Église une et infaillible

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Dr C. B. BURDETT-SMITH

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’Église d’Angleterre, détachée de Rome par le roi Henri VIII à cause d’une femme, est un cas spécial, est ni catholique, ni à vrai dire protestante. Elle désire être catholique, mais ne le peut, puisqu’elle rejette le primat du Pape et n’a plus d’ordinations valides ; elle ne veut pas être protestante car pour elle les Réformateurs ont trop rejeté de choses essentielles. Ils sont, avec les orthodoxes, les plus près de l’Église catholique.

Nombreux sont les Anglicans qui se convertissent à l’Église catholique pour laquelle le chancelier royal Thomas More a versé son sang. L’un d’eux raconte ici les motifs qui l’ont fait passer de Canterbury à Rome.

Le docteur en médecine Burdett-Smith est né en 1923 à Londres. Enfant, il remarqua déjà les différentes tendances de son Église qui n’ont de commun que le rejet du Pape. Il apprit par une brochure ce que l’Église de Rome dit d’elle-même. « La vérité servit d’appât » (Chesterton) et ne le lâcha plus. Les remèdes indiqués par les prêtres anglicans ne le guérirent pas de sa « fièvre romaine ». L’étude de l’histoire de l’Église et des Pères le décida à faire le pas décisif, en 1949.

Le docteur Burdett-Smith travaille depuis 1951, avec un noble désintéressement, dans un hôpital de la mission des Sœurs irlandaises au Nigéria. Il avait occupé auparavant un poste à l’hôpital Victoria, à Romford.

 

 

 

 

Mes parents sont des membres pieux de la Haute-Église anglicane, dans laquelle j’ai aussi été baptisé. Lorsqu’en 1927 nous sommes venus de Londres dans une autre ville, il se trouva que notre nouveau pasteur faisait partie de la Basse-Église. C’est de lui que j’ai reçu le premier enseignement religieux. Puis nous nous sommes rattachés à une paroisse voisine que présidait un prêtre de la Haute-Église : on l’appelait toujours « Père (Father) ». Il était « Ritualiste », c’est-à-dire qu’il avait introduit dans le culte de l’Église d’Angleterre de nouvelles prières et de nouveaux rites, par pur principe d’esthétique. L’office du matin était un mélange de prières tirées du Prayer-Book officiel et du missel romain. Je fis partie de la chorale, des enfants de chœur et enfin je devins cérémoniaire.

 

 

Manque d’unité            

 

J’étais externe dans une école moyenne, dont le directeur était membre de la Haute-Église. Il ne croyait pas même à la naissance virginale de Jésus, ni aux miracles, et doutait enfin des apparitions corporelles de Jésus après sa résurrection. Il nous enseignait que les premiers chrétiens célébraient la messe très simplement, ce qui me fit détester les tas de rites de l’église paroissiale. Ne les comprenant pas, j’interrogeai mon curé : il n’avait aucune explication à me donner pour beaucoup de rites qu’il avait introduits. J’avais un ami qui n’était pas protestant anglican, j’allai une ou deux fois avec lui dans son église. Le sérieux, la sincérité des fidèles m’impressionna, mais leur sévérité exagérée me déplut.

Notre curé s’en alla en 1943. Son successeur était un anglo-catholique, qui abhorrait le nom de « Haute-Église ». Il introduisit la messe romaine en entier, en langue anglaise et fit disparaître du culte toutes les coutumes et prières sentimentales, personnelles de l’ancien curé. Il recommanda la confession, le culte de la sainte Vierge et des saints. C’est lui qui m’apprit la signification de la messe comme sacrifice et le rôle du sacerdoce. Il me fit aimer la liturgie catholique. Pour la première fois, j’avais quelque chose de précis sur l’Église catholique que mon curé admirait tant dans sa « Discipline » et sa liturgie. Par contre il ne pouvait pas admettre l’autorité pontificale. Je savais dès lors que l’Église n’était pas un petit groupe de fanatiques superstitieux, comme on me l’avait dit à l’école, mais qu’elle formait une Église à l’œuvre dans le monde entier. Leur seule faute, selon mon curé anglican, était de considérer le Pape comme la tête de l’Église.

 

 

Une messe catholique            

 

Tous ces renseignements sur l’Église catholique me donnèrent à réfléchir et je me demandais si précisément les catholiques n’avaient pas de bonnes raisons de tenir aux doctrines qui les différencient des Anglicans. Je décidai d’assister à une messe catholique, pour voir ce qu’étaient en réalité ces gens originaux. Le dimanche 20 février 1944, j’entrai pour la première fois dans une église catholique, la Westminster-Cathédrale de Londres. J’admirais la pureté du style et la puissance de l’édifice, tout en me demandant si quelqu’un n’allait pas deviner que je n’étais pas catholique. J’étais étonné de voir qu’ils célébraient la messe dans une langue étrangère, le latin, et que les fidèles ne répondaient pas comme dans la liturgie anglicane. Après la messe, je parcourus la cathédrale et, à la sortie, je m’arrêtai devant l’étalage des brochures. Je désirais connaître la doctrine officielle de l’Église. J’achetai une brochure : « Essence et doctrine de l’Église ».

