver, non pas de telle sorte que les anges soient sépares de Dieu, mais ils servent l’âme de telle manière qu’ils ne laissent pas Dieu. Ils sont incessamment devant lui, et néanmoins, ils enflamment et incitent l’âme à bien faire.

Tous les diables aussi craignent le nom de Marie et le révèrent, car l’entendant prononcer, ils lâchent soudain l’âme qu’ils tenaient sous leurs griffes. Comme un oiseau de rapine qui tient une proie en ses griffes et en son bec, s’il entend quelque son, lâche sa proie, et voyant qu’il n’y a rien en effet qui l’empêche, y retourne soudain, de même ces diables, ayant ouï mon nom, laissent l’âme, épouvantés, mais y reviennent comme un trait poussé vivement d’un arc bien tendu, à moins que quelque amendement ne s’ensuive. Car aussi, il n’y a pas un chrétien, si froid qu’il soit en l’amour de Dieu, à moins toutefois qu’il ne soit condamné, qui, s’il veut invoquer ce nom avec l’intention de ne vouloir jamais plus retourner à ses fautes accoutumées, ne soit délaissé par le diable ; et le diable ne reviendra jamais plus vers lui, à moins qu’il ne reprenne la volonté de pécher mortellement. Néanmoins, il lui est permis de le troubler quelquefois, pour la plus grande récompense et la plus grande gloire du chrétien ainsi éprouvé, mais non de le posséder.

 

 

X.

 

Paroles de la Vierge Marie à sa fille, lui enseignant une doctrine utile, comment elle doit vivre, et racontant plusieurs miracles de la Passion de Jésus-Christ.

 

JE suis la Reine du ciel, Mère de Dieu. Je vous ai dit que vous deviez avoir un collier en votre poitrine ; or, maintenant je vous le dévoilerai mieux. Quand, dès le commencement de mon enfance, j’eus compris que Dieu existait, j’ai toujours été soigneuse et craintive de mon salut et de mon observance. Mais quand je sus que Dieu était mon Créateur et le juge de toutes mes actions, je l’ai aimé intimement ; j’ai craint à toute heure de l’offenser par mes paroles, par mes actions. Après, quand je sus qu’il avait donné la loi et ses commandements au peuple, et avait fait avec eux tant de merveilles, je résolus fermement en mon âme de n’aimer que lui ; et les choses mondaines m’étaient grandement amères. Après cela, sachant aussi que Dieu rachèterait le monde et qu’il naîtrait d’une Vierge, j’ai été touchée et blessée d’un si grand amour pour lui, que je ne pensais qu’à lui et ne voulais que lui. Je m’éloignai autant que je pus des discours familiers et de la présence de mes parents et de mes amis ; je donnai aux pauvres tout ce que je pouvais avoir, et je ne me réservai que le simple vêtement et quelque peu pour vivre. Rien ne me plaisait que Dieu. Je désirais incessamment dans mon cœur de vivre jusqu’au jour de sa naissance, afin de mériter d’être faite servante de la Mère de Dieu, quoique je m’en estimasse indigne. Je fis vœu dans mon cœur de garder la virginité, si Dieu l’avait pour agréable, et de ne rien posséder au monde. Or, si Dieu en voulait déterminer autrement, je désirais que sa volonté fût faite, et non la mienne, car je croyais qu’il ne pouvait ni ne voulait rien qui ne me fût utile, c’est pourquoi je lui commis ma volonté. Or, le temps approchant qu’on présentait au temple les vierges selon l’ordonnance de la loi, je fus présentée avec les autres, à cause de l’obéissance de mes parents, pensant en moi-même que rien n’était impossible à Dieu ; et parce qu’il savait que je ne désirais rien et ne voulais rien que lui, il pouvait me conserver dans la virginité, si cela lui plaisait ; autrement, que sa volonté fût faite. Or, ayant ouï au temple tout ce qui était commandé, étant retournée à la maison, je brûlais plus qu’auparavant de l’amour de Dieu, et j’étais de jour en jour enflammée de nouveaux feux et de nouveaux désirs amoureux. Partant, je m’éloignais plus que de coutume de tous, et je demeurais seule nuit et jour, craignant grandement que ma bouche ne dît, que mon oreille n’entendît quelque chose qui fût contre l’amour de Dieu, ou que mes yeux ne vissent quelque chose délectable. Je craignais aussi et j’eus soin que mon silence ne tût ce que je devais dire ; et comme j’étais troublée de la sorte en mon cœur et mettais toutes mes espérances en Dieu, il me vint soudain en mémoire de penser à la grande puissance de Dieu ; comment les anges et toutes les choses créées le servent ; combien sa gloire est ineffable et infinie. Et admirant ceci, je vis trois merveilles : car j’ai vu un astre, mais non pas comme celui qui brille au ciel. J’ai vu une lumière, mais non pas comme celle qui brille dans le monde. J’ai senti une odeur, non pas comme celle des herbes ou de quelque substance aromatique, mais très-suave et ineffable, odeur dont je fus remplie ; et je tressaillais d’une grande joie. De là, j’entendis une grande voix, mais non de la bouche des hommes ; et l’ayant entendue, j’ai craint que ce ne fût une illusion. Et soudain m’apparut un ange comme un homme très-beau, mais non pas revêtu de chair, qui me dit : Je vous salue, pleine de grâce, etc. Et ayant ouï cela, je cherchais ce que cela signifiait, ou pourquoi il me saluait de la sorte, car j’étais persuadée que j’étais indigne d’une telle chose et de quelque bien que ce fût, et je n’ignorais pas toutefois qu’il n’y avait rien d’impossible à Dieu, qu’il pouvait faire ce qu’il voulait.

Alors l’ange me dit pour la seconde fois : Ce qui naîtra de vous est saint, et s’appellera Fils de Dieu. (Luc. c. 2.) ; et comme il lui plaît, ainsi il sera fait. Je ne m’en croyais pas digne, et je ne demandai pas à l’ange pourquoi ou quand ce mystère s’accomplirait, mais je m’enquis de la manière dont il se ferait, car je suis indigne d’être Mère de Dieu et je ne connais point d’homme ; et comme je l’ai dit, l’ange me répondit qu’il n’y avait rien d’impossible à Dieu, et que tout ce qu’il veut faire est fait. Ayant ouï la parole de l’ange, j’eus un grand désir et un grand amour d’être Mère de Dieu, et mon âme parlait par un excès d’incomparable amour. Et voici que je prononce ces paroles : Que votre volonté soit faite en moi.

À ces mots, le Fils de Dieu fut soudain conçu dans mon sein ; mon âme fut dans une joie ineffable, et tous les membres de mon corps tressaillirent. Et l’ayant dans mon sein, je le portais sans douleur, sans pesanteur, sans incommodité ; je m’humiliais en tout, sachant que celui que je portais était tout-puissant.

Or, quand je l’ai enfanté, je l’ai enfanté sans douleur et sans péché, comme je l’avais conçu, mais avec une si grande joie d’esprit et de corps, que mes pieds ne sentaient point la terre où ils étaient. Et comme il est entré en tous mes membres avec la joie universelle de mon âme, de même il est sorti sans lésion de ma virginité, mes membres et mon âme tressaillant d’une joie ineffable. Considérant et regardant sa beauté, mon âme était inondée de joie, sachant que j’étais indigne d’un tel Fils.

Or, quand je considérais sur ses mains et sur ses pieds la place des clous, et que j’avais ouï que, selon les prophètes, on le crucifierait, alors mes yeux fondaient en larmes, et la tristesse déchirait mon cœur. Et quand mon Fils me regardait ainsi éplorée et larmoyante, il s’attristait jusqu’à la mort. Mais quand je considérais la puissance de la Divinité, j’étais de nouveau consolée, sachant qu’elle le voulait ainsi, et qu’il était expédient que cela arrivât ; et alors, je conformais ma volonté à sa volonté, et de cette manière, ma joie était toujours mêlée de douleur.

Le temps de la passion de mon Fils étant proche, ses ennemis le ravirent à tous, le frappant sur ses joues et sur son cou ; et ayant craché sur lui, ils s’en moquèrent. Ayant ensuite été conduit vers la colonne, il se dépouilla lui-même de ses habits, approcha lui-même de la colonne ses mains, que ses ennemis lièrent sans miséricorde. Or, étant lié, il n’avait rien pour se couvrir : mais comme il était né nu, il endurait et souffrait ainsi la honte de la nudité. Ses amis, ayant pris la fuite, ses ennemis, les levant ensemble, l’environnaient de toutes parts, flagellaient son corps pur de toute souillure et de tout péché. Donc, au premier coup, moi qui étais la plus rapprochée de lui, je tombai comme morte ; et ayant repris mon esprit, je vis son corps fouetté et déchiré jusqu’aux os, de sorte que ses côtes paraissaient ; et, ce qui était plus amer, quand on retirait les fouets, on sillonnait et on déchirait sa chair. Et lorsque mon Fils, empourpré de sang et tout déchiré, demeurait ainsi debout, qu’on ne trouvait rien de sain en lui, qu’on ne le flagellait plus, quelqu’un dit alors avec émotion : Eh quoi ! le ferez-vous mourir ainsi sans être jugé ? Et il coupa soudain ses liens. Après, mon Fils se revêtit de ses habits, et alors je vis la place où étaient ses pieds toute pleine de sang et de vestiges de mon Fils ! Je connaissais sa trace, car où il passait, la terre était teinte de sang ; et ses ennemis ne souffraient pas qu’il s’habillât, mais ils le poussaient, et le forçaient d’avancer.

Or, quand on le conduisait comme un larron, mon Fils essuya le sang de ses yeux ; et quand on l’eut jugé, on lui fit porter la croix ; et quand il l’eut portée quelque temps, quelqu’un vint, la prit et la porta. Cependant, mon Fils s’en allant au lieu de sa passion, les uns le frappaient au cou, les autres à la face ; il fut si fortement et si puissamment battu, que, bien que je ne visse pas celui qui le frappait, j’entendais pourtant les coups. Et étant arrivé au lieu de sa passion, je vis là tous les instruments préparés pour le faire mourir ; et mon Fils, venant là, se dépouilla lui-même de ses vêtements, lors même que les ministres disaient entre eux : Ses vêtements sont à nous : il ne les recouvrera pas ; il est condamné à mort.

Or, mon Fils étant là, nu comme il était né, alors on accourut, lui apportant un voile qui couvrit sa nudité et lui procura une grande joie intérieure. Après, les bourreaux durs et cruels le prirent et l’étendirent sur la croix, attachant premièrement sa main droite au poteau, qui était percé pour y mettre un clou. Et ils perçaient sa main dans la partie où l’os était plus solide et plus fort ; et puis, tirant avec une corde l’autre main au trou, ils le crucifièrent. On crucifia ensuite le pied droit et le pied gauche avec deux clous, de sorte que tous les nerfs et toutes les veines étaient tendus et rompus. Cela étant fait, ils lui mirent au front une couronne d’épines, qui perça si profondément la tête de mon Fils, que ses yeux étaient pleins de sang, ses oreilles bouchées par le sang, et sa barbe en était toute couverte !

Et étant de la sorte empourpré de son sang et ainsi percé, ayant pitié de moi, qui étais là affligée et gémissante, il jeta ses yeux sur saint Jean, fils de ma sœur, et me recommanda à lui. En ce temps-là, j’ouïs les uns qui disaient que mon Fils était un larron, les autres, qu’il était un menteur, et d’autres, qu’il n’y avait aucun homme plus digne de mort que mon Fils. Toutes ces paroles renouvelaient grandement ma douleur. Mais lorsqu’on plantait le premier clou, comme j’ai dit, au premier coup je tombai comme morte, les yeux obscurcis, les mains tremblantes, les pieds chancelants, et je ne le regardai point qu’il ne fût entièrement crucifié, ne pouvant supporter l’excès de ma douleur.

Or, me levant, je vis mon Fils misérablement pendu à la croix ; et moi, sa Mère, toute frémissante de crainte, je pouvais à peine demeurer debout, à cause de la douleur. Mon Fils, me voyant, et ses amis pleurant sans consolation, dit d’une voix pleurante et haute : Mon Père, pourquoi m’avez-vous délaissé ? Comme s’il disait : Il n’y a que vous qui ayez pitié de moi, ô mon Père ! Alors je vis ses yeux à demi morts, ses joues trempées, son visage triste, sa bouche ouverte, sa langue empourprée de sang, et son ventre collé au dos, toute l’humeur étant consommée, comme s’il n’avait point d’entrailles. Je vis son corps pâle et languissant, à cause du sang qu’il avait répandu, ses mains et ses pieds roidis et étendus, selon les dimensions de la croix, sa barbe et ses cheveux tout trempés dans son sang.

Mon Fils donc demeurant de la sorte déchiré et livide, seul, son cœur était vivant, attendu qu’il était d’une très-bonne et forte nature, car il avait pris de ma chair un corps pur, sain et d’une bonne complexion. Sa peau était si tendre et si délicate que, dès qu’elle était tant soit peu fouettée, le sang en ruisselait. Son sang était si vif qu’on le pouvait voir à travers sa peau. Et comme il était d’une bonne nature, la vie combattait avec la mort dans un corps déchiré. Quand la douleur montait des membres et des nerfs percés du corps, au cœur, ce qu’il y avait en lui de plus sensible et de plus pur, son cœur éprouvait d’incroyables souffrances ; et quand quelquefois la douleur descendait du cœur dans ses membres en lambeaux, alors il prolongeait sa mort avec amertume. Mais quand mon Fils, environné, assailli de douleurs, regardait ses amis larmoyants, qui eussent mieux aimé supporter cette peine avec secours, ou brûler éternellement en enfer, que de le voir ainsi tourmenté, la douleur que lui procurait la douleur de ses amis excédait toute l’amertume, toute l’affliction qu’il avait soufferte, tant dans son corps que dans son esprit, parce qu’il les aimait tendrement. Alors, dans la trop grande angoisse de son corps, il criait à son Père, disant : Ô Père ! je remets mon esprit en vos mains. Donc, quand moi, sa Mère affligée, j’ai entendu ces paroles, tous mes membres ont frémi avec une douleur poignante et trop amère à mon cœur ; et autant de fois que je les méditais, il me semblait les entendre encore et toujours.

Or, la mort approchant, et le cœur de mon Fils se fendant par la violence de la douleur, tous ses membres frémirent, et sa tête s’éleva un peu, puis s’inclina. On voyait sa bouche ouverte et sa langue toute sanglante ; ses mains s’étaient un peu retirées du trou, et les pieds soutenaient d’autant plus la pesanteur du corps ; ses doigts et ses bras s’étendaient aucunement, et le dos était fortement serré au tronc. Alors quelques-uns me dirent : Marie, votre Fils est mort ; quelques autres me dirent : Votre Fils est mort, mais il ressuscitera. Tandis qu’on me disait cela, un soldat vint, et enfonça sa lance dans le côté de mon Fils, si avant qu’elle sortait presque de l’autre côté ! Et dès que la lance fut retirée, la poitrine fut toute sanglante. Alors, voyant le cœur de mon cher Fils percé, il me semblait que le mien l’était aussi. Ensuite, on le descendit de la croix, et je le reçus sur mes genoux comme un lépreux, tout livide et meurtri, car ses yeux étaient morts et tout pleins de sang, sa bouche était froide comme la neige, sa barbe était comme une corde, sa face contractée ; ses mains aussi étaient tellement roides qu’on ne les pouvait mettre que sur le nombril ; comme il avait été sur la croix, ainsi l’avais-je sur mes genoux comme un homme roidi en tous ses membres. Tout de suite on l’enveloppa d’un drap propre et blanc ; et moi, je lui nettoyai avec mon linge ses plaies et ses membres ; je lui fermai les yeux et la bouche, qui étaient restés ouverts à sa mort. Enfin, on le mit dans le sépulcre. Oh ! que volontiers alors je me fusse ensevelie vivante avec mon Fils, si telle eût été sa volonté ! Ces choses étant accomplies, le bon saint Jean vint et m’amena à la maison. Voilà, ô ma fille ! quelles choses mon cher Fils a souffertes pour vous.

 

 

XI.

 

Paroles de Jésus-Christ à son épouse, traitant de la manière qu’il se donna librement à ses ennemis qui le crucifiaient, et comment il faut vivre avec continence, se privant de tout ce qui est illicite, à l’exemple de sa douce passion.

 

LE Fils de Dieu parlait à son épouse, disant : Je suis le Créateur du ciel et de la terre, et le corps qui est consacré sur l’autel est mon vrai corps. Aimez-moi de tout votre cœur, car je vous ai aimée. Je me suis librement donné à mes ennemis, et mes amis et ma Mère ont été assaillis d’une douleur trop amère, et ils ont fondu en larmes.

Quand je voyais la lance, les clous, les fouets, et autres instruments préparés pour ma passion, je m’en approchais néanmoins avec joie. Et quand, sous la couronne d’épines, ma tête fut toute sanglante, et que mon sang ruisselait partout, et bien que mes ennemis touchassent mon cœur, j’eusse mieux aimé qu’il eût été déchiré en deux que ne pas vous posséder et ne pas vous aimer. Partant, vous seriez trop ingrate, si vous ne m’aimiez, en reconnaissance du grand amour que je vous ai témoigné. Si ma tête a été percée par les épines et s’est inclinée sur la croix, votre tête doit bien s’incliner à l’humilité ; et parce que mes yeux étaient remplis de sang et de larmes, vous devez vous abstenir de ce qui délecte vos yeux ; et parce que mes oreilles ont été remplies de sang et ont ouï qu’on me détractait, partant, vos oreilles ne doivent pas écouter les paroles moqueuses, niaises et légères ; et parce qu’aussi on a abreuvé ma bouche d’une boisson amère, et que ma bouche a été privée de la bonne boisson, vous devez aussi fermer la bouche aux paroles mauvaises et l’ouvrir aux bonnes ; et comme mes mains ont été étendues et clouées sur le gibet, vos œuvres, figurées par les mains, doivent être tendues aux pauvres et à mes commandements ; vos pieds, c’est-à-dire, vos affections, par lesquelles vous devez venir à moi, doivent être crucifiées à toutes les voluptés ; et comme j’ai souffert en tous mes membres, de même tous vos membres doivent être prêts et disposés à m’obéir, car j’exige plus de service de vous que des autres, parce que je vous ai douée et enrichie d’une grâce plus grande et plus excellente.

 

 

XII.

 

De quelle manière l’ange prie pour l’épouse, et comment Jésus-Christ interroge l’ange sur ce qu’il implore pour elle. Ce qui est expédient à l’épouse.

 

LE bon ange gardien de l’épouse semblait prier Jésus-Christ pour elle ; Notre-Seigneur lui répondit : Celui qui veut prier pour un autre doit prier pour son salut : car vous, ô anges ! vous êtes comme le feu qui ne s’éteint jamais, qui brûle incessamment de mon amour. Vous voyez et savez tout, quand vous me voyez ; vous ne voulez rien, si ce n’est ce que je veux. Dites donc, qu’est-ce qui est expédient à cette nouvelle épouse ? Et l’ange lui répondit : Mon Seigneur, vous savez tout. Notre-Seigneur lui repartit : Certes, tout ce qui a été fait et sera, est éternellement en moi, et j’ai connu tout ce qui est au ciel et sur la terre, et je le sais, et pourtant, il n’ya point de changement en moi. Néanmoins, afin que cette épouse entende ma volonté, dites maintenant en sa présence ce qui lui est nécessaire. L’ange lui dit : Elle a le cœur élevé et enflé, partant, il lui faut une verge pour être châtiée. Et alors Notre-Seigneur lui dit : Qu’est-ce donc que vous demandez pour elle, ô mon ami ? Et l’ange lui dit : Je demande la miséricorde et la correction. Notre-Seigneur dit : Pour l’amour de vous, je lui ferai ce que vous demandez, moi qui ne fais jamais justice sans miséricorde. Partant, cette épouse me doit aimer de tout son cœur.

 

 

XIII.

 

Comment l’ennemi de Dieu a trois démons en soi, et du jugement donné contre lui par Jésus-Christ.

 

MON ennemi a en soi trois démons : le premier réside dans les parties de la génération, le deuxième dans son cœur, le troisième dans sa bouche.

Le premier est comme un pilote qui fait entrer dans le navire l’eau, qui peu à peu le remplit ; et après, l’eau débordant, le navire est submergé. Ce navire est son corps agité par les tentations des démons, assailli comme par les vents de ses propres cupidités, et dans lequel les eaux de la volupté sont d’abord entrées par le navire, c’est-à-dire, par la délectation qu’il prenait en telles pensées ; et parce qu’il n’y résistait pas par la pénitence, qu’il ne le réunissait pas par les clous de l’abstinence, l’eau de la volonté allait toujours croissant et ajoutant le consentement ; et de là, le navire étant rempli de la concupiscence du ventre, l’eau redondait et couvrait de volupté le navire, afin qu’il n’arrivât pas au port de salut.

Le deuxième démon, qui réside dans le cœur, est semblable au vermisseau qui est dans la pomme, qui ronge d’abord le dedans, et qui, ayant laissé là sa fiente, entoure toute la pomme, jusqu’à ce qu’il l’ait toute gâtée. Le diable en agit de même : en effet, en premier lieu, il gâte la volonté et ses bons désirs, qui sont comme le cerveau, où subsiste toute la force, tout le bien de l’esprit ; et ayant vidé le cœur de tous ses biens, il y laisse des pensées et des affections du monde et de ceux qu’il a aimés le plus. Maintenant il pousse son corps à ses plaisirs, par lesquels la force divine est diminuée et la connaissance affaiblie ; et le dégoût, le dédain de la vie vraie vient de là. Certes, cet homme est une pomme sans cerveau, c’est-à dire, un homme sans cœur, car sans cœur, il entre dans mon Église, d’autant qu’il n’a aucune charité divine.

Le troisième démon est semblable à un archer qui guette par la fenêtre ceux qui ne s’en donnent garde. Comment est-ce que le démon ne dominera pas celui sans lequel il ne parle jamais ? Car ce qu’on aime le plus, c’est ce dont on parle le plus souvent. Ses paroles amères, avec lesquelles il blesse les autres, sont comme des traits acérés qui sont dardés par autant de fenêtres que le diable est nommé par lui, que l’innocent est déchiré par ses paroles, et que les simples en sont scandalisés. Partant, moi, qui suis la Vérité, je jure que je le condamnerai comme une abominable courtisane au feu de soufre, à avoir les membres coupés, comme un déloyal et un traître, et comme celui qui méprise son salut, à la confusion éternelle ; mais toutefois, tant que le corps et l’âme seront ensemble en cette vie, ma miséricorde lui est offerte. Or, voici ce que je demande et exige de lui, savoir, qu’il assiste souvent aux choses divines ; qu’il ne craigne aucun opprobre ; qu’il ne désire aucun honneur, et que le nom sinistre du diable ne soit jamais prononcé en lui.

 

 

XIV.

 

Paroles de Jésus-Christ à son épouse. De la manière de faire l’oraison ; du respect qu’elle doit avoir en la faisant, et de trois sortes d’hommes qui servent Dieu.

 

JE suis votre Dieu, qui, crucifié sur la croix, vrai Dieu et vrai homme en une personne, suis tous les jours dans les mains des prêtres. Quand vous me faites quelque prière, finissez-la toujours ainsi : Que votre volonté soit faite, et non la mienne. Car quand vous me priez pour les damnés, je ne vous exauce pas. Quelquefois aussi vous désirez ce qui est contre votre salut ; partant, il est nécessaire que vous soumettiez votre volonté à la mienne, car je sais tout et je pourvois à tout ce qui vous est utile. Certes, plusieurs me prient, mais non avec une droite intention, et partant, ils ne méritent pas d’être exaucés.

Vraiment, il y a trois sortes de gens qui me servent en ce monde : les premiers sont ceux qui me croient Dieu, auteur de tout bien et puissant sur toutes choses. Ceux-là me servent avec l’intention d’obtenir les honneurs et les choses temporelles, mais les choses célestes leur sont comme rien ; ils les abandonnent avec joie, afin d’obtenir les choses présentes ; à ceux-là, la prospérité du siècle leur sourit en tout selon leurs désirs. Et puisqu’ils ont ainsi omis les biens éternels, je récompense tout le bien qu’ils ont fait pour moi, jusqu’à la dernière maille et au dernier point, d’une récompense mondaine et temporelle. Les deuxièmes sont ceux qui me croient tout-puissant et juge sévère. Ceux-ci me servent par crainte du châtiment, non par amour de la gloire céleste, car s’ils ne craignaient pas, ils ne me serviraient pas. Les troisièmes sont ceux qui me croient créateur de toutes choses, vrai Dieu, miséricordieux et juste. Ceux-ci me servent, non par la crainte de quelque châtiment, mais par dilection, par amour. Ils aimeraient mieux souffrir toutes les peines, s’ils pouvaient, que de provoquer une seule fois ma colère. Les prières de ceux-ci méritent d’être exaucées, car leur volonté est selon ma volonté. Les premiers ne sortiront jamais du supplice et ne verront jamais ma face ; les deuxièmes n’auront pas de si grands supplices, mais ne verront jamais ma face, à moins que la pénitence les corrige de cette crainte trop servile.

 

 

XV.

 

Paroles de Jésus-Christ à son épouse, traitant des conditions d’un grand roi, appropriées à Jésus-Christ. Des deux coffres par lesquels sont signifiés l’amour de Dieu et l’amour du monde, et de la doctrine pour profiter en cette vie.

 

JE suis comme un grand et puissant roi. Certes, à un roi quatre choses sont requises : 1° il doit être riche ; 2° il doit être doux ; 3° il doit être sage ; 4° il doit être charitable.

Je suis vraiment Roi des anges et des hommes ; j’ai aussi les quatre conditions que j’ai dites : en effet, je suis très-riche, moi qui donne à tous ce qui leur est nécessaire, et pour cela, je n’en diminue pas. Je suis très-doux, moi qui suis prêt à donner à tous ceux qui me demandent quelque chose. Je suis très-sage, moi qui sais ce qui est dû et ce qui est nécessaire à chacun. Je suis très-charitable, moi qui suis plus prêt à donner que quelqu’un à demander.

J’ai deux coffres : dans le premier est renfermé ce qui est lourd et pesant comme du plomb, et la chambre où est ce coffre est environnée de pointes aiguës. Ces deux coffres semblent fort légers à celui qui commence à les remuer et à les porter, mais puis, ils sont pesants comme du plomb. Et ainsi, ce qui semblait fort pesant devient léger, et ce qui semblait âpre et poignant devient doux. Dans le second coffre semblent être renfermés l’or splendide, les pierres précieuses, des breuvages odoriférants et doux ; mais vraiment, cet or n’est que boue, et ces breuvages ne sont que poison. Pour aller à ces deux coffres, il y a deux voies, et auparavant, il n’y en avait qu’une. À l’entrée des deux chemins, il y avait un homme qui criait à trois hommes marchant par une autre voie : Entendez, entendez mes paroles, et si vous ne les écoutez pas, voyez de vos yeux que les paroles que je vous dis sont vraies ; que si vous ne les entendez pas, du moins touchez de vos mains, et soyez convaincus qu’il n’y a point de fausseté dans mes paroles. Alors, le premier des trois dit : Voyons si ses paroles sont vraies. Le deuxième dit : Tout ce que cet homme dit est faux. Le troisième dit : Je sais que ce qu’il dit est vrai, mais je ne m’en soucie pas.

Ces deux coffres ne sont certes autre chose que mon amour et l’amour du monde : mais pour y arriver, il y a deux chemins : l’abjection et la parfaite abnégation de sa propre volonté, qui conduit à mon amour, et la volupté de la chair, qui conduit à l’amour du monde. Or, il semble à quelques-uns qu’en mon amour il y a des poids, des faix aussi lourds, aussi pesants que du plomb ; car quand il faut jeûner, veiller ou retenir en bride les appétits de la chair, il leur semble qu’ils portent du plomb. Que s’ils entendent des paroles injurieuses ; s’ils sont en religion ou en oraison, ils sont comme sous l’aiguillon, ils sont à toute heure oppressés et en proie aux angoisses. Or, celui qui veut brûler de mon amour doit premièrement tourner son faix en désir et en amour de bien faire ; et puis, qu’il se soulage peu à peu ; qu’il fasse ce qu’il peut faire, pensant qu’il le peut, si Dieu lui donne la grâce ; qu’il persévère ensuite en ce qu’il a commencé avec une si grande joie et un si grand courage, qu’il commence à porter facilement ce qui lui semblait être si pesant, et que toute la rigueur des jeûnes, des veilles, et autres exercices pesants comme du plomb, lui soient légers comme des plumes. C’est sur ce siège que mes amis se reposent, et que les méchants et les lâches s’inquiètent, comme s’ils étaient entourés d’escourgées et de poignantes épines ; mais mes amis y trouvent un grand repos, doux comme des roses.

Il y a, pour aller vers ce coffre, une voie droite, qui est le mépris de sa propre volonté, alors que l’homme, ayant considéré ma passion et mon amour, résiste de toutes ses forces à sa propre volonté, et est incessamment allé vers ce qu’il y a de meilleur. Et bien que cette voie soit d’abord un peu rude, elle plaît néanmoins beaucoup dans le progrès, de sorte que ce qui semblait au commencement impossible d’être porté, devient ensuite très-léger et très-facile, et l’on se dit à bon droit : Le joug de Dieu est doux.

Le monde est le second coffre, dans lequel sont renfermés l’or, les pierres précieuses, les breuvages et les parfums odoriférants ; mais néanmoins, goûtez, ils sont amers comme le poison. En effet, il arrive à ceux qui portent de l’or, que, le corps et les membres étant affaiblis, les moelles desséchées, ils meurent ; alors, ils laissent leur or, et leurs pierreries ne leur servent pas plus que la boue. Les breuvages du monde aussi, c’est-à-dire, les plaisirs, leur semblent doux ; mais lorsqu’on les possède, ils débilitent la tête, chargent le cœur, brisent tous les membres, et peu de temps après, l’homme se dessèche comme du foin ; et la douleur de la mort approchant, tout ce qui était délectable devient plus amer que le fiel. À ce coffre conduit la volonté propre, quand l’homme n’a pas le soin de résister à ses passions perverses et d’anéantir les affections désordonnées, et qu’il ne médite pas ce que j’ai commandé et ce que j’ai fait, mais exécute soudain tout ce qui lui vient en pensée, soit licite, soit illicite. Sur cette voie marchent trois sortes d’hommes, par lesquels j’entends tous les réprouvés qui aiment le monde et leur volonté propre.

J’ai donc crié, quand j’étais aux entrées des voies : en effet, prenant une chair humaine, j’ai montré aux hommes comme deux voies, savoir : ce qu’il fallait faire et ce qu’il fallait fuir, quelle voie conduisait à la vie et quelle à la mort. Car avant que je me fusse incarné, il n’y avait qu’une voie par laquelle les mauvais descendaient en enfer et les bons dans les limbes. Or, je suis celui qui criait en ces termes : Ô hommes ! entendez mes paroles, qui conduisent à la voie de vie, vivant éternellement, car elles sont vraies, et vous pouvez le connaître par ce que je vous dis sensiblement. Que si vous ne les entendez pas ou ne pouvez pas les entendre, pour le moins voyez, par la foi et par l’esprit, que mes paroles sont vraies : car comme l’œil corporel voit l’objet visible, de même, par les yeux de la foi, ou voit et on croit ce qui est invisible. Enfin, il y a dans l’Église plusieurs âmes simples qui font peu de bien, néanmoins elles sont sauvées par la foi, me croyant Créateur et Rédempteur.

Certes, il n’y en a pas un qui ne puisse entendre que je suis Dieu et le croire. S’il considère comment la terre porte des fruits ; de quelle manière le ciel donne des pluies ; comment les arbres fleurissent ; de quelle manière chaque animal subsiste en son espèce ; comment les astres servent à l’homme, et les évènements contraires à la volonté de l’homme : par toutes ces choses, l’homme peut voir qu’il est mortel ; que Dieu est celui qui dispose toute chose selon ses desseins éternels. En effet, s’il n’y avait pas un Dieu, tout serait en désordre. Donc, tout est dépendant de Dieu, et toutes choses sont raisonnablement disposées pour l’édification de l’homme ; et il n’y a rien, si petit qu’il soit, qui subsiste sans raison. Donc, si l’homme, à raison de son infirmité, ne peut comprendre ni entendre ma vertu comme elle est, il la peut néanmoins voir et croire par la foi. Que si, ô homme ! vous ne voulez pas considérer par l’esprit ma puissance, vous pouvez néanmoins toucher de vos mains les œuvres que j’ai faites, et mes saints, car elles sont tellement claires qu’aucun ne peut douter qu’elles ne soient œuvres de Dieu. Qui a ressuscité les morts et éclairé les aveugles, si ce n’est Dieu ? Qui a chassé les démons, si ce n’est Dieu ? Qu’ai-je enseigné, sinon des choses utiles pour le salut de l’âme et du corps, et des choses faciles à supporter ?

Mais le premier homme dit, c’est-à-dire, quelques-uns disent : Voyons et éprouvons si ces paroles sont vraies : Ceux-là persistent quelque temps à mon service, non à raison de l’amour, mais en considération de l’expérience et de l’imitation des autres, non en laissant leur propre volonté, mais en faisant la leur et la mienne. Ceux-là sont en de grands dangers, voulant servir deux maîtres, bien qu’ils ne puissent bien servir ni l’un ni l’autre ; mais quand ils sont appelés, ceux qui auront plus aimé Notre-Seigneur seront récompensés.

Le deuxième dit, c’est-à-dire, quelques-uns : Tout ce qu’il dit est faux, et fausse est l’Écriture. Je suis Dieu ; je suis Créateur de toutes choses, et sans moi, il n’y a rien de fait ; j’ai établi l’ancienne et la nouvelle loi ; tout est sorti de ma bouche, et il n’y a point de fausseté en elle, car je suis la Vérité.

Tous ceux donc, dit Notre-Seigneur, qui disent que j’ai menti et que mon Écriture sainte est fausse, ne verront jamais ma face, car la conscience leur dicte que je suis Dieu, car toutes choses sont selon ma volonté et disposition ; le ciel les illumine, et eux ne se peuvent illuminer ; la terre produit les fruits, l’air la féconde ; tous les animaux out un certain penchant et une certaine disposition ; les diables croient en moi ; les justes souffrent des choses incroyables pour l’amour de moi ; ils voient toutes ces choses, et néanmoins, ils ne me voient point ; ils pourraient encore me connaître en ma justice, s’ils considéraient comment la terre a englouti les impies, et comment le feu a brûlé les iniques ; de même ils me pourraient voir en ma miséricorde, quand, pour les justes, l’eau sortit du rocher ; quand la mer leur céda ; quand le feu ne les brûla pas ; quand le ciel, comme la terre, les nourrit ; et parce qu’ils voient tout cela et qu’ils disent que je mens, ils ne verront pas ma face.

Le troisième dit, c’est-à-dire, quelques-uns : Nous savons bien qu’il est vrai Dieu, mais nous ne nous en soucions pas : ceux-ci seront éternellement tourmentés en enfer, car ils me connaissent et ils me méprisent, moi qui suis leur Seigneur et leur Dieu. N’est-ce pas une grande ingratitude qu’ils se servent de mes biens, et toutefois qu’ils me méprisent et ne me servent aucunement ? Car s’ils les avaient de leur industrie propre, et non véritablement de moi, le mépris en serait petit. Or, ceux qui commencent de porter mon joug, et cela volontairement et avec un fervent désir, s’efforcent de faire ce qu’ils peuvent : à ceux-là, je leur donnerai ma grâce. Or, ceux qui supportent mon poids, c’est à-dire, qui s’efforcent d’un jour à l’autre, pour l’amour de moi, d’avancer dans le chemin de la perfection, je travaillerai avec eux, je serai leur force et les enflammerai d’amour, afin qu’ils me désirent davantage. Or, ceux qui sont assis sur le siège incommode à cause de ses pointes, bien qu’il soit néanmoins un lieu d’un très grand repos, ceux-là sont nuit et jour dans les peines, dans les souffrances avec patience et résignation, et ne s’abattent pas, mais brûlent et s’enflamment de plus en plus ; même tout ce qu’ils font leur semble peu de chose : oui, ceux-là sont mes amis très-chers ; ceux-là sont en petit nombre, parce que les parfums et les breuvages du second coffre plaît plus aux autres.

 

 

XVI.

 

En quelle manière il semblait à l’épouse qu’un des saints parlait à Dieu de quelque femme foulée horriblement par le diable, laquelle fut ensuite délivrée par les prières de la glorieuse Vierge.

 

IL semblait à sainte Brigitte, épouse, qu’un des saints parlait à Dieu, disant : Pourquoi l’âme de cette femme, que vous avez rachetée de votre sang, est de la sorte foulée par le diable ? Le diable répondit soudain, disant : Parce que, de droit, elle est à moi. Et alors, Notre-Seigneur dit : De quel droit est-elle à toi ? Le démon répondit : Il y a deux voies : l’une conduit aux choses célestes, l’autre aux choses infernales ; or, quand elle les considérait toutes les deux, sa conscience et sa raison erronée lui dictaient de choisir plutôt la mienne. Et d’autant qu’elle avait la pleine et libre volonté de se tourner vers la voie qu’elle aimerait le mieux, il lui a semblé qu’il était plus utile de tourner sa volonté à commettre le péché, et alors, elle a commencé de marcher par ma voie. Après, je l’ai déçue par trois vices, savoir, par la gourmandise, par la cupidité de l’argent et par la luxure. C’est pourquoi je suis maintenant sur son sein, et je la tiens avec cinq mains : avec l’une je tiens ses yeux, afin qu’elle ne voie pas les choses spirituelles ; avec la deuxième, je tiens ses mains, afin qu’elle ne fasse pas de bonnes œuvres ; avec la troisième, je tiens ses pieds, afin qu’elle n’aille pas vers le bien ; avec la quatrième, je tiens son entendement, afin qu’elle n’ait pas honte de pécher, et avec la cinquième, je tiens son cœur, afin qu’elle ne revienne pas à Dieu par la contrition.

Alors, la Sainte Vierge dit à Notre-Seigneur, son Fils : Mon Fils, contraignez le diable à dire la vérité sur ce que je veux lui demander. Et son Fils lui dit : Vous êtes ma très-chère Mère ; vous êtes l’incomparable Reine du ciel ; vous êtes Mère de miséricorde ; vous êtes l’indicible consolation de ceux qui sont en purgatoire ; vous êtes la joie de ceux qui sont pèlerins en ce monde ; vous êtes Dame des anges ; vous êtes très-excellente avec Dieu ; vous êtes aussi princesse sur le diable : commandez donc à ce démon tout ce que vous voudrez, ô ma Mère ! et il vous répondra.

Alors la Sainte Vierge commanda à ce diable : Dis, ô diable ! quelle intention a eue cette femme avant d’entrer dans l’Église ? Le diable lui répondit : Elle a eu la volonté de s’abstenir du péché. Et la Sainte Vierge lui dit : Puisque la volonté qu’elle a eue auparavant la conduisait en enfer, dis à quoi tend la volonté qu’elle a maintenant de s’abstenir du péché. Le diable lui repartit à regret : Cette volonté de se garder de pécher la conduit au ciel. Et la Sainte Vierge répliqua : D’autant que, de droit, pour la première et mauvaise volonté, vous l’avez écartée de la voie méritoire qui conduit à l’Église, la justice et l’équité veulent que, par la volonté présente qu’elle a de ne plus pécher, elle soit ramenée à l’Église. Je te demande aussi, ô diable ! quelle volonté elle a au point où en est maintenant sa conscience. Le diable répond : Elle a la contrition dans l’esprit pour les choses qu’elle a faites, et un grand repentir, se proposant de ne les jamais plus commettre ; mais elle veut s’amender autant qu’elle peut. La Sainte Vierge demanda de nouveau au diable : Dis-moi : ces trois péchés : la luxure, la gourmandise et la cupidité, peuvent-ils être dans un même cœur avec ces trois biens, savoir : la contrition, les larmes et le ferme propos de s’amender ? Le diable lui répondit : Non. La Sainte Vierge dit alors : Sont-ce ces trois vertus ou ces trois vices qui doivent se retirer de son cœur, car tu dis qu’ils ne peuvent demeurer ensemble ? Le diable dit : Ce sont les vices. Et alors la Vierge dit : Donc, la voie qui la conduisait en enfer lui est fermée, et la voie du ciel lui est ouverte. Outre cela, la Sainte Vierge demanda au diable : Dis-moi : si le larron demeurait à la porte de l’épouse pour la violer, que lui ferait l’époux ? Le diable répondit : Si l’époux est bon et magnanime, il doit la défendre et exposer sa vie pour la sienne. Alors la Sainte Vierge repartit : Tu es ce pernicieux larron ; cette âme est l’épouse de mon Fils, car il l’a rachetée de son propre sang. Tu l’as donc enlevée et corrompue par violence. Partant, attendu que mon Fils est l’époux de cette âme et seigneur sur toi, il faut que tu fuies loin d’elle 1.

 

 

XVII.

 

Paroles de Jésus-Christ disant en quelle manière le pécheur est semblable à l’aigle, à l’oiseleur, et à celui qui se bat à coups de poings.

 

MOI qui vous parle, je suis Jésus-Christ, qui a été dans le sein de la Vierge, vrai Dieu et vrai homme, gouvernant néanmoins toutes choses avec mon Père, bien que je fusse avec la Vierge.

Le pécheur, mon ennemi pernicieux, est semblable à trois choses : 1° à l’aigle volant dans les airs, l’aigle sous lequel volent les autres oiseaux ; 2° à l’oiseleur qui chante avec une flûte frottée de bitume tenace : les oiseaux, se délectant de la voix de cette flûte, se reposent sur elle, et sont pris et retenus par la glu ; 3° il est semblable à celui qui se bat à coups de poings, qui est le premier en toute sorte de combats.

Certainement, il est semblable à l’aigle, attendu que, par sa superbe, il ne souffrirait pas, s’il le pouvait, que quelqu’un fût son supérieur, et déchire autant qu’il peut la renommée de tous avec les ongles de sa malice. Partant, je lui couperai les ailes de sa superbe et de sa puissance ; j’ôterai de la terre sa malice, et je le jetterai dans le feu inextinguible, où il sera tourmenté sans fin, s’il ne s’amende.

Il est semblable à l’oiseleur, d’autant que, par la douceur de ses paroles et de ses promesses, il attire à soi tout le monde. Or, ceux qui viennent à lui sont tellement exposés à leur perte, que ce n’est qu’à grand-peine qu’ils pourront s’en échapper. Partant, les oiseaux de l’enfer becquetteront ses yeux, afin qu’il ne voie jamais ma gloire, mais bien les ténèbres éternelles de l’enfer. On lui coupera les oreilles, afin qu’il n’entende pas les paroles de ma bouche. De la plante des pieds jusqu’au sommet de la tête, on lui causera autant de douleur qu’il a pris de plaisir, afin qu’il souffre autant de peine qu’il a conduit de personnes à leur ruine.

Il est aussi semblable à celui qui se bat à coups de poings, qui est le premier en toute sorte de malices, ne cède à personne et se résout à opprimer tout le monde. Partant, il sera le premier en toute sorte de peines ; sa douleur sera toujours renouvelée ; néanmoins, tant que son âme est avec son corps, ma miséricorde est toute prête à le recevoir 2.

 

 

XVIII.

 

Paroles de Jésus-Christ à son épouse sainte Brigitte, qui traitent comment l’humilité doit être dans la maison de Dieu, et comment, par cette maison, la religion est désignée ; et aussi, quels édifices il faut construire et quelles aumônes il faut faire avec ce que nous avons bien acquis, et du moyen de restituer le bien mal acquis.

 

LA plus grande humilité doit régner dans ma maison, mais elle y est tout à fait méprisée. Il doit y avoir en elle un mur épais élevé entre les hommes et les femmes ; car bien que je puisse les défendre tous et les contenir sans mur, je veux néanmoins, à cause des ruses de Satan, qu’un mur divise et sépare une habitation de l’autre ; qu’il soit épais, non pas trop élevé, mais médiocre ; que les fenêtres soient simples et lumineuses ; que le toit soit modérément haut, en sorte qu’en tout on voie paraître l’humilité : car ceux qui, maintenant, m’édifient des maisons, sont semblables aux maîtres architectes qui prennent par les cheveux le maître de l’édifice, quand il y entre, le foulent aux pieds, mettent la boue au sommet et l’or sous les pieds : ceux-ci font de même, parce qu’ils édifient la boue, c’est-à-dire, élèvent jusqu’au ciel les choses temporelles et périssables, mais ne se soucient pas des fines, qui sont plus précieuses que l’or. Si je veux entrer dans leur cœur, ou par la prédication, ou par l’inspiration et la contemplation, ils me prennent par les cheveux et me foulent aux pieds, c’est-à-dire, ils blasphèment mes paroles et les réputent méprisables comme la boue ; quant à eux, ils s’estiment fort sages. Que s’ils voulaient édifier pour moi, ils édifieraient premièrement pour mon honneur et pour le salut des âmes.

Or, quiconque veut édifier ma maison, qu’il prenne soigneusement garde de n’y pas employer un seul denier qui ne vienne d’une bonne et juste acquisition. Certes, il y en a plusieurs qui savent que les biens qu’ils possèdent viennent d’une mauvaise acquisition, et néanmoins, ils ne s’en inquiètent pas ; ils n’ont pas la volonté de restituer et de satisfaire à ceux qui en ont été dépouillés, bien qu’ils pussent restituer et satisfaire, s’ils le voulaient ; mais néanmoins, considérant qu’ils ne les peuvent retenir éternellement, ils donnent à l’Église une partie de ce qu’ils ont injustement acquis, comme si, par ce don, ils m’avaient tout à fait apaisé. Mais ils réservent à leur postérité le bien qu’ils ont acquis. Certes, cela ne me plaît point, car quiconque veut que ses dons me plaisent, doit premièrement avoir le vif désir de s’amender, et faire ensuite toutes les bonnes œuvres qu’il pourra ; il doit aussi pleurer sur ses fautes passées, restituer, s’il peut, et s’il ne le peut pas, il doit avoir la volonté de le faire quand il pourra, et se donner garde qu’à l’avenir il ne commette des fautes semblables. S’il ne pouvait savoir à qui il doit restituer, il pourrait alors me donner son bien, à moi qui puis le rendre à chacun. Que s’il ne le peut rendre, qu’il s’humilie avec un cœur contrit et avec la résolution de s’amender. Je suis riche pour rendre, ou en ce siècle ou en l’autre, leurs biens à ceux qui en ont été dépouillés.

Je vous vais montrer ce que signifie la maison que je veux édifier.

Cette maison est la religion, de laquelle je suis le fondement, moi qui ai créé toutes choses, et par qui toutes choses sont faites et subsistent. Il y a quatre murs dans cette maison : le premier est ma justice, avec laquelle je jugerai tous ceux qui la contrarient et la haïssent ; le deuxième est ma sagesse, avec laquelle j’illumine de ma splendeur tous ceux qui l’habitent ; le troisième est ma puissance, par laquelle je les conforterai et les affermirai contre les embûches du diable ; le quatrième est ma miséricorde, qui reçoit tous ceux qui la demandent. En cette muraille est la porte de la grâce, par laquelle sont reçus tous ceux qui la demandent. Le toit de la maison est la charité, par laquelle je couvre les péchés de ceux qui m’aiment, afin que ces péchés ne les damnent pas. La fenêtre du toit, par où entre le soleil, est la considération de ma grâce, par laquelle la chaleur de ma Divinité entre dans le cœur de ceux qui habitent cette maison.

Quant à ce que nous avons dit, que le mur doit être grand et fort, cela signifie que nul ne peut affaiblir mes paroles ni les détruire. Mais quant à ce que ce mur doit être médiocrement haut, cela signifie que ma sagesse peut être en partie entendue et comprise, mais non pas entièrement. Les fenêtres simples et lumineuses signifient que, par mes paroles, bien qu’elles soient simples, la lumière de la connaissance divine entre néanmoins dans le monde. Le toit médiocrement haut signifie que mes paroles se manifestent, non pas en un sens incompréhensible, mais intelligible.

 

 

XIX.

 

Paroles du Créateur à son épouse, par lesquelles il traite de sa magnificence, de la puissance, de sa sagesse et de sa vertu, et comment ceux qu’on appelle sages pèchent plus contre lui.

 

JE suis l’adorable Créateur du ciel et de la terre. J’ai trois choses avec moi : je suis très-puissant, très-sage et très-vertueux. Certes, je suis si puissant que les anges m’honorent dans le ciel ; les démons, dans l’enfer, n’osent pas me regarder ; avec un clin d’œil, j’arrête tous les éléments. Je suis si sage que nul ne peut trouver le fond de ma sagesse, si savant, que je sais tout ce qui a été et sera ; je suis aussi si raisonnable, qu’il n’y a vermisseau ni animal, si difforme et si petit qu’il soit, que je ne l’aie fait pour quelque fin. Je suis aussi si vertueux que de moi, comme d’une source vive, sort tout bien, comme toute douceur procède d’une bonne vie.

Partant, nul ne peut sans moi être puissant, sage, vertueux. Donc, les puissants de ce siècle, auxquels j’ai donné la force et la puissance pour m’honorer, pèchent contre moi ; mais ils s’en arrogent l’honneur, comme s’ils avaient par eux-mêmes et la puissance et la force, ne considérant pas, misérables qu’ils sont, leur imbécillité ; car si je leur donnais la moindre infirmité, ils défaudraient soudain, et toutes choses leur seraient viles. Mais comment alors subsisteront-ils contre ma force et contre l’enfer ? Or, ceux-là pèchent plus grièvement contre moi, qui maintenant sont appelés sages. Certes, je leur ai donné le sens, l’entendement et la sagesse, afin qu’ils m’aimassent, mais ils ne se soucient que de l’utilité temporelle. Ils ont les yeux derrière la tête ; ils voient ce qui est délectable, mais ils sont aveugles pour voir que je leur ai donné toutes choses, et ils ne m’en remercient pas ; car sans moi, nul ne pourrait comprendre ni goûter le bien et le mal, quoique je permette aux mauvais de fléchir et de tourner leur volonté vers ce qu’ils voudront. Nul aussi ne peut être vertueux sans moi ; partant, je puis m’attribuer le proverbe commun : Celui qui est patient est méprisé de tous. De même, à raison de ma patience, les hommes m’estiment par trop fou, et partant, je suis méprisé de tous.

Mais malheur, funeste malheur à ceux auxquels, après ma patience, je montrerai les rigueurs horribles de ma justice ! car ils seront comme de la boue devant ma justice, qui ne s’arrêtera que lorsque cette boue se sera écoulée dans l’enfer !

 

 

XX.

 

Colloque agréable de la Vierge Mère avec son Fils, et de la Vierge Mère et son Fils avec l’épouse, où il est traité de la manière dont elle doit se préparer aux noces.

 

LA Mère de Dieu semblait dire à son Fils : Ô mon Fils, vous êtes roi de gloire ; vous êtes Seigneur sur tous les seigneurs ; vous avez créé le ciel, la terre et tout ce qui est compris en eux : donc, que votre désir soit accompli, que votre volonté soit faite.

Le Fils répond : C’est l’ancien proverbe : Ce qu’on a appris dans la jeunesse, on le retient dans la vieillesse. De même vous, ô ma Mère ! vous avez appris dans votre jeunesse à suivre ma volonté, en renonçant à la vôtre pour l’amour de moi ; c’est pourquoi vous avez bien dit : Que votre volonté soit faite. Vous êtes comme l’or précieux qui est étendu et frappé sur l’enclume, attendu que vous avez été frappée de toutes sortes de tribulations et avez souffert mille maux durant mon inexprimable passion ; car lorsque mon corps était brisé sur la croix par la violence de la douleur, votre cœur était blessé de cela comme d’un fer très-poignant, et vous eussiez permis volontiers qu’il fût déchiré, si telle eût été ma volonté ; vraiment, quand vous eussiez pu vous opposer à ma passion et désirer ma vie, vous ne l’eussiez voulu que conformément à ma volonté. Partant, vous dites à bon droit : Que votre volonté soit faite.

Après, la Sainte Vierge parlait à l’épouse, disant : Épouse de mon Fils, aimez-le, car il vous aime ; honorez ses saints, qui sont en sa présence, car ils sont comme d’innombrables étoiles (Matth. 13.) ; leur éclat et leur splendeur ne peuvent être comparés à aucune lumière temporelle ; car comme la lumière du monde est différente des ténèbres, de même il y a beaucoup plus de différence entre la lumière des saints et la lumière de ce monde. Je vous dis en vérité que si quelqu’un pouvait voir les saints dans l’éclat où ils sont, l’œil humain ne pourrait en soutenir la splendeur, mais il serait privé de la lumière corporelle.

Après, le Fils de la Vierge parlait à son épouse, disant : Mon épouse, vous devez avoir quatre choses : 1° Vous devez être préparée pour les noces de ma Divinité, dans lesquelles il n’y a aucune volupté charnelle, mais où il y a un grand plaisir spirituel, tel qu’il est convenable que Dieu prenne avec l’âme chaste : de sorte que l’amour de vos enfants, des biens, des parents, ne doit vous retirer de mon amour, de peur qu’il ne vous arrive comme à ces vierges folles (Matth. 25) qui n’étaient point préparées quand Notre-Seigneur les voulut appeler aux noces. Partant, elles en furent à juste raison exclues.

2° Vous devez croire à mes paroles, car je suis la Vérité, source de vérité, et il n’est jamais sorti de ma bouche que la vérité, et on ne peut trouver que vérité en mes paroles, d’autant que, quelquefois, j’entends spirituellement ce que je dis, quelquefois à la lettre, et alors mes paroles doivent être nûment entendues ; et partant, nul ne peut m’accuser de mensonge.

3° Vous devez être obéissante. Qu’il n’y ait aucun de vos membres qui, ayant failli, ne subisse une digne pénitence et ne fasse un amendement, car bien que je sois miséricordieux, je ne laisse pas néanmoins ma justice. Partant, obéissez humblement et joyeusement à ceux à qui vous devez obéir ; même ne faites pas ce qui vous semble utile et raisonnable, si c’est contre l’obéissance. En effet, il est mieux de renoncer par obéissance à votre propre volonté, quoique votre volonté soit bonne, et de suivre la volonté de celui qui commande, si ce qu’il vous commande n’est pas, ou contre le salut de votre âme, ou irraisonnable.

4° Vous devez être humble, car vous êtes unie par un mariage spirituel : donc, vous devez être humble et pudique à l’arrivée de votre époux. Que votre servante, c’est-à-dire, votre corps, soit modérée et retenue, mortifiée et bien conduite. Vous serez certes fructueuse et féconde par la semence spirituelle, et utile à plusieurs ; car comme si le greffe est enté en un tronc sec, le tronc fleurit sans fruit, de même vous devez fructifier et fleurir par ma grâce, qui vous enivrera, afin que toute la cour céleste se réjouisse du vin de douceur que je vous dois donner. Ne vous défiez pas de ma bonté. Je vous certifie que, comme Zacharie et Élisabeth se réjouissaient intérieurement d’une joie ineffable, quand leur fut faite la promesse d’un enfant futur, ainsi vous vous réjouirez intimement des grâces dont je vous veux combler, et d’’ailleurs, les autres se réjouiront par vous. Un ange parlait à deux, à Zacharie et à Élisabeth : et moi, Dieu, Créateur des anges et votre Dieu tout-puissant, je parle avec vous. Ces deux ont engendré mon ami Jean : et moi, par vous, je veux engendrer plusieurs enfants, non charnels, mais spirituels. Je vous dis en vérité que Jean était semblable à un vase plein de miel, d’autant qu’en sa bouche, il n’est jamais entré rien de souillé, et qu’il n’a jamais rien avalé que ce qui était nécessaire à la vie, et s’est toujours conservé dans la pureté, de sorte qu’on le peut bien appeler par excellence ange et vierge.

 

 

XXI.

 

Paroles de l’Époux et l’épouse en une très-belle figure. Magicien par lequel le diable est admirablement désigné et signifié.

 

L’ÉPOUX parlait en figure à son épouse, rapportant l’exemple de la grenouille et disant : Un magicien avait de l’or très-bon et très-brillant. Un homme simple et doux, voulant l’acheter, alla vers le magicien, qui lui dit : Vous n’aurez pas cet or, si vous ne m’en donnez de meilleur et en plus grande quantité. Cet homme simple repartit : Je désire tant votre or que j’aime mieux vous en donner tout ce que vous voudrez que de ne point l’avoir. Et ayant donné au magicien un or meilleur et en une plus grande quantité, il reçut de lui cet or splendide et le mit en son cabinet, pensant en faire un anneau pour son doigt.

Or, un peu de temps s’étant écoulé, le magicien vint vers cet homme simple et lui dit : L’or que vous m’avez acheté et que vous avez mis dans votre cabinet n’est pas de l’or, mais une grenouille très-vile, qui a été nourrie dans ma poitrine et nourrie de ma viande. Et comme il en voulut faire l’expérience, la grenouille apparut en son cabinet, le couvercle duquel pendait sur les quatre gonds, comme celui qui devait tomber de l’instant. Lors, ayant ouvert la porte du cabinet, et ayant vu la grenouille le magicien, celle-ci se jeta en sa poitrine. Voyant cela, les serviteurs et les amis de cet homme impie lui dirent : Seigneur, l’or est caché dans la grenouille, et si vous le voulez, vous le pourrez heureusement avoir. Comment le pourrai-je avoir, dit-il ? Ils lui dirent : Si l’on prenait une lancette fort aiguë et fort chaude, et qu’on l’enfonçât dans le dos de la grenouille, où il est caché, alors soudain il pourrait avoir cet or. Que si l’on ne peut trouver de creux en elle, il faudrait alors enfoncer puissamment et profondément la lancette, et ainsi, vous pourriez avoir ce que vous avez acheté.

Qui est ce magicien, sinon le diable, qui persuade aux hommes les plaisirs, les délectations et les honneurs du monde, qui ne sont qu’une grenouille ? Car il assure que le faux est vrai, et fait voir le vrai faux ; car il possède cet or précieux, c’est-à-dire, l’âme que j’ai faite, par la puissance adorable de ma Divinité, plus précieuse que les étoiles et les planètes ; que j’ai créée pour moi immortelle, stable et délectable par-dessus toutes choses, et lui ai préparé avec moi une habitation, un repos éternel. J’ai racheté cette âme de la puissance du démon avec un meilleur or et un plus grand prix, quand, par amour pour elle, j’ai donné ma chair exempte de péché et impeccable, et ai souffert une si amère passion qu’aucun de mes membres n’a été sans quelque blessure ; et en la créant, je l’ai mise en son corps comme dans un cabinet, jusqu’à ce que je la place dans la dignité suréminente de ma Divinité. Or, maintenant, l’âme étant rachetée de la sorte, elle est devenue comme une grenouille très-laide et très-vile, sautant par la superbe, et demeurant dans le bourbier par la luxure, et elle a enlevé mon or, c’est à-dire, ma justice. Et partant, le diable peut me dire à bon droit : L’or que vous avez acheté n’est pas de l’or, mais une grenouille nourrie au sein de mes plaisirs. Séparez donc le corps de l’âme, et vous verrez qu’elle s’envolera soudain dans mon sein où elle a été nourrie. Je réponds à cela : Vu que la grenouille est horrible à voir, fâcheuse à ouïr, vénéneuse à l’attouchement, et qu’elle ne m’apporte aucun bien, aucun plaisir, mais bien à vous, qui l’avez nourrie dans votre poitrine, elle vous appartient de droit. Partant, séparée du corps, elle s’envolera soudain pour demeurer éternellement avec vous. Car telle est l’âme de celui dont je vous parle : certes, elle est comme une grenouille pernicieuse, pleine d’immondicités, et nourrie de voluptés infâmes dans la poitrine de Satan. J’approche maintenant de son cabinet, c’est-à-dire, de son corps, par l’approche de la mort, qui pend sur quatre gonds qui tombent en ruine, attendu que son corps subsiste par quatre choses : par la force, la beauté, l’afféterie, le regard, qui tous commencent à défaillir et à se flétrir. Quand l’âme sera séparée du corps, elle s’envolera soudain vers le diable, du lait duquel elle est nourrie, d’autant qu’elle a oublié mon amour, qui m’avait fait anéantir et subir la peine et le supplice qu’elle méritait ; car elle ne me rend pas plaisir pour plaisir ; mais d’ailleurs, elle ôte ma justice : elle me devait mieux servir que cela, d’autant que je l’avais rachetée plus qu’aucune autre créature ; mais elle aime mieux être avec le démon. La voix de son oraison m’est comme la voix de la grenouille ; sa vue m’est abominable ; son ouïe n’entendra jamais ma joie mélodieuse ; son attouchement envenimé ne sentira pas ma Divinité. Mais néanmoins, parce que je suis miséricordieux, son âme, bien qu’elle soit immonde, si quelqu’un la sondait et considérait s’il y a en elle quelque contrition ou quelque bonne volonté, et enfonçait en son esprit une lance pointue et fervente, c’est-à-dire, la crainte de mon sévère jugement, son âme trouverait encore ma grâce, si elle y voulait consentir. Que s’il n’y avait en elle ni contrition ni charité ; si quelqu’un la piquait d’une mordante correction et d’une dure répréhension, il y aurait encore en elle quelque espérance, car tant que l’âme vit avec le corps, ma miséricorde infinie est ouverte à tous. Voyez donc que je suis mort pour la charité, et personne ne me rend la charité, mais me ravit ma justice, car il serait juste que les hommes vécussent, d’autant mieux qu’ils ont été éminemment rachetés d’un plus grand labeur. Mais maintenant, ils veulent vivre d’autant plus mal que je les ai plus amèrement et plus précieusement rachetés, et veulent pécher d’autant plus perfidement que plus je leur ai montré l’abomination de leur péché. Partant, voyez et considérez que je ne me courrouce pas sans sujet, car ils convertissent ma grâce en leur malheur ; je les ai rachetés du péché, et ils se plongent de plus en plus dans le péché. Vous donc, ô mon épouse ! rendez-moi ce que vous me devez, c’est-à-dire, gardez-moi votre âme pure, car je suis mort pour vous, afin que vous la gardiez pure et intacte.

 

 

XXII.

 

Des demandes de la douce Mère de Dieu à l’épouse ; des réponses humbles de l’épouse à la Mère ; des répliques utiles de la Mère à l’épouse, et du profit des bons entre les mauvais.

 

LA Mère de Dieu parlait à l’épouse de son Fils, lui disant : Vous êtes l’épouse de mon Fils. Dites ce que vous avez dans l’âme et ce que vous demandez. L’épouse lui répondit : Vous le connaissez fort bien, ô notre Dame ! car vous savez tout. Et alors la Sainte Vierge lui dit : Bien que je sache tout, néanmoins je connaîtrai cela même quand vous parlerez en la présence des assistants, qui vous écoutent. Alors l’épouse repartit : Je crains deux choses : 1° que je ne pleure ni n’amende mes péchés comme je voudrais ; 2° je m’afflige de ce que plusieurs de vos enfants sont vos ennemis. La Sainte Vierge répondit : Je vous donne trois remèdes contre le premier.

En premier lieu, pensez que toutes les choses qui ont une âme, comme les grenouilles et le reste des animaux, reçoivent quelquefois des incommodités ; néanmoins, leur âme ne vit pas éternellement, mais elle meurt avec le corps : mais votre âme et celle de tous les hommes vivent éternellement. En deuxième lieu, considérez la miséricorde de Dieu, car il n’y a pas homme, quelque pécheur qu’il soit, qui n’obtienne pardon, s’il m’en prie avec propos de s’amender et avec contrition du passé. En troisième lieu, voyez combien est grande la gloire de l’âme qui vit et règne sans fin en Dieu et avec l’éternité de Dieu infini.

Contre le deuxième, qui dit que les ennemis de Dieu sont nombreux, donnez aussi à vous-mêmes trois remèdes : 1° considérez que votre Dieu, votre Créateur et le leur, est leur juge, et ils ne le jugeront jamais désormais, bien que, jusqu’au temps destiné, il supporte patiemment leur malice ; 2° pensez qu’ils sont enfants de damnation, et combien pesant et insupportable leur sera de toujours brûler malheureusement d’un inextinguible feu. Ils sont très-pernicieux serviteurs ; ils ne seront jamais mes héritiers, mais mes enfants posséderont mon héritage.

Or, vous me direz peut-être : Il ne faut donc pas leur prêcher la parole de Dieu ? Véritablement vous devez considérer qu’entre les mauvais, il y en a d’ordinaire de bons, et les enfants adoptifs se retirent souvent du bien, comme l’enfant prodigue, qui s’en alla en une autre région éloignée et vécut mal ; et même souvent, ceux-là mêmes sont excités à la componction par la prédication, et retournent vers leur père, qui les reçoit avec autant de plaisir qu’auparavant ils étaient partis pécheurs. Partant, il leur faut prêcher, car bien que le prédicateur voie presque tous ses auditeurs méchants, il doit considérer néanmoins à part soi qu’il y en a parmi ceux-là qui seront peut-être enfants de Dieu. Qu’il leur prêche donc, car ce prédicateur jouira d’une très-bonne récompense.

En troisième lieu, considérez qu’on permet aux méchants de vivre pour éprouver les bons, afin qu’étant exercés par leurs mœurs fâcheuses, les bons soient récompensés par le fruit de leur patience, comme vous le pourrez comprendre par un exemple.

Bien que la rose sente bon, soit agréable à vue, douce au toucher, néanmoins, elle ne croît que parmi les épines, qui sont âpres au toucher, laides à la vue et ne sentent point bon. De même aussi, les hommes bons et justes, bien qu’ils soient doux par leur patience, beaux en leurs mœurs, agréables, en leur conversation, ne peuvent néanmoins s’avancer ni être éprouvés que parmi les mauvais. Quelquefois l’épine empêche que la rose soit cueillie avant qu’elle soit éclose et épanouie : de même les mauvais empêchent les bons de se laisser aller au mal ; souvent ils sont retenus comme par un frein par la malice des méchants, afin qu’ils ne s’échappent par la joie immodérée ou par quelque autre péché. On ne connaît jamais bien le bon vin que dans la lie : de même les bons et les justes ne peuvent s’avancer dans la vertu sans être éprouvés par les tribulations et les persécutions des méchants.

