Les savants et le relativisme scientifique

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

André GEORGE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Une critique assez confuse, superficielle, plus agressive qu’informée s’est attaquée parfois, et récemment encore, au XIXe siècle scientifique. Le réquisitoire a porté sur « la Science », sans distinguer trop entre les savants et les philosophes ou même sans aller au-delà de l’idée que les littérateurs se font communément des uns et des autres. Le chef d’accusation c’est que « la Science », au XIXe siècle et durant encore la période « d’avant-guerre », a constamment outrepassé ses limites, promis plus qu’elle n’a tenu et, pour tout dire, démesurément exagéré son rôle et sa valeur. Nous allons rapidement esquisser ici les grandes lignes d’une réponse qui rentre parfaitement dans cette série d’études, car c’est précisément à dater des années 1890 et suivantes, que les hommes de science nous ont offert, en France singulièrement, une œuvre critique admirable. Et telle est la caractéristique de la période qui nous occupe.

 

 

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Il importe, à l’abord, de nettement indiquer qu’une certaine foi dans la grandeur et les destinées de la science est le fait de tous les savants véritables, en quelque époque qu’ils vivent. Si c’est ce que l’on veut attaquer, il n’y a plus qu’à rayer de l’histoire des idées les noms et les œuvres de tous les génies scientifiques. Dans son Prodromus de 1596, Képler dit de l’astronomie qu’elle « donne à l’homme la joie la plus pure et le rend presque semblable à Dieu, puisqu’il sait comprendre la pensée divine ». Descartes nous laisse, lui, l’impression d’une étrange présomption, lorsqu’en ses Principes, il nous affirme « Qu’il n’y a aucun phénomène en la nature, qui ne soit compris en ce traité 1 ». De Pascal, on connaît cette page célèbre (dans la Préface au Traité du Vide), où il montre le progressif accroissement des connaissances humaines « ... Par une prérogative particulière, non seulement chacun des hommes s’advance de jour en jour dans les sciences, mais tous les hommes ensemble y font un continuel progrez à mesure que l’univers vieillit, parce que la mesme chose arrive dans la succession des hommes que dans les aages différents d’un particulier 2 ».

La critique contemporaine ne reprendra rien à cette notion, dont on retrouverait l’expression en termes presque semblables chez un Berthelot 3, et qui reçoit une forme plus mathématique, mais analogue, dans ce jugement de M. Painlevé : « La science est une méthode convergente qui, par approximations successives, tend vers la réalité 4. »

On peut croire que si cette juste appréciation fut dépassée, c’est beaucoup plus au XVIIIe siècle que de nos jours. Féru de science, épris d’idées et d’expériences scientifiques, en surface seulement, d’ailleurs, le XVIIIe siècle aime moins la science pour elle-même, que contre la religion. Et voilà la source de malentendus prolongés, non encore dissipés. L’exagération naïve de la croyance en « la nouvelle idole », on la trouve beaucoup plus, notons-le, chez les littérateurs, les publicistes et les innombrables écrivains de seconde main que chez les savants authentiques. Le livre de M. Mornet, par exemple, sur Les Sciences de la Nature, en France, au XVIIIe siècle, nous présente, avec extrême abondance, le catalogue de ces adorateurs minimes. Je ne vois pas que Clairaut, Maupertuis, Méchain, d’Alembert même, après tout, ni Lavoisier plus tard, se soient ainsi couverts de ridicule. Comme dit Cournot, « il faut voir dans les encyclopédistes et dans leurs patrons ou leurs adeptes, non plus des savants mais des philosophes ou, si l’on veut, non plus des amis de la science, mais des gens prévenus en faveur de la philosophie 5 ». L’idée religieuse qui préservait, récemment encore, des généralisations excessives, ayant disparu ou étant affaiblie, les idées scientifiques tendent à envahir tous les domaines, comme les gaz à occuper tout le volume qui leur est offert.

Le point culminant de cette crise, l’extrême exagération atteinte par ce système, nous les trouvons dans la fameuse Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain (1793), où Condorcet codifia les illusions et les extravagances de tout un siècle. Depuis lors, quoi qu’on en ait dit, elles ne firent que décroître.

