Anecdotes et réflexions

sur la correspondance

entre Madame Guyon et Fénelon

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Jean-Philippe DUTOIT-MAMBRINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

AVERTISSEMENT

 

Sur la Seconde Édition de la Correspondance secrète de M. de Fénelon avec Madame Guyon

 

TOUS ceux sur qui s’est recourbé le rayon de la Vérité éternelle, tous ceux qui ont reçu l’onction du saint et ce sens qui fait connaître le Véritable comme parle saint Jean, sont d’accord sur les divins ouvrages de Madame GUYON.

Un feu céleste, un saint, vrai et non illusoire enthousiasme, les transports d’un amour sans bornes pour un DIEU qui le mérite si bien, les saillies d’un cœur qui se pâme dans l’adoration et le silence, l’édifice de la plus solide Religion élevé sur la base de la plus profonde humilité, toute la moelle, la quintessence de l’Intérieur, des Directions complètes, uniques et qui mènent l’âme par degrés et de proche en proche, depuis sa conversion, jusques dans les abîmes de la Divinité ; tous les périls montrés, les écueils des fausses voies indiqués, la route seule sûre élevée sur leur ruine ; le Précepte personnifié et réduit à l’exemple par la plus belle vie. Telle a été cette femme, tels sont ses célestes écrits.

Il semble que ce soit un de ces Séraphins qui, brûlant au Ciel du feu Immortel, est admis à la confidence du Très Haut ; qui, après avoir contemplé dans son sein, soit venu converser, parler, écrire par elle sur la terre. Et nous ne croyons pas qu’après les saintes Écritures [qu’elle a expliquées par l’esprit même qui les a dictées], il ait été fait à l’humanité de plus précieux présents que ses Écrits.

Mais comme les rayons d’un même soleil sont diversement colorés ; l’Esprit qui a parlé par elle a produit des ouvrages qui, outre l’utilité commune à tous, ont chacun leur utilité particulière. C’est la même lumière qui, toujours sûre, toujours divine et toujours invariable, a réfléchi toutefois des nuances différentes.

Les lettres dont on donne aujourd’hui une Seconde Edition ont le singulier avantage d’approprier ce semble la Direction d’une façon plus directe et de la rendre en quelque sorte plus saillante.

Je m’explique. Tous ces divins ouvrages parlent à l’esprit, en même temps qu’ils échauffent et embrasent le cœur. Tous admirablement directoires, ils marquent tous les états et tous les degrés avec les pratiques nécessaires, de façon à ne point s’y méprendre. Tellement que toute âme désireuse et attentive ne peut manquer d’en tirer le fruit le plus exquis. Mais en lisant on ne conserve pas toujours une égale attention ; il vient des distractions, on bâille quelque fois. Les personnes d’ailleurs qui ne sont pas encore fort avancées dans l’Intérieur n’ont pas toujours la lumière nécessaire pour discerner, en lisant, des peintures d’états si divers, quel est le leur et quel est leur endroit dans ce qu’elles lisent. Quand même on donne d’une manière claire et précise toutes les marques caractéristiques, il en échappe dans l’application toujours quelque chose à l’inattention et à la légèreté. Enfin le préjugé et les principes accoutumés que la raison prend faussement pour indubitables peuvent faire une barrière malheureuse. Ainsi ces divins Écrits, quoique parfaits en eux-mêmes, souvent par la faute du Lecteur, lui deviennent moins utiles.

Que s’il est un remède à cette légèreté et à cette ignorance d’autant plus dangereuse qu’elle croit voir et qu’on ne s’en défie point, ce remède sans contestation doit naturellement se trouver dans les lettres. Outre que la plupart sont courtes, on y trouve la Direction personnifiée et jointe aux circonstances qui l’occasionnent. Le lecteur est bien aise de voir des situations qui lui rendent le Précepte comme fait pour lui et tout à la fois précis et vivant. Il est amorcé, appâté, il vient se prendre à cet heureux filet. Il est agréablement instruit et d’une manière animée ; il l’est même fans danger de se méprendre ; il voit les occurrences qui sont ou ne sont pas les siennes ; il suit et s’applique davantage les premières, et il s’applique en même temps, comme le regardant singulièrement, les Directions relatives. Il lui est facile de trier et de choisir. Ce qui est fait pour lui coule doucement dans son cœur et en fait le tour, comme un baume bienfaisant qui l’anime. C’est une onction pénétrante et une rosée fertile qui le rafraîchit et restaure son âme.

Comme la correspondance de cette Aigle mystique était fort étendue et qu’elle avait à écrire à toutes sortes de personnes, on trouve dans ses lettres, et même avec détail, tous les états et toutes les situations de la vie. Et chacun y peut reconnaître la sienne.

Il tirera même de toutes les lettres le suc le plus divin, encore que quelques-unes semblent s’appliquer à des circonstances différentes, parce que nos situations peuvent varier et parce encore que l’Esprit de DIEU, toujours UN en lui-même quoique divers en ses applications, l’instruira par l’exemple des autres et les leçons qui leur sont données. Qu’il parcoure donc ce Parterre immortel émaillé des plus célestes fleurs ; qu’il tire le suc de toutes, qu’il n’en néglige pas une, en même temps toutefois que, semblable à l’abeille, après avoir voltigé, il s’acharnera pour ainsi dire sur celles qui lui conviennent le plus ; il en extraira l’odeur exquise et en fera filtrer la quintessence à son esprit et à son cœur.

On ne trouve presque plus chez les Libraires les ouvrages de Madame Guyon ; et la seule Edition complète qui s’en soit faite (c’est en Hollande sous le nom de Cologne, en 39 volumes) est épuisée. Mais de tous ces précieux trésors, ses lettres sont encore le plus rare. Et c’est par cette raison qu’on commence par elles l’Édition de ces divines œuvres projetées sous le bon plaisir de DIEU. Des personnes de piété font cette entreprise à leurs frais et espèrent, si elles sont secourues par le concours d’un plus grand nombre, pouvoir conduire heureusement à sa fin l’impression de tous les écrits.

Cette Édition des lettres est belle et de tout point supérieure à celle de Hollande. On n’y a négligé ni soins ni dépenses. On l’enrichira même d’un 5e volume qui contiendra surtout ce qui n’a point paru de la Correspondance secrète entre cette sainte femme et son Enfant de grâce FÉNELON. La Providence a permis que le manuscrit authentique nous soit tombé entre les mains. Elle y a même concouru par ce qu’on pourrait appeler un tissu de miracles.

On a fait ensuite bien des perquisitions et écrit en divers endroits pour avoir des morceaux justifiés à faire entrer dans ce 5e volume.

La plupart des pièces qui le composeront n’a pas encore vu le jour. Ainsi on compte faire imprimer de ce 5e volume un nombre d’Exemplaires beaucoup plus grand que des 4 autres. Comme il n’est ici question ni de rivalité d’Édition ni d’aucun intérêt quelconque, mais uniquement de ce qui peut être utile et de secours aux âmes qui veulent tenir à DIEU par le bon bout, on fera imprimer ce nombre excédent en faveur de ceux qui, en possession de l’édition de Hollande, aux 4 volumes qu’ils ont, pourront ajouter ce 5e.

Comme cet ouvrage se distribuera gratis à tous ceux d’entre les vrais Intérieurs qui sont pauvres, on aura soin d’en faire des dépôts en différents pays. Les riches seront en même temps plus à portée de se le procurer. Ainsi rien n’en défendra les approches, et les salutaires eaux de ce Fleuve venu du Ciel, heureusement distribuées par canaux, pourront fertiliser tous les cœurs qui les désirent, qui soupirent après elles et qui en ont soif.

Quoique ces Lettres soient faites pour nourrir le cœur et non une curiosité vaine, on mettra peut-être à la fin une liste de plusieurs des personnes à qui elles ont été écrites. Catalogue qui ne s’était point vu encore et qui nous vient d’une main sûre, d’une source non équivoque Ceux qui s’intéressent à l’avancement du Règne de Jésus CHRIST sont bien aises de savoir ces particularités et de connaître les personnes qui sont concentrées avec elles dans l’unité de l’Esprit et de cet amour de DIEU qui est le lien de la perfection.

Que ne puis-je ici donner essor à mon cœur et en mettre à nu tous les mouvements ! Que ne puis-je en peindre la saillie et le transport ! Que ne puis-je crier de la voix la plus sonore par tout l’univers, à quiconque n’a pas abjuré toute vraie foi et tout véritable désir d’être à DIEU : Que ne puis-je faire retentir, aux oreilles de tous ceux en qui est allumée une étincelle de la Grâce, ces paroles : Lisez Madame GUYON. Lisez, relisez et relisez encore. Que ne puis-je faire passer ce conseil dans tous les cœurs et l’y graver en ineffaçables caractères !

Que ne peuvent ces saints Écrits, qui expliquent l’Écriture par l’Esprit même qui l’a dictée, devenir le livre de tout le monde, et leur langage le langage de tous les hommes. Ô mes amis, qu’aucun préjugé, qu’aucune prévention ne vous en éloigne ! Goûtez avec un cœur pur, goûtez, vous dis-je, avec une âme simple, humble et enfantine ; savourez et vous verrez la lumière dans la lumière. Laissez cette céleste rosée arroser, fertiliser votre cœur desséché ; laissez en faire ce Jardin de l’Éternel où est le Germe de ses plantes et dont les eaux me défaillent point (Ésaïe 58).

Laissez le feu Divin de ces Écrits fondre et dissoudre toutes vos glaces. Laissez ce médecin envoyé par JÉSUS-CHRIST comme un ouvrier dans sa moisson, et un Canal de sa grâce, sonder, nettoyer, bander notre plaie invétérée et faire sortir le pus affreux de l’ulcère qui nous ronge tous, malheureux enfants d’Adam. Laissez-vous instruire par la Céleste lumière de la profondeur de vos misères, et montrer que leur seul remède est la Croix. Laissez-vous transporter dans le Domaine, dans cet heureux Empire de l’amour seul éternel et qui subsistera lorsque tout ce qui n’est pas lui sera détruit.

Ô Hommes ! Quelle voix que celle qui vous parle par cette divine femme ! Mais vous ne prenez garde à rien. La Souveraine Sagesse vous apprend, par l’exemple de cette Aigle mystique, comment en s’élevant par degrés on parvient enfin à contempler fixement le Soleil éternel. Par elle, Elle se présente sur le sommet des lieux élevés, sur le chemin, aux carrefours ; Elle crie à l’entrée de la ville et à l’avenue des portes : Ô vous, hommes de qualité, je vous appelle et ma voix s’adresse aussi aux gens du commun (Proverbes 8).

C’est par cette divine femme qu’en nos jours Elle bâtit sa maison, elle taille ses colonnes, Elle apprête sa viande, Elle dresse sa table. Ô sagesse ! Vous avez envoyé votre servante pour réveiller l’Univers et pour l’instruire. Venez donc, mes amis, mangez, buvez, faites bonne chère, mes bien-aimés ; assemblez-vous pour le festin du Grand DIEU ; buvez le vin qui vous a été mixtionné et le moût de son grenadier.

Mais c’est en vain qu’on en parle au Monde. Le Monde veut périr et refuse le remède. Il s’obstine dans ses affreux préjugés, il s’obstine dans sa corruption. Il blasphème l’Intérieur qu’il ignore et dont il ne veut point. Et les Livres qui en traitent, dictés par la Vérité éternelle, ne sont que les objets de ses dérisions sacrilèges.

Ne le verrez-vous pas, ô mon DIEU ! et ne vengerez-vous pas enfin votre Grâce de la contrainte où la mettent comme à l’envi l’esprit du monde, tant de monstres d’incrédulité, qui, sortis de l’abîme, dressent audacieusement l’étendard avant que d’y rentrer, et une infinité de faux Docteurs qui ont la sanction et les applaudissements du monde, mais qui sont rejetés du trône de votre Vérité éternelle. Voyez, ô mon DIEU ! le troupeau de votre pâture ou exposé au souffle empesté de la séduction, à la merci du vent destructeur, ou languissant faute d’eau. N’arracherez-vous pas enfin de votre main toute puissante les impures et profondes racines du préjugé qui est presque universel contre les seuls livres dictés par votre Esprit ? Vous savez que je ne crains point d’oser en appeler à votre Témoignage même, ô Seigneur ! ni de rougir ou d’en être démenti dans ce Jugement où tout paraîtra. Levez donc l’enseigne et l’étendard à votre tour. Qu’à votre approche vos ennemis se fondent comme de la cire et soient dissipés ! Daignez montrer où est votre vérité, et quoique le Genre humain n’en soit pas digne, rendez-la victorieuse. Il semble que vous le devez à votre Gloire, ô mon DIEU ! et à votre Vérité elle-même. Confondez et le Monde et les faux Docteurs, et sur les ruines des fausses Doctrines et du monde, élevez la Doctrine de l’Intérieur, la seule d’éternelle structure et qui, plus ferme que les Cieux, durera sur leurs débris lorsqu’ils seront pliés et roulés. Voyez, ô Seigneur ! le désir de mon cœur. Voyez, et hâtez-vous ; parlez à tous les cœurs, ô Prédicateur invisible et seul efficace. Ha ! mon cœur se pâme dans cette douce espérance que, malgré tous les efforts et la rage de l’ennemi et du monde, un jour vous élèverez le vrai Édifice. Alors une nation toute sainte, toute obéissance et toute amour vous servira, et tout genou fléchi et ployé devant vous viendra rendre hommage à Votre MAJESTÉ ÉTERNELLE.

 

 

 

 

 

AVERTISSEMENT

 

Qui était à la tête de l’Édition de Hollande, sous le nom de Cologne.

 

1. La vérité, qui est naturellement naïve, me fait prendre la liberté de dire ici d’abord et sans déguisement qu’à mon avis les LETTRES CHRÉTIENNES ET SPIRITUELLES que l’on publie dans ce Volume et dans les suivants seront agréables, et même chères, à tous ceux qui désirent de répondre véritablement au nom et à la qualité de Chrétiens. Ceux qui sont de ce nombre par adhérer de cœur et d’esprit à Jésus-Christ entendront bien ici sa véritable voix, fort différente de celle des mercenaires et tous étrangers, selon cette assertion de sa bouche : Mes brebis entendent ma voix, et elles ne connaissent point celle des étrangers ; ce qui fait dire à l’Apôtre S. Jean : Voici comment nous discernons l’esprit de vérité d’avec l’esprit d’erreur. Nous sommes de Dieu : celui qui connaît Dieu nous entend et écoute ; celui qui n’est point de Dieu ne nous écoute point et ne nous entend pas. Tel est l’homme animal, qui, comme dit S. Paul, ne comprend point les choses de l’Esprit de Dieu, mais les tient pour folie, et ne sait que s’en rire. Aussi n’est-ce pas pour lui ni ses semblables que ces Lettres sont propres, à moins qu’ils n’aient dessein de quitter leurs ténèbres et leurs obliquités pour ne plus aspirer qu’à répondre à la vocation de celui qui nous a appelés à être conformes à l’image de son Fils, duquel la voix est : Suivez-moi, je vous ai donné exemple afin que vous fassiez comme j’ai fait. Le disciple est parfait lorsqu’il est semblable à son maître. Soyez donc parfaits, comme votre Père céleste est parfait.

2. La dignité de CHRÉTIEN, à laquelle nous sommes appelés est si grande qu’il n’y a rien de plus relevé dans le monde, et que toute autre chose n’est que bassesse en comparaison de celle-ci. Être Chrétien, c’est renfermer ou posséder dans soi ce qu’il y a de plus grand et de plus estimable non seulement sur la terre, mais même dans le ciel ; c’est avoir dans soi Jésus-Christ et let S. Esprit par la foi et par la charité ; c’est y avoir aussi le Père, indissoluble d’avec le Fils et le S Esprit ; c’est être le Temple vivant de la très-sainte Trinité, laquelle on adore dans son cœur et dans son esprit, qui sont ce même Temple dans lequel on lui rend ce culte intérieur et d’esprit qu’il désire de nous, et où on le sert en qualité de Prêtres-rois, comme parle S. Pierre ; c’est enfin être une nouvelle créature, qui n’est plus et ne vit plus à elle-même, mais à Jésus-Christ, l’Esprit duquel la régit et fait en elle ce qui est agréable à Dieu. Tout cela sont autant de vérités que la parole de Dieu nous rend indubitables.

3. Mais s’il est ainsi, me dira-t-on, où sera l’homme qui doive oser y prétendre ou qui puisse y atteindre ? Personne, certes, par ses propres forces humaines ; aussi l’Écriture nous apprend-elle que nous devons être et que nous sommes l’ouvrage de Dieu, que c’est Dieu qui veut nous façonner, faire et mettre dans nous tout le bien qui est nécessaire pour nous rendre tels qu’il nous veut lui-même pour lui.

4. Une seule chose s’oppose à l’exécution de cela : c’est l’abus que l’homme fait de sa liberté. Dieu ayant créé les bommes libres afin qu’ils le laissent opérer librement au-dedans d’eux, et ne voulant point les priver du don irrévocable de cette liberté, il arrive de là que quand Dieu se présente au cœur de l’homme pour y opérer par les bonnes inspirations et les bons mouvements de son Esprit, le Diable, le monde, la chair, et la nature corrompue avec son propre amour s’y présentent aussi, et sollicitent le consentement de l’homme. Il lui est libre d’écouter l’un ou l’autre de ces deux partis-là et de donner entrée et lieu à celui qu’il veut. S’il écoute le mauvais parti, il met dès là obstacle à l’œuvre salutaire que Dieu était tout près d’opérer dans son cœur. Mais s’il écoute Dieu, son bon Esprit commencera dans lui son œuvre dès le moment, et le mènera pas à pas à la perfection Chrétienne moyennant la fidélité et la persévérance de l’âme à écouter son Dieu.

 

 

 

 

 

ANECDOTES

 

ET

 

RÉFLEXIONS

 

Sur cette Correspondance,

 

Où il est parlé des Jésuites, des Jansénistes, de FÉNELON, de BOSSUET et de plusieurs autres, et où on dévoile beaucoup de faits très intéressants.

 

Si l’on avait eu à temps le manuscrit de cette Correspondance secrète, on l’aurait inséré dans le corps de l’ouvrage où se trouvent répandues plusieurs autres Lettres de Madame GUYON à son cher FÉNELON. On en verra le Catalogue à la fin de ce Volume. Tellement qu’au moyen de cette liste, on aura leur Correspondance complète. Quelle correspondance ! Non il n’est rien parti de plus beau de la main des hommes. Je me trompe, c’est le Saint Esprit, c’est le Verbe lui-même qui a écrit par la main de cette Divine femme ; et s’il est permis de le dire, ce que des hommes profanes ont imaginé d’Apollon et d’Homère : Je chantais (ou dictais), Homère écrivait : ce que ces hommes ont rêvé, se trouve ici aussi saintement qu’exactement vrai. Madame Guyon n’a été que le canal, et l’Esprit de DIEU s’est servi de cet organe.