Parlant, supportez librement les ennemis de mon Fils ; considérez qu’il est leur juge, et pensez que, s’il était équitable de les ruiner tout à fait, il pourrait, par ses pouvoirs adorables, les effacer et les perdre en un moment. Endurez-les donc puisqu’il les endure lui-même.

 

 

XXIII.

 

Paroles de Jésus-Christ à son épouse, traitant de l’homme feint et dissimulé qui est appelé ennemi de Dieu. Il parle en particulier de l’hypocrite et le décrit entièrement.

 

L’HOMME feint et dissimulé ressemble à l’homme riche, beau, fort et généreux dans le combat de son seigneur. Mais n’ayant plus son casque sur sa tête, il est abominable à voir et il ne peut rien faire. Son cerveau paraît creux et vide ; il a les oreilles au front et les yeux derrière la tête ; son nez est coupé ; ses joues sont vidées et enfoncées ; il ressemble à un homme mort ; sa mâchoire du côté droit, sa gorge et la moitié des lèvres sont tombées, de sorte qu’il n’y a du côté droit que le gosier qui paraît tout nu ; sa poitrine est pleine de vers qui y fourmillent ; ses bras sont comme deux serpents. Il porte dans son cœur un scorpion pernicieux ; son dos est comme un charbon brûlé ; ses intestins, corrompus et puants, sont comme de la chair en putréfaction ; ses pieds morts sont sans mouvement, incapables de marcher.

Qu’est-ce que tout ceci signifie ? Écoutez, je vous le dirai. L’homme feint et dissimulé paraît devant les hommes à l’extérieur être de bonnes mœurs, orné de sagesse, généreux à la défense de mon honneur ; mais il n’en est pas ainsi, car si on lui ôtait son casque de la tête, c’est-à-dire, si on le montrait aux hommes tel qu’il est en effet, on le verrait le plus vil et le plus poltron de tous. Certes, son cerveau est tout vide ; sa folie et sa légèreté dans ses mœurs montrent assez, par des signes évidents, manifestes, qu’il est indigne d’un tel honneur, car s’il était sage selon ma sagesse divine, il comprendrait qu’il devrait faire une pénitence d’autant plus rude et s’abaisser plus profondément, qu’il est rehaussé en honneur par-dessus les autres. Il a les oreilles au front, attendu qu’au lieu de l’humilité profonde qu’il devrait avoir, à raison de la dignité à laquelle il est élevé et estime, et brille au dessus des autres, il ne veut ouïr que ses propres louanges et ses propres honneurs, s’enorgueillissant de telle sorte qu’il veut que tous l’appellent grand et bon. Il a les yeux derrière la tête, attendu que sa vue et ses connaissances ne sont inutilement occupées que des choses présentes, et non des choses éternelles. Toute son étude est de chercher comment il plaira aux hommes, comment il contentera sa chair, et non comment il me contentera et profitera aux âmes. Son nez est coupé, car la discrétion lui est ôtée, par laquelle il pouvait discerner le péché de la vertu, l’honneur passager de l’honneur éternel, les richesses temporelles des richesses immortelles, et les délices fades et périssables des douces et permanentes délices. Ses joues sont creuses, c’est-à-dire, toute l’humilité qu’il devait avoir devant moi, la splendeur et la beauté dont il devait me réjouir, sont éteintes, flétries, attendu qu’il a eu honte de pécher devant les hommes, et non pour ma considération. L’autre partie de la mâchoire et de la lèvre était toute tombée, de sorte qu’il n’y avait que le gosier, d’autant que l’imitation de mes œuvres, la prédication de mes paroles et la prière fervente, étaient déchues en lui, de sorte qu’il ne reste en lui que le gosier de sa gourmandise. Or, il n’était préoccupé que de l’imitation des méchants, de la révolution des affaires séculières et de leurs tracas. Sa poitrine est remplie de vers, car là où le souvenir de ma passion, de mes œuvres et de mes commandements devait incessamment résider, là est la sollicitude des choses temporelles et la cupidité du monde, qui rongent cruellement sa conscience, comme des vers, afin qu’elle ne pense pas aux choses spirituelles. Dans son cœur, où je (bonté éternelle) voudrais demeurer, et là où mon amour devrait régner, un méchant scorpion réside, qui le pique de sa queue, et le flatte, et l’allèche de sa face, car de sa bouche sortent des paroles séduisantes et affétées, mais son cœur est plein d’injustice et de tromperie, d’autant qu’il ne se soucierait point que l’Église fût détruite, s’il pouvait satisfaire à sa volonté abominable et contenter ses détestables appétits. Ses bras sont comme des serpents pestiférés, car malicieusement il s’étend aux simples, les alléchant et les appelant à soi avec sa feinte simplicité ; et ayant saisi adroitement l’occasion, il les supplante misérablement ; et ensuite, comme un serpent, il s’entortille en cercle, d’autant qu’il cache sa malice et son intolérable iniquité, de telle sorte qu’à grand-peine peut-on découvrir ses ruses et ses tromperies. Cet homme dissimulé est devant moi comme un très-vif serpent : car comme le serpent est haï de toux les animaux, de même l’hypocrite m’est le plus désagréable de tous les pécheurs, attendu qu’il met à néant la grandeur et la rigueur de ma justice, et me répute comme un homme qui ne veut pas se venger. Son dos est noir comme un charbon, bien que, néanmoins, il dût être blanc comme l’ivoire, attendu que ses œuvres devraient être fortes et pures plus que toutes celles des autres, afin qu’il portât les infirmes à bien faire, par sa patience et par l’exemple de sa bonne vie. Mais maintenant, il est comme un charbon, car il est si infirme et si faible qu’il ne saurait endurer une parole pour l’amour de moi ; mais pour l’amour de soi-même il endure tout. Vraiment, il lui semble être fort dans le monde ; néanmoins, quand il pensera subsister, il succombera, parce qu’il est difforme et mort, devant moi et devant les saints, comme un charbon éteint. Ses intestins sont puants, parce que sa pensée et son affection sont puantes comme une charogne dont personne ne peut souffrir la corruption : de même aucun des saints ne peut le supporter, mais tous en détournent le visage et en demandent à Dieu l’épouvantable jugement et la vengeance terrible. Ses pieds sont morts : les deux pieds signifient deux affections qu’il me porte : l’une, le désir d’amender les fautes commises, et l’autre, la volonté de faire le bien. Mais ces deux pieds sont tout à fait morts en lui, attendu que toute la moelle de la charité est consommée, et qu’il ne reste en lui que les os d’un épouvantable endurcissement. Et ainsi est-il devant moi. Néanmoins, tant que l’âme est dans le corps, il peut trouver ma miséricorde.

 

Déclaration.

 

Saint Laurent apparut à sainte Brigitte, disant : Tant que j’ai vécu dans le monde, j’ai eu trois choses : la continence, la miséricorde envers mon prochain, et l’amour envers Dieu. Partant, j’ai prêché avec ferveur la parole de Dieu ; j’ai distribué sagement les biens de l’Église, et supporté joyeusement les fouets, les feux et la mort : mais cet évêque tolère et dissimule l’incontinence du clergé, dépense largement et misérablement les biens de l’Église aux riches ; il a de la charité pour soi et pour les siens. Partant, je lui signifie qu’une légère nuée est déjà montée au ciel. Oh ! que de flambeaux sont éteints et s’obscurcissent, de peur qu’elle ne soit vue de plusieurs ! Or, cette nuée est l’oraison de la Mère de Dieu, qu’elle fait pour l’Église, que les flambeaux de la cupidité, de l’indévotion et du défaut de justice, enveloppent, en sorte que la douceur de la miséricorde de la Mère de Dieu ne peut pénétrer dans le cœur de ces misérables.

Partant, que cet évêque se convertisse soudain à l’amour divin, qu’il se corrige soi-même, et amende ses sujets par ses exemples et par ses paroles, les avertissant, les exhortant vivement à ce qu’il y a de meilleur, sinon, il sentira la main du juge, et son Église sera purifiée par le feu et par le glaive ; elle sera affligée par larcin et par tribulation, en sorte qu’en peu de temps, personne ne la consolera.

 

 

XXIV.

 

Paroles de Dieu le Père devant les troupes célestes, et réponse du Fils et de la Mère au Père, pour obtenir la grâce pour sa fille, c’est-à-dire, pour l’Église.

 

LE Père éternel parlait, lorsque toute la cour céleste écoutait, disant : Devant vous je me plains : j’ai donné ma fille à un homme qui l’afflige trop et la serre misérablement avec un cep de bois, de sorte que toute la moelle sort de ses pieds. Son Fils lui répondit : C’est celle-là que fui rachetée de mon propre sang et que j’ai épousée par mon amour ; mais maintenant, on me l’a ravie par violence. Ensuite la Mère de Dieu disait : Vous êtes mon Dieu et mon Seigneur, et en mon corps ont été les membres de votre Fils, qui est votre vrai Fils et mon vrai Fils. Or, je ne vous ai rien refusé sur la terre : ayez donc pitié de votre fille pour l’amour de mes prières.

Après ceci, les anges parlaient, disant : Vous êtes notre Dieu et notre Seigneur, et nous avons en vous toute sorte de biens, et nous n’avons besoin que de vous. Quand vous vous choisîtes cette épouse, nous vous en félicitions tous ; mais maintenant, nous pouvons nous en contrister à bon droit, car elle est livrée entre les mains d’un méchant, qui l’avilit misérablement et la charge d’opprobres. Faites-lui donc miséricorde pour l’amour de votre grande miséricorde, car sa misère est immense, et il n’y a personne qui la console et l’en affranchisse, si ce n’est vous, ô Seigneur, Dieu tout-puissant !

Alors le Père répondit au Fils : Mon Fils, votre plainte est ma plainte, votre parole est ma parole, vos œuvres sont mes œuvres. Vous êtes en moi et je suis en vous inséparablement. Que votre volonté soit faite. Après, il dit à la Vierge sainte, Mère de Dieu : Comme vous ne m’avez rien refusé sur la terre, je ne veux rien vous refuser dans le ciel. Que votre volonté soit accomplie. Et il dit aux anges : Vous êtes mes amis, et les flammes de votre amour brûlent dans mon cœur. Je ferai miséricorde à ma fille pour l’amour de vos prières.

 

 

XXV.

 

Paroles de Dieu le Créateur à son épouse. En quelle manière sa justice soutient les mauvais : en trois manières ; et comme la miséricorde leur est donnée en trois autres façons.

 

JE suis l’adorable Créateur du ciel et de la terre. Vous admirez, ô mon épouse ! pourquoi je souffre les méchants avec tant de patience : c’est parce que je suis miséricordieux, car ma justice les souffre en trois manières. En premier lieu, ma justice les souffre afin que leur temps soit entièrement accompli. Car comme un roi juste qui a des méchants dans sa prison, si on lui demande pourquoi il ne les fait pas mourir, répond : Parce que l’occasion générale ne s’en est pas encore offerte, où on les entendra, et on les verra souffrir au profit et à l’utilité des auditeurs et des spectateurs : de même je supporte les mauvais jusqu’à ce que leur temps vienne, afin que leur malice soit connue aux autres. N’avais-je pas prédit la réprobation de Saül longtemps avant qu’elle fût manifestée aux hommes, de Saül que j’ai longtemps souffert, afin que sa malice fût manifestée aux autres. Deuxièmement, d’autant que les méchants ont fait quelque bien dont ils doivent être récompensés jusqu’au dernier période de leur vie, afin qu’il n’y ait pas un bien, quelque petit qu’il soit, fait pour l’amour de moi, dont ils ne soient récompensés en cette vie. Troisièmement, je les souffre afin que l’honneur de Dieu et son incomparable patience soient publiés : c’est pourquoi j’ai supporté Pilate, Hérode et Judas, bien que toutefois ils fussent damnés par leurs péchés. Partant, si quelqu’un s’enquiert pourquoi je supporte celui-là et celui-là, qu’il considère un Judas et un Pilate.

Ma miséricorde pardonne aussi aux méchants en trois manières : premièrement, à cause de l’excès de mon amour, car la peine éternelle est longue : c’est pourquoi, à raison de ma grande charité, je les supporte jusqu’au dernier période de leur vie, afin que les peines qui doivent durer longuement commencent fort tard ; en deuxième lieu, afin que leur nature se consomme en vices, car la nature se consomme par le péché, afin qu’ils ne trouvent pas la mort temporelle si amère, si leur nature était forte dans la jeunesse, car la nature jeune fait la mort plus longue et plus amère. En troisième lieu, ma miséricorde leur pardonne, à raison de la perfection des bons et pour la conversion de quelques méchants : car quand les hommes bons et justes sont affligés par les méchants, cela leur profite, ou bien pour les retenir du péché, ou Bien pour les faire mériter. De même les mauvais vivent quelquefois avec les mauvais pour le bien ; car quand les méchants considèrent les évènements des méchants et leur iniquité, ils disent en eux-mêmes : Que nous sert de les suivre ? Puisque Dieu est si patient, il vaut mieux se convertir que l’offenser. Et de la sorte, souvent ceux qui s’étaient retirés de moi retournent vers moi, car ils ont horreur de commettre telles choses que commettent les méchants, leur conscience leur dictant qu’il ne faut pas faire de telles choses. De là vient qu’on dit que celui qui est piqué par le scorpion, guérit soudain, s’il est oint de l’huile d’un autre scorpion mort : de même un méchant, voyant les évènements funestes d’un autre, se repent, et considérant la vanité et l’iniquité d’autrui, guérit les siennes.

 

 

XXVI.

 

Paroles de louange que les anges donnent à Dieu, et de la génération des enfants, si nos premiers parents n’eussent pas péché. En quelle manière Dieu a montré par Moïse ses merveilles à son peuple, et puis lui à nous en son avènement. Des corruptions du mariage corporel qui se font en ce temps, et des conditions d’un mariage spirituel.

 

ON a vu devant Dieu une troupe d’anges qui disaient : Ô Dieu et Seigneur, à vous louange et honneur, à vous qui êtes et qui étiez sans fin ! Nous sommes vos serviteurs. Nous vous louons, nous vous honorons pour trois raisons : premièrement, parce que vous nous avez créés de votre main puissante, afin que nous nous réjouissions avec vous, et que vous nous avez donné la lumière ineffable, afin que nous tressaillions d’une joie indicible et éternelle ; deuxièmement, parce que toutes choses sont créées en votre bonté, persistent en votre stabilité, toutes subsistent selon votre volonté et sont permanentes en votre parole ; troisièmement, parce que vous avez créé l’homme, pour lequel vous avez pris l’humanité, d’où nous retirons un grand sujet de joie et un grand contentement de ce que votre Mère bien-aimée a mérité de porter celui que les cieux ne pouvaient envelopper ni contenir. Que votre gloire et votre bénédiction soient sur toutes choses, pour la dignité angélique dont vous nous avez revêtus et pour le grand honneur que vous nous avez fait ! Que votre éternité, que votre perpétuelle stabilité soit tout à tout ce qui est et sera jamais ! Que votre amour soit sur l’homme que vous avez créé ! Vous seul êtes à craindre à raison de votre grande puissance ; vous seul êtes désirable à cause de votre amour ; vous seul êtes aimable pour votre stabilité : donc, honneur et gloire vous soient incessamment rendus en tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il !

Alors Notre-Seigneur dit : Vous m’honorez dignement pour toutes les créatures ; mais dites, pourquoi me louez-vous pour l’amour de l’homme, puisqu’il a provoqué mon indignation plus que toutes les autres créatures ? Ne l’ai-je pas créé plus excellent que toutes les créatures terrestres ? Ai-je souffert, pour aucune créature, tant de choses si indignes que j’ai souffertes pour lui ? Et ai-je rien acheté plus chèrement que lui ? Ou bien, quelle est celle des créatures qui ne garde pas quelque ordre réglé, si ce n’est l’homme ? Il m’est la plus fâcheuse de toutes les créatures, car comme je vous avais créés pour ma gloire et pour mon honneur, de même j’avais créé l’homme pour ma gloire.

Certes, je lui avais donné le corps comme un temple spirituel, dans lequel j’avais mis l’âme comme un bel ange, parce que l’âme de l’homme est presque semblable à la vertu et à la force d’un ange. Dans ce temple, moi, son Dieu et son Créateur, j’étais le troisième, afin qu’il eût du plaisir et du contentement. Je lui ai fait ensuite avec sa propre côte un autre temple semblable à celui-ci. Mais vous, maintenant, ô mon épouse ! pour l’amour de laquelle se font toutes ces choses, vous pouvez considérer et demander quels enfants seraient nés d’eux, s’ils n’eussent péché. Je vous dis qu’ils seraient nés de la divine charité et de la mutuelle dilection d’Adam et d’Ève ; et de leurs descendants qui se seraient unis, le sang, dans le corps de la femme, serait devenu fécond par l’amour sans aucune sale volupté, et de la sorte la femme se serait rendue fructueuse. Ensuite, l’enfant étant conçu sans péché, sans aucun plaisir immonde, j’aurais versé de ma Divinité une âme en lui, et la femme l’aurait ainsi porté et enfanté sans douleur. L’enfant aurait été, dès sa naissance, parfait comme Adam. L’homme a méprisé cet honneur, quand il a obéi au démon, et a désiré plus d’honneur que je ne lui en avais donné.

Or, la rébellion étant faite, mon ange vint à eux. Ils eurent honte de leur nudité, et soudain ils sentirent la concupiscence de la chair et endurèrent la faim et la soif. Alors ils ne me possédèrent plus, car quand ils me possédaient, ils ne ressentaient ni faim, ni soif, ni délectation sensuelle, ni honte, mais moi seul, j’étais tout leur bien, toute leur douceur et tout leur plaisir, et le diable se réjouissait de leur perte malheureuse et de leur funeste ruine. Moi, ému de pitié sur eux, je ne les ai point laissés, mais je leur ai découvert une triple miséricorde ; car ils étaient nus, je les ai vêtus, et la terre leur a donné du pain. (Gen. 3.) Pour la luxure que le démon avait excitée en eux par l’accroissement de la rébellion, ma Divinité leur a donné pour leur semence des âmes ; et tout ce que le diable leur suggérait de mal, je le changeai heureusement en bien. Je leur ai montré ensuite la manière de bien vivre et de m’honorer, et leur ai permis de se marier et d’engendrer ; car avant que je leur eusse indiqué et permis le mariage, saisis de crainte et d’effroi, ils n’osaient pas se marier.

De même, après qu’Abel eut été tué, Adam et Ève l’ayant pleuré longtemps et s’étant abstenus de l’usage du mariage, ému de compassion envers eux, je les ai consolés. Et alors, ayant connu ma volonté, ils commencèrent de nouveau d’engendrer des enfants, de la postérité desquels moi, leur Créateur, je leur promis de naître, selon les desseins éternels de la Divinité.

Mais la malice des enfants d’Adam croissant de plus en plus, je manifestai aux pécheurs les rigueurs épouvantables de ma justice, et aux élus, les trésors infinis de ma miséricorde. En effet, étant apaisé, je les ai sauvés de la perdition et les ai exaltés, parce qu’ils gardaient mes commandements et croyaient à mes promesses. Or, le temps de ma miséricorde étant arrivé, je leur ai montré mes merveilles par Moïse (Exod. 3. 4. 5. etc.), car j’ai sauvé mon peuple, selon ma promesse. Je les ai nourris de la manne, et j’allais au-devant d’eux, dans la colonne de nuée et de feu ; je leur ai donné ma loi ; je leur ai découvert mes secrets et révélé les choses futures, par mes prophètes. Après tout cela, moi, qui ai créé toutes choses, j’élevai une vierge née de père et de mère (Niceph. lib. I. c. 7.), de laquelle j’ai pris d’une manière ineffable une chair humaine ; et je voulus naître d’elle miraculeusement et sans péché, comme les premiers enfants devaient naître au paradis terrestre, par le mystère de la divine charité, d’un amour mutuel de ceux qui engendraient sans autre immonde volonté. De même ma Divinité a pris chair humaine de la Sainte Vierge, sans connaissance d’homme et sans blesser sa virginité. Venant donc en ma chair, vrai Dieu, et vrai homme, j’accomplis la loi et toutes les Écritures, comme il avait été auparavant prophétisé de moi, et j’ai commencé une nouvelle loi, car l’ancienne était étroite et lourde à porter ; elle n’était qu’une figure des choses futures qu’il fallait faire. En effet, dans cette ancienne loi, il était loisible à un homme d’avoir plusieurs femmes, afin que la postérité ne fût pas sans enfants, ou bien afin qu’ils ne se mariassent pas avec les Gentils. Or, dans ma nouvelle loi, il est ordonné que le mari n’ait qu’une seule femme, et il lui est défendu, tant qu’elle vit, d’en avoir davantage.

 Ceux donc qui se marient, portés par une charité et une crainte divine pour engendrer, me sont un temple spirituel dans lequel, moi, troisième, je veux demeurer avec eux. Mais les hommes de ce temps se marient pour sept raisons : 1° pour la beauté de la face ; 2° pour les richesses ; 3° pour le trop grand plaisir et excessif contentement qu’ils y prennent ; 4° parce que là se font une assemblée de parents et d’amis et des banquets immodérés ; 5° parce qu’au mariage, il y a de l’orgueil dans les habits, les banquets, les cajoleries et autres vanités ; 6° pour engendrer des enfants, non pas pour les nourrir à Dieu ou pour les élever dans les bonnes mœurs, mais pour les faire parvenir aux richesses et aux honneurs ; 7° pour satisfaire comme des chevaux aux appétits de luxure.

Ceux-là viennent avec un consentement et concorde devant la porte de mon Église ; leur affection et leurs pensées me sont entièrement contraires, attendu que, pour plaire au monde, ils préfèrent leur volonté à la mienne. Si leur pensée était en moi ; s’ils mettaient leur volonté dans mes mains et s’ils se mariaient en ma crainte, alors je consentirais à leur mariage et je serais le troisième avec eux. Or, maintenant, mon consentement, qui devrait être le principal de leur fait, leur est refusé, car la luxure est en leur cœur, et non mon amour. Après, ils s’approchent de mon autel, où ils apprennent qu’ils devraient être un même cœur et une même âme en Dieu ; mais alors mon cœur se retire d’eux, parce qu’ils n’ont pas l’amour de mon cœur ni le goût de ma chair divinisée ; car ils cherchent l’amour qui périra soudain, et trouvent la chair que les vers rongeront bientôt. Partant, ceux-là sont unis sans le lien de Dieu, mon Père, et leur union est sans la charité du Fils et sans la consolation du Saint-Esprit.

Or, quand les mariés entrent dans la chambre nuptiale, soudain mon Esprit se retire d’eux, et l’esprit d’impureté s’en approche, attendu qu’ils ne s’unissent que par un mouvement de luxure, et il n’y a que luxure entre eux. Néanmoins, je leur ferais miséricorde s’ils se convertissaient, car ma grande charité verse l’âme vivante, créée par ma puissance, et je permets quelquefois que de mauvais parents engendrent de bons enfants. Ordinairement, néanmoins, de mauvais parents ne naissent que de mauvais enfants, d’autant que ces enfants imitent l’iniquité de leurs parents autant qu’ils peuvent, et les imiteraient davantage, si ma patience le permettait. Un tel mariage ne verra jamais ma face, si les mariés ne font pénitence. Certes, il n’y a pas de péché, quelque grand qu’il soit, qui ne soit effacé par la pénitence.

C’est pourquoi je me convertirai au mariage spirituel que Dieu fait avec un corps et une âme chastes, car en ce mariage se trouvent sept biens opposés aux maux susdits ; car en lui, la beauté et l’éclat du corps n’y sont pas tant désirés, ni la vue de ce qui est désirable par le débordement de la sensualité, mais seulement l’amour et la vue de Dieu. En deuxième lieu, on n’y souhaite pas de grands moyens, mais seulement de quoi vivre et pour subvenir à la nécessité, et non pour la superfluité. Troisièmement, ils y évitent les paroles oiseuses et les cajoleries. Quatrièmement, ils ne se soucient point d’y voir leurs amis et leurs parents, mais je suis leur amour et leur désir. Cinquièmement, ils désirent garder l’humilité intérieure en leurs consciences, et extérieure en leurs vêtements. Sixièmement, ils ne veulent jamais s’adonner à l’impureté. Septièmement, ils enfantent à Dieu leurs fils et leurs filles par la sainte conversation, par le bon exemple et par la prédication de la parole de Dieu. Ceux-là assistent alors aux portes de mon Église, quand ils gardent une foi inviolable, quand ils obéissent à mes volontés et moi aux leurs, et ils s’approchent de mon autel, quand ils se plaisent à mon corps et à mon sang. Et en cette délectation, ils veulent être un même cœur, une même âme et une même volonté, et moi, Dieu et homme puissant dans le ciel et sur la terre, je serai troisième avec eux, moi qui remplis leur cœur.

Les mariés de ce temps commencent leur union par la luxure, comme les chevaux, et sont pires que les chevaux. Mais les mariés spirituellement commencent en la charité et la crainte divine ; ils veulent ne plaire qu’à moi seul. Le diable remplit et excite ceux-là à la délectation de la chair, dans laquelle il n’y a que puanteur, mais ceux-ci sont remplis de mon Esprit, et sont enflammés du feu de l’amour divin, qui ne s’éteint jamais en eux. Je suis un Dieu en trois personnes et un en substance avec le Père et le Saint-Esprit ; car comme il est impossible de séparer le Père du Fils, et le Saint-Esprit du Père et du Fils ; et comme il est impossible de séparer la chaleur du feu, de même il est impossible de séparer de moi tels mariés spirituels, et de faire que je ne sois le troisième avec eux, car mon corps a été déchiré et mis à mort dans la passion, mais il ne sera jamais plus déchiré, il ne mourra jamais plus. De même ceux qui me sont incorporés par une foi droite et par une volonté parfaite ne mourront jamais, car là où ils sont debout, assis ou marchant, je suis toujours le troisième avec eux.

 

 

XXVII.

 

Paroles de la Mère du Dieu à 1’épouse, où elle lui montre qu’il y a trois choses dans les danses. Comment ce monde est désigné pour les danses. Tribulation que reçut la Mère de Dieu en la mort de Jésus-Christ.

 

LA Mère de Dieu parlait à l’épouse de Jésus-Christ, disant : Ma fille, je désire que vous sachiez que là où est la danse, là sont trois choses : la joie vaine, la voix épandue et le labeur superflu. Mais quand quelqu’un entre triste et dolent dans une maison où l’on danse, alors son ami, qui participait à la joie de la danse, le voyant triste et dolent, quittant soudain sa joie, se retire de la danse, afin de s’affliger avec son ami. Cette danse est le monde, qui roule incessamment en ses solitudes malheureuses, que ceux qui sont fous prennent pour des joies et des contentements. Dons ce monde, il ya trois choses : la vaine joie, les paroles de cajolerie et le labeur inutile : car ce à quoi l’homme s’attache avec tant de sollicitude le laisse le jour de sa mort. Or, que celui qui est en cette danse considère mon labeur et ma douleur incomparable ; qu’il compatisse avec moi, qui étais privée et séparée de toute la joie mondaine, et qu’il se sépare aussi du monde.

Certes, à la mort de mon Fils, j’avais le cœur transpercé de cinq lances : la première lance était de voir mon très-cher Fils tout puissant nu à la colonne, sans pouvoir couvrir sa nudité. La deuxième était l’accusation des blasphèmes qu’on vomissait contre lui, car en l’accusant d’être traître, menteur, perfide et déloyal espion, lui que je savais juste, véridique ; lui qui n’avait jamais voulu offenser personne. La troisième lance était la couronne d’épines qui a si inhumainement percé sa tête que le sang découlait dans sa bouche, dans sa barbe et dans ses oreilles. La quatrième était sa voix lamentable sur la croix, disant : Mon Père, pourquoi m’avez-vous délaissé ? comme s’il eût voulu dire : Il n’y a que vous qui me fassiez miséricorde. La cinquième lance qui perçait mon cœur était sa mort très-amère, et mon cœur a été presque blessé d’autant de lances qu’il est sorti de sang de ses veines. Or, les veines de ses pieds et de ses mains ont été percées, et la douleur des nerfs percés a répondu si vivement à son cœur, et du cœur à ses nerfs sans aucun relâche, attendu que son cœur était délicat (parce qu’il était d’une très-bonne nature), que sa vie et sa mort combattaient ensemble : et ainsi sa vie était prolongée avec ses cuisantes douleurs. Mais la mort s’approchant, son cœur se fondit à cause de l’intolérable douleur ; alors soudain tous ses membres tremblèrent, et sa tête, qui était baissée, se leva un peu ; ses yeux à demi clos s’ouvraient à demi. Sa bouche aussi était ouverte, et on voyait sa langue ensanglantée ; ses doigts et ses bras, qui s’étaient aucunement retirés, s’étendaient. Mais quand il eut rendu l’esprit, sa tête s’abaissa vers sa poitrine, ses mains se retirèrent un peu du lieu des plaies, et ses pieds supportaient un plus grand poids. Alors mes mains se séchèrent, mes yeux s’obscurcirent, ma face pâlit comme la face d’un homme mort, mes oreilles n’entendaient rien, ma bouche ne parlait point, mes pieds chancelaient, et mon corps tomba à terre.

Or, me relevant, voyant mon cher Fils plus méprisé qu’un lépreux, je conformai ma volonté à la sienne, sachant que toutes choses avaient été faites selon sa volonté, et que rien ne se pouvait faire que par sa permission, et le remerciai de toutes ces choses.  Sa joie était mêlée de douleur, car je voyais qu’innocent, il avait voulu souffrir avec tant d’amour pour les pécheurs. Donc, que tous ceux qui sont dans le monde considèrent quelle j’étais à la mort amère et cruelle de mon Fils, et qu’ils aient toujours cet objet posé devant les yeux de leur esprit.

 

 

XXVIII.

 

Paroles de Notre-Seigneur à son épouse, par lesquelles il lui montre en quelle manière quelqu’un vint devant le tribunal pour être jugé, et de la sentence horrible et formidable que lancèrent contre lui Dieu et tous les saints.

 

SAINTE Brigitte, épouse, voyait Dieu comme courroucé, qui disait : Je suis sans commencement et sans fin ; il n’y a point en moi de changement, ni dans les ans, ni dans les jours, mais tout le temps de ce monde est en moi comme une heure ou comme un moment. Celui qui me voyait, voyait et entendait en moi tout ce qui y est comme en un point ; mais parce que vous, ô mon épouse ! êtes encore corporelle, vous ne pouvez le voir ni le connaître comme un esprit. Partant, pour l’amour de vous, je vous manifesterai tout ce qui s’est passé.

Je suis assis comme au jugement criminel, d’autant que tout jugement m’est donné. Quelqu’un 3 qui devait être jugé vint devant le tribunal. On entendit la voix du Père, qui lui dit : Malheur à vous, de ce que vous êtes né ! non pas que Dieu se repentît de l’avoir fait, mais il parlait comme celui qui a coutume de souffrir et de compatir à l’affligé. Après, la voix du Fils répondit : J’ai versé mon sang pour l’amour de vous, et j’ai souffert pour vous une peine très-amère ; vous vous êtes éloigné de tout ce bien, et n’avez rien en vous de tout ceci. La voix du Saint-Esprit dit : J’ai cherché dans tous les replis de son cœur, pour savoir si par hasard j’y trouverais un peu de charité et d’affection, mais il est froid comme la glace, dur comme la pierre : je n’ai rien avec lui. Les trois voix n’ont pas été ouïes comme s’il y avait trois dieux, mais elles ont été proférées pour l’amour de vous, ô mon épouse ! car vous ne pouviez autrement entendre ce mystère.

Après, ces trois voix du Père, du Fils et du Saint-Esprit, se sont changées soudain en une voix qui a dit : Le royaume des cieux ne vous est dû aucunement. La Mère de miséricorde ne dit pas un mot, n’ouvrit pas le sein de sa miséricorde, car celui qui devait être jugé en était indigne, et tous les saints criaient d’une commune voix, disant : Telle est la rigueur, telle est la fureur de la divine justice, qu’il soit banni du royaume et de la joie éternelle. Et tous ceux qui étaient en purgatoire dirent : Les douleurs que nous endurons, quelque amères qu’elles soient, ne peuvent vous punir de vos péchés, car vous méritez de souffrir de plus grandes peines : partant, vous serez séparé de nous.

Alors celui qui devait être jugé criait d’une voix horrible, disant : Malheur ! malheur à la semence dont j’ai été engendré et formé ! Après, il disait : Malheureuse soit l’heure où mon âme a été unie à mon corps ! Maudit soit celui qui m’a donné le corps et l’âme ! En troisième lieu, il criait et disait : Maudite soit l’heure où je suis sorti vivant du ventre de ma mère ! Alors sortirent de l’enfer trois voix qui lui disaient : Venez à moi, âme maudite, entrez dans la mort éternelle et dans la douleur sans fin. Ensuite une autre voix horrible, épouvantable, s’entendit, criant : Venez, ô âme vide de bien ! livrez-vous à notre malice, car il n’y aura aucun de nous qui ne vous remplisse de la fureur de sa malice et de sa peine. En troisième lieu, cette voix disait : Venez, ô âme maudite ! lourde comme une pierre qui s’enfonce toujours et ne trouve jamais le fond où elle puisse reposer : de même, vous descendrez en un lieu plus profond et plus horrible que le nôtre, afin que vous ne puissiez vous arrêter avant d’arriver à l’abîme profond et épouvantable. Et alors Notre-Seigneur lui dit : Je fais comme un homme qui a plusieurs femmes : voyant la chute de l’une, il se tourne vers les autres et se réjouit avec elles : de même, je détourne de lui ma face et ma miséricorde infinie, et je regarde d’un œil favorable mes serviteurs et me réjouis avec eux. Partant, quand vous entendez la chute funeste et la misère déplorable de celui-ci, servez-moi aussi sincèrement que je vous ai fait plus de miséricorde. Fuyez le monde impur et son insatiable concupiscence. N’ai-je pas enduré une passion amère et anéantissante pour la gloire du monde ? Ne pouvais-je pas le racheter avec moins de douleur ? Oui, vraiment. Mais la rigueur de la justice l’exigeait de la sorte : car comme l’homme avait péché par tous ses membres, aussi fallait-il satisfaire pour tous. Pour cela, la Divinité, compatissant à l’homme, brûla d’une si grande charité et d’un si grand amour envers la Vierge sainte, qu’elle prit d’elle la nature humaine en laquelle Notre Seigneur porta toute la peine que l’homme devait supporter. Donc, si, pour l’amour de vous, je supporte votre peine, demeurez, comme mes vrais et fidèles serviteurs demeurent, en humilité, afin que vous n’ayez honte de rien ni ne craigniez rien que moi. Gardez-vous tellement de parler, que, si vous saviez que ce fût ma volonté, vous ne voudriez jamais parler. Ne vous attristez pas pour les choses temporelles, car elles sont périssables, puisque je puis enrichir et appauvrir celui que je voudrai. Partant, ô mon épouse ! mettez en moi toute votre espérance.

 

 

XXIX.

 

Parole de la Vierge Marie à sa fille, traitant de deux dames dont l’une s’appelle Superbe, et l’autre Humilité, par laquelle était désignée la douceur de la Sainte Vierge. De la venue que la Sainte Vierge fait chez ses amis à l’heure de la mort.

 

LA Mère de Dieu parlait à l’épouse de son Fils, lui disant : Il y a deux dames, l’une sans nom spécial, car elle n’en mérite pas, l’autre est Humilité, qui s’appelle Marie. Le démon domine la première.

Un chevalier disait à cette dame : Je suis prêt à faire tout ce que vous voudrez et tout ce que je pourrai, pourvu que j’abuse impurement de vous, car je suis fort magnanime de cœur ; je ne crains rien ; je suis prêt à mourir pour vous.

La dame lui répondit : Mon serviteur, votre amour pour moi est grand ; mais moi, je suis assise sur un siège élevé. Je n’ai qu’un seul siège, et il y a trois portes entre nous : la première est si étroite que tout ce qui est corporel s’y déchire, quand l’homme y passe ; la deuxième a des pointes si aiguës qu’elles percent jusques aux nerfs ; la troisième est si ardente que le feu y est incessamment, de sorte que celui qui y passe se fond soudain comme du métal.

Or, moi, je suis hautement assise ; et comme il n’y a qu’un siège, il faut que celui qui veut s’asseoir avec moi tombe dans le chaos qui est sous mes pieds.

Le chevalier lui répondit : Je donnerai ma vie pour vous, car je ne fais pas grand cas de cette chute.

Cette dame, c’est la Superbe. Celui qui voudra aller vers elle passera par trois portes. Celui-là entre par la première porte, qui fait tout pour s’attirer la louange des hommes et pour s’en enorgueillir. Celui-là entre par la deuxième porte, qui fait tout, qui emploie ses pensées et son temps pour pouvoir accomplir la superbe ; qui, s’il le pouvait, donnerait sa chair à déchirer, pourvu qu’il pût acquérir de l’honneur et des richesses. Celui-là entre par la troisième porte, qui n’a jamais de repos, qui ne se tait jamais, et brûle comme un feu pour trouver les manières de s’enorgueillir et d’acquérir des honneurs. Mais quand il aura acquis ce qu’il désirait, il ne demeurera guère en même état, mais il tombera misérablement. Et néanmoins, la Superbe demeure dans le monde.

Quant à moi, dit la Vierge Marie, qui suis très-humble, je suis assise en un lieu spacieux, et il n’y a au-dessus de moi ni lune m’soleil, mais une inestimable, une admirable sérénité, qui procède de la majesté divine. Au-dessous de moi, il n’y a ni terre ni pierres, mais un incomparable repos au sein de la divine vérité. Auprès de moi, il n’y a point de mur, mais une glorieuse compagnie des anges et des âmes bienheureuses. Et bien que je sois assise si haut, néanmoins, j’entends les gémissements et je vois les larmes de mes amis qui sont sur la terre. Je vois que leurs peines et leur force sont plus grandes que celles de ceux qui combattent pour dame Superbe. Partant, je les visiterai et les placerai sur mon trône, qui est spacieux, qui peut les contenir tous. Mais ils ne pourront encore venir à moi ni s’asseoir avec moi, d’autant qu’il y a deux murs entre eux, par lesquels je les conduirai sûrement, afin qu’ils arrivent jusqu’à mon trône. Le premier mur est le monde, qui est étroit et rigoureux : c’est pourquoi je consolerai mes serviteurs ; le second mur est la mort : partant, moi, leur chère Dame et leur Mère, j’irai au-devant d’eux ; je les assisterai à la mort, afin que, dans la mort, ils trouvent soulagement et consolation. Je les placerai avec moi sur le trône de la joie céleste, afin qu’au sein d’une dilection perpétuelle et d’une éternelle gloire, ils reposent éternellement avec une joie qu’on ne peut exprimer.

 

 

XXX.

 

Paroles amoureuses de Notre-Seigneur à son épouse, qui traitent de la multiplicité des faux chrétiens pour se crucifier avec lui ; et comment, s’il était possible, il serait de nouveau prêt à endurer la mort pour les pécheurs.

 

JE suis Dieu. Mes pouvoirs sont infinis. J’ai créé toutes choses pour l’utilité des hommes, afin qu’elles servissent toutes à l’éducation de l’homme ; mais l’homme abuse de toutes à son détriment. Et d’ailleurs, il se soucie bien peu de Dieu et l’aime moins que la créature. Les Juifs irrités me firent, dans la passion, trois sortes de peines : l’une fut le bois sur lequel je fus cloué, fouetté et couronné ; l’autre fut le fer avec lequel mes pieds et mes mains furent attachés ; la troisième fut le fiel dont je fus abreuvé. Après, ils blasphémaient contre moi, disant que j’étais un insensé, attendu que, franchement et librement, je m’étais exposé à souffrir la mort, et m’appelaient menteur en ma doctrine.

Oh ! combien dans le monde il y a maintenant de gens de cette trempe, qui me donnent bien peu de consolation ! car ils m’attachent au bois par la volonté qu’ils ont de pécher ; ils me fouettent par leur impatience, car il n’y en a pas un qui veuille souffrir une parole pour l’amour de moi ; et ils me couronnent des épines de superbe, d’autant qu’ils veulent être plus grands que moi. Ils percent mes mains et mes pieds par le fer de leur endurcissement, attendu qu’ils se glorifient d’avoir péché, et s’endurcissent afin de me craindre. Par le fiel, ils m’offrent d’insupportables tribulations ; par une passion douloureuse, à laquelle j’allais joyeusement, ils me croient insensé, et disent que je suis un menteur. Or, de fait, je suis assez puissant pour les submerger, même tout le monde avec eux, à raison de leurs péchés, si je voulais ; et si je les submergeais, ceux qui resteraient me serviraient par crainte ; mais cela ne serait pas juste et équitable, attendu que, par amour, ils devraient me servir fidèlement. Or, si je venais visiblement et en personne chez eux, leurs yeux ne pourraient me regarder ni leurs oreilles m’ouïr. En effet, comment un homme mortel pourrait-il voir un immortel ? Je mourrais certes franchement, poussé par l’incomparable amour que j’ai pour l’homme, s’il en était besoin, et si c’était possible.

Alors apparut la bienheureuse Vierge Marie, et son Fils lui dit : Que voulez-vous, ma Mère, ma bien-aimée ? Elle répondit : Hélas ! mon Fils, faites miséricorde à votre créature par l’amour de votre amour. Et Notre-Seigneur repartit : Je leur ferai encore une fois miséricorde pour l’amour de vous. Puis l’Époux, Notre-Seigneur, parlait à son épouse, disant : Je suis Dieu et Seigneur des anges. Je suis Seigneur de la mort et de la vie. Moi-même je veux demeurer en votre cœur. Voici combien d’amour j’ai à votre égard : le ciel, la terre, et tout ce qui est en eux, ne peuvent me contenir, et toutefois, je veux demeurer en votre cœur, qui n’est qu’un petit morceau de chair. Qui donc alors pourrez-vous craindre ? De qui pourriez-vous avoir besoin, quand vous avez en vous-même le Dieu tout-puissant, qui a en soi tout bien ?

Il faut donc qu’il y ait trois choses dans le cœur qui doit être ma demeure : le lit, dans lequel nous nous reposions, le siège sur lequel nous nous asseyons, la lumière, afin d’être illuminés. Donc, qu’en votre cœur soit un lit de repos et de quiétude, afin que vous vous retiriez des pensées perverses et des désirs du monde, et que vous considériez incessamment la joie éternelle. Le siège doit être la volonté de demeurer avec moi, bien qu’il arrive parfois que vous excédiez : car c’est contre l’ordre de la nature d’être toujours en même état. Or, celui-là s’arrête en même état qui désire d’être au monde et de ne s’asseoir jamais avec moi. La lumière doit être la foi, par laquelle vous croyez que je puis tout et que je suis tout-puissant par-dessus tout.

 

 

XXXI.

 

En quelle manière l’épouse voyait la très douce Vierge Marie enrichie d’une couronne et d’autres ornements, et comment saint Jean-Baptiste lui apparut et lui déclara ce que signifient la couronne et les autres ornements.

 

L’ÉPOUSE sainte Brigitte voyait la Mère de Dieu et la Reine du ciel qui avait sur sa tête une inestimable couronne. Ses cheveux, d’un éclat et d’une beauté admirables, tombaient sur ses épaules. Elle avait une tunique d’or d’une splendeur éclatante, et un manteau bleu comme le ciel ; mais elle était ravie en admiration d’une vision singulière, et elle était immobile d’admiration, comme aliénée de soi par la vue intérieure. Soudain lui apparut saint Jean-Baptiste qui lui dit : Écoutez attentivement : je vais vous dire ce que ces choses signifient.

La couronne signifie que la Sainte Vierge est Reine, Dame, Mère du roi et des anges. Les cheveux épars signifient qu’elle est vierge très pure et très-parfaite. Son manteau bleu comme le ciel signifie que toutes les choses temporelles lui étaient comme mortes. Sa tunique d’or signifie qu’elle fut ardente en amour et en charité, tant intérieurement qu’extérieurement.

Son Fils a mis en sa couronne sept lis, et entre les lis, sept pierres précieuses. Le premier lis, c’est son humilité, le deuxième la crainte, le troisième l’obéissance, le quatrième la patience, le cinquième la stabilité, le sixième la douceur, car c’est à ceux qui sont doux qu’il convient fort bien de donner à tous ceux qui demandent ; le septième est la miséricorde dans les nécessités : en effet, en quelque nécessité que l’homme se trouve, s’il l’invoque, il sera sauvé.

Le Fils de Dieu a mis entre ces sept lis sept pierres précieuses : la première, c’est son éminente vertu : en effet, il n’est pas, dans quelque esprit, dans quelque corps que ce soit, de vertu que cette Vierge sainte n’ait en elle plus excellemment et avec plus d’éminence ; la deuxième est une pureté parfaite, car cette Reine du ciel a été si pure, qu’il ne s’est pas trouvé en elle la moindre tache de péché, depuis le jour de sa naissance jusqu’au dernier période de sa vie ; tous les démons n’ont pu trouver en elle la moindre impureté. Vraiment, elle fut très-pure, car il était décent que le roi de gloire ne reposât qu’en un vase qui très-pur et très-choisi par-dessus les anges et les hommes. La troisième pierre précieuse est la beauté, d’autant que Dieu est loué de la beauté de sa Mère par ses saints, et la joie de tous les anges, de tous les saints et de toutes les saintes, est accomplie. La quatrième pierre précieuse de la couronne est la sagesse de la Vierge Mère, car étant enrichie d’éclat et de beauté, elle a été remplie et accomplie de toute sagesse avec Dieu. La cinquième est la force, d’autant qu’elle est si forte avec Dieu qu’elle peut ruiner et perdre tout ce qui est créé. La sixième pierre, c’est son éclat et sa clarté, car les anges, qui ont leurs yeux plus clairs que la lumière, sont illuminés de son éclat, et les démons, éblouis de sa beauté, n’osent regarder sa splendeur. La septième pierre est la plénitude de toute délectation, de toute douceur spirituelle, qui est en elle avec tant de plénitude, qu’il n’y a joie qui ne soit augmentée par la sienne, nulle délectation qui ne s’accomplisse de la vue bienheureuse d’elle ; car elle a été remplie de grâce par-dessus tous les saints ; car elle est le vase de pureté où s’est trouvé le pain des anges, et où se trouvent toute douceur et toute beauté. Son Fils a mis ces pierres entre les lis qui étaient sur la couronne de la Vierge. Honorez-la donc, ô épouse du Fils ! et louez-la de tout votre cœur : elle est digne en effet de tout honneur et de toute louange.

 

 

XXXII.

 

En quelle manière l’épouse sainte Brigitte, étant avertie de Dieu, choisit la pauvreté, rejeta les richesses et méprisa sa maison. De la vérité de ce qui lui a été révélé, de trois choses notables que Jésus-Christ lui montre.

 

VOUS devez être comme un homme qui épand et qui amasse : vous devez laisser les richesses de l’esprit, les richesses du corps et amasser les vertus ; laisser ce qui est périssable et entasser ce qui est durable ; abandonner les choses visibles et amasser les choses invisibles : car je vous donnerai, pour la délectation de la chair, la joie et l’ivresse de l’esprit ; pour le plaisir du monde, la délectation du ciel : pour l’honneur du monde, l’honneur des anges ; pour la vue de vos parents et leur conversation, la vision ravissante de Dieu ; pour la possession des biens, je me donnerai moi-même à vous, moi, auteur, créateur et source inépuisable de tous biens.

Dites-moi trois choses que je vous demande : 1° Voulez-vous être riche ou pauvre en ce monde ? Elle répondit : Seigneur, j’aime mieux être pauvre que riche, attendu que les richesses ne m’apportent d’autre bien qu’une importune sollicitude qui me retire du service de mon auguste et adorable Dieu. 2° N’avez-vous pas trouvé en mes paroles, que vous avez ouïes de ma bouche, quelque chose de faux ou de répréhensible, selon votre pensée ? Hélas ! non, dit-elle, car tout est selon la raison. 3° Y a-t-il plus de contentement dans les plaisirs de la chair, que vous avez eus autrefois, que dans les plaisirs de l’esprit, dont vous jouissez maintenant ? J’ai honte, dit-elle, de penser à l’ombre fuyante des plaisirs charnels passés, et ils me sont maintenant comme autant de poisons, et d’autant plus amers que je les ai aimés avec plus de passion, car j’aimerais mieux mourir que de les reprendre, et il n’y a pas de comparaison entre les plaisirs spirituels et les plaisirs corporels.

Vous éprouvez donc en vous, dit Notre-Seigneur, que ce que je vous avais dit autrefois est véritable. Pourquoi craignez-vous donc, ou pourquoi vous inquiétez-vous si je tarde de faire ce que je vous ai dit ? Considérez les prophètes, les apôtres et les saints docteurs : ont-ils trouvé en moi, source de la vérité, autre chose que la vérité ? C’est pourquoi ils ne se sont souciés ni du monde ni de la concupiscence. Ou bien, pourquoi les prophètes ont-ils prophétisé de si loin les choses à venir, si ce n’est que Dieu a voulu que les paroles fussent d’abord connues, puis que les œuvres les suivissent, et que les ignorants fussent instruits dans la foi ? Car tous les mystères de mon ineffable incarnation furent auparavant connus des prophètes, voire l’étoile qui conduisit les mages fut prévue par eux. Ceux qui croyaient aux paroles du Prophète méritèrent de voir ce qu’ils croyaient ; et ayant vu l’étoile, ils en ont soudain été faits certains. De même maintenant, mes paroles doivent être premièrement annoncées, et après que les œuvres auront suivi, on y croira plus évidemment.

Je vous ai montré trois choses : la première, c’est la conscience d’un certain homme 4 que vous montrai par des signes très-évidents, quand je manifestais son péché. Mais pourquoi ne pouvais-je pas le faire mourir ou ne pouvais-je pas le submerger en un instant ? Je le pouvais de fait ; mais pour instruire les autres et pour l’évidence de mes paroles, et afin que je manifeste combien je suis juste et patient, et combien est malheureux celui que le diable domine, je ne l’ai pas voulu faire. Voilà les raisons pourquoi mon insigne patience le souffre encore, car à cause de la volonté qu’il a de continuer son péché et de la délectation qu’il y prend, la puissance du diable enragé s’est tellement augmentée sur lui, que ni la douceur des paroles, ni la rigueur des menaces, ni la crainte de la géhenne infernale ne le peuvent rappeler. Et certes, il est digne de cela, car il a eu volonté de pécher toujours, bien qu’il ne l’ait pas mise à effet. Il mérite donc d’être mis éternellement en enfer avec le diable, d’autant que le moindre péché mortel auquel on se délecte, si on ne s’amende pas, est suffisant pour la damnation éternelle. Je vous en ai encore montré deux autres : le corps de l’un était furieusement tourmenté par le diable, mais il n’était pas dans son âme ; il obscurcissait la conscience de l’autre par des ruses et des tromperies ; toutefois, il n’était pas dans son âme et il n’avait aucune puissance sur elle.

Mais peut-être vous vous enquerrez si l’âme et la conscience, ce n’est pas la même chose. Le diable n’est-il pas dans l’âme, quand il est dans la conscience ? Non, car comme le corps a deux yeux par le moyen desquels il voit, et que, bien qu’on ôte les yeux du corps, il demeure néanmoins entier, de même en est-il de l’âme. En effet, bien que l’entendement et la conscience soient quelquefois troublés quant à la peine, néanmoins l’âme n’est pas offensée quant à la coulpe : c’est pourquoi le diable dominait la conscience de l’un et non pas son âme. Je vous montrerai le troisième, dont la conscience et l’âme sont entièrement dominées par le démon, et le démon n’en sortira pas, à moins qu’il n’y soit contraint par ma toute-puissance et par ma grâce spéciale. Le diable sort librement de quelques hommes et fort vitement, et des autres, non sans y être contraint, car le diable entre en quelques-uns, ou à cause du péché des parents, ou bien par quelque secret jugement de Dieu, comme on le voit dans les enfants et les insensés. Il entre dans les autres à cause de l’infidélité ou de quelque autre péché. Le diable sort fort librement de ceux-ci, s’il est jugé par ceux qui savent des conjurations et autres artifices pour le chasser ; s’ils le chassent par vaine gloire, ou bien pour quelque lucre temporel, alors le diable a le pouvoir d’entrer en celui qui l’avait chassé de l’autre, et de nouveau en celui-ci même, duquel il a été chassé, d’autant que l’amour de Dieu n’était ni en l’un ni en l’autre. Or, il ne sort jamais de ceux qu’il possède corporellement et spirituellement, que par ma puissance. Comme le vinaigre, s’il s’est mêlé au vin doux, le corrompt entièrement et ne peut jamais en être séparé, de même le diable ne sort jamais que par ma puissance d’une âme qu’il possède. Or, ce vin n’est autre chose que l’âme, qui m’a été si chère par-dessus toutes les créatures, que j’ai permis qu’on coupât mes nerfs et qu’on déchirât ma chair jusques aux côtes pour l’amour d’elle ; et avant que cette âme me fût ôtée, j’ai souffert la mort. Ce vin se conserve dans la lie, d’autant que j’ai mis l’âme dans le corps, où, comme dans un vase clos, elle était conservée pour accomplir mes volontés. Mais on a mêlé à ce doux vin le vinaigre, qui est le diable, dont la malice m’est plus aigre et plus abominable que le vinaigre. Ce vinaigre, c’est-à-dire, le diable, sera chassé de cet homme dont je vous ai dit le nom, afin qu’en lui je vous montre ma miséricorde infinie et mon incomparable sagesse, et dans le premier, ma justice rigoureuse et mon épouvantable jugement.

 

 

XXXIII.

 

Paroles par lesquelles Notre-Seigneur avertit son épouse, pour discerner la vraie sagesse de la fausse. Comment les bons anges assistent les hommes sages et comment les diables sont auprès des hommes méchants.

 

MES amis sont comme quelques écoliers qui ont trois choses : la première, une conscience et une intelligence ; la deuxième, une sagesse sans l’avoir apprise des hommes, d’autant que moi-même je les enseigne intérieurement ; la troisième, c’est qu’ils sont pleins de douceurs, et de dilection divine, par le moyen de laquelle ils surmontent le diable. Mais maintenant, les hommes apprennent au rebours : 1° ils veulent être savants pour s’enorgueillir et pour être réputés bons clercs ; 2° pour acquérir des richesses ; 3° pour se faire passage et jour aux honneurs et aux dignités. C’est pourquoi, quand ils entrent et qu’ils sortent des écoles, je me retire d’eux, d’autant qu’ils apprennent pour s’enorgueillir, et moi, je leur ai enseigné l’humilité. Ils y entrent pour la cupidité d’avoir, et moi je n’ai rien eu pour appuyer ma tête. Ils y entrent pour obtenir les charges et les dignités, portant envie à ceux qui les surpassent, et moi, j’étais jugé par Pilate et j’étais la risée d’Hérode : c’est pourquoi je me retire d’eux, car ils n’apprennent pas ma doctrine. Mais néanmoins, parce que je suis bon et doux, je donne ce qu’on me demande, car celui qui me demande du pain en aura, celui qui me demande un lit le recevra. Or, mes amis demandent du pain quand ils cherchent et apprennent la sagesse divine, dans laquelle est mon amour ; mais d’autres demandent un lit, c’est-à-dire, une sagesse mondaine ; car comme il n’y a aucune utilité dans le lit, mais qu’il y a de la paille, pâture des animaux irraisonnables, il en est de même de la sagesse du monde, qu’ils cherchent avec tant de passion : il n’y a en elle aucune utilité, aucun rassasiement de l’âme, si ce n’est un petit nom et un labeur vain ; car quand l’homme vient à mourir, toute sa sagesse est réduite à néant et ne peut être vue de ceux par qui il était loué. De là vient que je suis comme un grand seigneur qui a plusieurs serviteurs qui distribuent de la part de leur maître tout ce qui est nécessaire : de même les bons et les mauvais anges s’arrêtent à mon commandement. Or, ceux qui apprennent ma sagesse admirable, c’est-à-dire, à me bien servir, sont servis par les bons anges, qui les repaissent d’une consolation indicible et d’un délectable labeur. Mais les mauvais anges assistent les sages du monde, leur suggèrent et forment en eux les désirs inutiles, selon leur volonté, leur inspirant des pensées laborieuses. Vraiment s’ils se tournaient vers moi, s’ils se convertissaient, je pourrais leur donner du pain sans labeur. Le monde leur en donne, mais ils n’en sont jamais rassasiés, attendu qu’ils changent la douceur en amertume. Or, vous, ô ma chère épouse ! vous devez être comme le lait, et votre corps comme une forme dans laquelle on met le lait jusqu’à ce qu’il ait pris la figure de cette forme : de même votre âme, qui m’est douce et délectable comme un fromage, doit aussi longtemps être purifiée et éprouvée dans le corps, jusqu’à ce que le corps et l’âme soient d’accord et aient une même continence, que la chair obéisse à l’esprit, et que l’esprit régisse et conduise dûment la chair à toute sorte de vertus.

 

 

XXXIV.

 

Doctrine de Jésus-Christ à son épouse, par laquelle il lui enseigne la manière de vivre. Comment le diable confesse que Jésus-Christ aime son épouse par-dessus toutes choses. De la question que le diable fait à Notre-Seigneur, savoir : pourquoi Notre-Seigneur aime tant les hommes, et de l’amour que Jésus a envers son épouse, amour qui a été manifesté par le diable.

 

JE suis le Créateur du ciel et de la terre. J’ai été dans le sein de la Vierge, vrai Dieu et vrai homme, qui mourut, ressuscita et monta au ciel. Vous, ô ma nouvelle épouse ! vous êtes venue en un lieu inconnu. Il faut donc que vous ayez quatre choses ; 1° il faut savoir le langage du pays ; 2° avoir les vêtements que l’on y porte ; 3° savoir disposer les jours et les temps suivant les coutumes de ce pays ; 4° s’accoutumer aux viandes que l’on y mange. De même, vous qui êtes venue de l’instabilité du monde à la stabilité éternelle, vous devez avoir : 1° un langage nouveau, c’est-à-dire, vous abstenir des paroles inutiles, et quelquefois même des paroles licites, pour la grandeur et l’honneur du silence. 2° Vos vêtements doivent être l’humilité intérieure et extérieure, afin que vous ne vous éleviez, comme si vous étiez intérieurement plus sainte que les autres, et que vous n’ayez pas honte de vous montrer extérieurement humble. 3° Vous devez modérer le temps, car comme vous avez sacrifié beaucoup de temps aux nécessités corporelles, de même maintenant vous devez avoir le temps pour l’avancement de l’âme, savoir, qu’en tout vous ne vouliez m’offenser ; 4° cette nouvelle viande est l’abstinence des viandes délicates avec discrétion, conformément aux forces de la nature, car l’abstinence qui se fait par-dessus les forces de la nature ne me plaît point, d’autant que je demande ce qui est raisonnable, afin que la volupté soit domptée.

Alors le diable apparut soudain. Notre-Seigneur lui dit : Tu as été créé par moi, et tu as vu et senti les rigueurs de ma justice. Réponds-moi : cette nouvelle épouse m’appartient-elle légitimement et justement ? Je te permets de voir son cœur et de le sonder, afin que tu saches ce qu’il me faut répondre. Aime-t-elle quelque chose comme moi, ou voudrait-elle me changer en quelque autre chose ?

Le diable répondit : Elle n’aime rien autant que vous, et voudrait plutôt souffrir toute sorte de supplices (si vous lui en donniez la sagesse et la force) que se séparer de vous. Je vois comme un certain lien d’’amour qui descend de vous à elle, qui lie en telle sorte son cœur qu’elle ne pense qu’à vous et qu’elle n’aime que vous.

Alors Notre-Seigneur dit au diable : Dis-moi comment te plaît la dilection que je lui porte.

Le diable dit : J’ai deux yeux, l’un corporel, bien que je n’aie pas de corps. Avec cet œil je connais si clairement les choses corporelles qu’il n’y a rien de si caché ni de si obscur que je ne connaisse ; l’autre est spirituel, avec lequel je vois la moindre peine due au péché ; et il n’y a pas de péché, quelque petit qu’il soit, que je ne punisse, s’il n’est purifié par la sainte pénitence. Mais bien que les yeux n’aient pas des membres, néanmoins, je souffrirais peut-être volontiers que deux flambeaux ardents me les pénétrassent incessamment, pourvu que cette épouse fût aveugle des yeux spirituels.

J’ai aussi deux oreilles : une corporelle, avec laquelle j’entends les choses les plus secrètes ; l’autre spirituelle, avec laquelle j’entends toutes les pensées, toutes les affections au péché, quelque cachées qu’elles soient, si elles ne sont pas effacées par la pénitence. Il y a en enfer une peine toujours bouillante : je souffrirais qu’elle entrât incessamment en mes oreilles, et qu’elle en sortît incessamment, comme un torrent impétueux, pourvu que cette épouse n’ouït point des oreilles spirituelles.

J’ai aussi un cœur spirituel : je souffrirais franchement qu’il fût mis en lambeaux et qu’il fût toujours en proie à de nouveaux supplices, pourvu que son cœur se refroidît en votre amour.

Or, parce que vous êtes juste, je vous demande une parole, afin que vous me disiez pourquoi vous l’aimez tant, ou pourquoi vous n’avez pas élu une plus sainte, plus riche et plus belle créature.

Notre-Seigneur lui dit : Ma justice l’exigeait ainsi. Or, toi, qui as été créé par moi, qui as vu ma justice, dis-moi en présence d’elle pourquoi tu es tombé si misérablement, ou quelle était ta pensée quand tu tombas.

Le diable lui répondit : J’ai vu en vous trois choses : j’ai connu votre gloire, en considérant ma beauté et mon éclat, et que vous deviez être honoré sur toutes choses, et je pensai à ma gloire : partant, m’enorgueillissant, je résolus, non pas de vous être seulement égal, mais de vous surpasser. Après, je connus que vous étiez plus puissant que tous, c’est pour cela que je désirais être plus puissant que vous. En troisième lieu, je vois les choses futures qui viennent nécessairement, et que votre gloire et votre honneur sont sans principe et sans fin : j’enviai cela, et je pensai en moi-même que je souffrirais volontiers des peines et des tourments, pourvu que vous cessassiez d’être ; et en cette pensée, je tombai misérablement, et c’est pour cela que l’enfer existe.

Notre-Seigneur répondit : Tu t’es enquis pourquoi j’aime tant cette épouse : certainement, parce que je change toute ta malice en bien : car toi, d’autant que tu es superbe, tu as voulu m’avoir pour égal, moi qui suis ton Créateur. C’est pourquoi, m’humiliant, j’assemble tous les pécheurs, et je me compare à eux, les faisant participants de ma gloire infinie. En deuxième lieu, d’autant que tu as eu une cupidité si dépravée que de vouloir être plus puissant que moi, c’est pourquoi je rends les pécheurs puissants sur toi et puissants avec moi. En troisième lieu, c’est parce que tu m’as porté envie, à moi qui suis si charitable que je m’offrirais pour les pécheurs.

Ensuite, Notre-Seigneur lui dit : Maintenant, ô diable ! ton esprit ténébreux est illuminé. Dis, en telle sorte que mon épouse l’entende, dis de quel amour je l’aime.

Le diable repartit : S’il était possible, vous souffririez volontiers une peine telle que vous avez soufferte en chacun de vos membres, plutôt que de vous priver d’elle !

Alors, Notre-Seigneur repartit : Si je suis donc si miséricordieux que je ne refuse le pardon à aucun de ceux qui me le demandent, demande-moi humblement miséricorde, toi aussi, et je te la donnerai.

Le diable lui repartit : Je n’en ferai rien, car quand je tombai, il fut ordonné une peine pour chaque péché, ou pour toute pensée et parole inutiles, et tous les esprits qui sont tombés ont chacun une peine infligée. Partant, plutôt que de fléchir mon genou devant vous, j’aimerais mieux attirer sur moi et engloutir toutes les peines, tous les supplices, bien que leur rigueur fût incessamment renouvelée.

Alors Notre-Seigneur dit à son épouse : Voyez combien est endurci le prince du monde, et combien il est puissant par ma justice cachée : car de fait, mon adorable et redoutable puissance pourrait l’effacer tout à fait en un instant, mais néanmoins, je ne lui fais pas plus d’injure qu’au bon ange, qui, dans le ciel, m’aime et m’adore. Mais quand le temps sera arrivé (il s’approche maintenant), je le jugerai, lui et ses complices. Partant, ô mon épouse ! avancez incessamment en bonnes œuvres ; aimez-moi de tout votre cœur ; ne craignez que moi seul, car je suis le maître du démon et de tout ce qui existe.

 

 

XXXV.

 

Paroles de la Sainte Vierge Marie à l’épouse, qui expliquent les douleurs tolérées en la passion de Jésus-Christ. Comment, par Adam et Ève, le monde a été vendu, et en quelle manière il a été racheté par Jésus-Christ et par sa Mère.

 

CONSIDÉREZ, ma fille, disait la Vierge Marie, la passion de mon Fils, dont les membres furent presque mes membres et dont le cœur fut presque mon cœur : car lui, comme le reste des enfants, a été dans mon sein, mais il a été conçu d’un fervent amour de la dilection divine, et les autres, de la concupiscence de la chair. De là vient que saint Jean, son cousin, dit bien à propos : Le Verbe s’est fait chair ; car par une incomparable charité, il est venu et il a demeuré en moi. Or, la parole et l’amour le produisirent en moi. Je ressentais comme si la moitié de mon cœur sortait de moi, et quand il souffrait, j’en ressentais la douleur, comme si mon cœur eût enduré ses tourments. Car comme ce qui est la moitié dehors et la moitié dedans, si on pique ce qui est dehors, ce qui est dedans le ressent, de même, quand mon Fils était frappé et flagellé, mon cœur l’était aussi.

J’ai été aussi la plus proche de lui dans sa passion. Je ne me séparai pas de lui ; je restai près de la croix ; et comme ce qui est plus près du cœur est affligé plus rudement, de même sa douleur m’était plus amère qu’à tous. Quand il me regarda du haut de la croix et que je le regardai, des torrents de larmes sortaient de mes yeux ; et quand il me vit brisée de douleur, il ressentit tant d’amertume de ma douleur, que la douleur de ses plaies lui sembla assoupie. Partant, j’ose dire que sa douleur était ma douleur, d’autant que son cœur était mon cœur ; car comme Adam et Ève ont vendu le monde par une pomme, de même mon cher Fils et moi l’avons racheté comme par un cœur. Considérer donc, ma fille, quelle j’étais en la mort de mon Fils, et il ne vous sera pas fâcheux de laisser le monde et de vous en dégoûter.

