Histoire des Shadilis de Damas

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

l’abbé Jean-Marie CURICQUE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

I

 

 

Ce n’est pas l’un des moindres signes du temps que de voir des musulmans se convertir en grand nombre1. Or, lisons-nous dans l’Univers, il se passe en ce moment en Orient des choses faites pour exciter à un haut degré l’attention et l’intérêt des catholiques, et qui prouvent une fois de plus que, selon l’expression des livres saints, le bras de Dieu n’est pas raccourci 2. Chose qui ne s’était peut-être jamais vue, des musulmans se convertissent en foule au christianisme, et cela à Damas, l’un des foyers les plus actifs du fanatisme mahométan, dans la ville qui a donné le signal de l’horrible massacre des chrétiens en 1860. Nous donnons sur ce mouvement extraordinaire des détails empruntés au Tablet, journal catholique anglais, dont l’autorité est grande parmi nos coreligionnaires de l’autre côté de la Manche et qui déclare les tenir d’une source qui lui inspire toute confiance. Le récit du correspondant du Tablet est trop long pour que nous puissions le reproduire tout entier, mais nous en donnons la plus grande partie et nous croyons ne rien omettre d’essentiel.

Après avoir raconté comment un groupe de musulmans, habitant le Maydan, faubourg méridional de Damas, fut affilié à un ordre ou confrérie de derviches, appelés Shadilis, par un certain Abd-el-Karim Matar, simple villageois devenu cheik de ces derviches ; après avoir expliqué ce que c’est que cette congrégation, à laquelle appartient du reste le célèbre émir Abd-el-Kader, établi à Damas, depuis quelques années, il signale la conduite des Shadilis lors de l’affreux massacre de 1860.

« Grâce à l’influence exercée par eux, dit-il, aucun chrétien ne perdit la vie dans les quartiers qu’ils habitent : beaucoup furent cachés dans leurs maisons et envoyés secrètement hors de la ville, lorsque la fureur populaire se fut un peu ralentie. Notre-Seigneur, qui promet de récompenser jusqu’à un verre d’eau donné en son nom, n’oublia pas, comme on va le voir, ces actes de miséricorde envers les malheureux chrétiens. »

 

 

 

II

 

 

« Ce ne fut qu’au bout de quelques années que la grâce commença à faire son œuvre.

« Abd-el-Karim Matar et plusieurs de ses acolytes shadilis avaient l’habitude de se rassembler dans sa maison du faubourg Maydan pour leurs dévotions particulières, et ils passaient des jours et des nuits pour obtenir que Dieu les éclairât. Leur nombre variait de soixante à soixante-dix : ils étaient même quelquefois davantage. Vers 1868, ils commencèrent à être tourmentés de doutes sur la vérité de leurs croyances. Leur religion ne les satisfaisait pas ; ils en désiraient une meilleure. Ils devinrent inquiets, incertains, perplexes, mais, craignant d’être trahis, ils n’osaient pas révéler l’un à l’autre les pensées qui les obsédaient. Deux ans se passèrent dans cet état d’angoisse et de souffrance, chacun d’eux se croyant le seul à ressentir ces tourments de conscience.

« À la fin, une vision leur donna l’assurance que la religion chrétienne était celle qu’ils cherchaient. Un soir, quarante d’entre eux, ayant à leur tête Abd-el-Karim Matar, s’étaient réunis pour leurs prières habituelles, et, après avoir fait leurs exercices de dévotion, tous tombèrent endormis, et Notre-Seigneur daigna apparaître séparément à chacun d’eux. Ils s’éveillèrent tous à la fois, pleins de frayeur et d’émotion, et l’un d’entre eux, prenant courage, ayant raconté sa vision aux autres, chacun lui répondit : Je l’ai vu aussi.