C’est la grande raison pour laquelle on restitue ici ce qui de cette correspondance avait été supprimé dans la première édition. Les motifs qu’on en avait alors ne subsistent plus. Tout ce qui est parti d’une telle main est si précieux que ce ne serait faire aujourd’hui rien moins qu’un vol sacrilège si l’on en privait une infinité d’âmes affamées du vrai Christianisme qu’on ne voit plus qu’obscurci, mélangé, corrompu en tant de partis qui divisent l’Église de Jésus-Christ, et qui pourtant se glorifient tous d’avoir la vérité.

Mais à cette raison déjà par elle-même du tout prépondérante, il s’en est joint plusieurs autres. Cette infinité d’injustes et acharnés ennemis qui se sont toujours et de toutes parts élevés contre les personnes les plus respectables ; ces hommes à qui aucune intrigue, aucun artifice, aucune assertion ne coûte dès qu’il est question de persécuter l’intérieur auraient pu dire qu’on supprimait des écrits, des faits, des choses peu favorables. Ils auraient, au lieu de preuves, enflé les soupçons, comme ils l’ont fait tant de fois. Il est bon d’ailleurs qu’on voie la sincérité, la candeur de personnes si souvent opprimées. Il est bon qu’on les prenne pour ainsi dire sur le fait et en des circonstances où le cœur s’ouvre sans réserve et où l’esprit se répand en liberté et sans crainte. Ceux qui marchent en la présence de DIEU, ceux qui sont animés de son Esprit, ne sauraient craindre la lumière. Leur cœur serait nu devant les hommes qu’ils n’auraient pas à en rougir. La calomnie il est vrai, peut jeter sur eux ses infernales ombres, mais au Tribunal de la vérité qui tôt ou tard perce le nuage, ils seront toujours victorieux. S’ils ont des faiblesses, ils ne les cachent point avec art, ils ne sont point fâchés qu’on les voie, afin que l’hommage soit tant mieux rendu au DIEU seul saint qu’ils adorent et qu’ils aiment. Ce fard trompeur dont se colorent presque tous les hommes, ils ne s’en servent point et il leur serait en horreur. Tels étaient les Saints Apôtres, tels sont tous leurs imitateurs.

En conséquence, nous ne craignons point de dévoiler les secrets de Madame Guyon, ni même les premières faiblesses de Mr. de Cambray, parce que nous sommes sûrs qu’ils ne le craindraient point et n’en seraient pas fâchés eux-mêmes. Enfants du jour, ils ne s’enveloppent point dans la nuit et en de tortueuses démarches. On verra à la vérité dans leurs lettres une certaine circonspection sur le secret et une prudence exacte et précise. Ce n’est pas là obliquité, mais cette réserve dont l’obliquité et les ruses de leurs ennemis leur avait fait une nécessité, mais cette heureuse prudence que le Maître qui ne veut pas qu’on rougisse de lui va pourtant jusqu’à ordonner. Les artifices de tant d’hommes prêts à les persécuter, en partie dévoilés dans ce discours, démontreront à quel point ils devaient alors leur dérober ce qui se passait entr’eux.

Deux raisons paraissent avoir engagé l’Éditeur de ces Lettres, comme de tous les ouvrages de Madame Guyon, à supprimer cette partie de la correspondance entre elle et Mr. de Cambray qu’on restitue aujourd’hui. La première de ces raisons n’était qu’à temps et n’est plus de circonstance. Il craignait sans doute en des temps trop prochains de faire de la peine, ou même d’occasionner quelque persécution à des personnes respectables nommées dans ces Lettres et liées d’intimité avec ceux qui les ont écrites. L’éclat injuste et scandaleux qui s’était fait ne pouvait que trop le faire augurer. Quelques-unes n’étaient pas mortes au temps de cette édition. Mais ce qu’une sage retenue a supprimé dans cette époque, nous osons le restituer aujourd’hui que ces personnes dans le sein de DIEU sont hors de l’atteinte de leurs adversaires, et dans une si sûre et si haute retraite, inaccessibles à leur aveuglement et à leurs passions.

Mais peut-être y avait-il un autre motif de cette suppression. Ces belles et claires rivières, ces fleuves majestueux qui font tant de bruit et qui fécondent, fertilisent tout, avant de porter leurs eaux dans la mer, ont tous une origine obscure et bourbeuse. Vous voyez dans leur source un filet d’eau imprégné, teint encore du limon de la terre d’où il jaillit et se dégage. Ainsi sont tous les commencements, et ceux du Grand Fénelon dans l’intérieur n’ont pas été différents. On le verra par ses premières Lettres, par des essais timides et embarrassés en même temps que par un orgueil secret, malheureux partage de la nature humaine et qui n’avait pas encore péri en lui. Sans doute l’Éditeur se faisait quelque peine de montrer ce vase d’élection, ce canal de tant de bénédictions, non dans son vrai jour, mais dans une aurore incertaine, douteuse, bien éloignée de ce qu’il a été dans la suite. Il ne faut voir les statues des grands hommes que dans leur vrai point et lorsqu’elles sont achevées. Les premiers coups de ciseau, l’ébauche, ne font pas honneur à ce qui dans la suite fera l’admiration de tout le monde. Il semble que ce soit une espèce de trahison de les montrer avant le moment....

Dédaignons ces petits artifices de l’orgueil ou d’une fausse prudence. Essayons plutôt, tâchons de tourner à notre profit ces premières faiblesses qui échappent aux amis de DIEU, avant qu’ils soient affermis et confirmés. On verra une sorte d’orgueil, dis-je, dans les commencements de Fénelon avec Madame Guyon ; on verra en lui une quantité de fausse prudence qui fut bien foudroyée dans la suite. Il ne chantait pas encore alors

 

Adieu, vaine prudence,

Je ne te dois plus rien 1.

 

Il faut lire là-dessus un morceau de l’excellente préface mise à la tête de ses Œuvres Spirituelles. Enfin on verra dans cette Correspondance naissante que Fénelon ne comprenait pas d’abord toute l’étendue de l’enfantement spirituel et les communications invisibles et secrètes du canal dont DIEU se servait pour lui injecter la grâce de l’intérieur.

Défauts presque inévitables des commençants. L’orgueil est le premier comme le dernier ennemi de l’homme, et il faut une grande grâce pour le vaincre. La crainte du monde, le respect humain, des démarches ajustées, ménagées. Voilà encore ce qui fait le caractère et l’écueil de la nature, jusqu’à ce que l’esprit de DIEU lui ait donné la force et le courage qui lui manquent. Enfin l’homme naturel et la raison même la plus anoblie ne sauraient comprendre ces enfantements invisibles que fait la grâce par les canaux par lesquels elle se répand. Au contraire, étonnée, déconcertée, elle ne peut que les révoquer en doute, et même traiter d’abord cette œuvre interne, si réelle et si divine, d’illusion et de chimère.

Ainsi Mr. de Fénelon avait encore un orgueil secret, infiniment tombé depuis, et la soumission, la douceur, qu’on a dans la suite admirées en lui : c’est à Madame Guyon, c’est à son commerce qu’il les a dues ; non, c’est à DIEU qui, dans ces temps malheureux, a tiré des trésors de sa miséricorde cette Aigle mystique, cette Lumière de nos jours, pour renouveler l’intérieur presque enseveli, et de tout temps opprimé par les Docteurs, sous les meilleurs prétextes du monde. Cette Apôtre de la Religion intérieure, la seule vraie parce qu’elle est seule spirituelle, tout en injectant la grâce à son enfant, lui donnait en même temps l’exemple d’une douceur, d’une candeur, d’une simplicité, d’une démission inouïe. Elle savait que la mouche, comme on dit, ne se prend qu’avec du miel, et que la nature humaine, avant que la grâce l’ait mûrie et ait mortifié ses divers genres d’orgueil, ressemble à un cheval indompté, qu’il faut caresser pour l’attirer et pour pouvoir lui mettre une heureuse bride. Les corps ne se vainquent que par la force, mais la force qui agit sur les esprits et qui les gagne, c’est la douceur ; ce qui n’exclut point toutefois ces coups de vigueur destinés à étonner la lâcheté, à fondre la sécurité, à déconcerter l’aise, la mollesse, les replis de l’amour-propre et qui de temps en temps sont nécessaires.

Certainement cette correspondance présente à qui l’entend bien, et à qui a le cœur et le goût affiné pour les objets de l’esprit, l’un des plus beaux spectacles qui aient jamais été ; et les âmes de bonne volonté qui en profiteront en doivent une éternelle reconnaissance à cette adorable Providence qui, nous l’ayant fait tomber entre les mains, nous a par là fourni le moyen de la tirer de l’obscurité et de l’oubli.

On ne peut sans ravissement considérer cette étonnante soumission, cette démission d’un Aigle du vol de Madame Guyon. Mais encore pour qui et envers qui ? Envers son enfant de grâce ; envers un homme qui lui devait plus que toutes les richesses de l’univers, qui lui devait tout en un mot, et pour qui elle avait été établie le moyen d’une grâce qui, nous faisant trouver DIEU, est d’un prix au-dessus de tout prix et n’aura d’autre fin que la durée de tous les siècles. Ha ! c’est ici qu’est le secret de Jésus-Christ pour ces âmes chéries, intérieurement instruites de ses mystères également contredits, abhorrés du monde, des sages, des faux pieux et de leur orgueil replié. Elle savait, cette divine femme, qu’on ne risque rien à ne pas abonder en son sens, à se démettre, à céder autant qu’on le peut à une grâce même inférieure, et autant que le Maître qui parle au-dedans ne l’empêche pas. Parce que cette démission d’une âme de grâce supérieure pour une inférieure voit ses écueils corrigés par l’oraison et l’union fixe à DIEU où elle est établie ; parce encore qu’elle donne à l’inférieur un exemple plus vivant, plus instructif mille fois que les plus beaux discours, plus capable de fondre son orgueil et de le pénétrer tôt ou tard d’une humiliation salutaire. Parce enfin que la personne qui se démet par ces purs motifs et pour DIEU ne fait, quant à elle, et quelque avancée qu’elle soit, que d’augmenter encore son anéantissement. Cet anéantissement bienheureux, le seul moyen de trouver DIEU et son union interminable, est un pays où, quelque consommé qu’on soit, on peut toujours avancer. Mais on n’y peut avancer que par les démissions et par les morts à soi-même. Plus on y enfonce et plus on augmente sa capacité à jouir de DIEU et de son union bienheureuse. Un DIEU qui veut en nous régner seul, n’anime, ne vivifie que le néant ; c’est, si on ose le dire, sur le fond du néant de nous-même que ce grand DIEU nous donne ce rendez-vous où on le trouve enfin en demeure permanente. Ainsi Madame Guyon, se soumettant quelquefois à Fénelon, avec le plus grand profit pour lui et sans danger quant à elle, Madame Guyon ne faisait que s’anéantir davantage.

Que vous êtes donc étrangement abusés, hommes fiers, esprits superbes, qui ne voulez jamais céder ni vous démettre. Vous voulez toujours avoir raison ; ce qu’on vous propose a toujours tort au tribunal de la vôtre. Vous voulez toujours la sonde, l’examen, la pierre de touche. Ce n’est pas le procédé de ceux qu’anime l’Esprit de DIEU. Pauvres d’esprit (propre), ils reçoivent ce qu’on leur dit comme ces bienheureux enfants à qui Jésus-Christ a promis le Royaume. Qu’on les trompe, ils ne sauraient être trompés, parce que la démission a pour cortège le goût sûr de l’intelligence Divine, qui leur sert d’Égide contre les séductions et les pièges. Ô hommes de raison et de fausse sagesse ! vous ne pouvez jamais comprendre qu’il faut céder à l’esprit de grâce en dépit de ce qu’il vous semble et de ce que vous croyez voir. La crainte de vous méprendre est l’écueil contre lequel vous allez faire naufrage, et la fuite de l’erreur vous mène à une erreur infiniment plus dangereuse encore. Vous seriez mille fois plus heureux de vous tromper en vous démettant (si en se démettant on pouvait se tromper) que d’avoir raison et d’être dans la vérité en abondant dans votre sens, si en abondant en son sens on pouvait être dans la vérité. La vérité pour l’homme, c’est l’esprit de docilité et d’enfance, c’est la démission de notre raison aveugle, misérable et superbe. Les vérités partiales qu’elle envisage périront et toute la science : mais DIEU qui est la vérité éternelle se donne lui-même à la docilité sans bornes et ne se donne qu’à elle.

Qu’on ne s’étonne pas de me voir appuyer là-dessus ; c’est ici que gît le tout, et la gorge, le détroit infiniment difficile à passer. C’est ce qui de tout temps a séparé les faux pieux des vrais, et ceux qui n’ont qu’une grâce inférieure, mélangée, disons mieux, infectée de leur raison, de ce très petit nombre qui pour trouver Jésus-Christ consentent à tout perdre. Le monde ne manque pas de gens qui ont du bon ; vous verrez beaucoup d’hommes qui paraissent avoir de la droiture, la meilleure volonté, et même une apparence de docilité et de souplesse, en même temps que beaucoup d’onction et de grâce ; vous diriez des Saints. Gardez-vous bien de le croire ; ces gens qui ont eu une grâce naissante et qui s’y sont arrêtés par propriété épluchent, épient, pèsent, examinent tout ce qu’on leur dit. Ce goût du cœur si sûr qui sait discerner sans voir, qui adopte ou rejette sans lente et douteuse opération de l’esprit, cet instinct, ce sens interne que DIEU donne au cœur qui l’aime, et en qui il a posé son trône, ce goût du cœur très sûr malgré les ténèbres de la raison est si peu fait pour eux et ils le connaissent si peu que leur orgueil secret va jusqu’à le traiter d’illusion dangereuse. C’est ce qu’on voit surtout parmi les Docteurs. Ils ne savent pas, ces sages, ces savants, que je ne crains point d’après l’Évangile d’appeler des insensés, ils ignorent que la vérité divine ne fut jamais l’objet et le partage de la raison, qu’elle ne peut jamais la saisir. Que cette raison dont on fait tant de bruit, à la supposer même dégagée des épais nuages de la nature, ce qui n’arrive jamais, à la supposer dégagée des préjugés et des principes accoutumés, ce qui n’arrive pas davantage ; oui, dis-je, en la posant dans le cas le plus favorable, elle n’est jamais qu’un résultat affiné, anobli des sens et de l’imagination. C’est ce que je pourrais démontrer par les plus invincibles preuves, si c’était le moment d’une discussion si longue.

Mais s’il en est ainsi, l’édifice serait-il plus sûr que le fondement ruineux sur lequel il est appuyé ? Nos sens nous trompent et, même dans ce qu’ils ont de certain, ne nous donnent qu’un vrai inférieur : vrai de circonstance pour la terre tout au plus, et faux pour le ciel et pour les célestes objets de la foi. Notre imagination n’est que l’imposture, et la raison ne fait que combiner, enchaîner, coudre des raisonnements, arranger, systématiser, abstraire et bâtir sur ce que les sens ont vu et sur ce que l’imagination lui a présenté. Voilà le plus haut terme des Docteurs profonds de ce siècle, des sages si vantés, des Philosophes si industrieux et si sagaces, de tous ces rares et perçants génies. Voilà l’homme naturel et raisonnable.

La lumière et le feu de leur raison viennent du dehors et des objets grossiers de ce monde. Dès que l’homme commence à être régénéré, il lui faut un autre allumement, si j’ose m’exprimer ainsi. L’esprit de grâce s’unit à son propre esprit et y commence une autre lumière. Mais si la raison ne veut pas céder la place à cette lumière supérieure, cela produit en l’homme le même effet que ce qui a lieu lorsqu’on ne veut pas éteindre au lever du soleil la bougie qu’on avait allumée dans la nuit. Ces deux lumières se contrastent l’une l’autre, et on n’a ni le vrai jour mélangé par le lumignon, ni cette petite lumière qui vous éclairait dans la nuit et est maintenant offusquée par le soleil. La raison, depuis la chute et depuis que l’homme s’est soustrait à DIEU qui était sa lumière, la raison est le lumignon allumé par les sens et l’imagination pour éclairer l’homme dans les ténèbres de la nature. Dès qu’il n’a plus eu cette lumière interne et immédiate qui résultait de son union avec DIEU et dont la caution était son innocence, il a fallu que le fond de son Esprit qui a un appétit immense de la lumière la tirât d’où il pouvait et, ne l’ayant plus de DIEU même, se servît de ce qui lui venait du dehors.

La grâce de Jésus-Christ fait le divin allumement, mais elle ne le fait qu’en la proportion exacte que la raison veut bien laisser éteindre le sien. Auparavant on peut bien avoir une sorte de foi Théologique, résultat encore de la raison, mais la vraie foi, pur don du Saint Esprit, ne se donne qu’à l’allumement divin, à ce feu, à cette lumière interne qu’il produit. Qu’on comprenne maintenant ; ceci est infiniment plus instructif que je ne pourrais le dire. La grâce qui s’unit à la raison, voilà les premiers commencements de la régénération, et cette aurore qui voudrait contrecarrer la lumière allumée dans la nuit. L’un et l’autre s’unissent, se broient, s’incorporent pour ainsi dire ensemble. La quantité en laquelle la raison veut bien céder et se laisser aveugler par cette grâce naissante fait aussi exactement la quantité de vraie lumière. La part qu’y met la raison fait les monstres d’opinion aux plus beaux traits et en même temps aux plus grandes erreurs. Quand la raison non obscurcie, mais seulement anoblie par la grâce, s’enorgueillit des beaux traits, des beaux éclairs de lumière que cette grâce a mis en elle, voilà ce qui a fait de tout temps et dans tous les siècles les grandes hérésies et les grands hérétiques, ces gens de renom, ces géants qui ont laissé allier en eux les enfants de DIEU avec les filles des hommes ; c’est-à-dire ici ce que la grâce mettait en eux et les pensées qu’une raison non morte encore, mais rivale et fière de mettre sa part, leur suggérait.

Ce n’est pas en vain que l’Apôtre a dit : Soyez remplis de l’Esprit. Il veut, remarquez bien, qu’on en ait la plénitude. Mais cette plénitude n’a lieu que quand tout le reste lui cède la place ; tout ce que la raison, l’esprit propre retiennent d’eux-mêmes, forme autant de digues aux écoulements de cette eau céleste. Les endroits de l’esprit et du cœur où sont les digues font les obstructions spirituelles, et ces obstructions sont le plus grand des malheurs. La volonté, la liberté que DIEU qui l’a donnée attire bien doucement à la vérité, mais qu’il ne contraint pas, cette volonté et cette liberté, lorsqu’au lieu de laisser ruiner les passions et aveugler la raison, elles s’obstinent à garder ce qu’elles ont, malgré les attraits d’une grâce naissante, ne font alors autre chose que de durcir les obstructions déjà formées et de faire dans ces intervalles des calus plus ou moins impénétrables. Tandis que les endroits et les intervalles où la grâce a son écoulement libre, montrent en même temps dans le même homme de fort belles et de grandes choses.