 

 

XXXVI.

 

Notre-Seigneur répond à l’ange qui priait pour cette épouse : Il lui faut donner les tribulations du corps et de l’esprit, d’autant que les plus grandes tribulations sont données aux âmes plus parfaites.

 

NOTRE-SEIGNEUR répondit à l’ange qui priait pour l’épouse de son Seigneur, lui disant : Vous êtes comme un soldat qui ne laisse jamais son heaume par mécontentement, et à qui la peur ne fait jamais détourner les yeux du combat, quoique sanglant. Vous êtes stable comme une montagne, ardent comme une flamme. Vous êtes comme un monde d’éclat, et partant, vous n’avez point de tache. Vous demandez miséricorde pour mon épouse, bien que vous sachiez toutes choses et les voyiez en moi. Toutefois, dites-moi en sa présence quelle miséricorde vous demandez pour elle, car il y a trois sortes de miséricordes : une par laquelle le corps est puni, et on pardonne à l’âme, comme on fit à Job, mon serviteur, dont la chair fut livrée à toute sorte de douleurs et dont l’âme fut sauvée. La deuxième miséricorde, c’est quand on pardonne au corps et à l’âme, et qu’on les rend quittes de la peine, comme à ce roi qui jouit de toute sorte de plaisirs, et ne ressentit, pendant qu’il vécut dans le monde, aucune sorte de douleur, ni dans son corps ni dans son esprit. La troisième miséricorde, c’est quand le corps et l’âme sont punis, afin qu’on ressente la tribulation en la chair et la douleur dans le cœur, comme saint Pierre, saint Paul et autres saints ; car dans le monde, les hommes sont partagés en trois états : l’un est de ceux qui tombent dans le péché et se relèvent de nouveau : je permets que parfois ceux-ci aient des tribulations au corps, afin qu’ils soient sauvés ; l’autre état est de ceux qui vivraient volontiers éternellement, pour pécher éternellement, qui ont tous leurs désirs liés et abîmés dans le monde : que si parfois ils font quelque chose pour moi, ils le font avec intention que les choses temporelles s’augmentent et s’accroissent. À ceux-ci ne sont pas données les tribulations du corps ni grande affliction d’esprit, mais ils sont laissés en leur puissance et en leur propre volonté, car pour un petit bien qu’ils ont fait pour l’amour de moi, ils en reçoivent ici leur récompense, pour être tourmentés éternellement en l’autre monde. En effet, puisque leur volonté de pécher est éternelle, éternelle aussi doit être leur peine. Le troisième état est de ceux qui craignent plus mon offense que la peine qui leur en est due, et qui aimeraient mieux être éternellement tourmentés par des peines intolérables, que de provoquer mon ire et mon indignation. À ceux-ci sont données les peines et les tribulations corporelles et spirituelles, comme à saint Pierre, à saint Paul et à d’autres saints, afin qu’ils s’amendent, dans le monde, de tout ce qu’ils ont fait dans le monde, ou bien afin qu’ils soient purifiés pour quelque temps, pour une plus grande gloire et pour l’exemple des autres. J’ai cette triple miséricorde en ce royaume avec trois personnes qui vous sont connues. Donc, maintenant, ô ange, mon serviteur, quelle miséricorde demandez-vous pour mon épouse ?

L’ange répondit : Je demande la miséricorde de l’âme et du corps, afin qu’elle amende en ce monde toutes ses fautes, et qu’aucun de ses péchés ne vienne en jugement.

Notre-Seigneur lui repartit : Qu’il soit fait selon votre volonté. Après, il parla à son épouse : Vous êtes à moi, partant je ferai en vous comme il me plaira. N’aimez rien autant que moi. Purifiez-vous donc du péché, suivant la direction et le conseil de ceux à qui je vous ai confiée. Ne leur cachez aucun péché ; examinez-les tous ; ne pensez pas qu’aucun péché soit petit ; n’en négligez pas un, car tout ce que vous laisserez, je le réduirai en mémoire et je le jugerai. Certes, aucuns de vos péchés, qui, en cette vie, auront été effacés par la pénitence, ne seront soumis à mon épouvantable jugement. Or, ceux dont on n’aura pas fait pénitence en cette vie mourante, seront purgés en purgatoire, ou par quelque autre moyen ou occulte jugement, s’ils ne sont amendés ici par quelque juste satisfaction.

 

 

XXXVII.

 

La Sainte Vierge Marie parle à son épouse sainte Brigitte de l’excellence de son Fils. En quelle manière, maintenant, Jésus-Christ est plus cruellement crucifié par des chrétiens, ses mauvais ennemis, que par les Juifs ; et par conséquent, ces chrétiens seront punis plus rigoureusement.

 

MON cher Fils avait trois biens, disait la Mère le Dieu. Premier bien : nul n’a jamais eu un corps aussi délicat que le sien, parce qu’il était de deux bonnes, excellentes, éminentes natures : de la Divinité et de l’humanité. Ce corps était si pur, que, comme dans un œil limpide on ne peut voir aucune tache, de même on ne pouvait pas trouver en ce corps précieux la moindre difformité. Le deuxième bien était qu’il n’a ait jamais péché. Les autres enfants portent souvent les péchés de leurs parents et les leurs, mais celui-ci n’a jamais péché, et il à néanmoins porté les péchés de tous. Le troisième bien était que quelques-uns meurent pour l’amour de Dieu et pour une plus belle couronne ; mais lui, il mourut pour ses ennemis, comme pour moi et ses amis.

Mais quand ses ennemis le crucifièrent, ils lui firent quatre choses : 1° ils le couronnèrent d’épines ; 2° ils lui percèrent les pieds et les mains ; 3° ils lui donnèrent à boire du fiel ; 4° ils lui percèrent le côté. Mais je me plains maintenant de ce que mon Fils est plus cruellement crucifié par ses ennemis qu’il ne l’était alors par les Juifs : car bien que la Divinité soit impassible et immortelle, néanmoins, ils la crucifient par leurs propres vices. En effet, comme un homme qui offenserait et briserait l’image de son ennemi lui ferait injure, bien que l’image n’en sentît rien, toutefois, à cause de la volonté qu’il aurait de l’offenser, il en serait repris et condamné, de même, les vices de ceux qui crucifient spirituellement mon Fils sont plus abominables que les vices de ceux qui l’ont crucifié corporellement. Mais peut-être m’en demanderez-vous la manière. Je vais vous la dire : 1° ils le clouent sur la croix qu’ils lui ont préparée, quand ils désobéissent et qu’ils ne se soucient pas des commandements de leur Créateur et de leur Seigneur, et ils le déshonorent, quand, par ses serviteurs, il les avertit de le servir, et qu’ils s’en moquent pour accomplir ce qui leur plaît. Après, ils crucifient sa main droite, quand ils prennent l’injustice pour la justice, disant que les péchés ne sont pas si graves ni si odieux à Dieu qu’on le dit ; que Dieu n’afflige personne éternellement, mais qu’il nous a ainsi menacés pour inspirer de la crainte et de la terreur : car pourquoi rachèterait-il l’homme, s’il voulait le perdre ? Ils ne considèrent pas que le moindre péché mortel dans lequel l’homme se délecte misérablement, suffit pour le rendre éternellement misérable ; et comme Dieu ne laisse pas le moindre péché sans punition, aussi ne laisse-t-il pas le moindre bien sans récompense. Partant, ceux-là auront un supplice éternel, d’autant qu’ils ont eu une volonté éternelle de pécher, laquelle mon Fils, qui voit le cœur, répute comme mise à effet, d’autant certes qu’il n’aurait pas tenu à eux, si mon Fils l’eût permis.

Puis, ils crucifient la main gauche, quand ils tournent la vertu en vice, voulant pécher jusqu’à la fin, disant : Si nous disons une fois, à la fin de nos jours, qu’il ait pitié de nous, la miséricorde de Dieu est si grande qu’elle nous pardonnera. Cela n’est pas vertu de vouloir pécher sans vouloir s’amender, vouloir le prix sans la peine, à moins que la contrition et le désir de s’amender ne fussent dans le cœur, si l’infirmité ou quelque autre empêchement était ôté.

Ils lui crucifient les pieds, quand ils se délectent pécher, et ne considèrent pas une seule fois la passion amère de mon Fils, ni ne lui en rendent grâces une seule fois avec un amour et une reconnaissance intimes, disant : Ô Dieu ! que votre passion est amère ! Louanges vous soient rendues pour votre mort ! Ces remerciements ne sortent jamais de leur bouche.

Ils le couronnent de la couronne de moquerie, quand ils se moquent des serviteurs de Dieu et pensent qu’il est inutile de le servir. Ils lui donnent à boire du fiel, quand ils se complaisent malheureusement en leur péché, et ne pensent pas combien ce péché est détestable et grand. Ils lui percent le côté, quand ils ont la volonté de persévérer en leur péché.

Je vous dis en vérité, ma fille, et vous pourrez le dire à mes amis, que ceux qui font toutes ces choses sont, devant mon Fils, le juste des justes, plus injustes que les Juifs, plus cruels que ceux qui le crucifiaient, plus impudents que celui qui l’a vendu, et il est dû à ceux-ci une plus grande peine qu’à ceux-là. Pilate a bien su que mon Fils n’avait pas péché et qu’il ne méritait point la mort ; néanmoins, parce qu’il craignait de perdre la puissance temporelle et une sédition parmi les Juifs, il condamna comme par force mon Fils à mort. Or, qu’auraient ceux-ci à craindre, s’ils servaient mon Fils ? Ou bien quel honneur, quelles charges, quelles dignités perdraient-ils, s’ils l’honoraient ? Aucunes. C’est pourquoi ils sont devant mon Fils plus coupables que Pilate, et ils seront jugés plus rigoureusement, d’autant que Pilate l’a jugé avec quelque crainte, pressé par les Juifs et par la volonté d’autrui ; mais ceux-ci le jugent de leur propre volonté et sans crainte, quand ils le déshonorent par leurs péchés, dont ils pourraient s’abstenir, s’ils voulaient ; mais ils ne s’abstiennent pas de pécher, et ils ne rougissent pas de les avoir commis, attendu qu’ils ne pensent pas être indignes des récompenses de celui qu’ils offensent tant, et ne le servent pas. Ils sont pires que Judas, d’autant que Judas, ayant trahi Notre-Seigneur, savait bien qu’il avait vendu celui qui était Dieu, reconnut l’avoir grandement offensé, fut désespéré, et se croyant indigne de vivre, se pendit, se livra au démon. Or, ceux-ci connaissent bien la laideur de leur péché, et néanmoins, ils y persévèrent, n’ayant pas en leur cœur la moindre contrition ; mais ils veulent avec violence et puissance ravir le royaume des cieux quand ils pensent l’avoir, non par de bonnes œuvres, mais par une confiance vaine et par une folle présomption, ce qui n’est octroyé à personne, si ce n’est à ceux qui font de bonnes œuvres et qui souffrent quelque chose pour Dieu. Ils sont pires aussi que ceux qui le crucifièrent, car quand ils virent les œuvres merveilleuses de mon Fils, ressuscitant les morts et guérissant les lépreux, ils pensaient en eux-mêmes : Cet homme fait des prodiges et des merveilles inouïes ; il abat avec une parole ceux qu’il veut abattre ; il sait nos pensées et il fait ce qu’il veut. Si on le laisse faire, nous serons tous sous sa puissance et lui serons soumis. Partant, afin de ne pas lui être soumis, ils le crucifièrent ; car s’ils eussent su qu’il était le Roi de gloire, ils ne l’eussent jamais crucifié. Mais ceux-ci voient journellement ses grandes et admirables œuvres ; ils jouissent de ses faveurs et de ses bienfaits, et savent comment il le faut servir et comment il faut aller à lui. Mais hélas ! se disent-ils, faut-il laisser toutes les choses temporelles ? Faut-il rompre notre volonté et faire la sienne ? Oh ! que ceci est lourd et insupportable ! Partant, méprisant sa volonté et ne voulant pas lui obéir, ils crucifient mon Fils par l’endurcissement et l’insensibilité de leurs cœurs, entassant sur leur conscience péchés sur péchés. Ceux-ci sont pires que ceux qui l’ont crucifié, car les Juifs le faisaient, poussés par l’envie et parce qu’ils ne savaient pas qu’il fût Dieu, mais ceux-ci le crucifient spirituellement avec une malice préméditée, avec cupidité et présomption, et cela avec plus d’amertume que les Juifs ne le crucifièrent corporellement ; car ceux-ci sont rachetés, et ceux-là ne l’étaient point. Obéissez donc à mon Fils, ô épouse ! et craignez-le, car comme il est infiniment miséricordieux, il est aussi infiniment riche.

 

 

XXXVIII.

 

Colloque agréable de Dieu le Père avec le Fils. En quelle manière le Père a donné l’épouse au Fils. Comment le Fils l’accepte, et de quelle sorte l’Époux instruit l’épouse, par son exemple, à souffrir et à être simple.

 

LE Père parlait à son Fils, lui disant : Je suis venu avec amour à la Vierge et ai travaillé à l’ineffable incarnation : c’est pourquoi vous êtes en moi et je suis en vous. Comme le feu et la chaleur ne se séparent jamais, de même il est impossible que la Divinité se sépare de l’humanité.

Le Fils répond : Que tout honneur et toute gloire vous soient rendues, ô mon Père ! Que votre volonté soit faite en moi et la mienne en vous.

Le Père répond : Voici, mon Fils, que je vous donne cette nouvelle épouse pour la gouverner et la nourrir comme une brebis. Vous en êtes le maître et le possesseur. Elle vous donnera du lait pour boire et pour vous rafraîchir, et de la laine pour vous vêtir. Mais vous, ô épouse ! vous devez lui obéir, car il faut que vous ayez trois choses : la patience, l’obéissance et la franchise.

Alors le Fils dit au Père : Que votre volonté avec la puissance, la puissance avec l’humilité, l’humilité avec la sagesse, la sagesse avec la miséricorde, soit faite, qui est sans commencement et sera sans fin en moi. Je la prends en mon amour, en votre puissance et en la conduite du Saint-Esprit, qui ne sont pas dieux, mais un seul Dieu en trois personnes.

Alors l’Époux dit à sa très-chère épouse : Vous avez entendu comment mon Père vous a donnée à moi comme une brebis : il faut donc que vous soyez simple et patiente comme une brebis, et féconde, pour nourrir et vêtir vos enfants spirituels, car il y a trois choses au monde : la première est toute nue, la deuxième est pressée par la soif, la troisième est famélique.

La première signifie la foi de mon Église, qui est toute nue, d’autant que tout le monde a honte de parler de la foi, de mes commandements ; et s’il se trouve quelqu’un qui en parle, on s’en moque et on l’accuse de mensonge. Partant, les paroles qui sortent de ma bouche doivent en quelque sorte revêtir de laine cette foi, car comme la laine croît sur le corps de la brebis par la chaleur naturelle, de même, de la chaleur de ma Divinité et de mon humanité sortent des paroles qui touchent votre cœur, qui y revêtent ma foi sainte par le témoignage de vérité et de sagesse, et montrent qu’elle est vraie, bien que maintenant elle soit réputée fausse et vaine, afin que ceux qui ont eu la lâcheté jusqu’aujourd’hui de ne pas revêtir leur foi de bonnes œuvres, ayant entendu mes charitables paroles, soient illuminés et poussés à parler fidèlement et à faire généreusement de bonnes œuvres.

La deuxième signifie mes amis, qui désirent, avec autant d’ardeur que ceux qui sont dévorés par la soif désirent de boire, d’accomplir mon honneur, et se troublent quand je suis déshonoré : ceux-ci, ayant goûté la douceur de mes paroles, sont enivrés d’une plus grande charité, et les morts mêmes sont, avec eux, embrasés de mon amour, voyant combien de faveurs je fais aux pécheurs.

La troisième signifie ceux qui disent en leur cœur : Si nous savions la volonté de Dieu, comment il nous faut vivre, et si nous étions guidés sur le chemin de la vie parfaite, nous y ferions tout ce que nous pourrions. Ceux-ci sont comme des faméliques : ils brûlent de savoir ma voie, et nul ne les rassasie, d’autant que nul ne leur montre parfaitement ce qu’il faut faire ; et si on le leur montre, pas un ne vit comme cela. Et partant, je leur montrerai moi-même ce qu’ils doivent faire, et je les rassasierai de ma douceur, car les choses temporelles et visibles sont ardemment désirées presque par tous, et ne peuvent pourtant rassasier l’homme, mais exciter de plus en plus en lui l’appétit de les acquérir. Mais mes paroles et mon cœur rassasieront les hommes et les rempliront d’indicibles et abondantes consolations. Donc, vous, mon épouse, qui êtes ma brebis, tâchez d’avoir la patience et l’obéissance, car vous m’appartenez par toute sorte de droits, et partant, il faut que vous suiviez ma volonté. Or, celui qui veut suivre la volonté d’un autre doit avoir trois choses : 1° un même consentement avec lui ; 2° semblables œuvres ; 3° se retirer de ses ennemis. Or, qui sont mes ennemis, sinon la superbe insupportable et tous les péchés ? Vous devez donc vous retirer de ceux-là, si vous désirez suivre ma volonté.

 

 

XXXIX.

 

En quelle manière la foi, l’espérance et la charité furent en Jésus-Christ en sa passion, et sont imparfaitement en nous, misérables que nous sommes !

 

J’AI eu trois choses en ma mort : la première, une foi, ou, pour mieux dire, une licence que j’avais, sachant que mon Père pouvait me délivrer de la passion, quand je l’en suppliais à genoux ; la deuxième, une espérance, qui fait dire une attente, quand je disais constamment : Qu’il soit fait, non pas comme je veux ; la troisième, un amour, quand je disais : Que votre volonté soit faite. J’eus aussi des angoisses corporelles provenant de la crainte naturelle que j’avais de ma passion, quand la sueur de sang sortit de mon corps, afin que mes amis ne se crussent pas délaissés, quand ils seraient assaillis par les craintes et les tribulations. Je leur ai montré en moi que l’infirmité de la chair fuit toujours les peines : mais vous pourriez vous enquérir comment la sueur de sang sortit de mon corps. Certes, comme le sang d’un infirme se sèche et se consomme dans les veines, de même, par la douleur naturelle que je ressentais de ma mort prochaine, mon sang était consommé. Enfin mon Père, voulant manifester la voie par laquelle le ciel est ouvert, et que l’homme, qui en avait été chassé, pouvait y rentrer, son amour m’a abandonné dans la passion, afin qu’après ma passion, mon corps fût glorifié : car, de droit et de justice, mon humanité ne pouvait arriver autrement à la gloire, bien que je le pusse par la puissance de ma Divinité.

Comment donc mériteraient d’entrer dans la gloire ceux qui ont une petite foi, une vaine espérance et nulle charité ? Si enfin, ils avaient la foi des joies éternelles et des supplices horribles, ils ne désireraient autre chose que moi. S’ils croyaient que je vois et que je sais toutes choses, que je suis puissant en tout et que je demande raison de tout, le monde leur serait vil, et ils auraient plus de crainte de m’offenser pour mon respect que pour le regard des hommes. S’ils avaient une ferme espérance, alors leur esprit et leurs pensées seraient en moi. S’ils avaient la charité, ils penseraient à tout ce que j’ai fait pour l’amour d’eux, quelle a été ma peine en la prédication, quelle a été ma douleur en ma passion, voulant plutôt mourir que les laisser perdues. Mais leur foi est infirme et menace ruine, car ils croient tant qu’ils ne sont pas tentés, et se défient de moi quand ils sont contrariés. Leur espérance est vaine, d’autant qu’ils espèrent que leur péché leur sera pardonné sans justice et sans vérité de jugement. Ils pensent obtenir gratuitement le royaume des cieux ; ils désirent obtenir la miséricorde sans la justice. Leur charité envers moi est toute froide, car ils ne s’enflamment jamais à me rechercher, s’ils n’y sont pas contraints par les tribulations. Comment pourrais-je être avec eux, qui n’ont ni foi droite, ni espérance ferme, ni amour fervent ? Partant, quand ils crieraient et me demanderaient miséricorde, ils ne méritent pas d’être ouïs ni d’être en ma gloire, car aucun soldat ne peut plaire à son chef ni obtenir de lui sa grâce après la chute, s’il ne s’est pas humilié pour la faute dont il s’est rendu coupable.

 

 

XL.

 

Paroles par lesquelles Dieu le Créateur propose trois belles questions : la première, de la servitude du mari et du commandement de la femme ; la deuxième, du labeur du mari et de la prodigalité de la femme, et la troisième, du mépris du maître et de l’honneur du serviteur.

 

JE suis votre Créateur adorable et votre redoutable Seigneur. Dites-moi trois choses que je vais vous demander, ô mon épouse !

Comment subsiste cette maison où la femme est habillée en maîtresse et son mari en serviteur ? Cela convient-il ? Alors l’épouse répondit intimement en sa conscience : Non, Seigneur, il ne convient pas que cela soit ainsi. Notre-Seigneur lui dit : Je suis Seigneur de toutes choses et Roi des anges. J’ai vêtu mon serviteur, c’est-à-dire, mon humanité seulement, pour l’utilité, pour la nécessité. Car dans le monde, j’ai voulu être nourri et vêtu pauvrement. Mais vous, qui êtes mon épouse, vous voulez être comme maîtresse, avoir des richesses, des honneurs, et marcher honorablement : à quoi servent toutes ces choses ? Certainement, elles sont toutes vaines, et un jour, on les laissera toutes avec confusion. Et de fait, l’homme n’a pas été créé pour une si grande superfluité, mais pour avoir les seules nécessités de nature ; mais la superfluité misérable a été inventée par la superbe qu’on aime, et on la regarde maintenant comme une loi.

En deuxième lieu, est-il décent et raisonnable que le mari travaille depuis le matin jusqu’au soir, et que la femme consomme dans une heure tout ce qui aura été amassé ? Alors elle répondit : Il n’est pas non plus raisonnable, mais la femme doit vivre et faire selon la volonté de son mari. Notre-Seigneur repartit : J’ai fait comme un mari qui travaille depuis le matin jusqu’au soir, car j’ai travaillé depuis ma jeunesse jusqu’à ma passion, montrant la voie qui conduit au ciel, prêchant et accomplissant les œuvres que je prêchais. Quand la femme qui devait être mienne de même que tout mon labeur, vit luxurieusement, ce que j’ai fait ne lui sert de rien, et je ne trouve en elle aucune vertu dans laquelle je puisse me complaire.

En troisième lieu, dites-moi : n’est-il pas indécent, voire abominable, en quelque maison que ce soit, que le maître soit méprisé et que le valet soit honoré ? Elle répondit : Oui, certes. Notre-Seigneur repartit : Je suis le Seigneur de toutes choses ; le monde est ma maison et l’homme devrait être mon serviteur. Je suis le Seigneur qui est maintenant méprisé dans le monde, et l’homme est honoré. Et partant, vous que j’ai choisie, ayez soin de faire ma volonté, parce que tout ce qui est dans le monde n’est que comme une écume de mer et comme une vision vaine.

 

 

XLI.

 

Paroles du Créateur dites en la présence des troupes célestes et de l’épouse, avec lesquelles Dieu se plaint en quelque manière de cinq sortes de personnes : du Pape et de son clergé, des mauvais laïques, des Juifs et des païens. Elles traitent aussi du secours de ses amis, par lesquels sont entendus tous les hommes, et de la cruelle sentence fulminée contre les ennemis.

 

JE suis le Créateur de toutes choses. Je suis engendré du Père avant les astres, et suis inséparablement en mon Père, et mon Père est en moi, et un Esprit en tous deux. Partant, le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne sont pas trois dieux, mais un seul Dieu. Je suis celui qui a promis à Abraham l’héritage éternel. J’ai tiré, par Moïse, mon peuple de l’Égypte. Je suis le même qui parlait par la bouche des prophètes. Mon Père m’a envoyé dans les entrailles de la Vierge, ne se séparant pas de moi, mais demeurant inséparable avec moi, afin que l’homme, se retirant, retournât à Dieu par mon amour.

Or, maintenant, en la présence de mes troupes célestes, de vous, qui voyez en moi et savez en moi toutes choses, néanmoins, pour l’instruction de mon épouse ici présente, qui ne peut comprendre les choses spirituelles que par les choses corporelles, je me plains devant vous de cinq hommes qui sont ici présents, parce qu’ils m’offensent en plusieurs choses. Car comme autrefois par le mot Israël j’entendais en la loi ancienne tout le peuple d’Israël, de même maintenant, par ces cinq hommes, j’entends tous les hommes du monde.

Le premier est le gouverneur de l’Église ; le deuxième son clergé ; les Juifs sont le troisième, les païens le quatrième, mes amis le cinquième. Mais de vous, ô Judée ! j’en excepte tous les Juifs qui sont secrètement chrétiens, et qui me servent avec un amour sincère, une foi droite et par des œuvres parfaites. Mais de vous, païens, j’en excepte tous ceux qui marcheraient par la voie de mes commandements, s’ils savaient comment et s’ils étaient instruits, et ceux qui font de bonnes œuvres autant qu’ils peuvent ; ils ne seront aucunement jugés avec vous.

Donc, maintenant, je me plains de vous, ô chef de mon Église ! qui êtes assis sur le siège que j’ai donné à Pierre et à ses successeurs, pour y être assis avec une triple dignité et une triple autorité : 1° afin qu’ils aient le pouvoir de lier et de délier les âmes du péché ; 2° afin qu’ils ouvrent le ciel aux pénitents ; 3° afin qu’ils le ferment aux maudits et à ceux qui me méprisent. Mais vous, qui deviez délier les âmes et me les présenter, vous en êtes le meurtrier ; car j’ai établi Pierre pasteur et gardien de mes brebis, et vous en êtes le dissipateur et celui qui les blesse. Or, vous êtes pire que Lucifer, car lui m’enviait et ne désirait tuer autre que moi, afin qu’il régnât à ma place, mais vous êtes pire que lui, attendu que, non-seulement vous me tuez, me repoussant de vous par plusieurs mauvaises œuvres, mais vous tuez les âmes par votre mauvais exemple. J’ai racheté de mon sang les âmes, et je vous les ai confiées comme à un fidèle ami : mais vous, vous les livrez à mon ennemi duquel je les avais rachetées. Vous êtes plus injuste que Pilate, qui ne condamnait à mort autre que moi : mais non-seulement vous me jugez comme celui qui n’a aucun pouvoir et qui est indigne de tout bien, mais vous condamnez même les âmes innocentes et vous pardonnez aux coupables. Vous m’êtes plus ennemi que Judas, qui me vendit seul : et vous, vous ne me vendez pas seul, mais aussi les âmes de mes élus par un sale lucre et par une vanité de nom. Vous êtes plus abominable que les Juifs, car ils crucifièrent seulement mon corps, mais vous crucifiez et punissez les âmes de mes élus, auxquelles votre malice et votre transgression sont plus amères que le couteau tranchant. Et partant, parce que vous êtes semblable à Lucifer, que vous êtes plus injuste que Pilate, plus cruel que Judas et plus abominable que les Juifs, je me plains avec raison de vous.

Aux hommes de la deuxième sorte, c’est-à-dire, aux laïques, Notre-Seigneur parle en ces termes : J’ai créé toutes choses pour votre utilité ; vous étiez avec moi et j’étais avec vous ; vous m’aviez donné votre foi et vous aviez juré de me servir : or, maintenant, vous vous êtes retirés de moi comme un homme qui ignore son Dieu ; vous réputez mes paroles à mensonge, mes œuvres à vanité, et vous dites que ma volonté et mes commandements sont fâcheux et trop pesants. Vous avez enfreint la foi que vous m’aviez donnée ; vous avez violé votre jurement et avez laissé mon nom ; vous vous êtes séparés des saints, vous vous êtes enrôlés au nombre des diables et vous êtes leurs compagnons. Il vous semble qu’il n’y a que vous qui soyez dignes de louange et d’honneur. Tout ce qui est pour moi et tout ce que vous êtes tenus de faire vous est difficile, et tout ce qui vous plaît vous est facile : c’est pourquoi je me plains de vous avec raison, car vous avez violé la foi que vous m’aviez donnée au baptême et après le baptême. En outre, pour l’amour que je vous ai montré tant en parole qu’en effet, vous m’accusez de mensonge ; vous m’appelez insensé pour avoir enduré la passion.

Notre-Seigneur parle en ces termes aux hommes de troisième espèce, c’est-à-dire aux Juifs : J’ai commencé la charité avec vous ; je vous ai élus pour mon peuple ; je vous ai affranchis de la servitude qui vous écrasait sous son faix ; je vous ai donné ma loi ; je vous ai introduits en la terre que j’avais promise à vos pères ; je vous ai envoyé des prophètes pour vous consoler ; après, j’ai choisi parmi vous la vierge la plus sainte de laquelle j’ai pris l’humanité. Or, maintenant, je me plains de vous, parce que vous ne pouvez pas croire encore, disant : Jésus-Christ n’est pas venu, mais il viendra.

Notre-Seigneur parle ainsi aux hommes de la quatrième sorte, c’est-à-dire, aux gentils : Je vous ai créés et rachetés comme des chrétiens, et j’ai fait tous les biens pour l’amour de vous, mais vous êtes comme des insensés, car vous ne savez ce que vous faites ; comme des aveugles, puisque vous ne savez où vous allez, car vous honorez la créature pour le Créateur, vous prenez le faux pour le vrai, et vous courbez le genou devant celui qui est moindre que vous : c’est pourquoi je me plains de vous.

Notre-Seigneur parle ainsi aux hommes de la cinquième sorte, c’est-à-dire, à ses amis : Ô mes amis ! approchez-vous de plus près. Et soudain il dit aux troupes célestes : Mes amis, j’ai un ami, par lequel j’entends plusieurs : il est comme un homme entouré de méchants et est en une dure captivité. S’il dit la vérité, on lapide sa bouche ; s’il fait du bien, on enfonce une lance dans sa poitrine. Voyez, mes amis, et vous tous, ô saints ! combien de temps les souffrirai-je en un tel mépris.

Saint Jean-Baptiste répondit : Vous êtes comme un miroir sans tache, car en vous comme dans une glace bien polie, nous voyons et savons toutes choses sans parole. Vous êtes une douceur incomparable en laquelle nous goûtons toute sorte de biens ; vous êtes comme un glaive tranchant qui jugez avec équité. Notre-Seigneur lui répondit alors : Mon ami, vous dites la vérité, car en moi, tous les élus voient tout bien et toute justice, voire les diables, en quelque sorte, quoiqu’ils ne soient pas dans la lumière, mais en la conscience naturelle des choses. En effet, comme, en prison, un homme qui avait auparavant appris les lettres, sait ce qu’il avait appris, bien qu’il soit dans les ténèbres et qu’il n’y voie pas, de même les diables, bien qu’ils ne voient pas ma justice en l’éclat de ma splendeur, la savent néanmoins et la voient en leur conscience. Je suis aussi comme un glaive qui partage en deux ; je donne à chacun ce qu’il mérite.

Notre-Seigneur dit encore à saint Pierre : Vous êtes fondateur de la foi et de mon Église ; dites en présence de ma cour céleste le droit et la justice de ces cinq sortes de personnes. Saint Pierre répondit : Que louange et honneur vous soient à jamais rendus pour votre amour, ô Seigneur ! Soyez béni de votre cour céleste, d’autant que vous nous faites voir et savoir en vous toutes les choses qui sont faites et qui seront ; en vous, nous voyons tout et savons tout. Or, voici quelle est la vraie justice : que celui qui est assis sur votre trône et a les œuvres de Lucifer perde avec confusion le siège sur lequel il a cru s’asseoir, et qu’il soit participant des peines de Lucifer. Du deuxième : telle est la rigueur de la justice : que celui qui s’est retiré de la foi descende en enfer la tête en bas et les pieds en haut, car il vous a méprisé, vous qui deviez être son chef, et il n’a aimé que soi-même. Du troisième : telle est ma sentence : qu’il ne voie point votre face, mais qu’il soit puni conformément à sa malice et à sa cupidité, car les perfides et déloyaux ne méritent point de vous voir. Du quatrième : telle en est la condamnation : qu’il soit enfermé comme un insensé en des lieux fort obscurs. Du cinquième : tel est son jugement : qu’on lui envoie du secours.

Toutes ces choses étant entendues, Notre Seigneur dit : Je jure par la voix de mon Père, que Jean-Baptiste ouït sur le bord du Jourdain ; je jure par le corps que Jean a baptisé, vu et touché sur le bord du Jourdain ; je jure par l’Esprit, qui apparut en forme de colombe sur le bord du Jourdain, que je ferai justice de ces cinq sortes de personnes.

Alors Notre-Seigneur reprit et dit au premier des cinq : Le glaive de ma sévérité percera votre corps, commençant par la tête, si profondément et si puissamment qu’on ne le pourra jamais arracher. Votre siège sera submergé comme une lourde pierre, qui ne s’arrêtera que quand elle sera au fond. Vos doigts, c’est-à-dire, vos conseillers, brûleront en un feu de soufre puant et inextinguible. Vos bras, c’est-à-dire, vos vicaires, qui devaient s’occuper de l’avancement des âmes et s’étendre, et qui ne se sont étendus que vers l’utilité et les honneurs du monde, seront condamnés à la peine prononcée par David : que ses enfants soient orphelins, que sa femme soit veuve, et que les étrangers ravissent et enlèvent sa substance. Quelle est cette femme, sinon son âme, qui sera délaissée de la gloire céleste, et sera veuve de Dieu, son époux ? Qui sont ses enfants, sinon les vertus qu’il semblait avoir ? Et les âmes simples qui étaient sous eux leur seront arrachées, et leurs dignités et leurs biens seront à d’autres. Et pour toute dignité, ils hériteront d’une confusion éternelle. Après, l’ornement de leur tête sera submergé dans le bourbier infernal, d’où ils ne sortiront jamais, afin que, comme ils ont ici surpassé les autres en honneur et en superbe, de même ils soient enfoncés et plongés en enfer par-dessus les autres, de sorte qu’ils n’en puissent jamais sortir. Tous les fauteurs et imitateurs du clergé leur seront arrachés et seront séparés comme un mur qu’on bat en ruine, où on ne laisse pas pierre sur pierre, et aucune pierre ne sera jointe à une autre avec le ciment, afin que ma miséricorde ne vienne jamais sur eux, attendu que mon amour ne les a jamais échauffés, et il ne leur édifiera jamais une demeure dans le ciel ; mais s’étant privés de tout bien, ils seront tourmentés avec leur chef.

Je parle ainsi au deuxième : D’autant que vous ne voulez pas me garder la foi promise ni m’aimer, j’enverrai un animal qui sortira du torrent impétueux et vous engloutira ; et comme le torrent impétueux coule incessamment en bas, de même cet impétueux animal vous entraînera au plus bas de l’enfer. Et comme il vous est impossible de monter contre le torrent impétueux, de même il vous est impossible de sortir jamais de l’enfer.

Je dis au troisième : Vous, ô Juifs ! vous ne voulez pas croire que je suis venu : quand je viendrai au second jugement, vous me verrez, non en ma gloire, mais en la frayeur de votre conscience, et vous vous convaincrez que tout ce que j’avais dit était vrai. Maintenant, il vous reste le châtiment dû à vos démérites.

Je dis au quatrième : D’autant que, maintenant, vous ne vous souciez de croire ni ne voulez savoir et connaître, vos ténèbres reluiront un jour, et votre cœur sera illuminé, afin que vous sachiez que mes jugements sont vrais. Néanmoins, vous ne viendrez pas à la lumière.

Je dis au cinquième : Je vous ferai trois choses : 1° je vous remplirai intérieurement de mon fervent amour ; 2° je rendrai votre bouche plus dure et plus forte qu’aucune pierre, de sorte que les pierres qu’on jettera sur elle rejailliront sur ceux qui les jettent ; 3° je vous armerai tellement qu’aucune lance ne vous nuira, mais toutes choses fléchiront et fondront devant vous comme la cire devant le feu. Donc, raffermissez-vous et soyez généreux, car comme le soldat qui, dans la guerre, espère le secours de son seigneur, combat tout autant qu’il trouve quelque force en lui, de même soyez fort et combattez, car Dieu, votre Seigneur, vous prêtera un secours auquel personne ne pourra résister. Et parce que vous avez un petit nombre de soldats, je vous honorerai et vous multiplierai.

Voici que vous, mes amis, voyez et savez que cela est en moi, c’est pourquoi vous demeurez devant moi stables et fermes. Les paroles que je viens de dire s’accompliront : mais ceux-là n’entreront jamais en mon royaume, tant que je serai Roi, à moins qu’ils s’amendent, car on ne donnera le ciel à personne, si ce n’est à ceux qui s’humilient et font pénitence. Alors, toute la troupe céleste répondit : Louange à vous, Seigneur Dieu, qui êtes sans commencement et sans fin !

 

 

XLII.

 

Paroles par lesquelles la Vierge Marie exhorte l’épouse, comment elle doit aimer son Fils par-dessus toutes choses, et en quelle manière toutes les vertus et toutes les grâces sont renfermées en la Vierge glorieuse.

 

J’AI eu éminemment trois choses par lesquelles j’ai plu à mon Fils, disait la Mère de Dieu à l’épouse : 1° l’humilité, de sorte que ni homme, ni ange, ni aucune créature n’a été plus humble que moi ; 2° j’ai eu excellemment l’obéissance, parce que je me suis étudiée à obéir à mon Fils en toutes choses ; 3° j’ai eu à un sublime degré une charité singulière, c’est pourquoi j’ai été triplement honorée de lui, car en premier lieu, j’ai été plus honorée que les anges et les hommes, de sorte qu’il n’y a pas de vertu en Dieu qui ne reluise en moi, bien qu’il soit la source et le Créateur de toutes choses. Je suis sa créature, à laquelle il a donné sa grâce plus éminente qu’à tout le reste des créatures. Secondement, j’ai obtenu une si grande puissance à raison de mon obéissance, qu’il n’y a pas de pécheur, quelque corrompu qu’il soit, qui n’obtienne son pardon, s’il se tourne vers moi avec un cœur contrit et un ferme propos de s’amender. En troisième lieu, à cause de ma charité, Dieu s’approche ainsi de moi, de telle sorte que qui voit Dieu me voit, et qui me voit peut voir en moi, comme dans un miroir plus parfait que celui des autres, la Divinité et l’humanité, et moi en Dieu ; car quiconque voit Dieu voit en lui trois personnes ; et quiconque me voit, voit presque trois personnes, car la Divinité m’a enfermée en soi avec mon âme et mon corps, et m’a remplie de toutes sortes de vertus, de manière qu’il n’y a pas de vertu en Dieu qui ne reluise en moi, bien que Dieu soit le Père et l’auteur de toutes les vertus.

Quand deux corps sont joints ensemble, ce que l’un reçoit l’autre le reçoit aussi : il en est ainsi de Dieu et de moi, car il n’y a pas en lui de douceur qui ne soit pour ainsi dire en moi, comme celui qui a un cerneau d’une noix en donne à un autre la moitié. Mon âme et mon corps sont plus purs que le soleil et plus nets qu’un miroir. Comme dans un miroir, on verrait trois personnes, si elles étaient présentes, de même on peut voir en ma pureté le Père, le Fils et le Saint-Esprit, car j’ai porté le Fils dans mon sein avec la Divinité ; on le voit maintenant en moi avec la Divinité et l’humanité comme dans un miroir, d’autant que je suis glorieuse. Étudiez-vous donc, ô épouse de mon Fils ! à suivre mon humilité, et n’aimez que mon Fils.

 

 

XLIII.

 

Paroles que le Fils de Dieu adresse à l’épouse. Comment d’un peu de bien l’homme s’élève à un bien parfait, et d’un peu de mal, descend à un grand supplice.

 

D’UN peu de bien naît quelquefois une grande récompense, disait le Fils de Dieu à l’épouse. La datte est d’une merveilleuse odeur, et elle renferme une pierre : si elle est mise dans une terre grasse, elle s’engraisse et fructifie, et devient peu à peu un arbre ; mais si elle est mise dans une terre aride, elle se dessèche, car elle est bien aride pour le bien, la terre qui se délecte et prend plaisir dans le péché ; si la semence des vertus y est jetée, elle ne s’y engraisse pas. Mais la terre de l’esprit de celui-là est grasse, qui connaît le péché et se repent de l’avoir commis ; si la pierre de datte y est mise, c’est-à-dire, s’il y sème la sévérité de mon jugement et de ma puissance, trois racines s’étendent dans son esprit.

1° Il pense qu’il ne peut rien faire sans mon secours ; partant, il ouvre sa bouche pour me prier. 2° Il commence aussi de donner une petite aumône en mon nom. 3° Il se défait et s’affranchit de ses affaires pour me servir, puis il s’adonne au jeûne et quitte sa propre volonté : et c’est là le tronc de l’arbre. Ensuite croissent les rameaux de la charité, quand il attire vers le bien tous ceux qu’il peut y attirer ; puis le fruit vient en maturité, quand il enseigne les autres autant qu’il sait ; il cherche le moyen avec une entière dévotion d’accroître mon honneur : un tel fruit me plaît beaucoup. Ainsi donc, d’un peu de bien, il s’élève à un bien parfait et accompli. Quand premièrement il a pris racine par une médiocre dévotion, le corps s’augmente par l’abstinence, les rameaux se multiplient par la charité, et le fruit s’engraisse par la prédication.

De la même manière, par un petit mal, l’homme descend à une malédiction, à un supplice insupportable. Ne savez-vous pas qu’il est très-pesant, le fardeau des choses qui croissent incessamment ? Certainement, c’est un enfant qui ne peut naître, qui meurt dans les entrailles de sa mère, qui la torture et la tue ; le père porte au tombeau et ensevelit la mère et l’enfant : de même le diable en fait à notre âme, car elle est vicieuse comme la femme du diable, laquelle suit en toutes choses sa volonté, qui est alors conçue par le diable, quand le péché lui plaît et se réjouit en lui : car de même qu’un peu de pourriture rend la mère féconde, de même notre âme apporte un grand fruit au diable, quand elle se délecte et prend plaisir dans le péché : d’où sont formés les membres et la force du corps, quand on ajoute et augmente tous les jours péchés sur péchés. Les péchés étant augmentés de la sorte, la mère s’enfle, voulant enfanter, mais elle ne peut, parce que la nature étant consommée dans le péché, sa vie l’ennuie, et elle voudrait commettre librement plus de péchés ; mais elle ne peut, en étant empêchée par le saint, qui ne le lui permet pas. Alors, la crainte la saisit, la joie et la force se retirent d’elle, parce qu’elle ne peut accomplir sa volonté. Elle est environnée de toutes parts de chagrins et de douleurs ; alors son ventre se rompt, quand elle désespère de pouvoir faire quelque chose de bien, et meurt en même temps, quand elle blasphème et reprend le juste jugement de Dieu ; elle est ainsi menée par le diable, son père, au sépulcre infernal, où elle est ensevelie à jamais avec la pourriture du péché, elle et le fils de la délectation dépravée.

Voilà comment le péché s’augmente de peu et croît pour la damnation éternelle.

 

 

XLIV.

 

Paroles du Créateur à son épouse. Il dit combien il est maintenant blâmé et méprisé des hommes, qui n’écoutent pas ce qu’il a fait par charité, quand il les a avertis par ses prophètes, qu’il a tant souffert pour eux, pour eux qui ne se sont pas souciés de la juste indignation qu’il a exercée contre les obstinés, les corrigeant cruellement.

 

JE suis l’adorable Créateur et le Seigneur redoutable de toutes choses. J’ai fait le monde, et le monde me méprise. J’entends résonner du monde une voix comme la voix d’une mouche supérieure qui amasse le miel sur la terre ; car comme elle vole, elle s’abaisse aussitôt vers la terre, et jette une voix grandement enrouée : de même j’entends maintenant résonner dans le monde cette voix enrouée, disant : Je ne me soucie point de ce qui vient après toutes ces choses. Certes, tous crient maintenant : Je ne m’en soucie point. Vraiment l’homme ne se soucie pas de ce que j’ai fait. Ému de charité, je l’ai averti par mes prophètes, je lui ai prêché moi-même, j’ai souffert pour lui... Il méprise ce que j’ai fait en ma colère, corrigeant et punissant les désobéissants et les mauvais. Ils se voient mortels et incertains de la mort, et ils n’en tiennent aucun compte. Ils voient et ils entendent les épouvantables rigueurs de ma justice, que j’ai exercée sur Pharaon et les Sodomites à raison de leurs péchés, que j’ai fulminée sur les princes et sur les rois, et que je promets de rendre avec le tranchant du glaive et autres tribulations, et toutes ces choses leur sont comme cachées. C’est pourquoi ils volent à tout ce qu’ils veulent comme les mouches supérieures. Ils volent quelquefois aussi comme en sautant, parce qu’ils s’élèvent par leur superbe ; mais ils s’abaissent plutôt quand ils retournent à l’abominable luxure et à leur gourmandise. Ils amassent aussi de la douceur, mais pour eux et en la terre, parce que l’homme travaille et amasse, non pour l’utilité de l’âme, mais pour celle du corps, non pour l’honneur éternel, mais pour l’honneur terrestre. Ils se tournent le bien temporel en une peine insupportable. Celui qui n’est utile à rien a un supplice éternel. Partant, à cause des prières de ma Mère, j’enverrai ma voix claire qui prêchait ma miséricorde à ces mouches, dont mes amis se sont exemptés et affranchis, qui ne sont point au monde, sinon en leur corps ; que s’ils l’écoutent, ils seront heureusement sauvés.

 

 

XLV.

 

Réponse de la Vierge Marie, des anges, des prophètes, des apôtres et des diables, faite à Dieu en la personne de l’épouse, lui témoignant sa magnificence et sa grandeur dans la création et la rédemption, et comme les hommes contredisent maintenant toutes ces choses, et de leur sévère jugement.

 

Ô épouse de mon Fils, vêtissez-vous et demeurez stable, parce que mon Fils s’approche de vous, disait la Mère de Dieu à l’épouse. Sa chair a été serrée comme en un pressoir : car comme l’homme a manqué et failli malicieusement en tous ses membres, mon Fils a aussi satisfait à proportion en tous les siens. Ses cheveux étaient étendus, ses nerfs séparés, ses jointures dis jointes, ses os meurtris, ses mains et ses pieds cloués ; son esprit était troublé ; son cœur était affligé de douleur ; ses intestins étaient collés à son dos, d’autant que l’homme a péché en tous ses membres.

Après, le Fils de Dieu parla et dit, en présence de la troupe céleste : Bien que vous sachiez que toutes choses sont faites par moi, toutefois, à cause de mon épouse qui est ici, je prends la parole et je vous demande, ô anges ! ce que cela veut dire, que Dieu a été sans commencement et sans fin, et ce que veut dire ceci, qu’il a créé toutes choses et que nul ne l’a créé. Répondez, et portez témoignage de ceci.

Les anges répondirent d’une commune voix, disant : Seigneur, vous êtes celui qui est, car nous vous donnerons témoignage de trois choses : 1° que vous êtes notre adorable Créateur, et le Créateur de toutes choses qui sont au ciel et sur la terre ; 2° que vous êtes sans commencement, que vous serez sans fin, et que votre redoutable puissance durera éternellement : car sans vous rien n’a été fait, et sans vous, rien ne peut être ni subsister ; 3° nous témoignons que nous voyons en vous toute votre justice, et toutes les choses qui ont été et seront, et toutes ces choses en vous-même, et vos idées sans fin et sans commencement.

Puis, se tournant vers les patriarches et les prophètes, il leur dit : Je vous le demande, quel est celui qui vous a affranchis de la servitude pour vous rendre la liberté, qui a divisé les eaux devant vous, qui vous a donné la loi, qui a donné à vos prophètes l’esprit de parler ? Ils lui répondirent : C’est vous, ô Seigneur que nous adorons, qui nous avez tirés de servitude, qui nous avez donné la loi, et qui avez incité notre esprit à parler.

Après, il dit à sa Mère : Ma Mère, portez témoignage de vérité de ce que vous savez de moi. Elle répondit : Avant que l’ange, qui était envoyé de vous, fût venu à moi, j’ai été seule avec mon âme et mon corps. Mais quand l’ange eut parlé, votre corps fut en moi, avec la Divinité et l’humanité, et je sentis en mon corps votre corps. Je vous ai porté sans douleur ; je vous ai enfanté sans angoisses ; je vous ai enveloppé de langes ; je vous ai nourri de mon lait ; j’ai été avec vous depuis votre naissance jusqu’à votre mort.

Puis, il s’adressa aux apôtres, disant : Quel est celui que vous avez vu, entendu et senti ? Ils lui répondirent : Nous avons entendu vos saintes et puissantes paroles, et nous les avons écrites ; nous avons ouï vos merveilles signalées, quand vous avez donné la loi nouvelle. Par votre parole efficace, vous avez commandé aux démons enragés de fureur, et ils ont pris la fuite aux accents de votre parole puissante. Vous avez ressuscité les morts et guéri les malades. Nous vous avons vu avec un corps humain. En votre humanité, nous avons vu vos merveilles en la gloire divine ; nous vous avons vu livré aux ennemis et cloué sur la croix ; nous avons vu en vous une passion très-amère ; nous vous avons enseveli. Nous vous avons aperçu et vu, lorsque vous êtes ressuscité ; nous avons touché vos cheveux et votre face, vos membres et vos plaies. Vous avez mangé avec nous, et vous nous donniez vos paroles. Vous êtes vraiment le Fils de Dieu et le Fils de la Vierge. Nous vous avons aussi vu et touché, lorsque vous êtes monté à la droite de votre Père avec une humanité où vous êtes sans fin.

Après, Dieu dit aux diables : Esprits immondes, bien qu’en votre conscience vous cachiez la vérité, je vous commande toutefois de dire ce qui diminue votre puissance. Ils lui répondirent : Tout ainsi que les larrons ne disent point la vérité s’ils ne sont mis sur le cep, de même nous ne la disons point si nous n’y sommes contraints par votre divine, infinie et terrible puissance. C’est vous qui, avec votre force, êtes descendu en enfer. Vous avez diminué notre puissance dans le monde. Vous avez pris le droit de l’enfer. Alors Notre-Seigneur dit : Voici tous ceux qui ont un esprit et ne sont point revêtus de corps, lesquels me disent la vérité ; mais ceux qui ont un esprit et un corps, savoir, les hommes, me contredisent et vont à l’encontre de moi. Or, les uns n’ignorent rien, mais savent tout ; toutefois ils n’en tiennent pas compte et ne s’en soucient pas. Les autres ignorent tout et ne savent rien, ce qui fait qu’ils ne s’en soucient pas, mais disent que toutes choses sont fausses.

Notre-Seigneur dit encore aux anges : Ceux-ci disent que votre témoignage est faux, que je ne suis point Créateur, que je n’ai pas la connaissance de toutes choses : c’est pourquoi ils aiment mieux la créature que moi. Il dit aussi aux prophètes : Ils vous contredisent, disant que la loi est vanité et que vous avez parlé par votre propre volonté. Mais il dit à sa Mère : Ma Mère, les uns disent que vous n’êtes pas vierge, les autres que je n’ai pas pris mon corps de vous : ils le savent, mais ils ne s’en soucient pas. Puis il dit aux apôtres : Ils vous contredisent, d’autant qu’ils disent que vous êtes des menteurs, que la loi nouvelle est sans raison et inutile. Il y en a d’autres qui croient que toutes choses sont vraies, mais ils n’en tiennent pas compte. Maintenant donc, je vous demande quel sera leur juge. Ils me répondirent tous : C’est vous, ô Dieu adorable ! qui êtes sans commencement et sans fin ; c’est vous, ô Jésus-Christ ! à qui le Père en a donné le jugement ; c’est vous qui êtes le juge juste et équitable de ceux-là. Le Seigneur leur répondit : Je suis maintenant le juge, moi qui me complaignais sur eux ; mais bien que je connaisse et puisse toutes choses, toutefois prononcez sur eux votre jugement.

Ils lui dirent : Tout ainsi qu’au commencement du monde, tout le monde périt par les eaux du déluge, de même le monde mérite maintenant de périr par le feu, parce que, maintenant, l’iniquité et l’injustice sont plus grandes qu’elles ne l’étaient alors.

Le Seigneur répondit : D’autant que je suis juste et miséricordieux, je ne juge pas sans miséricorde, et je ne fais pas miséricorde sans justice. C’est pourquoi, à cause des prières de ma très-chère Mère et de mes saints, j’enverrai encore une fois ma miséricorde au monde ; mais si le monde ne veut ni l’écouter ni l’embrasser, ma justice n’en sera que plus rigoureuse.

 

 

XLVI.

 

Paroles de louange que se disaient, en présence de l’épouse, la Mère et son Fils. Comment Jésus-Christ est maintenant réputé des hommes, très-vil, très-difforme et très-déshonnête. Éternelle damnation de ceux qui le traitent ainsi.

 

LA Vierge Marie parlait à son Fils, disant : Soyez béni, mon Fils, vous qui êtes sans commencement et sans fin ; vous qui avez eu un corps très-honnête et décent plus que tout autre ; vous qui avez été l’homme le plus adroit et le plus vertueux qui ait existé ; vous qui avez été la plus digne créature du monde !

Son Fils lui répondit, disant : Ma Mère, les paroles qui sortent de votre bouche me sont agréables, et abreuvent les plus secrètes pensées de mon cœur comme d’un breuvage très-doux et suave ; vous m’êtes plus doux qu’aucune créature du monde. Car comme on voit en un miroir divers visages, mais qu’aucun ne plaît davantage que le propre, de même, bien que j’aime mes saints, je vous aime toutefois d’un amour plus ardent, plus singulier et plus excellent, d’autant que je suis engendré de votre chair. Vous êtes comme la myrrhe choisie, dont l’odeur monte jusqu’à la Divinité et la conduit en votre corps : la même odeur a attiré votre corps et votre âme jusqu’à elle, où vous êtes maintenant en corps et en âme. Vous, soyez bénie, parce que les anges se réjouissent à cause de votre beauté ; et à raison de votre vertu, tous ceux qui vous invoquent avec un cœur pur seront délivrés. Tous les démons tremblent à votre lumière ; ils n’oseraient pas s’arrêter en elle, parce qu’ils veulent toujours être dans les ténèbres. Vous m’avez donné une triple louange, disant, 1° que j’avais un corps très-honnête, 2° que j’étais un homme très-adroit, 3° que j’étais la plus digne de toutes les créatures. Mais ceux-là seulement qui ont un corps et une âme contredisent ces trois choses, car ils disent que j’ai un corps déshonnête, que je suis un homme très-abject et maladroit, et que je suis la plus vile de toutes les créatures. Qu’y a-t-il en effet de plus déshonnête que de provoquer les hommes au péché ? Ils disent aussi que le péché n’est pas si difforme, et qu’il ne déplaît pas tant à Dieu, comme on dit, car, disent-ils, rien ne peut être, si Dieu ne le veut, et tout a été créé par lui. Pourquoi donc ne nous servirons-nous pas des choses qui ont été faites pour notre utilité ? La fragilité de la nature a demandé cela, et tous ceux qui ont été devant nous et qui sont à présent, ont vécu et vivent maintenant de la sorte.

À présent, ma Mère, les hommes me parlent ainsi, tournant mon humanité en déshonneur, en laquelle j’ai apparu vrai Dieu entre les hommes, et par laquelle j’ai dissuadé le péché, et j’ai montré combien il était lourd et pesant, comme si j’avais conseillé le déshonneur et la saleté. Certes, ils disent qu’il n’y a rien de plus honnête et qui plaise davantage à leur volonté que le péché, bourreau de l’âme. Ils disent aussi que je suis un homme très-déshonnête, car qu’y a-t-il de plus déshonnête que lui, qui, lors qu’il dit la vérité, est frappé de pierres sur la face, et sur sa bouche qui se brise. Et en outre, il entend l’opprobre de ceux qui disent : S’il était homme, il se défendrait et se vengerait.

Voilà comment ils me traitent. Je leur parle par la bouche des docteurs et par la sainte Écriture, mais ils disent que je suis un menteur. Ils frappent ma bouche à coups de pierres et à coups de poings, quand ils commettent un adultère, un homicide et un mensonge, et disent : S’il était homme, s’il était Dieu très-puissant, il vengerait une telle transgression. Mais je supporte avec patience toutes ces choses, et je les entends tous les jours, disant que la peine n’est point éternelle ni fâcheuse, comme ou le prétend, et disent que mes paroles véridiques sont des mensonges.

En troisième lieu, ils me croient la plus vile créature du monde : car qu’y a-t-il de plus vil et de plus abject en une maison qu’un chat ou un chien, pour lesquels, si quelqu’un voulait librement faire un échange, il recevrait un cheval ? Mais l’homme m’estime moins qu’il n’estime un chien, d’autant que, s’il devait perdre son chien ou me choisir, il ne voudrait pour cela me recevoir, il me rebuterait plutôt que de le perdre. Mais quelle est la chose, si petite qu’elle soit, qu’on ne désire avec un plus fervent amour qu’on ne me désire moi-même ? S’ils m’estimaient en effet plus qu’aucune créature, ils m’aimeraient plus que toute autre ; mais il n’est rien de vil et d’abject qu’ils n’aiment plus que moi. Ils ont pitié de toutes choses ; de moi ? nullement. Ils sont marris de leurs dommages propres et de ceux de leurs amis ; ils se fâchent d’une petite parole ; ils sont dolents et affligés de ce qu’ils offensent les autres, plus excellents qu’eux, mais ils ne s’affligent pas de ce qu’ils m’offensent, moi qui suis le Créateur de toutes les créatures. Quel est l’homme, si abject qu’il soit, que l’on n’écouterait pas, s’il parlait, à qui on ne donnerait pas quelque chose, s’il donnait ? Je suis donc la plus abjecte et la plus vile de toutes les créatures en leur présence, d’autant qu’ils ne me croient digne d’aucun bien, quoique je leur aie donné tout ce qu’ils ont.

Donc, ô ma Mère, comme vous avez goûté plus que tout autre ma sagesse infinie, et qu’il n’est jamais sorti de votre bouche que la vérité, de même il ne sortira jamais de la mienne que la vérité. Je m’excuserai en la présence de mes saints, devant le premier qui a dit que j’avais un corps très-déshonnête, et je prouverai jusqu’à l’évidence que j’ai un corps très-honnête, sans péché, sans difformité, et il sera en opprobre éternel à la face du monde. Quant à celui qui disait que mes paroles étaient un mensonge, et ne savait pas si j’étais Dieu ou non, je lui prouverai vivement que je suis vraiment Dieu : et celui-là, comme une boue puante, tombera dans l’enfer. Quant au troisième, qui m’a jugé et estimé être la plus vile de toutes les créatures, je le jugerai et le condamnerai à un supplice éternel, de sorte qu’il ne verra jamais la splendeur de ma gloire ni ma joie incomparable.

Après, Notre-Seigneur dit à l’épouse : Soyez ferme et constante en mon service. Vous êtes venue comme entre quelque mur, vous y avez été emprisonnée. Vous ne pouvez ni sortir de cette prison ni la percer. Supportez donc volontairement une petite tribulation, et vous éprouverez en mon bras, dont les pouvoirs sont adorables, un repos éternel. Vous avez connu la volonté de mon Père, vous entendez la parole de son Fils, et vous sentez les mouvements amoureux de mon Esprit ; vous avez une consolation et un contentement indicibles en la parole de ma Mère et de mes saints : donc, soyez ferme et constante, sinon vous sentirez les horribles rigueurs de ma justice, par laquelle vous serez contrainte de faire ce dont je vous avertis maintenant avec tant d’amour.

 

 

XLVII.

 

Comment Notre-Seigneur s’entretenait avec son épouse et lui objectait les paroles de la nouvelle loi. Comme la nouvelle loi est maintenant réprouvée et rejetée du monde, et comment les mauvais prêtres ne sont point prêtres de Dieu, mais des traîtres à son égard. Malé diction et damnation des mauvais prêtres.

 

JE suis ce Dieu éternel qui était jadis appelé le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob. Je suis Dieu, ce législateur qui a donné la loi à Moise, laquelle était comme un vêtement. Car comme la mère qui a un enfant dans son sein lui prépare des vêtements, de même Dieu a préparé une loi, qui n’était autre chose qu’un vêtement, une ombre et une figure des choses qui se devaient faire. Pour moi, je suis couvert de ce vêtement de la loi ; et comme l’enfant qui, devenu plus grand, se dépouille de ses vieux vêtements pour en prendre de nouveaux, ayant accompli et déposé le vêtement de la vieille loi, je me suis revêtu d’un nouveau vêtement, c’est-à-dire, de la nouvelle, et je l’ai donné à tous ceux qui ont voulu être vêtus comme moi. Or, ce vêtement n’est ni étroit ni difficile, mais il est en tout et partout modéré et proportionné. Je n’ai pas commandé en effet de trop jeûner, de trop travailler, ni de se tuer ou de faire l’impossible, mais de faire des choses propres et convenables pour châtier ou modérer l’âme et le corps. Car quand le corps est trop attaché au péché, le péché le consomme et le réduit au néant. C’est pourquoi, dans la loi nouvelle, se trouvent deux choses : 1° une tempérance modérée, et un droit et légitime usage de toutes les choses qui servent et pour l’âme et pour le corps ; 2° la facilité de garder la loi, parce que celui qui ne peut s’arrêter en une chose le peut en une autre. On trouve en elle qu’à celui qui ne peut être vierge, il est permis d’être marié ; que celui qui tombe peut se relever. Mais cette loi est maintenant réprouvée et méprisée à cause du mal, car ils disent que cette loi étroite est fâcheuse et difforme ; ils l’appellent étroite, d’autant qu’elle recommande de s’abstenir des choses nécessaires et de fuir les choses superflues. Or, ils veulent jouir et s’assouvir de toutes ces choses qui sont hors de raison, comme les juments par-dessus les forces de leur corps, c’est pourquoi elle leur est étroite. Secondement, ils disent qu’elle est fâcheuse, d’autant que la loi ordonne de prendre la volupté avec raison et en temps, mais ils veulent accomplir leur volupté plus que de raison et plus qu’il n’est ordonné. En troisième lieu, ils disent qu’elle est difforme, parce que la loi commande d’aimer l’humilité, et de déférer et d’attribuer tout notre bien à Dieu ; mais ils veulent s’enorgueillir des dons qu’ils ont reçus de Dieu, et s’élever : c’est pourquoi elle leur est difforme, et de la sorte, ils méprisent mon vêtement. J’ai achevé et accompli plus tôt tout ce qui était de la vieille loi, et après, j’ai commencé la nouvelle, parce que les corps qui appartenaient à la vieille étaient grandement difficiles pour durer jusqu’à ce que je vinsse au dernier jugement. Mais ils ont jeté avec mépris le vêtement dont l’âme était couverte et revêtue, c’est-à-dire, la foi droite, et ils ajoutent et amoncellent péchés sur péchés, d’autant qu’ils veulent aussi me trahir. David ne dit-il pas en son psaume : Ceux qui mangeaient mon pain méditent contre moi une trahison ? Par ces paroles, je veux que vous remarquiez deux choses : 1° parce qu’il ne veut point dire ici : Ils pensent mal ; il a parlé comme si la chose était déjà passée ; 2° de ce que le passé dénote qu’il n’y a qu’un seul homme qui ait trahi. Pour moi, je vous dis que ceux-là me sont traîtres qui sont au présent, non pas ceux qui ont été ou qui seront, mais ceux qui vivent maintenant. Je vous dis aussi qu’il n’y a pas un homme traître, mais qu’il y en a plusieurs.

Or, vous me demanderez peut-être : N’y a-t-il pas deux pains, l’un invisible et spirituel, dont les anges et les saints se nourrissent, l’autre de la terre, dont vivent les hommes ? Mais les anges et les saints ne veulent autre chose, sinon que tout soit conforme à votre volonté, et les hommes ne peuvent rien, sinon comme il vous plaît : comment donc peuvent-ils vous trahir ?

Je vous réponds à cela, ma cour céleste l’entendant, afin que vous sachiez qu’ils savent et voient toutes choses en moi, mais le tout se dira pour votre sujet : Il y a vraiment deux sortes de pain : l’un des anges, qu’ils mangent en mon royaume, afin de se rassasier d’une gloire ineffable : certes, ceux-là n’ont garde de me trahir, d’autant qu’ils ne veulent que ce que je veux. Mais ceux-là me trahissent qui mangent mon pain à l’autel. Je suis vraiment ce pain, dans lequel on voit trois choses : la figure, le goût et la rondeur. Mais je suis ce pain, car comme le pain, j’ai en moi trois choses : la rondeur, la figure et le goût, parce que, comme sans pain toute viande est presque sans goût et comme de nul appui, de même, sans moi, tout ce qui est, est sans goût, faible et vain. J’ai aussi la figure du pain, parce que je suis de la terre, car je suis né d’une Mère vierge, ma Mère tire sa source d’Adam, Adam, de la terre. J’ai aussi la rondeur, où ne se trouvent ni commencement ni fin, parce que je suis sans commencement et sans fin. Personne ne peut considérer ni trouver de fin ou de commencement en ma sagesse incroyable, en ma puissance infinie, en mon éternelle charité. Je suis d’une manière admirable en toutes choses, par-dessus toutes choses et hors de toutes choses. Bien que quelqu’un volât sans relâche et toujours aussi vite qu’une flèche, jamais il ne trouverait ni la fin ni le fond de ma puissance, de ma vertu.

Donc, à cause de ces trois choses, savoir, le goût, la figure, la rondeur, je suis ce pain que l’on voit et que l’on sent sur l’autel ; mais il est changé en mon corps, qui a été crucifié. Car de même qu’une chose aride et sèche brûle soudain, si le feu y est mis, et en même temps est consumée, et il ne demeure rien du bois qui lui est apposé, mais tout est converti en feu, de même, ces paroles étant prononcées, savoir : CECI EST MON CORPS, ce qui a été pain auparavant, est, au moment même, changé et transsubstantié en mon corps, et ne se brûle point par le feu, comme le bois, mais par ma Divinité. Partant, me trahissent ceux-là qui mangent indignement mon pain.