« Le Christ les avait consolés, encouragés et exhortés à embrasser sa religion, et ils étaient pleins d’une joie qu’ils n’avaient jamais connue, à ce point qu’ils voulaient d’abord courir les rues en proclamant la divinité de Jésus-Christ, mais ils furent avertis d’En-Haut qu’ils n’aboutiraient qu’à se faire égorger, et qu’ils ôteraient à la ville tout espoir de suivre leur exemple. »

 

 

 

III

 

 

« Ils avaient besoin d’un guide, d’un directeur, d’un nom qui soutînt leurs pas chancelants sur la route nouvelle qu’ils avaient à suivre, et ils adressaient à Dieu de ferventes prières pour qu’il voulût bien, dans sa miséricorde, leur envoyer ce qu’ils demandaient. Un soir, comme ils étaient réunis pour leurs exercices de dévotion, le sommeil s’empara encore d’eux, et ils se virent eux-mêmes dans une église chrétienne où un vieillard à longue barbe blanche, portant un vêtement de grosse serge brune et tenant un flambeau allumé, passa devant eux, et, leur souriant avec bonté, leur répéta plusieurs fois : Que ceux qui ont besoin de la vérité me suivent.

« En se réveillant, ils se racontèrent mutuellement leur songe et ils se disposèrent à chercher le personnage qui leur était apparu. Ils le cherchèrent en vain, dans la ville et ses environs pendant environ trois mois ; mais ils ne cessèrent pas de prier. Il arriva qu’un jour un des nouveaux convertis entra par hasard dans le couvent des Pères de Terre-Sainte, établissement espagnol placé sous la protection française. Quel ne fut pas son étonnement en reconnaissant dans le supérieur, le Père Emmanuel Forner, le personnage qu’il avait vu en songe.

« Ce saint religieux, qui était le curé latin de Damas, s’approcha et demanda au musulman ce qu’il voulait. Le néophyte répondit en racontant simplement son histoire et celle de ses compagnons et alla, en toute hâte, informer ceux-ci, qui, le lendemain, accoururent en masse au couvent. Le père les reçut avec une bonté touchante, leur donna des livres où ils pourraient apprendre tout ce qu’enseigne l’Église, et leur traça des règles quant aux prières et aux exercices de piété à faire en commun. Enfin il distribua à chacun un crucifix, comme symbole de leur foi nouvelle. Ceci se passait au commencement du printemps de 1870. Le père Emmanuel mourut en paix environ trois mois après. »

 

 

 

IV

 

 

« Les convertis, arrivés maintenant au nombre d’à peu près deux cent cinquante, se réunissaient régulièrement pour prier dans la maison de l’un d’entre eux, et ces réunions attirèrent l’attention de leurs voisins musulmans. Plus tard, un ou deux crucifix furent aperçus, et les soupçons devinrent des certitudes. Les autorités locales furent informées de ce qui se passait. Les ulémas (pasteurs qui forment comme le sacerdoce de l’islamisme) furent consternés. Ils eurent plusieurs réunions chez le cheik Dabyau, musulman connu par son fanatisme, qui habitait le faubourg Maydan. Enfin, une assemblée générale fut tenue dans la maison de ville de l’émir Abd-el-Kader, qui a toujours été regardé à Damas comme un des défenseurs du Coran. (Ici le narrateur donne le nom des ulémas qui composaient l’assemblée : c’étaient, en général, des hommes connus par leur haine contre les chrétiens, et dont quelques-uns avaient pris une part très active aux massacres de 1860). Toutefois, il faut être juste envers le président Abd-el-Kader. Il croyait remplir un devoir religieux en siégeant pour juger des hommes qui avaient apostasié sa foi, et il agissait suivant sa conscience erronée ; mais, pendant le massacre de 1860, il avait protégé les chrétiens, et même il avait passé la nuit couché sur une natte, en travers du seuil de sa porte, pour empêcher que ses serviteurs algériens ne refusassent de donner asile à quelque malheureux suppliant.