Et c’est ici qu’est la clef d’une énigme obscure à la plupart des hommes. On est étonné, scandalisé même avec raison, des divisions de tant de genre et d’une si grande variété d’opinions parmi des gens qui se disent tous Chrétiens. Est-ce que Jésus Christ serait divisé ? Et son Esprit qui est un pourrait-il jamais se contredire et ne pas se compter perpétuellement à lui-même ? À la vérité je conviens que cet Esprit toujours un en lui-même a dans sa main et opère, dit Saint Paul, une diversité de dons. Mais ces dons, quelque différents qu’ils soient, ne peuvent jamais, lorsqu’ils viennent véritablement du Saint Esprit, se contredire, se contraster et s’exclure les uns les autres. Ils font la beauté de l’Église de DIEU, et non pas la confusion, le trouble, les disputes, les heurts, les déchirements qui en sont le scandale et qui donnent beau jeu aux incrédules qui en triomphent. Ces dons divers sont seulement les couleurs différentes et les reflets des rayons tout purs qui émanent d’un seul et même soleil, je veux dire comme on l’entend de l’Esprit de Jésus-Christ toujours un. Ils font, dis-je, la perfection de l’Église et les heureuses jointures d’un corps bien lié et bien assorti, et non pas sa destruction. Perfection qui consiste dans cette diversité admirable qui va refluer et se perdre dans l’unité d’où elle procède.

Qu’on jette un coup d’œil sur le trop douloureux spectacle que nous présente l’Église, déjà même dès sa naissance. Qu’est-ce qui bientôt a mis sur cet arbre céleste une mousse malheureuse ? Les passions humaines, sans doute ? Mais ce n’est pas ce dont il est ici question. Quoi donc encore ? Les mélanges de la nature d’une raison superbe et de la grâce. Voilà ce qui a fait et produit ce monstrueux tas d’hérésies où on s’est allé perdre en des égarements sans fin et en des erreurs de tous les genres. Tous ces hérétiques ont eu de la grâce, de l’orgueil, de l’esprit et de la raison. Quelques-uns ont mené une assez belle vie. Prenez encore une image dans la nature. Le rayon émane tout pur du soleil, mais lorsqu’il s’engage dans le nuage, non seulement la lumière n’est plus pure, mais selon le plus ou le moins d’opacité du nuage, il le colore diversement et fait différents reflets d’une lumière fausse, parce qu’elle est mélangée d’une moitié lumière et moitié ténèbres. Oui le soleil qui s’engage dans les nuages fait avec eux une infinité de fausses nuances, et ce n’est que lorsque tous les nuages sont chassés que le soleil et ses rayons, se mariant avec un air dégagé, font avec lui le jour pur, serein, sans taches, sans voiles et sans ombres. Ici l’application de l’image, l’allusion est claire et je n’aurais pas besoin d’achever. Le soleil, c’est l’Esprit de Jésus-Christ ; les rayons, sont ses dons et ses grâces. Les nuages dans l’homme, ce n’est pas seulement les passions grossières, qu’on ne s’y méprenne point, mais l’homme lui-même, mais son esprit propre, mais son cœur terrestre, mais sa raison et tout ce qui est de lui, en un mot, qui, quant à la lumière surnaturelle, n’est qu’opacité, ténèbres et misère, et la grâce qui s’unit à tout cela, avant que tout en l’homme soit mort et aveuglé par une lumière supérieure. Voilà le rayon engagé dans le nuage, voilà les hérésies, voilà la vérité et l’erreur broyées ensemble, voilà les opinions élevées hardies, voilà les sectes, voilà les schismes, voilà l’illusion, voilà le fanatisme, voilà le faux enthousiasme et le tout mêlé souvent avec de la piété. Oui, dis-je, voilà quelques-uns des divers aspects de la grâce, mélangée, engagée, dans une raison non obscurcie.

Mais pourquoi toutes ces opinions et tous ces partis en appellent-ils à l’Écriture ? C’est justement par une raison qui vérifie tout ce que je viens de dire. Lorsque la raison nuage le pur esprit, on lit cette divine Écriture selon son sens, chacun y trouve le point de vue que sa raison voit et en fait ainsi le magasin de toutes sortes d’âmes. Quelle est la secte, quelle est même l’hérésie qui ne s’y appuie point et qui n’en réclame pas le témoignage ? À cette cause, il en faut encore joindre une autre. Cette divine Écriture qui contient toute la vérité, cette Écriture toute parfaite prise en somme et en elle-même, a pourtant en certains endroits et en certains versets des vérités partiales, parce que dans ces endroits elle ne peut pas tout dire et qu’elle y envisage un objet sous un point de vue, tandis qu’en d’autres passages elle présentera le même objet sous d’autres points de vue. S’arrêter donc à ces endroits particuliers, sans tout combiner, tout rassembler et faire conster l’Écriture avec elle-même, c’est sans faute courir à l’hérésie, c’est trouver dans le Livre de la vérité de quoi autoriser le mensonge, c’est lui faire consacrer toutes les erreurs de différents genres, enfants d’une raison fausse et prévenue en même temps que d’un orgueil d’esprit qui ne veut pas céder. L’impie Socinien en appelle à l’Écriture ; autant en fait l’Arminien, autant l’Arrien, autant le Janséniste, autant le Moliniste. Cet amas immense de Théologies qui se battent sont autant de fruits partant de cette sève, j’entends d’une raison un peu éclairée par la grâce, mais qui, ne voulant pas céder, voit un faux jour et produit une quantité de vrai, mélangé, infecté de beaucoup de faux. Voilà les systèmes qui amusent, arrêtent les hommes et qui, pêle et mêle, répandent la vérité et le mensonge.

Ô vous, à qui Jésus-Christ veut donner le Royaume, vous qu’il veut préserver de la séduction universelle ; petit et très petit troupeau d’enfants qu’il veut pour lui-même ; gardez-vous donc de vous laisser séduire par ce que vous voyez et entendez de toutes parts, même sous d’assez grandes apparences de piété et de vertus. C’est à vous seuls que va parler mon cœur qui voudrait se verser dans le vôtre. Chers disciples du Seigneur, ignorés, ou méprisés, ou persécutés par les Docteurs et même par les pieux qui veulent se retrouver eux-mêmes et si répandus aujourd’hui : croyez toujours et croyez inébranlablement que l’Écriture Sainte ne peut jamais s’expliquer que par l’Esprit même qui l’a dictée ; que c’est lui seul qui peut en donner la clef et le vrai sens. C’est l’Esprit qui sonde les choses profondes de DIEU, et encore vous avez reçu l’onction du Saint et vous connaissez toutes choses. Croyez que ce vrai sens qui consomme l’âme en charité, n’est véritablement et absolument accessible que lorsque la raison, faux jour dans les objets divins, a été absolument aveuglée. (Ésaïe) Je conduirai, vous dit votre DIEU, Je conduirai les aveugles par un chemin qu’ils me connaissent point, et moi l’Éternel je ne les abandonnerai point. Mais pourquoi donc, ô mon DIEU ! ne les abandonnerez-vous point ? Ha ! c’est parce qu’ils sont aveuglés, parce qu’ils laissent aveugler leur raison par ma céleste lumière, c’est parce qu’ils n’ont rien voulu retenir de l’orgueil de leur esprit, c’est parce qu’ils n’ont ni vue propre, ni faux désir ni intérêt au mensonge, ni système que leur orgueil ou de faux et trompeurs avantages les engage d’appuyer et de soutenir. C’est parce qu’ils ne cherchent pas la gloire des hommes et qu’au lieu d’être sages pour le monde, ils veulent bien être fous pour moi ; c’est parce qu’ils s’en fient à moi, sans vouloir toujours voir où je les mène, et qu’enfin sur les ailes d’un abandon sans réserve et de la foi nue, allant sans s’arrêter de ténèbres en ténèbres, sans peur, sans frayeur des obscurités de la nuit de la raison, ils s’élèvent jusqu’à cette lumière qui renferme mon amour et qui, en clou-rivé, les fixe en moi pour jamais.

Qu’on ne s’y méprenne point. Les commencements de la grâce, et même ses progrès, sont une lumière qu’il faut perdre si l’on en veut une plus céleste et plus pure. Cette grâce d’abord, comme je l’ai dit, s’unit à la raison, mais ne la détruit que lorsqu’on veut bien longuement la laisser détruire, et c’est ce qui fait l’arrêt d’une infinité de pieux. Âmes propriétaires, ils se servent de cette même grâce pour s’ancrer dans leur nature anoblie ; à chaque reprise de mort à eux-mêmes et à leurs lumières précédentes, ils déclinent le Tribunal, et DIEU qui ne fait pas toujours les coups de force, qui ne les fait que rarement et même ne les fait guère qu’au commencement, laisse leur nature se gîter dans cette grâce. Ils veulent des nids et des tanières, et ils y restent. Ils croient avoir gagné beaucoup et ils ne voient pas ce qu’ils perdent. De là les imputations de ces gens-là contre la vraie route et contre les âmes plus fidèles qu’eux qui perdent toutes leurs lumières pour gagner DIEU même, qui ne se trouve que dans le néant et l’obscurité, et l’aveuglement de nous-mêmes. Dans chaque degré, dans chaque progrès en la vie spirituelle, il faut que Jean Baptiste, le van dans la main, éprouve et nettoie la lumière mélangée par la nature. Il n’est pas la lumière, mais par la pénitence qu’il inculque, il accuse les faux jours et rend témoignage du véritable. Et tous ces pieux et tous ces Docteurs ne veulent point de la pénitence de leurs esprits plus ou moins éclairés par la grâce, ni de la pénitence de leurs cœurs pleins encore de duplicité et de roideur, et qui toujours avec DIEU réservent quelque chose.

C’est ce qui a fait de tout temps et les Docteurs profonds de ce siècle tant adonisés, et toutes les sectes de pieux répandues dans l’Église. C’est ce qui a fait dans l’Église Catholique les Bossuet, les Pascal, les Nicole, les Arnaud, les, les, les, que vous diriez les plus grandes lumières, et tous gens arrêtés, fixés dans un mélange de raison et d’une grâce dont la nature se sert au lieu de s’en laisser détruire. C’est la cause des divisions des Réformateurs qui n’ont jamais pu s’accorder. C’est la cause dans la réforme de toutes ces différentes sectes de pieux qui cachent et offusquent l’ami véritable, et font que ceux qui ne sont pas éclairés supérieurement et qui pourtant seraient de bonne volonté, ne savent à quoi s’en tenir ni où aller chercher la lumière. Tous gens qui ont de la grâce en laquelle ils se sont arrêtés. Rayons engagés dans les nuages divers et qui font cette prodigieuse quantité d’aspects différents, des mélanges de la grâce avec la nature. Tous des saints en eux-mêmes qui ne veulent pas se laisser vider entièrement et se laisser perdre pour gagner Jésus-Christ, qui tous ont le don de Jésus Christ qu’ils arrêtent en eux et qui ne trouvent jamais, Jésus-Christ lui-même, qu’on ne trouve que par la totale et longue mort à soi-même.

On peut comparer les commencements de la grâce au jour naturel. Il faut que la nuit lui succède. Elle tombe, les ténèbres s’épaississent par degrés, arrive le minuit où on ne voit plus. Voilà le temps des sacrées ténèbres de la foi nue où on va sans voir, où la nature et la raison dans la défaillance perdent toute leur fausse lumière. Enfin après les longues et épaisses ténèbres vient l’aurore qui annonce et prépare le jour de DIEU, et la lumière divine qui s’élève sur les ruines de la raison et qui ne vient vraie et pleine qu’à ce prix. C’est alors qu’est véritablement le sentier du Juste qui, dit le Sage, va reluisant jusqu’à ce que le jour soit en sa perfection, et qu’il arrive insensiblement au midi de l’éternité. C’est ce midi où il n’y a plus d’ombres et où tout est clair, comme le disait le bienheureux Grégoire Lopez ; c’est ce midi après lequel aspire l’Épouse du Cantique. Elle dit à Jésus-Christ son Époux : Ô Jésus qui êtes le bien-aimé de mon âme, montrez-moi où vous paissez sur le midi (Cant. 1, vs 7). Ainsi la grâce elle-même doit passer par l’étamine et les épreuves de mort lorsqu’il est question de la purifier, d’en séparer la boue qu’y mêle la nature ; lors enfin qu’on doit passer du don au Donateur même, et du rayon engagé dans le nuage au rayon pur, et au soleil lui-même.

Ces épreuves de ténèbres bienheureuses, parce qu’elles conduisent à la pure lumière, ces épreuves sont de deux espèces qui colludent ensemble ; ce sont deux sources de mort qui conspirent pour l’âme docile à se laisser aveugler. Morts qui viennent du dehors et morts qui viennent du dedans. Ha ! c’est encore ici qu’est le mystère de Jésus-Christ, si inconnu des superbes. C’est ici qu’est le divin secret révélé aux seuls enfants. Mais où les trouve-t-on, ces enfants qui, suivant le filet de la Providence et le connaissant, vont à DIEU en mort à eux-mêmes dans tous les moments et par tout ce qui leur arrive ? Hélas ! où les trouve-t-on ? C’est toutefois ce qui fait l’infaillible progrès en DIEU dès cette vie : les morts du dedans aux connaissances premières avec la pénitence du cœur, et les évènements de la Providence qui nous fait instruire. DIEU fait rencontrer à Fénelon Madame Guyon, qui l’instruit, l’enfante, le pousse dans l’intérieur, lui fait connaître la céleste lumière et, de Docteur qu’il était auparavant, le rend Disciple. Peu à peu Fénelon reçoit l’esprit de docilité et d’enfance dont les Pharisiens et les Docteurs profonds de ce siècle ne veulent rien, et, par là se fixant, ils manquent le moyen que DIEU leur aurait donné pour aller de foi en foi, pour leur révéler son Fils par degrés, pour les mener par des routes inconnues, pour les rendre aveugles d’abord afin qu’ils vissent mieux ensuite, et pour déconcerter leur raison d’autant plus superbe que la grâce n’a fait que d’en farder la misère, parce qu’ils ne veulent pas se laisser vider ni aller plus avant. Qu’on prenne ici un exemple et qu’on contemple les deux faces de ce tableau. Fénelon rencontre Madame Guyon, écoute, reçoit la semence sainte, entre insensiblement dans le pur amour, en témoigne, en écrit et est condamné. Bossuet, cet astre qui a brillé de tant de lumières, moitié vraies et moitié fausses, ce Docteur profond, ce prétendu défenseur de la vraie foi qui a fait tant de Livres si bien arrangés et si bien écrits, cet homme qui a dit de si belles choses, voit aussi Madame Guyon. Mais pourquoi la voit-il ? Pour la persécuter et avec elle la pure et céleste vérité à laquelle il ne peut ni ne veut atteindre, content qu’il est d’une lumière qui a de grandes apparences et qui renferme encore beaucoup de faux. Pourquoi la voit-il ? Pour l’examiner par les yeux de sa raison, et non pour soumettre sa raison au pur Esprit qui parlait par elle. Pourquoi la voit-il ? Pour épuiser sur cette divine femme, si soumise et si docile, toute la fureur de sa passion, pour la tyranniser d’une manière à jamais incompréhensible dans un homme qui a eu tant d’éclat, si ces incompréhensibilités en de tels hommes étaient étonnantes pour les entendeurs instruits du secret de Jésus-Christ qui résiste aux superbes, aux Pharisiens et aux Docteurs.

Qu’on ne croie pas que j’en impose sur Mr. Bossuet, si estimé des hommes qui ont un bon mélange de la grâce et de la nature, de la raison et de la religion. Ce que j’écris ici, je l’écris en la présence de DIEU qui jugera et lui et moi, et qui dévoilera les secrets de nos cœurs. Je ne crains point d’avoir outré, et de ce que je dis ici j’en rendrai compte au Tribunal où seront cités et ses faits et ce que je dis. Que s’il fallait des preuves, dès longtemps on les a données, et on en donnera bien d’autres dans une nouvelle édition de la vie de cette divine femme qu’il a injustement opprimée. Mais ce n’est pas ce dont il est question dans ce discours. Je faisais cette comparaison entre ces deux hommes pour montrer en instruction les différences. Mr. de Cambray, par le goût naissant de l’Esprit de DIEU, reçoit peu à peu ce que lui dit une femme. Mr. Bossuet, fier de ses lumières, indigné de voir qu’une femme en fait de spiritualité en sût plus que lui, indigné qu’on pût l’accuser justement d’avoir ignoré la traduction du mysticisme et du pur amour venue dès les premiers temps, et continuée comme par l’Église dans tant de siècles où elle a toujours eu des témoins ; Mr. Bossuet, jaloux peut-être d’une éloquence douce, tendre, moelleuse, insinuante, procédant plus encore de la grâce que d’une belle nature ; Mr. Bossuet, homme de Cour, travaillé de l’ambition du Cardinalat et de la gloire d’être une colonne, un Père de l’Église ; Mr. Bossuet, méconnu, trahit, opprima la vérité, et manqua le moment de la Providence et le filet que la grâce lui tendait pour devenir son disciple. Il faut l’en plaindre et ne pas s’en étonner. Il n’en faut pas tant pour manquer la vérité, et non seulement pour la perdre, mais pour la persécuter. Vous le permettez, et mon DIEU ! par des vues infiniment adorables. La vérité de votre pur amour n’est pas faite pour les Docteurs profonds et pour les esprits superbes ; et votre première punition sur ces hommes qui se veulent encore bien plus eux-mêmes que vous, c’est de la leur laisser méconnaître et de les abandonner aux passions qui la leur font condamner. Sans entrer avec témérité dans la profondeur de votre Conseil, il me semble qu’entre autres raisons que vous en avez, ô mon DIEU ! votre divine lumière daigne m’en découvrir quelques-unes. Vous permettez que votre charité pure, que l’union permanente avec vous, que l’oraison de contemplation indéclinable, soit persécutée par les Docteurs, et vous laissez sous les plus spécieux prétextes du monde leur aveuglement se tourner de ce côté-là, parce qu’ils sont dignes de cet emploi et que votre secret Jugement les en trouve dignes. Vous le permettez, parce que la vérité de votre amour, pour être féconde et se répandre sans bruit et s’insinuer dans les cœurs qui en ont soif, doit être opprimée et contredite. C’est comme une eau qui, géhennée, pressée dans ses canaux, en jaillira enfin avec plus de force. Vous le permettez, parce que le monde n’est ni digne ni capable de recevoir cette charité pure, et qu’il lui faut par conséquent des Docteurs sublimes et éloquents à qui il croit et en qui il met sa confiance, qui, la combattant, lui en défendent les approches. Comme il fallait que l’Église extérieure fût d’abord fondée sur le sang des martyrs, il n’en est pas autrement de l’Église intérieure, qui est votre seule vraie Église, ô Jésus, mon DIEU, et que vous allez bientôt élever. Elle ne peut l’être que par l’oppression et l’immolation des témoins que vous lui suscités. C’est ce que vous nous avez prédit dans l’Apocalypse, et c’est ce que nous voyons de nos yeux à chaque époque où vous élevez ces témoins. Toutefois, ô mon DIEU ! comme vous n’avez pas entièrement encore abandonné le monde à lui-même et que vous voulez qu’il lui soit fait le peu de bien dont il est capable ; vous permettez qu’en même temps que ces superbes Docteurs blasphèment votre vérité pure, ils donnent au monde le clair brun et une lumière mélangée qui soit faite pour ses yeux malades. Ce sont autant de luminaires pour le monde qui ne peut pas voir dans les ténèbres de lui-même la lumière inaccessible à tout ce qui n’est pas mort à soi. Ces Docteurs, donc, en lui défendant les approches de l’intérieur qui est le tout, lui présentent en échange cependant une certaine quantité de piété et de lumière. C’est un bien, si on veut, pour ceux qui ne veulent pas aller plus loin ; c’est même une digue contre le torrent de l’incrédulité pure ; mais c’est en même temps un mal infini et une incalculable perte pour tous ceux qui auraient la volonté et le courage de s’élever jusqu’à la grandeur de la vocation du Chrétien appelé au pur amour, et à s’unir à DIEU en se quittant soi-même. Ha ! si tous ces Docteurs pouvaient se dire humblement à eux-mêmes : je n’en suis pas là, mais je me garderai bien de raccourcir le bras de DIEU et de blasphémer ce à quoi je ne puis atteindre ; je tâcherai, j’essaierai plutôt d’entrer dans ce sanctuaire, non en m’élevant, mais en m’abaissant et m’anéantissant moi-même. Mais la barrière y est et on ne peut attendre d’eux que la persécution ou le mépris. Ô hommes ! vous admirez ces beaux soleils : ils font spectacle dans le monde, ils éblouissent tous les yeux de leur éclat. Que vous arrivera-t-il et que leur arrivera-t-il à eux-mêmes ? Précisément ce qui arrivera à ce soleil matériel que vos yeux contemplent. Spectacle pour un temps et pour éclairer les yeux de chair. Vous admirez sa splendeur, mais ces yeux matériels qui le contemplent périront et lui-même il périra. Lorsque les Cieux seront pliés et roulés, et que DIEU lui-même, DIEU seul sera l’Éternel soleil de ceux qui l’auront aimé, non en la manière des Docteurs, mais dans sa charité pure.