Mais quel meurtre pourrait être plus abominable que lorsque quelqu’un se tue soi-même ; on quelle trahison plus détestable que lorsque deux personnes conjointes ensemble par un lien indissoluble, comme, par exemple, les personnes mariées, se trahissent l’un l’autre ?

Mais que fait le mari quand il veut trahir sa femme ? Il lui dit : Allons, ma femme, en un tel lieu afin que j’accomplisse ma volonté avec vous. Or, étant prête en tout et partout à suivre la volonté de son mari, elle s’en va avec lui avec une vraie simplicité. Mais lorsqu’il a trouvé un lieu propre et un temps opportun pour mettre son entreprise à exécution, il tire contre elle trois instruments de trahison : certes, l’un est tellement pesant qu’il la tue d’un seul coup ; l’autre est tellement aigu qu’il entre aussitôt dans les entrailles ; le troisième est en telle sorte qu’elle est bientôt étouffée, car il lui enlève l’air vital. Mais après que sa femme est morte, ce traître dit en lui-même : Maintenant, j’ai fait le mal : s’il est découvert et publié, je serai condamné à mort. C’est pourquoi il s’en va, et met le cadavre de sa femme en un lieu caché, de peur que son péché ne soit découvert.

Les prêtres qui me trahissent agissent de la sorte : car nous sommes liés ensemble par un seul lien, quand ils prennent le pain, et que, proférant les paroles sacramentelles, ils le changent en mon vrai corps, que j’ai pris de la Vierge. Tous les anges ensemble ne pourraient faire cette chose, parce que j’ai donné cette dignité aux prêtres seuls, et les ai élevés pour les plus grandes charges : mais ils me font comme des traîtres, car ils me montrent une face joyeuse et gracieuse, et me mènent en un lieu caché et secret pour me trahir. Ces prêtres-là montrent alors leur face joyeuse et gracieuse quand ils semblent être bons et simples devant tous ; mais quand ils s’approchent de l’autel, ils me conduisent en une prison. Alors, comme l’époux ou l’épouse, je suis prêt à accomplir leur volonté, mais ils me trahissent.

1° Ils m’appliquent une chose bien lourde et bien pesante, lorsque le divin office leur est grandement fâcheux et ennuyeux, quand ils le disent en mon honneur : car ils disent plutôt cent paroles pour plaire au monde et pour avoir ses bonnes grâces qu’une seule pour mon honneur ; ils donneraient plutôt cent marcs d’or pour le monde qu’un denier pour moi ; ils travailleraient cent fois plus pour leur propre utilité et pour celle du monde, qu’une seule fois pour mon honneur ; ils m’accablent par ce fardeau, comme si j’étais mort dans leur cœur.

2° Ils me frappent comme avec un fer aigu, qui entre dans mes entrailles, lorsque le prêtre s’approche de l’autel, qu’il se souvient d’avoir péché et s’en repent, pensant en soi-même avec une ferme volonté de pécher de nouveau, dès qu’il aura achevé l’office. Bien, disent-ils, je me repens de mon péché, mais je ne quitterai point l’occasion en laquelle j’ai péché, afin de ne plus pécher : ceux-là me frappent comme avec un fer très-aigu.

3° Mon esprit est presque suffoqué quand ils pensent ainsi entre eux : C’est une chose bonne et délectable d’être avec le monde ; c’est une chose bonne de s’abandonner à toute sorte de voluptés ; et pour moi, je ne puis m’en empêcher. Je suivrai tout et partout ma volonté corrompue pendant que je suis jeune ; car quand je viendrai sur le point de ma vieillesse, alors je m’abstiendrai de toutes ces choses et je m’en corrigerai. Mon esprit est suffoqué de cette pensée très-méchante.

Mais on demande comment leur cœur se refroidit tellement et devient si tiède pour tout bien, de sorte qu’il ne pourra jamais s’échauffer ni se relever en ma charité. Je vous dis qu’il sera comme de la glace : en effet, comme la glace, bien qu’on y mette le feu, ne produit pas des flammes, mais au contraire se fond et se sèche, de même seront ceux qui ne s’élèvent pas au chemin de la vie éternelle, mais qui se dessèchent et ne tiennent compte d’aucun bien, quoique je leur aie donné ma grâce et qu’ils aient entendu les paroles d’avertissement que je leur ai envoyées. Ils me trahissent donc en ceci, savoir : ils se montrent simples et ne le sont pas ; ils sont accablés et troublés à raison de l’honneur qu’ils me doivent et dont ils devraient se réjouir merveilleusement ; ils ont la volonté de pécher, et ils promettent d’être pécheurs jusqu’à la fin. Ils me cachent presque, ils me mettent en un lieu occulte, quand ils pensent entre eux : Je sais que j’ai péché ; toutefois, si je m’abstiens du sacrifice, je serai jugé de tous et je serai confus. Et de la sorte, ils s’approchent impudemment de l’autel, me mettent devant eux, me manient, moi qui suis vrai Dieu et vrai homme, que les anges craignent et adorent. Je suis avec eux comme en un lieu caché, d’autant que personne ne sait ni ne considère combien ils sont difformes et dépravés, devant lesquels, moi qui suis Dieu, je demeure couché comme en cachette, parce que, bien que l’homme, quelque méchant qu’il soit, pourvu qu’il soit prêtre et qu’il ait prononcé ces paroles, savoir : CECI EST MON CORPS, le consacre véritablement, et je demeure devant lui, moi qui suis vrai Dieu et vrai homme. Mais dès que je suis dans sa bouche, alors je me retire de lui par grâce, moi, ma Divinité et mon humanité ; mais la forme et le goût du pain lui demeurent, non que je ne sois véritablement aussi bien avec les méchants qu’avec les bons, à cause de l’institution du sacrement, mais parce que les bons et les méchants n’ont pas semblable effet. Je vous dis que tels prêtres ne me sont point vrais prêtres, mais vrais traîtres, car ils me vendent et me trahissent comme des Judas. Je jette la vue sur les païens et sur les Juifs, mais je n’en vois point de si abominables, de si détestables qu’eux, parce qu’ils ont le même péché par lequel Lucifer est tombé. Maintenant aussi, je vous dis que leur jugement, et le jugement de ceux qui leur sont semblables, ne sont autre chose que malédiction : tout ainsi que David a maudit ceux qui n’ont point obéi à Dieu, lequel, étant juste roi et prophète tout ensemble, ne les a point maudits en son ire, ou par mauvaise volonté, ou par impatience, mais par justice.

Que toutes les choses donc qu’ils reçoivent de la terre et qui leur sont utiles et profitables soient maudites, d’autant qu’ils ne louent point Dieu, leur Créateur, qui leur a donné d’une main libérale et amoureuse ces choses ! Que la viande et le breuvage qui entrent dans leur bouche, qui nourrissent et entretiennent leur corps, pour être un jour la pâture des vers, et leur âme, pour être plongée dans l’enfer, soient maudits ! Maudit soit leur corps, qui ressuscitera pour l’enfer et brûlera sans fin ! Que leurs ans soient maudits, les ans qu’ils ont vécu inutilement ! Maudite soit l’heure où ils ont commencé d’entrer dans l’enfer, puisqu’elle ne finira jamais ! Que leurs yeux, par lesquels ils ont vu la lumière du ciel, soient maudits ! Maudites soient leurs oreilles, par lesquelles ils ont entendu mes douces et attrayantes paroles, dont ils n’ont pas tenu compte ! Que leur goût soit maudit, par lequel ils ont goûté mes dons favorables ! Maudit soit leur odorat, par lequel ils ont senti et flairé les parfums agréables, et n’ont pas tenu compte de moi, qui suis la plus agréable et la plus choisie de toutes les choses du monde !

Mais on demande : Comment seront-ils maudits ? Certainement, leur vue est maudite, parce qu’ils ne verront point en moi la vision de Dieu, mais les ténèbres palpables et les intolérables supplices de l’enfer. Leurs oreilles sont maudites, parce qu’ils n’entendront point mes douces paroles, mais les cris d’horreur et de désespoir de l’enfer. Leur goût est maudit, parce ne goûteront point la joie de mes biens éternels, mais une éternelle amertume. Leur attouchement est maudit, parce qu’ils ne me toucheront pas, mais toucheront un feu ardent et éternel. Leur odorat est maudit, parce qu’il ne flairera pas les parfums agréables qui sont en mon royaume, parfums qui surpassent toutes les odeurs aromatiques, mais ils auront en enfer une puanteur plus amère que le fiel, plus puante que le soufre. Ils sont maudits du ciel, de la terre, et de toutes les créatures insensibles, d’autant que celles-là obéissent à Dieu et le louent, et celles-ci l’ont méprisé. À cette cause, je jure en ma vérité, moi qui suis la vérité même, que, s’ils mouraient de la sorte en la disposition où ils sont maintenant, jamais ma charité ni ma vertu ne les embraseront ni ne les défendront, mais ils seront damnés éternellement.

 

 

XLVIII.

 

Comment, en la présence de l’épouse et de la troupe céleste, la Divinité parle à l’humanité contre les chrétiens, tout ainsi que Dieu parlait à Moïse contre le peuple d’Israël. Comment les mauvais prêtres aiment le monde et méprisent Jésus-Christ. De leur malédiction et damnation.

 

DIEU dit à une grande armée qu’on voyait au ciel : Voici que je vous parle en faveur de mon épouse, qui est ici présente, à vous qui savez, entendez et voyez en moi toutes choses, mes amis l’entendant. Je vous parle tout ainsi que quelqu’un fait à soi-même : de même ma Divinité parle à l’humanité.

Moïse demeura quarante jours et quarante nuits sur la montagne avec le Seigneur. Quand le peuple eut vu qu’il restait si longtemps, il prit de l’or, le jeta dans le feu, d’où fut fait un veau, qu’il appela Dieu. Alors Dieu dit à Moïse : Le peuple a péché : je l’effacerai comme on efface une chose écrite sur un livre. Moïse lui répondit : Non, mon Seigneur ! souvenez-vous que vous les avez mis hors de la mer Rouge, et que vous leur avez fait des choses merveilleuses. Si donc vous les effacez, où est à présent votre promesse ? Je vous prie, mon Seigneur, de ne point faire cela, parce qu’alors vos ennemis diraient : Le Dieu d’Israël est méchant : il a tiré de la mer son peuple, et il l’a fait mourir au désert. Dieu fut adouci et apaisé par ces paroles.

Je suis ce Moïse en figure. Ma Divinité parle à l’humanité comme à Moïse, disant : Voyez et regardez ce que votre peuple a fait, comment il m’a méprisé. Tous les chrétiens seront tués, et leur foi sera effacée. Mon humanité lui répondit : Non, mon Seigneur ! souvenez-vous que vous l’avez tiré hors de la mer du péché par mon sang, quand j’ai été déchiré depuis la plante des pieds jusqu’au sommet de la tête ; je leur ai promis la vie éternelle. Je vous prie donc d’avoir pitié et compassion d’eux à raison de ma passion.

La Divinité, ayant entendu ces paroles, en fut apaisée et adoucie, et dit : Que votre volonté soit faite, d’autant que tout jugement vous est donné. Regardez, mes amis, combien est grande cette charité. Mais maintenant, je me plains devant vous, mes amis spirituels, savoir : les anges et les saints, et devant mes amis corporels qui sont au monde, et qui toutefois n’y sont pas, sinon de corps, je me plains de ce que mon peuple a amassé du bois et en a fait du feu, dans lequel il a jeté de l’or, d’où s’est levé un veau qu’ils adorent comme Dieu. Il se tient debout, comme un veau, sur quatre pieds, ayant une tête, un gosier et une queue.

Or, Moïse tardant trop à descendre de la montagne, le peuple dit : Nous ne savons ce qui lui est arrivé. Et il lui déplut d’avoir été par lui tiré de la captivité. Ils dirent : Cherchons un autre Dieu qui marche devant nous. Les méchants prêtres en agissent maintenant ainsi, car ils disent : Pourquoi mènerons-nous une vie plus austère que celle des autres, ou quelle récompense en aurons-nous ? Il nous est bien meilleur de vivre en paix et selon notre volonté. Aimons et chérissons le monde, duquel nous sommes assurés, car nous n’avons aucune certitude, aucune assurance de sa promesse. Ensuite, ils amassent du bois, c’est-à-dire, ils appliquent tout leur soin à l’amour du monde ; ils y allument le feu, lorsqu’ils se livrent avec ardeur à l’amour du monde ; mais ils le brûlent, quand, dans leur esprit, la volupté s’échauffe, et qu’ils la mettent à exécution. Ensuite, ils y jettent l’or, c’est à-dire : la charité et l’honneur qu’ils me devraient donner, ils les donnent à l’honneur du monde. Alors se lève le veau, c’est-à-dire, l’amour du monde est accompli ; et cet amour a quatre pieds, savoir : la paresse, l’impatience, la vaine joie et l’avarice. Car ces prêtres-là, qui devraient être toujours près de moi pour mon honneur et pour ma gloire, portent à regret l’honneur qu’on me rend ; ils usent et passent le reste de leur vie dans la joie trompeuse du monde, et ne sont jamais contents ni rassasiés des biens temporels.

Ce veau a aussi une tête et un gosier, c’est-à dire, qu’ils n’ont d’autre but que la satisfaction de leur gourmandise, de sorte qu’elle ne peut jamais être rassasiée, quand même toute la mer entrerait dans eux. La queue de ce veau, c’est leur malice, d’autant que, s’ils pouvaient, ils ne permettraient pas qu’aucun possédât ce qui lui appartient. Certes, par leur exemple dépravé et par leur mépris, ils blessent et corrompent tous mes serviteurs. Voilà de quel amour leur cœur est porté à ce veau, et quelle joie et quel plaisir ils y prennent. Mais ils pensent de moi comme ces juifs pensaient de Moïse, et disent : Il y a longtemps qu’il est absent ; ses paroles sont vaines et ses œuvres fâcheuses ; faisons maintenant notre volonté, et qu’elle et notre puissance soient notre Dieu. De plus, non contents de ces choses, ils ne m’oublient pas tout à fait, mais ils me regardent comme une idole. Les gentils idolâtres adoraient du bois, des pierres et des hommes morts, du nombre desquels ils adoraient une idole qui s’appelait Belzébuth. Les prêtres de cette idole lui offraient de l’encens et faisaient des génuflexions devant elle avec des applaudissements et des louanges. Tout ce qui, dans leur sacrifice, était vain et inutile, tomba, et les oiseaux et les mouches le mangèrent ; mais toutes les choses qui étaient utiles, les prêtres les réservaient pour eux, fermaient la porte de leur idole, et gardaient la clef, de peur que quelqu’un n’y entrât et découvrît leur dessein pernicieux.

À présent, les prêtres m’en font de même : ils m’offrent de l’encens, c’est-à-dire, ils prêchent de belles paroles, non pas à raison de mon amour et de ma charité, mais pour leur louange propre, et pour leur ravir quelque chose de temporel : car tout ainsi qu’on ne prend pas l’odeur de l’encens, mais qu’on le sent et qu’on le voit, de même leurs paroles ne font aucun effet à leurs âmes, de sorte qu’elles y puissent prendre racine, où elles puissent être détenues, mais on entend seulement le son des paroles, et elles semblent donner quelque plaisir à l’oreille pour un temps ; ils m’offrent des prières, mais ils ne me plaisent point. Ils sont comme ceux qui prêchent mes louanges du bout des lèvres, et dont le cœur garde le silence. Ils se tiennent presque contre moi, criant de leur bouche, mais ils font avec leur cœur tout le tour du monde. S’ils devaient parler à quelque homme qui eût quelque charge et quelque dignité, leur cœur accompagnerait leur parole, de peur qu’ils ne s’écartassent en parlant, et ne fussent par hasard remarqués peu sensés en quelques-unes.

Or, les prêtres prient devant moi presque comme les hommes qui sont en extase, qui parlent autrement de bouche que leur cœur ne le leur dicte et le leur suggère, paroles dont l’auditeur ne peut tirer une assurance certaine. Ils fléchissent les genoux devant moi, c’est-à-dire, ils me promettent l’humilité et l’obéissance, mais en vérité, ils sont humbles comme Lucifer ; ils obéissent à leurs désirs et non aux miens. Ils ferment aussi la porte sur moi et gardent la clef, quand ils ne me louent ; et alors, ils ouvrent la porte sur moi et me louent, quand ils disent : Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel ; mais ils la ferment sur moi, lorsqu’ils font leur volonté et ne veulent voir ni ouïr la mienne, comme si elle était d’un homme enfermé et de nulle puissance. Ils gardent la clef lorsque quelques-uns veulent faire ma volonté, et ils les en retirent par leur exemple, et s’ils pouvaient librement, ils leur défendraient aussi que ma volonté ne sortît en effet et ne fût accomplie que selon leurs désirs déréglés. Après, ils gardent en leur sacrifice toutes les choses qui leur sont nécessaires et utiles, et exigent pour eux tout l’honneur et tous les devoirs qu’ils peuvent. Mais le corps de l’homme que la mort frappe, pour lequel principalement ils devraient offrir des sacrifices, ils le jugent et le tiennent comme inutile, l’abandonnant aux mouches, c’est-à-dire, aux vers, se souciant fort peu de ce qu’ils lui doivent et du salut de son âme.

Mais qu’a-t-il été dit à Moise : Tuez ceux qui ont fait cette idole. Là, si quelques-uns sont morts, tous ne le sont pas. Mes paroles viendront maintenant, et les tueront, quelques-uns pour le corps et pour l’âme, pour être éternellement damnés ; les autres pour la vie, afin qu’ils se convertissent et vivent ; ceux-ci à une mort soudaine, d’autant que ces prêtres-là me sont grandement odieux. Et de grâce, à quoi les comparerai-je ? Ils sont semblables au fruit d’épine qui, au-dehors, est beau et rouge, mais qui, au dedans, est plein d’immondices et d’aiguillons. Ils s’approchent ainsi de moi comme des hommes rouges par la charité, afin de paraître purs et nets au dehors, mais ils sont au dedans pleins d’immondices et d’ordures. Si ce fruit est de nouveau mis en terre, d’autres épines en sortiront et croîtront : de même ceux-là cachent dans leur cœur comme dans la terre leurs péchés abominables et leurs détestables malices, et de la sorte, ils ont pris tellement racine dans le mal, qu’ils n’ont pas même honte après de le mettre en lumière, de s’en vanter, de s’en glorifier. Les autres en prennent, non-seulement l’occasion de pécher, mais sont aussi grièvement blessés et scandalisés dans leur âme, pensant ainsi entre eux : Si les prêtres font ceci, à plus forte raison il nous est permis de le faire. Certes, ceux-là ne sont pas seulement semblables au fruit de l’épine, mais à l’épine même, parce qu’ils dédaignent et méprisent les corrections et admonitions qu’on leur fait, et ne réputent personne plus sage qu’eux. C’est pourquoi ils pensent pouvoir faire tout ce qu’ils veulent. Partant, je jure en ma Divinité et en mon humanité, tous les anges l’entendant, que je briserai la porte qu’ils ont fermée sur ma volonté ; et elle sera accomplie, et la leur sera anéantie et fermée sans fin dans l’intolérable supplice. À cause de quoi, comme il est dit d’ancienneté, je commencerai mon jugement par mon clergé et par mon autel.

 

 

XLIX.

 

Paroles que Jésus-Christ adressait à son épouse. Comment en figure Jésus-Christ ressemble à Moïse tirant  le peuple d’Égypte. Comment les méchants prêtres, lesquels, au lieu de ses prophètes, il a choisis pour ses plus grands amis, crient maintenant : Retirez-vous de nous.

 

LE Fils de Dieu parlait à son épouse : Dès le commencement, je me suis comparé en figure à Moïse. Lorsqu’il tirait le peuple de l’insupportable captivité, l’eau, à droite et à gauche, se tenait ferme et arrêtée comme un mur. Certainement, je suis ce Moïse en figure : j’ai tiré le peuple chrétien de la servitude, c’est-à-dire, je lui ai ouvert le ciel et montré le chemin. Mais maintenant, j’ai élu pour moi d’autres amis plus signalés et plus secrets que les prophètes, savoir : les prêtres, qui n’entendent pas seulement ma parole, et voient quand ils me voient moi-même ; mais aussi ils me touchent avec leurs mains sacrées, ce qu’aucun des prophètes ni des anges ne pourrait faire. Ces prêtres-là, que j’ai choisis de toute éternité pour amis au lieu de mes prophètes, crient après moi, non avec désir et charité comme les prophètes, mais ils crient avec deux voix contraires, car ils ne crient pas comme prophètes : Voyez, ô Seigneur, parce que vous êtes doux ; mais ils crient : Retirez-vous de nous, parce que vos paroles sont amères, et vos œuvres sont lourdes et pesantes et nous font du scandale. Voyez ce que ces méchants prêtres disent. Je demeure devant eux comme une brebis très-douce, dont ils prennent la laine pour se vêtir et le lait pour se nourrir ; et maintenant, en récompense d’un tel amour, ils m’ont en horreur et en abomination. Je demeure devant eux comme un hôte qui dit : Mon ami, donne-moi les choses nécessaires à la vie, parce que j’en ai besoin, et tu recevras de Dieu une très-bonne récompense. Mais ceux-là me chassent comme un loup, épiant les brebis du père de famille, à raison de ma simplicité. À cause de mon hospitalité, ils me troublent, et ils refusent de me recevoir, et ils me traitent comme un traître indigne de loger chez eux. Mais que doit faire l’hôte, lorsqu’il est repoussé ? Ne doit-il pas prendre les armes contre le domestique qui l’a repoussé ? Nullement, car cela n’est pas justice, d’autant que celui qui jouit de son bien peut le donner et le refuser à qui bon lui semble. Que doit donc faire l’hôte ? Certainement, il est tenu et obligé de dire à celui qui le refuse : Mon ami, puisque vous ne voulez pas me recevoir, je m’en irai à un autre qui me fera miséricorde, qui me dira, venant à moi : Vous, soyez le bienvenu, mon Seigneur ! Tout ce que j’ai est à votre service. Soyez maintenant maître, car pour moi, je veux être serviteur et hôte en une hôtellerie où j’entends une telle voix. Il me plaît d’y demeurer et d’y loger, car je suis comme l’hôte rebuté et repoussé des hommes. Mais bien que je puisse entrer partout par ma puissance, toutefois je n’y entre point, ma justice en étant éloignée : j’entre en ceux qui, avec une bonne volonté, me reçoivent, non pas comme hôte, mais comme vrai Seigneur, et qui mettent leur volonté entre mes mains.

 

 

L.

 

Paroles de louange et de bénédiction que la Mère et le Fils se disaient. De la grâce concédée par le Fils à sa Mère, pour ceux qui sont détenus en purgatoire et pour ceux qui demeurent en ce monde.

 

LA Mère de Dieu parlait à son Fils, disant : Mon cher Fils, que votre nom soit éternellement béni avec votre Divinité infinie ! Il y a en votre Divinité trois choses merveilleuses, savoir : votre puissance, votre sagesse et votre vertu.

Votre puissance infinie est comme un feu très-ardent, devant lequel tout ce qui est fort et ferme est coupé et rompu, comme la paille desséchée par le feu. Votre sagesse inscrutable est comme la mer, qui ne peut être épuisée à cause de sa grandeur, et qui couvre les vallées et les montagnes, lorsque ses flots impétueux croissent et décroissent : de même personne ne peut arriver ni atteindre à la connaissance de votre sagesse, ni ne peut trouver les voies pour la sonder et y parvenir. Oh ! que sagement vous avez créé l’homme et l’avez constitué et établi sur toutes vos créatures ! Oh ! que vous avez sagement disposé et mis en ordre les oiseaux en l’air, les bêtes sur la terre, les poissons dans la mer, et leur avez donné à tous et leur temps et leur ordre ! Oh ! que merveilleusement vous donnez et ôtez la vie à tous ! Oh ! que sagement vous donnez la sagesse aux insensés, et l’enlevez aux superbes ! Votre insigne et prodigieuse vertu est comme la lumière du soleil qui luit aux cieux et remplit la terre de son éclat : il en est de même de votre vertu, qui rassasie les choses d’en haut et d’en bas et les remplit toutes. Pour cela, soyez béni, ô mon cher Fils ! vous qui êtes mon aimable Dieu et mon Seigneur de majesté !

Son Fils lui répondit : Ma Mère bien-aimée, vos paroles me sont douces et agréables, parce qu’elles proviennent de votre âme, qui est toute belle et toute pure. Vous êtes comme la belle et blonde aurore, qui, vous levant avec clarté et sérénité, avez jeté vos rayons lumineux sur tous les cieux, et votre lumière et fermeté surpassent tous les anges. Par votre ineffable clarté, vous avez doucement attiré à vous le vrai Soleil, c’est-à-dire, ma Divinité, en tant que le soleil de ma Divinité venant en vous, il s’est lié et uni à vous ; et vous avez été plus que tous échauffée de sa chaleur par mon amour, et par ma sagesse divine, vous avez été, plus que tous, illuminée de sa splendeur. Par vous se sont dissipées les épaisses ténèbres de la terre, et tous les cieux ont été illuminés. Je vous dis en vérité que votre pureté incomparable, qui m’a plu davantage que la pureté des anges, a attiré en vous mon adorable Divinité, afin que vous soyez enflammée du feu de cet Esprit divin, par lequel vous avez enfermé en votre sein le vrai Dieu et le vrai homme, et par lequel l’homme a été illuminé et les anges se sont réjouis.

Partant, ô ma Mère ! soyez bénie de votre Fils béni. Pour cet effet, vous ne me demanderez rien qui ne vous soit accordé ; et à cause de vous, tous ceux qui demanderont ma miséricorde avec volonté de se corriger recevront ma grâce, parce que, de même que la chaleur procède du soleil, ainsi, par vous, toute miséricorde sera donnée : car vous êtes comme une fontaine qui s’épand de toutes parts au long et au large, et de laquelle ma miséricorde découle sur les méchants.

De nouveau la Mère répondit à son Fils : Mon Fils, que toute gloire et toute vertu soient avec vous. Vous êtes mon Dieu et ma miséricorde. Tout ce que j’ai de bien est de vous. Vous êtes comme la semence qui n’a point été semée, et qui, toutefois, a crû et a donné son fruit au centuple et mille pour un. Toute miséricorde prend sa source de vous, laquelle, parce qu’elle est indicible et innumérable, peut bien à propos être signifiée par le nombre cent, par lequel est marquée la perfection, parce que toute perfection et tout profit dépendent de vous.

Le Fils dit à sa Mère : Ma Mère, vraiment, vous m’avez fort bien comparé à la semence qui n’a point été semée, et qui toutefois a crû, d’autant que je suis venu en vous avec ma Divinité et mon humanité, et elle n’a point été semée avec mélange, laquelle a toutefois crû en vous, et de laquelle ma miséricorde a coulé abondamment en tous et pour tous ; partant, vous avez bien dit. Maintenant donc, demandez tout ce que vous voudrez, et il vous sera donné, car vous tirez puissamment ma miséricorde infinie par les douces paroles de votre bouche.

Sa Mère lui répondit, disant : Mon Fils, d’autant que j’ai acquis et obtenu de vous miséricorde, j’ose vous demander miséricorde et secours pour les pauvres misérables. Certes, il y a quatre lieux : le premier est le ciel, où sont les anges et les âmes des saints, qui n’ont besoin de personne, sinon de vous, qu’ils possèdent d’une manière ineffable, car en vous, ils jouissent à souhait de tout bien. Le deuxième lieu, c’est l’enfer effroyable, dont les habitants sont remplis de malice et de désespoir, et sont exclus de toute miséricorde : c’est pourquoi éternellement rien de bien ne peut entrer en eux. Le troisième lieu est le purgatoire ; ceux qui y sont détenus ont besoin d’une triple miséricorde, parce qu’ils sont affligés triplement : 1° ils sont troublés en l’ouïe, parce qu’ils n’entendent que cris, douleurs, peines et misères ; 2° ils sont affligés par la vue, attendu qu’ils ne voient rien que leur misère ; 3° ils sont affligés par l’attouchement, d’autant qu’ils sentent la chaleur intolérable du feu et la gravité des peines. Mon Fils et mon Seigneur, donnez-leur votre miséricorde à raison de mes prières.

Son Fils lui répondit : Je leur donnerai librement, par considération pour vous, une triple miséricorde : 1° leur ouïe sera allégée, leur vue sera adoucie, leur peine sera plus douce et plus agréable. De plus, tous ceux qui maintenant sont en la plus grande peine du purgatoire viendront au milieu, et ceux qui sont au milieu viendront en une peine plus légère ; mais ceux qui sont en une peine légère, s’en iront dans le repos éternel.

Sa Mère lui répondit : Mon Seigneur, louange et honneur vous soient donnés ! Et incontinent après, elle ajouta et dit à son cher Fils : Le quatrième lieu, c’est le monde, dont les habitants ont besoin de trois choses : 1° de contrition pour leurs péchés ; 2° de satisfaction ; 3° de force pour faire le bien.

Son Fils lui répondit : Quiconque invoquera votre nom et aura espérance en vos prières, avec résolution de corriger et d’amender ce qu’il aura fait, ces trois choses lui seront données, et après, le royaume céleste, car je sens tant de douceur en vos paroles que je ne puis refuser ce que vous me demandez ; car aussi vous ne voulez que ce que je veux. Enfin, vous êtes comme la flamme luisante et ardente par laquelle les lumières éteintes sont allumées, et leur ardeur augmente davantage : de même, à raison de votre charité, qui a monté dans mon cœur et m’a attiré à vous, ceux qui sont morts et tièdes dans les péchés comme de la fumée noire et fâcheuse, revivront en la vie vivante de mon amour infini.

 

 

LI.

 

Paroles de bénédiction de la Mère de Dieu à son Fils, en présence de l’épouse. En quelle manière le Fils glorieux figure très-bien sa très-douce Mère par une fleur éclose en une vallée.

 

LA Mère de Dieu parlait à son Fils, disant : Que votre nom soit éternellement béni, ô Jésus-Christ, mon très-cher Fils ! Honneur soit rendu à votre humanité par-dessus toutes les choses qui ont été créées ! Gloire soit à votre Divinité éternelle, par-dessus tous les biens, Divinité qui est un Dieu avec votre humanité !

Son Fils lui répondit : Ma très-chère Mère, vous êtes semblable à cette fleur qui est éclose et qui a crû en une vallée proche de laquelle il y avait cinq hautes montagnes. Cette fleur est sortie de trois racines, avec une tige droite, laquelle n’avait aucuns nœuds ; elle avait cinq feuilles pleines de toute sorte de suavité et de douceur. Or, cette humble vallée s’est élevée avec sa fleur par-dessus ces cinq montagnes, et ses feuilles se sont élargies et épandues sur toute l’étendue du ciel et par-dessus tous les chœurs des anges. C’est vous, ma Mère bien-aimée, qui êtes cette vallée, à raison de votre humilité, que vous avez eue par-dessus les autres. Celle-ci a dépassé les cinq montagnes. La première montagne, c’était Moïse, à raison de sa puissance, car par ma loi, il a eu puissance sur mon peuple comme si ce peuple eût été enfermé dans son poing : mais vous avez enfermé dans votre sein le Seigneur et le législateur divin de toutes les lois : partant, vous êtes plus élevée que cette montagne. La deuxième montagne était Élie, qui a été tellement saint qu’il fut ravi et élevé en corps et en âme en un lieu saint : mais votre âme, ma très-chère Mère, est montée, et avec elle, votre corps très-pur, par-dessus tous les chœurs des anges : partant, vous êtes plus haute et plus éminente qu’Élie. La troisième montagne, c’était la force incomparable de Samson, laquelle il a eue par-dessus tous les hommes, et toutefois le diable l’a vaincu et surmonté par sa tromperie et sa subtilité : mais vous avez surmonté le diable par votre force admirable : partant, vous êtes plus forte que Samson. La quatrième montagne, c’était David, qui a été selon mon cœur et selon ma volonté, lequel toutefois est tombé en péché abominable et cruel : mais vous, ma Mère, vous avez suivi en tout et partout les arrêts et les décrets de ma volonté, et n’avez jamais péché. La cinquième et la dernière montagne, c’était Salomon, qui a été rempli de sagesse, et qui toutefois devint insensé : mais vous, ma Mère, vous avez été remplie de toute sagesse, et n’avez jamais été insensée, déçue ni trompée : partant, vous êtes bien plus éminente que Salomon.

Or, cette fleur est sortie de trois racines, d’autant que, dès votre jeunesse, vous avez eu trois choses : l’obéissance, la charité et l’intelligence divine. Certes, de ces trois racines s’est élevée cette tige droite et sans aucun nœud, c’est-à-dire, votre volonté, qui ne fléchissait jamais qu’à la mienne. Cette fleur aussi a eu cinq feuilles, qui se sont étendues par-dessus tous les chœurs des anges. Vraiment, ma Mère, vous êtes cette fleur à cinq feuilles.

La première feuille, c’est votre honnêteté, en sorte que mes anges, la considérant, ont vu qu’elle surpassait la leur, qu’elle était beaucoup plus éminente en sainteté et en honnêteté que la leur ; partant, vous êtes plus excellente que les anges.

La deuxième feuille, c’est votre miséricorde, qui a été si grande que, lorsque vous voyez la misère de toutes les âmes, vous en avez une grande compassion, et vous avez souffert et enduré une grande peine en ma mort. Les anges sont pleins de miséricorde ; toutefois ils ne souffrent jamais de douleur : mais vous, ma très-chère Mère, vous avez eu pitié des misérables lorsque vous sentiez toute la douleur de ma mort, et avez voulu souffrir et endurer plus de douleur à raison de votre miséricorde que d’en être exempte : partant, votre miséricorde a excédé et surpassé celle de tous les anges.

La troisième feuille, c’est votre douceur. Certes, les anges sont bons et débonnaires, et désirent le bien à tous : mais vous, ma très-chère Mère, comme un ange, vous avez eu en votre âme et en votre corps, devant votre mort, la volonté de bien faire à tous, et l’avez fait très spécialement ; et à présent, vous ne la refusez à aucun de ceux qui vous demandent avec raison leur profit et leur avancement : et partant, votre douceur est plus excellente que celle des anges.

La quatrième feuille, c’est votre prodigieuse et admirable beauté, car les anges, considérant entre eux la beauté des uns et des autres, et admirant la beauté de toutes les âmes et de tous les corps, voient que toute la beauté de votre âme surpasse toutes les choses qui sont créées, et que l’honnêteté de votre corps surpasse celle de tous les hommes, qui ont été créés du néant : et de la sorte, votre beauté a surpassé tous les anges et toutes les choses qui ont été créées.

La cinquième feuille, c’était votre divine délectation, d’autant que rien ne vous plaisait que Dieu, comme rien autre chose ne délecte les anges sinon Dieu, et chacun d’eux sent et ressent en soi une indicible délectation. Mais lorsqu’ils ont vu quel était le contentement, la délectation que vous preniez avec Dieu, il leur semblait en leur conscience que la leur brûlait comme une lumière en la divine charité ; mais voyant que votre délectation était comme un monceau de bois brûlant avec un feu très-véhément et très ardent, qui s’élevait si haut que sa flamme approchait de ma Divinité, partant, ma très-douce Mère, ils conclurent que votre délectation brûlait, et montait par-dessus tous les chœurs des anges ; et d’autant que cette fleur a eu ces cinq feuilles, savoir : l’honnêteté, la miséricorde, la douceur, la beauté et la grande délectation, elle était remplie de toute douceur et de toute suavité. Or, quiconque voudra goûter la douceur et la suavité, doit s’en approcher et la recevoir en soi, comme vous avez fait, ma bonne Mère ; car vous avez été si amoureusement douce à mon Père, qu’il vous a toute reçue en son esprit, et votre amoureuse douceur lui a plu par-dessus toutes les autres.

Cette fleur aussi porte la semence par la chaleur et par la vertu du soleil, duquel croît le fruit. Mais ce soleil béni, savoir, ma Divinité, a reçu l’humanité de vos entrailles vierges : car de même que la semence, en quelque endroit qu’elle soit semée, engendre telles fleurs que la semence a été, de même mes membres ont été conformes et semblables aux vôtres en forme et en face ; toutefois, j’ai été homme, et vous, vous avez été Vierge Mère. Cette vallée et sa fleur ont été éminemment élevées par-dessus toutes les montagnes, quand votre corps et votre âme sainte ont été exaltés par-dessus tous les chœurs des anges.

 

 

LII.

 

Paroles de bénédiction et de prière de la Mère de Dieu à son Fils, afin que ses paroles fussent dilatées et épandues par le monde, et prissent racine dans les cœurs de ses amis. Comme elle est merveilleusement signifiée par la fleur qui naît dans le jardin. Paroles de Jésus-Christ envoyées par son épouse sainte Brigitte au pape et aux autres prélats de son Église.

 

LA bienheureuse Vierge Marie parlait à son Fils, disant : Soyez béni, mon Fils, vous qui êtes mon Dieu, le Seigneur des anges et le roi de gloire ! Je vous en prie, que les paroles que vous avez prêchées prennent racine dans les sœurs de vos amis, et qu’elles soient fixées et collées en leurs esprits, comme l’était la poix dont l’arche de Noé était enduite, que les vents ni les orages n’ont pu dissoudre ; qu’elles se dilatent et s’épandent aussi parmi le monde comme des rameaux et des fleurs suaves et douces, dont l’odeur s’exhale et se répand ; en outre, qu’elles fructifient, et deviennent douces comme la datte, dont la douceur délecte l’âme.

Son cher Fils lui répondit : Soyez bénie, ma chère Mère ! Mon ange Gabriel vous dit : Marie, soyez bénie par-dessus toutes les femmes ; et moi, je porte témoignage assuré que vous êtes bénie et que vous êtes très-sainte par-dessus tous les chœurs des anges. Vous êtes comme la fleur épanouie qui est dans le jardin, laquelle, bien qu’elle soit environnée de fleurs de diverses odeurs et senteurs, toutefois les surpasse toutes en odeur, en beauté et en vertu. Ces fleurs, qui sont plantées dans le jardin du monde, ont fleuri et relui par diverses vertus, lesquelles sont toutes élues et choisies d’Adam jusqu’à la fin du monde. Mais entre toutes celles qui ont été et qui seront, vous avez été la plus excellente en odeur de bonne vie et d’humilité, en la beauté gracieuse de votre virginité et en la vertu de votre abstinence. Certes, je porterai témoignage de vous, que vous avez été plus que martyre en ma passion, plus sobre qu’aucun des confesseurs, et plus qu’un ange en votre miséricorde et en votre bonne volonté. C’est pourquoi, à cause de vous, j’enracinerai mes paroles comme de la poix très-forte dans les cœurs de mes amis ; elles se dilateront et s’épandront comme des fleurs odoriférantes, et fructifieront comme la datte très-douce et suave.

Après, Notre-Seigneur parlait à son épouse sainte Brigitte, lui disant : Dites à votre Père confesseur, qui est mon ami et est selon mon cœur, qu’il déclare diligemment ces paroles écrites à l’archevêque ; et ensuite, il les laissera par écrit à un autre évêque : lesquels étant diligemment informés, qu’il les envoie ensuite au troisième évêque.

Dites-lui aussi de ma part : Je suis votre Créateur et le Rédempteur des âmes ; je suis ce Dieu que vous aimez par-dessus tout. Considérez et voyez que les âmes que j’ai rachetées par mon sang sont comme les âmes de ceux qui ignorent Dieu, lesquelles sont si horriblement captives du diable, qu’il les afflige furieusement en tous leurs membres, comme dans un pressoir étroit : à cause de quoi, si vous goûtez et connaissez mes plaies en votre esprit ; si ma flagellation vous est présente, et si vous avez douleur de la réputation de quelqu’un, montrez à vos pauvres combien vous m’aimez, et déclarez en public les paroles que j’ai dites de ma propre bouche, et les annoncez personnellement au chef de l’Église. Certes, je vous donnerai mon Esprit. En quelque lieu que ce soit, quand il y aura dissension entre deux personnes, si elles croient en mon nom, vous pourrez les rallier et les réconcilier par la vertu qui vous est donnée. De plus, pour une plus grande évidence de mes paroles, vous porterez avec vous leur témoignage au pontife : ils les goûtent et se délectent en elles, car mes paroles sont comme de la graisse qui se fond et se liquéfie d’autant plus tôt qu’elle a plus de chaleur au dedans ; mais lorsque la chaleur lui manque, elle est rejetée et ne parvient pas jusqu’au dedans. Il en est de même de mes paroles, parce que, plus l’homme est enflammé de ma charité, plus il les médite et les dévore, et plus il s’engraisse de ma douceur, de la joie céleste et de celle de mon amour, et partant, plus il s’embrase en mon amour. Mais il y en a qui n’aiment pas mes paroles, mais qui les ont en leur bouche comme de la graisse, qu’ils rejettent dès qu’ils l’ont goûtée, et la foulent aux pieds : de la sorte mes paroles sont méprisées de quelques-uns, d’autant qu’ils ne goûtent pas la douceur des choses spirituelles. Or, le prince de la terre, que j’ai élu et choisi pour mon membre et que j’ai fait vraiment mien, vous aidera virilement, et dans ce pèlerinage, vous administrera ce qui est nécessaire de ses biens justement acquis.

 

 

LIII.

 

Paroles de bénédiction et de louange que la Mère de Dieu et son Fils se disaient. Comme la Vierge est figurée par l’arche, où étaient la verge d’Aaron, la manne, et les tables de la loi. Dans cette figure sont contenues plusieurs choses admirables.

 

LA Vierge Marie parlait à son très-cher Fils, disant : Soyez béni, mon Fils, vous qui êtes mon Dieu et le Seigneur des anges ! Vous êtes celui dont les prophètes ont entendu la voix, dont les apôtres ont vu le corps, et que les Juifs et vos ennemis ont ressenti. Vous êtes un Dieu avec la Divinité, l’humanité et le Saint-Esprit, car les prophètes ont entendu votre Esprit, les apôtres ont vu la gloire de votre Divinité, et les Juifs ont crucifié votre humanité. C’est pourquoi soyez béni, ô mon Fils, sans fin et sans commencement !

Son Fils lui répondit, disant : Soyez bénie, vous qui êtes vierge et mère tout ensemble ! Vous cette arche qui était en la loi, dans laquelle il y avait trois choses, savoir : la verge, la manne et la table.

Trois choses ont été faites avec la verge : 1° elle a été changée en serpent, qui était sans venin ; 2° la mer a été divisée par elle ; 3° par elle l’eau est sortie de la pierre. Je suis cette verge en figure, moi qui suis resté dans votre sein et ai pris de vous mon humanité.

Je suis, en premier lieu, terrible et épouvantable à mes ennemis, ainsi que le serpent l’était à Moïse ; car ils me fuient, comme ils fuient le regard du serpent ; ils ont peur de moi, et m’ont en horreur et en abomination comme un serpent, bien que toutefois je sois plein de toute miséricorde, et que je sois sans venin de malice. Je souffre qu’ils me tiennent et me touchent, s’ils veulent me tenir et me toucher ; s’ils me cherchent, je me trouve vers eux ; s’ils m’invoquent et m’appellent à leur secours, je cours à eux, comme la mère court à son fils qu’elle avait perdu et qu’elle retrouve ; s’ils me demandent pardon de leurs fautes, je leur fais miséricorde et leur pardonne leurs péchés. Je leur fais toutes ces choses, et ils m’ont encore en horreur comme un serpent.

Secondement, par cette verge, la mer a été divisée par la mer de mon sang, et par les torrents de ma douleur, j’ai ouvert le chemin pour aller au ciel, lequel était fermé par le péché. Certes, alors la mer a été rompue et divisée, et un chemin a été fait où il n’y en avait point, quand la douleur de tous mes membres s’est jointe à mon cœur, qui s’est brisé et divisé, à cause de la violence de la douleur. Après, le peuple étant passé par la mer, Moïse ne le mena pas tout aussitôt en la terre promise, mais il le conduisit au désert, afin qu’il y fût instruit et éprouvé : de même mon peuple, ayant maintenant reçu la foi et mon commandement, n’est pas tout aussitôt mis et introduit dans le ciel, mais il est nécessaire que les hommes soient éprouvés au désert, c’est-à-dire, dans le monde, pour voir et éprouver de quel amour ils aiment Dieu.

Mais le peuple provoqua et irrita Dieu, au désert, par trois choses : 1° parce qu’il se fit une idole et l’adora ; 2° parce qu’il regretta et souhaita les viandes qu’il avait eues en Égypte ; 3° par la superbe, lorsqu’il voulut monter et combattre avec ses ennemis, sans la volonté de Dieu. De même aussi l’homme pèche maintenant contre moi en ce monde : 1° il adore l’idole, d’autant qu’il aime plus le monde et toutes les choses qui y sont, que moi qui suis son Créateur. Oui, le monde est son Dieu, et moi je ne le suis pas. Certes, j’ai dit, dans mon Évangile, que là où est le trésor de l’homme, là est son cœur : mais le trésor de l’homme, c’est le monde, d’autant qu’il a son cœur en lui et non en moi ; c’est pourquoi, ainsi que ceux-là sont tombés, au désert, par le glaive en leur corps, de même ceux-ci tomberont en leur âme par le glaive de l’éternelle damnation, en laquelle ils vivront sans fin.

2° Il a péché par la concupiscence des viandes, car j’ai donné à l’homme toutes les choses nécessaires pour l’honnêteté et par mesure, mais il veut avoir toutes choses sans mesure et sans discrétion, car si la nature pouvait y satisfaire, il voudrait s’adonner sans cesse au péché de volupté, boire sans relâche et désirer outre mesure les choses vaines. Car tant qu’il aurait le moyen et la commodité de pécher, il ne s’en abstiendrait jamais, c’est pourquoi il leur arrive comme il arriva à ceux-là du désert, qui y moururent d’une mort subite et inopinée. Qu’est-ce en effet que la vie de ce temps, sinon un certain point passager, au regard de l’éternité ? Pour cela, leur corps mourra comme d’une mort subite à raison de la brièveté de cette vie, et leur âme vivra dans une peine insupportable et dans un tourment sans fin.

3° Il péchait au désert par la superbe, parce qu’il voulait monter au combat sans la volonté de Dieu : de même les hommes veulent monter au ciel par leur superbe, et ne se fient point en moi, mais en eux, faisant leur volonté et laissant la mienne. C’est pourquoi, de même que ceux-là ont été défaits et tués par leurs ennemis, de même seront-ils défaits et tués par les diables en leurs âmes, et leur tourment sera éternel. Ils me haïssent donc comme ils haïssent un serpent, et en mon lieu et place, ils adorent une idole ; ils ont plus en recommandation leur concupiscence que moi, et au lieu de mon humilité profonde, ils aiment leur superbe exécrable. Toutefois, je suis encore si miséricordieux, que, s’ils se convertissent à moi avec un cœur contrit, je me tournerai vers eux et les recevrai comme un père pieux reçoit son enfant.

Troisièmement, par cette verge, la pierre donna de l’eau. Cette pierre, c’est le cœur endurci de l’homme, car s’il est une fois frappé par la crainte et par mon amour, tout aussitôt les larmes de contrition et de pénitence en coulent. Il n’y a personne, quelque méchant qu’il soit, qui n’éprouve un tressaillement dans tous ses membres qui le presse à la dévotion, et qui ne verse un torrent de larmes, s’il se tourne vers moi ; s’il considère ma passion du plus profond de son cœur ; s’il jette les yeux sur ma puissance ; s’il pèse et considère avec soin ma bonté, qui fructifie comme la terre et les arbres.

Ensuite, la manne a demeuré dans l’arche : de même le pain des anges, des saintes âmes et de ceux qui sont justes sur la terre, auxquels rien ne plaît, sinon ma douceur, et à qui tout le monde est mort, et qui, si c’était ma volonté, voudraient être sans aucune viande corporelle, a demeuré en vous, oui en vous, qui êtes vierge et mère tout ensemble.

En dernier lieu, les tables de la loi étaient en cette arche : de même en vous, ô ma Mère ! était le Seigneur, le législateur de toutes les lois. Pour cela, ô ma Mère ! soyez bénie par-dessus toutes les choses qui sont créées au ciel et sur la terre.

Ensuite, Notre-Seigneur parlait à son épouse sainte Brigitte, disant : Dites à mes amis trois choses : Je conversais au monde avec mon corps ; j’ai tempéré mes paroles de telle sorte que les bons devenaient d’eux-mêmes plus forts et plus fervents, et les méchants devenaient meilleurs, comme il paraît en sainte Madeleine, en saint Matthieu et en plusieurs autres. J’ai aussi tellement tempéré mes paroles que mes ennemis ne les pourraient affaiblir, à cette cause que ceux-là travaillent avec ferveur auxquels mes paroles sont envoyées, afin que, par mes paroles, les bons deviennent plus ardents pour le bien, et que les méchants se retirent du mal et qu’ils prennent garde que mes paroles ne soient empêchées par mes ennemis. Certes, je ne fais point une plus grande injure au diable qu’aux anges qui sont dans le ciel, car si je voulais, je pourrais parler que tout le monde m’entendrait : il me suffirait aussi d’ouvrir l’enfer, afin que tout le monde vît les supplices qu’on y endure ; mais cela ne serait pas juste, d’autant que l’homme me servirait alors avec crainte, au lieu de me servir, connue il le doit, avec amour et charité, car personne n’entrera au royaume des cieux, sinon celui qui a la charité. Alors certes, je ferais injure au diable si je recevais de lui, sans bonnes œuvres, celui qui lui est obligé de droit ; je ferais injure à l’ange qui est dans le ciel si l’esprit de l’homme immonde était égal et pareil au sien, qui est pur et très-fervent en charité. Partant, personne n’entrera dans le ciel, sinon celui qui aura été éprouvé comme l’or dans le feu du purgatoire, ou par les bonnes œuvres, et qui s’est exercé de telle sorte dans le monde par une épreuve journalière, qu’il n’y a tache en lui qui ait besoin d’être nettoyée et effacée.

Si vous ignorez à qui mes paroles doivent être envoyées, je vous dirai que celui-là est digne de les avoir, de les concevoir et de les goûter (afin qu’il arrive au royaume des cieux), qui veut mériter et bien faire par œuvres, ou celui qui les avait méritées par de bonnes œuvres précédentes : oui, c’est à ceux-là que mes paroles doivent être déclarées ; elles doivent entrer dans leurs cœurs, car ceux qui goûtent mes paroles, qui espèrent humblement que leur nom soit écrit au livre de vie, ceux-là ont mes paroles ; mais ceux qui ne les goûtent point, certes, ils les considèrent, et tout aussitôt, ils les rejettent et les vomissent.

 

 

LIV.

 

Paroles de l’ange à l’épouse sainte Brigitte, touchant l’esprit de ses pensées, savoir, s’il était bon ou mauvais ; et comme il y a deux esprits, l’un incréé et l’autre créé, et de leurs qualités.

 

IL y a deux esprits, disait l’ange à l’épouse sainte Brigitte, l’un incréé, l’autre créé. L’incréé contient en soi trois choses : 1° il est chaud ; 2° il est doux ; 3° il est pur et net. 1° Il échauffe, non par le moyen de quelques choses créées, mais de soi-même, d’autant qu’il est avec le Père et le Fils tout-puissant et créateur de toutes choses, mais il échauffe, quand l’âme brûle en l’amour de Dieu. 2° Il est doux, quand rien ne plaît à l’âme que Dieu, et qu’elle n’a autre douceur ni ne goûte autre que lui et le souvenir de ses bienfaits et de ses œuvres admirables. 3° Il est pur et net, de sorte qu’il ne se peut trouver en lui aucun péché, rien de difforme, rien de corruptible, rien de changeant. Mais il échauffe, non pas comme le feu matériel ni comme le soleil visible, qui fond et ramollit quelque chose, mais sa chaleur, c’est l’amour intérieur de l’âme, qui remplit son désir et l’abîme en Dieu. Il est aussi doux à l’âme, non pas comme le vin désirable, ou la misérable volupté, ou quelque autre chose mondaine ; mais la douceur de cet esprit surpasse toutes les douceurs temporelles, et personne ne peut atteindre à la connaissance et au sentiment de cette douceur. Enfin, cet esprit est pur et net ainsi que les rayons du soleil, auxquels on ne peut trouver aucune tache ni souillure.

Le second esprit, qui est créé, contient pareillement en soi trois choses : 1° il brûle ; 2° il est amer ; 3° il est impur. 1° Il brûle et consume comme le feu, parce qu’il possède l’âme, qu’il enflamme toute par le feu de la luxure et le la convoitise dépravée, de sorte que l’âme ne peut penser ni désirer autre chose, sinon que de se rassasier de ces choses, dans lesquelles elle perd la vie temporelle, tout son honneur et toute sa consolation. 2° Il est amer comme du fiel, d’autant qu’il embrase en telle sorte l’âme par sa délectation, que les joies futures lui semblent être nulles et vaines, et les biens éternels, des sottises. Toutes les choses aussi qui sont et proviennent de la source divine, et qu’il est obligé de faire, lui semblent amères et abominables comme du fiel. 3° Il est impur, d’autant qu’il fait en telle sorte l’âme vile et encline au péché, qu’il ne rougirait d’aucun et ne le quitterait, s’il ne craignait plus la honte des hommes que celle de Dieu, attendu que cet esprit est ardent comme du feu, d’autant qu’il brûle à raison des feux de l’iniquité, et allume avec soi tous les autres. Il est amer aussi, parce que tout bien lui est amer, et veut que les autres soient amers avec lui ; mais il est impur, d’autant que tout son contentement et tout son plaisir ne sont que dans l’impureté, et il cherche d’avoir avec soi des personnes qui lui soient semblables.

Mais vous pouvez maintenant me demander et me dire : Pourquoi donc n’êtes-vous pas tel ? Je vous réponds que je suis vraiment créé par le même Dieu que lui, d’autant qu’il n’y a qu’un seul Dieu : le Père, le Fils et le Saint-Esprit, et ces trois ne sont pas trois dieux, mais un seul. Et nous sommes tous deux créés pour le bien, d’autant que tout ce que Dieu a créé est bon. Mais moi, je suis comme une étoile, parce que je suis demeuré en la bonté et en la charité de Dieu, en lesquelles j’ai été créé ; mais lui, il est comme un charbon, parce qu’il s’est retiré de l’amour de Dieu. Donc, ainsi qu’une étoile n’est point sans clarté ni sans lumière, ni un charbon sans noirceur, de même un bon ange, qui est comme une étoile, n’est pas sans clarté, c’est-à-dire, sans le Saint-Esprit, car tout ce qu’il a, il l’a de Dieu, c’est-à-dire, du Père, du Fils et du Saint-Esprit, par l’amour duquel il s’échauffe et reluit par sa splendeur, et lui est continuellement attaché, et se conforme entièrement à sa volonté, ni ne veut jamais autre chose que Dieu, c’est pourquoi il brûle et est pur et net. Mais le diable est difforme et laid comme un charbon, plus laid que toutes les créatures, d’autant que, tout ainsi qu’il était la plus belle des créatures, il est devenu aussi la plus laide de toutes, parce qu’il s’est opposé à son Créateur. Et tout ainsi que l’ange brille par la lumière de Dieu et brûle incessamment de son amour, de même le diable brûle, étant détenu, serré et affligé continuellement par le feu de sa malice enragée, de laquelle il est insatiable, comme sont inénarrables la bonté de l’Esprit de Dieu et sa grâce. Car il n’y a personne au monde, quelque enraciné qu’il soit avec le diable, que le bon Esprit ne visite quelquefois, et ne lui excite et émeuve le cœur. Il n’y a aussi personne, quelque bon qu’il soit, que le diable ne tourmente par quelque tentation. Certes, il y a plusieurs bons et plusieurs justes qui sont tentés par le démon, enragé par la permission de Dieu, et non pour leurs maux, mais pour la plus grande gloire de Dieu, car le Fils de Dieu, un en Divinité avec le Père et le Saint Esprit, après avoir pris notre humanité, fut tenté : combien à plus forte raison le seront davantage ses élus, pour leur plus grande récompense ! Quelquefois aussi, plusieurs bonnes personnes tombent en des péchés, et leur conscience est obscurcie par la fallace du diable ; mais elles se relèvent courageusement ; et se tiennent vaillamment debout par la vertu du Saint-Esprit. Mais toutefois, il n’y a personne qui ne sache en sa conscience, s’il veut l’examiner avec soin, si la suggestion du diable conduit, ou à la difformité du péché ou au bien. C’est pour quoi, ô épouse de mon Seigneur, vous ne devez douter de l’esprit de vos pensées, savoir, s’il est bon ou mauvais, car votre conscience vous dicte clairement les choses qu’il faut laisser et celles qu’il faut choisir.

Mais que fera celui qui a le diable avec lui ? Certes, le bon esprit ne peut pas entrer en lui, parce qu’il est rempli du méchant esprit. Il faut qu’il fasse trois choses : 1° une pure et entière confession de ses péchés, laquelle, bien qu’elle soit dans un cœur contrit, il ne pourra tout aussitôt mettre à exécution, à raison du cœur endurci ; elle lui sert toutefois, en tant qu’à cause d’elle, le diable donne quelque relâche et entrée au bon esprit. 2° Il faut qu’il ait l’humilité, savoir, qu’il se propose de corriger les péchés qu’il a commis, et de faire de bonnes œuvres autant qu’il pourra : alors, le diable commence de sortir d’une telle personne. 3° Afin qu’il obtienne de nouveau le bon esprit, il doit, avec une humble prière, faire requête à Dieu, et se repentir avec une vraie charité, des péchés qu’il a commis, d’autant que la vraie charité en Dieu chasse le diable : car le diable aimerait cent fois mieux mourir, avant que l’homme fît à son Dieu le moindre bien de charité ; et ainsi, il est envieux et malicieux.

Après, la bienheureuse Vierge parlait à l’épouse sainte Brigitte, disant : Ô épouse nouvelle de mon Fils ! revêtez-vous de vos vêtements ; mettez votre collier à votre cou, c’est-à-dire, la passion de mon Fils. Sainte Brigitte lui répondit : Mettez-le-moi, ô Vierge sainte ! Et la Vierge lui dit : Certes, je le ferai de bon cœur, et je vous dirai comment mon Fils était disposé, et pourquoi il était désiré des Pères avec tant de ferveur.

Il se tenait debout comme un homme entre deux villes ; et une voix de la ville où il était né criait à lui, disant : Ô homme qui êtes debout au milieu du chemin qui est entre les deux villes, vous êtes sage, car vous savez vous garder des périls qui penchent sur votre tête. Vous êtes pareillement fort à endurer les maux qui arrivent inopinément. Vous êtes aussi magnanime et généreux, d’autant que vous ne craignez rien. Certes, nous vous avons désiré, et maintenant nous vous attendons. Ouvrez donc notre porte, de peur qu’elle ne soit ouverte à nos ennemis et qu’ils ne l’assiègent.

On entendait une voix de la seconde ville ; cette voix disait : Ô homme très-débonnaire et très-fort, entendez notre complainte et notre gémissement. Nous sommes assis dans d’épaisses ténèbres, et nous endurons la faim enragée et la soif insupportable. Considérez donc notre misère et notre pitoyable disette. Certes, nous sommes frappés comme le foin qu’on coupe avec la faux ; nous sommes privés de tout bien, et notre force nous manque. Venez à nous, ô Seigneur ! et sauvez-nous, parce que nous n’avons attendu que vous, et nous n’avons espéré notre affranchissement et notre délivrance que de vous seul. Venez donc, et pourvoyez à notre disette ; changez notre complainte en joie, et soyez notre secours et notre salut. Venez, ô corps très-digne et béni, qui est venu de la Vierge pure et immaculée.

Mon Fils a entendu ces deux voix de deux villes, savoir, du ciel et de l’enfer : c’est pourquoi, étant saisi de compassion, il ouvrit, par sa passion très-amère et par l’effusion de son sang, la porte de l’enfer, et délivra ses amis ; il ouvrit le ciel, réjouissant tous les anges ; il y mit ceux qu’il avait délivrés des limbes. Pensez à toutes ces choses, ma fille, et ayez-les toujours devant les yeux.

 

 

LV.

 

Jésus-Christ est comparé à un puissant seigneur qui édifie une grande cité et un très-beau palais, par lesquels sont signifiés l’Église et le monde. Comment les juges et les défenseurs, et ceux qui travaillent en l’Église de Dieu, sont changés en un méchant arc.

 

JÉSUS-CHRIST disait : Je suis semblable à un puissant seigneur qui, édifiant une cité, la nomme de son nom propre, puis bâtit un palais dans cette cité, où il y avait diverses demeures pour serrer les choses nécessaires. Ce palais étant bâti et toutes ses affaires disposées, il range son peuple en trois parties et le met par ordre.

Mes voies, dit-il, sont dans les lieux et dans les demeures les plus éloignées. Travaillez courageusement pour mon honneur, car je vous ai ordonné et assigné les choses qui vous sont nécessaires et ce qui est de votre vivre. Vous aurez des juges qui vous jugeront ; vous aurez des défenseurs qui vous défendront de vos ennemis. Je vous ai aussi constitué des personnes pour travailler, qui vous nourriront, et me payeront de leur travail la dixième partie, qu’ils réserveront à mon honneur et utilité. Mais quelque temps s’étant écoulé, le nom de la cité s’est oublié, et alors les juges ont dit : Notre maître et seigneur s’en est allé en des lieux fort éloignés. Rendons un jugement droit, et faisons la justice, afin que nous ne soyons pas repris lorsqu’il sera de retour, mais que nous en remportions de l’honneur et de la bénédiction. En même temps, les défenseurs dirent : Notre maître et seigneur se confie en nous et nous a laissé la garde de sa maison ; abstenons-nous donc de trop boire et de trop manger, de peur que nous ne soyons inaptes au combat ; abstenons-nous aussi du sommeil désordonné, de crainte que nous ne soyons déçus à l’improviste et faute d’avoir été sur nos gardes ; soyons bien armés et veillons continuellement, de peur que nous ne soyons prêts quand nos ennemis viendront pour nous assaillir, car l’honneur de notre maître est en nous, et le salut de son peuple dépend entièrement de nous.

Alors aussi ceux qui travaillent dirent : C’est la plus grande gloire de notre maître et seigneur, et la récompense qu’il nous garde est glorieuse. Travaillons donc vaillamment, et donnons-lui, non-seulement la dixième partie de notre labeur, mais offrons-lui tout ce qui sera superflu à notre vie, car notre récompense sera d’autant plus glorieuse qu’il verra que notre charité sera fervente.

Après ces choses, derechef, quelque temps se passant, le maître de la cité et du palais a été mis en oubli ; et alors les juges dirent en eux-mêmes : Notre maître demeure longtemps en son voyage ; nous ne savons s’il reviendra ou non ; jugeons donc selon notre volonté, et faisons ce que nous trouverons bon de faire.

Après, les défenseurs dirent : Nous sommes bien insensés, attendu que nous travaillons, et nous ne savons quelle récompense nous en aurons : faisons plutôt paix et alliance avec nos ennemis, et nous dormirons et boirons avec eux, et nous n’aurons point de souci de savoir quels auront été nos ennemis.

Puis ceux qui travaillaient dirent : Pourquoi gardons-nous pour un autre notre or, notre trésor, et nous ne savons pas qui est celui qui l’emportera après nous ? Il vaut mieux donc que nous nous en servions nous-mêmes et que nous en disposions à notre volonté ; certes, donnons-en la dixième partie aux juges ; quand ils seront apaisés et adoucis, nous pourrons faire ce que nous voudrons.

Vraiment, je suis semblable à ce puissant seigneur, dit la Sagesse infinie : je me suis édifié une cité, c’est-à-dire, le monde, où j’ai bâti mon palais, c’est-à-dire, mon Église. Le nom du monde a été ma divine sagesse, parce que, dès le commencement, il a en ce nom, d’autant qu’il était fait par ma main toute-puissante et par ma sagesse infinie. Ce nom était profondément révéré et honoré de tous, et Dieu était loué merveilleusement, publié et annoncé par ses créatures, à cause de l’insondable abîme de ma sagesse. Mais maintenant, le nom de la cité est déshonoré et changé, et on a joint à elle un nom nouveau, c’est-à-dire, l’humaine sagesse ; car les juges, qui auparavant jugeaient en la justice et en la crainte du Seigneur, sont maintenant changés et convertis en superbe, et trompent les hommes simples. Ils désirent d’être éloquents, afin d’obtenir la louange des hommes ; ils disent des choses qui plaisent à l’oreille des auditeurs, afin d’avoir de la faveur et du support ; ils sèment des paroles douces et emmiellées, afin d’être appelés doux et débonnaires ; ils reçoivent des présents et pervertissent le jugement ; ils sont sages pour leur profit temporel et pour leur propre volonté, mais ils sont muets à ma louange ; ils marchent sur le pied des simples et les rendent muets ; ils étendent leur convoitise sur tous, et d’une bonne cause, ils en font une mauvaise. Maintenant, cette sagesse est aimée et chérie, mais la mienne est mise en oubli.

Or, les défenseurs de l’Église, qui en sont les gardiens et les soldats, voient mes ennemis et les persécuteurs de mon Église, et le dissimulent ; ils entendent les paroles de reproche qu’ils me font, et ne s’en soucient pas ; ils entendent et sentent les œuvres de ceux qui contreviennent à mes commandements, et toutefois, ils le supportent patiemment ; ils regardent tous les jours ceux qui commettent librement tous les péchés mortels, et n’en sont point touchés ; mais ils dorment et conversent avec eux, et par serment, ils se lient à leur compagnie. Mais ceux qui travaillent (qui sont toute une communauté), rejettent mes commandements, retiennent mes dons et mes décimes ; ils offrent des dons à leurs juges pour les corrompre, et leur portent de l’honneur, afin qu’ils les trouvent faciles et bienveillants. Vraiment, je puis dire hardiment que le glaive de ma colère et de mon Église est méprisé dans le monde, et qu’à sa place, on a pris l’argent.

 

 

LVI.

 

Sentence que Notre-Seigneur prononce contre telles personnes. Comme Dieu soutient les méchants pour quelque temps, à cause des bons.