« L’assemblée, après une longue discussion, prononça la sentence de mort contre les convertis. Les seuls qui firent exception furent l’émir Abd-el-Kader et le cheik el-Giani-el-Maydan, lesquels déclarèrent « qu’un homme en vie vaut toujours mieux qu’un homme mort ». Les cheiks Tantawi et el-Khani soutinrent que tuer d’aussi grands criminels était un acte plus agréable à Allah que la prière du vendredi.

« S’il y a une idée plus profondément enracinée qu’aucune autre dans le cerveau d’un musulman, c’est que l’homme qui a apostasié l’Islam doit mourir. Tous les moyens sont bons pour lui ôter la vie : le parjure et l’assassinat sont des actes méritoires quand ils sont employés à cette fin. Le firman du 12 février 1856 garantit, il est vrai, la vie et la liberté à tous ceux qui changent de religion, mais ce système de tolérance n’existe que sur le papier. On n’a jamais eu l’intention sérieuse de le mettre en pratique, et les autorités locales, dans tout l’empire ottoman, n’en tiennent pas le moindre compte, obéissant, sans le moindre doute, à des instructions supérieures... »

 

 

 

V

 

 

« L’assemblée, toutefois, n’osant pas mettre à exécution la sentence de mort, prononça que les coupables devaient être exilés, leurs maisons détruites et leurs biens confisqués. On convoqua en secret le madjlis (tribunal), à l’insu de ses membres chrétiens, et cette junte illégale envoya pendant la nuit des troupes chargées d’occuper les rues du faubourg Maydan. On savait qu’une cinquantaine de shadilis étaient réunis pour prier dans la maison d’un certain Abou-Abbas. Lorsqu’ils sortirent pour retourner chez eux, les soldats en saisirent quatorze qu’ils emmenèrent à leurs corps de garde où ils les fouillèrent pour s’emparer de leurs crucifix. Ils furent ensuite conduits dans diverses prisons de la ville...

« Quelques jours après, ils furent amenés devant le grand tribunal secret que présidait en personne le wali, ou gouverneur général de Syrie, Mohammed-Rechid-Pacha. Ce haut fonctionnaire, protégé du grand-visir Aali-Pacha, a été chargé de gouverner la province de Syrie pendant un temps qui a dépassé cinq ans, ce qui est contraire à tous les usages, et la violence et la rapacité dont lui et ses créatures ont fait preuve, ont certainement contribué pour quelque chose au mouvement vers le christianisme. Avec un vernis d’éducation parisienne, un fond sans religion aucune, mais décidé à empêcher les conversions, parce qu’elles pourraient profiter à cette influence européenne qu’il s’est toujours efforcé de combattre, Rechid-Pacha ne cacha jamais sa conviction que des traités et des firmans touchant un sujet tel que des conversions de musulmans sont tout simplement une dépense inutile de papier, et il menace de faire périr tous ceux qui changent de religion, soit par un supplice légal, soit par un assassinat secret, menace qu’on sait n’être pas proférée en vain, vu la froide cruauté qui caractérise cet homme. Et il emploie la persécution d’autant plus volontiers qu’il veut se rendre favorables les gens pieux de sa religion, lesquels sont grandement scandalisés de sa négligence notoire à accomplir les devoirs de tout bon musulman, tels que le jeûne et la prière, et d’autres pratiques qui ne peuvent être mentionnées ici. »

Après un interrogatoire où les nouveaux chrétiens répondirent avec une simplicité et une fermeté admirables, le gouverneur général les renvoya à leurs prisons. Ils y restèrent trois mois, attendant en vain une intercession en leur faveur. L’affaire ayant été conduite dans le plus grand secret, longtemps après, elle était encore ignorée de la plupart des Européens résidant à Damas. Les consuls des puissances chrétiennes n’en prirent connaissance que très superficiellement et ne purent ou ne voulurent pas s’en mêler. Les néophytes trouvèrent pourtant un avocat dans le P. Emmanuel Forner, dont on a mentionné plus haut les rapports avec eux. Il adressa, le 29 mars 1870, un touchant appel au général de son ordre, et sa lettre parut dans la Correspondance de Rome du 11 juin 1870. Mais survint la guerre entre la France et la Prusse qui devint la préoccupation de tout le monde en Europe, et la lettre du P. Forner passa inaperçue.