 

 

Influence d’une brochure            

 

Je lus la brochure dans le courant de la journée et je fus étonné : l’Église catholique prétendait être la véritable Église fondée par le Christ, avec saint Pierre et ses successeurs pour chefs. Elle affirmait que toutes les autres Églises chrétiennes s’étaient séparées d’elle et se trouvaient dans le schisme ou l’hérésie. Voilà qui mettait en morceaux ma conviction béate que l’Église anglicane était un des trois rameaux de l’Église catholique, au même titre que l’Église romaine et orthodoxe. Ici l’Église catholique exigeait ma soumission à elle seule comme à l’unique Église fondée par le Christ. Ici l’Église enseignait « comme quelqu’un qui a la puissance et non pas comme les Docteurs de la loi ou les Pharisiens ». Mais je me souvenais de tout ce qu’on m’avait raconté à l’école sur l’ignorance, la superstition, l’intolérance des catholiques et je pris position contre ce que je venais de lire. Non, l’Église catholique ne pouvait pas être la véritable Église ! Il devait y avoir une fausse conclusion dans leur doctrine ; si ce n’était pas le cas, il me faudrait devenir catholique, et contre cette pensée s’élevèrent les siècles de protestantisme qui sont enracinés dans chaque Anglais. Il me fallait découvrir la fausse conclusion. Mon curé anglican, me disais-je, va me la montrer. Et je lui racontais ce que j’avais lu. Il garda son calme. Tous les anglo-catholiques, me dit-il, passent tôt ou tard par une « fièvre romaine ». Il m’indiqua le remède : étudiez l’histoire de l’Église et vous verrez que les prétentions de la Papauté n’ont aucun fondement historique.

 

 

Recherche douloureuse et loyale            

 

Je passais mon temps libre à lire des livres de controverse religieuse. Je discutais avec des catholiques et des anglicans, des prêtres et des laïcs, dans l’espoir d’arriver à la vérité. Peu à peu, je vis que l’Église était dans son droit lorsqu’elle prétendait être l’unique et véritable Église, tandis que les affirmations des anglo-catholiques m’apparaissaient de plus en plus douteuses. L’image que mon curé se faisait de l’Église anglicane ne cadrait pas avec les faits. À l’arrière-plan de mes pensées il y avait toujours cet amer pressentiment : si je suis convaincu un jour que l’Église catholique a raison, il me faudrait alors quitter l’Église d’Angleterre ; jamais plus je ne pourrais assister à la messe avec mes parents et mes amis. J’irais seul sur un chemin inconnu. J’en étais effrayé et je me plongeais de plus en plus dans les lectures avec l’espoir de prouver que les prétentions de l’Église catholique n’étaient pas appuyées par l’histoire.

Mes deux meilleurs guides étaient le livre de l’évêque anglican Gore : « Les prétentions catholico-romaines » et la réponse catholique dans le livre de Dom Chapman. Chaque fois que Gore semblait avoir infailliblement prouvé la fausseté de la position catholique, je trouvais que Chapman avait répondu à ces difficultés d’une façon amplement suffisante. Depuis 1946, j’étais à peu près sûr que l’Église anglicane ne pouvait pas être la véritable Église, les notes caractéristiques lui manquant. Dans cet état de doute je ne pouvais plus aller communier dans l’Église anglicane. Mon curé me dit : « Vous êtes encore anglican et tant que vous n’entendrez pas en vous l’appel clair d’entrer dans l’Église catholique, vous ne devez pas négliger les sacrements de l’Église anglicane. Je m’efforçais fiévreusement de devenir un bon anglo-catholique. Mais un doute lancinant restait au fond de mon âme : ne joues-tu pas au catholique ? et ta véritable place est-elle dans l’Église catholique ?