 

MOI, la Sagesse éternelle, je viens de vous dire que le glaive de mon Église était méprisé, et qu’à sa place on a pris la bourse d’argent qui, d’une part, est ouverte, et de l’autre, est tellement profonde, que tout ce qui y entre ne touche jamais le fond et qu’elle n’est jamais remplie. Ce sac, c’est la convoitise qui surpasse toute règle et mesure, et a eu tant de force et de vertu, que le Seigneur en étant méprisé, on ne désirait rien autre chose que l’argent et la propre volonté. Mais toutefois, je suis comme le Seigneur, qui est Père et juge, à qui les assistants disent, lorsqu’il va au jugement : Seigneur, précipitez vos pas, hâtez-vous et jugez. Le Seigneur leur répondit : Attendez jusqu’à demain, parce que d’aventure mon fils se corrigera encore derechef. Or, venant le jour suivant, le peuple lui dit : Avancez-vous, Seigneur, et jugez les coupables. Jusques à quand différerez-vous le jugement ? Le Seigneur leur répondit : Attendez encore un peu pour voir si mon fils ne se corrigera point, et alors, s’il ne revient à lui et s’il ne se corrige, je ferai ce qui est juste. De même, je souffre patiemment l’homme jusqu’au dernier point, parce que je suis Père et juge. Mais toutefois, parce que ma justice est immuable, et bien qu’elle soit différée longtemps, toutefois, ou je punirai les pécheurs, s’ils ne se corrigent point, ou je ferai miséricorde à ceux qui se convertissent.

Je vous ai déjà dit que j’ai divisé le peuple en trois parties, savoir : en juges, en défenseurs et en personnes de travail. Certes, ces juges ne signifient autre chose que les clercs, qui ont converti la divine sagesse en une vanité d’espérance. Ces clercs ont coutume de faire comme ceux qui entendent beaucoup de paroles, les mettent et assemblent en peu, et ce peu signifie autant que toutes ensemble. De même les clercs de ce temps ont reçu mes commandements et les ont mis et colligés en une parole. Que veut dire cette parole : Étendez la main et donnez de l’argent ! C’est là leur sagesse, que de parler avec des paroles choisies et hors du commun, et de faire mal ; et sous prétexte de faire quelque chose pour mon service, ils agissent méchamment contre moi. Enfin ceux-là, à cause des présents, endurent librement les pécheurs en leurs péchés, et ils précipitent les simples par leur exemple dépravé. De plus, ils haïssent ceux qui marchent par ma voie ; secondement, les défenseurs de l’Église, c’est-à-dire, les gardiens, qui sont infidèles, parce qu’ils ont rompu et faussé leur promesse et leur serment, tolérant et souffrant librement ceux qui péchaient contre la foi de mon Église et la constitution. En troisième lieu, les personnes de travail, c’est-à-dire, la communauté, sont comme les taureaux indomptés qui ont trois choses : 1° ils fouissent la terre avec leurs pieds ; 2° ils se remplissent jusqu’à ce qu’ils soient saouls ; 3° ils mettent en effet leur volupté selon leur désir : de même la communauté ne se remplit maintenant que de toutes sortes d’affections temporelles ; elle se remplit par la gourmandise immodérée et de la vanité du monde ; elle accomplit sans raison la délectation de sa chair.

Mais bien que j’aie plusieurs ennemis, toutefois, parmi eux, j’ai beaucoup d’amis, bien qu’ils soient cachés. Comme il est dit d’Élie, qui pensait qu’il ne m’était resté aucun ami que lui seul, j’ai dit : Il y a sept mille hommes qui ne fléchissent point les genoux devant Baal : de même, bien que j’aie plusieurs ennemis, j’ai toutefois parmi eux plusieurs amis occultes qui pleurent tous les jours, voyant que mon nom est méprisé et que mes ennemis l’aient prévalu : c’est pourquoi, à cause de leurs prières, comme un roi bon et charitable qui sait les œuvres méchantes de sa cité, tolère et supporte patiemment les habitants, et envoie des lettres à ses amis, les avertissant de leur péril, de même j’envoie mes paroles à mes amis, qui ne sont pas aussi obscures que l’Apocalypse, laquelle j’ai montrée avec obscurité à saint Jean, afin qu’en son temps, lorsque je le trouverais à propos, elle fût expliquée et déclarée par mon Esprit ; et elles ne sont pas tellement cachées qu’elles ne doivent être annoncées, comme ce que saint Paul voyait de mes mystères, desquels il n’était loisible de parler ; mais elles sont si claires et si manifestes, que tous, petits et grands, les entendent ; elles sont si faciles, que tous ceux qui veulent y porter leur esprit, peuvent les comprendre.

Donc, que mes amis annoncent mes paroles à mes ennemis, afin que si d’aventure ils se convertissent et qu’ils connaissent leur péril et leur jugement, ils se repentent de leurs faits ; autrement, le jugement de la cité se donnera ; et de même qu’un mur s’écroule, lorsqu’on n’y laisse pierre sur pierre, et qu’au fondement deux pierres ne se trouvent jointes ensemble, de même il en arrivera à la cité misérable, c’est-à-dire, au monde. Mais les juges brûleront d’un feu très-ardent. Or, il n’y a pas de feu plus ardent que celui qui est nourri par quelque graisse. Ces juges ont été gras et replets, parce qu’ils ont eu plus d’occasion d’accomplir leur volonté que pas un ; ils surpassaient de beaucoup les autres en honneurs et en abondance des choses temporelles ; ils abondaient aussi plus que les autres en malice et en iniquité. Partant, ils brûleront dans des flammes très-ardentes, mais les défenseurs seront pendus en un infâme et haut gibet.

Certes, le gibet est composé de deux pièces de bois élevées, et la troisième est mise en travers comme un linteau. Ce gibet, avec les deux pièces de bois, c’est leur peine très-cruelle, qui est composée comme de deux pièces : la première est qu’ils n’espéraient pas que mon prix fût éternel et infini, et qu’ils ne travaillaient pas pour l’acquérir. La seconde pièce est qu’ils se défiaient sans sujet de ma puissance et de ma bonté, et disaient que je ne pouvais pas toutes choses ; et si je les pouvais, que je ne leur voulais donner et départir toutes choses suffisamment. Mais la pièce qui est en travers, c’est leur conscience dépravée, fondée en ce que, sachant certainement le bien, ils faisaient le mal, et n’avaient point de honte de le faire contre leur conscience, qui s’y opposait. Or, la corde du gibet, c’est le feu éternel, qui ne s’éteint jamais par l’eau ni n’est coupé avec des ciseaux, qui ne finira ni ne cessera de vieillesse. Ils seront pendus à ce gibet, où la peine sera cruelle et où le feu ne s’éteint jamais ; et ils seront, comme des traîtres, remplis de confusion ; et ils éprouveront des supplices insupportables, d’autant qu’ils ont été infidèles. Ils entendront des opprobres et des injures, parce que mes douces et attrayantes paroles leur ont déplu. Malheur sera en leur bouche, d’autant que leur honneur propre leur a été doux et agréable. Les corbeaux vivants, c’est-à-dire, les diables cruels, les déchireront et les mettront en lambeaux sur ce gibet ; et ces diables ne se lasseront jamais, bien qu’ils les aient mis en pièces. Les pendus vivront sans fin, et sans fin les bourreaux vivront pour les tourmenter. Là sera le plus grand des malheurs, qui ne finira jamais, une misère sans miséricorde, qui ne s’adoucira jamais. Malheur à eux d’avoir vécu dans le monde ! Malheur à eux parce que leur vie a été prolongée !

En troisième lieu, la justice de ceux qui travaillent est semblable à celle des taureaux, qui ont une peau et une chair très-dures : c’est pour quoi leur jugement est un fer très-aigu. Ce fer, c’est la mort horrible et effrayante de l’enfer, laquelle tourmentera ceux qui m’ont méprisé, et qui, au lieu de me chérir et d’obéir à mes commandements, ont aimé leur propre volonté.

L’Écriture donc, c’est-à-dire, ma parole est écrite, que mes amis travaillent afin qu’ils viennent sagement et discrètement à mes ennemis, pour voir si par hasard ils veulent les entendre et se corriger. Or, si quelques-uns, après avoir entendu mes paroles, disent : Attendons encore un peu ; le temps n’est point encore venu ; l’heure n’est pas arrivée ; je jure en ma Divinité, qui a chassé Adam du paradis, qui a envoyé à Pharaon dix plaies, je jure que je viendrai à eux plus tôt qu’ils ne pensent. Je jure en mon humanité, que j’ai prise sans péché pour le salut des hommes, dans le sein de la Vierge, humanité dans laquelle j’ai eu des tribulations en mon cœur et en ma chair, j’ai enduré la peine et souffert la mort pour la vie des hommes, et dans laquelle je suis ressuscité, je suis monté au ciel, et me suis assis, vrai Dieu et vrai homme en une personne, à la droite de mon Père, je jure que j’accomplirai mes paroles. Je jure en mon Esprit, qui a été envoyé le jour de la Pentecôte sur les apôtres, et les a enflammés afin qu’ils parlassent toute sorte de langues, que, s’ils ne reviennent à moi avec amendement, comme des serviteurs fragiles, je me vengerai sur eux en ma colère et en mon indignation. Alors, malheur sera sur eux, en leur corps et en leur âme ! Malheur à eux, d’autant que j’ai vécu dans le monde, et qu’ils y sont venus et y ont vécu sans m’imiter ! Malheur à eux, d’autant que leur plaisir a été petit et vain ! Mais leur tourment sera perpétuel ; ils sentiront à cette heure-là ce qu’ils dédaignent de croire maintenant ; ils verront que mes paroles ont été des paroles de charité. Alors, ils entendront que je les ai avertis comme père et qu’ils n’ont pas voulu m’écouter. S’ils ne veulent de bon cœur ajouter foi à ces paroles, qu’ils y croient à tout le moins par œuvres lorsqu’ils viendront.

 

 

LVII.

 

Paroles de Notre-Seigneur à son épouse sainte Brigitte. Comment il est, dans les âmes des chrétiens, une viande abominable et méprisée ; et au contraire, comment le monde se plaît aux mauvaises œuvres et les aime. Du jugement terrible rendu contre telles personnes.

 

LE Fils de Dieu parlait à l’épouse sainte Brigitte, disant : Les chrétiens me font maintenant ce que les Juifs m’ont fait. Ceux-là m’ont jeté hors du temple, et ils avaient une parfaite volonté de me faire mourir ; mais parce que mon heure n’était pas encore venue, je me suis échappé de leurs mains. Les chrétiens m’en font maintenant de même : ils me jettent hors de leur temple, c’est-à-dire, de leur âme, qui devrait être mon temple, et me feraient volontiers mourir, s’ils pouvaient. Je suis en leur bouche comme de la chair pourrie et puante, et je leur semble comme un homme qui dit des mensonges ; et ils ne se soucient pas de moi ; ils me tournent le dos ; et moi je leur tournerai le derrière de la tête, parce qu’il n’y a en leur bouche que cupidité et convoitise. En leur chair, ils s’adonnent, comme des juments, à la luxure puante. Seule, la superbe a pris lieu et place en leur ouïe. En leur vue, ils prennent plaisir et se délectent grandement aux choses du monde, mais ma passion et ma charité leur sont abominables, et ma vie leur est insupportable.

À cette cause, je ferai comme cet animal qui a plusieurs tanières, lequel, après avoir été poursuivi en une par les chasseurs, s’enfuit en l’autre : j’en ferai de même, parce que les chrétiens me poursuivent par mauvaises œuvres, et me mettent hors de la tanière de leur cœur. Pour cela, je veux entrer dans le cœur des païens, en la bouche desquels je suis maintenant amer et sans goût, où je serai plus doux que le miel. Néanmoins, je suis encore tellement miséricordieux que quiconque me demandera pardon et dira : Seigneur, je connais que j’ai grièvement péché. Je veux librement me corriger par votre grâce. Ayez pitié de moi, par le mérite de votre amère passion : je le recevrai joyeusement. Mais ceux qui persisteront en leur mal, je viendrai à eux comme un géant armé de trois choses, savoir : la frayeur, la force et la rigueur. Je viendrai aux chrétiens tellement épouvantable, qu’ils n’oseront pas même mouvoir contre moi leur petit doigt ; je viendrai tellement fort qu’ils succomberont et seront comme culbutés devant moi ; en troisième lieu, je viendrai à eux tellement rigoureux, qu’ils sentiront leur malheur dès à présent et éternellement.

 

 

LVIII.

 

Paroles de la Mère de Dieu à l’épouse. Doux colloque de la Mère et du Fils. Comme Jésus-Christ est amer, plus amer, très-amer aux méchants, et comme il est doux, plus doux, très-doux aux bons.

 

LA Mère de Dieu disait à l’épouse sainte Brigitte : Considérez, ô épouse nouvelle, la passion très-douloureuse de mon Fils, passion qui a passé en amertume celle de tous les saints ; car tout ainsi qu’une mère serait très-cruellement troublée, si elle voyait couper son fils vif, j’étais de la sorte troublée en la passion de mon Fils, ayant vu toute son amertume.

Et puis, elle parlait à son Fils, disant : Vous, soyez béni, ô mon Fils, parce que vous êtes saint, comme on le chante : Saint, saint, saint, le Seigneur, Dieu des armées ! Vous, soyez béni, parce que vous êtes, non-seulement doux, plus doux, mais très-doux ! Vous étiez saint au delà du monde et avant l’incarnation, saint en l’incarnation, et saint après l’incarnation. Vous avez aussi été doux avant la création du monde, plus doux que les anges, et m’avez été très-doux en l’incarnation.

Son Fils lui répondit, disant : Ma Mère, vous, soyez bénie par-dessus tous les anges, car ainsi que vous avez dit maintenant que j’ai été très-doux, de même je suis aux mauvais, non seulement amer, plus amer, mais très-amer. Je suis amer à ceux qui disent que j’ai créé plusieurs choses sans cause, qui blasphèment et disent que j’ai créé l’homme pour la mort et non pour la vie. Ô misérable et folle pensée ! N’est-ce pas vrai que je suis très-juste et très-vertueux ? Et toutefois, ils disent que j’ai créé les anges sans raison ! Si j’eusse créé l’homme pour la mort, l’eussé-je enrichi et orné avec une si grande bonté ? Certes, j’ai fait toutes choses bien et en considération de ma charité. J’ai donné à l’homme tout le bien qui se pouvait désirer, mais il change et tourne ce bien en mal, non que j’aie fait quelque chose mal, mais parce que l’homme meut autrement sa volonté que selon l’ordonnance et disposition divine. Mais je suis plus amer à ceux qui disent que j’ai donné le libre arbitre pour pécher, et non pour faire du bien ; qui disent que je suis injuste, parce que je justifie les uns et réprouve les autres ; qui mettent la faute sur moi, de ce qu’ils sont méchants, parce que je retire d’eux ma grâce. Mais je suis très-amer à ceux qui disent que ma loi et que mes commandements sont très-difficiles et que personne ne les peut accomplir ; qui disent que ma passion ne leur a servi ni profité de rien, c’est pourquoi ils n’en font aucun état. Partant, je jure par ma vie, comme je jurais autrefois par mes prophètes, que je m’excuserai devant les anges et en la présence de tous les saints, lesquels prouveront à ceux à qui je suis amer, que j’ai créé toutes choses bien à propos et avec raison, pour l’utilité et la science de l’homme, que même un petit ver ne subsiste pas sans cause. Or, ceux qui me tiennent plus amer approuveront que j’ai sagement donné aux hommes le libre arbitre pour le bien. Ils savent aussi que je suis juste, moi qui donne à l’homme bon et pieux le royaume éternel, et à l’homme méchant, l’éternel supplice. Car il ne serait pas à propos que le diable, qui a été créé bon par moi et qui est tombé par sa malice, eût compagnie avec le bon. Les méchants prouveront aussi que ce n’est pas par ma faute qu’ils sont méchants, mais à raison de leur propre malice ; car s’il était possible, je prendrais librement une telle peine pour chaque homme en particulier, telle que j’ai reçue une fois sur la croix pour tous les hommes en général, et cela, afin qu’ils revinssent à l’héritage promis. Mais l’homme a toujours sa volonté contraire à la mienne, lui à qui pourtant j’ai donné la liberté de me servir ou de ne me servir pas ; que s’il voulait me servir, il aurait une récompense éternelle, mais que, s’il ne voulait pas, il aurait un supplice éternel avec le diable difforme et horrible, la malice duquel et le consentement volontaire qu’il y a donné ont été cause que l’enfer a été justement fait. Certes, d’autant que je suis très-charitable, je ne veux pas que l’homme me serve par crainte ou contrainte, comme l’animal irraisonnable, mais je veux qu’il me serve par ma divine charité, parce qu’une personne qui me sert à regret ne peut voir ma face à cause de la peine. Or, ceux auxquels je suis très-amer verront en leur conscience que ma loi a été très-facile et mon joug très suave, et seront fâchés d’avoir méprisé ma loi, de lui avoir préféré le monde, dont le joug est beaucoup plus lourd et plus difficile que le mien.

Alors sa Mère lui répondit : Vous, soyez béni, mon Fils, mon Dieu et mon Seigneur ! Comme vous m’avez été très-doux, que les autres soient participants de ma douceur, je vous en prie.

Son Fils lui dit : Vous, soyez bénie, ma très chère Mère ! Vos paroles sont douces et pleines de charité : c’est pourquoi votre douceur servira grandement quiconque l’aura reçue en sa bouche et l’aura goûtée parfaitement ; mais celui qui l’aura reçue et rejetée, aura un supplice d’autant plus amer.

Alors la Vierge lui répondit : Vous, soyez béni, mon Fils, en toute l’étendue de votre amour !

 

 

LIX.

 

Paroles de Jésus-Christ dites en la présence de l’épouse, lesquelles expliquent comment Jésus-Christ est désigné et figuré par un rustique ; comment les bons prêtres sont désignés par un bon pasteur, les mauvais, par un mauvais pasteur, et les bons chrétiens par une femme. Il est ici traité de plusieurs choses utiles.

 

JE suis la Vérité, qui n’ai jamais dit un mensonge. Je suis regardé dans le monde comme un rustique méprisable ; mes paroles sont censées fades, et ma maison est regardée comme une vile loge.

Un rustique eut une femme qui ne voulut jamais rien que selon la volonté de son mari ; tout ce qu’elle avait, elle le possédait en commun avec lui, et elle l’a regardé et honoré toujours comme son seigneur, lui obéissant en tout comme à son maître.

Cet homme rustique eut aussi plusieurs brebis, pour la garde desquelles il loua un pasteur à cinq écus de gages, afin qu’il eût ce qui était nécessaire à sa vie, d’autant que ce pasteur était bon, usait de l’or pour le seul profit, et des vivres pour les nécessités de sa vie.

Après ce pasteur quelque temps s’étant écoulé, vint un autre pasteur, qui était plus méchant que lui, qui acheta avec de l’or une femme, à laquelle il apporta tous ses vivres, prenant continuellement ses plaisirs avec elle, ne se souciant pas des brebis, qui furent misérablement éparses çà et là par la cruauté des bêtes farouches.

Alors le rustique, voyant ses brebis égarées, s’écria et dit : Mon pasteur m’est infidèle ; mes brebis sont toutes dispersées çà et là, quelques-unes dévorées, et j’ai perdu leurs corps et leur laine par les bêtes farouches ; quelques autres sont mortes, mais leurs corps n’ont pas été dévorés.

Alors la femme dit à son mari : Il est certain que nous n’aurons jamais les corps qui ont été mangés ; portons donc à la maison les corps qui sont demeurés entiers, et servons-nous-en, bien qu’ils soient morts, car il nous serait in tolérable d’être frustrés de tout.

Le mari lui répondit : Que ferons-nous ? car les animaux qui les ont tuées ont leurs dents envenimées ; leurs corps sont infectés d’un poison mortel ; la peau en est corrompue, la laine entassée en un monceau.

La femme repartit : Si tout est infecté, tout est ôté. De quoi vivrons-nous ?

Le mari répliqua : Je vois en trois lieux des brebis vivantes ; quelques-unes sont comme mortes, qui n’osent respirer de crainte ; quelques autres sont dans le bourbier profond et ne peuvent en sortir ; quelques autres sont dans des tanières, et elles n’osent en sortir. Venez donc, ma femme, aidons à sortir celles qui s’efforcent, et qui ne le peuvent sans secours, et servons-nous d’elles.

Je suis ce rustique seigneur, qui suis réputé des hommes comme celui qui est curieusement nourri en son lit, conformément à ses manières et à ses mœurs. Mon nom est la disposition de la sainte Église : elle est réputée vile, attendu qu’elle reçoit comme par dérision les sacrements, le Baptême, l’Ordre, l’Extrême-Onction, la Pénitence et le Mariage, et les donne aux autres par ambition. Mes paroles sont estimées comme des fadaises, d’autant que j’usais de similitudes sensibles pour faire entendre les choses spirituelles. Ma maison leur semble méprisable, parce qu’on aime et qu’on choisit les choses terrestres pour les choses célestes.

Par ce premier pasteur que j’ai eu, j’entends les prêtres qui sont mes amis, que j’ai eus autrefois en mon Église : car par le mot qui est au singulier, j’entends plusieurs. À ceux-ci j’ai  commis mes brebis, c’est-à-dire, le pouvoir de consacrer, de gouverner et de défendre les âmes de mes élus, auxquels aussi j’ai donné cinq biens plus précieux que l’or, savoir : 1° l’esprit de discerner le bien du mal, le vrai du faux, et de connaître tout ce qui est irraisonnable ; 2° je leur ai donné l’intelligence, la sagesse des choses spirituelles, qui est maintenant en oubli, et la sagesse humaine est aimée en son lieu ; 3° je leur ai donné la chasteté ; 4° je leur ai donné la tempérance de toutes choses, et l’abstinence, pour modérer et pour retenir le corps ; 5° je leur ai donné la stabilité dans les bonnes mœurs, dans les paroles et dans les œuvres.

Après ces pasteurs, qui étaient mes amis et qui étaient autrefois dans mon Église, d’autres s’y sont maintenant glissés, qui, au lieu de l’or de la chasteté, ont acheté une femme ; et au lieu de ces cinq dons, ils ont épousé un corps efféminé, c’est-à-dire, l’incontinence, à raison de quoi mon Esprit s’est retiré d’eux. Car quand ils ont assouvi les désirs du péché et satisfait pleinement leurs voluptés infâmes, mon Esprit se retire d’eux, attendu qu’ils ne se soucient pas du dommage que mon bercail souffre, pourvu qu’ils puissent se plonger et se vautrer dans leurs sales voluptés.

Or, les brebis qui sont entièrement dévorées sont celles dont les âmes sont en enfer et les corps dans les sépulcres, attendant la résurrection pour être damnés avec les âmes. Mais les brebis dont l’esprit s’en est allé et dont le corps demeure, ce sont celles qui ne m’aiment ni ne me craignent, qui n’ont ni soin ni dévotion. De ceux-là mon Esprit est grandement éloigné, car leur chair, étant déchirée par les dents envenimées des bêtes, et tout empoisonnée, c’est-à dire, leur âme et les pensées de leur âme désignées par la chair et par les intestins des brebis, m’est tellement amère et abominable, que je ne me puis non plus plaire en eux qu’en une chair envenimée. Leur peau, c’est-à-dire, leur corps est aride et sec à tout bien, à tout amour, et ne sert à mon royaume pour autre usage que pour jeter dans le feu éternel après le jour du jugement. Leur laine, c’est-à-dire, leurs bonnes œuvres sont partout inutiles, de sorte qu’on ne trouve en elles rien qui soit digne de ma grâce ni de mon amour.

Qu’est-ce donc, ô ma femme, c’est-à-dire, ô bons chrétiens ? Que ferons-nous ? Je vois en trois lieux des brebis vivantes : quelques-unes sont semblables aux mortes, qui de crainte n’osent respirer : celles-là sont les Gentils, qui voudraient librement avoir une foi droite, s’ils en savaient la manière, mais ils n’osent respirer, c’est-à dire, n’osent abandonner la foi qu’ils ont ni prendre la foi droite. Les autres sont des brebis qui sont dans les tanières et n’osent sortir : celles-là sont les Juifs qui sont comme sous des voiles, d’où ils sortiraient librement s’ils savaient que je fusse né. Or, ils se cachent comme sous des voiles, d’autant qu’ils attendent leur salut dans les figures et dans les signes qui prédisaient autrefois ce qui est maintenant accompli. Et à raison de cette vaine espérance, ils craignent de venir à la vraie et droite voie. En troisième lieu, les brebis qui sont plongées dans le bourbier, ce sont les chrétiens qui sont en péché mortel, car ceux-là, pour la crainte du supplice, en sortiraient librement, aidés par ma grâce ; mais ils ne le peuvent, à cause de la gravité de leurs péchés, et parce qu’ils n’ont point d’amour pour moi.

Donc, ô bons chrétiens, aidez-moi, car comme la femme et le mari ne sont qu’une chair, de même le chrétien et moi ne sommes qu’un, d’autant que je suis en lui et qu’il est en moi. Partant, ô femme, c’est-à-dire, ô bons chrétiens, courez avec moi à ces brebis qui ont encore la vie ; tirons-les de là, et fomentons-les par l’amour. Compatissez avec moi, car je les ai achetées fort chèrement ; recevez-les avec moi, et moi avec vous, vous sur le dos, moi sur la tête, et ainsi je les conduirai joyeusement entre mes mains. Je les ai portées une fois sur mon dos, quand j’étais tout blessé, lié et attaché à la croix. Ô mes amis, j’aime si tendrement mes brebis, que, s’il était possible, j’aimerais mieux mourir autant de fois pour chacune d’elles de la mort que je souffris sur la croix pour la rédemption de toutes, que d’en être privé. Je crie à mes amis qu’ils ne s’épargnent point, mais qu’ils travaillent pour l’amour de moi ; qu’ils fassent de bonnes œuvres. Que si on vomissait contre moi des opprobres et des calomnies, pendant que j’étais au monde, lorsque je disais la vérité, qu’eux aussi ne cessent de dire la vérité pour moi. Je n’ai pas eu honte de subir, pour l’amour d’eux, une mort ignominieuse : j’étais nu devant les yeux de mes ennemis comme le jour où je naquis ; je fus frappé aux dents d’un coup de poing ; je fus tiré par les cheveux ; je fus frappé de leurs fouets ; je fus attaché au bois par leurs clous et par leurs instruments, et fus pendu en la croix avec les larrons.

Ne vous épargnez donc pas, ô mes amis, puisque l’amour m’a tant fait souffrir pour vous. Travaillez généreusement, et aidez aux brebis souffreteuses et indigentes. Je jure par mon humanité que je suis en mon Père et que mon Père est en moi, et par ma Divinité, qui est en mon Esprit, et l’Esprit en elle, et le même Esprit en moi et moi en lui, et ces trois un Dieu en trois personnes, que tous ceux qui travailleront et porteront avec moi mes brebis, j’irai au-devant d’eux au milieu du chemin pour les secourir, et je leur donnerai une récompense très-précieuse, c’est-à-dire, moi-même en joie éternelle.

 

 

LX.

 

Paroles du Fils de Dieu à son épouse, par lesquelles il traite de trois sortes de chrétiens, préfigurés par les Juifs qui étaient en Égypte, et comment il faut publier et prêcher ce qui a été révélé à cette épouse, aux amis de Dieu qui les ignorent.

 

LE Fils de Dieu parlait à son épouse, disant : Je suis le Dieu d’Israël et celui qui parlait avec Moïse, quand il était envoyé à mon peuple. Il demanda un signe, disant : Autrement on ne me croira pas. S’il était envoyé au peuple de Dieu, pourquoi se défiait-il ? Mais vous devez savoir qu’en ce peuple, il y avait trois sortes de personnes. Quelques-uns croyaient à Dieu et à Moïse ; les autres croyaient à Dieu et se défiaient de Moïse, pensant que Moïse peut-être ne présumât de dire et de faire telles choses, poussé à cela par vanité ou de sa propre invention. Les derniers ne croyaient ni à Dieu ni à Moïse ; et de la sorte, il y a entre les chrétiens trois sortes de personnes marquées par les Hébreux : quelques-uns croient à Dieu et à mes paroles. Les autres croient à Dieu, mais ils se défient de mes paroles, attendu qu’ils ne savent discerner le bon du mauvais esprit. Ceux qui sont de la troisième sorte ne croient ni à moi ni à vous, bien que je leur aie parlé. Mais comme j’ai dit, bien que quelques Hébreux se défiassent de Moïse, néanmoins, tous passèrent la mer Rouge avec lui et allèrent au désert, où ceux qui s’en défiaient honoraient les idoles, et provoquèrent l’ire et l’indignation de Dieu ; et partant, ils furent consommés par une mort misérable. Mais ce malheur ne fut commis que par ceux qui avaient une mauvaise foi ; et d’autant que l’esprit humain est tardif à croire, mon ami transporta ma parole à ceux qui croyaient, et eux s’épandirent après en ceux qui ne savent discerner le bon esprit du mauvais. Que si les auditeurs demandent quelque signe, qu’on leur montre la verge, comme fit jadis Moïse, c’est-à-dire, qu’on leur explique mes paroles : car comme la verge de Moïse était droite et terrible, parce qu’elle se changeait en serpent, de même mes paroles sont vraies, et il ne se trouve en elles aucune fausseté ; elles sont terribles, d’autant qu’elles portent un jugement droit et équitable ; qu’ils leur proposent et certifient que le diable s’est retiré de la créature de Dieu à sa seule parole ; le diable est si fort que, si je ne le retenais, il pourrait changer les montagnes. Quelle était alors la puissance que Dieu lui permettait ? Quelle qu’elle fût, il s’enfuyait à la seule parole. Partant, comme ces Hébreux qui n’ont cru ni à Dieu ni à Moïse, passèrent avec les autres, comme en le contraignant, de l’Égypte en la terre promise, de même plusieurs chrétiens vont avec mes élus comme contraints, car ils ne se confient point en ma puissance, et ne pensent pas qu’elle les puisse sauver ; ils ne croient aucunement à mes paroles ; ils ont une vaine espérance en ma vertu. Néanmoins, mes paroles s’accompliront sans leur volonté, et ils seront comme contraints d’être parfaits, jusqu’à ce qu’ils arrivent où il me plaira.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LES

 

RÉVÉLATIONS CÉLESTES

 

DE

 

SAINTE BRIGITTE

 

DE SUÈDE.

 

 

 

LIVRE II.

 

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I.

 

Le Fils de Dieu instruit l’épouse contre diable. La réponse du Fils à l’épouse. Pourquoi il ne retire les pécheurs de ce monde avant qu’ils pèchent, et en quelle manière le royaume des cieux est donné à ceux qui, étant baptisés, n’arrivent point à l’âge de discrétion.

 

LE Fils de Dieu parlait à l’épouse, lui disant : Quand le diable vous tente, dites-lui ces trois choses : 1° les paroles de Dieu ne peuvent être que vraies ; 2° rien n’est impossible à Dieu ; 3° ô diable, vous ne pouvez me donner une telle ferveur d’amour que Dieu me donne.

Derechef, Notre-Seigneur dit à l’épouse : Je mis en l’homme trois choses : 1° comment le corps est disposé extérieurement ; 2° je vois à quoi et comment la conscience tient intérieurement à quelque chose ; 3° qu’est-ce que son cœur désire : car comme l’oiseau qui regarde un poisson dans la mer, considère la profondeur de la mer, ses orages et ses tempêtes, de même je sais toutes les voies des hommes, et je considère ce qui est dû à chacun, car ma vue pénètre plus intimement et sait plus clairement tout ce qui le touche, que lui même ne se connaît. Donc, puisque je vois et sais toutes choses, vous me pouvez demander pourquoi je n’ôte de ce monde les pécheurs avant qu’ils soient dans l’abîme profond de leurs péchés. À quoi je vous réponds : Je suis le Créateur de toutes choses, et toutes les choses qui ont été et qui seront, sont en ma présence ; je les vois et les connais ; mais bien que je puisse et sache tout, cependant la justice ne veut pas que je fasse moins contre la disposition naturelle du corps que contre celle de l’âme. De fait, tout homme subsiste selon la naturelle disposition du corps, qui est en ma prescience éternelle. Quant à ce que l’un vit plus qu’un autre, cela provient de la force ou infirmité, et des dispositions naturelles. Quant à ce que l’un est boiteux et l’autre aveugle, ou quelque autre chose semblable, cela ne se fait pas sans que je le voie, puisque je prévois en telle sorte toutes choses, que ma prévoyance ne les fait pas pires, ni rien ne peut nuire à ma prévoyance, ni elle ne consiste pas dans le cours des éléments ni en leur arrêt, mais en ma justice occulte et cachée en la disposition et conservation de la nature, car le péché et l’indisposition de la nature causent diversement la difformité des membres. Partant, il ne se fait pas parce que je le veux, mais d’autant que ma justice permet qu’il soit fait ; et bien que je puisse toutes choses, néanmoins, je ne résiste pas à la justice. Donc, la raison pourquoi quelqu’un vit plus ou moins, est prise de la disposition de la nature forte ou infirme, qui est en ma prescience, laquelle est infaillible. Vous pouvez entendre le semblable par une supposition.

Supposons qu’il y eût deux voies, et qu’en ces voies, il y eût des fosses innombrables l’une contre l’autre et l’une devant l’autre, et que la fin d’une de ces deux voies tendît directement en bas et l’autre en haut, et qu’au carrefour de ces voies il fût écrit : « Quiconque marche par cette voie, la commence avec délectation et volupté de la chair, et la termine avec grande misère et confusion ; mais celui qui marche par ces autres voies, la commence avec un petit labeur, et la finit avec une très-grande joie et une très-grande consolation. » Or, celui qui marchait par la voie qui aboutissait aux deux voies était entièrement aveugle ; mais étant arrivé au carrefour, il y voyait et lisait un écriteau sur lequel était imprimée la fin de ces deux voies ; et pendant qu’il la lisait, la considérait et délibérait à part soi, soudain apparurent deux hommes auprès de lui, à la garde desquels ces deux voies étaient confiées, lesquels, considérant l’homme au carrefour et parlant entre eux, dirent : Considérons avec soin par quelle voie il aimera mieux aller, et il sera plus propre à la voie qu’il choisira. Or, le voyageur, considérant en soi la fin de ces voies et leurs mérites, se servit de conseil et de prudence, choisissant plutôt la voie dont l’entrée portait quelque peu de labeur, et la fin une grande joie, que celle qui commençait par la joie et finissait en la douleur, car il croyait qu’il était plus tolérable et plus raisonnable d’être au commencement lassé par quelque médiocre labeur, et se reposer assurément à la fin.

Ne savez-vous pas ce que toutes ces choses signifient ? Certainement, je vous le dirai. Ces deux voies sont le bien et le mal qui sont devant l’homme. Il est écrit que quand il sera arrivé à l’âge de discrétion, il est en la puissance de son libre arbitre de choisir ce qu’il aimera le mieux. Il y a une voie qui conduit à ces deux voies de l’élection du bien ou du mal, savoir : l’âge d’adolescence, qui conduit à l’âge de discrétion. Celui qui marche par cette première voie est presque comme aveugle, car jusqu’à ce que l’homme soit parvenu de l’adolescence à l’âge de discrétion, il ne sait discerner le bien du mal, la vertu du vice, le commandement de la défense. Donc, l’homme, marchant en son âge puéril, est comme un aveugle ; mais quand il sera arrivé au carrefour de ces voies, c’est-à dire, à l’âge de discrétion, lors les yeux de l’esprit lui seront ouverts ; car lors, il sait considérer quel est le meilleur, savoir bien endurer une petite douleur, et jouir d’une joie éternelle, ou prendre un petit plaisir, et puis souffrir une éternelle douleur. Et alors, en la voie qu’il choisira, on comptera tous ses pas.

Or, en ces voies, il y a plusieurs fosses l’une contre l’autre et l’une devant l’autre, car l’un meurt bientôt, l’autre bien tard, l’un dans la jeunesse, l’autre dans la vieillesse. La fin de cette vie est donc bien à propos comparée à une fosse, à laquelle tous les hommes se rendent sans faillir, les uns d’une manière, les autres d’une autre, selon que leur naturelle disposition l’exige et selon qu’il est en ma conscience. Car si j’appelais quelqu’un contre la disposition naturelle, le diable prendrait soudain occasion de dire que je fais contre la justice ; c’est pourquoi je ne fais non plus rien contre la disposition du corps que de l’âme. Toutefois, considérez attentivement ma bonté et ma miséricorde, car comme dit le Maître et Seigneur, je rends forts, puissants et vertueux ceux qui n’ont ni force ni vertu. Je donne, par un excès d’amour, le royaume de Dieu à tous ceux qui sont baptisés et qui meurent avant l’âge de discrétion, en la manière qu’il est écrit. Il a plu aussi à votre Père de donner à ceux-là le royaume des cieux.

D’ailleurs, ma piété fait cette miséricorde aux enfants des païens qui meurent avant l’âge de discrétion, car bien qu’ils soient privés de la vision de ma face, néanmoins, ils viendront en un lieu qu’il n’est pas loisible que vous sachiez, où ils seront sans peine. Mais quant à ceux qui, de la première voie de l’adolescence, sont parvenus à l’âge de discrétion du bien et du mal, il est alors en leur puissance de choisir le bien ou le mal, et à quoi ils inclineront leur volonté, leur mérite ou démérite suivra la récompense : d’autant qu’alors ils savaient lire ce qui était écrit au carrefour, savoir : qu’il valait mieux endurer au commencement peu de douleur, et en la sortie avoir la joie, qu’avoir au commencement la joie, et à la fin une douleur éternelle. Néanmoins, il arrive souvent que quelques-uns sont pris et élevés avant que l’exige la disposition naturelle, comme sont ceux qui meurent par homicide, ivrognerie ou autrement, attendu que la malice du diable est si grande qu’il ne peut souffrir que la peine des hommes soit si longue dans le monde. Et partant, ma justice et leurs fautes l’exigeant aussi, quelques-uns sont pris avant que la disposition naturelle l’exige ; aussi cela a été éternellement prévu par ma prescience, laquelle il est impossible de contrevenir ; de même souvent les bons sont appelés avant que la disposition naturelle l’exige, d’autant que l’excès de l’amour que je leur porte, la ferveur de leur dilection, et la peine qu’ils ont à retenir et réprimer le corps, font qu’ils en sont emportés, comme je l’avais prévu de toute éternité, ma justice l’exigeant ainsi. Donc, je ne fais pas plus contre la disposition naturelle du corps que contre celle de l’âme.

 

 

II.

 

Plainte du Fils de Dieu en présence de l’épouse, à raison d’une âme qui serait damnée. Réponse de Jésus-Christ au diable, pourquoi il permet qu’elle touche et reçoive son précieux corps.

 

DIEU comme en colère dit : L’œuvre de mes puissantes mains me méprise d’autant plus que je l’ai constituée en plus grand honneur. Cette âme dont mon amour avait eu un grand soin, m’a fait trois choses : elle détournait ses yeux de moi pour regarder son ennemi ; elle a collé sa volonté au monde ; elle croyait qu’elle pouvait librement m’offenser. Partant, puisqu’elle ne s’est pas souciée de jeter ses yeux sur moi, je lui ferai une très-prompte justice. Or, d’autant qu’il a roidi sa volonté contre moi et s’est confié dans les choses vaines, je lui ai ôté son désir.

Alors le diable s’écrie, disant : Ô juge ! cette âme est à moi. Le juge répondit : Quelles raisons allègues-tu contre elle ? Il répondit : Votre plainte me sert d’accusation contre elle : ne vous a-t-elle pas méprisé, vous qui êtes son Créateur, et en cela même, n’a-t-elle pas été faite ma servante ? Et parce qu’elle a été subtilement enlevée, comment pouvait-elle vous apaiser ? Car quand elle a vécu dans le monde saine de corps, elle ne vous servait pas avec un cœur sincère, mais elle aimait avec plus de ferveur et de transport les créatures, endurait avec impatience les fâcheries, et ne considérait pas comme elle devait ses actions pernicieuses ; et à la fin, elle ne brûlait pas du feu d’amour ; et d’autant qu’elle a été subitement emportée, par la même raison elle est à moi.

Le juge répondit : On ne condamne pas une fin soudaine, si les œuvres sont en conflit. La volonté n’est pas damnée éternellement, sans une mûre et diligente délibération.

Alors, la Mère de Dieu, venant là-dessus, dit : Mon Fils, le serviteur négligent qui a un ami familier de son maître, n’implorera-t-il pas pour lui ? Ne le doit-il pas sauver pour l’amour de lui ? Le juge répondit : Toute justice doit être avec miséricorde et sagesse : avec miséricorde, afin de retenir la rigueur de la justice ; avec sagesse, afin de garder en tout l’équité. Que si la faute est si abominable qu’elle ne soit digne de pardon, néanmoins, la justice, demeurant toujours entière, peut aucunement s’adoucir. La Mère de Dieu dit alors : Ô mon Fils très-doux ! cette âme m’a eue toujours en mémoire, m’a toujours honorée, et était bien aise de solenniser mes fêtes, bien qu’elle fût très-froide à votre égard : partant, faites-lui miséricorde.

Le Fils lui répondit de nouveau : Vous savez et vous voyez toutes choses en moi, ô ma Mère bienheureuse ! Que si cette âme se souvient de vous, c’est plutôt pour un bien temporel que pour un bien spirituel, car elle n’a pas traité comme elle devait mon corps, qui est très-pur. Sa bouche puante a empêché mon amour. L’amour du monde et la dissolution de la chair lui ont empêché de voir et de connaître ce que j’avais souffert pour les âmes. La trop grande présomption que je lui pardonnerais, et l’inconsidération de sa fin, ont avancé ses jours. Et bien qu’elle me reçût tous les jours, pour cela elle n’est pas devenue meilleure, attendu qu’elle ne se disposait pas comme elle le devait à une si grande réception. En effet, celui qui veut recevoir un bon hôte et seigneur, doit, non-seulement préparer le logis, mais disposer tous les ustensiles.

Le prêtre dont il est ici parlé n’en a pas fait de même, car bien qu’il ait nettoyé la maison, néanmoins, il ne l’a pas bien disposée, épurée ; il n’en a pas jonché le pavé des fleurs des vertus ; il n’a pas gardé l’abstinence en ses membres. Partant, vous voyez tout ce qu’il faut faire et ce qu’il a mérité, car bien que je sois incompréhensible et inviolable, et que je sois partout par ma Divinité, néanmoins, mes plaisirs sont d’être avec ceux qui sont purs et nets, bien que j’entre dans les bons et dans les damnés ; car les bons reçoivent mon corps qui a été crucifié, qui est monté au ciel, et qui était figuré par la manne et par la farine de la veuve. Les bons et les mauvais me recevront, mais avec cette différence : les bons pour se fortifier davantage, les mauvais pour un plus terrible jugement, d’autant qu’étant indignes, ils osent s’en approcher.

Le diable répondit : S’il s’approchait de vous si indignement, et si son jugement s’augmentait davantage, pourquoi permettiez-vous qu’il s’en approchât, touchant indignement un corps si digne et si auguste ?

Le Juge lui répondit : Tu ne raisonnes pas selon la charité, parce que tu n’en as pas, mais parce que tu y es contraint par ma vertu, pour l’amour de cette mienne épouse qui entend ceci : car comme les bons et les mauvais ont touché mon humanité, pour montrer que j’avais une vraie et non feinte humanité, l’humilité et la patience, de même les bons et les mauvais me reçoivent à l’autel, les bons, pour une plus grande perfection, et les mauvais, afin qu’ils ne croient être damnés, d’autant que, m’ayant reçu, ils peuvent changer la volonté et se convertir, s’ils veulent. Hélas ! quelle charité plus grande pourrais-je montrer, que moi, qui suis très-pur, j’entre dans un vase immonde, bien que je ne puisse être souillé par aucun, non plus que le soleil matériel, quand il jette ses rayons sur les choses immondes ! Or, vous et vos amis méprisez une telle charité, d’autant que vous vous êtes roidis contre la charité.

La Mère de Dieu dit de nouveau : Ô mon Fils très-bon, tout autant de fois qu’il s’est approché de vous, ç’a été avec crainte, bien que non pas autant qu’il le devait. Il s’est aussi repenti de vous avoir offensé, quoique imparfaitement. Que cela donc, ô mon Fils, lui profite pour l’amour de moi.

Le Fils répondit derechef : Je suis, comme dit le Prophète, le vrai Soleil, mais très-bon par-dessus le soleil matériel : le soleil matériel ne pénètre point les montagnes ni les esprits, mais moi je puis le faire. Si donc les montagnes empêchent le soleil matériel de porter ses rayons aux terres voisines, qu’est-ce qui empêche, dans cette âme, que les rayons de mon amour ne la touchent, sinon le péché ? Que si on retirait une partie de cette montagne, il faudrait qu’on évacuât la chaleur des lieux circonvoisins : de même si j’entre en une partie d’un esprit pur, quelle consolation en aurai-je, si, de l’autre part, on sent une grande puanteur ? Partant, il faut chasser ce qui est sordide et sale, et après, la beauté suivra le plaisir.

La Mère de Dieu répondit : Que votre volonté soit faite avec toute miséricorde.

 

DÉCLARATION.

 

Ce prêtre fut souvent averti et repris de son incontinence, et il ne voulait pas s’amender. Comme il sortait un jour en un pré pour voir son cheval, la foudre le tua, tout le corps demeurant entier, excepté les parties honteuses, qui furent entièrement brûlées. Alors l’Esprit de Dieu dit à sainte Brigitte : Ma fille, voilà ce que méritent en l’âme ceux qui sont enveloppés en semblables misères et délectations.

 

 

III.

 

Paroles d’admiration de la Mère de Dieu à l’épouse, par lesquelles il traite comme en ce monde il y a cinq maisons dont les habitants sont cinq sortes de personnes, savoir : les chrétiens infidèles, les Juifs endurcis, les païens d’eux-mêmes, ceux qui sont tout ensemble Juifs et païens, et les amis de Dieu. Il y a, dans ce chapitre, des choses très-utiles.

 

C’EST une chose tout à fait exorbitante que le Seigneur de toutes choses et le roi de gloire soit méprisé, disait la Sainte Vierge Marie. Il est allé, comme un pèlerin terrestre, de lieu en lieu, et comme un voyageur, heurtant de porte en porte, afin d’être reçu. Le monde en effet était comme un fonds où il y avait cinq maisons.

Or, quand mon Fils vint en la première maison en habit de pèlerin, heurtant à la porte, il parla en ces termes : Mon ami, ouvrez-moi ; introduisez-moi en votre repos et comme une habitation, de peur que les bêtes farouches ne me nuisent, que la rosée ou la pluie ne tombe sur moi. Donnez-moi de vos vêtements, pour qu’ils me m’échauffent, car j’ai froid ; pour qu’ils me couvrent, car je suis nu. Donnez-moi de vos viandes pour rassasier ma faim, de votre boisson pour étancher ma soif, et recevez-en la récompense de votre Dieu.

Alors, celui qui était dans cette maison répondit : Vous êtes trop impatient : partant, vous ne pouvez vous accorder ni habiter avec nous. Vous êtes trop grand, c’est pourquoi nous ne pouvons vous habiller. Vous êtes trop cupide et trop gourmand, nous ne saurions vous rassasier : votre cupidité n’a point de fond.

Notre-Seigneur, qui était dehors comme un pèlerin, répondit derechef : Mon ami, faites-moi entrer joyeusement et franchement, car je n’occupe guère de place. Donnez-moi de vos habits : il n’y a, en votre maison, si pauvre vêtement qui ne suffise pour m’échauffer. Donnez-moi de vos viandes, car une miette me peut rassasier, et une gouttelette d’eau me rafraîchira et me fortifiera.

Celui qui était dans la maison lui répondit derechef : Nous vous connaissons très-bien : vous êtes humble en paroles et importun en demandes. Vous paraissez modeste et facile à contenter, mais néanmoins vous êtes trop insatiable pour être rempli. Vous êtes très-frileux et très-difficile à couvrir. Allez-vous-en, je ne vous logerai point.

Alors il alla à la deuxième maison, et dit : Mon ami, ouvrez-moi et regardez-moi, car je vous donnerai tout ce dont vous aurez besoin. Je vous défendrai de vos ennemis.

Celui qui était dedans répondit : Mes yeux sont débiles, votre présence leur nuirait. Je suis riche en tout ; je n’ai point affaire de ce que vous avez ; je suis puissant et fort : qui pourrait me nuire ?

Alors, venant à la troisième maison, il dit : Mon ami, écoutez-moi ; étendez votre main et touchez-moi ; ouvrez votre bouche et goûtez-moi.

Celui qui était dans la maison lui dit : Criez plus haut, et je vous entendrai. Si vous êtes doux, je vous toucherai ; si vous êtes gracieux, je vous recevrai ; si vous êtes agréable, je vous retirerai.

Alors il alla à la quatrième maison, dont la porte était à demi ouverte, et il dit : Mon ami, si vous considériez que votre temps est mal employé, vous me recevriez en votre maison. Si vous pouviez ouïr ce que j’ai fait pour vous, vous compatiriez avec moi. Si vous considériez avec attention combien de fois vous m’avez offensé, vous gémiriez et me demanderiez pardon.

Il répondit : Nous sommes comme morts de désir et d’attente de vous voir, compatissez donc à nos misères, et nous vous donnons librement ce que vous nous demandez. Regardez notre misère et considérez l’angoisse de notre corps, et nous serons préparés à tout ce que vous voudrez.

Alors il vint à la cinquième maison, qui était entièrement ouverte, et il dit : Mon ami, je veux entrer ici fort librement ; mais sachez que je cherche un repos plus grand que celui que l’on peut prendre sur la plume ; une chaleur plus fervente que celle que la laine peut entretenir ; une viande plus fraîche que celle que les animaux peuvent donner.

Ceux qui étaient au dedans lui répondirent : Il y a des marteaux à nos pieds, avec lesquels nous briserons nos os des pieds et des cuisses, et nous vous en donnerons la moelle pour votre repos. Nous vous ouvrirons franchement nos entrailles : entrez en elles, si vous voulez : car comme il n’y a rien de si mou pour vous que nos moelles, aussi n’y a-t-il rien de meilleur pour vous échauffer que nos entrailles. Notre cœur est plus frais et recru que celui des animaux : nous le taillerons pour votre viande. Entrez seulement. Vous êtes doux pour être goûté et désirable pour en jouir.

Les cinq habitants de ces maisons signifient cinq sortes d’état des hommes : les premiers sont les infidèles chrétiens, qui disent que les jugements de mon Fils sont injustes, ses promesses fausses et ses commandements intolérables. Ce sont ceux-là qui disent aux prédicateurs de mon Fils : Ils disent selon leurs pensées ; ils prêchent selon leur intelligence ; ils disent des blasphèmes. S’il était tout-puissant, il se vengerait des injures ; il est si loin qu’on n’y saurait atteindre ; il est si haut et si large qu’il ne pourrait être vêtu ; si insatiable qu’il ne peut être repu ; si impatient qu’il ne peut cohabiter avec personne. Ils l’appellent éloigné, d’autant qu’ils ne s’efforcent, à raison de leur pusillanimité en œuvre et en amour, de venir à sa bonté ; ils le nomment large, attendu que leur lubricité n’a ni borne ni mesure ; ils l’estiment défectueux et soupçonnent mal de lui avant qu’il vienne ; ils l’accusent d’insatiabilité, parce que le ciel et la terre ne lui suffisent pas, que même il exige que l’homme donne tout ce qu’il a de meilleur pour l’âme, selon son précepte très-sot, réputant un grand dommage peu de chose en ce qui touche le corps. Ils l’estiment être très-impatient, d’autant qu’il hait les vices et verse les lumières et sentiment du contraire dans les volontés. Ils ne réputent rien être beau ni utile, si ce n’est ce que leur volonté corporelle leur suggère.

Or, mon Fils est maintenant tout-puissant au ciel et en la terre, créateur de toutes choses, et n’est créé d’aucune, étant avant toutes choses, et après lui, il n’y a rien de futur. De fait, il est très-loin, très-haut et très-large en toutes choses, au delà de toutes choses et par-dessus toutes choses. Or, bien qu’il soit si puissant, néanmoins il désire par amour le ministère des hommes, qui n’a besoin de vêtement, qui revêt toutes choses, qui est vêtu lui-même éternellement et immuablement d’honneur et de gloire continuelle. Celui qui est le pain des anges et des hommes, qui rassasie toutes choses et qui n’a besoin de rien, désire d’être repu de l’amour des hommes. Il demande la paix aux hommes, lui qui est lui-même le réformateur et l’auteur de la paix. Donc, quiconque le voudra retirer, il le pourra rassasier d’un esprit joyeux et d’une bonne volonté ; il lui donne une seule miette de pain ; un seul filet suffit pour le vêtir si la charité est ardente ; une seule gouttelette le pourra abreuver, si l’amour est pur et droit. Celui qui a une dévotion fervente et constante le peut recevoir en son cœur et lui parler, car Dieu est un esprit. Partant, il veut changer les corporelles en spirituelles, et les passagères en éternelles. Il répute aussi être fait à lui-même tout ce qu’on fait à ses amis, ni ne considère pas seulement l’œuvre et la puissance, mais la volonté fervente, et avec quelle intention l’œuvre a été faite. Mais plus mon Fils crie en ceux-ci par de secrètes et intelligibles inspirations ; plus il les avertit par ses prédicateurs, plus ils endurcissent leur volonté et roidissent leur esprit contre lui. Ils ne l’écoutent point, ni ne lui ouvrent point la porte de leur cœur, ni ne l’introduisent point, par les œuvres amoureuses et charitables. Partant, le temps viendra que la fausseté sur laquelle ils s’appuient sera réduite à néant, que la vérité sera exaltée, et que la gloire de Dieu sera manifestée.

 La deuxième sorte de personnes sont les Juifs endurcis : à ceux-là, il leur semble être en tout raisonnables ; ils ont leur sagesse pour leur justice légale ; ils prêchent eux-mêmes leurs œuvres et les préfèrent à toutes. S’ils entendent les actes de mon Fils, ils les réputent vils et méprisables ; s’ils entendent ses paroles et ses commandements, ils s’en indignent ; voire ils s’estiment pécheurs et contaminés, s’ils considèrent et s’ils entendent ce qui touche à mon Fils. Ils se réputent aussi plus malheureux et plus misérables, s’ils imitaient ses œuvres. Or, tant qu’ils vivront, ils s’estimeront très-heureux ; tant qu’ils seront en santé, ils croiront être très-puissants en leurs propres forces. Partant, leur espérance sera réduite à néant, et leur gloire se changera pour eux en confusion.

La troisième sorte sont les païens. Quelques-uns d’eux crient en se moquant : Qu’est ce Christ ? S’il est doux et facile à donner les choses présentes, nous le recevrons franchement ; s’il est clément à pardonner les péchés, nous l’honorerons librement. Mais ceux-ci ont clos l’œil de leur intelligence, pour ne pas comprendre la justice et la miséricorde divine ; ils bouchent leurs oreilles afin de ne pas ouïr ce que mon Fils a fait pour l’amour d’eux et pour l’amour de tous ; ils serrent leur bouche et ne s’enquièrent point de ce qui leur est utile et expédient ; ils plient leurs mains et ne veulent pas travailler ; ils ne veulent pas chercher la voie par laquelle ils pourraient fuir le mensonge et trouver la vérité. Partant, puisqu’ils ne veulent pas entendre et se donner garde, en ayant le temps, ils tomberont avec leur habitation, et ils seront ensevelis en la tempête.

La quatrième sorte, ce sont les Juifs et les païens qui seraient volontiers chrétiens s’ils savaient les manières d’agréer à mon Fils, et si quelqu’un les aidait et les instruisait. Ceux-ci oient des voisins et entendent par les clameurs intérieures de l’amour et par d’autres signes, combien mon Fils a souffert pour tous. C’est pourquoi ils crient en leur conscience à mon Fils, disant : Ô Seigneur ! nous avons ouï que vous avez promis que vous vous donneriez à nous ; partant, nous vous attendons. Venez donc et accomplissez votre promesse, car nous voyons bien qu’en ceux qui servent les faux dieux, il n’y a aucune vertu divine, nulle charité pour les âmes, nulle chasteté signalée, mais nous avons trouvé en eux l’amitié corporelle et la dilection de l’honneur du monde. Nous avons aussi entendu quelque chose de votre loi, et ouï vos merveilles prodigieuses en miséricorde et en justice. Nous avons appris par les paroles des prophètes, qu’ils attendaient celui qu’ils avaient prophétisé. Donc, ô Seigneur pieux et clément ! venez, car nous nous donnerons volontiers tout à vous ; car nous avons ouï qu’en l’amour des âmes sont l’usage discret de toutes choses, la pureté parfaite et la vie éternelle. Venez donc vite, car nous sommes presque morts à force de vous attendre. Venez et illuminez-nous.

C’est de la sorte que ceux-ci crient à mon Fils, et c’est pourquoi aussi la porte leur est demi-ouverte. D’effet, ils ont une parfaite volonté pour le bien, mais elle n’est pas encore sortie en effet. Ce sont ceux-ci qui méritent d’avoir la grâce et la consolation de mon Fils.

En la cinquième maison sont mes amis et mes enfants ; la porte intérieure de leur esprit est entièrement ouverte à mon Fils. Ceux-ci entendent franchement l’appel et la vocation de mon Fils, et non-seulement ils lui ouvrent quand il heurte, mais ils lui vont au-devant avec joie quand ils le voient venir ; ils rompent et cassent, par les marteaux des préceptes divins, tout ce qui n’est pas juste et droit en eux, et préparent à mon Fils un repos, non en un lit de plumes, mais en la mélodie et l’accord des vertus, en la momification des propres affections, qui sont les moelles des vertus. Ceux-ci aussi donnent à mon Fils une chaleur non causée par la laine, mais par l’amour fervent ; et d’ailleurs, ils lui préparent une réfection plus fraîche que la viande, qui est que, dans leur cœur, ils ne désirent rien et n’aiment rien que Dieu. Dans leur cœur habite le Seigneur du ciel, et Dieu, qui repaît tout le monde, est repu de leur amour. Ceux-ci ont toujours les yeux à la porte, de peur que leur ennemi n’entre, les oreilles au Seigneur, et les mains pour combattre l’ennemi. Imitez ceux-ci, ma fille, autant que vous pourrez, car leur fondement est bâti en la pierre ferme. Mais les autres maisons sont fondées sur la boue, et partant, elles tombent au premier souffle de vent.

 

 

IV.

 

Paroles de la Mère de Dieu adressées à son Fils, pour l’amour de l’épouse sainte Brigitte. De la manière dont Jésus-Christ est préfiguré par Salomon, et de la sentence cruelle qui est fulminée contre les faux chrétiens.

 

LA Mère de Dieu parlait à son Fils, disant : Mon Fils, voici que votre épouse pleure, d’autant que vous avez force ennemis et peu d’amis.

Le Fils répondit : Il est écrit que les enfants du royaume seront jetés dehors, et que les étrangers le possèdent en héritage. Il est aussi écrit qu’une reine est venue des parties éloignées de la terre pour voir les richesses de Salomon et pour ouïr sa sagesse ; et quand elle l’eut vue, elle en fut comme ravie. Or, ceux qui étaient en son royaume ne pensaient pas à sa sagesse ni n’admiraient ses richesses. Or, je suis le vrai Salomon préfiguré, mais beaucoup plus riche et plus sage que lui, attendu que toute sagesse est de moi, et cela même que quelqu’un soit sage ; mes richesses sont la vie éternelle et la gloire indicible. J’ai promis tout cela aux chrétiens, et le leur ai donné comme à mes enfants, afin que, s’ils m’imitaient et croyaient à mes paroles, ils possédassent ces richesses éternellement. Or, ceux-ci ne considèrent point ma sagesse, méprisent mes œuvres et estiment pour néant et mes promesses et mes richesses. Qu’est-ce donc que je leur dois faire ? Certes, puisque les enfants ne veulent pas avoir mon héritage, les étrangers, c’est-à-dire, les païens le posséderont ; car eux, comme une reine étrangère et comme des âmes infidèles, viendront et admireront les richesses de ma gloire, et de mon amour, qui les enflammera en telle sorte qu’ils se videront de l’infidélité et se rempliront de mon Esprit. Or, qu’est-ce que je ferai aux enfants de mon royaume ? Je me comporterai en leur endroit comme un sage potier, qui, n’ayant pas considéré la boue de laquelle il a fait le pot, trouvant qu’elle n’est pas belle et bonne, la jette par terre et la brise en menus morceaux. J’en ferai de la sorte aux chrétiens, qui, quand ils devraient être à moi, les ayant faits et formés a mon image et ressemblance et rachetés par mon sang, se sont rendus sales et méprisables. Partant, je les foulerai aux pieds comme boue et les précipiterai dans l’enfer.

 

 

V.

 

Paroles de Dieu en la présence de l’épouse, où il parle de sa magnificence ; et en figure, il traite comment Jésus-Christ est préfiguré par David ; les Juifs, les païens et les mauvais chrétiens, par les trois enfants de David ; et enfin, comment l’Église a sept sacrements.

 

JE suis Dieu, non de pierre ou de bois, non créé par quelqu’un, mais créateur adorable de toutes choses, étant sans commencement et sans fin. Je suis celui qui est venu à la Vierge, demeuré en la Vierge sans perdre ma Divinité. Mais moi, je suis celui qui étais, pour l’humanité, en la Vierge, sans laisser ma Divinité. Je suis la même chose avec le Père et le Saint-Esprit, qui régnais au ciel et sur la terre par ma Divinité ; j’enflammais aussi par mon Esprit la Sainte Vierge, non pas que mon Esprit qui l’enflammait fût séparé de moi, mais le même Esprit qui l’enflammait était la même chose avec le Père et avec moi, qui suis le Fils, et le Père et le Fils étaient en lui, et ces trois personnes ne sont pas trois dieux, mais un seul Dieu.

Je suis semblable au roi David, qui a eu trois fils : l’un d’eux s’appelait Absalon, qui pourchassait à mort son père ; le deuxième, qui était Adonias, le voulait débouter de son royaume ; le troisième obtint le royaume, savoir, Salomon. Le premier marque les Juifs, qui me pourchassaient à mort et méprisaient mes conseils : partant, maintenant, ayant connu leur ingratitude, je puis dire d’eux ce que disait David de son Fils après son décès : Ô mon fils Absalon, c’est-à-dire, ô Juifs, qui êtes mes enfants, où sont maintenant votre désir et votre attente ? Ô mes enfants, où est maintenant votre fin ? Je compatissais avec vous, lorsque vous désiriez ma venue, qui vous a été annoncée par tant et tant de signes donnés, lorsque vous désiriez les choses passagères qui vous étaient déjà échappées toutes. Mais maintenant, je compatis plus avec vous, comme un autre David, qui réitérait souvent la dernière parole, disant : Ô mon fils Absalon ! ô Absalon mon fils ! attendu que je vois maintenant votre fin en la misère de la mort, c’est pourquoi encore avec un grand amour je dis comme David : Ô mon Fils, qui me donnera cette faveur de mourir pour vous ? Or, David sut bien que, par sa mort, il ne pouvait pas ressusciter son fils, mais en cela, il montrait l’amour paternel, et sa bonne volonté prompte à mourir pour le ressusciter, s’il eût été possible. J’en dis de même maintenant : Ô Juifs, mes enfants, bien que vous ayez eu une mauvaise volonté contre moi, et ayez fait le pis que vous avez pu, s’il était pourtant possible et que cela plût à mon Père, je mourrais volontiers encore une fois pour l’amour de vous, tant j’ai compassion de votre misère, que vous-mêmes avez acquise, ma justice le permettant ainsi ; car je vous ai dit par parole ce qu’il fallait faire et vous l’ai montré par exemple. Je vous ai précédés comme une poule, vous échauffant sous les ailes de mon amour ; mais vous avez tout méprisé ! C’est pourquoi tout ce que vous avez désiré s’est enfui de vous : votre fin est en la misère, et votre labeur est vain.

En Adonias, second fils de David, sont signifiés les mauvais chrétiens. Adonias offensa son père en sa vieillesse, car il pensa ainsi à part soi : Mon père est vieux ; la force lui manque. Si je lui parle de quelque chose de sinistre, il ne me répondra pas ; si je fais quelque chose contre lui, il ne s’en vengera pas ; si j’attente quelque chose contre lui, il le supportera patiemment ; partant, je ferai ce que je voudrai.

Il monta en une forêt où il y avait peu d’arbres, avec une poignée de serviteurs de son père, pour régner là. Mais la sagesse de son père éclatant, et ses volontés lui étant manifestées, ses conseils ont été changés, et ceux qui étaient avec lui ont été méprisés et rendus contemptibles. De même en font les chrétiens : ils pensent de moi en la même manière, disant : Les signes de Dieu et ses jugements ne nous sont point connus ; nous pouvons maintenant, comme devant, dire ce que nous voudrons, car il est miséricordieux et ne s’en avise point. Faisons ce qu’il nous plaira, car il pardonne facilement. Ils se défient de ma toute-puissance, comme si j’étais maintenant plus infirme qu’auparavant pour faire ce que je veux ; ils pensent que mon amour s’est diminué, comme si je ne voulais en avoir non plus de miséricorde que de leurs pères ; ils estiment mes jugements moquerie et ma justice vanité, c’est pourquoi ils montent dans les forêts avec quelques serviteurs de David pour régner confidemment.

Quelle est cette forêt où il y a si peu d’arbres, sinon la sainte Église, qui subsiste par les sept sacrements, comme par autant d’arbres ? Ils entrent dans cette Église avec quelques serviteurs de David, c’est-à-dire, avec quelques petites bonnes œuvres, afin que confidemment ils obtiennent le royaume de Dieu ; car ils font quelques petites bonnes œuvres, dans lesquelles ils se confient tant que, bien qu’ils soient en quelque péché et en quelque crime que ce soit, bien que détestables, ils croient pourtant avoir le ciel comme par un droit héréditaire. Mais comme le fils de David, qui voulait avoir le royaume de son père, a été déshonorablement repoussé, attendu que, tout injuste qu’il était, il voulait se l’arroger injustement, et il a été donné à un plus sage et meilleur : de même ces chrétiens seront repoussés de mon royaume, et mon royaume sera donné à ceux qui font la volonté de David, car autre ne pourra obtenir le royaume céleste que celui qui aura la charité, ni autre ne pourra s’approcher de ma pureté, qui ne soit pur et selon mon cœur.

Le troisième fils de David était Salomon, qui signifie les païens. Bersabée, ayant oui qu’un autre que Salomon était élu pour régner, à qui néanmoins David avait promis le royaume, alla vers David et lui dit : Mon seigneur, vous m’avez juré que Salomon régnerait après vous ; or, maintenant, un autre est élu ; si cela passe de la sorte, je serai condamnée au feu comme une adultère, et mon fils sera illégitime.