Il faut revenir. Tous ceux, donc, qui veulent non pas s’arrêter, mais avancer dans la grâce et dans la lumière, non pas se fixer, mais arriver jusqu’à la consommation de cette lumière, doivent, outre l’exacte mortification de leurs passions fines, de leurs vues propres, de leur intérêt, doivent, dis-je, outre cela saisir en docilité le moment divin et les circonstances qu’il enfante ; ils doivent, se soumettant en tous les degrés et les circonstances, recevoir la vérité, quel que soit le canal par lequel elle leur est communiquée ; et quelque vil que puisse paraître l’instrument que met en œuvre un DIEU qui n’a pas appelé les savants, mais de simples pécheurs, qui se sert des choses faibles pour confondre les fortes, des choses folles pour confondre les sages et de celles qui ne font point pour anéantir celles qui sont. Un DIEU qui a appelé la plus humble et la plus humiliée des créatures à concevoir dans ses chastes flancs le Sauveur du monde a montré par là qu’il se sert non des Docteurs, mais des chétifs pour confondre les Docteurs même.

Si la nuit et les ténèbres voulaient ou pouvaient regimber contre l’aurore et la lumière naissante, cette lumière n’arriverait jamais pleine et l’univers n’aurait point le jour. Ce jour, à mesure qu’il augmente, ne tue pas seulement la profonde nuit, pour ainsi parler, mais il engloutit encore les lumières douteuses de l’aurore et les perd en lui. Ainsi faut-il que les progrès dans la lumière spirituelle soient encore tués par sa plénitude. Il sera vu au grand jour, lorsque la vérité étalée en son plein foudroiera ceux qui l’auront manquée ; il sera vu qu’ils ne l’auront manquée que parce que leur prévention, leur hauteur, leur passion les ont empêchés de saisir le filet que leur tendait la Providence, et qu’ils n’ont pas voulu suivre tous les chaînons de cette heureuse chaîne. Les uns s’arrêtent à l’un de ces chaînons, d’autres à un autre ; l’un parcourt quelques degrés et s’y fixe ; un autre pousse plus loin, mais se fixera au point précis qui convient à ses vues et refuse la lumière ultérieure qui les contrecarrerait. Si quelqu’un veut faire ma volonté, il connaîtra de ma doctrine. Voilà ce que dit le Seigneur, mais qui est-ce qui veut faire sa volonté toute entière ? Qui est-ce qui veut le suivre nu à la croix à travers les morts du dedans, les contradictions du dehors, les opprobres, les affronts, la persécution, l’ignominie ? Qui est-ce qui n’a pas les réserves d’une nature lâche et rebelle ? Qui veut écouter quoi qu’il en coûte les saintes inspirations du dedans et les circonstances de Providence qui instruisent par le dehors ?

Mais pour rentrer dans la carrière qui a amené cette discussion, j’en étais à la soumission, à la démission de Madame Guyon envers son enfant de grâce, Fénelon. J’ai donné l’une des grandes raisons d’un tel procédé ; voyons-en une autre non moins instructive. Madame Guyon envisageait Mr. de Cambray sous un double point de vue ; et ces deux points de vue semblaient devoir faire un choc, un conflit et se contraster l’un l’autre. La grâce intérieure suréminemment donnée à cette divine femme faisait l’une de ces faces, l’ordre extérieur faisait l’autre. Par l’une, Madame Guyon était infiniment supérieure à Fénelon, par l’autre elle lui était inférieure et soumise. Par l’une, elle devait commander, et par l’autre obéir. Dans un point de vue, elle devait influer, et dans l’autre elle devait se soumettre. Ce n’est pas la première fois qu’un ordre extérieur nécessaire pour contenir les hommes dans la règle est convenable à temps. Ce n’est pas la première fois que cet ordre extérieur a été en conflit avec cette grâce intérieure qui, libre et supérieure, ne veut d’autre ordre qu’elle-même, et sait étonner et maîtriser toutes les règles. Ce conflit s’est vu de tout temps et a occasionné une infinité de persécutions et de chocs ; les exemples en sont vraiment innombrables. Mais ici, entre Madame Guyon et Fénelon, c’était un conflit généreux, qui par la soumission des deux alla bientôt se perdre en concours et dans cette unité que chaque moment de l’éternité ne fera que concentrer davantage. En qualité d’enfant que DIEU lui avait donné, Madame Guyon l’enfantait, priait, souffrait pour lui, l’instruisait et faisait couler en lui la divine grâce, comme le céleste lait qui lui venait de sa mère. Mes petits enfants pour lesquels je souffre les douleurs de l’enfantement jusqu’à ce que Jésus-Christ soit formé dans vos cœurs. C’est ce qui se passait en St. Paul, c’est ce qui se passait en Madame Guyon. En second lieu, elle regardait Fénelon, quoique son enfant, comme un respectable Ecclésiastique ; et en cette seconde qualité, elle lui était, comme on verra, respectueusement soumise : comme canal de grâce supérieure, elle écoute et communique comme Catholique, elle se soumet à un Prêtre de Jésus Christ ; elle s’est bien soumise et même inouïment à Bossuet, son tyran ; elle se soumettait à Fénelon, qui, par la Prêtrise, portait, comme dit l’Écriture, les vases du Seigneur.

Que ceux qui ne veulent pas céder apprennent de là à rougir ; qu’ils sachent que DIEU est un DIEU d’ordre ; que Jésus-Christ même, tout en foudroyant les Pharisiens de ses anathèmes, semblait quelquefois et en quelque sorte honorer leur ministère. Qu’ils sachent qu’en général on ne risque rien à se soumettre, lorsqu’on le fait non par crainte ou par hypocrisie, mais par humilité et par le pur motif de l’amour de DIEU et de l’ordre, pour ne pas scandaliser, étonner les petits et les simples. On ne risque rien, dis-je, parce que la grâce se venge, pour ainsi dire, au dedans de la contrainte, ou la tient l’ordre extérieur, et qu’elle éclaire et purifie intérieurement toujours plus celui qui par ces purs motifs sait couler avec cette inflexion et se soumettre. Pour ces personnes humbles, elle fait même invisiblement les plus étonnants et les plus insignes miracles que personne ne connaît que l’âme heureuse en qui ils s’exécutent. C’est le secret de DIEU sur ceux qui le craignent ; c’est le cas de Madame Guyon. À la vérité, il ne faut pas pousser trop loin ce principe ni l’étendre à tous les cas sans restriction et à toutes les circonstances. Un DIEU qui veut et aime l’ordre veut aussi déranger cet ordre lorsqu’il lui convient. Bien plus lorsque cet ordre dégénère, lorsque les passions humaines s’y ingèrent, lorsque l’orgueil s’y glisse et en mine le bon, lorsque la propriété y insinue le poison qu’elle jette partout ; que fait-il alors ce grand DIEU ? Il fait nettoyer cette mousse. Sa grâce toujours libre et supérieure suscite certains hommes, elle leur fait le signe d’une vocation bien marquée. Il faut un spectacle qui tranche, qui réveille les dormeurs, qui renouvelle la vérité ensevelie, qui la présente, qui étonne. Ces hommes suscités de temps en temps dans tous les pays et en toutes les communions sont destinés à lui servir de témoins. Ainsi DIEU fait son œuvre invisiblement, malgré les Docteurs et leur persécution, ou plutôt par leur persécution même.

Mais si vous en exceptez ces cas d’une vocation marquée, d’une vocation non d’orgueil, non de fanatisme, non de faux enthousiasme, mais d’un appel bien divin, il est très vrai en général qu’il faut dans l’Église extérieure une subordination hiérarchique. Cet ordre est une imitation inférieure, mais nécessaire à cause de l’orgueil et de la corruption des hommes ; il est une imitation de l’ordre intérieur de la grâce de l’Église invisible et même de l’ordre immortel des hiérarchies célestes, toutes influentes et influées, supérieures et inférieures, toutes rangées en ordre sous leur Chef Éternel Jésus-Christ. La grâce intérieure a ses degrés et l’âme consommée en DIEU influe sur celle qui n’est que dans le progrès et qui par conséquent lui est inférieure. Et voilà la raison pour laquelle il faudrait dans tous les états et tous les degrés de la vie spirituelle un guide, un directeur d’une grâce toujours suréminente et supérieure à l’état et au degré actuel de chaque âme, soit pour influer sur elle par un écoulement invisible, soit pour l’empêcher de s’arrêter sous bon prétexte dans les gorges et détroits qu’elle rencontre et qui sont très difficiles à passer, soit pour supprimer certaines pratiques bonnes pour un temps, mais qui doivent cesser et auxquelles doivent succéder ou des pratiques toutes différentes, ou selon l’avancement la perte de toute pratique. En un mot, il faut un Directeur éclairé, sans quoi l’on peut dire sans exagérer que l’âme sera arrêtée, tout en se croyant le mieux du monde.

C’est pour n’avoir ni pu, ni voulu connaître ces degrés de la vie spirituelle si différents les uns des autres que les Bossuet, les Godet des Marais, les Noailles, les Bourdaloue, les Joly, les Tiberge, les Brisaciers, les, les, les, et toute cette race de Docteurs moraux dont le Papisme fourmille encore plus que les autres communions, ont calomnié la voie mystique et intérieure. Ici encore je parle devant DIEU, et c’est à son Jugement que je les cite. Ces hommes abusés ont toujours eu l’audace de dire qu’on supprime les pratiques de tout temps autorisées comme bonnes et saintes ; et aveuglés par leur prévention, ils n’ont jamais voulu voir que ces mêmes pratiques qu’ils prétendent toujours retenir avec tant de fureur, non seulement dans la voie spirituelle on les conseille aux commencements, mais même qu’on leur en fait un devoir, qu’on les envisage comme un échafaud nécessaire à l’édifice spirituel, mais échafaud qui tombe à mesure que l’édifice s’élève et qu’on n’en a plus besoin ; mais pratiques qui doivent cesser à mesure qu’on arrive dans la fin dont elles ne sont que des moyens. Il est digne de gens qui veulent être saints en eux-mêmes ; il est digne de gens enflés et bouffis d’une sainteté pharisaïque qu’ils ne se veulent jamais laisser vider ; il est digne de gens qui veulent sauver leur âme, non pas la perdre, pour enfin hors d’eux-mêmes la retrouver en Jésus-Christ, selon son ordre ; et que ne pourrais-je pas ajouter.... Il est digne de telles gens de s’envelopper en des scrupules pieux sur les dangers du mysticisme ; il est digne d’eux d’en faire un monstre aux yeux des aveugles qu’ils conduisent ; il est digne d’eux de se jouer de perpétuelles équivoques, de choisir, de trier à leur gré dans les auteurs mystiques des passages décousus qui ne montrent point toute la contexture pour blasphémer l’intérieur, c’est-à-dire le seul édifice formé de la main non des hommes et de la raison, mais de la main de DIEU même. Il est enfin digne d’eux, après de telles manœuvres de verser à gros bouillons la calomnie qu’ils ont préparée par leur prévention et leurs artifices.

Mais il en sera encore parlé plus bas. Ce sont des gens qui, après avoir dérobé la clef de la science comme le leur reproche Jésus-Christ, et ne pouvant ni ne voulant entrer eux-mêmes, empêchent en même temps d’entrer à une infinité de personnes dont par leur belle apparence de sainteté, ils gagnent la confiance.

Pour revenir, je disais donc qu’il faut dans tous les degrés un Directeur éclairé et supérieur à ce degré. Dans le Papisme, les âmes de bonne volonté auraient un avantage insigne dans la direction, s’il s’y trouvait, pour ainsi dire, un seul vrai directeur. J’ai appris de l’Épouse, dans le Cantique, qu’à peine s’en trouve-t-il un entre dix mille. Mon Dieu, aimé est un porte-enseigne entre dix mille. Le porte-étendard de l’amour pur qui peut le montrer aux autres. Par rapport aux Communions Protestantes dans lesquelles la grâce de ce pur amour, persécutée par l’Église de Rome, cherche à se replier et à percer. C’est le défaut de ces Communions et de beaucoup de Sectes et de partis en elles, de n’avoir ni direction, ni directeur. Là, lorsque la grâce naît dans une âme, elle croit n’avoir besoin que de cette grâce elle-même ; et elle ne sait pas que la grâce, à la vérité, est bien la sève heureuse qui seule peut tout produire, mais qu’il faut à cette sève un cultivateur et un jardinier, qui arrose, qui prenne soin, qui taille les branches, qui émonde l’arbre, sans quoi il ne produira jamais le vrai fruit. C’est ce que dit le Seigneur en Saint Jean. Ainsi la plupart d’entre les Protestants qui reçoivent la grâce en perdent les progrès et l’accroissement le plus exquis, parce qu’ils ne croient point avoir besoin de directeur, et ils s’arrêtent, prennent même de cette grâce naissante un orgueil spirituel qui en perd plusieurs, faute de se laisser conduire par une âme éclairée et pour ne pas correspondre aux moyens qu’un DIEU désireux des âmes ordonne et dispose pour les avancer.

On verra par les Lettres que Fénelon lui-même, quoique Catholique et tout Fénelon qu’il était, ne pouvait pas comprendre d’abord l’infinie utilité qui lui revenait des communications et de la direction de Madame Guyon. Fénelon savant et bel esprit, il n’en fallait pas davantage pour que la vérité divine eût en lui beaucoup de peine à percer. Elle ne perce même point en ces gens-là que lorsque le cœur d’ailleurs est honnête et bon : deux choses qu’on voit difficilement alliées. Prévenu de la science ordinaire et plein de ces préjugés malheureux, précepteur du genre humain, ce ne fut qu’à force de sentir et d’expérimenter qu’il comprit la grandeur de l’œuvre que DIEU tient sous le secret pour le monde, la grandeur des communications invisibles de sa grâce par les canaux qu’il destine à la répandre. Dans les commencements, il s’avisait de faire quelquefois assez mal à propos le supérieur et le directeur, transportant ainsi à l’ordre extérieur un ordre intérieur bien différent. Toutefois à mesure que la lumière perçoit et se faisait jour, il s’ouvre à sa mère, il lui rend compte de ses états et lui demande ses conseils. On voit ici un combat de soumissions réciproques. Les âmes supérieures destinées à aider les autres savent combien elles ont de peine avec les commençants, et combien ceux-ci résistent d’abord sans le savoir, et lorsqu’ils le savent ils n’en résistent pas moins sous les plus spécieux prétextes et les plus colorés. Leur grande raison, c’est de s’en fier à DIEU uniquement et non point à des hommes faibles et faillibles, et ils ne savent pas que DIEU agit par ses instruments et par les instruments les plus faibles et les plus chétifs, afin que toute gloire lui soit rendue : Nous avons ce trésor en des vases d’argile, afin que l’excellence de cette force soit vue venir de DIEU et non pas de nous. DIEU, qui pourrait tout faire seul, ne le fait point. Il établit ses moyens, ses instruments pour l’accroissement de l’Église ; quand il veut une âme, il met à sa portée son moyen d’avancement. La plupart, ou n’en savent rien, ou, si le sachant, elles le refusent ; c’est bien plutôt dans le vrai par un orgueil secret de l’esprit et par une suite du préjugé que par la raison de s’en fier à DIEU seul qui leur sert pourtant de prétexte.