Mais il n’en reste pas moins que le XIXe siècle a subi les conséquences de cette déviation. Un génie scientifique comme Ampère, emporté par la frénésie ambiante, se dépensera souvent en vaines recherches et voudra dégager « les lois générales de la félicité publique 6 ». Je ne trouve plus, ou je trouve moins, ensuite, chez les savants, le même état d’esprit. Ceux-là mêmes qui eurent des tendances politiques montrent plus de mesure : un Arago, un Berthelot 7.

Par contre, les philosophes les plus originaux du XIXe siècle restèrent tous dans la voie tracée à cet égard par les encyclopédistes. Saint-Simon veut un « clergé de savants ». Et le jeune Comte voit, dans le pouvoir spirituel de la science, « la papauté de l’avenir 8 ». Renan et Taine, on le sait assez, apportent chacun à sa manière, leur adhésion au culte 9, et la pensée française se trouve, à la suite, en grande partie inféodée à l’erreur du XVIIIe siècle.

La libération est venue du camp des savants. Quelque part qu’on doive attribuer à l’action philosophique inaugurée par un Boutroux, nous pensons que la grande œuvre fut accomplie par les mathématiciens et physiciens de la fin du siècle dernier. Et nous pensons en outre que nulle action n’eût remplacé celle-là si elle eut manqué.

Je m’attacherai surtout, – en cette rapide esquisse qui n’a certes point la prétention d’être un tableau achevé – aux idées d’Henri Poincaré, parce qu’elles me paraissent les plus importantes et profondes et aussi les plus justes. La critique qu’elles nous ont offerte de la connaissance scientifique, a radicalement coupé court aux enthousiasmes béats, mais sans nous précipiter en un agnosticisme désespéré. De plus, le relativisme scientifique de Poincaré a servi de base, en ces quinze dernières années, à l’imposant édifice de la Relativité, dont l’étude ne rentre point en notre cadre, mais auquel il est impossible de ne pas songer. Toutefois, avant de rappeler ici les traits dominants de cette critique, il nous faut évoquer les rudes coups portés au dogme de l’infaillibilité scientifique, par M. Édouard Le Roy, dès la fin du XIXe siècle 10.

La théorie de M. Le Roy est une théorie néo-nominaliste, non point qu’on puisse appliquer ce terme à l’ensemble de sa philosophie, mais parce qu’il a contesté la valeur objective de la science. Pour lui, « les faits sont taillés par l’esprit dans la matière amorphe du Donné ». « La science n’a pas pour objet d’atteindre je ne sais quelle nécessité extérieure qui se cacherait toute constituée dans le réel ; sa mission est de fabriquer la vérité même qu’elle recherche. » L’auteur reconnaît bien aux faits « un résidu mystérieux d’objectivité », mais la science qui ne vaut que comme règle d’action, ne peut atteindre cette objectivité même. Le fait scientifique « n’est pas la réalité telle qu’elle apparaîtrait à une intuition immédiate, mais une adaptation du réel aux intérêts de la pratique et aux exigences de la vie sociale 11 ». En un mot, selon une formule célèbre et que Poincaré devait attaquer victorieusement, après d’autres auteurs, le savant crée le fait.

On voit à quel point une pareille discussion du fondement objectif de la connaissance scientifique formait antidote au naïf et dévotieux respect qu’on lui avait tant accordé depuis plus d’un siècle. Cette conception même, d’ailleurs, était la traduction philosophique d’un argument fort utilisé au XIXe siècle, par tous ceux qui voulaient exploiter la science, en en ayant une idée très imparfaite : l’importance et la variété de ses applications pratiques. Le nominalisme accordant à la science une valeur comme règle d’action, concédant qu’elle est efficacement à la mesure de nos conditions sociales, retournait l’argument en déniant à cette science toute portée véritable comme moyen de connaissance réelle. Cette fois, c’était passer la mesure, et l’édifice critique de Poincaré nous semble aujourd’hui plus solide.

La philosophie scientifique d’Henri Poincaré est, d’une part, en réaction contre cet état d’esprit superficiel qui, depuis le XVIIIe siècle, met la vérité scientifique hors des atteintes du doute, d’autre part, contre l’excès nominaliste qui dénie toute valeur objective à cette « vérité » et réduit la science à n’être qu’un moyen d’action 12.