David, ayant ouï ces choses, se leva et dit : Je jure de la part de Dieu que Salomon régnera après moi. Et il commanda à ses serviteurs qu’ils élevassent Salomon au trône de son royaume, et qu’on ne publiât roi que celui que David avait élu ; lesquels, accomplissant le commandement de leur seigneur, exaltèrent Salomon avec une grande puissance ; et tous ceux qui avaient été de l’avis de son frère, furent chassés et faits serviteurs.

Quelle est cette Bersabée, laquelle sera réputée pour adultère, si ce n’est la foi des païens ? Car il n’y a pour tout un plus pernicieux adultère, que se retirer de Dieu et de la foi droite, et croire quelque autre Dieu que le Créateur de toutes choses ; mais comme une autre Bersabée, quelques Gentils viennent à Dieu, disant d’un cœur humble et contrit : Seigneur, vous nous avez promis qu’à l’avenir nous serions chrétiens : accomplissez donc votre promesse. Si un autre roi, c’est-à dire, une autre foi, est né parmi nous ; si vous vous séparez de nous nous marcherons misérables, et mourrons comme des adultères qui ont pris pour un légitime mari un adultère. Et bien que vous viviez éternellement, vous mourrez pour nous, et nous à vous, puisque, par la grâce, vous vous éloignez de nos cœurs, et nous nous opposons à vous par notre défiance. Partant, accomplissez votre promesse ; confortez notre infirmité et illuminez nos ténèbres, car si vous différez, c’est-à-dire, si vous vous éloignez de nous, nous périrons.

Ayant ouï ces choses, comme un autre David, je les veux élever par ma grâce et miséricorde. Je jure donc par ma Déité, qui est avec mon humanité, et par mon humanité, qui est en mon Esprit, et par mon Esprit, qui est en ma Dette et en mon humanité (et les trois ne sont pas trois dieux, mais un Dieu), que j’accomplirai ma promesse. J’enverrai mes amis afin qu’ils introduisent Salomon, mon fils, c’est-à-dire, les païens, dans l’Église, qui subsiste par les sept sacrements comme par sept arbres, savoir : par le Baptême, la Pénitence, la Confirmation, l’Eucharistie, l’Ordre, le Mariage et l’Extrême-Onction ; et ils se reposeront en mon siège, c’est-à-dire, en la foi droite de la sainte Église. Mais les mauvais chrétiens seront leurs serviteurs ; ils se réjouiront de l’héritage perpétuel et de la douceur que je leur préparerai. Or, ceux-ci gémiront leur misère, qui commencera en ce monde et ne finira pas en l’autre. Partant, ô mes amis ! ne dormons pas, et ne nous fâchons pas quand il est temps de veiller, car une récompense glorieuse suivra nos travaux.

 

 

VI.

 

Paroles du Fils de Dieu en la présence de l’épouse, traitant de quelque roi assis en un champ avec ses amis à la droite et ses ennemis à la gauche ; et en quelle manière Notre-Seigneur est signifié par un tel roi, qui a les chrétiens à la droite et les païens à la gauche ; et comment, ayant rejeté les chrétiens, il envoie des prédicateurs aux païens.

 

LE Fils de Dieu disait : Je suis comme un roi qui est aux champs, à la droite duquel sont ses amis, et à sa gauche ses ennemis, où tous assemblés, une voix de quelqu’un qui criait, vint à la droite, où tous assistaient armés, ayant leurs heaumes liés et leur face tournée vers Notre-Seigneur. Or, cette voix criait ainsi : Tournez- vous à moi et croyez-moi. J’ai de l’or à vous donner. Lesquels, entendant cela, se tournèrent vers lui, et la voix leur dit pour une seconde fois : Si vous voulez voir l’or, déliez vos heaumes, et si vous le désirez posséder, j’attacherai derechef vos heaumes selon ma volonté ; lesquels condescendants, il leur attacha les heaumes ce qui est devant derrière, de sorte qu’ils n’y voyaient pas ; et ainsi criant, il les amenait après lui.

Ces choses étant faites, quelques amis du roi l’annoncèrent à leur seigneur, disant que les hommes étaient méchamment séduits par les ennemis. Le seigneur dit à ses amis : Allez avec eux, et criez ainsi : Déliez vos heaumes, et voyez, car vous êtes déçus. Convertissez-vous à moi, et je vous recevrai en paix,

Or, ils ne le voulurent point ouïr, mais ils s’en moquèrent. Ce que voyant, les serviteurs l’annoncèrent à leur seigneur, qui dit : D’autant donc qu’ils m’ont méprisé, allez-vous-en vite à leur gauche, et dites-leur ces trois choses : La voie qui conduit à la vie vous est toute prête ; la porte est ouverte, et notre seigneur en personne veut vous aller au-devant. Croyez donc que la voie vous est préparée ; espérez fermement et constamment que la porte vous sera ouverte et que ces paroles sont vraies. Allez au-devant du seigneur avec amour, et il vous recevra avec charité, et il vous conduira au repos éternel. Or, entendant les paroles de ceux qui étaient envoyés, ils crurent et furent reçus en paix.

Je suis ce roi, dit Notre-Seigneur, qui ai les chrétiens à ma droite et qui leur ai préparé un bien éternel. Leurs heaumes étaient alors liés, et leurs visages tournés contre moi ; ils ont eu une ferme et parfaite volonté d’accomplir la mienne, d’obéir à mes commandements, et de porter leurs désirs au ciel.

Enfin, la voix du diable, c’est-à-dire, la voix de la superbe, résonna au monde, leur enseignant les richesses du monde et la volupté charnelle, à laquelle ils se convertirent avec affection, et consentirent à leur superbe, pour laquelle alors ils posèrent leurs heaumes, quand ils accomplirent en effet leurs brutales affections, et préférèrent les choses temporelles aux choses spirituelles. Ayant donc posé les heaumes des volontés divines et les armes des vertus, la superbe prévalut tellement en eux, qu’elle les obligea si entièrement qu’ils eussent voulu pécher toujours, et eussent voulu vivre éternellement pour éternellement pécher. Cette superbe les a tellement aveuglés qu’elle leur a mis les yeux derrière la tête. Que sont les trous du heaume, sinon la considération des choses passées et une sage circonspection des choses présentes ? Par le premier trou, ils devraient considérer les récompenses éternelles, et combien elles sont délectables, et combien les supplices futurs sont horribles, et combien sont terribles les jugements de Dieu. Par le deuxième trou, ils devraient considérer ce que Dieu commande et ce que Dieu défend, combien ils s’éloignent des commandements de Dieu, et en quelle manière ils pourraient s’amender. Mais hélas ! les trous sont au derrière de la tête, où on n’y voit rien, car la considération des choses célestes est ensevelie dans l’oubli ; l’amour de Dieu s’est refroidi en eux, et l’amour du monde est si doucement considéré et embrassé, qu’il les conduit où ils veulent, comme une roue bien ointe.

Vraiment, mes amis, voyant qu’ils me déshonorent, considérant la chute des âmes et le domaine du diable, crient à moi tous les jours, par leurs instantes et humbles prières, lesquelles ont pénétré les cieux et percé mes oreilles ; et moi, fléchi par leurs prières, je leur ai envoyé mes prédicateurs ; je leur ai montré des signes et ai multiplié en eux mes grâces. Mais méprisant tout, ils ont ajouté un péché à un autre. Partant, je dirai à mes serviteurs, et en vérité, je l’accomplirai maintenant : Mes serviteurs, allez à ma gauche, c’est-à-dire, vers les païens, qui ont été jusqu’à aujourd’hui en mépris, allez, dis-je, et parlez en ces termes : Le Seigneur du ciel et le Créateur de toutes choses vous fait dire que la voie du ciel est ouverte : ayez volonté d’y entrer avec une foi ferme. La porte du ciel vous est ouverte ; espérez fermement, et vous entrerez. Le roi du ciel et le Seigneur des anges vous veut aller lui-même au-devant, vous donner la paix et perpétuelle bénédiction : allez-lui au-devant, et recevez-le avec la foi qu’il vous a montrée, par laquelle la voie du ciel est préparée. Recevez-le avec espérance, par laquelle vous attendez que vous posséderez le ciel qu’il vous veut donner. Aimez-le de tout votre cœur, et accomplissez par effet cet amour. Entrez à Dieu par les portes du ciel ; les chrétiens qui ne veulent pas entrer par elles et s’en rendent indignes par les œuvres, en seront repoussés. Je vous dis en vérité que j’accomplirai mes paroles, et je n’y manquerai pas. Je vous recevrai pour mes enfants, et je vous serai Père que les chrétiens ont méprisé.

Vous donc, mes amis, qui êtes au monde, marchez sûrement ; criez et annoncez-leur ma volonté, et aidez-les, afin qu’ils puissent accomplir mes volontés. Je serai dans votre cœur et dans votre bouche. Je serai votre conducteur en la vie, et votre conservateur en la mort. Allez sûrement, je ne vous laisserai point. La gloire croît par le labeur, car je pourrais toutes choses en un moment et en une parole, mais je veux que du combat croisse votre couronne, et que de votre courage croisse mon honneur. N’admirez pas ce que je vous dis, car si un homme sage pouvait considérer ceci dans le monde, combien d’âmes descendent tous les jours dans l’enfer, il verrait qu’il y en a plus que du sable dans la mer et que de petits cailloux au rivage, car la justice et l’équité veulent que ceux qui se sont séparés de Dieu soient conjoints avec le diable. Partant, afin que le nombre du diable soit diminué, qu’on voie le péril présent et que mes troupes soient augmentées. Je parle ainsi, afin que, par aventure, s’ils entendent, ils s’amendent.

 

 

VII.

 

Paroles de Jésus-Christ à son épouse, traitant de la manière dont la Divinité est comparée à une couronne. Comment est désigné l’état des clercs et laïques par saint Pierre et saint Paul. Des moyens qu’il faut tenir avec les ennemis, et des conditions qu’il faut avoir avec les soldats de ce siècle.

 

LE Fils de Dieu parlait à son épouse, lui disant : Je suis le roi des couronnes. Ne savez-vous pas pourquoi je suis appelé roi des couronnes ? Certainement, ma Divinité est sans commencement et sans fin. Ma Divinité est comparée à une couronne, d’autant qu’elle est sans commencement et sans fin ; car comme en un royaume, on garde toujours une couronne pour le roi futur, de même ma Divinité était réservée à mon humanité pour en être couronnée. Or, j’ai eu deux domestiques : l’un était clerc et l’autre était laïque ; l’un était Pierre, ayant l’office de clerc, et Paul était comme laïque ; Pierre était lié au mariage ; mais voyant que le mariage ne pouvait s’accorder avec l’office de clerc, et considérant que sa pure intention périclitait en l’incontinence, il se sépara tant seulement de l’usage du mariage, afin qu’il fût uni avec moi plus librement. Mais Paul garda la chasteté, et se conserva pur du lit de noces.

Voici quelle charité j’ai faite au monde avec ces deux : j’ai donné à Pierre les clefs du ciel, de sorte que ce qu’il lie et délie en terre est lié et délié au ciel. J’ai donné à saint Paul cette faveur, qu’il fût semblable à saint Pierre en gloire et en honneur : car connue en terre ils ont été égaux et unis ensemble, de même maintenant au ciel, ils sont conjoints et glorifiés en la gloire perpétuelle. Mais bien que j’aie nommé ces deux expressément, néanmoins, j’entends avec eux les autres qui sont nos amis ; car comme autrefois, en la loi, je parlais à un seul Israël comme à un homme, entendant parler en ce seul mot de tout le peuple d’Israël, de même maintenant, en ces deux, j’entends parler de plusieurs, que j’ai remplis de gloire et d’amour.

Or, le temps allant en avant, les maux ont commencé de se multiplier, et la chair de se rendre infirme et d’être plus que de coutume encline au mal. Partant, à l’un et l’autre état des clercs et laïques, signifiés en Pierre et en Paul, ayant égard à ma miséricorde, j’ai permis aux clercs d’avoir modérément des biens de l’Église pour l’utilité du corps, afin qu’ils en fussent plus fervents et plus fréquents à mon service ; j’ai permis aux laïques le mariage selon les cérémonies de l’Église.

Entre les clercs, il y avait un bon homme qui considérait à part soi ceci : La chair m’entraîne aux perverses volontés, le monde à l’usage pernicieux ; le diable me tend plusieurs embûches pour me faire tomber dans le péché. Partant, afin que je ne sois pas supplanté par la chair et par la volupté, je mettrai un moyen en toutes mes actions : je modérerai ma réfection ; je tempérerai mon sommeil ; je garderai le temps qui est dû au travail et à l’oraison ; je châtierai ma chair par des jeûnes. En deuxième lieu, afin que le monde ne m’arrache de l’amour de Dieu, je veux laisser tout ce qui est du monde, car tout est périssable ; il est plus sûr de suivre en pauvreté Jésus-Christ. En troisième lieu, afin que le diable ne me trompe (car il montre toujours le faux pour le vrai), je me soumets à l’obéissance et au gouvernement d’autrui, et me montrerai disposé à faire tout ce qu’on me commandera. C’est celui-là le premier qui a institué la vie monastique, et qui, persévérant louablement en elle, a laissé aux autres l’exemple vif de sa vie pour le suivre et l’imiter.

L’état des laïques fut bien disposé pour quelque temps. Quelques-uns d’eux cultivaient la terre et étaient fidèles au labourage des champs. Les autres allaient par mer, transportant les marchandises aux autres régions, afin que la nécessité d’une région fût soulagée par la fertilité de l’autre. Quelques autres s’adonnaient aux ouvrages d’art. De ceux-là, quelques-uns étaient défenseurs de mon Église, qui sont maintenant appelés curiaux, qui ont pris les armes pour venger les injures qu’on fait à mon Église et pour combattre ses ennemis. Entre ceux-là, il apparut un bon homme, mon ami, qui considérait à part soi : Je ne cultive pas la terre comme un laboureur ; je ne traverse pas les mers comme un marchand ; je ne m’adonne pas aux ouvrages comme un ouvrier excellent. Qu’est-ce donc que je ferai, ou par quels ouvrages apaiserai-je mon Dieu ? Même, je ne suis pas généreux à défendre l’Église. Mon corps est débile et mou pour souffrir les plaies ; ma main est lâche pour frapper ses ennemis, et mon esprit dégoûté pour considérer les choses célestes. Que faut-il donc faire maintenant ? Certainement, je sais ce que je ferai : je me lèverai, et je m’obligerai, avec serment ferme et stable sous un prince temporel, à défendre la foi de la sainte Église aux dépens de mon sang, à bien faire.

Or, ce mien ami, venant à ce prince, lui dit : Seigneur, je suis un des défenseurs de l’Église ; mon corps est trop lâche pour souffrir des plaies ; mes mains sont trop faibles pour blesser ; mon esprit est inconstant pour la considération des choses bonnes et pour faire de bonnes œuvres ; ma volonté propre me plaît ; mon repos ne me permet pas de résister et de combattre courageusement pour la maison de Dieu. Partant, je m’oblige avec jurement public, sous l’obéissance de la sainte Église et de la vôtre, ô princes ! à la défendre tous les jours de ma vie, afin que si, peut-être, mon esprit et ma volonté sont lâches pour combattre, je sois obligé par jurement de bien agir et opérer. Le prince lui répondit : J’irai avec vous en la maison de Dieu, et serai témoin de votre promesse et de votre jurement.

Or, tous deux venant à l’autel, mon ami, ayant fléchi le genou devant l’autel, dit : Je suis tout faible et infirme en ma chair pour souffrir des blessures ; ma volonté propre m’est trop chère, et ma main est trop lâche pour frapper. C’est pourquoi maintenant, je promets obéissance à mon Dieu, et à vous, qui en êtes chef, m’obligeant avec jurement à défendre l’Église contre ses ennemis et à aider ses amis ; à faire du bien aux veuves, aux orphelins et à ceux qui sont fidèles à Dieu ; à ne faire jamais rien contre l’Église ni contre sa foi. D’ailleurs, je m’oblige à votre correction, s’il advient que j’erre, afin qu’obligé d’obéir, je pèche moins, résiste à ma propre volonté, et avec plus de ferveur et de facilité, je suive la volonté de Dieu et la vôtre ; et que je sache que désormais il me sera d’autant plus damnable, et me rendrai par-dessus les autres d’autant plus contemptible, si, ayant violé vos commandements, je présume d’y contrevenir.

Or, ayant fait cette promesse devant mon autel, le prince, le considérant sagement, lui prépara un habit différent et distinct de celui du monde, en signe qu’il avait renoncé à la propre volonté, et afin qu’il sût qu’il avait un supérieur et qu’il lui devait obéir. Ce prince lui donna aussi en sa main un glaive tranchant, lui disant : Vous taillerez en pièces les ennemis de Dieu et les tuerez. Il mit aussi en ses bras un bouclier, lui disant : Défendez-vous avec ce bouclier des dards des ennemis, et souffrez patiemment les coups, de sorte que votre bouclier soit plutôt mis en pièces avant que vous finissiez.

Ce mien ami promit d’observer et de garder fidèlement ses promesses en la présence de mon clerc, qui l’ouït. Or, ce clerc lui donna mon corps pour force et fermeté, afin que mon ami, m’étant uni par mon corps, ne fût jamais séparé de moi. Tels ont été mon ami Grégoire et plusieurs autres ; tels certes devraient être les chevaliers, qui devraient avoir le nom pour dignité, l’habit pour l’œuvre et pour défense de la foi sainte. Oyez maintenant ce que mes ennemis font contre ce que mes amis ont fait. Enfin, mes amis entraient dans le monastère par crainte discrète et par amour. Mais hélas ! ceux qui sont dans le monastère vont au monde, poussés par la superbe et la cupidité, pour assouvir leur propre volonté et pour satisfaire aux contentements du corps. Ceux qui meurent en une si pernicieuse volonté, la justice veut qu’ils ne goûtent ni n’obtiennent les joies célestes, mais bien, dans l’enfer, les peines et les supplices sans fin. Sachez aussi que ceux qui vivent dans les cloîtres, s’ils sont contraints d’être prélats contre leur volonté, et sont portés seulement par l’amour divin, ne font pas le nombre avec ceux-là. Les chevaliers aussi, qui portaient mes armes et ont été prêts à donner leur vie pour la justice et à répandre leur sang pour la sainte foi, défendant justement les pauvres, humiliaient et déprimaient les mauvais. Mais maintenant, écoutez comment ils me sont contraires s’il leur plaît plus de mourir en la guerre pour la superbe, la cupidité et l’envie, suivant les suggestions diaboliques, que de vivre selon mes commandements pour obtenir la joie éternelle. Donc, récompense sera donnée à tous ceux qui mourront en une telle volonté par le jugement de ma justice rigoureuse, savoir : aux âmes de ceux-là, une éternelle conjonction avec le diable ; mais ceux qui me servent doivent avoir une récompense incorruptible, sans fin, avec les troupes célestes.

Moi, Jésus, qui suis vrai Dieu et vrai homme, un Dieu avec mon Père et mon Saint-Esprit, j’ai dit ces paroles.

 

 

VIII.

 

Paroles de Jésus-Christ : son épouse, par lesquelles il traite de quelque chevalier qui s’était retiré de la vraie milice, c’est-à-dire, de l’humilité, obéissance, patience, foi, etc., allant à la fausse, c’est-à-dire, à la superbe ; et aussi au contraire de l’expérience de la damnation, et de la damnation qu’il a encourue, tant à raison de ses mauvaises volontés que pour ses œuvres méchantes.

 

JE suis le vrai Dieu. Il n’y’a de fait, il n’y a eu, il n’y aura seigneur plus grand que moi, car mon domaine dépend de moi. Partant, je suis le vrai Seigneur, et autre ne doit être ainsi appelé que moi seul, d’autant que toute puissance est de moi.

Je vous ai dit que j’aurais des domestiques, dont l’un entreprit virilement et consomma glorieusement une vie louable, que plusieurs imitèrent et suivirent après, en même vie et en même milice. Qui vous dira maintenant qui est celui-là qui, le premier, s’est retiré de la profession de la milice instituée par mon ami ? Je ne vous dis pas son nom, car vous ne le connaissez pas ; par le nom, je vous montrerai quel il était par son intention et par son affection.

Quelqu’un, voulant être chevalier, s’en vint à mon Église ; à l’entrée, il ouït une voix qui lui disait : Si vous voulez vous enrôler en cette milice, il faut que vous ayez trois choses : 1° Vous devez croire la substance du pain que vous voyez en l’autel, être le vrai Dieu et homme, Créateur du ciel et de la terre. 2° Vous devez vous plus abstenir de votre propre volonté, après avoir péché, qu’auparavant. 3° Vous ne devez vous soucier de l’honneur du monde, et je vous donnerai la délectation divine et l’honneur éternel.

Ce soldat, ayant ouï ces trois choses, et délibérant de les suivre, ouït soudain en son esprit une autre pernicieuse voix qui lui disait trois choses contraires à ce que dessus : Si vous me voulez servir, disait-elle, je vous donnerai trois autres choses : je vous donnerai en possession tout ce que vous voyez ; je vous ferai ouïr tout ce qui plaît aux hommes, et vous ferai obtenir tout ce que vous désirez.

Ce chevalier, oyant ces choses, considéra à part soi : Ce premier seigneur me commande de croire ce que je ne vois pas, me promet ce que je ne sais pas, me défend les plaisirs que je désire et que je vois, et veut que je mette mon espérance en des choses qui sont incertaines en moi. L’autre me promet le monde et l’honneur que je vois, la délectation que je souhaite, ne me défend ni l’ouïe ni la vue des choses délectables. Certainement il vaut mieux suivre le maître que je vois, et jouir de ce qui est sensible ; jouir des choses dont je suis certain, que mettre mes espérances en des choses incertaines.

Cet homme, considérant les choses de la sorte, commença de se retirer de la milice, renonça à sa vraie profession, enfreignit sa promesse, jeta le bouclier de patience devant mes pieds, rejeta de ses mains le glaive par lequel il défendait la foi, et ainsi sortit de mon Église, à qui cette pernicieuse voix avait dit : Si, comme je vous ai dit, vous voulez être à moi, vous devez aller au camp avec toute sorte d’orgueil, et par les places, avec toute sorte de vanité, car comme ce premier maître vous a commandé l’humilité en toutes choses, de même, étant à moi, il n’y doit avoir genre de superbe que vous n’expérimentiez. Et comme lui est entré avec subjection et obéissance, de même ne souffrez point qu’aucun de vous soit supérieur ; ne faites pas la révérence à pas un par esprit d’humilité. Prenez le glaive en main pour répandre le sang de votre prochain et de votre frère, pour posséder ses moyens ; mettez votre bouclier au bras, afin de donner librement votre vie pour l’honneur. Pour la foi qu’il vous recommandait, aimez le temple de votre corps, afin que vous ne vous priviez d’aucune volupté, mais que vous les goûtiez toutes.

Ce misérable attachant à ces choses son intention et sa volonté, son prince lui mit la main en son col en un lieu destiné pour cela, car le lieu, quel qu’il soit, ne nuit à personne, si on a bonne volonté, ni ne profite, si l’intention est mauvaise. Or, ayant profané les paroles qu’on use pour confirmer quelqu’un en sa milice, l’exerçant pour la superbe du monde, misérable qu’il était ! faisant peu de compte de ce qu’il avait été appelé à de plus grandes choses qu’auparavant, parce qu’il était obligé à une vie plus austère de misères quasi infinies, il suivit et accueillit ce chevalier, pour suivre les superbes, et descend plus profondément en enfer, à raison de la profession qu’il fait de la milice.

Mais vous me pouvez demander que plusieurs veulent agrandir au monde et être appelés grands, mais néanmoins, n’y peuvent pas arriver. Ceux-ci ne seront-ils pas punis, à raison de leur mauvaise volonté, comme seront ceux à qui tous les souhaits réussissent ?

À cela je vous réponds : Quiconque a une entière volonté, et fait tout ce qu’il peut, afin d’être élevé aux honneurs du monde et être appelé d’un nom vain, et néanmoins, par un occulte jugement de la Divinité, en est privé, je vous dis pour certain que celui-là sera puni comme celui qui a acquis les honneurs, s’il ne fait pénitence. Voici que de deux hommes connus à plusieurs, je vous en donne un exemple, l’un desquels prêchait selon sa volonté, et obtenait presque tout ce qu’il désirait ; l’autre avait les mêmes ambitions dans le cœur, ou le cœur dans les ambitions, mais il n’a pu en avoir l’accomplissement. Le premier a acquis les honneurs du monde ; il a aimé le temple de son corps avec toute sorte de voluptés ; il dominait comme il voulait, et profitait en tout ce qu’il entreprenait. L’autre lui était semblable en volonté, mais dissemblable en effet ; il a acquis moins d’honneurs, bien qu’il eût cent fois répandu pour cela le sang de son prochain pour assouvir et accomplir ses cupidités. Il a donc fait ce qu’il a pu et a accompli sa volonté selon son désir. Ces deux-ci sont égaux en l’horreur du supplice, et bien qu’ils ne soient pas morts en un même temps et en une même heure, tous deux néanmoins sont en même damnation, car à tous deux a été faite la même voix en la séparation de leur âme d’avec leur corps.

L’âme donc, étant séparée du corps, parlait au corps en ces termes : Dis-moi, où est maintenant la vision délectable de tes yeux, que tu m’avais promise ? Où est la volupté que tu m’as montrée ? Où sont les paroles délectables dont tu me faisais user ?

Le démon fut présent soudain et répondit : Les vues promises, elles ne sont qu’en la poudre ; les paroles, elles ne sont qu’en l’air ; la volupté n’est que fiente et pourriture ; elles ne profitent de rien maintenant.

Alors l’âme s’écria : Hélas ! hélas ! que je suis misérablement déçue ! Je vois trois choses : je vois que celui qui promettait de se donner à moi sous les espèces du pain, est le Roi des rois et le Seigneur des seigneurs. Je vois que ce qu’il a promis est indicible et admirable. Je comprends que l’abstinence qu’il me persuadait est très utile. Après, elle s’écria plus haut, disant : Malheur ! malheur ! que je sois née, malheur ! que ma vie ait été si longue sur la terre, malheur ! d’autant que je dois vivre d’une vie qui est une mort éternelle, sans fin ni relâche. Voilà de combien de misères seront accablés ceux qui, pour une félicité fausse et passagère, auront méprisé leur Dieu. Partant, ô mon épouse, rendez-moi grâces de ce que je vous ai affranchie de tant de misères. Obéissez à mon Esprit et à mes élus.

 

 

IX.

 

Paroles de Jésus-Christ à son épouse, par lesquelles il lui déclare le chapitre précédent ; comme le diable a attaqué ce chevalier susdit, et de l’horrible condamnation que la justice divine en fit.

 

Tour le temps de cette vie n’est quasi qu’une heure devant moi. C’est pourquoi ce que je vous dis maintenant a été de toute éternité en ma présence. Je vous ai dit en premier lieu qu’il y en avait un qui avait commencé la vraie milice, et un autre qui s’en était misérablement retiré, et avait jeté son bouclier devant mes pieds et son glaive à mon côté, quand il enfreignit sa profession sainte et sa promesse. Or, qu’est-ce que signifie le bouclier qu’il a jeté, sinon la foi droite, qu’il devait défendre contre les ennemis de la foi et de son âme ? Quels sont mes pieds, avec lesquels je vais à l’homme, si ce n’est la délectation divine, avec laquelle j’attire à moi les hommes, et ma patience, avec laquelle je les souffre patiemment ? Or, il jeta ce bouclier, lorsqu’entrant dans le temple, il pensait à part soi : Je veux suivre ce Seigneur, qui ne me conseille ni ne me commande aucune abstinence ; qui me donne ce que je désire ; qui me permet d’ouïr ce qui plaît à mes oreilles. C’est ainsi qu’il jeta le bouclier de la foi, quand il aima mieux suivre sa volonté propre que moi, quand il aima plus la créature que le Créateur : car s’il eût eu une foi droite, s’il m’eût cru tout-puissant, juste juge, et celui qui donne la gloire éternelle, il n’eût désiré autre chose que moi, il n’eût craint autre chose que moi. Or, il a jeté ma foi devant mes pieds, quand, ayant méprisé la foi et l’ayant réputée pour néant, il ne cherchait ni mes plaisirs ni ne considérait ma patience. Après, il a jeté son glaive à mon côté. Que marque le glaive, sinon ma crainte, que le vrai soldat doit avoir continuellement en ses mains, c’est-à-dire, en ses œuvres ? Qu’est-ce que signifie mon côté, sinon ma garde et ma protection, sous lesquelles je fomente et défends mes enfants comme une poule défend ses poussins, afin que le diable ne leur nuise et que les périls intolérables ne les accueillent ? Mais lui, il a rejeté le glaive de crainte de Dieu, quand il ne s’est soucié de pécher à ma puissance, ni ne considérait mon amour et ma patience. Or, il l’a rejeté à mon côté, comme s’il disait : Je ne crains point ni ne me soucie de votre protection ; tout cela vient de mon industrie et de mon sang noble et illustre. Il a aussi enfreint la promesse qu’il m’avait faite. Quelle est cette promesse vraie que l’homme est obligé de faire à Dieu, sinon l’œuvre d’amour, afin que tout ce qu’il fera, il le fasse par le mouvement de l’amour de Dieu ? Mais il a violé cette promesse, quand il a converti l’amour de Dieu en l’amour propre, préférant sa volupté aux délectations éternelles. C’est de la sorte qu’il se sépara de moi et sortit du temple de l’humilité, car tous les corps des chrétiens dans lesquels règne l’humilité sont mon temple ; les corps dans lesquels la superbe domine ne sont pas mon temple, mais le temple du diable, qui les conduit, selon sa volonté, aux appétits désordonnés du monde. Or, étant sorti du temple de l’humilité, y ayant rejeté le bouclier de la foi et abandonné le glaive de ma crainte, il monta au champ, enflé et bouffi de superbe ; il s’exerça et s’adonna à toute sorte de voluptés et appétits de sa volonté, méprisant ma crainte, se plongeant de plus en plus dans les abîmes du péché, et s’ensevelissant dans les sales voluptés.

Or, étant arrivé au dernier période de sa vie, quand son âme s’exhalait de son corps, les diables s’emparèrent avec une grande impétuosité, et soudain trois voix résonnèrent de l’enfer contre elle. La première dit : Eh quoi ! N’est ce pas celui-ci qui, se retirant de l’humilité, nous a suivis en toute sorte de superbe ? Et s’il eût pu même nous surpasser en orgueil et en superbe, il l’eût fait librement. L’âme lui répondit : Vraiment, c’est moi. La justice lui répondit : La récompense de votre superbe est que vous tombiez d’un démon en un autre, jusqu’à ce que vous soyez plongée au plus profond abîme de l’enfer. Et comme il n’y a pas de démon qui ignorât sa peine être certaine et le supplice qu’il fallait infliger à cette âme misérable pour toutes ses pensées inutiles et ses mauvaises œuvres, de même il n’y aura aucun supplice dont vous ne subissez la violence.

La deuxième voix criait et disait : N’est-ce pas celui-ci qui s’est séparé de la milice de Dieu, qu’il avait professée, et s’est enrôlé en notre milice ? L’âme répondit : Je suis vraiment celle là. Et la justice dit : Telle sera la source de votre récompense, que tous ceux qui suivront votre malice par leur malice et par leur peine, augmenteront votre peine et rengrégeront votre douleur ; et quand ils viendront où vous êtes, ils vous perceront comme d’une plaie mortelle. Car comme celui qui a une plaie cruelle, si on lui ajoutait plaie sur plaie jusqu’à ce que le corps fût couvert de plaies, serait affligé de douleurs intolérables et s’écrierait : Malheur ! malheur sur moi ! C’est de la sorte qu’une misère attirera sur vous un monde de misères. Votre douleur se renouvellera sur toute autre douleur ; votre peine ne cessera jamais, et votre malheur ne diminuera point.

La troisième voix disait : N’est-ce pas celui-ci qui a vendu le Créateur pour la créature, son amour pour son propre amour ? L’âme répondit : Certainement je le suis. C’est pourquoi, que deux portes lui soient ouvertes : par l’une en toute peine et toute douleur, infligées pour le plus petit péché jusques au plus grand, attendu qu’il a vendu son Créateur pour sa volupté propre. Par la seconde entrent en lui toute sorte de labeurs et confusion, et jamais n’entreront en lui ni consolation ni amour divin, car il s’est aimé au lieu d’aimer son Créateur. Partant, sa peine durera sans fin et vivra sans jamais mourir, d’autant que tous les saints détourneront de lui leur face.

Voilà, ô mon épouse ! combien misérables seront ceux qui me méprisent, et quelles peines et quelles douleurs ils achètent et souffrent pour une petite et passagère volupté.

 

 

X.

 

Paroles de Jésus-Christ à son épouse, avec lesquelles il montre comment est désigné, par le buisson que Moïse vit, le corps de la Vierge Marie ; par Pharaon le diable, et par le peuple d’Israël les chevaliers nouveaux ; et en quelle manière les chevaliers et les nouveaux évêques préparent en ces nouveaux temps des demeures au diable.

 

IL est écrit en la loi de Moïse que Moïse, gardant les troupeaux au désert, voyant le buisson enflammé et qui ne brûlait point, frémit de peur et voila son visage. La voix sortant du buisson lui dit : L’affliction de mon peuple est venue jusqu’à mes oreilles ; j’ai compassion d’eux, d’autant qu’ils sont aggravantés, voire opprimés sous un joug dur et pesant. Je suis cette voix qui crie du buisson et qui parle avec vous. La misère de mon peuple est venue jusqu’à mes oreilles. Quel était-il, mon peuple, sinon Israël ? Par mon peuple, j’entends les chevaliers qui dans le monde ont fait profession de ma milice, qui devraient être à moi, mais ils sont trop affligés par le monde. Qu’est-ce que Pharaon a fait à mon peuple Israël en Égypte ? Certainement trois maux : Le premier, qu’il ne faisait point donner de la paille à ceux qui bâtissaient les maisons pour faire cuire la brique, mais il fallait qu’eux-mêmes, contre toute sorte de droit, en amassassent là où ils pouvaient. Le deuxième, qu’on ne remerciait point de leur labeur les architectes, bien qu’ils eussent fait tout ce qu’on leur avait commandé. Le troisième, ils étaient grandement affligés par les commissaires, s’ils manquaient d’accomplir et parfaire le nombre et la quantité qu’on leur avait commandés. Le peuple a édifié à Pharaon deux villes avec grand travail et peine. Qui est ce Pharaon, si ce n’est le diable, qui afflige mon peuple, c’est-à-dire, les chevaliers qui sont obligés d’être mon peuple ? Je vous dis en vérité que si mes chevaliers eussent persisté et persévéré en la constitution et disposition que mon cher ami leur avait commencées, ils seraient maintenant entre mes chers amis : car comme Abraham, ayant reçu le premier le commandement de la circoncision, et m’obéissant, a été mon très cher ami, et tous ceux qui ont suivi sa foi et ses œuvres ont été participants de sa dilection et de sa gloire, de même les chevaliers, entre les autres Ordres, m’ont principalement plu, d’autant qu’ils m’ont voué ce qu’ils avaient de plus cher, savoir, de répandre leur sang pour l’amour de moi. Par ce vœu, ils m’avaient grandement plu, comme Abraham par sa circoncision. Et ils se purifiaient tous les jours en l’observance de leur profession et réception de la sainte charité. Or, maintenant, les chevaliers sont approuvés par la misérable servitude de Satan, de sorte que le diable, les frappant d’une plaie mortelle, les abîme encore dans les supplices et les douleurs.

Les évêques aussi, comme les enfants d’Israël, édifient deux villes au diable : la première est le labeur du corps, et une sollicitude superflue d’acquérir les choses mondaines ; la deuxième est une inquiétude, une perturbation d’esprit des appétits du monde, qui ne leur donne point de repos ; le labeur est en l’extérieur, et l’inquiétude et l’anxiété sont en l’intérieur, rendant les choses spirituelles onéreuses. Mais comme Pharaon ne donnait point à mon peuple ce qui était nécessaire pour faire les briques ; comme les greniers n’étaient pleins de froment, ni les caves de vin ; comme tout le reste de ce qui était utile leur manquait ; comme avec labeur et peine d’esprit, il s’acquérait lui-même leur vie : de même maintenant le diable fait de ceux-ci : bien qu’ils travaillent de toutes leurs forces, et que de toute leur industrie ils s’adonnent au monde, néanmoins, ils ne peuvent avancer ni profiter en ce qu’ils désirent, ni étancher la soif de leur ardente cupidité. Partant, ils brûlent intérieurement par un feu de douleur, et extérieurement par le labeur, à raison de quoi j’ai grande compassion de leur affliction, et de ce que mes chevaliers et mon peuple bâtissent des demeures au diable, et travaillent incessamment pour cela ; qu’ils ne puissent accomplir leurs désirs, et qu’ils se peinent et s’affligent pour des choses vaines, et qu’ils ne cueillent aucun fruit de bénédiction de leur peine, mais une récompense de confusion éternelle.

Partant, quand Moïse fut envoyé au peuple, Notre-Seigneur lui donna un signe pour une triple raison, d’autant que, premièrement en Égypte, chacun adorait particulièrement son Dieu, et il y avait des dieux innombrables : il était donc nécessaire qu’il y eût un signe, afin qu’ayant manifesté ce signe admirable et la puissance divine, ils adorassent un seul Dieu, et crussent par le signe qu’il était créateur de toutes choses, et qu’on éprouvât que les idoles étaient toutes vaines.

Il était, en deuxième lieu, donné ce signe à Moïse en figure et représentation de mon corps futur. Que signifiait en effet le buisson ardent sans être brûlé, sinon une Vierge faite féconde par l’opération du Saint-Esprit, et qui enfante sans douleur ? Certainement, j’ai pris chair humaine de ce buisson et pris mon humanité de la chair virginale. Semblablement aussi, le serpent de Moïse donné en signe, signifiait mon cœur.

En troisième lieu, il fut donné ce signe à Moïse pour affermir la vérité de ce qui se devait faire et s’accomplir par la figure des signes, afin que la vérité de Dieu fût connue être autant certaine et infaillible qu’on verrait être en leur temps évidemment accomplies les choses que les signes nous présageaient. Or, maintenant, j’envoie mes paroles aux enfants d’Israël et aux chevaliers, auxquels il n’est pas besoin de faire des signes, pour trois raisons : la première, d’autant que maintenant on croit et on adore un seul Dieu, auteur et créateur de toutes choses, connu par les saintes Écritures et par plusieurs signes passés. La deuxième, parce qu’ils n’attendent plus ma naissance, car ils savent que vraiment je suis né et incarné sans corruption, car toute l’Écriture est accomplie.

Certes, on ne doit pas croire une foi meilleure et plus certaine que celle qui a été publiée et prêchée par moi et par mes prédicateurs. Néanmoins, j’ai fait trois choses avec vous, par lesquelles on peut croire : la première, que mes paroles sont vraies et ne sont point contraires à la foi vraie ; la deuxième, d’autant qu’à ma parole, le diable s’est retiré d’un homme obsédé ; la troisième, parce que j’ai donné à un même homme des volontés contraires pour réformer la charité mutuelle. Partant, ne doutez pas de ceux qui croiront en moi, car ceux qui croient en moi croient à mes paroles. À ceux auxquels je délecte, mes paroles délectent : c’est pourquoi il est écrit que Moïse, ayant parlé à Dieu, voilait sa face ; mais vous ne devez point voiler votre face, car de fait, je vous ai ouvert les yeux spirituels, afin que vous voyiez les choses spirituelles ; je vous ai ouvert les oreilles, afin que vous entendiez les choses spirituelles ; enfin, je vous montrerai l’édifice de mon corps, tel qu’il a été en ma passion, après ma passion, et quel après ma résurrection, tel que Magdelène, Pierre et les autres l’ont vu. Vous entendrez aussi ma voix, qui a parlé à Moïse dans le buisson ardent. La même voix vous parle maintenant au fond de votre âme.

 

 

XI.

 

Discours éloquents avec lesquels Jésus-Christ parle à son épouse de la gloire et honneur d’un bon et vrai chevalier comme les juges lui vont merveilleusement au-devant ; et de la manière dont l’auguste Trinité le reçoit bénignement au repos éternel pour un petit labeur.

 

JE vous ai d’abord parlé de la fin et de la peine du chevalier qui s’était retiré de la milice qu’il avait professée ; maintenant, je vous dis et parle par similitude, car autrement, vous ne sauriez comprendre les choses spirituelles, de la gloire et honneur de celui qui a généreusement commencé une vraie milice et l’a consommée plus virilement. Ce mien ami, quand il fut arrivé au dernier période de sa vie et que son âme s’exhalait de son corps, cinq légions d’anges lui furent envoyées au-devant, entre lesquels vinrent des démons innombrables pour voir s’ils trouveraient quelque chose qui leur appartînt, car ils sont pleins de malice et ne s’en départent jamais.

Lors, on entendit dans le ciel des voix mélodieuses qui résonnaient clairement et nettement, disant : Eh quoi ! ô mon Seigneur et Père, n’est-ce pas celui-ci qui s’est lié à vos volontés et les a parfaitement accomplies ?

Lors lui-même répondit : En conscience, je suis vraiment celui-là.

Après, on ouït le concert et accord de trois voix. Une, de la part de la Divinité, disait : Ne vous ai-je pas créé, et ne vous di-je pas donné le corps et l’âme ? Vous êtes mon Fils, et vous avez fait la volonté de mon Père. Venez donc maintenant à votre Créateur tout-puissant et à votre Père très-doux, car à vous est dû l’héritage éternel, attendu que vous êtes Fils. L’héritage du Père vous est dû, d’autant que vous lui avez obéi. Venez donc, ô mon doux enfant, et je vous recevrai avec joie et honneur.

La deuxième était ouïe de la part de l’humanité, disant : Mon Père, venez à votre frère, car je me suis offert pour vous à la guerre ; j’ai répandu mon sang pour l’amour de vous. Venez à moi, car vous avez suivi ma volonté. Venez à moi, car vous avez répandu sang pour sang, donné la vie pour la vie et mort pour mort. Partant, vous qui me suivez en ma vie, venez à ma vie, à ma joie, qui ne finira jamais, car de fait, je confesse que vous êtes mon frère.

La troisième voix était ouïe de la part de l’Esprit, disant qu’il y avait un Dieu et non trois dieux. Venez, disait-elle, ô mon chevalier, qui avez été tellement désireux de moi que j’ai désiré d’habiter et de demeurer avec vous. Vous avez été si généreux à l’extérieur que vous méritez que je vous défendisse. Partant, pour les travaux de votre corps, entrez en repos ; pour les tribulations de votre esprit, entrez dans les consolations ineffables ; pour l’amour de votre charité et pour votre généreux combat, entrez en moi-même, et je demeurerai en vous et vous demeurerez en moi. Venez donc à moi, ô valeureux chevalier, car vous n’avez désiré que moi ; venez, et vous serez rempli de ma divine volonté.

Après, cinq légions d’anges résonnèrent comme cinq voix. La première disait : Allons au-devant de ce généreux soldat, et portons devant lui ses armes, c’est-à-dire, présentons à notre Dieu la foi qu’il a gardée sans chanceler, et l’a défendue de ses ennemis.

La deuxième voix dit : Portons devant lui son bouclier, et montrons à notre Dieu sa patience, car bien qu’elle soit connue à Dieu, néanmoins, elle en sera plus glorieuse par notre témoignage ; car par la patience, non-seulement il a souffert patiemment les adversités, mais par elles, il a rendu grâces à Dieu par les adversités dont il l’a honoré.

La troisième voix dit : Allons au-devant de lui, et présentons devant Dieu son glaive, c’est à-dire, montrons l’obéissance qu’il a rendue également, tant dans les choses douces que dans les choses dures, selon l’état de sa profession.

La quatrième dit : Venez, et montrons son cheval à notre Dieu, c’est-à-dire, le témoignage de son humilité. Car comme le cheval porte le corps de l’homme, de même l’humilité qui pré cédait et suivait toutes ses bonnes œuvres, le portait partout. De fait, la superbe ne l’enflait point, et partant, il allait avec assurance.

La cinquième voix lui dit : Venez, et présentons à notre Dieu son heaume, c’est-à-dire, donnons témoignage de son désir divin, par lequel il soupirait et aspirait à Dieu. Car enfin, il méditait à toute heure et pensait à lui dans son cœur ; il l’avait toujours en sa bouche, toujours en ses œuvres ; et d’ailleurs, il le désirait ardemment par-dessus toutes choses. Pour l’amour de lui, il s’est toujours montré comme mort au monde. Présentons donc ces choses à Notre Seigneur, car ce soldat est digne de jouir, pour son petit travail, d’une félicité éternelle, et de se réjouir avec son Seigneur, qu’il a tant et si souvent désiré.

Avec telles voix et mélodies admirables du cœur des anges, mon ami était porté à la paix et au repos éternel. Ce que voyant, cette âme dit avec une grande jubilation : Heureuse je suis d’avoir été créée ! Heureuse je suis, moi qui me réjouis maintenant, et jouis d’une gloire qui n’aura point de fin !

Voilà en quelle manière mon ami vient à moi, et de quel prix il est récompensé. Et bien que tous n’aient pas répandu leur sang pour l’amour de mon nom, néanmoins, ils seront comblés des mêmes récompenses, s’ils ont la volonté de donner leur vie pour l’amour de moi, quand le temps, l’occasion et la nécessité de la foi s’en offriront. Voyez que de biens apporte la bonne volonté.

 

 

XII.

 

Paroles de Jésus-Christ à son épouse, par lesquelles il traite de sa justice immuable et éternelle. En quelle manière ayant pris l’humanité, cette justice a été illuminée par lui en amour et charité. Comment il exerce pieusement sa miséricorde à l’égard des damnés mêmes, et avertit doucement les chevaliers susdits d’avoir recours à sa miséricorde.

 

Je suis le vrai roi, et aucun n’est digne d’être appelé roi que moi. Car de moi viennent et dépendent tout honneur et toute puissance. Je suis celui qui ai jugé le premier ange, qui tomba à raison de sa superbe, cupidité et envie. Je suis celui qui jugea Adam, Caïn et tout le monde, envoyant le déluge pour les péchés des hommes. Je suis le même qui ai permis que le peuple d’Israël fût emmené en captivité, et l’ai ramené admirablement par des signes prodigieux. En moi était et est toute justice, sans fin ni commencement, ni elle ne diminue par le temps en moi, mais elle demeure toujours vraie, permanente et sans changement. Et bien que maintenant ma justice semble être aucunement douce, et Dieu être maintenant plus patient en ses jugements, cela néanmoins ne porte point de changement à ma justice, qui demeure toujours immuable, mais bien une plus grande manifestation de mon amour.

Certainement, je juge maintenant le monde par la même justice et par la vérité de même jugement que je les jugeai, quand je permis que mon peuple servît les Égyptiens et quand je l’affligeai au désert. Mais avant l’incarnation, ma dilection était cachée en ma justice, comme en une lumière cachée ou comme en une nuée. Mais ayant pris l’humilité, bien que la loi divine fût changée, la justice néanmoins ne se changeait pas, mais elle fut manifestée plus évidemment, et fut illuminée plus abondamment en l’amour par le Fils de Dieu, et cela en trois manières : 1° d’autant que la loi rigoureuse était mitigée par les désobéissants, rebelles et endurcis, et était rendue difficile pour dompter les superbes ; 2° parce que le Fils de Dieu a pâti et est mort ; 3° attendu que le jugement semble être différé plus loin maintenant par la miséricorde qu’auparavant, et être plus doux aux pécheurs qu’il n’était. Certes, la justice semblait être trop rigoureuse et trop sévère en nos premiers parents, quand ils furent effacés de la terre par les eaux d’un déluge universel, et en ceux qui furent occis au désert. La même justice est maintenant avec moi et a été de toute éternité. Maintenant, ma miséricorde et mon amour se manifestent, qui alors raisonnablement et miséricordieusement se cachaient en la justice, bien qu’elle se présentât occultement, d’autant que je n’ai jamais fait justice sans miséricorde, ni n’en fais maintenant, ni même sans pitié.

Or, maintenant, vous me pourriez demander si, en toutes mes justices, j’entremêle ma miséricorde, et comment j’exerce ma miséricorde envers les damnés.

Je réponds à votre demande par un exemple : si quelque juge était assis en son tribunal, et que son frère vînt pour être jugé, à qui le juge dît : Vous êtes mon frère, et moi je suis votre juge ; et bien que je vous aime intimement, néanmoins, je ne puis rien faire contre la justice. Vous voyez toute l’étendue de la justice en votre conscience, et ce qui est dû à vos démérites : il faut donc vous juger conformément à cela, car si on pouvait contrevenir à la justice, franchement je ferais un autre jugement de vos crimes pour l’amour de vous.

Je suis ce juge-là, car l’homme est mon frère, à raison de mon humanité, lequel venant à mon tribunal, sa conscience voit, connaît et discerne ses crimes, les confesse en la manière dont il en doit être jugé. Or, moi, qui suis juste, je réponds à cette âme par une belle comparaison, lui disant : Vous voyez la justice en votre conscience : dites donc ce que vous méritez.

Lors cette âme lui répondit : Ma conscience me juge aux peines pour mes démérites et pour ne vous avoir pas obéi.

Je réponds à cette âme : Moi, votre juge, j’ai reçu toute la peine pour l’amour de vous, et vous ai fait le chemin pour éviter la peine et pour venir à moi. La justice vraiment veut que vous n’entriez en paradis que vous n’ayez satisfait à vos crimes. J’ai souffert en moi-même cette peine, d’autant que vous êtes incapable de les souffrir et d’y satisfaire sans moi. Je vous ai montré par les prophètes tout ce qui devait arriver, et n’ai pas laissé passer un point que je n’aie accompli tout ce que les prophètes avaient prédit de moi. Je vous ai manifesté autant d’amour que je pouvais manifester, afin que vous vous convertissiez à moi. Mais d’autant que vous vous êtes détourné de moi et que vous avez méprisé ma justice, vous êtes digne de mes fureurs. Mais néanmoins, je suis encore si miséricordieux que, s’il était possible de souffrir derechef les mêmes peines que j’ai endurées en la croix, je les souffrirais encore pour l’amour de vous, avant de permettre que vous fussiez jugé à telles peines. Mais ma justice dit : Il est impossible que vous mouriez une autre fois. Ma miséricorde dit : S’il était possible, je mourrais franchement pour l’amour de vous. Voyez donc comment je suis miséricordieux et charitable, même envers les damnés, car tout ce que je fais, je le fais pour manifester mon amour, car dès le commencement, j’ai aimé l’homme, voire même lorsque je semblais être en colère. Mais aucun ne considère mon amour ni ne s’en soucie.

Donc, maintenant, d’autant que je suis juste et miséricordieux, j’avertis ceux qui sont appelés chevaliers, afin qu’ils cherchent ma miséricorde, de peur que ma justice ne les trouve, qui est stable comme une montagne, ardente comme un feu, horrible comme le tonnerre, prompte et rapide comme une flèche poussée par un arc bien tendu. Je les avertis en trois manières : 1° comme un père ses enfants, afin qu’ils retournent à moi, qui suis leur Père et leur Créateur, et je leur donnerai le patrimoine qui leur est dû par droit paternel. Qu’ils retournent donc, car bien qu’ils m’aient méprisé, néanmoins, je les recevrai avec joie et leur irai au-devant avec amour. En deuxième lieu, je les prie comme frères, afin qu’ils se souviennent de mes labeurs et de mes plaies. Qu’ils reviennent, et je les recevrai comme frères. En troisième lieu, je les prie comme Seigneur, afin qu’ils se retirent à leur Seigneur, à qui ils doivent la foi, à qui ils sont obligés par obéissance et engagés par jurement.

Partant, ô soldats ! retournez à moi, votre Père, qui vous ai nourris et élevés avec amour. Considérez que je suis votre frère, qui me suis fait semblable à vous pour l’amour de vous. Retournez à votre Seigneur clément et pieux, car c’est être déloyal et infidèle que de donner la foi à un autre, et de lui rendre l’obéissance que vous me devez. Vous m’avez donné une foi, promettant que vous défendriez mon Église, que vous aideriez aux misérables, et voici que vous secourez mon ennemi et lui obéissez. Vous ôtez mon étendard, et dressez et érigez celui de mon ennemi. Partant, ô chevaliers ! retournez à moi avec une vraie humilité, puisque la superbe vous a retirés de moi. S’il vous semble dur et amer de souffrir quelque chose pour l’amour de moi, considérez ce que j’ai enduré pour l’amour de vous. Je suis allé, pour l’amour de vous, les pieds sanglants à la croix ; j’ai eu les pieds et les mains percés pour l’amour de vous ; je n’ai épargné aucune partie de mon corps pour l’amour de vous ; je n’ai pardonné à aucune. Est-il possible que néanmoins vous méprisiez tout cela, en vous retirant de moi !

Retournez donc, et je vous donnerai trois choses pour vous y aider : la première sera la force contre les ennemis corporels et spirituels ; la deuxième, la magnanimité, que vous ne craindrez autre chose que moi, et que rien ne vous sera plaisant et agréable que travailler pour moi. En troisième lieu, je vous donnerai la sagesse, par laquelle vous concevrez la vraie foi et la volonté divine.

Donc, retournez et soyez constants et généreux, car moi, qui vous en avertis, je suis celui que les anges servent, qui ai affranchi de misères vos parents obéissants, qui ai condamné les rebelles et humilié les superbes. J’ai été le premier au combat et le premier à la passion. Suivez-moi donc, de peur que vous ne vous fondiez et liquéfiiez comme la cire auprès du feu. Pourquoi rescindez-vous et faussez-vous votre promesse ? Pourquoi méprisez-vous le jurement que vous en avez fait ? Eh quoi ! suis-je moins ou plus indigne que votre ami temporel, à qui vous ne faussez pas la foi promise ? Et à moi, qui suis l’auteur et le donateur de la vie et de l’honneur, et le conservateur de la santé, vous me fausser promesse coup à coup ! Partant, ô bons soldats ! rendez-moi votre promesse. Que si vous ne pouvez par effet, rendez-la-moi par désir, car moi, ayant compassion de votre servitude, sous laquelle le diable vous opprime, je recevrai votre volonté pour l’effet. Si vous retournez à moi avec amour, travaillez pour la foi de mon Église ; et moi, comme un père plein de piété et de clémence, je vous irai au-devant et vous donnerai pour salaire cinq sortes de biens : 1° l’honneur éternel ne se retirera jamais de votre ouïe ; 2° la face et la gloire de Dieu seront toujours devant vos yeux ; 3° la louange de Dieu ne sortira jamais de votre bouche ; 4° votre âme jouira de l’accomplissement de tous ses désirs et n’en désirera d’autres ; 5° vous ne serez jamais séparés de Dieu, mais votre joie durera sans fin, et sans fin votre vie sera en joie.

Voyez, ô chevaliers ! quelle sera votre récompense, si vous défendez la foi et si vous travaillez plus pour mon honneur que pour le vôtre. Souvenez-vous, si vous avez de l’esprit, quelle patience s’exerce en votre endroit, et quelles calomnies vous vomissez sur moi, que vous ne voudriez souffrir. Mais bien que je puisse toutes choses et que ma justice crie vengeance contre vous, néanmoins, ma miséricorde, qui est en ma sagesse et bonté, vous par donnera encore. Partant, cherchez ma miséricorde, car je vous donne par amour ce qu’on me devrait demander très-humblement.

 

 

XIII.

 

Il est ici traité des paroles de la puissance de Jésus-Christ à son épouse, contre les chevaliers de ce temps ; de la forme qu’il faut tenir en leur création, et en quelle manière Dieu leur donne la force et l’aide quand il faut agir.

 

JE suis un Dieu avec le Père et le Saint-Esprit, trine en personnes ; l’un n’est pas séparé ni divisé de l’autre, mais le Père est dans le Fils et dans le Saint-Esprit, et le Fils dans le Père et dans le Saint-Esprit, et le Saint-Esprit en tous deux.

Dieu envoya son Verbe à la Vierge Marie par son ange Gabriel ; néanmoins, le même Dieu envoyait et était envoyé de lui-même, et était avec l’ange en Gabriel, et devant Gabriel en la Vierge. Mais la parole étant dite par l’ange, le Verbe a été fait chair en la Vierge.

Je suis ce Verbe qui vous parle. Le Père avec le Saint-Esprit m’a envoyé de soi-même dans le ventre de la Vierge, non pas en telle sorte que les anges aient perdu la vision divine et sa présence ; mais moi, Fils, qui ai été avec le Père et le Saint-Esprit dans le ventre virginal de la Vierge, j’étais le même au ciel avec le Père et le Saint-Esprit en la vision des anges, gouvernant toutes choses et soutenant toutes choses, bien que mon humanité, prise par moi seul, Fils, se soit reposée au ventre virginal de Marie.

Je suis donc en Déité et humanité un seul Dieu. Pour montrer mon amour et pour fortifier la foi sainte, je ne dédaigne pas de parler avec vous. Et bien que mon humanité semble être auprès de vous et vous parler, néanmoins, il est plus vraisemblable que votre âme et votre conscience sont avec moi et en Dieu, car rien ne m’est impossible ni difficile dans le ciel et sur la terre. Certes, je suis comme un roi puissant, qui, venant en quelque ville avec ses armes, remplit et occupe tout : de même ma grâce vous remplit toute et vous fortifie toute. Enfin, je suis en vous intérieurement et extérieurement, et bien que je parle avec vous, je suis pourtant le même en gloire. Quoi me serait difficile à moi, qui, de ma puissance, soutiens toutes choses ; qui, de ma sagesse, dispose de toutes choses, et les surmonte toutes de ma force et vertu ? Je suis donc un Dieu avec le Père et le Saint-Esprit, sans commencement et sans fin, qui, pour le salut des hommes, ai souffert en l’humanité, que j’avais prise sans faire tort à ma Divinité, les peines et la mort. Je suis ressuscité et suis monté au ciel ; et maintenant, je parle avec vous.

Je vous ai parlé ci-dessus de la milice qui me fut autrefois agréable, à raison qu’elle était liée avec moi par le lien d’amour et de charité, car les chevaliers de cette milice s’obligeaient par vœu de donner leur chair pour ma chair, leur sang pour mon sang : c’est pourquoi je les approuvais et les aimais, et les avais liés à moi par un saint lien, et attachés par une sainte société. Mais maintenant, je me plains d’eux, qui sont obligés d’être à moi, et ne sont point à moi, car je suis leur Créateur adorable, leur Rédempteur, leur aide et leur secours. J’ai créé leur corps et leur âme, et tout ce qui est au monde pour leur utilité et profit. Je les ai rachetés par le prix de mon sang ; je leur ai racheté un héritage éternel par ma douloureuse passion. Je les défends contre toutes sortes de dangers ; je leur donne la force pour agir et faire. Mais maintenant, ils me sont en tout contraires ; ils réputent à néant ma passion ; ils négligent mes paroles puissantes et douces, par lesquelles leur âme se devait plaire et repaître ; ils me méprisent, et choisissent à dessein, et d’affection, ils veulent donner leur chair à déchirer pour la louange humaine, vaine et trompeuse, répandre leur sang pour assouvir leur cupidité misérable, et franchement mourir pour des paroles mondaines, diaboliques et vaines. Néanmoins, bien qu’ils me soient si contraires, ma justice et ma miséricorde les attendent. En effet, par la bonté de ma miséricorde, je les conserve, afin qu’ils ne soient tout à fait en la puissance du diable, et par ma justice, je les souffre patiemment. Que s’ils voulaient revenir, je les recevrais joyeusement, et je leur irais au-devant avec contentement.

Dites-lui donc que celui qui veut convertir sa milice en moi peut me plaire en gardant ces formes. Quiconque veut être chevalier doit venir à mon Église, et laisser son cheval et sa suite au cimetière ; car le cheval n’est pas créé pour servir à la superbe de l’homme, mais pour l’utilité de la vie, pour sa défense et pour combattre les ennemis de Dieu. Après, qu’il prenne son manteau, le lien duquel il faut mettre sur le front, afin que, comme le diacre prend l’étole en signe d’obéissance et de patience divines, de même le chevalier prenne le manteau, et mette son lien sur le front, en signe qu’il a professé la milice et l’obéissance, à laquelle il s’est engagé pour la défense de ma croix. Il faut aussi que l’étendard de la puissance séculière le précède, afin qu’il sache qu’il doit obéir à la puissance mondaine, en tout ce qui n’est pas contre Dieu. Or, lui étant entré dans le cimetière, les ecclésiastiques lui vont au-devant avec la bannière de l’Église, en laquelle sont peintes ma passion et mes plaies, en signe qu’il doit défendre l’Église de Dieu et sa foi, et obéir à ses prélats.

Or, quand il entre dans l’église, que l’étendard de la puissance séculière demeure au dehors de l’église, et que le mien aille devant lui, quand il y entre, en signe que la puissance divine va devant la séculière, et qu’il se faut plus soucier des choses spirituelles que des choses temporelles. Mais la messe étant dite jusqu’à l’Agnus Dei, que le plus digne, à savoir, le roi, aille auprès de l’autel et qu’il lui dise : Voulez-vous être chevalier ? S’il répond oui, qu’il ajoute et lui dise : Promettez-vous à Dieu et à moi que vous défendrez la foi de la sainte Église, et d’obéir à ses prélats en tout ce qui est de Dieu ? S’il répond oui, qu’il lui baille l’épée en sa main et qu’il lui dise : Voici que je vous donne l’épée en vos mains, afin que vous n’épargniez pas votre vie pour la foi et pour l’Église de Dieu ; afin que vous opprimiez les ennemis de Dieu et défendiez ses amis. Après, qu’il lui donne le bouclier, et qu’il lui dise : Voici que je vous donne le bouclier, afin que vous vous défendiez contre les ennemis de Dieu ; afin que vous soyez l’aide et l’appui des veuves et des orphelins, et que vous augmentiez l’honneur et la gloire de Dieu. Tout de suite il lui met la main au cou, disant : Voici que vous êtes sujet à l’obéissance et à la puissance : prenez donc garde que vous vous êtes lié par cette profession, que de même vous l’accomplissiez par œuvre et par effet. Enfin qu’il mette son manteau et son lien, pour qu’il se souvienne continuellement du vœu qu’il a fait à Dieu, et qu’il s’est obligé par sa profession, à la face de l’Église, de défendre, avant tous les autres, l’épouse de Dieu, qui est l’Église.

Ces choses étant parachevées et l’Agnus Dei étant dit, que le prêtre qui célèbre la messe lui donne mon corps, afin qu’il défende la foi de mon Église sainte et sacrée. Je serai en lui et il sera en moi. Je lui donnerai les forces et l’enflammerai des feux de mon amour, afin qu’il ne veuille ni ne désire autre que moi, et qu’il ne craigne autre que moi, qui suis son Dieu. Que si, par aventure, il est dans le camp, qu’il s’y enrôle dans la milice pour mon honneur et pour défendre ma foi ; et que si son intention est droite en tout, il profitera et méritera toujours. Enfin, je suis partout par ma puissance, et tous ceux qui ont une bonne et droite intention, me plaisent partout. Je suis la charité même, et aucun ne peut venir à moi, si ce n’est ceux qui ont la charité : c’est pourquoi je n’ai pas commandé, mais conseillé cette milice, car on m’y eût servi par crainte. Mais qui voudra de la sorte s’enrôler en ma milice, me pourra plaire et agréer. Certes, il serait que celui qui s’est retiré de la profession de la milice par la superbe, y retournât par l’humilité.

(On croit que ce chevalier a été le fils de sainte Brigitte.)

 

 

XIV.

 

En quelle manière Notre-Seigneur Jésus-Christ est signifié par un ouvrier, et les paroles de Dieu, par l’or. Comment il faut préférer telles paroles, la charité et la bonne conscience, aux sentiments désordonnés ; et comment les prédicateurs de la parole de Dieu doivent être soigneux, et non paresseux, de vendre cet or, c’est-à-dire, de prêcher la parole de Dieu.

 

JE suis comme un orfèvre, qui, envoyant son serviteur pour vendre son or par le monde, lui dit : Vous devez faire trois choses : 1° vous ne devez bailler mon or à pas un, si ce n’est à ceux qui ont les yeux clairvoyants ; 2° ne le donnez point à ceux qui ont mauvaise conscience ; 3° vendez mon or pour dix talents, le pesant deux fois, car celui qui ne le voudra pas peser deux ou trois fois, n’aura point mon or.

Or, mon ennemi a trois choses contre toi, desquelles tu te dois prendre garde : 1° il te veut rendre fainéant et paresseux à montrer l’esprit et la valeur de mon or ; 2° il veut mélanger quelque chose d’impur en mon or, afin que ceux qui le verront et l’éprouveront, croient que mon or n’est que boue et pourriture ; 3° il met en la bouche de ses amis les moyens de résister à vos desseins et de faire hautement et impudemment dire que mon or n’est pas bon.

Je suis l’ouvrier qui ai fait tout ce qui est au ciel et sur la terre, non avec des marteaux et des instruments, mais avec ma puissance adorable et mon admirable vertu ; et toutes choses ont été, sont et seront en ma présence, car le moindre vermisseau et le moindre grain ne sont pas sans moi ni ne peuvent subsister sans moi, ni chose, quelque petite qu’elle puisse être, ne se peut cacher de ma présence, car toutes choses sont de moi et dépendent de moi.

Néanmoins, entre toutes les choses que j’ai faites, les paroles que j’ai dites de ma bouche sont plus dignes que toutes ces choses susdites, comme l’or est plus éminent que tous les métaux. Partant, mes amis familiers, à qui j’envoie l’or de ma parole par les terres étrangères, doivent faire trois choses : 1° Qu’ils ne communiquent point l’or de ma parole à ceux qui n’ont pas les yeux clairvoyants. Mais vous pourriez me demander : Que veut dire avoir les yeux clairvoyants ? Certes, celui-là voit clairement qui a la sapience divine avec son amour. Mais comment faut-il connaître cela ? Vraiment, cela est manifeste, car celui qui vit comme il sait ; qui se retire de la vanité du siècle et de la curiosité du monde ; qui ne cherche rien avec tant de passion que Dieu ; oui, celui qui vit de la sorte est illuminé et clairvoyant, et c’est à celui-là qu’il faut communiquer et commettre l’or de ma parole divine. Or, celui qui a la science, et non pas l’amour divin, et fait ce qu’il connaît, celui-là est semblable à un aveugle, qui semble avoir les yeux tournés vers Dieu. Mais il n’en est pas ainsi, car il regarde le monde des yeux de son esprit, et tourne le dos à Dieu.