Achevons ici tout d’un temps et avant d’aller plus loin ce qui concerne Mr. de Cambray. Personne, je pense, ne nous accusera de ne pas chérir, respecter cet excellent Archevêque, l’un des plus grands hommes en tout genre qui ait jamais été. Et puisque ce qui surtout nous le rend cher, c’est la conformité d’idées et de sentiments ; on ne nous suspectera pas de vouloir ternir une mémoire qui nous est en bénédiction, ni de vouloir arracher une des fleurs immortelles qui reposent sur son tombeau. Mais Disciples de la vérité du DIEU vivant, nous ne savons pas flatter ; nous ne pouvons qu’apprécier. Que la partialité se tienne auprès des docteurs du mensonge où elle trouve sa place ; qu’elle n’approche pas de nous et ne corrompe pas de son souffle empesté l’air pur que nous cherchons à respirer dans le domaine de la lumière. Mr. de Fénelon fut bientôt la dupe d’une prudence qui était trop grande dans les commencements ; on le verra par la correspondance ; mais quand elle ne l’aurait pas été, un DIEU qui confond toute prudence aime à surprendre les sages dans leurs ruses, à cause de la malheureuse propriété qui se fourre toujours plus ou moins dans les procédés de prudence même les plus convenables ; et lorsque DIEU élit une âme et veut la consommer, il la fait tomber pour la déconcerter dans les pièges de ses propres arrangements. Alors à force de vouloir arranger par sagesse et éviter certaines choses, c’est par cette sagesse même qu’elle prépare ce qu’elle voulait éviter et qu’elle y tombe. On peut voir là-dessus d’excellentes Réflexions dans la Préface mise à la tête de ses Œuvres Spirituelles et que j’ai déjà citée.

Ne croyons donc pas que Mr. de Meaux n’ait pas, en une certaine quantité, été l’instrument de DIEU sur Mr. de Cambray. La passion vient de l’homme, la direction de la passion vient de DIEU. Elle sert entre ses mains pour la fin à laquelle il veut amener ses élus ; et cette fin, c’est de les épurer par la croix, par la contradiction, en leur enlevant tous les remparts que leur sagesse se fait. Mais faut-il se déclarer à tort et à travers, et le fallait-il surtout en des circonstances aussi délicates que celles de Mr. de Fénelon, Précepteur des Princes, et occupant à la Cour une place utile ? Non pas si l’on veut ; mais il est un milieu, entre cela et rougir de Jésus-Christ et de sa vérité contredite dans le monde, fort difficile à tenir. Et supposé même qu’on pût toujours dans le détail des actions avoir en main cette balance et ne point la faire pencher, qui osera assurer que ces démarches de prudence à les supposer même innocentes en elles-mêmes, ne soient pas au dedans plus ou moins infectées par les vues de la propriété, par la timidité, la fausse honte, quelque respect humain et quelque regard de ses intérêts. Et voilà ce qu’un DIEU jaloux de nos cœurs veut punir et purifier ; il le fait en ce monde pour ses élus parce qu’ils en sont dignes, tandis qu’il laisse les autres jouir de toute leur gloire et de tous les succès de leurs artifices. Il déroute, il déconcerte les premiers ; il les laisse persécuter ; il permet que des hommes mus par la passion, ou aveuglés par une fausse lumière, prévalent sur eux, triomphent, soient applaudis, aient gain de cause aux Tribunaux humains, jusqu’à ce que le voile étant levé dans une autre économie, ils soient confondus à leur tour et reçoivent, selon la prédiction du Prophète, le double de la honte qu’ils auront faite aux autres.

Mais Mr. Bossuet n’a-t-il été, dans cette célèbre affaire, que le Ministre de DIEU sur Mr. de Cambray, pour déconcerter en celui-ci une prudence que DIEU voulait rendre vaine ? Bossuet s’en est-il tenu au point précis ?..... Entrerai-je dans cette discussion qui demanderait du détail ? Il le faut bien, et je le dois, quoique je ne voudrais pas arracher le peu de bon grain qui se trouve parmi des tas d’ivraie. Ces gens-là, tout en calomniant l’intérieur, tout en défendant les approches de cette religion, seule faite pour mener à DIEU, ces gens-là font toutefois à un monde corrompu un bien inférieur ; ils font de fort beaux discours sur la Religion ; ils foudroient l’incrédulité ; ils présentent une morale assez sévère que la plupart au reste se gardent bien de pratiquer ; mais enfin ils font spectacle et un grand parti dans l’Église extérieure. Il faut leur rendre la justice qui leur est due et apprécier. Ainsi ils font, comme je l’ai dit, un bien inférieur, tandis que quant à la vérité supérieure et divine, ils ont fait et font encore d’incalculables maux. Je ne voudrais pas empêcher le genre de bien qu’ils peuvent faire ; mais aussi à DIEU ne plaise qu’on abandonne à l’efficace de leurs erreurs les âmes de bonne volonté qui pourraient se laisser séduire par de si belles apparences. À DIEU ne plaise qu’on abandonne le vrai troupeau de sa pâture à la merci du loup dévorant et de ces Pasteurs qui veulent asservir la grâce à leurs vues et donner des règles à DIEU même et à son amour, qui n’a d’autre règle ni d’autre borne que DIEU seul.

Parlons donc avec liberté, et dans l’heureuse position où la Providence nous a mis, ne soyons pas assez lâches pour trahir la vérité et la retenir captive en injustice. L’Esprit d’unité qui est l’Esprit de DIEU hait les divisions ; mais DIEU, qui sait tirer le bien du mal et le dirige à ses fins par la division même, nous a dégagé des entraves de l’Église de Rome. Ainsi ce que Fénelon et bien d’autres, à cause de leurs circonstances, n’ont pu ni dû faire ou dire. Nous qui avons reçu du Seigneur, soit au dedans, soit en position extérieure, son Esprit de liberté, nous le dirons hardiment et sans crainte. La vérité trop longtemps submergée doit surnager et rentrer en ses droits. Que si on voit ici des vérités fortes et qui dressent la condamnation à beaucoup de gens, qu’on ne croie pas que nous ayons intention de perdre la charité. DIEU sait que nous verserions notre sang avec joie si notre sang pouvait valoir à ces personnes une goutte de ce pur amour qu’elles ont persécuté. Nous distinguons des hommes, pour qui au fond Jésus-Christ est mort, de leurs erreurs et de leurs passions. La vraie charité ne va point sans la vérité et ne doit point s’élever sur ses ruines. C’est ce que dit l’Apôtre : Afin qu’en suivant la vérité avec la charité vous croissiez en toutes choses en celui qui est le Chef Jésus-Christ. Et c’est rendre service à la vérité et au genre humain que de montrer les erreurs et les passions.

Il n’est que trop vrai que Mr. Bossuet, en persécutant Madame Guyon et Fénelon, a en même temps formellement persécuté le pur amour. Tout a concouru à cette digne œuvre, Jansénistes, Jésuites, des Évêques, des Archevêques, des Cardinaux, Louis XIV, Madame de Maintenon, le Pape enfin. Montrons ici quelques traits de cette manœuvre. Et plut à DIEU que les Protestants voulussent recevoir cette grâce exquise de l’intérieur aujourd’hui persécuté dans l’Église Romaine et qui vient se réfugier et s’offrir à eux ; mais, hélas, hélas, et hélas, encore ! on trouve partout des Docteurs.

L’Église Catholique, d’abord et si longtemps excellente, en avait trop fait enfin et a mis sur elle trop de mousse d’ambition, d’intérêt et de gloire humaine pour ne pas dégénérer. Jésus-Christ, Recteur de son Église, ne punit pas d’abord, mais il laisse accumuler l’iniquité ; c’est la première punition. Et la grande iniquité qu’elle a consommée, c’est d’avoir persécuté le pur amour et les états qui y mènent, établis dès les commencements du Christianisme par la tradition secrète d’une infinité de saints hommes. Mais le temps de l’ennemi était venu, et l’heure de la puissance des ténèbres. Cet ennemi qui sait se transformer pour mieux séduire en Ange de lumière, suscite des hommes d’une vie, d’une conduite estimée, afin que l’erreur en ait plus d’efficace. Il suscite des hommes éloquents et en place. Quand il veut verser sur la terre les noires vapeurs de l’incrédulité, il se sert de certains monstres à qui il donne tout l’esprit imaginable ; il appelle les Voltaire, les Rousseau, etc. De même, quand il est question pour lui de combattre ce pur amour qui fait trembler l’enfer et toutes les légions infernales, il se sert d’hommes qui ont la plus grande apparence de l’amour de DIEU, mais amour raisonné, raisonnable, symétrisé, qui veut à lui-même se faire ses bornes ; amour, le seul que les plus pieux d’entre les hommes adoptent, et amour en même temps que DIEU répudiera un jour à la face de l’univers, parce que c’est un faux amour, tout rentrant dans le moi ; amour de DIEU en apparence, amour de soi-même en réalité.

Mr. Bossuet, le chef de cette intrigue, eut pour adjoints le Cardinal de Noailles, Janséniste, l’Évêque de Chartres, Godet des Marais, et Mr. Tronson, le seul modéré. La troupe entière des fougueux Jansénistes a fait chorus. Ils ont crié à l’erreur, au scandale, et les Jésuites ont laissé faire. Madame de Maintenon, gagnée par Bossuet, par ses Confesseurs, a trahi Fénelon son ami ; gagnée, elle s’est aidée à entraîner Louis XIV... Le Pape est sollicité et, condamnant Fénelon, Ex cathedra et ipso facto, il a condamné le pur amour.

J’avoue que je ne comprends pas Innocent XII, si réellement il a tenu le propos qu’on met dans sa bouche ; Peccavit ille cxcessu amoris Divini sed vos peccastis defectu amoris proximi. Cambray a péché par un excès d’amour de DIEU, mais vous, vous péchez par un défaut d’amour du prochain. C’est ce qu’il doit avoir dit en voyant l’odieux acharnement des ennemis de Fénelon. Mais qu’on pèse cette expression dans la bouche d’un Pape ; pécher par excès d’amour de DIEU, comme si jamais on pouvait trop, on pouvait assez aimer le Tout-aimable.

Ce Pape avait déjà été précédé dans cette carrière par Innocent XI, qui condamna Molinos. Ce n’est pas qu’Innocent XI ne fut un excellent homme, et on sait le distinguer d’une foule de Papes bien éloignés d’avoir eu sa piété et de le valoir ; aussi n’est-ce qu’à regret qu’il s’est vu forcé de condamner Molinos qu’il estimait, et uniquement pour ne pas faire dans l’Église un schisme qu’il envisageait comme un plus grand mal que la condamnation d’un homme ; schisme que la fureur d’une infinité d’ennemis de Molinos faisait prévoir, comme un orage inévitable. Cette foule d’ennemis de tout étage étaient animés par le Clergé, et surtout par les Jésuites. L’Évêque Burnet qui a écrit sur cette affaire prétend que la haine et la rage du Clergé contre lui venaient de ce qu’adoptant des pratiques plus simples, cela aurait ôté aux Ecclésiastiques bien des petits bénéfices. Quoi qu’il en soit, j’ose dire que l’un des grands crimes des Jésuites a été celui-ci ; c’est ce crime secret qui leur a en partie attiré le sort lamentable qu’ils éprouvent aujourd’hui. Je ne suis pas leur défenseur, mais je suis sûr que dans l’infinité de choses qu’on leur re proche, il en est un grand nombre dont ils sont très innocents. Et DIEU permet qu’ils soient foudroyés et que la politique des Princes les écrase. Les Jansénistes de tout temps, leurs ennemis acharnés, sont la verge qui les a frappés. Ils ont préparé de longue main leur vengeance ; ils n’ont rien négligé pour l’assurer. Aussi artificieux, aussi rusés et plus actifs même que les Jésuites, ils ont enfin prévalu contre eux ; mais leur temps viendra aussi. C’est ici que vient ce beau passage : Malheur à Assur, la verge de ma colère, quoique le bâton qui est dans sa main soit mon indignation. Ils préparent eux-mêmes leur ruine en portant au Papisme les plus rudes coups.

Parlons un moment de ces hommes singuliers, qui dénuent tout et ne semblent rien rompre, qui, lorsqu’ils n’étaient qu’indociles, étaient persécutés et qui sont sur le pinacle aujourd’hui qu’ils sont rebelles ; très mauvais Catholiques, et plus Protestants en bien des points que les Protestants même, mais à bon compte criant au tue-tête contre les Protestants, afin qu’on ne les soupçonne pas de l’être. Hommes qui ont fait avec les Jésuites le jeu de la bascule. Opprimés et oppresseurs, ils ont fraternellement rendu à ceux-ci et au centuple ce qu’ils leur avaient fait. Quelle est la ruse qu’ils n’ont pas employé les uns contre les autres. On accuse les Jésuites d’être féconds et fertiles en ces choses. Hé ! ils ne sont que de petits garçons en comparaison des Jansénistes. Et ceux-ci trompent bien mieux, parce que leur morale, leur théorie semble plus sévère, Comment ne pas s’en fier à des hommes d’une telle austérité et d’une piété si bien poussée ? Dans une Communion comme la Romaine, où les droits de l’Église et les droits des Princes sont si souvent en conflit, il était naturel que tôt ou tard les Parlements et les Rois favorisassent le Jansénisme qui énerve l’autorité de l’Église. C’est la politique des Princes ; et c’est ce qu’on voit déjà arriver de nos jours avant qu’il arrive de plus étranges choses. Mais c’est le sort des choses humaines et de tout ce qui se passe sur la terre ; elles se détruisent et se succèdent les unes les autres ; les partis se battent et se ruinent réciproquement, chacun à son tour. C’est parce que tous les partis, livrés à une quantité d’erreur en même temps que passionnés, méritent par là le vil emploi de se faire une guerre réciproque et méritent encore d’être détruits les uns par les autres. Qu’il me soit permis de tirer l’horoscope de tout ceci. Qu’on fasse attention à cet article et on pourra, par le passé et par ce qu’on voit actuellement, augurer l’avenir. Je vois les évènements de destruction tant prédits dans l’Écriture ; je les vois s’avancer à grands pas ; ils sont presque déjà arrivés ; mais comme a dit le Seigneur, ce n’est pas encore la fin. Le Papisme, si longtemps l’Église visible, est attaqué de toutes parts. La politique des Princes prévaut, s’arme contre Rome et lui fait la guerre. Il n’est pas jusqu’à l’Espagne, si ultramontaine, si soumise autrefois, qui aujourd’hui ne lève le masque. Toute la Maison de Bourbon s’unit, elle ne sait pas qu’elle exécute le Décret de DIEU. Mais après que la politique des Princes aura longtemps prévalu, elle se tournera contre elle-même. D’un autre côté l’incrédulité, qui dès longtemps ravage sourdement, se poussera à son comble, et semblera maîtriser, étouffer tous les partis du Christianisme. Et ce sera précisément à cette époque si fatale en apparence qu’un DIEU qui n’établit jamais mieux ses vrais desseins, qui n’amène jamais mieux la fin qu’il se propose que lorsqu’il semble tout détruire ; c’est alors que sur les débris de toutes les Communions et de toutes les sectes, de tous les partis d’abord attaqués par la politique, achevés par l’incrédulité, DIEU élèvera sa vraie Église ; c’est alors que Jésus-Christ commence à régner sur les cœurs, à établir un règne d’amour, non géhenné par les passions humaines, non contraint par les intérêts et par le mensonge, non plus trahi et opprimé ; c’est alors que les vrais Chrétiens commenceront à lever la tête, et à chanter sans crainte le Cantique de la nouvelle Jérusalem : Jours heureux, que n’êtes-vous déjà arrivés ! Et vous Chrétiens de ces temps fortunés, vous jouirez dars la paix de l’éternelle protection de l’Agneau, de cette paix que vous auront préparée cette infinité de témoins immolés auparavant par tous les partis, par toutes les Communions, par les vues des Princes, par la passion et l’orgueil du préjugé.

Puisque j’ai parlé des Jansénistes, il faut dire quelque chose de l’un de leurs plus passionnés émissaires. Je le sors à regret de l’oubli qu’il mériterait ; mais comme ce parti est actuellement sur le trône, son livre rempli d’impostures contre l’intérieur et le mysticisme pourrait faire quelque sensation. Je ne connais ni cet auteur, ni son nom, dont le livre m’est tombé entre les mains depuis peu ; c’est un abrégé du prétendu Histoire Ecclésiastique en 13 vol. imprimé en France, sous le nom de Cologne dès l’an 1754 à l’an 1756. Tout ce qui n’est pas plus Janséniste que Jansénius même y est attaqué. Tout Janséniste y est un saint ; rien ne lui coûte : assertions, couleurs, déguisements, injures contre les plus grands hommes non Jansénistes. En même temps qu’il apothéose Mr. de Meaux, il faut voir la manière indécente, digne en un mot d’un crocheteur, dont il traite le grand Fénelon. Il est bien du reste qu’en ces hommes la passion se démasque ; sans elle on les croirait, et ils s’attireraient des ignorants une confiance qui leur servirait de pièges.

Je ne doute point que ce livre n’ait contribué à porter le coup mortel aux Jésuites contre lesquels est employé un gros volume où sont ramassées pêle et mêle toutes les vérités et tous les mensonges qu’on a pu dire contre eux. Mais ce n’est pas mon affaire et je ne suis point leur apologiste ; nous savons qu’ils ont eu de grands hommes et beaucoup d’hommes utiles ; nous savons encore qu’à plus d’un égard on les a calomniés ; je l’ai vérifié moi-même par égard pour la vérité plutôt que pour vouloir être leur défenseur à titre. Persuadé du reste que parmi le faux qu’on leur a imputé il y a aussi des choses vraies. Mais enfin ce qu’on ne leur reproche point, et que DIEU a vu, c’est qu’ils ont du temps de Molinos beaucoup concouru à faire condamner le mysticisme à Rome ; et ensuite dans l’affaire de Mr. de Cambray, ils ont pour le moins fait les Pilates.

On voit le venin de cet auteur Janséniste contre tout ce qui porte l’empreinte du pur amour, par la manière dont il fait passer en revue tant de grands et saints hommes qui en ont écrit et qui en ont été les témoins dans l’Église.

Il suffit à cet auteur que l’on tienne à cet amour pur pour recevoir de lui les épithètes les plus méprisantes. Fanatisme, illusion, rêveries, enthousiasme, ce sont ses expressions. Sans vouloir le suivre en de tels excès, je dirai deux mots de tous les Quiétistes qu’il passe en revue. D’abord il méprise trop ceux des autres Communions pour daigner en parler ; il ne fait que citer leur nom avec opprobre. Puis il commence par le célèbre Molinos, qu’il regarde, dit-il, comme le chef du Quiétisme moderne. Il aurait bien plutôt dû dire qu’il est l’un des témoins modernes, immolé et sacrifié, et l’un des continuateurs de la constante doctrine des plus grands Saints de la primitive Église et de plusieurs de ses pères ; il ne craint point de citer détachées des propositions que l’inquisition de Rome avait extraites des ouvrages de Molinos, afin de condamner comme un séducteur cet homme qui a été l’un des plus grands spirituels qui aient paru. Par de tels procédés, on peut faire dire aux plus saints hommes les plus grandes horreurs. Cela s’est vu de tout temps et surtout en matière de spiritualité, où il est si facile de tout tordre, de tout brouiller et de tout confondre. Par cette méthode que cet auteur Janséniste ressuscite à l’égard de Molinos, je n’hésite point de dire qu’on pourrait faire même un incrédule, un déiste de l’homme le plus saint et qui aura écrit le plus divinement.

