Révolte et soumission

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Laurent de FAJET

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ah ! pauvre cœur meurtri, brisé, agonisant peut-être, tu te demandes quel Dieu t’a infligé ton martyre, et tu ne peux croire qu’une souveraine Bonté préside aux destins du monde.

Tes rêves, tes beaux rêves d’or, nés dans ton enfance ingénue et que la réalité a successivement détruits, sont retombés flétris sur tes illusions mortes... comme ces rameaux d’abord si verts qui, frappés par la foudre, jonchent le solde leurs feuillages décolorés.

Tes joies familiales, si douces et si pures, sur lesquelles tu croyais pouvoir compter pour faire revivre ton cœur en ranimant ton courage abattu, les joies de ton foyer se sont ternies à leur tour sous des angoisses et des douleurs qui ont ajouté leur pesant fardeau au poids déjà si lourd de toutes tes autres souffrances.

Et tu pleures sur ta destinée incompréhensible et fatale, sur ta destinée qui t’apparaît absurde autant que cruelle. Tu te dis qu’un implacable despote dirige les évènements et punit les hommes honnêtes de leur loyauté, de leur désintéressement, de leur vertu ; tu te dis que le démon aux traits hideux, inventé par les Églises affolées, pourrait bien avoir quelque vraisemblance puisqu’il trouve son Sosie en un Dieu qui lui ressemble trait pour trait, vice pour vice, cruauté pour cruauté.

Et tu n’inclines pas ton front devant cette divinité redoutable et insaisissable qui, du haut d’un Olympe invisible, sème sur nous les épreuves et les désastres ; tu t’indignes contre cet organisateur de tragiques spectacles, qui tient dans ses mains les fils ensanglantés où pendent quelques instants, avant de mourir, les pauvres, les tristes marionnettes humaines.

Rien ne te paraît marqué au coin de la justice et de l’amour, dans ce monde où les haines s’enchevêtrent et se maudissent, où mille embûches sont tendues sous nos pas, où on ne se délivre d’une peine secrète et profonde que pour être asservi par une peine plus profonde encore, où on n’évite un malheur que pour tomber dans un supplice.

D’ailleurs, est-ce que les conditions matérielles de notre existence, sur ce globe infortuné où nous passons comme des ombres errantes et douloureuses, ne sont pas en rapport avec les peines morales dont nous avons presque continuellement à souffrir ? Est-ce que les saisons sont clémentes ? N’avons-nous pas à lutter contre les intempéries ? Les accidents, les maladies, le chômage, ne viennent-ils pas frapper, et accabler parfois, le malheureux prolétaire qui ne peut vivre et donner la subsistance aux siens que par le travail de ses bras ?...

Et vous parlez de justice immanente ? Et vous voulez établir que tout est bien dans les lois universelles ?

Non : pas plus dans le ciel que sur la terre, pas plus dans la loi des mondes que dans le destin des hommes ne réside cette harmonie que vous dites parfaite, cette justice que vous proclamez infaillible, cette bonté que vous appelez infinie.

Partout des cataclysmes désolent l’humanité ; partout la souffrance s’assied au foyer des familles, arrache le cœur des mères à qui la mort enlève des enfants adorés ; partout des vicissitudes angoissantes, des chagrins inguérissables torturent, anémient, usent, anéantissent peu à peu l’existence humaine.

Si Dieu existait, il faudrait donc le maudire !...

 

 

Eh bien ! non, pauvre cœur endolori, pauvre âme enlisée dans le chagrin, ton cri de souffrance n’est pas juste, ton imprécation contre Dieu n’est pas fondée.

Je reconnais que ton malheur est grand, que ta peine est vraiment cruelle ; mais ne sens-tu pas, n’entends-tu pas les Esprits de l’espace chanter autour de toi l’hosannah de la délivrance prochaine ? Ce Dieu que tu es près de maudire, ou auquel tu ne voudrais plus croire, te bénit, lui, dans ta douleur qu’il va atténuer et faire peu à peu disparaître.

Tu ne souffres pas plus que les autres hommes : mais ton cœur, sensible à l’excès, s’exalte dans ses souffrances et les décuple ainsi. Calme-toi, et tu jugeras mieux. Sois moins faible. Acquiers cette énergie de la volonté qui commande en quelque sorte aux évènements au lieu de leur obéir. Et tu sentiras vite qu’il faut savoir souffrir pour savoir se vaincre et progresser ; qu’il faut savoir progresser pour être jugé digne de s’élever à un plan supérieur d’existence. Cette élévation n’est offerte par Dieu qu’aux âmes qui ont souffert sans se plaindre, aux âmes qui, au lieu de gémir, ont su mettre tout en œuvre pour alléger leur fardeau, améliorer leur sort et celui des êtres chers dont elles ont la garde.

Oh ! tes souffrances s’évanouiront, elles s’achèvent déjà. Dieu étant bien la justice suprême, dont il ne faut jamais douter, tes épreuves auront duré juste le temps nécessaire à l’expérimentation de toi-même, que tu avais plus particulièrement à faire en ces jours d’expiation méritée. Relève-toi et bénis le frein de la douleur, qui t’a rendu plus prudent et plus sage. Prie et remercie Dieu qui t’assure le repos dans la vie future et qui déjà, dans celle-ci, va semer des fleurs nouvelles sur les ruines de tes espérances perdues ; Dieu qui, dans ton ciel devenu tout à coup si sombre, fera de nouveau briller les étoiles de la foi, de l’amour et de l’espérance lorsque, ayant enfin dompté ta fougue désolée, vaincu ta colère et ta douleur, tu seras digne de le comprendre et de t’élever à Lui par la Sagesse.

 

 

Laurent de FAJET.

 

Paru initialement dans le Progrès Spirite et repris

dans La Vie mystérieuse en octobre 1910.

 

 

 

 

 

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