2° Il ne faut pas communiquer l’or de ma parole à celui qui n’a point bonne conscience. Or, qui est celui qui a bonne conscience, sinon celui-là qui dispose les choses périssables pour l’éternité ; qui a l’esprit dans le ciel et le corps sur la terre ; qui pense incessamment à la manière dont il faut sortir de la terre, et comme il sera fidèle à Dieu en toutes ses actions ? C’est à celui-là qu’il faut communiquer et commettre 1’or de ma parole.

3° Il doit avoir mon or vénal pour le poids de dix talents pesés deux fois, ce qui est marqué en la balance en laquelle on ne pèse autre chose que la conscience. Quelle sera la main qui la pèsera, sinon la bonne volonté et l’ardent désir ? Que faut-il peser, sinon les œuvres corporelles et les œuvres spirituelles ? Donc, celui qui voudra acheter mon or, c’est-à-dire, mes paroles, doit examiner sa charité en la balance de sa conscience, et considérer avec une bonne volonté, afin qu’on lui rende dix talents pour ses œuvres, pesées selon ma volonté.

Le premier talent est la vue de l’homme sage et modeste, afin qu’il pense combien de distance il y a de la vue corporelle à la vue spirituelle ; quelle est l’utilité de la vue et beauté corporelle ; quelle honnêteté est en la beauté et l’honneur des anges et des vertus célestes, qui surpassent en éclat les astres du firmament ; quelle douceur et quelle joie d’esprit sont dans les commandements de Dieu ou à l’honorer. Ce talent, savoir, la vue corporelle et spirituelle, qui est dans les commandements de Dieu, dans la chasteté et la pudeur, ne peut se peser avec une balance égale, car la vue spirituelle surpasse de beaucoup la vue corporelle, parce qu’il faut ouvrir les yeux aux nécessités corporelles et spirituelles, et les clore aux choses vaines et légères.

Le deuxième talent est une bonne ouïe. Que l’homme donc considère à quoi profitent les paroles légères et vaines, à quoi les ineptes et excitant le rire : certes, elles ne sont que vanité et un air qui passe, fuit et se perd. Il doit donc ouïr les louanges de Dieu, ses cantiques, et ce que mes saints ont fait et dit. Il doit écouter ce qui est nécessaire au corps et à l’âme pour l’édification de tous deux, car ouïr ceci doit plus peser en la balance que ce qu’on a ouï de vain et de léger. Que cela donc pèse grandement, et que ceci s’évanouisse dès l’instant.

Le troisième talent est le talent de la bouche. Que l’homme pèse dans la balance de sa conscience les paroles d’édification et de modestie ; combien elles sont utiles et honnêtes, et qu’il considère aussi combien sont nuisibles les paroles vaines et oiseuses, afin qu’il laisse les paroles vaines et qu’il aime les bonnes.

Quatrième talent : qu’est autre chose le goût du monde, si ce n’est misère en son commencement, labeur en son progrès, fâcherie et amertume à la fin ? Que l’homme donc pèse diligemment et considère attentivement le goût spirituel avec le temporel, et que le spirituel surpasse le temporel, car le goût spirituel n’a jamais de bornes, n’apporte jamais de dégoût et ne se diminue jamais en soi. Ce goût spirituel commence en cette vie, en la momification fidèle des voluptés, en la prudente et sage disposition et règlement de sa vie, et dure sans fin dans le ciel avec la jouissance et la douceur de Dieu.

Le cinquième talent est l’attouchement. Que l’homme pèse quelle sollicitude et misère il ressent de son corps ; quelle inquiétude du monde ; quelle contrainte du prochain et quelle misère partout. Qu’il considère de quel repos jouissent une âme et un esprit bien morigénés ; quelle douceur de n’être sollicité des choses superflues, et lors, il ressentira partout et en tout une grande consolation. Que celui donc qui voudra bien peser ceci, mette en la balance l’attouchement spirituel et corporel, et fasse en sorte que le poids de l’attouchement des choses spirituelles l’emporte sur celui des choses corporelles. Cet attouchement spirituel prend son commencement, son avancement et ses progrès en la patience de ce qui nous contrarie, en la persévérance des commandements de Dieu, et dure éternellement en la paix et repos. Or, celui qui a plus de poids en la balance de l’attouchement des choses corporelles et mondaines, des joies temporelles que des éternelles, n’est pas digne de toucher mon or ni de jouir de ma joie.

Les œuvres des hommes sont le sixième talent. Que l’homme pèse diligemment en la balance de sa conscience les œuvres spirituelles et corporelles : celles-là conduisent au ciel et celles-ci au monde ; celles-là à la vie éternelle sans supplice, et celles-ci aux tribulations cuisantes avec des supplices horribles. Mais que celui qui désire mon or fasse plus d’œuvres spirituelles en mon amour et dilection, pour mon honneur et gloire, que d’œuvres corporelles, car les spirituelles demeurent, et les corporelles périssent.

Le septième talent est la disposition du temps. L’homme partage le temps, tant pour vaquer aux choses spirituelles, tant pour la nécessité du corps, sans laquelle il ne peut être, ce qui est au nombre des choses spirituelles quand on le fait avec raison, tant pour l’exercice et l’utilité du corps. Et d’autant que l’homme doit rendre compte et raison de son temps et de ses œuvres, il doit faire en sorte que son temps soit si bien disposé et si bien examiné, que le poids des œuvres spirituelles soit plus grand que celui des œuvres corporelles.

Le huitième talent est une égale dispensation des biens temporels que Dieu leur a donnés, de sorte que celui qui est riche en départe aux pauvres avec charité et à proportion de ses richesses. Mais vous pourriez vous enquérir à quoi est tenu et obligé le pauvre qui n’a rien : il doit avoir une bonne volonté de donner. Qu’il pense en soi-même : Si j’avais quelque chose, j’en élargirais franchement aux pauvres ; car cette volonté lui est réputée pour l’effet. Or, si le pauvre a une telle volonté que, s’il était riche comme les autres, et qu’il n’en voulût donner aux pauvres que peu, et encore des choses les plus viles, cette volonté lui sera réputée pour une œuvre fort petite. Donc, que l’homme riche qui a des biens en distribue charitablement, et que celui qui n’en a point ait volonté d’en donner, et cela lui profitera. Or, celui qui entasse plus de choses corporelles que de choses spirituelles, qui me donne un denier, cent au monde, et à soi mille, ne mesure pas bien également, et celui-là est indigne d’avoir mon or, car moi, qui ai donné toutes choses et qui puis les ôter, je mérite la plus grande part. Or, les choses temporelles sont créées, non pour la superfluité de quelques-uns, mais pour l’utilité de tous les hommes.

Le neuvième talent est une diligente considération du temps passé. Que l’homme considère ses actions, quelles elles ont été, en quel nombre, quantité et qualité ; comment et combien dignement elles ont été amendées étant vicieuses ; qu’il voie aussi si ses bonnes œuvres sont moindres que les mauvaises et en plus petit nombre ; qu’il prenne la ferme résolution de s’amender, et qu’il s’excite à une vraie et poignante contrition des fautes et offenses commises. Que s’il fait ceci, en vérité il sera devant Dieu de plus grand prix que tous les péchés n’étaient horribles.

Le dixième talent consiste en la considération et disposition du temps qui est à venir. Si l’homme a une telle intention de ne vouloir rien aimer ni chérir que Dieu et ce qui lui appartient, rien désirer que ce qui plaît à Dieu, de pâtir et souffrir franchement même les peines horribles de l’enfer, si Dieu le voulait ainsi, il aurait un talent très-excellent, et on éviterait facilement par celui-là toutes les rencontres mauvaises, et les choses difficiles nous seraient faciles.

Quiconque donc donnera ces dix talents aura l’or de mes paroles. Mais que ceux qui apportent l’or de mes paroles prennent garde que l’ennemi les en veut empêcher, comme j’ai dit, par trois manières : 1° Il les veut rendre lâches et paresseux. Il y a deux lâchetés : l’une est corporelle, et l’autre spirituelle. La lâcheté corporelle, c’est quand le corps se dégoûte du travail, se fâche de se lever, et n’est point prompt aux exercices divins. La lâcheté spirituelle, c’est quand l’homme spirituel, sentant la douceur et la pureté de mon Esprit et de ma grâce, aime mieux se reposer en cette douceur qu’aller aider les autres, afin qu’ils participent avec lui à la même douceur. Eh quoi ! saint Pierre et saint Paul ne ressentirent-ils pas une grande et indicible douceur de mon Esprit ? Que si la suavité intérieure qu’ils ressentaient m’eût été plus acceptable que la conversion des âmes, ne se fussent-ils pas plutôt cachés dans la terre que d’aller parmi le monde ? Néanmoins, afin de faire les autres participants des douceurs indicibles qu’ils ressentaient, et pour les gagner et les attirer à Dieu, ils aimèrent mieux sortir, pour l’avancement d’autrui et pour leur plus grande gloire, que de demeurer seuls et ne pas consoler les autres des grâces dont Dieu les avait comblés. De même aussi maintenant, mes amis, bien qu’ils voulussent être seuls, et se réjouir des joies qu’ils ressentent, sortent néanmoins afin de rendre les autres participants des suavités et des douceurs dont ils tressaillent. Car comme celui qui foisonne en richesses temporelles ne s’en réjouit pas seulement tout seul, mais aussi les communique aux autres, de même mes grâces et mes faveurs ne doivent pas être cachées, mais doivent être communiquées à tous, afin qu’eux et les autres en soient édifiés. Car il y a trois sortes de personnes que mes amis doivent aider et secourir : les premières sont les damnés, selon la présente justice ; les secondes sont les pécheurs qui tombent et se relèvent ; les troisièmes sont les bons, qui persistent en la bonté. Mais vous pouvez demander : Comment est-ce qu’on peut aider les damnés, puisqu’ils sont indignes de ma grâce et qu’il leur est impossible d’y revenir ? À quoi je veux vous répondre par un exemple.

Si, dans un profond abîme, il y avait des fosses infinies, par lesquelles il faudrait que passât celui qui y tomberait, si quelqu’un bouchait une de ces fosses, celui-là ne descendrait pas aussi bas qu’un autre, si aucune fosse n’était bouchée : il en est de même des damnés ; car bien que, par ma justice, à cause de leur malice, ils doivent être damnés à temps fixe et déterminé, leur supplice néanmoins ne serait pas si dur et si horrible s’ils étaient retenus par quelqu’un des méchancetés qu’ils commettent, et s’ils étaient incités à quelque bien. Voyez combien miséricordieux je suis, même envers les damnés ! Et quand bien ma justice leur voudrait pardonner, ma justice néanmoins et leur malice s’y opposeraient.

En deuxième lieu, ils peuvent aider ceux qui tombent et ceux qui se relèvent, s’ils leur enseignent comment il faut se relever, s’ils les avertissent des dangers de chopper, s’ils leur enseignent les manières d’avancer et de résister à leurs cupidités.

En troisième lieu, ils peuvent profiter aux justes et aux parfaits, car ne les voyons-nous pas tomber ? Oui, vraiment, mais pour leur plus grande gloire et pour la plus grande confusion du diable ; car comme le soldat qui est légèrement frappé à la guerre est plus excité et plus animé contre ses ennemis, il en est de même de mes élus, qui s’excitent et s’encouragent davantage, étant importunés par les tentations diaboliques, aux labeurs spirituels et à l’humilité, et s’efforcent d’autant plus d’acquérir la couronne de gloire.

Que mes paroles donc ne soient pas cachées à mes amis, car ayant ouï parler de mes grâces et de mes faveurs, ils peuvent être excités davantage à la vraie dévotion. Quant au deuxième, que l’ennemi fasse en sorte que mon or ressemble à de la boue, par quelque déception et tromperie, c’est pourquoi quand l’écrivain transcrit quelque chose, il prend deux hommes fidèles, ou bien un d’une bonne conscience, pour examiner ce qui est écrit, ce qu’il communique après à qui il veut, de peur que si, par aventure, cet écrit tombait entre les mains des ennemis, on n’ajoutât quelque chose de faux, dont la parole de vérité pût être dénigrée devant les simples. Quant au troisième, qui est que mon ennemi met en la bouche de ses amis des suggestions pernicieuses, afin de résister à l’or de ma parole, mes amis diront à ceux qui contredisent ces paroles : Dans les paroles qui nous sont montrées, il n’y a quasi que trois mots, car elles enseignent de craindre droitement, d’aimer pieusement, et de désirer sagement les choses célestes.

Examinez ces paroles et voyez-les ; et si vous les trouvez autrement, contredisez-les.

 

 

XV.

 

Des paroles de Jésus-Christ à son épouse, où il parle de la voie du paradis ouverte à son avancement ; de l’ardente charité qu’il nous a manifestée, souffrant, depuis le jour de sa naissance jusqu’au jour de sa mort, tant de peines et de travaux, et le tout, pour l’amour de nous. En quelle manière la voie de l’enfer est large, et celle du paradis étroite.

 

Vous admirez avec étonnement pourquoi je dis et pourquoi je vous ai montré tant de choses. Pensez-vous que ce soit seulement pour votre seule édification ? Certes, je ne l’ai pas fait pour votre seul salut, mais pour enseigner et sauver les autres, car le monde était jadis comme une vaste solitude en laquelle il n’y avait qu’une seule voie, qui conduisait au grand et profond abîme. (Matth. 25.)

Or, dans cet abîme, il y avait deux réceptacles : l’un était si profond qu’il n’avait point de fond, dans lequel celui qui tombait une fois n’en sortait jamais. L’autre n’était pas si profond ni si horrible que le premier, mais quiconque y descendait attendait secours, avait des désirs et quelque dilection, mais ne ressentait pas les misères ; il expérimentait les ténèbres et non les peines. Or, ceux qui étaient en ce second réceptacle criaient tous les jours à quelque très-bonne cité qui leur était contiguë, qui était pleine de toute sorte de biens et de plaisirs. Or, ils criaient hautement, car ils savaient la voie pour aller à cette cité ; mais la solitude était si profonde, la forêt si touffue et si épaisse, qu’ils étaient empêchés d’aller à raison de la diversité et de l’épaisseur ; ils n’avaient pas même la force de se frayer un chemin. Mais ceux qui criaient, criaient en cette sorte : Ô Dieu, venez ; donnez-nous votre secours ; montrez-nous la voie et illuminez-nous, nous qui vous attendons, car il n’y a de salut qu’en vous.

Cette clameur déplorable et entrecoupée montait au ciel, entrait en mes oreilles, et elle m’a attiré à faire miséricorde. Or, étant apaisé par une si grande clameur, je suis venu en cette solitude comme un pèlerin. Mais avant que je commençasse d’aller et de travailler, une voix résonna devant moi et me dit : La cognée est maintenant à l’arbre.

Quelle a été cette voix, sinon celle de saint Jean-Baptiste, qui, étant devant moi envoyé au désert, s’écriait : La cognée est maintenant à l’arbre ? comme s’il disait : Que l’homme soit préparé maintenant, puisque la cognée est préparée, et il est venu, celui qui préparera la voie au ciel, coupant tous les empêchements et obstacles. Or, moi, étant venu, j’ai travaillé dès la pointe du jour jusques au soleil couchant, c’est-à-dire, dès mon incarnation ineffable jusqu’à ma passion et à ma mort odieuse sur la croix. J’ai opéré le salut des hommes, fuyant dès le commencement en cette solitude, à raison qu’Hérode me pourchassait. J’ai été tenté du diable et ai souffert les persécutions des hommes. Après, j’ai souffert et enduré un nombre infini d’opprobres. Je mangeais et je buvais, et j’ai accompli le reste des nécessités de nature sans pécher, pour l’institution de la foi, et pour marquer et manifester que j’avais pris d’une manière ineffable la nature humaine, préparant la voie pour aller à cette cité céleste, et détruisant la contraire, les épines poignantes ont cruellement percé ma tête, et les clous ont douloureusement blessé mes mains, mes pieds et mes mains, mes dents et mes joues ont été frappés cruellement. Or, moi, souffrant tout cela patiemment, je n’ai pas reculé, mais j’ai avancé avec plus de ferveur.

Comme un animal pressé par la faim, voyant que l’homme lui tend la lance, se rue sur cette lance, pour le désir qu’il a de dévorer l’homme ; et plus l’homme enfonce sa lance dans le ventre de l’animal, d’autant plus l’animal se pousse contre la lance pour approcher de l’homme le plus près, jusqu’à ce que ses entrailles, son ventre et son corps soient tout percés, de même moi, j’ai brûlé d’un feu d’amour si grand envers l’âme, que plus l’homme se portait volontairement à me tuer, plus j’étais ardent à pâtir pour le salut des âmes. C’est donc de la sorte que je marche en la solitude de ce monde, en labeur et misère, et ai préparé la joie du ciel, en mon sang et en ma sueur. Certainement, le monde pouvait être appelé à juste raison une solitude, attendu qu’il n’y avait pas une seule vertu, et seulement les vices s’en étaient emparés, et il n’y avait qu’une voie par laquelle tous descendaient en enfer, les damnés à la damnation, les bons allaient seulement aux ténèbres. Exauçant donc miséricordieusement les longs et ardents désirs d’un salut futur, je suis venu comme un pèlerin, pour travailler ; et étant inconnu selon ma puissance et ma Divinité, j’ai préparé et disposé la voie qui conduit au ciel.

Mes amis, voyant cette voie, et considérant mes labeurs et mes peines, et la générosité de mon esprit, m’ont suivi fidèlement et joyeusement un long temps. Mais maintenant, la voix qui criait : Soyez prêts, s’est changée, et ma voie aussi, et derechef, les épines et les broussailles ont crû dans cette solitude, de sorte que personne n’y marche plus.

La voie de l’enfer est ouverte, et plusieurs passent par elle. Toutefois, afin que ma voie ne fût point mise en oubli, un petit nombre de mes amis, atteints et touchés du désir de la patrie céleste, passent encore par ma voie, à guise des oiseaux qui vont de branche en branche et de buisson en buisson, et comme servant par crainte et en cachette. Il semble à tous que c’est un bonheur de passer aussi par la voie du monde. Et parce que ma voie est étroite et celle du monde large, je crie maintenant dans la solitude, c’est-à-dire, dans le monde, à mes amis, afin qu’ils arrachent les épines et les broussailles de la voie qui conduit au ciel, et qu’ils la disposent à ceux qui y marchent ; car il est écrit : Bienheureux sont ceux qui m’ont cru et ne m’ont pas vu ! De même bienheureux ceux qui maintenant croient à mes paroles, et accomplissent par œuvres ce qu’ils croient !

Vraiment, je suis comme une mère qui va au-devant de son fils, qui est errant et vagabond, qui lui donne de la lumière en la voie, afin qu’il voie le chemin ; elle lui va au-devant, poussée par l’amour, abrégeant son chemin, et s’en étant approchée, elle l’embrasse, se congratulant avec lui. J’en fais de même à tous ceux qui reviennent à moi, et j’irai avec amour au-devant de tous mes amis, et j’illuminerai leur esprit et leur âme à la sagesse divine. Je les veux embrasser avec toute sorte de gloire, et avec toutes mes troupes célestes, où il n’y a point de ciel en bas, ni terre, mais la vision divine ; où il n’y a point de viande ou boisson, mais une divine délectation. Or, aux mauvais, la voie de l’enfer est ouverte ; ceux qui entrent dans l’enfer n’en sortent jamais ; ils seront privés de la gloire et de la joie, et seront remplis de misère et d’éternels opprobres. C’est pourquoi je dis ces paroles et vous manifeste mon amour, afin que ceux qui se sont retirés de moi reviennent à moi et me reconnaissent pour leur Créateur, lequel ils ont oublié.

 

 

XVI.

 

Ici Jésus-Christ parle à son épouse. Pourquoi il parle plus à elle qu’à d’autres meilleurs qu’elle. De trois commandements que Jésus-Christ fait à l’épouse. De trois choses défendues, de trois choses permises, et de trois documents très-excellents.

 

PLUSIEURS s’étonnent pourquoi je parle avec vous, et non pas avec les autres, qui sont d’une meilleure vie et m’ont servi plus longtemps que vous. Je leur réponds par un exemple.

Un seigneur avait plusieurs vignes et en plusieurs lieux, et le vin sentait et avait le goût du terroir de chaque vigne. Or, quand le vin fut foulé et coulé, le maître de la vigne en but du médiocre et du plus petit, et point du meilleur. Que si quelques-uns de ceux qui sont présents et assistants lui demandent pourquoi il a fait de la sorte, le maître de la vigne leur dira : Parce que ce vin était alors de son goût et lui semblait le plus doux ; et pourtant, le maître de la vigne ne répand pas le meilleur, ni ne le méprise, mais il le garde à son temps et saison pour lui faire honneur et lui porter de l’utilité, donnant un chacun à son propre temps.

Je vous en ai fait de même. J’ai plusieurs amis dont la vie m’est plus douce que le miel, plus délectable que le vin, et plus luisante devant mes yeux que le soleil. Néanmoins, d’autant qu’il m’a plu de la sorte de vous élire en mon Esprit, non pas parce que vous étiez meilleure, ou que vous leur étiez égale, ou que vous étiez plus digne qu’eux en mérites, mais parce que je l’ai voulu ainsi ; car des insensés, j’en fais des sages ; des pécheurs, j’en fais des justes ; ni parce que je vous ai fait une telle grâce, je ne les méprise pas, mais plutôt je me les réserve pour mon utilité et honneur, selon que ma justice l’exigera. C’est pourquoi humiliez-vous en toutes choses, et ne vous mettez en peine que de vos péchés. Aimez tout le monde, voire même ceux qui vous semblent vous haïr le plus et vous détracter le plus, car ceux-là vous offrent et vous donnent de plus grandes occasions de couronnes. Je vous défends de faire trois choses ; je vous permets de faire trois choses ; je vous conseille de faire trois choses.

D’abord, je vous commande de faire trois choses : la première, de ne rien désirer que Dieu ; en deuxième lieu, de repousser toute sorte de superbe et d’arrogance ; en troisième lieu, de fuir perpétuellement la luxure charnelle. Je vous commande de ne pas faire trois choses : la première, de n’aimer point les paroles vaines et plaisantes ; la deuxième, de ne point chercher les superfluités des viandes et des autres choses ; la troisième, de fuir la légèreté du monde et ses joies. Je vous permets de faire trois choses : la première, de prendre un sommeil modéré pour avoir une bonne complexion ; la deuxième, de veiller tempéramment pour l’exercice du corps ; la troisième, de manger des viandes avec modération pour fortifier et sustenter le corps. Je vous conseille trois choses : la première, le labeur dans les jeûnes et les bonnes œuvres, auxquelles est promis le royaume des cieux ; la deuxième, que vous disposiez bien de tout ce qui redonde à l’honneur et à la gloire de Dieu ; la troisième, je vous conseille de considérer continuellement deux choses en votre cœur. La première, ce que j’ai fait pour vous, souffrant et mourant pour vous. Cette pensée excite l’amour envers Dieu. La deuxième, considérez ma justice et mon horrible jugement, car cela excite à la crainte.

Enfin, ce que je vous commande, ce que je vous mande, ce que je vous conseille et vous permets, c’est que vous obéissiez comme vous êtes tenue de le faire. Je vous commande cela d’autant que je suis votre Dieu. Je vous mande cela, afin que vous le fassiez, car je suis votre Dieu. Je vous permets cela, parce que je suis votre Époux. Je vous conseille cela, attendu que je suis votre ami.

 

 

XVII.

 

Jésus-Christ parle à son épouse de la manière dont la Divinité doit être appelée vraiment vertu ; d’une multitude de déceptions de l’homme suggérées par le diable, et de la multitude des remèdes que Jésus-Christ a donnés pour aider et secourir l’homme.

 

LE Fils de Dieu, parlant à son épouse, lui disait : Croyez-vous fermement que ce que le prêtre tient en ses mains soit le corps du Fils de Dieu ?

Elle répondit : Je crois fermement que, comme le Verbe qui a été envoyé à la Sainte Vierge, a été fait chair et sang dans son ventre, de même maintenant, ce que je vois dans les mains du prêtre, je crois que c’est le vrai Dieu et le vrai homme.

Notre-Seigneur lui répondit : Je suis le même qui parle avec vous, étant en la Divinité de toute éternité, et humanisé dans le temps, au sein de la Sainte Vierge, sans néanmoins perdre ma Divinité. Ma Divinité peut être appelée à bon droit vertu, attendu qu’en elle il y a deux choses : l’une est une puissance très-puissante, de laquelle dépend toute puissance ; l’autre, une sagesse très-sage, de laquelle dérive toute sagesse. Car en ma Divinité, toutes les choses qui subsistent ont été raisonnablement et sagement ordonnées, car il n’y a pas au ciel une des plus petites choses qui n’ait été faite, constituée et prévue par elle ; il n’y a pas un atome en terre ni une petite étincelle en enfer qui ne soient contenus dans les bornes de son ordonnance, et qui se puissent cacher aux yeux de sa providence.

N’admirez que j’ai dit qu’il n’y avait pas au ciel un petit point sans mon su. Enfin, comme le point est la perfection du verbe glosé, de même le Verbe divin est la perfection de toutes choses et est pour l’honneur de toutes choses. Pourquoi pensez-vous qu’il n’y a pas un atome en terre que je ne voie, si ce n’est parce que toutes les choses terrestres sont périssables ; et néanmoins, elles ne sont pas hors de la disposition et ordre de la providence divine, mais elle les sait et les enveloppe. Pourquoi ai-je dit qu’il n’y avait pas une petite étincelle de feu dans l’enfer sans mon su, si ce n’est d’autant que, dans l’enfer, il n’y a qu’envie ? Car comme l’étincelle procède du feu, de même toute malice et envie proviennent des esprits immondes, de sorte qu’eux et leurs fauteurs sont incessamment rongés d’envie, et ne sont point émus d’amour ni de charité. Donc, d’autant qu’en Dieu, il y a une parfaite science et puissance, partant, toutes choses sont si bien rangées que personne ne lui peut résister ni prévaloir ; il ne peut même arriver à elle aucun évènement irraisonnable, mais toutes choses sont faites avec autant de raison qu’il en était convenable à une chacune.

Sachez donc aussi que la Divinité peut véritablement être appelée vertu : il l’a manifestée être très-grande en la création des anges, car il les a créés pour son honneur et pour leur délectation et plaisir, et afin qu’ils l’aimassent et lui obéissent, qu’ils l’aimassent en telle sorte que leur amour ne fût que divin, et qu’ils lui obéissent en tout et partout.

Contre ceci, il y eut deux des anges qui, errants, portèrent leurs volontés directement contre les volontés divines, de sorte que tout ce que Dieu avait en horreur leur était cher, et la vertu leur était odieuse. Et par ce mouvement déréglé, ils méritèrent la chute, non pas que la Divinité les eût inclinés à la chute en les créant, mais eux-mêmes, par l’affection désordonnée et déréglée de leur beauté, ils se causèrent leur chute.

Quand Dieu donc vit qu’en ses troupes célestes, il y avait du déchet à raison de leur faute, Dieu créa l’homme avec le corps et l’âme, et lui donna deux sortes de biens, savoir : la liberté de bien faire et d’omettre le mal ; car puisque plusieurs autres anges ne devaient être créés, il était juste et raisonnable que l’homme eût la liberté de monter, s’il voulait, à la dignité des anges. Dieu donna aussi à l’âme de l’homme deux sortes de biens, savoir : la raison pour discerner les choses contraires des contraires, et les meilleures des très-bonnes, et la force pour persister dans le bien. Mais lorsque le diable vit que Dieu, par son amour, avait communiqué à l’homme de si grands biens, poussé d’envie, il pensa à part soi en cette sorte : Voici que Dieu a fait une chose nouvelle, qui peut monter en notre lieu et dignité, et en combattant, surmonter et posséder ce que nous avons perdu négligemment. Si nous le pouvions supplanter et décevoir, il défaudra en la bataille, et alors, il ne montera point à une si grande dignité. Après, ayant pensé au moyen et au conseil de le tromper, ils le déçurent, et par ma juste permission, ils ont prévalu sur soi.

Mais quand et comment a-t-il été vaincu ? Certes, ce fut lorsqu’il abandonna la vertu, enfreignit mon commandement, et lorsque la promesse du serpent lui porta plus de plaisir que mon obéissance. Donc, à cause de cette rébellion, il ne doit pas être au ciel, car il a méprisé Dieu ; ni en enfer, car l’âme, considérant ce qu’elle avait commis, eut contrition de sa faute.

Partant, Dieu, qui est la puissance même, voyant la misère dont l’homme était assailli, disposa pour lui une prison et un lieu de captivité, afin que là l’homme expérimentât ses misères et ses infirmités, et pleurât sa désobéissance, jusqu’à ce qu’il méritât de monter à la dignité qu’il avait perdue. Le diable, considérant de nouveau cela, voulut tuer l’âme de l’homme par l’ingratitude ; mettant de la fiente en son âme, il obscurcit tellement son esprit, qu’il n’avait amour ni crainte de Dieu, car la justice divine était mise en oubli, et partant, on ne la craignait point ; sa bonté et ses dons étaient oubliés, et partant, il n’était pas aimé. Mais la conscience étant ainsi endurcie et obscurcie, les hommes vivaient misérablement, et plus misérablement ils tombaient. Et bien que l’homme fût ainsi, néanmoins, la vertu et la force divine ne lui manquaient pas ; voire même il leur manifesta sa miséricorde et sa justice : sa miséricorde, quand il manifesta à Adam et à ceux qui étaient bons, qu’au temps déterminé par les arrêts et décrets de la providence divine, ils obtiendraient le secours. Cette promesse excitait en eux la ferveur et l’amour envers Dieu. Il leur manifesta sa justice, savoir : au déluge de Noé, par lequel la crainte de Dieu et l’effroi saisirent les cœurs des hommes.

Après ceci, le diable ne cessa pas d’inquiéter encore l’homme, mais il l’assaillit par deux autres sortes de maux : 1° il lui suggéra la perfidie ; 2° le désespoir : la perfidie, afin que les hommes ne crussent en la ruse du diable par parole divine, et qu’ils rapportassent au destin toutes ces merveilles ; le désespoir, afin qu’ils n’attendissent plus de salut ni de pouvoir acquérir la gloire qu’ils avaient perdue. Contre ces deux maux, le Dieu des vertus ne manqua pas de donner deux remèdes : en effet, contre le désespoir, il donna l’espérance, nommant le nom d’Abraham, promettant de naître de sa semence, et de le ramener à l’héritage perdu, lui et tous ceux qui suivraient sa foi parfaite. D’abondant, il institua des prophètes auxquels il manifesta les manières de sa rédemption, les lieux et le temps de sa passion ; contre la perfidie, Dieu parlait à Moïse, et lui montra sa loi et sa volonté, et accomplissait sa parole par signes et miracles. Ces choses étant accomplies, la malice du diable ne se désista point : mais poussant l’homme à des choses pires, il suggéra à son cœur d’autres choses : la première, de penser que la loi et l’inquiétude de son observance étaient intolérables ; la seconde, qu’il était tout à fait incroyable que Dieu eût voulu mourir d’amour et souffrir par amour. Contre ces deux suggestions, Dieu donna derechef deux autres remèdes : le premier, afin que l’homme ne s’inquiétât point en la rigueur de la loi, il envoie son Fils pour prendre chair humaine dans le ventre virginal de Marie, en laquelle il accomplit tout ce qui était de la loi ; et après, il adoucit lui-même cette loi. Contre le second, Dieu lui manifesta une grande vertu, car le Créateur est mort pour la créature, le juste est affligé pour l’impie, et l’innocent tourmenté, jusqu’au dernier période de sa vie, ainsi qu’il avait été prédit par les prophètes.

La malice du diable ne cessa point encore, mais il s’éleva contre l’homme, lui suggérant deux autres choses : car en premier lieu, il suggéra à son cœur d’avoir mes paroles en dérision, et en second lieu, que mes œuvres fussent mises en oubli. Contre ces deux choses, la puissance divine montra encore deux autres remèdes : le premier, qu’on eût mes paroles en honneur et mes œuvres en imitation. C’est pourquoi Dieu vous a conduit en son esprit et a manifesté par vous sa volonté à ses amis, spécialement à raison de deux choses : la première, afin que la miséricorde divine soit manifestée, par laquelle les hommes, étant ramenés, se souviennent de mon amour et de ma passion ; la seconde, afin qu’on ne néglige pas la justice divine et qu’on craigne la sévérité de ses jugements.

Partant, puisque vous avez appris et savez que ma miséricorde est maintenant venue, manifestez-le au jour, afin que les hommes la recherchent et qu’ils prennent garde à mes terribles jugements. D’ailleurs, dites-leur bien que, quoique mes paroles soient écrites, elles doivent néanmoins être publiées, et de la sorte, venir aux œuvres qu’elles nous recommandent de faire, comme vous le pourrez comprendre par un exemple.

Quand Moïse devait recevoir la loi, la verge était toute prête, et les tables étaient dolées et disposées. Néanmoins, il ne fit point de merveilles avec la verge avant que la nécessité le demandât et que le temps fût venu ; or, lors, les miracles ont été faits et manifestés, et mes paroles ont été déclarées par œuvres. De même la loi nouvelle venant, mon corps croissait et profitait à l’âge partait, et mes paroles étaient écoutées. Néanmoins, bien que mes paroles fussent écoutées, elles n’avaient pas en elles-mêmes la force avant que les œuvres arrivassent, elles n’avaient pas leur complément jusqu’à ce que toutes choses ont été accomplies par ma passion, comme elles avaient été prophétisées. De même en est-il maintenant, car bien que les paroles de mon amour soient écrites et qu’elles doivent être portées au monde, néanmoins, elles ne pouvaient point avoir la force avant qu’elles vinssent à la lumière pleine et parfaite.

 

 

XVIII.

 

De trois merveilles que Jésus-Christ a faites avec son épouse. Comment la vision des anges est intolérable à cause de l’éclat de leur beauté, et celle des diables, à raison de leur laideur. Pourquoi Jésus-Christ a daigné loger cette veuve sainte Brigitte.

 

J’AI fait trois merveilles avec vous, car vous voyez de vos yeux spirituels, vous entendez de vos oreilles spirituelles, vous sentez d’une main corporelle que mon Esprit vit en votre cœur. La vision que vous avez, ne l’appréhendez pas comme elle est, car si vous pouviez voir l’éclat et la beauté spirituelle des anges et des âmes bienheureuses, votre corps ne les pourrait supporter, mais il romprait en deux, comme un vase puant et corrompu, à raison de la joie que l’âme recevrait de cette vision. Si aussi vous voyiez les démons comme ils sont, vous vivriez avec une grande douleur, ou vous mourriez subitement à raison de leur horreur et laideur ; c’est pourquoi vous voyez les choses spirituelles comme corporelles ; vous voyez les anges et les âmes comme des hommes qui ont l’âme et la vie, car les anges vivent par leur esprit. Les démons vous semblent des morts, ou comme des hommes mortels, ou comme des animaux ou autres créatures, car ces animaux ont un esprit mortel ; car leur chair mourant, leur esprit meurt aussi. Or, l’esprit des diables ne meurt point : ils meurent sans fin et vivent sans fin. Or, mes paroles spirituelles vous sont dites et représentées avec similitudes, car votre esprit ne saurait autrement les comprendre ; mais entre toute autre chose, celle-ci est des plus admirables, que vous ressentez que mon Esprit s’émeut en votre cœur.

Lors elle répondit : Ô mon Seigneur et Fils de la Vierge ! comment est-ce que vous daignez loger et visiter une veuve si vile, qui suis pauvre en toute sorte de bonnes œuvres, sans esprit, et consommée en toute sorte de péchés, dans lesquels j’ai croupi longtemps ?

Il lui répondit : J’ai trois choses : 1° Je puis enrichir le pauvre, faire sage l’insensé, et donner un grand esprit et intelligence à ceux qui en ont peu. Je puis aussi renouveler la vieillesse : car comme le phénix, étant arrivé à l’âge décrépit, porte et amasse dans une vallée de petites bûchettes sèches, et entre autres, d’un arbre dont le bois est extérieurement sec de sa nature, et chaud intérieurement, et qui, soudain que la chaleur et les rayons du soleil le touchent, s’enflamme et fait enflammer et brûler toutes les autres bûchettes, de même il vous faut amasser toute sorte de vertus, afin que par elles vous puissiez être rajeunie de la vieillesse du péché ; entre lesquelles vous devez avoir une sorte de bois, qui est chaud intérieurement, et extérieurement sec, c’est-à-dire, un cœur pur intérieurement et sec extérieurement de toute sorte de délectation mondaine, et au-dedans, empli du feu d’amour et de charité, de sorte que vous ne vouliez ni désiriez autre chose que moi. Alors, viendra le feu de mon amour, qui allumera en vous le feu et l’ardeur de toute sorte de vertus, par lesquelles tous vos péchés seront consommés, et desquels vous serez purifiée ; et vous vous renouvellerez comme un oiseau se renouvelle, ayant déposé la peau de la délectation sensuelle.

 

 

XIX.

 

Jésus-Christ enseigne à son épouse la manière dont Dieu parle à ses amis par ses prédicateurs et par les tribulations. Comment Jésus-Christ est désigné par le possesseur des mouches à miel, l’Église par la ruche, et les chrétiens par les mouches ; et en quelle sorte on permet que les mauvais chrétiens vivent entre les bons.

 

Je suis votre Dieu. Mon Esprit vous a introduite en moi pour vous faire ouïr, voir et sentir : ouïr mes paroles, voir des visions et sentir mon Esprit avec joie et dévotion de l’âme. En moi est toute miséricorde avec justice, et justice avec miséricorde. Je suis comme celui qui voit ses amis tomber en la voie où il y a un horrible et formidable chaos, d’où il est impossible de sortir quand on y est tombé une fois. Je parle à mes amis par ceux qui ont l’intelligence de l’Écriture ; je leur parle par les fléaux des angoisses et des tribulations ; je les avertis des dangers dans lesquels ils se vont plonger : mais eux vont au contraire, ne se souciant pas de mes paroles. Mes paroles ne sont quasi qu’une parole, c’est-à-dire, convertir le pécheur à moi ; car ils marchent périlleusement ; car bien que leurs ennemis ne marchent que de jour, néanmoins, ils sont cachés aux ténèbres de l’esprit, et ils ne les voient pas comme ils sont.

Cette mienne parole est méprisée et cette mienne miséricorde est négligée : néanmoins, bien que je sois si miséricordieux que d’avertir les pécheurs, je suis aussi si juste que, quand même tous les anges les attireraient, ils ne seraient pourtant si convertis, si eux-mêmes s’émeuvent leur volonté à la pénitence et au bien. Or, s’ils tournent leur volonté vers moi et consentent à moi avec amour, tous les diables de l’abîme ne sauraient les retenir.

Il y a un vermisseau qui est appelé apis, non à raison de la possession de son seigneur, mais à raison que les mouches rendent à leur roi trois sortes de révérences et prennent de lui trois sortes de vertu : 1° les mouches apportent à leur roi toute la douceur qu’elles peuvent fleureter de toutes les plantes ; 2° elles lui obéissent comme il veut, et soit qu’elles aillent ou qu’elles s’arrêtent, elles sont toujours portées d’amour et d’affection envers leur roi ; 3° elles le suivent, s’unissent à lui et lui obéissent.

Elles ont aussi de leur roi un triple bien : 1° De sa voix, elles savent le temps où il faut sortir et où il faut travailler. 2° Elles ont de lui le régime et mutuelle charité entre elles, car de sa présence, principauté et amour qu’il a envers elles et elles envers lui, toutes sont conjointes ensemble par amour et par charité. Chacune se réjouit de l’avancement de l’autre, et elles s’en congratulent ensemble. 3° Par la charité et la joie qu’elles ont avec leur chef, elles sont fécondes et fructueuses. Car comme les poissons en la mer font leurs œufs en se jouant, lesquels, tombant en la mer, fructifient, de même les abeilles, par leur mutuelle charité, amour et joie qu’elles ont avec leur chef, sont rendues fertiles et fécondes, de l’amour desquelles et de ma vertu procède quelque semence comme morte, qui prend vie de ma bonté. Mais le seigneur, c’est-à-dire, le maître des mouches, est soigneux d’elles ; il en parle à son serviteur, lui disant qu’il lui semble que quelques mouches sont malades et qu’elles ne peuvent voler.

Le serviteur répond : Je n’entends point cette maladie ; mais si cela est ainsi, je demande comment cela se peut savoir.

Le maître répond : Vous pourrez savoir leurs défauts et infirmités par trois signes. Le premier : elles sont invalides et paresseuses à voler, et cela vient de ce qu’elles ont perdu leur roi, duquel elles avaient leur soulas et leur soutien. Le deuxième est d’autant qu’elles sortent à des heures incertaines et hors de saison, et cela, parce qu’elles n’entendent point la voix de leur chef. La troisième, attendu qu’elles n’ont point d’amour à leur ruche : c’est pourquoi, étant rassasiées, elles s’en retournent à leur ruche, sans porter rien dont elles se puissent sustenter à l’avenir. Or, les mouches qui, saines et bien disposées, sont constantes et fortes en leur vol, gardent et observent le temps convenable d’entrer et de sortir, rapportant de la cire pour faire leurs petites logettes, et du miel pour s’en nourrir.

Alors, le serviteur répondit à son maître : Si elles sont donc infirmes, pourquoi souffrez-vous qu’elles vivent encore, puisqu’elles ne profilent de rien ?

Le maître répondit : Je les souffre pour trois raisons, car elles apportent trois commodités, mais non pas de leur vertu. Elles occupent, en premier lieu, leurs ruches, de peur que les chenilles n’y entrent, inquiétant celles qui sont saines et utiles ; en second lieu, afin que les autres soient fructueuses, se roidissant au travail, voyant la malice et négligence des autres ; car les bonnes mouches, voyant les mauvaises ne travailler que pour leur assouvissement, s’excitent d’autant plus d’être auprès de leur roi et de travailler avec plus de ferveur. Elles profitent aussi, en tant qu’elles défendent les bonnes mutuellement, car il y a un vermisseau qui a coutume de manger les mouches, lequel venant, toutes les mouches bonnes et mauvaises s’unissent avec une haine mortelle qu’elles lui portent, pour le combattre et l’abattre tout à fait. Car autrement, si les mouches mauvaises et malades étaient ôtées et que les bonnes fussent seules, bientôt le vermisseau les aurait vaincues ; et c’est pourquoi, dit le maître, je les souffre. Néanmoins, quand l’automne viendra, j’aurai soin des mouches saines ; je les séparerai des mauvaises ; car si on les mettait maintenant dehors, elles mourraient de froid. Que si elles sont dans leur ruche et n’amassent rien, elles périront de faim, puisqu’elles n’ont pas amassé quand elles pouvaient.

Moi, qui suis Seigneur et Créateur de toutes choses et maître des mouches ; moi, de mon intime charité et par le sang que j’ai répandu, j’ai fondé mes ruches, c’est-à-dire, mon Église, en laquelle les chrétiens devaient demeurer et s’assembler par l’unité de la foi. Ces lieux sont leurs cœurs, dans lesquels doit loger la douceur des bonnes pensées et des saintes affections, qui devraient sortir de la considération de mon amour infini à les créer, à les racheter, et à souffrir pour eux, et de ma miséricorde, en les ramenant et les renouvelant dans cette ruche, c’est-à-dire, dans mon Église, en laquelle il y a deux sortes des gens, comme il y a deux espèces de mouches.

Les premiers sont les mauvais chrétiens, qui n’amassent rien pour moi, mais tout pour eux ; qui s’en retournent vides et ignorent leur chef, ayant quelque stimule de quitter ma douceur, et sentent quelques désirs de ma charité.

Mais les bonnes mouches sont les bons chrétiens, qui m’offrent une triple révérence : 1° Ils me tiennent toujours pour leur chef et pour leur Seigneur, me présentant le miel de leur douceur, c’est-à-dire, leurs œuvres de charité, qui me sont très-douces et à eux très-utiles. 2° Leurs volontés dépendent de ma volonté ; leur volonté est conforme à la mienne ; leurs pensées sont liées à ma passion, et les œuvres n’ont autre fin que mon honneur et gloire. 3° Ils me suivent et m’obéissent en tout et en tous lieux, soit dedans, soit dehors, soit en tribulation, soit en joie ; leur cœur est toujours dans mon cœur ; c’est pourquoi ils ont de moi trois vérités : la première, la voix de l’inspiration et de la vertu, le temps convenable et dû, savoir : la nuit au temps de la nuit, et la lumière au temps de lumière ; voire même ils changent la nuit en lumière, c’est-à-dire, la joie du monde en la joie éternelle, et les plaisirs caducs et périssables en l’éternel bonheur et félicité. Ceux-ci sont en tout raisonnables, car ils se servent des choses présentes pour la nécessité, et non pour la volupté ; ils sont constants en l’adversité, sages dans la prospérité, modérés dans le soin de leurs corps, soigneux et circonspects en tout ce qu’il faut. La deuxième : comme les mouches saines ont entre elles une bonne et mutuelle charité, de même les bons chrétiens ont tous un même cœur, uni au mien, aiment leur prochain comme eux-mêmes, et moi sur toutes choses et par-dessus eux-mêmes. En troisième lieu, je les rends fructueux. Qu’est-ce être fructueux, si ce n’est avoir mon Esprit et en être rempli ? Car celui qui n’a point le Saint-Esprit, et qui ne ressent point ses douceurs, est infructueux, tombe, est inutile et va au néant. Or, le Saint-Esprit, Esprit d’amour, enflamme celui dans lequel il demeure par son amour, et lui ouvre et transporte l’esprit. Il extirpe, chasse et ruine la superbe et l’incontinence ; il excite l’esprit à l’honneur de Dieu et au mépris du monde. Les mouches, c’est-à-dire, les âmes infructueuses, ignorent cet Esprit, c’est pourquoi elles fuient l’obéissance et le gouvernement d’autrui, l’utilité et la société charitable. Elles sont vides de toute bonne œuvre ; elles changent les lumières en ténèbres, la consolation en pleurs, la joie en douleurs. Néanmoins, je souffre qu’elles vivent, à raison de trois choses.

1° De peur que les infidèles n’entrent en leur place, car si les méchants hommes étaient ôtés tous ensemble, il en demeurerait pur, car les bons sont en petit nombre, à cause de quoi les infidèles et les païens, qui sont en grand nombre, les surmonteraient bientôt et molesteraient les bons habitants avec eux.

2° Je les souffre pour la probation des bons, car la malice des méchants éprouve la constance des bons ; car en l’adversité, on voit combien la patience d’un chacun est grande, et en prospérité, on connaît combien on est constant et modéré. Mais d’autant que les justes pèchent souvent et que les vertus les élèvent, c’est pourquoi je permets que les mauvais vivent avec les bons, de peur que les bons ne se réjouissent par trop et se rendent paresseux, et afin qu’ils aient toujours les yeux vers Dieu, car là où le combat est petit, la récompense est petite.

3° Je les patiente pour le secours même des bons, de peur que les païens et les infidèles ne nuisent aux bons, mais les craignent d’autant plus qu’il semble y en avoir un grand nombre. Et comme les bons résistent aux mauvais, poussés et émus de l’amour et de la justice divine, de même les mauvais résistent aux bons pour défendre leur vie et pour penser éviter la fureur d’un Dieu tout-puissant ; et de la sorte, les bons et les mauvais s’aident entre eux, et les mauvais sont supportés pour l’amour des bons, et les bons sont couronnés plus éminemment, à raison de la méchanceté des mauvais.

Les gardiens de ces mouches sont les prélats et princes vigilants de la terre, soit bons, soit mauvais. Je parle pourtant aux bons gardiens, lesquels, moi, Dieu, leur protecteur et gardien, je les avertis de garder mes mouches. Qu’ils considèrent leur entrée et sortie ; qu’ils voient si elles sont infirmes ou saines. Que s’ils ne les savent connaître, je leur marque trois signes par le moyen desquels ils discerneront si les mouches sont inutiles, paresseuses ou lâches à voler en leur saison, et vides à apporter la douceur des fleurs. Ceux-là sont lâches à voler qui ont plus de soin des choses temporelles que des choses éternelles ; qui craignent plus la mort corporelle que la mort spirituelle ; qui parlent de cette sorte à part soi : Pourquoi prendrais-je de l’inquiétude, puisque je puis être en repos ? Pour quoi me ferais-je mourir, puisque je puis vivre ? Misérables ! ils ne considèrent pas que moi, roi tout-puissant, ai embrassé les misères et les infirmités qui n’étaient point péché. Je suis aussi très paisible, voire je suis la vraie paix, et néanmoins, j’ai pris pour l’amour d’eux les inquiétudes, dont je les ai affranchis par ma mort. Mais eux sont grandement indisposés en ce temps, puisque leurs affections cherchent les choses terrestres ; leurs paroles ne sont que bouffonneries, leurs œuvres que leur propre intérêt, et leur temps se passe selon les désirs de leur corps et de leurs sentiments. Or ceux-là n’ont point d’amour à leur ruche, qui est l’Église, ni n’amassent de la douceur, car ils ne font point de bonnes œuvres par amour, mais seulement par la crainte du supplice. Et bien qu’ils aient quelques bonnes œuvres pieuses, ils ne laissent pas pourtant leur propre volonté ; ils veulent avoir Dieu en telle sorte qu’ils ne laissent jamais le monde, et ne veulent souffrir ni privations ni troubles. Ceux-ci s’encourent à la maison, ne portant que fiente en leurs pieds ; ils volent, mais non pas par les ailes de la véritable et raisonnable charité.

Partant, quand l’automne viendra, c’est-à-dire, le temps de séparation, les mouches inutiles seront séparées des bonnes, qui, pour leur amour-propre, seront éternellement tourmentées d’une faim perpétuelle et enragée. Pour le mépris qu’elles ont eu de Dieu et le dégoût qu’elles ont ressenti du bien, elles seront affligées d’un froid excessif, sans jamais mourir. Néanmoins, mes amis se doivent donner de garde de la malice des mauvaises mouches : 1° afin que leur puanteur ne vienne à leurs oreilles, car elle est vénéneuse et pestifère ; car le miel étant ôté, elles sont sans douceur, au lieu de laquelle abonde une amertume mortifère ; 2° qu’ils se gardent la prunelle de leurs yeux et leurs ailes, car elles sont aiguës comme des aiguilles ; 3° qu’ils gardent leurs corps, et qu’ils ne l’exposent pas à elles tout nu, car elles ont de poignants aiguillons avec lesquels elles percent cruellement.

Qu’est-ce que tout ceci signifie ? Les sages le savent expliquer, qui considèrent leurs mœurs et leurs affections. Or, ceux qui ne le savent expliquer, qu’ils craignent le danger, qu’ils fuient leur compagnie et qu’ils ne suivent leur exemple, autrement ils apprendront à leur dommage et expérimenteront ce qu’ils n’ont pas voulu savoir en écoutant.

Après, la Sainte Vierge Marie parlait, disant : Béni soyez-vous, mon Fils, qui êtes, qui avez été et qui serez éternellement ! Votre miséricorde est douce et votre justice est grande. Il me semble, mon Fils, parlant par comparaison, que la miséricorde ressemble à une nuée qui monte au ciel avec vous, et qu’un air léger va au-devant de la justice. Or, la nuée apparaissait comme quelque chose d’obscur et de ténébreux, mais qui était hors de la maison, et qui ressentait la douceur de l’air ; il éleva les yeux, et vit l’obscurité épaisse de l’air ; et la considérant, il dit en soi-même : L’obscurité de cette nuée me semble présager la pluie ; et soudain, suivant son conseil, il se retira à couvert. Mais les autres, qui étaient aveugles, ou qui peut-être ne s’en souciaient point, faisant peu d’état de la légèreté variable de l’air, ni ne craignant l’obscurité de la nuée, expérimentèrent ce que ces nuées signifiaient. Ces nuées, croissant par tout le ciel, vinrent fondre comme un torrent impétueux avec tonnerres horribles et épouvantables feux, de sorte qu’ils perdirent la vie d’effroi et de crainte. Après, toutes choses de l’homme, tant intérieures qu’extérieures, seront consommées par le feu, de sorte que rien n’y demeurera.

Cette nuée, ô mon Fils ! c’est vos paroles, qui semblent obscures et incroyables à plusieurs, d’autant qu’elles n’ont pas été ouïes souvent, ni administrées aux ignorants, ni déclarées par signes. Ma demande précède ces paroles, et votre miséricorde va au-devant d’elles, avec laquelle vous pardonnez à tout le monde, et les alléchez à vous comme une mère attire ses enfants. Cette miséricorde est douce en patience et souffrance, comme l’air est chaud en amour, car vous attirez comme le feu à se servir de votre miséricorde ceux qui vous provoquent à colère et indignation, et présentez chose admirable à ceux qui méprisent votre piété et votre clémence.

Donc, que tous ceux qui entendront ces paroles élèvent les veux, et ils verront en leur intelligence d’où procèdent mes paroles. Qu’ils s’enquièrent si mes paroles publient la miséricorde et l’humilité ; qu’ils soient attentifs si elles prêchent les choses présentes ou futures, la vérité ou la fausseté. Que s’ils les trouvent vraies, qu’ils s’enfuient du mal et se retirent à l’humilité avec l’amour divin, car quand la fureur de la justice viendra, alors l’âme sera séparée du corps de crainte et d’effroi. Le feu enveloppera l’âme qui n’a pas bien vécu, et la brûlera intérieurement et extérieurement sans la consommer. Partant, moi qui suis Reine de miséricorde, je crie aux mondains afin qu’ils élèvent leurs yeux et qu’ils voient ma miséricorde. Je vous avertis et vous prie comme Mère, et vous conseille comme Dame et Maîtresse, car quand la justice viendra en sa fureur, il sera impossible de résister. Croyez donc fermement ; regardez et éprouvez en vos consciences cette vérité ; changez vos volontés, car alors, celui qui montrera les paroles de charité montrera aussi les œuvres et les signes d’amour.

Après, le Fils de Dieu me parlait, disant : Je vous ai montré ci-dessus que les mouches retiraient trois sortes de biens de leur malice. Je vous dis maintenant que telles mouches devraient être de ceux qui portent la croix 5, que j’ai mis aux fins du monde. Or, eux, maintenant, combattent contre moi, car ils ne se soucient point du salut des âmes, n’ont point de compassion ni ne travaillent point à convertir les dévoyés à la foi catholique, et à les tirer de l’erreur dans laquelle ils sont plongés, car ils les oppriment de labeurs, les privent de leur liberté, ne les instruisent point en la foi, les frustrent des sacrements, et avec une plus grande douleur, les envoient dans l’enfer comme s’ils étaient encore en leur paganisme. Ils ne combattent point non plus, si ce n’est pour dilater les branches de leur insupportable superbe et augmenter leur insatiable cupidité.

C’est pourquoi le temps viendra qu’on leur cassera les dents ; on leur coupera la main droite, et on arrachera les nerfs de leur pied droit, afin qu’ils vivent et qu’ils connaissent l’état de leurs misères.

 

 

XX.

 

Dieu se plaint de trois choses qui se passent maintenant dans le monde. En quelle manière Dieu a choisi dès le commencement trois états : le clergé, la noblesse et le laboureur. De la peine préparée aux ingrats, et de la gloire gratuitement donnée aux hommes.

 

ON voyait une belle et grande compagnie céleste, à laquelle Notre-Seigneur parlait en ces termes : Bien que vous voyiez et sachiez en moi toutes choses, néanmoins, je me plains de trois choses devant vous : 1° de ce que ces lieux si agréables sont vides au ciel, desquels les mouches inutiles sont déchues ; 2° de ce que l’abîme insatiable de l’enfer, à qui les pierres ni les arbres ne touchent, est toujours ouvert, dans lequel les âmes tombent comme la neige sur terre. Et comme la neige se résout en eau en présence des rayons du soleil, de même les âmes sont privées de toute sorte de biens, accablées et opprimées de toute sorte de maux. 3° Je me plains de ce qu’il y a si peu d’âmes qui considèrent attentivement ces places vides, d’où les anges ont prévariqué et d’où est venue la chute des âmes. C’est pourquoi je m’en plains avec raison, car j’ai élu dès le commencement trois hommes, par lesquels j’entends trois états dans le monde. En premier lieu, j’ai élu le clergé, afin qu’il publiât à tous par sa voix qu’il fallait faire ma volonté, et qu’il montrât cela même par la fidélité des œuvres. En second lieu, j’ai choisi un défenseur, qui défendît mes amis aux dépens de sa vie, et fût disposé à répandre son sang pour l’amour de moi en tout et partout. En troisième lieu, j’ai choisi le roturier, afin qu’il labourât la terre de ses mains, et qu’il repût les corps par son labeur.

Le premier état, qui est le clergé, est maintenant lépreux et muet, car tous ceux qui recherchent l’éclat et la beauté des mœurs, et l’ornement des vertus en lui, s’en retournent mal édifiés ; ils se troublent de l’avoir vu et ont horreur de s’en approcher, à raison de la laideur et horreur de la lèpre de superbe insupportable et d’insatiable cupidité. D’abord, s’ils désirent l’ouïr, ils le trouvent muet pour chanter mes louanges, et babillard à se louer soi-même. Comment donc ouvrira-t-on alors la voie et les chemins pour s’approcher de si grandes suavités, si celui qui devrait procéder est débile ? et si celui que devrait crier est muet, comment entendra-t-on les raisonnables et douces mélodies du ciel ?

Le deuxième état, qui est le défenseur du peuple, tremble ; son cœur est lâche et vide de vertu, n’a rien en la main, et a toujours peur de perdre l’honneur mondain. Il n’a rien en ses mains, d’autant qu’il ne fait aucune œuvre divine, mais tout ce qu’il fait est pour le monde. Qui défendra donc mon peuple, si celui qui en est le chef tremble d’effroi ?

Le troisième est comme un âne qui abaisse la tête contre terre, et demeure sans rien faire, joignant les quatre pieds. Vraiment, ce peuple est comme un âne, qui ne désire que les choses terrestres, qui néglige les choses célestes et se lie aux choses périssables. Celui-là a comme quatre pieds, de qui la foi est petite, l’espérance vide, qui ne fait point de bonnes œuvres, et dont la volonté est plongée dans le péché. De là vient qu’ils ont toujours la bouche ouverte à la gourmandise et à la cupidité. Voici, ô mes amis ! comment est-ce qu’on peut, par telles personnes, amoindrir cet insatiable abîme, et comment le paradis pourra être rempli.

Lors, la Sainte Vierge répondit : Béni soyez-vous, mon Fils ! Votre plainte est juste. Moi ni vos amis n’avons point d’excuse pour défendre le genre humain, si ce n’est une parole que nous vous voulions dire, par laquelle le genre humain pourra être sauvé. Cette parole est : Miséricorde, ô Jésus-Christ, Fils de Dieu ! C’est ce que je vous demande, c’est de quoi vos amis vous supplient.

Le Fils répondit : Vos paroles sont douces à mes oreilles, suaves à ma bouche, et entrent avec amour dans mon cœur. J’ai un clerc, un défenseur et un paysan. Le premier m’est agréable comme une épouse, que l’époux très-doux et courtois désire amoureusement de tout son cœur. La voix de celui-ci me sera comme la voix qui résonne mélodieusement dans les bois. Le deuxième sera prêt et disposé à donner sa vie pour l’amour de moi, et ne craindra point l’opprobre du monde ; j’armerai celui-là des armes du Saint-Esprit. Le troisième aura une foi si ferme qu’il parlera en ces termes : Je crois aussi fermement comme si je voyais ce que je crois. J’espère aussi toutes choses que Dieu a promises ; il aura la volonté de bien faire, de profiter au bien, et d’omettre toute sorte de maux.

Je mettrai en la bouche du clerc trois paroles : 1° il dira à celui qui a la foi, qu’il fasse par œuvres ce qu’il croit ; 2° à celui qui espère fermement, qu’il soit établi en toute sorte de biens ; 3° à qui aime parfaitement et amoureusement, qu’il désire voir avec ferveur ce qu’il aime.

Le défenseur, qui est le noble, sera comme un lion fort au travail, industrieux pour découvrir les embûches, et constant en la persévérance.

Le troisième sera sage comme un serpent, qui demeurera sur sa queue et élèvera sa tête au ciel. Ceux-ci accompliront ma volonté et d’autres les suivront ; et bien que je n’en nomme que trois, néanmoins, j’entends plusieurs.

Après il parlait à son épouse très-aimée, disant : Demeurez stable et constante ; ne vous souciez point du monde ni des opprobres, car je suis votre Dieu et Seigneur, qui ai ouï et enduré toute sorte d’opprobres.

 

 

XXI.

 

La glorieuse Vierge Marie parle à sa fille sainte Brigitte de la manière dont il fallut tirer Notre-Seigneur de la croix ; de l’amertume et douceur en la passion de son Fils. Comment l’âme est désignée par la Vierge, et l’amour de Dieu et du monde, par deux jouvenceaux. Des conditions qu’une âme doit avoir comme une vierge.

 

Ma fille, disait la Sainte Vierge Marie, vous devez penser à cinq choses : 1° Tous les membres de mon Fils se refroidirent à la mort, et le sang se congela en eux. 2° Sa passion fut si amère, qu’étant pressé dans son cœur, et percé si immiséricordieusement, que celui qui lui donna le coup de lime ne s’arrêta que quand il eut atteint les côtes de l’autre côté. 3° Méditez, et pensez en quelle manière il fut descendu de la croix. Ces deux qui l’ôtaient et le descendaient de la croix, appliquaient trois échelles : l’une aux pieds, la deuxième au bras, la troisième au corps. Le premier monta et le tenait au milieu. Le deuxième, montant par l’autre échelle, arracha un des clous de la main ; après, ayant appliqué son échelle de l’autre part, il arracha l’autre clou de sa main, ces clous qui passaient outre la croix. Celui donc qui soutenait le corps descendait peu à peu, comme il pouvait, pendant que l’autre montait à l’échelle des pieds, et arracha les clous des pieds ; et s’approchant de la terre, un d’eux soutint le corps par la tête.

Or, moi, qui étais sa Mère, je le tenais par le milieu ; et ainsi nous trois, Notre-Dame, Joseph et Nicodème, le portâmes à une pierre que j’avais couverte d’un linge blanc et net, dans lequel nous enveloppâmes le corps ; mais je ne cousis point le linceul : je savais certainement qu’il ne pourrirait point dans la sépulture.

Après, la Marie-Magdelène et les autres saintes femmes vinrent à nous voir ; même les anges y furent un nombre innombrable, faisant service à leur Créateur. Or, quelle fut alors ma tristesse ? Il n’y en a pas un qui le puisse dire, car j’étais comme une femme qui enfante, de laquelle tous les membres tremblent après l’enfantement ; laquelle, bien qu’à peine elle puisse respirer à raison de la douleur, néanmoins se réjouit intérieurement autant qu’elle peut, sachant que l’enfant qui lui est né ne se trouvera jamais en semblable misère : de même, bien que je fusse extrêmement triste à raison de la mort de mon Fils, néanmoins, je me réjouissais, d’autant que je savais que mon Fils ne mourrait jamais plus, mais qu’il vivrait éternellement, et de la sorte, ma tristesse était mélangée de joie. Vraiment je puis dire que, mon Fils étant enseveli, deux cœurs furent dans un sépulcre. Eh quoi ! ne dit-on pas que la où est votre trésor là est votre cœur ? De même mon cœur et ma pensée étaient toujours dans le sépulcre de mon Fils, mon trésor et mon cœur.

Après, la Sainte Vierge Marie ajouta : Je vous parlerai de ceci par manière d’exemple : comment et en quelle posture il avait été mis, et en quelle manière il est maintenant posé. Représentez-vous une vierge épousée à quelqu’un, et que devant elle fussent deux jouvenceaux, l’un desquels, appelé par la vierge, lui dît : Je vous conseille de ne vous arrêter point à celui que vous avez épousé, car il est rude en ses œuvres, tardif en récompenses, avare en présents. Croyez donc à mes paroles, et je vous en montrerai un autre qui n’est pas rude, mais doux, et en tout, qui vous donnera soudain ce que vous désirerez, qui vous le donnera abondamment, et satisfera amoureusement à tous vos désirs.

La vierge, ayant ouï cela, pensa soudain en elle-même et dit : Vos paroles sont douces à ouïr ; vous êtes grandement attrayant et beau pour allécher et ravir mon cœur. Il me semble que je dois suivre votre conseil.

Et pendant qu’elle ôtait l’anneau de son doigt pour le donner à ce jouvenceau, elle vit au-dessus un écrit contenant ces trois paroles : la première était : Quand vous serez arrivée à la cime de l’arbre, donnez-vous garde de prendre une branche sèche pour vous y soutenir, de peur de tomber. La deuxième : Donnez-vous garde de prendre conseil de vos ennemis. La troisième : Ne mettez point votre cœur entre les dents des lions.

Or, la vierge, considérant ceci, retira la main et retint l’anneau, pensant que peut-être ces trois choses lui marquaient que celui qui la désirait prendre en épouse n’était pas fidèle. Il me semble que c’est un flatteur qui est plein de haines et qui me tuera.

Et pensant à cela, derechef elle leva les yeux et vit une autre écriture qui contenait aussi trois paroles : la première était : Donnez à celui qui vous a donné. La deuxième : Donnez sang pour sang. La troisième : N’aliénez pas au possesseur ce qui lui appartient.

Ayant vu et considéré ces choses, elle pensa derechef en elle-même que les trois premiers mots lui enseignent comment elle doit fuir la mort ; les trois suivants, comment elle peut obtenir la vie. Il est donc juste de suivre plutôt les paroles de vie. Lors, cette vierge, se servant du sage conseil, appela à elle son serviteur, qu’elle avait auparavant épousé, et s’approchant d’elle, le cajoleur et trompeur se retira d’eux.