En veut-on un exemple entre des milliers qu’on pourrait donner. On voit dans le siècle de Louis XIV un trait de ce genre, très ressemblant aux procédés et de l’inquisition de Rome et de cet Écrivain. Ce Poëte impie, qui a voulu de toutes les gloires littéraires et qui n’écrit presque plus une page sans un blasphème contre la Religion. Voltaire, parlant du divin Fénelon dans l’article des Écrivains célèbres, rapporte de lui des Vers, qu’il dit tenir du Marquis de Fénelon son neveu, Ambassadeur à la Haye. À en juger par la citation simplement, il n’est personne qui ne crut lire un sceptique, un homme doutant d’un avenir ; et c’est le grand parti que Voltaire a prétendu en tirer. Les hommes comme lui ne peuvent assez s’acharner sur les grandes réputations ; ils ont un diabolique intérêt à faire croire que les plus grands hommes pensent comme eux ; et les plus insignes mensonges ne leur coûtent rien pour venir à leurs fins. C’est par une raison semblable qu’une autre horreur de nos jours, La Mettrie, a eu l’audace de dédier, comme à son ami, un de ses plus impies livres au grand Haller. Mais il faut rapporter les Vers cités par Voltaire pour démasquer sa friponnerie. Les voici :

 

Jeune j’étais trop sage,

Et voulais tout savoir ;

Je n’ai plus en partage

      Que badinage,

Et touche au dernier âge

Sans rien prévoir.

 

Telle est la strophe que Voltaire a décousue et ôtée de l’ensemble. Ainsi seule, on pourrait y trouver une doctrine hardie et une maxime d’incrédulité. Mais avant que de la montrer avec le reste, il ne sera pas mal de dire que Voltaire n’avait pas besoin d’assurer qu’il tient ces Vers du Marquis de Fénelon, puisqu’il a pu les trouver en plus d’un endroit. Ces mêmes Vers étaient déjà imprimés, l’an 1722, dans les Cantiques de Madame Guyon à qui ils sont adressés, et où on voit la réponse de cette sainte femme. Qui croirait, à n’en juger que dans la citation détachée par Voltaire, que ces Vers font partie d’un Cantique où Fénelon chante la vanité de la prudence et de la sagesse humaine, où il ne veut plus que Jésus et son enfance, plus que la folie de la croix, selon ce que dit l’Apôtre : nous sommes fous pour DIEU, où il renonce à sa raison pour se soumettre à la foi, et où enfin il exprime les plus beaux sentiments d’abandon à DIEU et les plus beaux caractères du pur amour. Voici le commencement du Cantique :

 

Adieu vaine prudence,

Je ne te dois plus rien ;

Une heureuse ignorance

      Est ma science ;

Jésus et son enfance,

C’est tout mon bien.

 

Après cette première strophe suit celle que Voltaire a citée avec tant de malignité. Je ne rapporterai pas tout le Cantique, afin de ne pas allonger ; chacun pourra le lire s’il veut et se convaincre par ses yeux de la mauvaise foi ordinaire à ce monstre de nos jours. On trouvera ce Cantique tout entier aux pages 214, 215 et 216 du troisième Volume des Cantiques spirituels de Madame Guyon, Cologne 1722. Il est en lettres Italiques, comme tous ceux de Fénelon qui y sont insérés, et les Réponses de Madame Guyon sont en caractères ordinaires. Nous serons charmés qu’on le lise et qu’on voie. Toutefois j’en mettrai encore ici une ou deux strophes en faveur de ceux qui ne voudraient pas l’aller chercher dans le livre, ou qui ne seraient pas à portée de l’avoir et de vérifier les choses.

 

Quel malheur d’être sage

Et conserver le moi,

Maître dur et sauvage,

      Trompeur volage,

Ô le rude esclavage !

      Que d’être à soi.

 

Amour pur on t’ignore,

Un rien te peut ternir,

Le Dieu jaloux abhorre

      Que je l’adore,

Si m’offrant j’ose encore

      Me retenir.

 

Ô Dieu ta foi m’appelle

Et je marche à tâtons, etc., etc.

 

Voilà ce qu’a fait Voltaire ; on peut lui pardonner de telles friponneries, elles sont de lui et dignes d’un émissaire de l’abîme. Mais qu’un corps extraie en des livres qui ne respirent que l’amour de DIEU et la voie qui y conduit, en extraie des propositions hors de leur suite, que même on les extraie par voie de conséquence le plus souvent forcée, voilà ce qu’on ne peut concevoir et dont on n’a la clef que dans la force des préjugés. Mais pourquoi encore les extrait-on ? Pour condamner et immoler un homme dont la doctrine était fort différente de celle du Clergé. Voilà ce qu’on a fait à Molinos. Ce n’est pas ici le lieu d’en traiter au long ni d’en donner les preuves ; je me réserve de le faire dans une autre occasion. Ce nom chargé d’ignominie et qui n’est cité qu’avec opprobre, j’essaierai de le sortir de l’injuste mépris où l’erreur, le préjugé, la passion qui ont dicté sa condamnation l’ont jeté et tenu si longtemps. J’ai de bons mémoires. On démasquera les manœuvres qui se sont voulu couvrir du secret. Les Jésuites y auront bonne part. On montrera au long tout ce que j’ai dit plus haut, et les intrigues et les violences qui ont mis le nuage sur la vie, la conduite, les mœurs et la doctrine de ce témoin de la vérité, et qui l’ont fait immoler. Et comment enfin le préjugé contre lequel il réclamait s’est retourné et l’a écrasé.

C’est ainsi qu’on en a usé de tout temps envers les saints mystiques, lorsqu’on les a voulu condamner. Et quand est-ce qu’on ne l’a pas voulu ? On prend dans leurs livres des passages décousus, hors de leur enchaînement et de leur suite. Par exemple, est-il question d’un état de l’âme où, après les longues et précursives pratiques de la méditation, elle doit entrer dans le silence intérieur, pour écouter DIEU parlant en elle, après qu’elle a longtemps elle-même parlé à DIEU ? Alors qu’arrive-t-il ? Un dévot criera au blasphème, et dit qu’on veut retrancher les pratiques nécessaires de la méditation ; tandis que cet homme injuste n’aurait qu’à voir quelques pages plus haut qu’on les établit pour les commençants. Non, non, il la bien vu, mais il ne lui convient pas de le voir ; l’ensemble d’un livre mystique l’inquiéterait, parce qu’à l’envisager et le présenter sous ce seul vrai et total point de vue, il ne pourrait y trouver à percer et il n’aurait pas matière à crier. Il en est de même dans tous les degrés de la vie spirituelle. S’agit-il de cet état avancé où l’âme doit se laisser dépouiller des vertus que par son activité et ses bonnes pratiques elle a longtemps amassées à grands frais, afin que les restes d’impuretés que la propriété a mise sur ces vertus soient purifiés et qu’elle retrouve ces vertus toutes pures et divines en DIEU qui en doit être le principe et le moteur ? Qu’arrive-t-il encore ? La malignité fait trophée de ces passages qu’elle découd et saisit ; elle y trouve tout de suite la ruine des vertus, et par conséquent un système abominable. Elle se fait un parti, entraîne toute la séquelle des Docteurs qui font chorus et crient à l’horrible péril. Ôte, ôte, crucifie ; et ces calomnies se répandent de proche en proche et deviennent enfin universelles ; et même la plupart de ceux qui crient ne le font qu’en répétant ce qu’ont dit les chefs de file, sans avoir jamais rien vérifié eux-mêmes.

Est-il question de ces faiblesses que DIEU même laisse aux plus saintes âmes comme à St. Paul, afin de les tenir dans une humiliation perpétuelle et empêcher en elles les plus petites éruptions d’un orgueil spirituel qui sans cela renaîtrait de sa propre défaite ? Faiblesses dans lesquelles le saint Apôtre se plaît plus que dans tous ses dons exquis et ses révélations sublimes, parce qu’il en sent l’utilité pour l’anéantir et qu’il craint toujours l’orgueil que pourraient lui donner les grands dons ? Que disent cependant ces Docteurs lorsqu’ils trouvent le même langage dans les mystiques ? Changeant les termes, car rien ne leur coûte, ils disent que ces mystiques et spirituels se plaisent dans leur corruption. Remarquez bien, ce n’est plus faiblesses, mais corruption ; et alors ils crient à l’horreur, et font crier avec eux toute la troupe des dévots qu’ils entraînent. Enfin est-il question de cet état plus avancé encore où l’âme, après s’être longtemps servie des motifs de la récompense comme d’un bâton pour marcher, est arrivée à ce pur amour où elle n’agit plus que pour DIEU, en vue de DIEU qui devient son seul et indéclinable regard, comme on voit dans une infinité d’endroits des Psaumes et de toute l’Écriture, et où elle ne pourrait plus se servir des motifs inférieurs qui en elle ont été engloutis par la charité pure ? Que disent encore à cela les mêmes hommes ? C’est ici que se démasquent encore mieux leurs duplicité qu’un gros volume ne suffirait pas à rapporter. Voici l’une des ténébreuses progressions de leur raisonnement. Je ne vais rien leur prêter que je ne sois en état de démontrer. « Ces prétendus spirituels », disent-ils, « qui se guident si haut, ne veulent ni ciel ni enfer, et sont si indifférents à tout que, sous prétexte de la volonté de DIEU, ils iraient aussi bien en enfer qu’au ciel. L’un leur est aussi indifférent que l’autre. Or comme en enfer on ne peut pas aimer DIEU, dans les rêveries de leur imagination ils consentent donc à être mis en un état où on n’aime plus DIEU, et à perdre toute cette charité qui ne peut être admise dans la demeure des démons, etc. » Je me hâte de sortir de ce langage et de ces conséquences forcées qui font horreur, et que ces hommes malheureux prêtent aux plus saintes âmes. Et c’est ainsi qu’ils ont l’audace de se servir de la plus haute pureté de l’amour et de la fin et consommation de la charité pour faire croire qu’on consent à perdre cette charité et qu’on renonce à cet amour pur, si identifié dans l’âme consommée qu’il faudrait la détruire elle-même et l’anéantir avant qu’elle pût perdre une goutte de cet amour.

Je n’ai pas le temps d’allonger. D’ailleurs la malignité des équivoques qu’ils se commandent est assez démasquée dans ces exemples. Je pourrais les multiplier sans fin ; mais ceux-ci nous suffiront entre tous pour faire voir quelques échantillons d’une mauvaise foi que rien ne peut vaincre, ni douceur, ni charité, ni éclaircissements, ni le langage constant de l’Écriture où leur passion ne veut rien voir du système intérieur, ni la tradition successive d’une infinité de saintes âmes dès les premiers siècles du Christianisme, ni l’onction sacrée, ni le langage divin qu’ils ne peuvent manquer de voir dans ces mêmes livres spirituels qu’ils tordent et calomnient. Non, rien ne peut les vaincre ; ils sont roidis-durcis contre les preuves les plus claires, et les pièces justificatives où les faits sont démontrés et mis au-dessus de tout doute ne font que les aigrir davantage.

C’est sur de pareilles équivoques et sur une si digne base que le fameux Janséniste Mr. Nicole, a bâti son traité intitulé des Visionnaires. Il faut voir l’indignité avec laquelle il y traite les plus saints mystiques et en particulier le père Guilloré, et la manière oblique et artificieuse dont il présente leurs idées pour en montrer la prétendue horreur. Ne nous appesantissons pas. De tels hommes auront été un peu étonnés lorsque, le voile étant déchiré, ils sont entrés dans le domaine de cette vérité qu’ils ont refusée et persécutée en ce monde, et qu’il faut voir tôt ou tard pour en être foudroyé.

Il faut en revenir à cet auteur Ecclésiastique, leur fidèle imitateur dans ces impostures. Les plus grands noms ne l’effraient point. Le Marquis de Renty, Mr. de Bernières de Louvigny, les hommes de la plus éminente piété sans discussion reçoivent en passant leur coup de bec. Quand les faits clairs et démontrés iraient à l’inquiéter, il ne s’en embarrasse guère ; il sait où les enjamber et les outrepasser, où les farder et les colorer. C’est ainsi singulièrement qu’il a su déguiser l’horreur des menées qui ont fait immoler le père La Combe, cet excellent témoin de la vérité. On peut en voir une partie dans la vie même de Madame Guyon, de laquelle cet auteur n’a pas osé attaquer ni même mettre en question la droiture. Il se serait trop dévoilé, parce que les plus acharnés ennemis de cette sainte femme n’ont jamais osé y jeter de soupçons. Il n’est pas même jusqu’à Bossuet qui, bon gré, malgré lui, n’ait été obligé de lui en rendre enfin le plus éclatant témoignage dans l’assemblée du Clergé de France où il tenait le bureau. Ils n’ont pu trouver aucun endroit à percer dans une si belle vie, quant à la vertu et aux mœurs ; quel a seulement été à cet égard leur artifice ? Que le lecteur impartial en soit Juge, comme DIEU en jugera un jour.

Dans le noir orage que la calomnie suscitait contre Madame Guyon et contre ses écrits, elle demandait à grands cris que l’on prît les plus formelles et les plus juridiques informations de tous les moments de sa vie et de ses mœurs. Elle offrait au plus rigoureux examen jusqu’aux plus légères traces de ses pas. Vaine demande ! Ce n’était pas le compte de ceux qui voulaient l’accabler, et le même Bossuet qui, après sa prison et après l’avoir animée a été forcé enfin de lui rendre justice quant aux mœurs, fut le premier à éluder une si équitable demande. Il entraîne dans ce refus Madame de Maintenon, qui en fit un formel à Madame Guyon, et qui a osé écrire qu’il ne convenait point de vérifier l’innocence de Madame Guyon, de peur que cette innocence reconnue ne donnât, disait-elle, cours à sa doctrine. Comment peut-on ne pas craindre se déshonorer soi-même par un tel refus et en en rendant de telles raisons ? Comment ose-t-on mettre bas à ce point toute pudeur, toute foi, toute loi, toute conscience, toute équité ? Comment ose-t-on se jouer ainsi de l’innocence et concourir à l’opprimer sciemment, volontairement et avec connaissance de cause ?

Il n’est personne qui sache être plus utilement double pour ses intérêts que ceux dont la duplicité est couverte des plus grandes apparences de sincérité et de roideur. Madame de Maintenon, qui avait eu d’abord un assez grand appel pour la voie intérieure, le faussa bientôt. Sa position à la Cour, l’instinct secret de s’agrandir et de se maintenir, une situation délicate, une position critique, le respect humain, la crainte, etc., il n’en faut pas davantage ; il n’en faut pas tant pour faire manquer la vérité divine qui n’est faite que pour ceux qui la veulent sans réserve et aux dépens de tout, qui veulent l’acheter et ne point la vendre, comme dit le sage. Cette Dame, singulier phénomène de la fortune, n’a pas pu faire assez divorce avec le moi pour entrer dans les vraies voies d’un DIEU qui ne se donne qu’à la perte de nous-mêmes. Elle eut pu faire à l’intérieur des biens incalculables ; elle aurait eu assez de crédit pour entraîner Louis XIV à le protéger, ou du moins à ne pas le laisser persécuter. Mais la vérité, une fois manquée, ne se retrouve plus ; elle se retire gémissante et est perdue pour qui ne la veut pas toute entière. Ainsi Madame de Maintenon, d’abord liée avec le grand Fénelon par une vénération qu’on ne pouvait lui refuser, vint bientôt à le trahir et l’abandonner. Elle n’avait pas profité de la belle lettre de direction qu’il lui écrivit et qu’on voit sur la fin du troisième Tome du Recueil des Lettres de Maintenon. Entraînée par des Évêques, persécuteurs de Fénelon comme du pur amour de DIEU, elle abandonna un homme qu’elle aurait dû pour ainsi dire adorer. Elle a fait du reste en ce monde de certains biens qu’elle aurait fait infiniment mieux encore si elle eut été intérieure ; et elle les eut faits sans nuire à la voie seule divine. Mais adorons les jugements de DIEU. Le monde ne peut recevoir son vrai Esprit, comment est-ce que la Cour le recevrait ?

L’Auteur d’histoire Ecclésiastique dont je relève les excès, en parlant des principaux Quiétistes, comme il les appelle, amène à la file l’excellent Mr. Malaval. Dans cet article seulement il est d’accord avec les Jésuites. Ils n’ont ni les uns ni les autres osé attaquer ses mœurs trop respectables pour qu’on l’eût osé ; mais ils s’accordent à parler de sa doctrine avec mépris. Cela est fort naturel aux uns et aux autres ; ce qu’il en dit est très conforme à ce qu’en ont dit avant lui les Journalistes de Trévoux. Ils font de grands éloges de sa vie et de ses mœurs ; mais il avait été infecté du Quiétisme, disent-ils, et il l’avait répandu dans ses livres. Ils furent condamnés à Rome et il se soumit à la condamnation. Voici la vérité sur Mr. de Malaval et ce que j’ai à en dire. Cet homme excellent, aveugle dès l’âge de neuf mois, mais merveilleusement instruit par la grâce, a fait des livres mystiques dont je ne saurais trop recommander la lecture aux âmes intérieures ; ses Cantiques et poësies surtout sont admirables ; et quoiqu’inférieurs aux saints écrits de Madame Guyon, à qui dans ce genre rien n’est comparable, je les crois supérieurs en quelque sorte même à ceux du père Surin, excellents toutefois. Ainsi on ne lira point Malaval sans fruit. Il s’est soumis, comme l’a fait Fénelon, à la condamnation de Rome ; comme lui il ne voulait pas faire un schisme. Les âmes de grâce sont trop dociles pour cela. Ils se sont soumis par la même raison qui a fait que le Pape Innocent XI a condamné Molinos ; je veux dire pour ne pas occasionner des divisions déchirantes ; j’en parlerai bientôt plus au long à l’occasion de Mr. de Fénelon.

Presque tout ce que notre Auteur Ecclésiastique dit et de la personne et des écrits de cet Archevêque, il le tire ou de Mr. Bossuet, quelles sources ! ou d’un certain Mr. Phélipeaux qui a été son agent à Rome contre Mr. de Cambray, et qui a écrit une prétendue relation du Quiétisme. Ce Phélipeaux, Docteur de Sorbonne, le plus partial des hommes et au point que les gens du monde même en sont en honte, ne cesse de parler de Mr. de Cambray comme de l’homme le plus méprisable. À l’entendre, c’était un grand parleur. Cela se peut, Monsieur Phélipeaux ; mais il parlait très bien, très utilement et beaucoup mieux que vous. À l’entendre encore, Monsieur de Fénelon avait la physionomie sinistre ; cela se peut encore, Mr. Phélipeaux ; il pouvait l’avoir sinistre pour vous, mais très heureuse pour tout le reste de l’univers, si l’on en excepte encore les Bossuet et ses adhérents. On voit par de tels traits le cas qu’on doit faire de cet homme, le pendant de Mr. de Meaux. On n’a pas besoin de le démasquer ; il s’est démasqué lui-même et c’est presque toujours le cas de la passion. Quand on veut attaquer des personnes comme le grand Fénelon, il faudrait le faire plus finement. Mais qu’attendre d’un homme qui a fait un libelle sur Madame Guyon et son ami, et qui, pour cacher tous les artifices et toutes les manœuvres de Bossuet à Rome, ne cesse de les mettre sur les partisans de Mr. de Cambray ?