 

 

Entretien avec un prêtre            

 

Je fus présenté au Père jésuite N. Dennis le 18 juillet 1946. Après Dieu, c’est lui qui plus que tout autre m’a aidé à sortir de mes difficultés. Je le voyais souvent, il écoutait mes arguments avec patience et m’en faisait voir les défauts. Pour la première fois je vis ce qu’était la logique, science que la plupart des Anglais laissent de côté, du moins dans le domaine religieux. Je trouvais une explication qui se déroulait jusqu’à une conclusion logique : elle ne s’arrêtait pas en chemin à un point qui aurait rendu les conclusions incertaines. Il restait encore une foule de questions non éclaircies, controversées et qui, à mon avis, prouvaient que Rome avait tort. Je posais des questions comme celle-ci : la dispute de saint Cyprien avec le Pape Cornelius, la condamnation du Pape Libère comme hérétique, la question des conciles et une douzaine d’autres difficultés. Le Père Dennis résolvait parfois les difficultés apparentes tout simplement en montrant les questions dans leur contexte historique. Dans d’autres cas, il pouvait m’indiquer qu’une autre explication des faits était pour le moins aussi soutenable que celle des anglicans. Jamais pourtant je ne pus être convaincu que mes arguments avaient prouvé la fausseté de la position romaine.

En 1947 j’entrai dans l’armée de l’air anglaise et j’eus beaucoup de temps pour lire le soir. Je lus plusieurs histoires de l’Église et, en traduction, les ouvrages des premiers Pères. Cette fois je n’avais plus affaire à des textes sortis de leur contexte, ou à des textes controversés. Les difficultés qui m’avaient paru insolubles autrefois furent remises à leur place et n’eurent plus tellement d’importance. C’étaient toujours des difficultés, oui, mais elles ne pouvaient en aucune manière prouver quelque chose de bien défini. C’étaient des faits sur lesquels les historiens avaient à se prononcer. Je commençais à considérer l’Église d’une façon plus large et je voulais savoir quelle avait été l’intention du Christ en la fondant.

 

 

Église infaillible            

 

Depuis longtemps déjà, j’étais persuadé que l’Église devait être infaillible. Les propres paroles du Christ ne peuvent pas être interprétées autrement. Le Christ ne pouvait pas laisser sa doctrine à la merci de l’erreur humaine qui, peu après la mort du Sauveur, s’était déjà employée à malmener les vérités révélées. Seule restait la question : Qui était infaillible, le Pape ou les conciles généraux ? Les anglo-catholiques prétendaient qu’il n’y avait plus eu de conciles généraux depuis que l’Église avait été divisée, il y a quatre siècles. Mais l’Église est un corps vivant et non un livre mort. Voilà la grande différence entre l’Église catholique et l’Église protestante. Lorsque l’Église en appelle à un concile d’il y a mille cinq cents ans pour donner une réponse à un problème moderne, n’est-elle pas plus sensée que l’homme qui n’accepte pour autorité que sa propre interprétation de la Bible, comme le font les protestants ? – Les anglo-saxons condamnent d’ailleurs cette erreur. – Je songeais surtout au texte : « Tu es Pierre et sur cette pierre... », cela n’avait qu’un sens plausible : le Christ a choisi saint Pierre comme chef de l’Église.

 

 

Où le cœur ne suit pas encore la raison            

 

J’avais la certitude que l’Église catholique avait raison. J’entrais dans la longue période entre la conviction et le pas décisif que la plupart des convertis connaissent bien et qui n’est pas de tout repos ! La crainte me retenait toujours et j’attendais la grâce de Dieu. J’avais remarqué que je ne pouvais plus rester anglican : depuis février 1946 je n’allais plus qu’à l’église catholique. Mon curé anglican m’avait accordé un essai de six mois et m’avait recommandé de ne pas assister uniquement à la messe, mais aussi aux exercices du soir, « et je serais vivement étonné, me dit-il, si après six mois de ces exercices du soir vous désiriez encore devenir catholique ». Cette remarque touche une difficulté réelle pour les anglicans dès le début de leur conversion. Un je-ne-sais-quoi dans l’Église catholique les attire au début, puis peu à peu ils découvrent la mauvaise herbe dans le champ : mauvais catholiques, prêtres déficients, scandales anciens et actuels, ou simplement les plates prières du soir qui scandalisaient tellement mon curé anglican. Malheureusement beaucoup s’arrêtent à cette difficulté. Ils ne considèrent que les faits superficiels et ne vont pas jusqu’à la vérité fondamentale. Ils oublient que la plupart des fautes qu’ils croient remarquer chez les catholiques étrangers sont à mettre sur le compte de leur appartenance à l’étranger et non pas de leur catholicisme. Ils ne voient pas que l’Église est une institution divine, mais composée d’hommes qui peuvent pécher et qui sont en fait des pécheurs.