Telle est l’âme de celle qui a épousé. Dieu. Ces deux jouvenceaux, qui étaient devant elle, sont l’amour de Dieu et l’amour du monde, car les amis du monde s’approchaient plus près d’elle jusqu’à maintenant, et lui parlaient des richesses, vanités et honneurs du monde, à quoi elle eût consenti et leur eût donné l’anneau de ses affections. Mais par la grâce de mon Fils survenant en ce fait, l’âme a vu l’écriture, c’est-à-dire, elle a ouï les paroles de miséricorde dans lesquelles elle a vu trois choses : 1° qu’elle se donnât de garde que, voulant monter plus haut, et s’appuyant aux choses périssables, une chute plus grande ne l’attendît. 2° Elle entendit qu’il n’y avait rien au monde que sollicitude et douleur. 3° Elle comprit que la rétribution du diable était mauvaise.

Après, elle vit une autre écriture pleine de consolation, qui lui disait qu’en premier lieu, elle donnât tout à Dieu, de qui elle avait tout reçu. En second lieu, qu’elle rendit service à celui qui avait répandu son sang pour elle. En troisième lieu, qu’elle n’aliénât point son âme de son Dieu, qui l’avait créée du néant et rachetée par son sang.

Ces choses étant ouïes et considérées attentivement, les serviteurs de Dieu s’approchèrent de lui et lui agréèrent, et les serviteurs du monde s’enfuirent. Mais maintenant, son âme est comme une vierge qui est nouvellement sortie des bras de son époux, qui est obligée d’avoir trois choses : 1° de belles robes, de peur qu’elle ne soit méprisée des serviteurs du roi, s’ils voyaient quelque déformité en ses vêtements. 2° Elle doit être morigénée selon les volontés de son époux, de peur que, s’il se trouvait quelque chose de moins honnête aux mœurs de l’épouse, l’époux en fût déshonoré. 3° Elle doit être très pure, afin que l’époux ne trouve en elle aucune souillure qui la puisse faire répudier ou mépriser. Après, qu’elle ait des docteurs auprès du lit de son époux, de peur qu’elle ne s’écarte ou qu’elle n’erre. Mais celui qui conduit doit avoir deux qualités : 1° qu’il soit vu de celui qu’il conduit ; 2° qu’on entende ce qu’il enseigne, et la fin qu’il prétend en sa doctrine. Or, celui qui suit le conducteur doit avoir trois choses : 1° qu’il ne soit paresseux et lâche à suivre ; 2° qu’il ne se cache du conducteur ; 3° qu’il considère attentivement les pas de son conducteur, et qu’il le suive soigneusement. Donc, afin que cette âme parvienne au lit de son époux, il est nécessaire qu’elle soit conduite par un directeur qui la conduise heureusement à Dieu, son époux.

 

 

XXII.

 

La glorieuse Vierge Marie enseigne à sa fille sainte Brigitte tout ce qui touche la sapience spirituelle et temporelle, quelle d’icelles on doit suivre, et en quelle manière la sapience spirituelle, après quelques labeurs, conduit l’homme aux consolations éternelles, et la temporelle à la damnation perpétuelle.

 

IL est écrit, disait la Vierge Marie, que celui qui veut être sage doit apprendre la sagesse de l’homme sage : d’où vient que, comme par exemple, je vous dis qu’il y avait quelqu’un qui, voulant apprendre la sagesse, vit deux maîtres devant soi, auxquels il dit : J’apprendrais franchement la sagesse, si je savais où elle me conduirait, quelle utilité j’en retirerais, et à quelle fin elle me conduirait.

Un des maîtres lui répondit : Si vous voulez suivre ma sapience, elle vous conduira en une haute montagne ; mais par la voie, on trouve des pierres si dures sous les pieds, qu’elle en est difficile et l’ascendant inaccessible. Si vous travaillez à acquérir cette sapience, vous serez tout plein de ténèbres extérieurement, mais intérieurement vous serez tout illuminé. Si vous la gardez, assurément vous aurez ce que vous demandez. Elle tourne comme un cercle ; elle vous attirera ; voire elle vous alléchera de plus en plus par ses douces forces, jusqu’à ce que vous tressailliez de joie.

Le second maître dit. Si vous suivez ma sapience, elle vous conduira en une vallée florissante, agréable en toute sorte de fruits ; la voie est douce et ne meurtrit point les pieds ; il y a seulement un peu de labeur au descendant. Si vous persistez en cette sagesse, vous aurez tout ce qui est éclatant extérieurement. Mais quand vous en voudrez jouir, elle s’enfuira ; vous aurez aussi ce qui dure si peu et finit soudain, et quand vous aurez lu le livre qui traite de cette sapience, le livre et la lecture se perdront, et vous demeurerez vide et privé de tous les deux.

Ce qu’ayant ouï, il pensait attentivement à part soi ces deux merveilles : Si je monte, mes pieds se débiliteront et mon dos s’affaissera ; et si j’obtiens ce qui est obscur par dehors, que me profitera-t-il ? Que si je me peine à acquérir ce qui n’a point de fin, quelle consolation en aurai-je ? L’autre maître me promit aussi tout ce qui était éclatant par dehors, mais qui ne demeurerait point en moi, mais que la sapience avec la lecture se perdrait. Mais quelle utilité aurai-je en ceci, s’il n’y a point de stabilité ?

Or, tandis qu’il roulait de la sorte tout ceci en son esprit, soudain à l’improviste un homme entre deux maîtres vint, qui parla en ces termes : Bien que la montagne soit haute, difficile et inaccessible, ce semble, à monter, néanmoins, au coupeau de la montagne, il y a une nuée lumineuse d’où vous aurez un grand réfrigère et soulagement. Que si ce qu’on vous promet est noir et obscur à l’extérieur, il se peut rompre, casser et dissiper, et aussi avoir l’or qui est caché au-dedans, et le posséder éternellement avec joie. Ces deux maîtres ont deux diverses sagesses : l’une est spirituelle et l’autre charnelle. La spirituelle consiste à laisser à Dieu sa propre volonté, à soupirer et aspirer de tous ses désirs et par de bonnes œuvres au ciel, car en vérité, on ne peut pas appeler sagesse les paroles qui ne conviennent ni ne répondent aux œuvres : cette sagesse conduit à la vie vivante et bienheureuse : mais cette sagesse est inaccessible et il est difficile d’y parvenir. Certes, il est dur et difficile de résister à ses affections ; il est inaccessible de fouler aux pieds les plaisirs et de n’aimer point les honneurs du monde.

Or, bien que cela soit ainsi difficile, néanmoins, à qui considère mûrement que le temps est bref, que le monde finira, et à qui affermira constamment son cœur en Dieu, la nuée apparaîtra au sommet de la montagne, c’est-à-dire, il jouira des consolations du Saint-Esprit. Enfin celui-là sera digne de consolation qui ne cherche autre consolateur que Dieu : car comment les élus de Dieu entreprendraient-ils des choses si dures et si difficiles, si l’Esprit de Dieu n’eût coopéré à la volonté de l’homme comme à un bon instrument ? Or, leur bonne volonté leur a attiré cet Esprit. La charité et l’amour divin qu’ils avaient envers Dieu les avaient alléchés à cet Esprit, attendu qu’ils travaillent d’une bonne volonté et affection, jusqu’à ce qu’ils fussent forts par les œuvres. Or, ayant joui des consolations de l’Esprit et acquis soudain l’or de la divine délectation et amour, non-seulement ils souffraient force contrariétés, mais en les souffrant, et considérant les excellentes récompenses qui les attendaient, ils y prenaient un grand plaisir. Cette délectation semble fort amère aux amateurs du monde et ténébreuse aux aveugles ; mais à ceux qui aiment Dieu, elle est plus lumineuse que le soleil, plus éclatante que l’or, d’autant qu’ils dissipent les ténèbres des vices, et montent à la montagne de pénitence, contemplant les nuées de consolation, lesquelles ne finissent jamais, mais commencent ici et s’augmentent toujours jusqu’à ce qu’elles soient animées à leur entière perfection. Or, la sagesse du monde conduit à la vallée de misère, qui rit et semble florissante en l’abondance des choses pleines d’aménités en honneurs, agréables en voluptés. Cette sagesse finit soudain et n’apporte aucune autre utilité, si ce n’est une vue et une ouïe vaines.

Partant, ma fille, cherchez la sagesse de l’homme sage, c’est-à-dire, de mon Fils, car il est la sagesse, et la source inépuisable d’où dépend toute sagesse ; il est ce cercle qui ne finit jamais. Je crie à vous comme une mère à son fils, disant : Aimez la sagesse, qui est au-dedans comme un or méprisé au-dehors ; intérieurement, fervente d’amour ; extérieurement, laborieuse en travaux, fructueuse en œuvres, bien que pesante. L’Esprit de Dieu en est le consolateur. Approchez-vous, et efforcez-vous comme un homme qui veut entrer avec la presse ; ne reculez pas ; accoutumez-vous d’aller de plus en plus jusqu’à ce que vous soyez arrivé au sommet de la montagne, car il n’y a rien de si difficile qui ne soit rendu facile par la constante, raisonnable et non interrompue continuation ; il n’y a rien de si honnête au commencement de l’entreprise, qui, par l’imparfaite conformation, ne soit couvert de ténèbres.

Approchez-vous donc de la sapience spirituelle : celle-ci vous conduira aux peines corporelles, au mépris du monde, aux petites tribulations et aux consolations perpétuelles. Or, la sapience du monde est fallacieuse et pleine de pointes ; elle conduit à entasser des ruches temporelles aux honneurs présents, mais enfin, elle conduit à de très-grands malheurs, si on ne s’en donne soigneusement garde.

 

 

XXIII.

 

La Sainte Vierge Marie déclare son humilité à sa fille sainte Brigitte. Comme l’humilité est désignée par le manteau. Des conditions de la vraie humilité et de ses fruits admirables.

 

PLUSIEURS s’étonnent et admirent pourquoi je parle avec vous : en vérité je le fais afin de manifester mon humilité ; car comme le cœur ne se réjouit point d’un membre pourri qu’il ne soit remis en sa première santé, de même je ne me réjouis point d’un homme pécheur quel qu’il soit, s’il ne retourne à moi de tout son cœur et avec un vrai entendement, et soudain alors je serai prête à le recevoir favorablement. Je ne m’arrête pas à considérer combien il a péché, mais avec quel amour, volonté et intention il retourne. Je suis appelée de tous Mère de miséricorde. Vraiment, ô ma fille ! la miséricorde de mon Fils m’a rendue miséricordieuse ; et moi, ayant vu ses miséricordes, j’ai été compatissante. Parlant, celui-là sera misérable qui ne s’approche de la miséricorde, le pouvant faire.

Partant donc, ô ma fille ! venez, et cachez-vous sous mon manteau : il est contemptible au dehors, mais au dedans, il est grandement utile, à raison de trois choses : 1° d’autant qu’il met à l’abri des vents et des tempêtes orageuses ; 2° il défend de l’inclémence du temps et de la rigueur du froid ; 3° il nous met à couvert des nuées et des pluies. Ce manteau n’est autre que mon humilité ; elle semble fort contemptible aux amateurs du monde, et superstitieuse à imiter : car qu’y a-t-il de si contemptible qu’être appelé insensé, que ne se mettre en colère quand on est offensé, et ne rendre parole pour parole ? Qu’y a-t-il de si méprisable que de laisser tout et avoir besoin de tout ? Qu’y a-t-il de si douloureux et de si cuisant parmi les mondains que de dissimuler les injures reçues, se croire, se sentir et se tenir le plus humble et le plus indigne de tous ? Telle, ô ma fille ! était mon humilité, telle ma joie ; telle était ma volonté de plaire à mon Fils seulement.

Véritablement, cette humilité profite à trois choses à tous ceux qui m’imitent : 1° elle profite pour défendre des tempêtes et des orages, des opprobres des hommes et de leurs mépris : car comme le vent fort et impétueux pousse l’homme à la part qu’il veut et le rend froid, de même les opprobres abattent facilement l’homme impatient et qui ne considère les évènements du monde, et relâchent en lui la ferveur de l’amour. Mais quiconque aspire à mon humilité, qu’il considère comment moi, qui suis Dame de tout le monde, j’écoute tout, et qu’ainsi, il cherche ma louange et non la sienne. Qu’il considère que les paroles ne sont que vent, et que soudain, après les avoir écoutées humblement, il en aura la consolation. Car pourquoi pensez-vous que les mondains sont si impatients à souffrir les paroles et les opprobres, si ce n’est parce qu’ils recherchent plus leur louange propre que celle de Dieu, et qu’il n’y a en eux aucune humilité ? Car ils ont la bouche et l’œil à leurs péchés. Donc, bien que la justice écrite dise qu’il ne faut ouïr ni souffrir sans sujet les paroles contumélieuses, c’est toutefois une grande vertu et un grand mérite de les ouïr et de les souffrir pour l’amour de Dieu.

Secondement, mon humilité défend du froid, c’est-à-dire, de l’amitié de la chair, de laquelle nous brûlons, et qui nous refroidit de l’amour divin, car il y aune amitié par laquelle l’homme est aimé, non pour l’amour de lui-même, mais pour l’amour des choses présentes : comme ceux qui parlent ainsi : Repaissez-moi, et je vous repaîtrai, car je n’ai point de soin qui vous repaîtra après la mort ; honorez-moi et je vous honorerai, car il m’importe peu de l’honneur qu’on doit suivre à l’avenir. Certainement, cette amitié est froide ; elle n’est pas échauffée de Dieu ; elle est dure comme de la neige glacée, en ce qui touche l’amour et la compassion du prochain nécessiteux, infructueuse pour rendre le réciproque : car dès que la compagnie et la table sont rompues, tout à l’instant l’utilité de l’amitié est perdue et le fruit s’en est allé. Or, quiconque imite mon amitié, fait du bien à tous pour l’amour de moi, tant aux amis qu’aux ennemis : aux amis, parce qu’ils persistent constamment en l’honneur de Dieu ; aux ennemis, d’autant qu’ils sont créatures de Dieu, et que peut-être ils seront un jour très-bons.

En troisième lieu, la considération de mon humilité défend de la pluie et des inondations des eaux, qui s’écoulent des nues : car d’où procèdent les nuées, sinon des humeurs et vapeurs terrestres qui montent ? Attirées par les rayons du soleil, elles se congèlent en la région de l’air, et de là se font les pluies, la grêle et la neige. Or, le corps a trois choses avec soi, comme les nues : il voit, il entend, il sent ; et parce qu’il voit, il désire ce qu’il voit, le bien, la beauté, et il aspire aux grandes possessions. Or, qu’est-ce que tout ceci, si ce n’est une pluie qui contamine l’âme dans les désirs d’avoir et d’entasser des biens, l’inquiétant par les sollicitudes, la dissipant par les pensées inutiles, et la troublant en la perte de ce qu’elle a perdu.

Mais en ce que le corps entend, il écoute franchement ses propres louanges et ses honneurs, l’amitié du monde, et tout ce qui est plaisant et délectable au corps et misérable à l’âme. Toutes ces choses ne sont qu’une neige qui se fondra soudain, qui refroidit l’âme de l’amour de Dieu, et l’endurcit et la roidit contre l’humilité.

Et de ce que le corps a le sentiment, elle ressent franchement ce qui touche à ses voluptés et au repos du corps. Et ceci, qu’est-ce autre chose, sinon grêle faite de l’eau congelée, qui rend l’âme infructueuse, stérile aux choses spirituelles, forte pour les choses du monde, glissante et molle pour les plaisirs du corps ?

Quiconque donc désire d’être affranchi et libre et à couvert de cette grêle, qu’il se retire à mon humilité et qu’il la suive, car par elle l’âme est exempte de la cupidité de voir, afin qu’elle ne désire ce qui est illicite. Elle est, par l’humilité, hors des dangers des plaisirs de l’ouïe, afin qu’elle n’écoute rien contre la vérité. Elle est mise aussi à l’écart des voluptés de la chair, afin qu’elle ne succombe dans les mouvements illicites. Je vous dis en vérité que la considération de mon humilité est comme un bon manteau qui échauffe ceux qui le portent, non-seulement par pensée, mais aussi par œuvre ; car le manteau n’échauffe point, s’il n’est porté ; ni mon humilité ne profite point à ceux qui la considèrent attentivement, s’ils ne s’efforcent, selon leur pouvoir, de la suivre, de la pratiquer et de l’imiter.

Partant, ma fille, revêtez-vous de cette humilité autant qu’il vous sera possible. Les femmes du monde portent des manteaux superbes au dehors, et quelque peu vils au dedans : fuyez entièrement ces vêtements, car vous ne pourrez jamais avoir le manteau de l’humilité que premièrement l’amour du monde ne soit vil ; que vous n’ayez mûrement considéré la miséricorde divine et votre ingratitude ; que vous n’ayez pensé et examiné ce que vous avez fait, ce que vous faites, et quelle condamnation vous en mériterez le jour du jugement. Pourquoi pensez-vous que moi, Vierge et Mère de Dieu, me suis tant humiliée (d’où j’ai mérité une si grande grâce), si ce n’est que j’ai toujours pensé et su que je n’avais rien de moi-même, et que rien de bon ne venait de moi comme de moi ? C’est pour quoi je n’ai point voulu en être louée, mais je l’ai rapporté à mon Dieu, qui en est l’auteur et le Créateur.

Partant, ô ma fille ! fuyez-vous-en au manteau de mon humilité, et pensez que vous êtes plus pécheresse que toutes les créatures du monde ; car bien que vous voyiez quelques-uns être mauvais, vous ne savez pas ce qu’ils pourront devenir demain ; vous ne savez aussi avec quelle vue et intention ils font leurs actions ; si c’est expressément ou par infirmité. Partant, ne vous préférez à aucun, et ne jugez personne en votre cœur.

 

 

XXIV.

 

La Sainte Vierge Marie exhorte sa fille sainte Brigitte, se plaignant du petit nombre d’amis. De la manière dont Jésus-Christ parle à son épouse, disant que, par les fleurs, sont entendues les mamelles sacrées. Comment il faut fructifier de ses paroles.

 

LA Sainte Vierge Marie parlait par un exemple très-clair : Quiconque, disait-elle, aurait le dos chargé d’un faix lourd et pesant, les bras affaissés, les yeux pleins de larmes, et passerait par une grande troupe, regarderait sans doute si quelqu’un d’iceux compatirait avec lui, et s’il le soulagerait du poids qui l’écrase. De même faisais-je, étant accablée d’afflictions dès le même jour de la naissance de mon Fils jusques au jour de sa mort douloureuse. J’ai porté un grand faix sur mon dos, et demeurai instamment assidue aux peines de mon Fils, et souffrais patiemment tous les mépris et adversités. J’apportais entre mes bras un faix lourd, et supportais des douleurs et des tribulations si cuisantes, que jamais créature ait supportées. J’avais mes yeux pleins de larmes, lorsque je considérais sur les mains et sur les pieds de mon Fils les trous des clous, et lorsque je voyais que la passion douloureuse, qui avait été prédite par les prophètes, allait s’accomplissant en lui. Mais maintenant, je regarde tous ceux qui sont dans le monde, pour voir s’il n’y en a pas un qui en ait compassion et qui considère mes douleurs, et j’en trouve bien peu qui pensent à mes tribulations et douleurs si amères qu’elles n’ont point d’égales.

Partant, ma fille, bien que je sois en oubli, voire méprisé de plusieurs, ne m’oubliez pas ; considérez mes douleurs, et imitez-les aussi fidèlement que vous pourrez. Voyez mes peines et mes larmes ; ayez-en douleur, car j’ai peu d’amis. Soyez constante. Voici que mon Fils vient, qui, dès qu’il sera venu, dira : Je suis votre Dieu et votre Seigneur qui parle à vous. Mes paroles sont comme les fleurs d’un bon arbre ; et bien que toutes les fleurs sortent d’une même racine, néanmoins, toutes les fleurs ne portent pas leur fruit. De même, bien que mes paroles soient comme quelques fleurs qui prennent source de la racine de l’amour divin, que plusieurs écoutent et reçoivent, néanmoins, elles n’apportent pas en tous les fruits, ou si elles les portent, ils ne viennent point à leur parfaite maturité, d’autant que quelques-uns les reçoivent et les retiennent pour quelque temps, et puis après les rejettent, d’autant qu’ils en sont ingrats et méconnaissants ; quelques-uns les reçoivent et les retiennent, attendu qu’ils sont pleins de charité, et ceux-ci font un grand fruit de dévotion et de saintes œuvres.

Donc, vous, ô mon épouse ! qui êtes à moi par droit divin, il faut que vous ayez trois maisons : en la première, vous devez avoir ce qui est nécessaire au corps ; en la deuxième, les vêtements qui couvrent le corps extérieurement ; en la troisième, vous devez avoir les instruments nécessaires et utiles à la maison. En la première, vous devez avoir pain, boisson et tout ce qui est bon à manger ; en la deuxième, vêtement de laine, de lin et de soie ; en la troisième, des vases pour tenir les liqueurs, et écuries pour tenir chevaux, ânes, etc., et des instruments manuels.

 

 

XXV.

 

Jésus-Christ avertit l’épouse des provisions qu’il faut qu’elle fasse en ces trois maisons. Comment, par le faire, est signifiée la bonne volonté ; par la moisson, la méditation divine, et par les viandes bonnes à manger, la sagesse divine. En quelle manière la sapience divine n’est pas en la lettre, mais dans le cœur et en la bonne vie.

 

MOI-MÊME qui vous parle, suis le Créateur de toutes choses et ne suis créé d’aucun. Devant moi, il n’y avait rien, ni après moi. Sans moi rien ne pouvait être, d’autant que je suis de toute éternité et suis toujours. Je suis le Seigneur à la puissance duquel personne ne peut résister, et duquel dépendent toute puissance et toute domination. Je vous parle comme un homme parle à son épouse.

Mon épouse, nous devons avoir trois maisons : en l’une, il faut avoir du pain, de la boisson, et d’autres viandes pour manger. Mais vous me pourriez demander ce que j’entends par ce pain : n’est-ce pas le pain qui est à l’autel ? Oui, vraiment. Mais les paroles étant dûment prononcées : Ceci est mon corps, il n’est pas pain, mais mon corps que j’ai pris du ventre virginal de Marie, et qui a été crucifié. C’est de ce pain que j’entends que vous devez avoir en la maison. Mais le pain que nous devons amasser en la maison, est une bonne et sincère volonté. Le pain corporel, s’il est pur, fait deux biens : 1° il conforte et renforce les veines, les artères et les nerfs ; 2° il chasse toute la pourriture intérieure, la fait descendre, et ainsi l’homme est purifié. Il en est de même de la volonté pure : 1° elle conforte l’homme, car si l’homme ne veut que ce que Dieu veut, il ne se travaille point et ne se trouble point, mais il cherche l’honneur et la gloire de Dieu ; il désire de tout son cœur de sortir du monde et d’être avec Dieu. Cette volonté conforte l’homme au bien, augmente l’amour de Dieu, lui cause l’horreur du monde, fortifie la patience, affermit l’espérance d’acquérir la gloire, de sorte qu’il porte et souffre joyeusement toute sorte de rencontres. 2° Une bonne volonté arrache et repousse toute pourriture. Quelle est la pourriture qui nuit à l’âme, si ce n’est la superbe, la cupidité et la luxure ? Car quand la pourriture de la superbe et de quelque autre vice saisit l’esprit de l’homme, il la chasse, s’il considère en cette sorte : la superbe est vaine, car il n’est pas décent que l’homme se loue de ce qu’il reçoit, mais bien il est juste que celui qui le donne en soit loué. La cupidité est vaine, car tout ce qui est terrestre nous laissera le jour de la mort. La luxure n’est qu’une puanteur extrême, partant, je l’abhorre, et veux suivre la volonté de mon Dieu, dont le prix ne finira jamais, dont les biens ne vieillissent jamais. Lors, la tentation de la superbe et cupidité se retire, et la bonne volonté demeure permanente au bien.

La boisson que nous devons avoir en nos maisons est la divine préméditation en tout ce que nous devons faire, car la boisson corporelle apporte deux biens : 1° elle fait une bonne digestion, car quiconque propose de faire quelque bien, s’il considère à part soi et le ballotte diligemment, voyant les tendants et aboutissants avant de l’exécuter, pour voir quel honneur en réussira pour Dieu, quelle utilité pour le prochain, quel profit pour l’âme, et il le veut faire, qui ne voit qu’en son entreprise il y a quelque utilité divine ? Lors cette œuvre aura un bon progrès comme une bonne digestion. Lors, s’il se rencontre quelque indiscrétion en l’exécution de son œuvre, il la découvre soudain. Lors, s’il trouve quelque chose injuste, il la corrige dès l’instant, et lors son œuvre sera droite, juste, raisonnable et pleine d’édification devant les hommes : car qui n’a en ses œuvres préméditation de Dieu, ne cherche ni l’utilité de l’âme ni l’honneur de Dieu ; et bien que son œuvre ait quelque heureux progrès pour quelque temps, à la fin néanmoins, s’il ne s’en corrige, son intention sera pour néant.

En second lieu, la boisson éteint la soif : quelle soif est pire que le péché des cupidités perverses et le vice de colère ? Que si l’homme préméditait quelles sont les utilités qui peuvent provenir de ses péchés ; combien misérablement il finit ; quelles récompenses on obtient, si on résiste à cette méchante et insatiable soif des vices, cette soif s’éteint soudain par la grâce divine ; l’ardeur de la charité divine et les bons désirs s’embrase ; la joie s’éveille de ce qu’il n’a pas fait le mal qui lui était venu à l’esprit ; il cherche l’occasion comme il pourra désormais se garder de ce qui l’aurait supplanté, si la méditation ne l’eût secouru, et ne l’eût rendu soigneux de s’en donner garde à l’avenir. Telle est la boisson, ô mon épouse ! que nous devons mettre en notre revenu.

En troisième lieu, on y doit avoir des viandes à manger, qui font deux effets : 1° elles rendent les autres choses savoureuses à la bouche, et conviennent mieux au corps que le pain seul ; 2° elles font le sang meilleur que le pain et le vin seuls. De même en fait la viande spirituelle. Or, quelle est cette viande, si ce n’est la sagesse divine ? Car quiconque a une bonne volonté, ne voulant rien de plus, sinon ce qui est de Dieu et la divine méditation de ses mystères, ne faisant rien sans qu’il y connaisse l’avancement de l’honneur de Dieu, celui-là est grandement sage.

Maintenant vous me pourriez demander quelle est la divine sagesse, car plusieurs sont simples, qui ne savent que le Pater noster, et encore à grand-peine bien ; d’autres grandement savants : n’est-ce pas cela la sagesse divine ? Nenni, car la sagesse divine n’est pas précisément dans les lettres, mais dans le cœur et dans la bonne vie.

Quiconque considère sérieusement la voie qui nous conduit à la mort, la qualité de la mort et le jugement d’après la mort, celui-là est sage. Quiconque se retire des vanités fallacieuses du monde, se dépouille des superfluités, se contente des nécessités, et s’adonne autant qu’il peut à l’amour de Dieu, celui-là a l’aliment de la sagesse, qui rend la bonne volonté et la préméditation plus savoureuse : car quand l’homme considère la mort, et en la mort, le dépouillement entier de toutes choses ; quand il pèse attentivement les formidables et terribles jugements de Dieu ; qu’il voit que rien ne lui est caché, que rien ne demeure impuni ; et quand il pense à l’instabilité, à l’inconstance, à la vicissitude du monde et de ses vanités, ne se réjouit-il pas d’avoir résigné sa volonté à la volonté de Dieu, et d’avoir fui les péchés ? La chair n’est pas lors consolée, le sang renouvelé (c’est-à-dire, l’infirmité de l’âme), qui n’est autre que la dissolution des mœurs, laquelle elle chasse d’elle généreusement, et lors le sang de la divine charité se renouvelle, car il considère qu’il est plus raisonnable d’aimer ce qui est éternel que ce qui est périssable. Donc, la divine sagesse n’est pas précisément dans les Écritures, mais dans les bonnes œuvres, car il y en a plusieurs qui sont sages selon le monde et selon leurs désirs, mais entièrement fous pour l’observance des commandements de Dieu, de ses volontés, et pour mortifier leurs corps ; et ceux-ci ne sont pas sages, mais sont des fous aveugles, car ils savent que tout cela est caduc et périssable, utile pour un moment, et méprisent et oublient ce qui est éternel. D’autres ne sont point sages et habiles pour rechercher les plaisirs du monde, ni les honneurs, mais fort sages pour considérer ce qui est de Dieu, et sont fermes à son service : ceux-ci vraiment sont sages, car ils goûtent les commandements de Dieu et ses volontés : ceux-ci sont en vérité illuminés et ont les yeux ouverts, car ils considèrent toujours comment ils pourront parvenir à la vraie vie et à la vraie lumière. Les autres marchent en ténèbres, et il leur est plus agréable d’y être plongés que de rechercher la lumière par laquelle ils pourraient parvenir à la vie.

Partant, ô mon épouse ! amassons et entassons en nos greniers ces trois choses, savoir : une bonne volonté, la préméditation divine et la sagesse de Dieu, car en ces trois choses, nous nous devons réjouir, bien que je vous avertisse, vous et tous mes élus, que l’âme du juste est mon épouse, car je suis le Créateur et le Rédempteur.

 

 

XXVI.

 

Notre-Seigneur Jésus-Christ et la Vierge Marie, sa Mère, avertissent l’épouse des vêtements qu’il faut avoir en la deuxième maison. Comment, par ces vêtements, la paix avec Dieu et le prochain, la miséricorde divine et l’abstinence pure, sont dénotées, et d’une très-excellente déclaration de ce que dessus.

 

LA Sainte Vierge disait à sainte Brigitte : Imprimez en votre cœur le riche ornement de la passion très-amère de mon Fils, comme un saint Laurent, car ce saint considérait incessamment en son esprit ce qui suit : Mon Dieu et mon Seigneur Jésus-Christ a été dépouillé et moqué : comment serait-il donc décent que moi, qui suis serviteur, sois sans douleur ni affliction ? Lors donc qu’il fut étendu sur les brassiers, que sa graisse fondue coulait dans le feu, et que le feu embrasait et enflammait tout son cœur, il tourna ses yeux vers le ciel, disant : Béni soyez-vous, mon Dieu, mon Créateur Jésus-Christ ! Je connais que je n’ai pas bien vécu les jours passés ; je vois aussi que j’ai fait peu pour votre honneur et gloire : partant, puisque votre miséricorde est très-grande, je vous supplie de me traiter miséricordieusement ; et son âme a été séparée du corps, disant ces paroles : Voyez, ma fille, que celui qui a tant aimé mon Fils, qui a tant souffert pour son honneur, dit qu’il est encore indigne d’obtenir le ciel : comment donc en sont dignes ceux-là qui vivent selon les appétits de leur volonté ?

Partant, considérez incessamment la passion de mon Fils et de ses saints, car ils n’ont pas tant pâti sans sujet, mais bien pour donner exemple de bien vivre aux autres, et afin de montrer avec quelle sévérité mon Fils exigera le compte des péchés, car il ne veut qu’aucun péché, pas même le plus petit, soit sans amendement.

Après, le Fils, étant arrivé, parla à l’épouse, disant : Je vous ai dit tout ce qu’il fallait en nos maisons. Entre autres choses, vous devez avoir trois sortes d’habits : le premier, c’est un vêtement de lin, qui croît de la terre ; le deuxième de peaux, qui viennent des animaux ; le troisième de soie, qui se fait des vers. Le vêtement de lin porte deux biens : 1° il est mou et doux à la peau ; 2° il ne perd jamais sa couleur, mais plus il est lavé, plus il est blanc. Le deuxième vêtement de peaux a aussi deux autres biens : il couvre les hontes et tient chaud contre le froid. Le troisième vêtement de soie a aussi deux utilités : 1° il est grandement beau et délicat ; 2° il est grandement cher. L’habillement de lin, qui est propre pour couvrir un corps nu, marque la paix et la concorde. L’âme pieuse et dévote doit avoir cette paix avec son Dieu, ne voulant que ce qu’il veut et en la manière qu’il le veut ; ne le fâchant point par ses péchés, d’autant qu’entre Dieu et l’âme, il n’y a point de paix, si elle ne laisse le péché et retient sa concupiscence. Elle doit aussi avoir la paix avec son prochain, ne lui nuisant point, le secourant et le souffrant s’il a péché contre lui ; car qu’y a-t-il de si malheureux que le péché ? L’âme qui désire de pécher n’est jamais remplie ni contente du péché ; elle le désire incessamment et elle n’a jamais repos. Qu’y a-t-il de plus amer et qui pique plus cruellement l’âme qui se courrouce contre son prochain, et lui envie ses avancements et ses perfections ? Partant, l’âme doit avoir la paix avec Dieu et son prochain, car il n’y a plus grand repos au monde que cesser de pécher, et n’être sollicité ni embrouillé dans le monde. Il n’y a aussi rien de si doux que le séjour du bien, l’avancement de son prochain, et que de lui désirer ce qu’on désire pour soi-même.

 Ce vêtement aussi de lin, qui doit adhérer à la peau, signifie que, dans le cœur où Dieu veut reposer, la paix, entre autres vertus, y doit être plus proche et la plus signalée, car cette vertu introduit Dieu dans le cœur et l’y conserve et retient. Cette paix et la patience sortent de la considération de son infirmité, comme le lin vient de la terre, car l’homme qui est de la terre doit considérer son infirmité, en tant que soudain qu’il est offensé, il se courrouce, il se plaint dès l’instant, et dit qu’il est lésé. S’il pensait comme il faut à soi, il n’aurait garde de faire à autrui ce qu’il ne peut supporter lui-même, car son prochain est aussi infirme que lui ; comme il ne veut pâtir telles peines, ni lui aussi. Lors la paix ne perd point sa couleur, c’est-à-dire, sa stabilité, mais elle devient plus constante, car la considération de l’infirmité de son prochain avec la sienne fait que l’homme souffre patiemment les injures. Or, si, par impatience, la paix est souillée et noircie quelque peu, elle est d’autant plus blanche devant Dieu qu’elle est soudain lavée par la pénitence. Elle est aussi d’autant plus gaie et plus forte à souffrir qu’elle est plus éprouvée et souvent lavée, parce qu’elle se réjouit de l’espérance des récompenses que l’âme attend, à raison de la paix, et d’autant plus elle est sur ses gardes qu’elle ne tombe par impatience.

Le deuxième vêtement, savoir, celui de peaux, marque les œuvres de miséricorde ; et de fait, ces vêtements sont de peaux des animaux morts. Qui sont ces animaux morts, sinon mes saints, qui sont fort simples ? L’âme doit être couverte de leurs peaux, c’est-à-dire, elle doit imiter et faire les œuvres de miséricorde qu’ils font. Ces vêtements servent à deux choses : 1° à couvrir la nudité de l’âme pécheresse, et à la purifier des souillures, afin qu’elle apparaisse pure devant moi ; 2° ils défendent du froid : quel est le froid de l’âme, sinon l’opiniâtreté au péché et l’endurcissement aux sentiments de mon amour ? Les œuvres de miséricorde chassent puissamment ce froid, attendu qu’elles revêtent l’âme, afin qu’elle ne périsse de froid. Par elle Dieu visite l’âme, et elle s’approche d’autant plus de Dieu.

Le troisième vêtement de soie, qui est fait de vers, qui coûte beaucoup à l’acheteur, marque l’abstinence, car elle est belle devant Dieu, devant les anges et les hommes. Elle coûte aussi beaucoup à celui qui l’achète, car hélas ! il est dur et difficile à l’homme de retenir et refréner sa langue de trop et vainement parler. Il lui est amer de mortifier les concupiscences de la chair, de se priver des superfluités et de quitter ses plaisirs ; il lui est aussi difficile de rompre et contrevenir à ses volontés. Mais bien qu’il soit dur, amer et difficile, il est néanmoins en toute manière utile et excellent de le faire.

Partant, mon épouse, par laquelle j’entends tous les fidèles, amassons et entassons en notre deuxième maison la paix avec Dieu et avec le prochain, compatissant et aidant aux misérables par les œuvres de miséricorde. L’abstinence des concupiscences, comme elle est plus chère que les autres, est aussi plus belle que toutes, attendu que, sans elle, les autres ne semblent point avoir leur éclat et leur beauté. Cette abstinence doit être prise des vers, c’est-à-dire, de la considération des excès contre Dieu, de la considération de mon humilité et abstinence, moi qui ai été semblable au vermisseau pour l’amour de l’homme ; qu’il voie en son âme comment et combien de fois il a péché contre moi, et en quelle manière il s’est amendé, et il connaîtra clairement qu’il n’y a abstinence ni labours qui puissent satisfaire à ses offenses. Qu’il considère mûrement mes peines, mes labeurs et ceux de mes saints, pourquoi ils ont tant souffert, et il entendra vraiment que, si j’ai exigé tant de rigueur de moi et de mes saints, qui m’obéissaient parfaitement, sera grande la vengeance que je prendrai de ceux qui ne m’obéissent point.

Donc, que l’âme qui est bonne embrasse courageusement et franchement l’abstinence ; qu’elle se souvienne combien ses péchés sont malicieux, et qu’ils rongent son âme de vers ; et de la sorte, de vermisseaux vils et abjects, elle en fera une soie précieuse, de laquelle tous ses membres seront revêtus par cette abstinence et considération, de laquelle Dieu et toute la milice céleste se réjouissent, et pour l’amour de laquelle elle jouira de la gloire et de la joie éternelles, et sans l’aide de laquelle elle aurait eu les pleurs éternels.

 

 

XXVII.

 

Jésus-Christ parle à son épouse des instruments qu’il faut mettre en la troisième maison. Comment, par ces instruments, sont désignées les bonnes pensées d’un sens bien réglé, et une bonne confession ; de leur entière déclaration, et de la clôture générale de ses maisons.

 

LE Fils de Dieu, engendré avant le temps, parlait à son épouse, disant : Je vous ai avertie qu’en la troisième maison devaient être les instruments, en triple différence qu’aux premiers, il fallait mettre les liqueurs ; en la deuxième, les instruments avec lesquels on préparait la terre, comme le râteau, la cognée, etc., qui se peuvent réparer, quand ils sont rompus ; en la troisième partie du logis, les chevaux, les ânes, etc., dont on se sert pour porter les choses animées et inanimées. En la première maison, en laquelle sont les liqueurs, il faut qu’il y ait deux sortes d’instruments : les premiers dans lesquels on verse les liqueurs fort liquides et douces, comme l’eau, le vin, l’huile, etc. Dans les autres, on met les liqueurs amères, épaisses, comme la moutarde, etc.

Ne sauriez-vous pas entendre ce que tout cela signifie ? Les liqueurs signifient en vérité les pensées bonnes et mauvaises de l’âme, car la bonne pensée est comme l’huile douce et comme le vin plaisant et délectable. La mauvaise pensée est amère comme la moutarde, car elle rend l’âme amère et la trouble. Et comme l’homme a quelquefois besoin des liqueurs épaisses, lesquelles, bien qu’elles ne profitent pour soutenir le corps, servent néanmoins à purger le cerveau et le corps et pour la santé, de même aussi les mauvaises pensées, bien qu’elles n’engraissent et ne rassasient l’âme comme l’huile des bonnes pensées, néanmoins, profitent pour purifier l’âme, comme la moutarde purge le cerveau ; car si les mauvaises pensées ne nous arrivaient souvent, l’homme serait alors, non homme, mais un ange, et penserait que toutes choses viendraient de lui, voire que la force que je lui ai donnée serait de lui-même. Il est donc nécessaire que mon infinie miséricorde permette quelquefois qu’il soit assailli des mauvaises pensées, qui, si l’homme n’y consent, lui servent pour purifier son âme et pour conserver ses vertus. Et bien qu’elles soient amères comme la moutarde, néanmoins, elles guérissent grandement l’âme et la conduisent à la vie éternelle, santé qu’on ne peut acquérir sans amertume.

Qu’on prépare donc les vases de l’âme, où l’on met les bonnes pensées. Qu’on les tienne diligemment. Il est même utile que les mauvaises pensées nous assaillent pour nous éprouver et pour nous faire mériter davantage ; que l’âme néanmoins se prenne garde diligemment de n’y consentir ou de s’y délecter autrement. La douceur et l’avancement de l’âme s’épandront et se perdront, et la seule amertume de l’âme demeurera.

En la deuxième maison, il faut avoir aussi des instruments de deux sortes : les premiers sont extérieurs, par lesquels on prépare et cultive la terre pour la semer, et on arrache les épines, comme sont le soc, etc. ; les autres, qui servent au dedans et au dehors, comme la cognée, etc. ; les instruments avec lesquels on cultive la terre signifient les sens de l’homme qui ont été ordonnés à l’utilité du prochain, comme le soc pour cultiver la terre, car les hommes mauvais sont comme la terre maudite, attendu qu’ils ne pensent qu’aux choses terrestres, car ils sont arides en componction et contrition de leurs péchés, d’autant qu’’ils ne pensent à la gravité d’iceux, mais croient que c’est peu de chose. Ils sont froids en l’amour divin, car ils ne cherchent qu’à accomplir leurs volontés et leurs sales appétits. Ils sont pesants et fainéants pour faire le bien, et agiles pour les ambitions et les honneurs du monde.

Partant, l’homme de bien doit se perfectionner, et perfectionner les autres, commençant par les sens extérieurs, comme le laboureur cultive la terre par le soc. Il les doit cultiver par sa bouche, leur disant des paroles utiles à l’âme, les formant et instruisant à la vraie vie ; après, il doit tâcher de faire ce qu’il dit autant que faire se pourra, afin que le prochain soit instruit par parole et excité à bien faire par l’exemple. D’abondant, qu’il compasse et compose à la modestie le reste des sens, tant les siens que ceux de son prochain, afin que les yeux simples et modestes ne se portent à voir des choses impudiques, et que le prochain garde en tous ses membres une sainte modestie. Qu’il mortifie ses oreilles, afin qu’il n’écoute des choses ineptes, et qu’il excite les pieds de ses affections pour se porter joyeusement aux œuvres de charité. Cette terre de nos sens étant de la sorte cultivée, je lui donnerai la terre de ma grâce par le labeur de celui qui la cultive ; et celui qui travaille se réjouira des fruits de la terre, qui auparavant était aride et stérile, quand il la verra plantureusement germer.

Mais quant aux instruments qui sont nécessaires pour préparer ce qui est intérieur à la maison, comme sont la cognée, etc., ils signifient la droite discrétion, pure intention, et divine discussion, que nous devons avoir aux œuvres de Dieu, car l’homme ne doit rien faire pour acquérir les honneurs et pour la louange des hommes, mais poussé d’amour, il doit agir pour posséder une éternelle récompense.

Partant, que l’homme examine diligemment et exactement ses œuvres, avec quelle intention, pour quelle fin et pour quelle récompense il les a faites. Que s’il trouve en ses œuvres quelque vanité, qu’il l’ôte soudain avec la cognée de discrétion, afin que, comme au dehors il cultive son prochain, qui est comme étranger de la maison, c’est-à-dire, hors la compagnie de mes amis, à raison de ses péchés, que de même au dedans, il fructifie à soi-même par la charité divine ; car comme l’œuvre d’un rustique qui n’avait point des instruments propres pour réparer et rétablir ce qui était ruiné, se perdit bientôt, de même, si l’homme n’examine ses œuvres et ne considère comme il les faut soulager, si elles sont lourdes et laborieuses ; en quelle manière il les faut rétablir, si elles sont en ruine, ne parviendra jamais à la perfection. Partant, il faut, non-seulement labourer efficacement à l’extérieur, mais il faut encore soigneusement considérer comment et avec quelle intention on agit et on travaille.

En la troisième maison, on doit avoir des instruments animés pour porter ce qui est mort et vivant, comme sont les chevaux, etc. Les instruments signifient la vraie confession, car c’est elle qui fait aller les vivants et les morts.

Que signifie vivant, sinon l’âme que ma Divinité a créée et qui vit éternellement ? Car par la confession, elle s’approche de plus en plus de Dieu ; car comme l’animal qui est plus souvent et mieux nourri est plus fort pour porter et plus beau à regarder, il en est de même de la confession : plus elle est fréquente et plus elle est exacte, tant des grandes que des petites fautes, elle plaît d’autant plus à Dieu qu’elle introduit l’âme dans le cœur de Dieu. Or, qu’est-ce que signifie morte que la confession fait vivre, si ce n’est les bonnes œuvres mortes par le péché mortel ? Car les bonnes œuvres, mourant pour le mérite de la gloire, par le péché mortel, sont mortes devant Dieu ; car aucun bien ne peut plaire à Dieu que, premièrement, le péché ne soit corrigé et amendé, ou par une parfaite volonté, ou par effet ; car deux liqueurs, l’une suave, l’autre puante, ne conviennent point en un vase. Or, si quelqu’un a mortifié ses bonnes œuvres par les péchés mortels ; s’il a une vraie contrition des fautes commises avec un ferme propos de s’en amender et de s’en garder à l’avenir, soudain elles revivent par la confession et par la vertu de l’humilité, qui avaient été auparavant mortifiées, et lui et elles profitent pour la vie éternelle. Si l’homme meurt sans contrition ou sans une vraie confession, ses bonnes œuvres, qui ne peuvent mourir en elles ou se perdre, néanmoins, à cause du péché mortel, ne méritent la gloire céleste, elles servent pour lui soulager la peine ou pour le salut des autres, si toutefois il a fini ces mêmes œuvres en pureté d’intention pour l’honneur de Dieu, que s’il a fait ces bonnes œuvres pour acquérir la gloire du monde et pour son propre intérêt ; lors, l’auteur de ces œuvres mourant, elles meurent, car il a reçu sa récompense du monde, pour l’amour duquel il a travaillé.

Partant, ô mon épouse, par le nom de laquelle j’entends tous mes amis bons et fidèles, amassons et entassons en nos maisons les choses dont Notre-Seigneur Dieu se veut spirituellement délecter en l’âme sainte.

En la première maison, amassons : 1° le pain d’une sincère volonté, ne voulant que ce que Dieu veut ; 2° le breuvage de la divine préméditation, ne faisant rien sans y penser et voir l’honneur de Dieu ; 3° la viande de la divine sagesse, considérant toujours ce qui nous doit arriver, et comment il faut ranger et ordonner les choses présentes.

Nous devons amasser en la seconde maison : 1° la paix avec Dieu, délaissant le péché, et la paix avec le prochain, fuyant toutes noises et dissensions ; 2° les œuvres de miséricorde, par lesquelles nous sommes utiles au prochain ; 3° l’abstinence parfaite par laquelle nous nous retenions et contenions tout ce qui veut troubler notre paix.

En la troisième maison, nous devons amasser : 1° de bonnes et raisonnables pensées, pour enrichir et ennoblir notre maison intérieurement ; 2° les sens bien composés et mortifiés, pour édifier extérieurement nos amis ; 3° une vraie et bonne confession, par laquelle, si nous sommes morts, nous puissions revivre.

Mais bien qu’ils aient des maisons, néanmoins ils ne savent garder en elles ce qu’ils ont amassé, si ce n’est qu’ils aient des portes, qui ne peuvent être suspendues sans gonds ni être fermées sans serrures. Partant donc, afin que ce qu’on a amassé soit assuré, il faut avoir en la maison une porte, qui est l’espérance ferme et assurée, qui ne soit débilitée par les adversités, espérance qui doit rouler sur ces deux points, savoir : qu’elle ne désespère de pouvoir acquérir la gloire ni d’éviter les supplices de l’enfer, mais qu’en toute adversité, se confiant toujours en la miséricorde divine, il espère des choses meilleures. La serrure de cette porte est la charité divine, par laquelle la porte doit être gardée, afin que l’ennemi n’entre en la maison, car que profite-t-il d’avoir une porte sans serrure ? quoi ? d’avoir l’espérance sans charité, car si quelqu’un espère les choses présentes et éternelles, et désespère de la miséricorde divine, il ne craint ni n’aime Dieu ; il a une porte, mais sans serrure, et par laquelle l’ennemi entre quand il veut, massacre et tue. Or, l’espérance juste et droite est que celui qui espère fasse aussi le bien qu’il pourra, sans lequel il ne peut jouir des choses célestes, s’il a su et pu faire le bien et ne l’a pas fait. Si quelqu’un a excédé ou qu’il ait manqué à faire le bien qu’il pouvait, qu’il ait une bonne volonté de faire le bien qu’il pourra, et quand il ne pourra le faire, qu’il espère fermement qu’il pourra s’approcher de Dieu par la bonne volonté et charité divine.

Que la porte donc, c’est-à-dire, la charité divine, soit munie de charité, afin que, comme la serrure a au-dedans plusieurs ressorts afin que l’ennemi ne l’ouvre, de même en la charité on ait un grand soin que Dieu ne soit offensé et qu’on ait une crainte filiale et amoureuse de ne s’éloigner de Dieu. Qu’on ait aussi une ferveur enflammée comment on aimera Dieu, et un grand soin comment on l’imitera. Qu’on ait une douleur qu’on ne puisse faire autant de bien qu’on voudrait et qu’on sait y être obligé. Qu’on ait aussi l’humilité, par laquelle l’homme répute pour néant ce qu’il fait considérant ses péchés. Que la serrure soit munie de ses ressorts, de peur que le diable n’ouvre facilement la serrure de la charité, où Dieu verse son amour. Or, la clé, par laquelle on ferme et on ouvre la serrure, doit être le désir en un seul Dieu, qui doit être avec la charité et l’œuvre divine, de sorte que l’homme ne veuille rien que Dieu, bien qu’il fût en sa puissance d’en avoir, et cela, à raison d’un très-grand amour de Dieu, car le désir enferme Dieu dans nos cœurs, et nos cœurs en Dieu, d’autant qu’il n’y a qu’une seule volonté en tous deux.

Or, l’épouse et l’époux doivent seulement apporter cette clé, savoir, Dieu et l’âme, afin que toutes fois et quantes que Dieu voudra entrer dans nos cœurs et se réjouir dans les biens et les vertus de l’âme, il en ait un libre accès par la clé de ses fermes et constants désirs ; tout autant de fois aussi que l’âme voudra entrer dans le cœur de Dieu, elle le puisse faire franchement, car elle ne désire que Dieu. Cette clé se garde par la vigilance de l’âme, et par le soin de l’humilité, qui rapporte à Dieu tout le bien qu’elle a. Cette clé se garde aussi par la puissance de Dieu et par la charité divine, afin que l’âme ne soit supplantée par le diable.

 Voyez, ô mon épouse ! quel est l’amour que Dieu porte à l’âme. Demeurez donc ferme et faites ma volonté.

 

 

XXVIII.

 

Jésus-Christ parle à son épouse de son immutabilité ; de la perfection de ses paroles, bien que l’effet ne s’ensuive dès l’instant. Comment il faut commettre notre volonté en tout et partout à la volonté divine.

 

LE Fils de Dieu éternel parlait à son épouse, disant : Pourquoi vous troublez-vous de ce que ce faussaire a dit que mes paroles étaient fausses ? Eh quoi ! suis-je pire par ses blâmes ou meilleur par ses louanges ? Certainement, je suis immuable ; je ne puis être diminué, ni être augmenté, ni n’ai besoin de louanges. Mais l’homme, en me louant, profite de ma louange à soi-même, et non à moi ; et il n’est jamais sorti et il ne peut sortir de ma bouche aucune fausseté, car je suis la vérité même ; car tout ce que j’ai dit par mes prophètes, ou bien par quelques-uns de mes amis, soit spirituellement ou corporellement, s’accomplira comme je l’ai entendu ; et ce que j’ai dit n’est pas faux, d’autant que j’ai dit une chose une fois, une autre une autre fois, l’une clairement, l’autre obscurément ; car en preuve de la constance de ma foi et de la sollicitude de mes amis, j’ai manifesté plusieurs choses, qui, selon les divers effets de mon esprit, peuvent être entendues diversement, bien et mal par les bons et par les mauvais, comme l’on converse en une diversité d’états. Car comme en ma Déité j’ai pris mon humanité en une personne, de même quelquefois je parlais de la part de mon humanité en tant qu’elle était sujette à la Divinité, quelquefois de la part de la Déité, en tant qu’elle avait créé l’humanité comme il paraît par l’Évangile. Et ainsi, bien que mes paroles semblent diverses à ceux qui les calomnient et qui les ignorent, néanmoins, elles sont vraies et sont selon la vérité. Ce n’est pas non plus sans raison que j’ai baillé quelques choses fort obscurément, car ma justice l’exigeait de la sorte, afin que mon conseil fût aucunement caché aux mauvais, et qu’un chacun des bons attendît avec ferveur ma grâce, et que, pour son attente, il en reçût le prix, de peur que mes conseils eussent été déclarés, et qu’insinués en quelque certain temps, tous ne se désistassent de leur attente et poursuite amoureuse à raison de la largeur du temps.

J’ai promis aussi plusieurs choses que j’ai retirées en ce temps, à cause de l’ingratitude, car s’ils se fussent désistés de leur malice, certainement j’aurais exécuté ce que je leur avais promis. Partant, vous ne devez vous troubler si les méchants accusent de fausseté mes paroles, car tout ce qui est impossible à l’homme m’est possible.

Mes amis admirent aussi pourquoi, après les paroles, les œuvres ne suivent point, car ceci n’est pas sans raison. Mais quoi ! Moïse n’a-t-il pas été envoyé à Pharaon ? et soudain toutefois, les signes n’ont pas été faits. Pourquoi ? Car si soudain les signes fussent venus et les œuvres eussent été faites, l’obstination et l’endurcissement de Pharaon n’eussent pas été manifestes, ni la puissance divine, ni les merveilles déclarées ; néanmoins, Pharaon, à raison de sa malice, eût été damné, bien que Moïse n’y eût été, bien que son endurcissement n’eût été si manifeste. Il s’en fait de même maintenant.

Partant, demeurez constante, car bien que le soc soit traîné par les bœufs, néanmoins, il est gouverné selon la volonté du laboureur : de même, bien que vous ayez et sachiez mes paroles, néanmoins, elles ne vont et ne viennent pas selon votre volonté, mais selon la mienne, car je sais quelle est la terre qui est disposée et comment il la faut cultiver.

Or, vous, commettez mes volontés à moi, et dites : Que votre volonté soit faite.

 

 

XXIX.

 

Saint Jean-Baptiste avertit l’épouse de Jésus, sainte Brigitte, comment sont désignés et signifiés en figure, Dieu par les poussins, le corps par le nid du monde, les délectations par les animaux farouches, la superbe par les oiseaux de rapine, et la joie du monde par les lacets.

 

Saint Jean-Baptiste parlait à l’épouse de Jésus-Christ, disant : Notre-Seigneur Jésus vous a appelée des ténèbres à la lumière, des immondices à la pureté, des angoisses aux latitudes d’amour ? Qui pourrait donc expliquer ou satisfaire aux obligations que vous lui avez de l’en remercier. Véritablement, faites tout autant que vous pourrez.

Il y a un oiseau qui se nomme une pie, qui aime grandement ses petits, d’autant que les œufs dont ses petits sont éclos ont été en son ventre. Cet oiseau fait son nid des choses vieilles et rompues, à raison de trois choses : 1° pour le repos ; 2° pour se mettre à couvert de la pluie et des extrêmes chaleurs ; 3° pour y nourrir ses poussins, qui ont été produits des œufs ; car cet oiseau, pour l’amour qu’il porte à ses petits, couve les œufs et fomente les poussins. Or, quand ils sont nés et grandelets, la mère les allèche à voler en trois manières : 1° par l’administration de la viande dont elle se nourrit ; 2° par la fréquente voix ; 3° par l’exemple de son vol. Mais les poussins, qui aiment leur mère, accoutumés à la viande de leur mère, s’élèvent peu à peu, suivant leur mère sur le nid ; puis après, selon que les forces s’augmentent, ils vont plus avant, jusqu’à ce que l’usage et l’art les aient rendus parfaits à voler.

Cet oiseau nous représente Dieu, qui est de toute éternité et ne change point, et de lui dépendent toutes les âmes raisonnables, comme d’un ventre. À chaque âme est préparé un nid des choses les plus usées, d’autant que le corps terrestre est uni à l’âme, dans lequel Dieu nourrit l’âme de la viande des bonnes affections, la défend des oreilles des mauvaises pensées, et la met à repos et à couvert de la pluie des mauvaises actions. Or, chaque âme est jointe au corps, afin qu’elle le régisse et qu’elle ne soit point régie de lui, qu’elle l’excite au labeur et qu’elle en ait soin raisonnablement. Donc, Dieu, comme une bonne mère, enseigne l’âme à profiter et à avancer dans les choses meilleures ; il l’enseigne à sortir de ce qui est étroit, pour se dilater à ce qu’il faut faire et avoir horreur de ce qu’il faut fuir. Premièrement, pour la viande, lui donnant des lumières, raison et intelligence selon la capacité d’un chacun, leur montrant ce qui est commandé et ce qui est défendu, ce qu’il faut faire et ce qu’il faut fuir. Mais comme la mère enseigne et élève ses poussins sur le nid, de même l’homme apprend, en premier lieu, à considérer les choses célestes à penser aussi combien serré et vil est le nid du corps, combien éclatantes et lumineuses sont les choses célestes, et combien est plaisant et détestable ce qui est éternel. Dieu aussi conduit l’âme par sa voix, quand il dit : Celui qui me suit aura la vie ; celui qui m’aime ne mourra point. Cette voix conduit au ciel ; qui ne l’oit, ou il est sourd ou ingrat à la dilection de la mère. En troisième lieu, Dieu conduit et attire l’âme par le vol, c’est-à-dire, par l’exemple de son humilité. L’humanité glorieuse de Jésus-Christ a eu comme deux ailes : 1° d’autant qu’en elle était toute pureté ; 2° parce qu’elle a fait toute sorte de biens. L’humanité de Jésus volait au monde avec ces deux ailes.

Que l’âme donc suive le vol de ces deux ailes autant qu’elle pourra. Que si elle ne le peut par œuvre, pour le moins qu’elle le fasse par amour et désir. Quand les poussins volent, ils se doivent donner de garde de trois choses : 1° des animaux farouches, et qu’ils n’habitent auprès d’eux, car ils ne pourraient résister à leur force ; 2° des oiseaux de rapine, car les poussins n’ont pas l’aile forte pour voler vite comme ceux-là : il sera donc plus assuré pour eux de demeurer cachés ; 3° qu’ils ne désirent jamais la proie où est le lacet.

Ces animaux dont je viens de parler ne sont autres qui les délectations et les cupidités du monde. Que l’âme se donne de garde d’icelles, car elles semblent douces au sentiment, bonnes à la possession et belles à la vue. Mais hélas ! quand on les pense tenir, elles s’enfuient vitement. Quand on y pense prendre plaisir, elles mordent sans miséricorde. En deuxième lieu, qu’elle se garde des oiseaux de rapine, qui ne sont autres que la superbe et l’ambition, car elles désirent incessamment de monter de plus en plus, de précéder les autres et de les avoir en haine.

Or, que l’âme, ce poussin, se donne bien de garde de ces deux vices, et qu’elle désire insatiablement de demeurer dans les cachots d’une humilité inconnue et profonde. Qu’elle ne soit orgueilleuse des grâces que Dieu lui a données ; qu’elle ne méprise point ses inférieures, et qu’elle ne pense être meilleure que ceux qui ont une moindre grâce qu’elle. En troisième lieu, qu’elle se donne bien de garde de la proie en laquelle le lacet est attaché. Cette proie qui déçoit n’est autre chose que la joie du monde, car la joie semble bonne à la bouche, délectable au corps, mais en ces choses-là mêmes, les pointes mordantes du lacet y sont cachées. Certes, un ris immodéré apporte une joie déréglée. La volupté du corps nous conduit à l’inconstance de l’âme, dont s’ensuit la tristesse pressante, ou en la mort et devant elle, ou quand on est en adversité.

Hâtez-vous donc, ma fille, de sortir souvent de votre nid par les désirs et les soupirs des choses célestes. Donnez-vous de garde des oiseaux de rapine, oiseaux d’ambition, de cupidité et d’orgueil ; donnez-vous de garde de la proie d’une joie vaine et pétulante.

Après, la sainte Mère de Dieu parla à cette épouse : Gardez-vous, dit-elle, de l’oiseau qui est teint de poix, car tous ceux qui le touchent se souillent. Cet oiseau n’est autre que l’amitié immodérée du monde, qui est inconstante comme l’air, sale et vile en la poursuite des honneurs, et abominable en ses compagnies. Ne vous souciez point des honneurs mondains ; ne considérez point les faveurs passagères ; ne regardez point si on vous loue ou si on vous blâme, car de tout cela proviennent l’inconstance de l’esprit et le refroidissement de l’amour divin. Soyez donc constante et ferme. Confiez-vous que Dieu, qui a commencé de vous tirer du nid, vous repaîtra jusqu’à la mort. Après la mort, vous n’aurez point faim. Il vous préservera des peines ; il vous défendra tant que vous vivrez et après la mort vous ne craindrez rien.

 

 

XXX.

 

Ce chapitre est une prière que la Mère de Dieu fait à son Fils pour l’épouse sainte Brigitte et pour un autre saint. Comment la prière de la Mère de Dieu est acceptée par le Fils, et de la vraie ou fausse sainteté de l’homme pendant qu’il vit.

 

La Vierge Marie parlait à son Fils, disant : Mon Fils, donnez à votre nouvelle épouse cette faveur, que votre corps soit enraciné dans son cœur, afin qu’elle soit changée en vous et soit remplie de vos indicibles plaisirs. Ce saint 6, tant qu’il a vécu, a été constant en la foi comme une montagne, laquelle l’adversité n’ébranle ni la prospérité n’allèche ; il a été flexible comme l’air à condescendre à vos volontés, car il se portait où le poussait l’impétuosité de votre Esprit. Il fut d’ailleurs ardent en charité, comme le feu échauffant les froids et consumant les méchants. Or, maintenant, son âme est en la gloire avec vous ; mais son vaisseau, le corps, qui a servi d’instrument aux bonnes œuvres, n’est pas selon la décence qu’il faut : il gît en un lieu trop vil. Partant, ô mon Fils ! donnez à son corps un honneur plus grand et un bien plus honorable, puisqu’il vous a honoré selon son pouvoir ; rehaussez-le, puisqu’il vous a loué autant qu’il a pu.

Le Fils répondit à sa Mère la Sainte Vierge : Bénie soyez-vous, vous qui ne laissez en arrière rien qui touche à vos amis ! Il n’est pas décent, ma Mère, qu’une si bonne viande soit parmi les loups. Il n’est pas raisonnable que celui qui est un saphir en pureté, conservant en son entier ce qui est saint et rétablissant ce qui est infirme, gise maintenant parmi la boue et la fange. Il est aussi convenable que cette lumière soit illuminée pour illuminer les aveugles. Car de fait, cet homme, comme il a été constant en la foi et fervent en l’amour, ainsi a-t-il été continent et conforme à mes volontés. C’est pourquoi il m’a plu comme une viande très-bonne, qui a été cuite dans le feu de toute sorte de patience et de tribulation ; il m’est fils doux et bon en volonté, et meilleur en l’effort des bonnes œuvres et à avancer généreusement dans la sainte perfection, et très-bon et très-doux en sa louable fin et consommation de sa vie. Partant, il n’est pas à propos qu’une telle viande soit si hautement prisée et exaltée devant les loups, la cupidité desquels ne peut être rassasiée, la délectation et sensualité desquels fuient la vertu des herbes, et sont sitibondes et faméliques après les charognes pourries, et desquels la voix rusée, douce et emmiellée, nuit à tout le monde.

Il a été aussi comme un saphir enchâssé dans l’anneau par la fin et par l’éclat de sa vie, par laquelle il s’est montré époux de son Église, ami de son Seigneur, conservateur d’une foi sainte et contempteur du monde. Partant, ma très chère Mère, il n’est pas décent que celui qui avait tant d’amour au bien soit touché des immondes, comme un époux du monde, et que les amateurs du monde s’approchent de celui qui a tant aimé l’humilité.

Il a été encore, en troisième lieu, comme une lumière mise sur le chandelier par l’exécution et l’observance de mes commandements, et par la doctrine de sa bonne vie ; par elle, il a affermi les autres, afin qu’ils ne tombassent ; par elle, il a relevé ceux qui étaient tombés ; par elle, il a excité la postérité à venir à moi. Ceux qui sont aveugles en leurs amours ne peuvent dignement discerner cette lumière ; les chassieux de superbe ne les peuvent toucher de leurs mains galeuses, car cette lumière est trop odieuse aux ambitieux, désireux et amateurs de leurs volontés. Partant, avant que cette lumière soit élevée, il est juste et raisonnable que ceux qui sont immondes soient purifiés, et que ceux qui sont aveugles soient éclairés.

Quant à cet homme, que les hommes de la terre appellent saint, il y a trois choses qui ne le montrent point saint : 1° d’autant qu’avant sa mort, il n’imitait point la vie des saints ; 2° parce qu’il n’a pas eu une joyeuse volonté d’endurer le martyre pour l’amour de moi ; 3° attendu qu’il n’a pas eu une charité fervente et bien ordonnée comme mes saints l’ont eue. Il y a aussi trois choses qui le font réputer saint du peuple : 1° le mensonge fallacieux et plaisant ; 2° la facile croyance des fous ; 3° la cupidité et la tiédeur des prélats et des examinateurs. Or, si cet homme est en enfer ou non, il ne vous est pas encore licite de le savoir, mais vous le saurez quand il sera temps d’en parler.

 

 

 

 

FIN DU TOME PREMIER.

 

 

 

 

 

 

 



1 Cette femme était une courtisane qui ne voulait pas retourner dans le monde ; le diable la molestait jour et nuit, lui enfonçait les yeux, la tirait de son lit. Sainte Brigitte lui commanda de se retirer ; cette femme fut affranchie, voir même des mauvaises pensées.

2 Ce pécheur était un soldat qui haïssait le clergé. Sainte Gertrude en eut révélation ; il mourut misérablement, sans que personne le plaignît, comme Aman.

3 Cet homme était un chanoine noble, sous-diacre. Ayant obtenu une dispense pour épouser une fille fort riche, il mourut de mort subite sans jouir de ce qu’il désirait.

4 Cet homme était un chantre de noble maison, qui était allé à Jérusalem sans permission du Pape, et qui fut possédé du démon.

5 Les religieux de Notre-Dame de la Merci, Trinitaires et Mathurins.

6 Saint Prinuphe, évêque, comme il paraît par le chapitre 108.

 

 

 

 

 

 

 

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