Le même Phélipeaux, non content de ce libelle, avait encore composé une histoire latine de l’Église de Meaux, de laquelle Don Joussaint du Plessis, de la Congrégation de S. Maur, a cru devoir corriger les erreurs et supprimer les mensonges. C’est ce dont notre auteur Ecclésiastique se plaint. Il se plaint surtout de la manière assez vraie et assez équitable dont ce Toussaint Duplessis rapporte le fameux différent de Mrs. de Cambray et de Meaux. On voit le venin de ces Jansénistes ; il perce partout.

Je ne ferai plus que deux réflexions sur cet auteur Ecclésiastique. Il exhale sa douleur, d’après Phélipeaux, de ce que le Quiétisme n’est pas absolument éteint. Il se lamente de ce qu’on a pris soin, dit-il, de faire imprimer dans les pays étrangers tout ce que Madame Guyon a écrit. On sait d’ailleurs, ajoute-t-il, que ce parti est accrédité et qu’il a malheureusement de très puissants protecteurs. Cessez vos lamentations, je vous prie, Monsieur, vous en feriez trop de dépenses ; nous l’entendons bien que tous ces divins ouvrages se sont imprimés. Un DIEU tout bon et dont les vues ne sont pas tout-à-fait les vôtres n’a pas permis qu’il s’en perdît un cheveu. Voici encore par malheur pour vous une nouvelle édition des lettres, augmentée en surcroît de toutes celles de ce Fénelon que vous avez si indignement traité. Nous espérons bien même que DIEU nous fera la grâce de faire réimprimer tous les ouvrages de Madame Guyon, afin qu’ils se répandent dans le monde entier, et que tous ceux qui en seront jugés dignes puissent sucer sans obstacle cette divine doctrine. Hé, à quoi servirait la réforme si elle ne dégageait des entraves de la Cour de Rome ? DIEU l’a permise, cette réforme, non point afin qu’elle suive une raison que malheureusement elle ne suit que trop, mais afin que son esprit qui veut être libre, que sa grâce ne fût point géhennée et que, contrainte dans un endroit, elle pût librement suivre son cours en d’autres. Il lui faut bien des lieux de refuge ; mais, hélas, hélas, elle est presque persécutée partout.

Ma seconde réflexion, plus longue et plus importante, taillera dans le vif et démasquera bien des choses. Elle va porter sur la page 340 du Tome 13e de cette prétendue histoire Ecclésiastique. Là l’auteur ne manque point de jeter son venin sur la soumission de Mr. de Cambray, si admirée par tous les bons esprits et dans tout l’univers. Il en critique la nature et les caractères ; ceci va amener une discussion très intéressante. Il prétend donc que la soumission de Mr. de Cambray n’était qu’une soumission extérieure, une soumission de silence et de respect, et non point une soumission intérieure, par laquelle il parut que l’auteur reconnaissait avoir été dans l’erreur et s’en repentait. » Ce sont les propres termes de cet auteur, après lesquels il s’exhale en réflexions amères. D’abord ce qu’il dit dans ces paroles est très vrai. C’est bien en effet la manière dont Fénelon s’est soumis et, bien loin de le nier, c’est exactement ce que nous croyons et même dont nous sommes sûrs. La question se réduit donc à savoir et à vérifier si cette manière de soumission est bonne et de mise devant DIEU et devant les hommes ou non, si elle doit être blâmée ou approuvée, si elle est juste ou criminelle. Si elle est criminelle, nous avons tort de lui applaudir et de l’approuver. Si elle est juste, l’auteur est un calomniateur. La suite va faire voir ce qui en est.

Mais avant que de démontrer en ce point la vérité et de la tirer de la confusion et du chaos où ces gens-là la mettent malicieusement, il sera bon de faire deux ou trois remarques préliminaires. Cet homme d’abord n’est ici que l’écho de Bossuet, de l’Évêque de St. Omer et de beaucoup d’autres qui répétaient partout ces discours, et dont la passion aurait voulu pousser Mr. de Cambray jusqu’au bout. Ils avaient si bien noirci sa soumission que Madame de Maintenon, entraînée par ces clameurs et qui s’ingérait à ce sur quoi il lui aurait convenu de se taire, disait qu’elle ne croirait jamais la soumission de Mr. de Fénelon sincère, jusqu’à ce qu’elle le vit réfuter lui-même avec chaleur les maximes contenues dans son livre condamné à Rome. Qu’on prenne patience, on verra bientôt si ces gens-là avaient raison. Remarquez, je vous prie, en second lieu, quel est l’homme qui répète tous ces bruits dans son livre. Un Janséniste ! J’ai tout dit en ce mot. O tempora, o mores ! Ô inconséquence ! duplicité, pharisaïsme, poussé au-delà de tout ce qu’on pourrait imaginer. Un Janséniste critique et blâme la soumission de Mr. de Cambray ; c’est-à-dire ne la trouve pas assez forte, l’aurait voulue intérieure aussi bien qu’extérieure. Un Janséniste ! Que tout l’univers en soit juge ! Où est la pudeur ? Comment peut-on pousser l’audace à ce point ? Des Jansénistes ; eux qui, comme tout le monde sait, non seulement ne se soumettent point intérieurement, mais sont extérieurement indociles aux Décrets de la Cour de Rome ; font schisme, refusent les Bulles, en appellent perpétuellement comme d’abus, étourdissent l’univers du bruit de leurs refus, et font dans le corps de l’Église Romaine un membre monstrueux qui en prépare peut-être la ruine et risque de miner enfin sa constitution. Un Janséniste !

Remarquez en troisième lieu que j’envisage ici les choses selon la position de chacun. Un Protestant qui aurait écrit sur le pur amour et à qui Rome aurait fait l’honneur de le condamner ne s’embarrasserait guère de la condamnation et n’aurait pas à s’en mettre en peine. Il irait toujours son chemin, parce que l’idée de la réforme va à n’être soumise ni à infaillibilité ni aux Jugements de l’Église Catholique. Le principe de la réformation l’en dégage. Non point que ce principe doive dégénérer en licence et en liberté effrénée ; mais nous croyons qu’on y doit avoir une sainte liberté, que la grâce n’y doit point être gênée, puisque même aujourd’hui les hérésies osent y arborer l’étendard et se montrer partout. Nous croyons que cette grâce pure qui fait seule l’homme vraiment spirituel ne doit nulle part être contrainte. Nous croyons que les Princes même et les ordres Ecclésiastiques n’en ont aucun droit, parce que nous ne dérogeons à aucun ordre et que nous sommes les meilleurs citoyens et les meilleurs sujets. Pleins de respect pour les Princes et de soumission à tous leurs ordres civils et raisonnables. Soumis pour DIEU dont ils sont les Lieutenants et pour la conscience, comme l’a dit St. Paul ; nous ne croyons pas qu’on puisse nous en demander davantage, et que ni Prince ni Clergé ait droit sur ce qui peut se passer au dedans entre un DIEU dont l’œuvre est inconnue et une âme qu’il daigne favoriser de ses dons et de son secret.

Mais comme il peut arriver que par équivoque on nous confonde, ainsi que cela ne s’est vu que trop souvent, avec des fanatiques qui se soustraient aux Souverains, lorsque pêle et mêle on enferme sous le nom général de Piétiste toutes sortes de sectes, et qu’on fait à notre égard la même équivoque, nous devons doucement, chrétiennement nous justifier et faire surnager la vérité, et du reste, quant à l’extérieur et au Civil, être très soumis. Les premiers Chrétiens se soumettaient aux tyrans même les plus acharnés, en tout ce qui n’était pas leur conscience. Les Princes ont le droit non sur les consciences, mais de maintenir l’ordre. C’est à eux à en répondre à DIEU s’ils en abusent. Il se pourrait trouver des fanatiques qui mettraient tout en combustion si les Souverains n’étaient pas respectés ; se révolter même pour la vérité, ce serait se sortir de cette même vérité, qui veut qu’on rende à César ce qui est à César, et à DIEU ce qui est à DIEU ; ce serait faire un infiniment plus grand mal que de se soumettre.

Mais après ces bornes posées, j’ajoute que, dans tous les pays Protestants quelconques, je n’en excepte aucun où on persécuterait des personnes soumises à leur Prince, où on persécuterait des personnes qui ne respirent que l’amour de DIEU, le zèle pour la Religion, qui parlent ou écrivent non en révoltés, mais selon que la grâce qu’ils ont reçue leur donne de parler ou d’écrire ; des personnes dont la conduite est d’ailleurs solide et édifiante, dont la conversation respire la charité et la douceur. Je dis qu’en tout pays Protestant où on persécuterait ou bien seulement où on gênerait de telles personnes, on aurait un très grand tort, et ceux qui le feraient auraient à en répondre devant DIEU.

À la vérité ce n’est guère et presque jamais, ce ne pourrait être que le Clergé et l’ordre Ecclésiastique qui s’élèverait contre de telles personnes. Et par quelle raison s’élèverait-il contre elles ? Je mets à part des passions dont je veux ne pas croire capable un ordre d’Ecclésiastiques. Que serait-ce donc ? Ce serait, sans contestation, parce que quelques idées, sentiments, ou opinions de ces personnes ne seraient pas exactement conformes avec les idées, opinions et sentiments établis comme règle parmi ces Ecclésiastiques. Mais je voudrais bien leur demander : 1°. S’ils en ont eux-mêmes une qui soit fixe et invariable, et si l’idée même de la réforme ne va pas à une liberté qui n’est que trop dégénérée ensuite en un effroyable chaos d’opinions et en un libertinage d’esprit et de raison où chacun a sa Religion à sa mode. Je voudrais bien leur demander si dans le corps entier des Ecclésiastiques Reformés il n’y a pas des supralapsaires, des infralapsaires, des Ariens, des Arminiens, des Sociniens, et s’ils pensent tous, et remarquez bien, s’ils disent tous de la même façon ; je dis même dans le même pays ? Voilà la question que je ferais à leur conscience.

Je voudrais leur demander en second lieu si on peut, si on veut et si on doit avoir des Papes dans la Réforme ; et si après avoir quitté celui de Rome, il faut s’en donner un grand nombre, qui souvent n’entendent rien aux choses, équivoquent perpétuellement et ne comprennent pas quelquefois les premières notions du vrai Christianisme. Je le dis avec douleur et l’amertume dans l’âme.

Je voudrais leur demander en troisième lieu si, supposé qu’en mépris et en inconséquence de l’idée de la Réforme il y faille des Papes, ces Papes doivent tolérer tous les abus horribles de la raison qui a enfanté toutes les hérésies et toutes les différentes manières de penser qu’ils ont entre eux, et ne se servir d’autorité réprimante que contre ceux que la grâce préserve de toutes ces hérésies, que contre des personnes bienfaisantes dans la société, que contre des personnes qui écrivent ou parlent d’une manière utile, Chrétienne, édifiante, et qui enfin ne respirent que d’amour de DIEU qu’ils voudraient inculquer aux autres. Voilà ce que je voudrais leur demander et sur quoi je les sommerais de répondre devant DIEU. Je les sommerais de dire s’ils croient que la Réforme n’est faite que pour donner un libre cours à tous les égarements de la raison qui se perd en systèmes, et non point pour donner un libre cours à la grâce du pur amour de DIEU qui, persécuté, maintenant dans l’Église de Rome, voudrait trouver un refuge libre chez les Protestants. Je les somme de dire s’il n’y aura d’exception dans la liberté de la Réforme que ·par rapport aux objets les plus purs et les plus saints, et si tandis que la licence des opinions y est soufferte, la grâce de DIEU, le don de DIEU, le Saint Esprit et son œuvre dans les cœurs y doivent être contraints et tyrannisés.

Voilà les questions que je prends la liberté de leur faire, non par haine, non par aigreur, mais à cause de la vérité et en charité, les conjurant d’y penser aussi sérieusement qu’ils auront à en répondre. Je pourrais faire bien d’autres questions tout aussi tranchantes, mais il ne faut pas allonger. Le Seigneur sait que tout en disant ces choses, je me sens un grand amour pour eux et que je donnerais volontiers ma vie pour qu’il y eût entre nous une parfaite unité d’esprit et un même sentiment que celui qui a été en Jésus-Christ.

Telle est donc la position de ceux d’entre les Protestants que la grâce appelle aux voies intérieures ; cette grâce libre et gratuite dans ses dons et qui ne s’embarrasse guère des systèmes, des opinions des hommes et des règles qu’ils se font. Ces personnes doivent jouir d’une douce et sainte liberté, d’une liberté pleine et entière, qui n’est point turbulente, inquiète, qui respecte les Gouvernements, qui ne va point à empêcher les Cultes extérieurs, qui enfin ne dérange rien, ni dans, la société ni dans l’ordre établi. Et nous croyons que ceux qui empêchent une telle liberté en recevront leur punition.

Mais cette position des Protestants n’est pas la même pour un Catholique Romain. Ici il faut raisonner selon la foi de chacun et, selon les vérités de circonstance, se mettre exactement dans la diversité des situations. L’idée primitive du Papisme, c’est la soumission à l’autorité de l’Église qui s’explique ou par le Pape, ou par les Conciles, etc., etc. Or supposez maintenant dans le Papisme un homme appelé par la grâce aux voies intérieures. (Car cette grâce toujours supérieure à tout et qui ne peut être contrainte ni par les hommes ni par des positions peut se donner dans quelque communion qu’on soit extérieurement. Elle se donnerait même à un Païen s’il était vraiment disposé à la recevoir. On en a des exemples frappants à la côte de Malabar et en bien d’autres lieux.) Supposé, dis-je, le cas de Mr. de Fénelon qui a amené cette discussion. Voilà Mr. de Cambray Catholique ; il est plus, il est Ecclésiastique dans cette Communion ; il a écrit sur le pur amour et sur les voies mystiques ; et Rome a condamné son livre. Que doit-il faire ? Il doit se soumettre. Les vrais intérieurs ne font point schisme dans l’Église, et le Catholique le devrait encore moins que le Protestant. Les divisions mettent tout en conflit et donnent lieu à l’ennemi par l’orgueil et les passions. Les sectes sont mises par l’Apôtre au rang des œuvres de la chair. Mr. de Fénelon pouvait et devait condamner son livre pour ne pas faire une émeute scandaleuse ; il le devait par douceur, par démission, par simplicité, par esprit d’enfance ; il pouvait se dire à lui-même que son livre avait des mots équivoques qu’on pouvait détourner à un faux sens et tirer le poison de ce qu’il y a de plus exquis. Il savait que le pur amour n’était pas dépendant de son livre et qu’un DIEU indépendant des moyens, infini en moyens, magnifique en moyens et puissant en force (Ésaïe), pouvait s’en passer ; il pouvait même raisonner plus loin et se dire à lui-même que ce qui est la vérité de DIEU même peut, pour un temps, n’être pas une vérité universelle, peut n’être pas de circonstance pour tous les hommes sans exception, pour tant d’hommes charnels et grossiers qui, n’entendant rien aux choses en même temps qu’ils sont corrompus, pouvaient tourner à un faux Quiétisme l’éternelle vérité du pur amour, et abuser de certains termes pour donner dans une licence fort éloignée de l’intention de tout cœur en qui cet amour a posé son siège. Il pouvait se dire mille choses, mais sans raisonner. En un mot, il est Catholique, il se soumet. Sa soumission à l’extérieur a été simple, ingénue, sans bornes. Il adhère au bref du Pape ; il fait un mandement de soumission, lui-même il le publie. Il n’écrit plus pour soutenir son livre ; il défend qu’on le lise, il refuse de concourir et de colluder avec ceux qui voudraient désormais en prendre la défense, et regarde même les offres qu’on lui en fait comme un piège tendu à sa droiture. Voilà ce qu’il a fait ; ainsi à l’extérieur sa soumission a été entière.

Voici maintenant la vraie question, entre l’auteur Janséniste et tous les ennemis de Mr. de Cambray d’une part, et nous d’autre part. L’Archevêque devait-il davantage, devait-il une soumission intérieure, devait-il foudroyer par écrit la doctrine du pur amour et des voies internes qu’il avait soutenues ?

Je vais là-dessus établir et démontrer deux choses. La première, qu’il n’est ni Communion Chrétienne, ni Pape, ni Potentat qui eût aucun droit de l’exiger, et qu’aucune autorité quelconque ne va jusques là. La seconde, c’est que si Mr. de Cambray l’eût fait comme ses acérés ennemis l’auraient voulu, Mr. de Cambray fût devenu un homme sacrilège, blasphémateur de l’œuvre interne de DIEU sur les cœurs, et n’eut rien moins que péché contre le St. Esprit. Déduisons d’abord la première. Je dis donc : 1°. qu’il n’est aucune autorité sur la terre qui ait droit sur les actes internes. On sait que les lois humaines n’y ont aucune prise. Tout ce qui se passe uniquement au dedans échappe à leur but, à leur fin, à leur esprit, à leur capacité. Toute leur sanction ne s’étend qu’à ce qui se montre au dehors. Tous les Canons, toutes les Règles, tous les Conciles, tout ce qui se prononce ex Cathedra, peut bien gêner et contraindre l’extérieur d’un Catholique Romain, mais ne peut pas gêner l’œuvre de DIEU et du Saint Esprit, son œuvre particulière dans chacun. Tout cela ne peut pas forcer la vraie foi, don d’en haut qui donne le Caillou blanc (Apoc.) et ce secret interne que personne ne connaît que celui qui le reçoit. Toute règle qui va plutôt à gêner l’œuvre vraie et effective de la grâce, quelle qu’elle soit en chacun, est une règle tyrannique et qui sera désavouée au Tribunal de DIEU. La vraie règle devrait être d’aider en chacun l’œuvre de cette grâce interne qui seule est le tout. Voilà l’unique but de toute solide Religion et de toute règle divine. Mais afin de rendre la chose plus claire et plus palpable que le jour et qu’on comprenne bien ma pensée et la preuve de tout ce que j’avance, je prendrai ici un exemple très instructif dans ce qui s’est passé à Rome à l’égard de Molinos. On y verra la vraie et secrète cause de sa condamnation dans certaines propositions relatives à notre sujet et non point dans ce que ses injustes ennemis lui ont attribué. Je rapporterai ici quatre propositions de Molinos condamnées qui sont parfaitement au sujet ; je les traduirai très exactement du latin, après quoi nous ferons nos réflexions. Ces propositions sont les 65-68.

