Langres, ville mariale

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Henri COURSIER

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LANGRES a conservé presque intacte sa physionomie d’autrefois.

La statue de la Vierge surmonte toutes les portes des remparts et le seuil de nombreuses maisons. Grande ou petite, pauvre ou somptueuse, figurée en pierre ou en bois, voire en plâtre, la mère de Dieu, son enfant dans les bras, sourit aux hommes à tous les carrefours, éclaire et spiritualise les façades et nul ne peut quitter la ville sans être confronté avec la sainte image. Maintes églises et chapelles conservent pieusement des Vierges miraculeuses.

Tel est le cadre de prière où grandit et se forma Jeanne Mance. Ainsi, Montréal, en la personne de l’un de ses plus illustres fondateurs, se relie-t-elle aux traditions de la France mariale. Et la merveille est qu’à Langres, le passé vive et puisse être contemplé de nos yeux. Cette ville, constamment protégée, est sortie indemne de toutes les guerres. Elle est restée elle-même, aujourd’hui comme hier, sous le doux regard de la Vierge.

Souvent les combats ont fait rage au pied de ses murailles – dont partie remonte aux Romains. – Déjà sauvée de l’assaut des barbares au temps de Constance Chlore, Langres fut, après le démembrement de l’empire de Charlemagne et jusqu’à l’époque de Louis XIV, la capitale d’une province frontière du royaume de France. Durant ces huit siècles, sous l’autorité de son évêque, qui, duc et pair, tenait l’épée du souverain au sacre des rois, elle a subi maints sièges sans succomber jamais. À la tête de la Ligue, des princes étrangers, sous couvert de religion, méditaient la subversion du royaume. Son loyalisme lui commanda de rester ferme dans la voie de la légalité.

« Langres, sur son rocher où le beau lys fleuronne » demeura fidèle au roi légitime. Son maire devint l’ami intime d’Henri IV qui devait refaire l’union des Français.

Les conquêtes de Louis XIV en Franche-Comté, puis l’annexion de la Lorraine au XVIIIe siècle retirèrent à Langres le périlleux honneur de monter la garde aux bornes du territoire. Désormais ses remparts, restés debout, ne protégeront plus que l’aspect pittoresque de la cité.

Vinrent la Révolution française puis les invasions périodiques de la France, déchue de son antique rang de première puissance de l’Europe. Protégée en 1814, Langres le fut encore en 1870. Les Prussiens détenaient toutes les voies d’accès à la ville et disposaient d’une supériorité militaire qui la laissait à leur merci. Ils n’avaient qu’à entrer, pourtant ils s’abstinrent ; pas un n’y pénétra et les Langrois comprirent, à cet étrange respect de leur ville, que leurs prières avaient été exaucées. Aussi, de quels accents saluèrent-ils l’image de Notre Dame de la Délivrance, quand, fidèles à leur vœu, ils lui élevèrent une chapelle sur l’une des hauteurs qui, d’une calme ondulation, ferment au nord l’horizon.

Le 8 septembre 1914, jour de la nativité de la Vierge, l’ordre d’évacuation de la ville, donnée la veille par le commandement français, fut retiré, avec les premières nouvelles de la victoire de la Marne. Un ex-voto dans la cathédrale commémore le fait.

Ainsi, Langres a duré, a vécu sous la protection de Marie.

Notre Dame la Blanche, dont l’image couronne l’autel du chevet de la cathédrale, Notre Dame du Bon Secours, qui fut invoquée pendant la guerre de trente ans, Notre-Dame de Confort, Notre Dame du Buisson, Vierge d’argent, Notre Dame des Anges, Notre Dame de la Bonne Nouvelle, Notre Dame de la Paix, telles furent les principales figures de la Vierge dans les temps reculés ; Notre Dame de l’Immaculée Conception, Notre Dame du Rosaire, Notre Dame du Carmel, vers qui montèrent les prières des Langrois en 1870, Notre Dame de la Délivrance, enfin, telles sont celles de la dévotion contemporaine, témoins de la vitalité, de la ferveur, du culte marial à Langres.