J’assistais un jour à la messe à Belfast (Irlande du Nord) et je fus indigné par l’irrespect d’une partie de cette paroisse. Ils arrivaient en retard, partaient trop tôt, restaient assis la plupart du temps, regardaient partout et même discutaient. Mon sens esthétique et religieux protesta lorsque le prêtre entra en coup de vent dans le chœur et expédia les prières au bas de l’autel, en concours de vitesse avec les servants, et bâcla la messe dans un latin douteux. Je voulais m’en aller, tant cela me paraissait dérisoire, blasphème. Beaucoup de convertis ont fait cette expérience et sont partis, croyant que l’Église n’était pas pour eux. Heureusement, je ne m’arrêtais pas à ce niveau superficiel d’irrévérence, j’essayais de voir plus profond. Je me rendis compte que ces faits n’avaient rien à faire avec la question : l’Église catholique est-elle la véritable, oui ou non ? Admettons qu’un autre prêtre eût été à la tête de la paroisse, le tableau eût été autre dès le lendemain. Il aurait exhorté les fidèles à assister à la messe avec piété et aurait célébré la messe avec dignité. Ce n’étaient pas là des fautes de l’Église, mais de membres de l’Église.

 

 

Vers le pas décisif            

 

Vers la fin de 1948, le P. Dennis me fit savoir qu’il était temps de me mettre à l’étude méthodique de la doctrine catholique, à l’aide du catéchisme. Nous avons étudié ensemble les diverses questions. Plus j’avançais, plus j’étais dans le doute, car à la fin du cours je devais me décider pour ou contre. J’étais intellectuellement convaincu de la vérité, mais je ne pouvais pas encore m’y soumettre. J’espérais qu’un évènement ou un argument me rendrait à mon Église anglicane. Mes parents priaient pour que je reste fidèle à leur Église. Je leur serai toujours reconnaissant de ce qu’ils ne m’ont pas empêché de chercher loyalement la vérité. Ils ont peut-être été blessés, affligés, jamais pourtant ils n’ont été fanatiques ou sans égards. Tout ce qu’ils ont exigé de moi, ce fut de bien examiner les deux côtés de la question et de ne pas prendre de décision précipitée. Mes amis catholiques priaient pour moi. Je ne pouvais qu’attendre : Dieu me donnerait le courage de suivre son appel. Il faut être singulièrement courageux pour quitter sa famille et tous ceux qui nous sont chers, pour partir dans l’inconnu. Or, je ne suis pas très courageux de nature. J’eus pourtant moins de difficultés que beaucoup de convertis. Je savais que ma famille m’aimait, m’approuvait, quelle que puisse être la décision que j’allais prendre. Beaucoup de convertis, par contre, doivent « à cause de son Nom » quitter famille et amis.

 

 

Victoire            

 

Je me soumis enfin à l’inévitable, je serais catholique. C’était le seul chemin qui me restât, si je voulais garder ma sincérité morale et intellectuelle. Je ne fus pas du tout forcé d’entrer dans l’Église catholique par une inclination de mes sentiments ou par une force à laquelle je n’aurais pas pu résister, si ce n’est au tout dernier instant. J’avais toujours l’espoir, dans mon subconscient, qu’une illumination du ciel me montrerait clairement le pas à faire ; or rien ne vint. Il me fallut apprendre à dure école le long chemin qui mène à la conviction totale. Dieu sait dans sa Sagesse ce qui était le mieux pour moi. Une expérience soudaine embrasant mon âme aurait pu être plus tard sujette à caution tel qu’un phénomène psychologique d’autosuggestion.

Le P. Dennis m’accueillit dans l’Église le 3 décembre 1949. Le matin, lorsque je le rencontrai, j’étais encore anglican, et lorsque je le quittai j’étais catholique, sans avoir rien remarqué de spécial. Aucune extase ou chœur angélique n’embellirent l’évènement. Dès cet instant, mon âme, mon cœur commencèrent à s’épanouir. Avant d’entrer dans l’Église, mon cœur ne m’avait pas influencé. Toute recherche jusque-là s’était passée au niveau de la raison et de la volonté. J’avais accepté la vérité, non avec le cœur, mais avec la volonté. Après mon entrée dans l’Église, je fis une expérience dont j’avais entendu parler, mais que je ne croyais pas possible. J’avais lu quelque part qu’un converti avant d’être admis dans l’Église la voit comme quelqu’un qui regarderait un vitrail du dehors. Une fois seulement qu’il est entré dans l’Église, il le voit flamber de toutes ses couleurs. Je commençai à comprendre et à vivre l’Église de l’intérieur, telle qu’elle est, c’est-à-dire, l’Épouse du Christ, son Corps mystique vivant de sa vie divine. Je la voyais aussi bien avec le cœur qu’avec la volonté et je remerciais et je remercie Dieu qui, sans mérite de ma part, m’a incorporé à son Corps mystique.

 

 

 

C. B. BURDETT-SMITH, dans Les pourchassés de la grâce,

témoignages de convertis de nos jours,

rassemblés et présentés par Bruno Schafer,

Apostolat de la presse, 1962.

 

 

 

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