Citons le résumé qu’en donne le Tablet :

 

 

 

VI

 

 

« Le P. Emmanuel rapporte qu’un jour, visitant les néophytes avant leur emprisonnement (son humilité l’empêche d’indiquer la part importante qu’il a prise à leur conversion), il leur demanda s’ils pouvaient répondre de leur constance, et voici ce qu’ils lui dirent : « Nous ne croyons pas seulement par suite de vos instructions et de la lecture des livres que vous nous avez donnés, mais nous croyons parce que le Seigneur Jésus-Christ a daigné nous visiter et nous éclairer lui-même, et parce que la Sainte Vierge en a fait autant. » Et ils ajoutèrent : « Comment serions-nous si facilement devenus chrétiens sans un tel miracle ? » Le digne prêtre ne voulut pas exprimer ses doutes, par crainte de scandaliser un de ces petits3. Il désirait vivement connaître les visions et les révélations dont ils avaient parlé, mais il ne négligea pas de prendre les précautions nécessaires. Ayant assemblé ses frères et présidant lui-même la réunion, il examina et questionna les convertis séparément. Il les trouva unanimes à déclarer que la première nuit où ils furent témoins d’une Apparition, ils avaient prié pendant plusieurs heures, et que le sommeil s’était emparé d’eux quand le Sauveur Jésus-Christ apparut à chacun d’eux en particulier.

 « Ils furent éblouis par la lumière qui l’environnait, et leur effroi fut grand ; mais l’un d’eux, prenant courage, dit : « Seigneur, puis-je parler ? » Il lui fut répondu : « Parlez. » Il demanda : « Qui êtes-vous, Seigneur ? » L’Apparition répondit :  « Je suis la vérité que tu cherches. Je suis Jésus-Christ, le fils de Dieu. » Ils se réveillèrent dans un état d’émotion indescriptible et se regardèrent les uns les autres. L’un d’eux prit courage et parla ; les autres répondirent, sans en excepter un seul : « Je l’ai vu aussi. »  Dans une autre occasion, la bienheureuse Vierge Marie se présenta à eux avec l’enfant Jésus dans ses bras et, le montrant du doigt, répéta trois fois, d’une voix claire et distincte : « Mon fils Jésus-Christ que vous voyez est la vérité. »  Il y a beaucoup d’autres révélations merveilleuses dont la réalité me paraît incontestable, mais j’ai quelque répugnance à les rapporter à cause des incrédules. J’ai gardé pour moi la moitié de ce que je sais, et je donne seulement le nécessaire. »

 

 

 

VII

 

 

« Sur les quatorze chrétiens restés en prison, continue le Tablet, on en laissa sortir deux dont les parents et les amis gagnèrent les autorités par des présents. Abd-el-Karim Matar, qui avait été mis au secret comme suspect d’être chrétien, tomba malade, et ses proches, en offrant de l’argent et en donnant caution, obtinrent de le ramener dans son village natal. Là, comme il était forcé de garder le lit, les membres de sa famille se rassemblèrent autour de lui et le sommèrent de professer de nouveau sa foi, en rendant témoignage à Allah et à son prophète Mahomet. Le malade refusa et se retourna du côté du mur pendant que ses cruels parents le frappaient et le maltraitaient. La sommation fut plusieurs fois répétée et toujours sans succès. À la fin, on en vint à de telles violences que le courageux Abd-el-Karim expira, premier martyr de la renaissance chrétienne.