Proposition 65e. « On doit obéir aux Préposés dans l’extérieur, mais l’étendue du vœu d’obéissance dans les Religieux ne peut jamais embrasser que l’extérieur. Par rapport à l’intérieur, la chose va tout autrement ; il n’y a que DIEU seul et le Directeur qui puissent et doivent y entrer. »

Proposition 66e. « C’est une doctrine nouvelle dans l’Église de DIEU et souverainement ridicule que de soutenir qu’une âme par rapport à son intérieur doive être gouvernée par son Évêque. Tellement qu’elle doive aller à lui avec son Directeur et le consulter s’il n’a pas la capacité requise ; cette doctrine, je l’appelle nouvelle, parce qu’elle n’est contenue ni dans la Sainte Écriture ni admise par les Conciles, par les Canons, ni par les bulles, ni par les Saints, ni par aucun auteur approuvé, et même n’a pu être ni donnée ni admise, car l’Église ne juge ni ne doit juger des choses cachées et chacun a le droit de se choisir son Directeur. »

Proposition 67e. « Avancer que l’intérieur et ce qui se passe au-dedans doit être manifesté au Tribunal extérieur des Préposés, et que ce soit pécher que de ne pas le faire, c’est une erreur manifeste et une fourberie, parce que l’Église ne juge point des choses cachées. Et ainsi de telles inventions et tromperies apportent aux âmes les plus grands préjudices. »

Proposition 68e. « Il n’est sur la terre aucune Puissance ni aucune Juridiction qui ait le droit de commander que l’on découvre les lettres d’un Directeur à l’égard de l’intérieur de l’âme. Il est donc très nécessaire d’avertir que cela est un piège et une séduction de Satan. »

Telles sont les quatre propositions condamnées dans Molinos que je voulais citer et qui, dévoilant ce mystère, sont parfaitement relatives à ce que j’établis ici. Qu’il n’est aucune Puissance sur la terre qui ait droit sur l’intérieur ni d’ouvrir et de pénétrer dans le sanctuaire de l’esprit et d’un cœur qui est à DIEU, et où il peut faire tout ce qu’il lui plaît. Comme je traiterai ailleurs plus au long de Molinos, je ne m’y étendrai pas ici et je ne ferai qu’ajouter sur son sujet que c’est très mal à propos qu’il est blâmé parmi les Protestants, comme on le disait il y a longtemps dans les Actes de Leipzig, où on avertissait les Théologiens Protestants qu’ils feraient sagement de réprimer leurs Jugements précipités contre Molinos, de peur qu’en le condamnant ils ne condamnassent aussi leur propre cause. Mais qui est-ce qui veut écouter ? On crie à l’aveugle et sans savoir ni comment ni pourquoi.

Il faut faire une distinction tout à la fois lumineuse et utile dans une question qu’on a tant embrouillée. Il faut distinguer ici la foi symbolique de l’œuvre interne et des opérations cachées de l’Esprit de DIEU dans les âmes. Cette foi symbolique se rapporte aux articles du Credo. C’est la croyance sûre, vague, générale et universelle des articles qui y sont contenus. Et je crois que l’Église de DIEU, quelle qu’elle soit et où qu’elle soit, a droit d’en juger, d’en décider et de la maintenir. Mais ce n’est ni ce contre quoi Molinos réclamait, ni ce n’était le cas de Mr. de Fénelon, ni encore ce ne doit être l’assertion ni la prétention d’aucun Protestant. Le symbole qui caractérise le Chrétien et qui en est la marque doit reposer partout sur une base immuable. C’est la foi Théologale, distinguée et non contradictoire à cette foi particulière, dont parle le Prophète Habacuc lorsqu’il dit : Le Juste vivra de sa foi. Remarquez bien, il ne dit pas seulement de la foi, mais de sa foi, de cette foi qui lui est particulière et qui ne contredit point la foi générale, qui, servant de fondement à tout en même temps, ne déroge en rien à l’œuvre interne que l’Esprit de DIEU peut opérer. Cette œuvre interne ajoute à la foi Théologale et ne la détruit point ; elle ne fait que l’étendre, bâtir dessus, l’expliquer, la développer à l’âme comme il plaît à la grâce, et lui en montrer les insondables merveilles, inaccessibles à ceux qui n’ont pas reçu cette onction du Saint, dont parle l’Apôtre, et qui par elle connaissent toutes choses. Et voilà pourquoi et d’où est venue cette maxime si équitable du Droit Canonique : L’Église ne juge pas des choses qui sont cachées. Cette maxime qui doit constamment faire règle n’est-elle pas fondée sur la parole de St. Paul même ? Que l’homme spirituel juge de tout et n’est jugé de personne. Se peut-il rien de plus fort ? Qu’on lise avec attention I. Corinth. II, depuis le verset dixième jusqu’à la fin, où sont contenues ces paroles ; que sont la plupart de ceux qui s’ingèrent d’en juger sinon en effet des hommes animaux, comme les appelle St. Paul, et qui, au lieu d’aider et de soutenir la vérité divine qu’ils seraient appelés à soutenir par état, ne font que de l’opprimer et d’en persécuter les témoins ; gens à qui on pourrait appliquer les graves et formidables paroles de St. Étienne (Actes 7) : Hommes incirconcis de cœur et d’oreilles, vous résistez toujours au St. Esprit, et vous êtes tels qu’ont été vos pères. Quel est le Prophète que vos pères n’ont point persécuté, etc. ? C’est ainsi que ces hommes persécuteurs commettent le péché contre le Saint Esprit, qui n’a jamais été plus généralement commis qu’il l’est de nos jours.

Qui est comme DIEU entre les forts ? Qui est DIEU, qui est Jésus-Christ, qui est le Saint Esprit ? Est-ce le vrai DIEU ou des hommes que David ne craint point d’appeler menteurs ? Où est le Sage, où est le Scribe, où est le Docteur profond de ce siècle ? Le Seigneur Jésus ne les a-t-il pas tous accusés, convaincus d’aveuglement et de folie ? Ne va-t-il pas, en punition de leur orgueil, jusqu’à remercier son Père de leur cacher les objets ineffables qu’il ne révèle qu’aux âmes humbles et enfantines ? DIEU n’est-il pas admirable en ses Saints ? Que s’il y est admirable, ne doit-il pas faire en eux une œuvre extraordinaire, inaccessible aux pensées de la raison et à tous les systèmes ? Ses voies sont-elles les nôtres ? Ne dit-il pas lui-même qu’elles en sont aussi éloignées que les Cieux le sont de la terre ? Son bras serait-il raccourci pour ne pouvoir opérer des merveilles ? Et les plus grandes merveilles qu’il fait ici-bas, n’est-ce pas l’œuvre interne de sa grâce ? Qui est-ce qui lui liera les mains ? Le fond de la vie spirituelle et intérieure n’est-il pas ineffable, par cela même qu’il est une vie cachée en DIEU. Remarquez bien : cachée en DIEU. Où est donc le Tribunal ici-bas, où est la dignité, où est la puissance, où est la juridiction, où est l’autorité à laquelle cette vie intérieure puisse et doive être soumise ? Un DIEU grand a-t-il donc donné aux hommes son pouvoir caché ? Leur a-t-il donné parole de s’asservir en son œuvre à leurs règles, à leurs systèmes et à leurs méthodes ? Ne peut-il pas faire pour les uns ce qu’il ne fait pas pour le général ? Et les règles faites pour le plus grand nombre, si elles ne font pas cette exception, si elles sont exclusives de toute exception, si on les veut faire universelles, ne sont rien moins dès ce moment, en cette quantité et à cet égard, que des règles sacrilèges. Et les hommes qui osent les établir universelles, des hommes qui par là font la guerre à DIEU, veulent forcer son opération, la tailler, la polir, la ciseler à leur façon, maîtriser le Saint Esprit, et être pour ainsi dire les dieux de DIEU même. Prenez garde, ô hommes ! que vous ne soyez un jour trouvés faisant la guerre à un DIEU qui nous trouvera tous.

Mais, dira-t-on, le fanatique, l’enthousiaste, l’homme jouet de l’illusion, des cerveaux allumés, des imaginations ardentes, sous prétexte de la grâce, abuseront de ce principe, se croiront tout permis, et pousseront souvent au dehors un jet monstrueux. Tout mon discours est allé à la réfutation de cette objection et a posé toutes les bornes. Les règles sont faites pour l’extérieur de telles gens ; s’il est déréglé, elles sont faites pour corriger ou punir les éruptions extérieures ; mais on n’a d’autre droit sur l’intérieur qu’un droit de douceur, d’avertissement et d’instruction.

Revenons à Mr. de Cambray. Catholique, il devait être soumis au dehors. On condamne son livre, et il le condamne lui-même. Un décret de Rome proscrit ce livre, et il accepte le décret et le proscrit lui-même. Tout cela est extérieur, il a pu s’expliquer confusément en écrivant. D’ailleurs sa position le soumet à Rome, et il exécute ses ordres. Voilà jusques où va la juridiction de Rome sur lui. Et voilà jusqu’où doit et peut aller sa soumission ; en voilà le point précis, l’extérieur. Si ces maximes étaient suivies partout, dans toutes les sociétés, et si ces bornes étaient bien et précisément posées, sans qu’on les outrepassât jamais nulle part, alors sans doute tout serait dans l’ordre où tout doit être. Il n’y aurait ni confusion, ni chaos, ni heurts, ni conflits de juridictions, ni anticipation sur les droits respectifs. Un DIEU tout grand serait libre dans ses dons et dans son œuvre interne. Les vrais Chrétiens, les témoins de la vérité divine, seraient aidés, soutenus, protégés et non pas calomniés, moqués, opprimés, méprisés, et persécutés. L’hommage, le tribut de respect et de soumission si bien dus aux Souverains de la terre serait exactement rendu. Il y aurait toujours le flux et reflux le plus heureux de protection à la part des Souverains sur le Chrétien, et de soumission et d’amour en celui-ci à l’égard de son Prince, sans que la puissance des hommes, toujours respectée comme elle doit l’être, envahît jamais sur la puissance de DIEU. Enfin on verrait les règles Ecclésiastiques par tout pays rouler sans contrainte sur leur pivot et sur leur base, si elles protégeaient toujours l’œuvre de la grâce sans la maîtriser et sans l’asservir. Si enfin, au lieu de s’en tenir à leur lettre, on savait en saisir l’esprit qui va non à opprimer les consciences, mais à les aider et à dilater les cœurs pour l’amour d’un DIEU qu’on doit aimer sans bornes. Mais, hélas, ce temps heureux n’aura lieu que lorsqu’il n’y aura qu’un seul Troupeau et un seul Berger ; il n’aura lieu que lorsque le Règne intérieur de Jésus-Christ devra s’élever sur les ruines de l’orgueil, de l’incrédulité et des systèmes. Alors les Princes eux-mêmes protégeront les fidèles plus ou moins sous l’oppression jusqu’alors, et DIEU se formera des Pasteurs selon son cœur.

Par tout ce que j’ai dit jusqu’ici, on voit que j’ai traité, démontré d’avance ce qu’il faut penser sur la 2e question, agitée à l’occasion du cas de Mr. de Cambray ; et je n’ai pas besoin de m’étendre beaucoup. Un DIEU qui sait se faire entendre, goûter au dedans, et qui montre à l’homme en secret tout ce qu’il veut, avait montré à Fénelon ce qu’il avait déjà montré à Salomon avant lui. Il lui avait montré qu’il est seul la dernière fin de l’homme, comme il en est le principe. DIEU a tout fait pour lui-même (Proverbes). Il avait montré à Fénelon que tout motif d’aimer DIEU autre que DIEU même pouvait bien être un motif à temps, un motif inférieur, un bâton pour aider à marcher quiconque ne peut pas s’élever à DIEU purement et à qui il faut encore la perspective, ou des punitions ou des récompenses. Il lui avait montré que qui ne craint pas DIEU pour lui seul mais à cause de la punition n’était encore que l’esclave qui craint non son Maître, mais les coups. Il lui avait montré que qui n’aime DIEU que pour le ciel et la béatitude s’aime bien mieux encore lui-même que DIEU, est bien plus à lui-même sa dernière fin que DIEU n’est sa dernière fin. Il lui avait rendu infiniment palpable cette vérité si ridicule aux yeux des Docteurs, et tant contredite par tous les hommes intéressés et qui, se recourbant éternellement sur eux-mêmes, ne font jamais divorce avec l’amour-propre. Il lui avait montré l’impureté de cet amour qui croit aimer DIEU et qui dans le fond n’aime que le bienfait et lui-même. Il lui avait montré que sa divine Écriture, qui comme la manne a tous les goûts tout en présentant la récompense pour hameçon à l’indocile grossièreté du genre humain, afin du moins de gagner sur lui quelque chose, savait en même temps élever l’âme qui veut se donner sans réserve, jusqu’au regard indéclinable de son DIEU et à un amour libre, dégagé, indépendant de tout ce qui n’est pas DIEU même. Il lui avait montré le divin sens de la mystérieuse Échelle de Jacob, où se trouvent tous les échelons et tous les degrés, jusqu’à ce que l’âme fidèle, arrivée au-dessus, ne voie, n’envisage, ne goûte, ne sente, ne veuille plus rien que DIEU même. Il lui avait montré que, comme la foi est le moyen d’arriver à la charité pure et la manuduction à cette divine charité, lorsque l’âme y est arrivée comme à son terme, elle n’a plus besoin de foi pour l’y conduire ; et la foi et l’espérance qui l’ont aidée sans être détruites sont englouties par la charité qui les contient suréminemment, comme sont perdus et noyés les moyens dans la fin lorsqu’on y est arrivé. Ils y sont contenus, dis-je, non plus comme moyens, mais comme rentrés dans leur fin bienheureuse. DIEU est charité, dit l’Apôtre : Quiconque est dans la charité demeure en DIEU ; il y demeure, remarquez bien ; il y est donc par état permanent. Et ailleurs le Seigneur lui-même dit : Moi et mon Père, nous ferons notre demeure en lui. Par conséquent, l’âme arrivée à la charité pure est en DIEU même. Elle est donc dans sa fin, et par conséquent encore la foi et l’espérance ne lui servent plus de moyen, mais quant à leur office, elles sont absorbées par cette fin. De même le ciel et la béatitude sont bien contenus en DIEU. Il ne faut pas croire que celui qui est en DIEU les perde, il ne les eût au contraire jamais plus assurées ; mais ils ne sont plus son motif, mais il ne les envisage plus. Tout est suréminemment englouti par la charité. Alors s’accomplit la loi d’amour, la seule qui rende à DIEU la gloire qui lui est due, et la seule qui fasse le vrai hommage à sa supériorité infinie.

Mais à quoi sert de s’étendre ? Quand j’expliquerais sans fin cette divine vérité, qui est-ce qui la croirait ? Elle ne se sent que par le cœur et n’est accessible qu’à l’expérience. La raison qui brouille tout a des milliers de canons dressés contre elle. Les cœurs resserrés, les entrailles rétrécies des hommes superbes et aveugles ne peuvent ni la saisir ni la comprendre ; elle leur est même scandale, et les plus modérés d’entre eux croient faire beaucoup lorsqu’ils ne la persécutent pas. Il faut attendre en patience que DIEU se lève et avec lui la lumière victorieuse, et que ses ennemis soient dissipés. Un jour il faudra la voir, cette vérité si contredite aujourd’hui, et en sentir le poids accablant et terrible. Mais il faut revenir à Mr. de Fénelon. Voilà ce qui lui avait été montré au dedans ; voilà ce qui avait été imprimé dans son esprit et gravé sur son cœur par une touche sûre et immortelle. Et de quel doigt, mon DIEU ! et de quelle main ? Vous le savez, Seigneur, à qui je ne crains point d’en appeler ici ; du doigt de votre Saint Esprit même. Si donc Fénelon eût rétracté non seulement son livre, mais ces vérités, mais la vérité du pur amour, mais la vérité, mais la certitude de la route qui y conduit, Fénelon aurait été un homme sacrilège ; il eut vendu et trahi la vérité connue dont en ce siècle aveugle et malheureux il avait été appelé à être témoin et héraut. Il aurait blasphémé l’œuvre de DIEU et de son Esprit ; il aurait dénaturé la sûre lumière que la grâce avait mise en lui, pour l’envelopper, par complaisance pour des hommes menteurs, dans les plus infernales ombres. Il aurait menti au dépôt sacré qui lui était confié, et à la sacrée tradition de tant de Saints et de Pères du désert. Il aurait menti à DIEU, à l’univers et à lui-même. Voilà seulement ce que ses ennemis voulaient de lui.

Il est temps de finir ce long discours que je terminerai par une réflexion singulière ; elle portera sur ces paroles remarquables que Jésus-Christ disait à ses Disciples en leur annonçant les maux qui allaient fondre sur eux : Vous serez haïs de tous à cause de mon nom. C’est-à-dire donc que les amis véritables de Jésus-Christ sont haïs de tous ; c’est à quoi on peut les connaître ; et c’est exactement le cas du mysticisme, de la voie interne et du pur amour. Depuis les plus acharnés incrédules jusqu’aux plus pieux dans l’Église extérieure, tout est contre eux, l’irréligion, la raison, une foi inférieure, tout s’accorde à proscrire à qui mieux. Toutes les Communions, tous les partis, toutes les sectes si divisées entre elles semblent s’être donné le mot. Le Papisme, le Luthéranisme, le Calvinisme, les gens du monde, les Chrétiens prétendus, les savants, les sages, les Docteurs, les Jansénistes, les Molinistes, Quakers, trembleurs, Mennonites, inspirés, illuminés, Anabaptistes, Piétistes, Moraves, Méthodistes, etc. Tous les hommes qui sont encore dans leur raison ou dans une grâce naissante mais arrêtée et circuitant dans le moi, tous, dis-je, ou le persécutent ou ne l’approuvent pas. Qu’y a-t-il à opposer à toutes ces contradictions ? La résignation, la patience. Être pleins de respect pour les Souverains en tout ce qui est de leur district ; et du reste se laisser mépriser, persécuter même s’il le faut, sans jamais rougir du nom de Jésus-Christ.

 

 

Jean-Philippe DUTOIT-MAMBRINI, Anecdotes et réflexions

sur la correspondance entre Madame Guyon et Fénelon,

dans Lettres chrétiennes et spirituelles sur divers sujets

qui regardent la vie intérieure ou l’esprit du vrai christianisme,

nouvelle édition, enrichie de la correspondance secrète

 de Mr. de FÉNELON avec l’Auteur (Madame GUYON),

tome premier, Londres, 1767.

 

 



1 On voit assez ce qu’il faut penser d’une telle prudence çà et là, au 4e Tome des Lettres de Mme Guyon, et surtout aux Lettres 149, § 3, et à la 148 § 1.

 

 

 

 

 

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