Lourdes et la jeunesse

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Henri COLAS

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

C’était en 1904 ; mes amis, les brancardiers du diocèse de Rouen, m’avaient prié de me joindre à eux pour leur pèlerinage annuel.

J’avais, faut-il l’avouer, des préventions contre Lourdes. Ma foi en l’Immaculée, ma dévotion à la Vierge redoutaient, bien loin de le désirer, le contact des foules. Je savais, pour en avoir entendu parler, pour en avoir lu maints récits, les manifestations de superstition maladive qui déflorent sans qu’on y puisse rien le spectacle toujours merveilleux des élans d’une vraie piété. Lourdes, terre des miracles, ne serait-elle pas pour moi terre de déceptions ?

L’appel de mes amis était pressant ; la perspective de passer quelques jours d’intime communion avec des âmes d’adolescents, l’attrait d’un voyage dans les Pyrénées et, il faut en convenir, la curiosité de voir de mes yeux, eurent facilement raison de mes hésitations...

Je me souviendrai toujours des heures vécues près de la Grotte ; les émotions que j’y éprouvai ne furent pas celles, d’ailleurs, que j’avais escomptées. J’y vis sans indignation les gestes parfois mal équilibrés de dévotes inoffensives ; de fausses guérisons essayèrent de soulever l’enthousiasme, sans que m’en vînt le moindre émoi ; et je fus frappé de la sagesse défiante où se tiennent les masses qui ne clament leur gratitude qu’en présence d’un fait miraculeux et vraiment authentifié.

Il me fut donné de plonger dans la piscine, sans voir leur état s’empirer, des malades que la mort semblait avoir déjà effleurés de son aile ; je fus admis au bureau des constatations, et stupéfait en quelque manière de l’exigeante sévérité des médecins ; j’eus le grand honneur d’accompagner le Très Saint Sacrement en portant un flambeau pendant la procession de l’après-midi sur l’esplanade ; je pus plonger mes yeux dans ceux des pauvres infirmes, brûlés par le désir, dilatés par la confiance ; je vis se lever guéri un paralytique, et les larmes malgré moi jaillirent de mes yeux.

Tout cela pourtant ne suffit pas à me satisfaire. Je crois au miracle et je n’ai pas besoin pour entretenir ma foi de la mise en scène de Lourdes ni des émotions qu’on y peut ressentir. J’ai besoin bien plutôt de sentir que le corps humain avec ses infirmités douloureuses n’est pas en soi l’objet des bontés de l’Immaculée et qu’à travers les corps ce sont des âmes qu’elle veut atteindre, et qu’elle atteint en fait. Que sont en effet les hideurs apparentes, quelque accumulation qu’on en puisse faire autour de la Grotte, en comparaison des détresses insondables, des besoins infinis dont nos âmes portent en gémissant l’écrasant et secret fardeau ? Pour bien voir Lourdes, j’exigeais de fermer mes yeux de chair et de promener à satiété les yeux de mon âme sur mes propres misères, d’abord, et sur celles dont une amitié pure et surnaturelle me faisait l’indigne confident.

J’ai vu cette merveille : des âmes enchaînées brisant leur chaîne, des volontés sans ressort devenant soudain capables d’élans prodigieux, des esclaves de l’impureté devenant libres et purs. J’ai vu l’Immaculée se révéler à l’adolescence, exercer sur elle, irrésistiblement, son attirance virginale, et j’ai senti la toute-puissance de Marie sur le cœur de son Fils ; j’ai touché du doigt l’association étroite de l’Eucharistie et de Celle qui en fut le premier Tabernacle et j’ai compris là comme nulle autre part que le plus court chemin de toute âme passe à travers Marie.

Alors une espérance indicible, une sécurité totale m’envahirent. Et le charme de Lourdes opéra sur moi, de toute sa surnaturelle magie, tandis que je priais, isolé, à une heure où les pèlerins moins nombreux viennent à la Grotte parler à Marie et lui confier, comme à voix basse, leurs plus intimes secrets, ceux qu’on ose à peine s’exprimer à soi-même !

Lourdes, terre des miracles, preuve étrangement tangible des prédilections de Marie et de son Fils pour la France, Lourdes, où l’abondance des guérisons merveilleuses des pauvres corps ravagés ne peut être qu’un témoignage et un signe des résurrections d’âmes que la grâce y multiplie, Lourdes m’aida à mieux comprendre la mission de la France parmi le monde, et me décida à consacrer plus que jamais le meilleur de mes énergies, de ma santé, de toute ma vie au travail d’apostolat que Dieu attend de nous.

Ô jeunes adolescents qui avez entendu les appels divins et que voudraient séduire les appels des passions mauvaises, venez à Lourdes, non pas pour vous y étourdir dans le tumulte d’une agitation vaine, mais pour vous y recueillir et pour y écouter. Quand la Vierge apparut à Bernadette, elle ne dit pas : « Je suis la santé des infirmes», mais bien : « Je suis l’Immaculée Conception ». Quelle parole et quelle leçon !

C’est la Vierge toute pure qui choisissait, à partir de ce jour, le sol béni de France pour y accomplir la plus grande somme de son action toute-puissante à travers le monde. Œuvre de purification, essentiellement ; apparente sur les plaies physiques, afin d’ébranler les âmes encore hésitantes, de troubler les âmes sceptiques ; œuvre de purification à la fois réelle et symbolique. Regardez et comprenez, âmes d’adolescents ! La France est et demeure la fille aînée de l’Église, en vertu d’une mission spéciale dont il n’est pas possible de douter. Cette œuvre ne peut s’accomplir que par des âmes pures. Pour demeurer pures, les âmes ont à soutenir de terribles assauts ; mais Celle qui écrasa la tête du serpent, l’Immaculée, est là, en Qui réside la force dont nous avons besoin, qui préserve et qui purifie.

Fallût-il un miracle, venez, jeunes hommes et jeunes vierges, vers Marie qui vous attend. Priez-la, implorez-la, aimez-la, promettez-lui tendresse et fidélité, et vous partirez de Lourdes guéris, avec une vigueur renouvelée, une santé robuste. Et vous porterez à travers la France le rayonnement de vos âmes ardentes.

Par vous la France redeviendra chrétienne, et le Monde connaîtra une ère nouvelle de fraternité sainte et de véritable Paix.

C’est l’Immaculée qui est la base de notre espérance.

 

 

 

Henri COLAS, inédit.

 

Recueilli dans

Anthologie des meilleurs écrivains de Lourdes,

par Louis de Bonnières, 1922.

 

 

 

 

 

 

 

 

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