Les soldats et les chefs vendéens

 

 

FRAGMENT

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

François-René de CHATEAUBRIAND

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LES Vendéens eurent pour premières armes quelques méchants fusils de chasse, des bâtons durcis au feu, des faux, des broches et des fourches. Leurs cavaliers étaient montés sur des chevaux de labourage ; ils se servaient de bâts faute de selles, de cordes au lieu d’étriers. On voyait sur le champ de bataille, en face des troupes républicaines, des paysans en sabots, vêtus d’une casaque brune ou bleue, rattachée par une ceinture de mouchoirs ; leur tête était couverte d’un bonnet ou d’un chapeau rond à grands bords : ces bonnets et ces chapeaux étaient ornés de chapelets, de plumets blancs ou de cocardes de papier blanc. Lorsque les Vendéens avaient un sabre, ils l’attachaient à leur côté avec une ficelle ; ils suspendaient pareillement leurs fusils à leurs épaules, comme des chasseurs. Presque tous portaient une image de la croix on du sacré cœur attachée sur leur poitrine. Si les sacrifices à l’honneur et à la fidélité, si l’extrême indigence et l’extrême courage peuvent être ridicules, les Vendéens l’auraient été quelquefois. Ils remplaçaient leurs chétifs vêtements pourris par les pluies, percés par les balles, avec tout ce que le hasard offrait à leur héroïque misère. On a vu un de leurs officiers se battre entortillé dans une robe de juge ; un autre s’élancer et mourir au milieu du feu, n’ayant pour couvrir sa nudité qu’un morceau de serge. Un adjudant patriote ayant été conduit à M. de La Rochejaquelein, alors généralissime, il trouva celui-ci dans une hutte de branchages, vêtu d’un habit de paysan, le bras en écharpe, un bonnet de laine sur sa tête.

La bravoure des Vendéens était reconnue même de leurs plus implacables ennemis. L’antiquité ne nous a point transmis de paroles plus belles que ces paroles si connues de La Rochejaquelein : Si j’avance, suivez-moi ; si je recule, tuez-moi ; si je meurs, vengez-moi. À la première affaire de Laval, le jeune guerrier, poursuivant l’ennemi, se trouve seul en face d’un grenadier qui chargeait son arme. La Rochejaquelein était à cheval, mais blessé et portant le bras droit en écharpe : il fond sur le grenadier, le saisit au collet avec la seule main qu’il eût de libre. Le grenadier se débat, et cherche à percer de sa baïonnette le cheval et le cavalier. Des paysans surviennent et veulent tuer le grenadier. La Rochejaquelein le sauve et lui dit : « Va rejoindre tes chefs ; tu leur annonceras que tu as lutté avec le général de l’armée royale ; qu’il ne porte point d’armes, qu’il n’a qu’une main de libre, et que tu n’as pu le blesser. » C’est tout le soldat français.

Le général Turreau a peint La Rochejaquelein dans une seule ligne : « J’ai ordonné au général Cordier, écrit-il, de faire déterrer La Rochejaquelein, et de tâcher d’acquérir des preuves de sa mort. » Quel est donc cet étrange jeune homme dont il faut déterrer le cadavre pour tranquilliser une république qui comptait dans ses camps un million de soldats victorieux ? Quel est donc ce héros de vingt-un ans qui causait aux ennemis des rois la même frayeur qu’inspirait aux Romains le vieil Annibal exilé, désarmé et trahi ?

Bonchamp rappelait toutes les vertus de Bayard : même désintéressement, même humanité et même courage. C’était un de ces Français tels que les formaient nos anciennes mœurs, et tels qu’on n’en verra plus. Une foule de prisonniers républicains lui durent la vie ; il engagea le patrimoine de ses pères pour soutenir ses compagnons d’armes. Le représentant du peuple écrivit à la Convention : « La perte de Bonchamp vaut une victoire pour nous car il est, de tous les chefs des Vendéens, celui en qui ils avaient le plus de confiance, qu’ils aimaient le mieux, et qu’ils suivaient le plus volontiers. » Des historiens prétendent que des républicains mutilèrent son cadavre et envoyèrent sa tête à la Convention.

La religion semblait dominer particulièrement dans le jeune Lescure : il communiait tous les huit jours ; il avait porté longtemps un cilice dont on voyait la marque sur sa chair. Cette armure n’était pas à l’épreuve de la balle ; mais elle était à l’épreuve des vices ; elle ne défendait pas le cœur de Lescure contre l’épée, elle le mettait à l’abri des passions. Plus de vingt mille prisonniers patriotes, sauvés par l’humanité du général vendéen, trouvèrent sans doute qu’un cilice était aussi bon dans les combats qu’un bonnet rouge.

Stoffet, brave soldat, chef intelligent, mourut en criant : vive le Roi ! Il avait du cœur et de cette vertu opiniâtre qui ne cède jamais à la fortune, mais qui ne la dompte jamais.

Charette commanda le feu du peloton qui lui arracha la vie : lui seul se trouva digne de donner le signal de sa mort. Jamais capitaine, depuis Mithridate, n’avait montré plus de ressources et de génie militaire.

Le fier d’Elbée, couvert de blessures, fut pris dans l’île de Noirmoutiers. La faiblesse l’empêcha de se lever : ceux qui l’avaient vu si souvent debout sur le champ de bataille, le fusillèrent dans un fauteuil. On eût dit d’un monarque recevant sur son trône les hommages de la fidélité.

Le prince de Talmont, en allant à la mort, prouva qu’il était du sang de La Trémoille. « Fais ton métier, dit-il au bourreau, je fais mon devoir. »

De tous ces chefs, les uns étaient nobles, les autres sortis des classes moins élevées de la société ; les talents marquaient les rangs : le noble obéissait au roturier, le roturier au noble, selon le mérite ; et tandis que la Convention décrétait l’égalité et la liberté en créant le despotisme, l’égalité et la liberté ne se trouvaient qu’à l’armée royale et catholique de la Vendée.

 

 

 

François-René de CHATEAUBRIAND.

 

Paru dans les Annales romantiques en 1825.

 

 

 

 

 

 

 

 

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