« Dans la nuit du Ramadan, les douze restés en prison furent envoyés secrètement, chargés de fers, d’abord à Beyrouth, puis au donjon de la forteresse des Dardanelles. Là, ils furent embarqués sur un bâtiment si mauvais et si délabré, qu’ils firent deux fois naufrage, à Rhodes et à Malte. Enfin, ils prirent terre à Tripoli, de Barbarie, puis furent confinés à Moutzouk, établissement turc fort éloigné de la régence. Leurs femmes et leurs enfants, au nombre de soixante-deux, furent laissés à Damas, où ils seraient morts de misère sans l’assistance des autres convertis et des franciscains de Terre-Sainte. Rien n’est plus touchant que la conduite de ces pauvres convertis ; si l’un d’eux a quelque chose, il va aussitôt le vendre, et emploie l’argent au profit de la communauté, afin que tous ses frères puissent pourvoir un peu à leur subsistance. »

 

 

 

VIII

 

 

« Le terrible exemple des familles des Shadilis n’a pas arrêté le mouvement ; la persécution ne le fait jamais, et le sang des martyrs est toujours une semence de chrétiens. Sanguis martyrum semen christianorum, disait-on dans l’Église primitive. Mais maintenant les convertis procèdent d’une manière plus secrète. Ils s’abstiennent de réunions publiques, quoiqu’ils visitent dans l’occasion le Frère Dominique d’Avilet, père gardien du couvent de Terre-Sainte. Ils forment à présent une association organisée avec des réunions privées, pour la prière en commun et les autres précautions que doit prendre une société secrète. Le nombre des convertis s’est beaucoup accru. À la fin de 1869, il s’élevait à Damas à 500 personnes du sexe masculin ; en 1870, il s’est élevé à 4 100, et en 1871, on en compte 4 900, dont environ 700 ont été baptisés secrètement. »

Le mouvement se propage d’ailleurs et d’autres conversions de musulmans de Syrie sont signalées.

 

 

 

IX

 

 

Terminons par le fait miraculeux qui suit : il est arrivé4 à un de ces mêmes néophytes, jeune homme de vingt-trois ans, d’excellent caractère et appelé d’abord Ahmad-Esahar.

« Ce jeune homme, raconte le Père Emmanuel, était soldat de ligne, et il avait déjà vu le Seigneur et la Sainte Vierge avec les autres néophytes. Se trouvant un jour dans la caserne avec les autres soldats, il s’était mis en prière, dans un coin, lorsque tout à coup le Seigneur lui apparut et lui dit : « Croyez-vous en moi ? Je suis Jésus-Christ. » Le jeune homme répondit aussitôt comme l’aveugle-né de l’Évangile : « Seigneur, dès la première fois que je vous ai vu, j’ai toujours cru en vous », et ce disant, il l’adora. Le Seigneur ajouta : « Vous ne resterez pas dans la milice, mais vous retournerez libre chez vous. » « Et comment puis-je me délivrer ? » reprit le jeune homme. « C’est moi qui y pourvoirai », répondit le Seigneur, et la vision disparut. Le jeune homme, qui se trouvait dans un état semblable à l’extase, revient bientôt à lui-même et commence à crier par la caserne : « Jésus-Christ est le vrai Dieu » ; et cela sans discontinuer. Les soldats accourant l’accablent de reproches, lui couvrent la bouche de leurs mains, d’autres y mettent de la terre, et lui ne cesse de prêcher que Jésus-Christ est Dieu. Les soldats l’appellent fou et possédé ; ils le lient avec une grosse chaîne au cou, aux bras et aux pieds. Tandis que, plein de tranquillité, le néophyte se trouvait en cet état, Jésus-Christ lui apparaît de nouveau et lui dit :  « Rompez la chaîne. » « Et comment puis-je la rompre, puisqu’elle est de fer ? » Mais le Seigneur lui répète : « Rompez-la. » Et il la brise aussitôt comme si elle eût été de cire.