Quand fut proclamé par le Pape Pie IX le dogme de l’Immaculée Conception, par une fidélité exemplaire à la tradition que toute porte des murailles de Langres présente l’effigie de Marie, la piété des Langrois érigea une grande statue de la Vierge aux mains ouvertes sur une poterne que l’on venait de pratiquer dans les murs de la ville pour lui ouvrir une nouvelle voie.

Fait à noter dont le sens mystique est assez clair, cette statue de la Vierge, comme toutes celles des portes de l’enceinte, sauf une, est tournée vers l’intérieur de la cité. Elle regarde les habitants. La seule Vierge qui se tienne face à l’extérieur est Notre Dame de la Paix, comme pour signifier aux agresseurs la protection qu’elle étend sur la ville et les avertir de l’inanité de leurs efforts s’ils persistaient à troubler la paix fraternelle qu’elle proclame, Jésus dans ses bras.

D’autres portes sont moins douces dans leur avertissement. On y voit des trophées portés par deux esclaves nus, couverts de chaînes. Ceux-ci figurent des prisonniers de guerre, car, à l’époque même de Jeanne Mance, quand furent sculptés les hauts-reliefs de la porte des Moulins (1647), les juristes, avec Grotius, professaient encore sur la guerre une doctrine plus proche des conceptions romaines que des idées du christianisme. Ce n’est pas que les efforts de l’Église et le dévouement des Capucins, que les gravures de Callot montrent au chevet des blessés parmi les « Horreurs de la guerre », n’eussent déjà tracé la voie de la charité, mais le respect du vaincu en tant que personne humaine, n’était pas écrit dans le droit des gens. Depuis lors, la Croix-Rouge et le mouvement d’opinion suscité par cette généreuse idée d’un citoyen de Genève, sont venus, grâce aux conventions de Genève puis de La Haye, tenter d’humaniser la guerre. Un droit de la guerre s’est développé, cependant l’on peut dire qu’en présence du développement parallèle de la science et des moyens de destruction, l’homme garde, comme autrefois, grand besoin de l’intercession de Marie.

Cette figure de femme, de mère, incarnation de la bonté, de l’amour le plus pur qui soit concevable, fut toujours, l’Histoire nous l’apprend, la patronne des Français dans leurs plus hautes entreprises. Le culte de la Vierge rehaussa singulièrement la condition de la femme, la Chevalerie allant de pair avec l’esprit des Croisades, dans cette grande explosion de foi qui fit surgir les cathédrales.

Louis XIII, conscient d’une loi historique, voua la France à Marie. C’est alors que Jeanne Mance et ses compagnons fondaient Ville-Marie dans le Nouveau Monde.

Langres avait été bien choisie pour donner l’exemple de la fidélité à Marie et des bienfaits de « Sa » protection.

Placée en proue, émergeant du plateau où elle s’appuie vers le nord et dominant de très haut le pays dans les autres directions, elle partage les eaux de la Marne de la Meuse et de la Saône. Elle commande ainsi les vallées par où s’est propagée en Occident la civilisation gréco-latine venue de la Méditerranée par le couloir du Rhône et de la Saône. César, du premier coup d’œil, avait compris l’intérêt de cette situation stratégique. Pour se concilier les Lingons, il composa avec eux au lieu de les combattre et les ancêtres des Langrois, comme inspirés de la mission de leurs descendants, répondirent sans hésitation à l’appel de leur destinée. Ils acceptèrent d’emblée la loi romaine qui préparait la pacification du monde tandis qu’allait naître Jésus. Chrétienne dès le troisième siècle, Langres surmonta les épreuves des invasions barbares et devint championne de la Vierge et de la France pour son honneur et pour le nôtre.

N’irons-nous pas la voir ?

Il semble que Marie elle-même nous invite. Car, du haut de la Porte des Moulins, Notre-Dame de la Paix n’aperçoit pas que les fauteurs de guerre pour les écarter. Elle regarde aussi les pacifiques. Et voici qu’aujourd’hui, par « Sa » Revue, Elle sourit à tous ses enfants dans le monde, à ceux du Canada, à ceux de Ville-Marie, un peu Langrois par leurs origines mystiques, et les convie à visiter sa bonne ville de Langres.

 

 

 

Henri COURSIER.

 

Paru dans la revue Marie en juillet-août 1952.

 

 

 

 

 

 

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