« Les soldats, le voyant libre et la chaîne rompue, en apportent une autre, et le prisonnier, s’étant laissé lier, la brise aussitôt comme la première. – Les officiers étonnés disent la chose au colonel. Celui-ci fait comparaître le jeune homme, l’accable de réprimandes, le menace, l’appelle fou et possédé. Le jeune homme répond qu’il n’est point fou, mais chrétien. Après quoi le colonel commande qu’il soit enchaîné de nouveau, emprisonné et privé de nourriture. Mais le prisonnier brise une troisième chaîne, en brise une quatrième, et les soldats s’enfuient épouvantés. Les officiers supérieurs n’osent pas le molester davantage. Seulement, avant de le mettre en liberté, ils demandent des ordres à Constantinople, d’où l’on répond que le jeune homme doit venir devant l’autorité supérieure. Le néophyte est donc bientôt envoyé sous escorte et de nouveau libre, mais avec des menottes en bois. Arrivé, la nuit, à Diurat, village à trois heures de Damas, il voit ouvrir la porte de la chambre et entrer la Sainte Vierge qui brise elle-même ses menottes et le laisse libre, de sorte qu’il retourne seul et tranquillement à Damas ou il se présente à l’autorité. Celle-ci le renvoie à Constantinople, mais cette fois libre et accompagné seulement de quelques soldats. Il arrive sans autre incident à Constantinople et il se présente au conseil militaire qui fait appeler des médecins. Or, sans qu’on sache pourquoi, on lui donne son congé absolu et, à cette heure, il vit libre chez lui. Voilà comment s’est accomplie la promesse ou la prédiction qui lui a été faite par Jésus-Christ.

« Je répète que je ne vous ai pas donné connaissance tout d’abord de ces faits intéressants et consolants, parce que je craignais toujours de me tromper en les admettant. Mais maintenant que j’ai pris des informations en interrogeant séparément les compagnons dudit jeune homme, et que j’ai trouvé l’uniformité dans le récit des témoins, je n’ai plus de doute sur ce qui est arrivé. Du reste, l’histoire de ce jeune homme est connue par tout Damas et les Turcs disent : « Voilà le soldat qui a brisé quatre chaînes. » Il y a même un militaire, son ancien commandant, qui, toutes les fois qu’il le rencontre, s’incline avec respect et le salue à plusieurs reprises en l’appelant Sciekh Ahmad, laquelle parole Sciekh est un titre d’honneur parmi les Turcs, mais le jeune homme y est insensible, il lui suffit d’être chrétien. »

 

 

 

X

 

 

Ces faits consolants, racontés avec une entière confiance en la bonne foi de leurs correspondants par les journaux que nous avons cités, renferment probablement quelques inexactitudes de détail, sur le chiffre des convertis par exemple, comme il résulte des informations des Missions Catholiques, Nos du 22 décembre 1871 et 28 juin 1872. On comprend aussi que la divulgation de ces conversions inouïes a rendu la position des néophytes et des chrétiens de l’Orient de plus en plus difficile au milieu du fanatisme musulman.

Prions donc afin que les miséricordieux desseins de Dieu sur ces contrées parviennent à rendre à la lumière de la foi cet antique berceau du Christianisme, sans que l’Occident, aujourd’hui si coupable, soit menacé de tomber à son tour dans le chaos de l’erreur et de la barbarie.

 

 

 

Abbé Jean-Marie CURICQUE,

Voix prophétiques, 1872.

 

 

 

 

 

 

1. Nous empruntons ce chapitre à l’Univers semi-quotidien du vendredi 3 novembre 1871 et à la Correspondance de Rome du 11 juin 1870, p. 288.

2. Is. LIX, I.

3. Matth. XVIII, 6.

4. Correspondance de Rome du 11 juin 1870, lettre du Père Emmanuel Forner.

 

 

 

 

 

 

 

 

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