L’essor des sciences, au cours des deux derniers siècles, avait amené une crise de croissance. Comme on l’a très bien dit : « Une mécanique définitive, la mécanique analytique de Lagrange, une physique construite tout entière sur cette mécanique, voilà en quelques mots la conception que l’on croit alors ne pouvoir plus être considérée que sub specie aeterni, dans le domaine des sciences de la nature. Cette opinion avait été préparée par des opinions analogues au sujet de la physique cartésienne et au sujet de la physique de Newton 13. » C’est contre ce « mécanisme cristallisé » que l’auteur de la Science et l’Hypothèse proteste, avec toute son autorité de savant indiscuté. Ce que la science peut atteindre, « ce ne sont pas les choses elles-mêmes, comme le pensent les dogmatistes naïfs, ce sont seulement les rapports entre les choses ; en dehors de ces rapports, il n’y a pas de réalité reconnaissable 14. » Il y a quelque chose d’essentiellement relatif à l’homme, dans nos sciences les plus achevées, celles que nous nommons exactes et qui nous paraissent immuables. On sait quelle profonde et minutieuse critique de la géométrie euclidienne dresse Poincaré. Lorsque nous bâtissons notre science sur le postulat d’Euclide, nous avons raison, parce que la géométrie euclidienne est la mieux adaptée à notre action. Mais, si elle est plus commode, il demeure vain de demander si elle est plus vraie. C’est « aussi absurde que de demander si le système métrique est vrai et celui de la toise, du pied et du pouce faux 15 ». Et en effet, d’autres géométries (hyperboliques ou elliptiques, alors que celle d’Euclide est parabolique) ont été construites qui, du point de vue de la logique, sont aussi rigoureuses, aussi acceptables que notre vieux système euclidien. L’évolution des sciences n’a fait, depuis vingt ans, qu’accentuer cette affirmation. On n’ignore point que les Relativistes emploient la géométrie riemannienne et non plus l’euclidienne, pour la représentation mathématique de leur univers tétradimensionnel. Et c’est en reprenant les idées et le langage même de Poincaré, qu’Eddington inaugure son ouvrage einsteinien, Espace, Temps, Gravitation (1920).

C’est également le Temps et l’Espace, que le grand mathématicien français réduit de l’absolu au relatif, ouvrant ainsi la voie aux théories plus récentes de Lorentz et, enfin, d’Einstein et Minkowski. L’effort scientifique, depuis la fin du XIXe siècle, en physique surtout, amena une telle moisson de faits et de conceptions nouvelles, que le moment parut exceptionnel pour réviser les valeurs établies. Pour ne citer que quelques exemples, l’effritement de la notion de corps simple, l’introduction de la notion de discontinu, la révision de la notion de masse, modifiaient de fond en comble l’édifice qui semblait jadis inébranlable. Poincaré montra ce qu’il y avait, en nos conceptions les plus inattaquables en apparence, de relatif à nous-mêmes et « d’opportunisme inconscient ».

Mais son œuvre est aussi constructive. S’opposant au nominalisme, autant qu’au dogmatisme, il restaure la valeur de la science, non point seulement principe d’action, mais moyen de connaissance. La science n’est point artificielle : le savant ne crée point le fait, mais seulement le langage dans lequel il l’énonce 16. Quant à la précarité des théories qui se ruinent l’une l’autre, dit-on, « si l’on y regarde de plus près, on voit que ce qui succombe ainsi, ce sont les théories proprement dites, celles qui prétendent nous apprendre ce que sont les choses ». Mais les rapports vrais qu’elles nous ont fait connaître, subsistent. La théorie électromagnétique de la lumière succéda à la théorie des ondulations de l’éther. Ne reste-t-il rien, donc, de la première, celle de Fresnel ? Si, car, entre les courants hypothétiques qu’admet Maxwell, il y a les mêmes relations qu’entre les mouvements hypothétiques qu’admettait Fresnel. Quelque chose subsiste et qui est l’essentiel 17. On connaît cette image admirable par où le grand géomètre conclut La Valeur de la Science : « La pensée n’est qu’un éclair entre deux longues nuits. Mais c’est cet éclair qui est tout. »

Le point de vue d’un Duhem n’est point tellement éloigné 18. Son effort, en tous cas, tendait au même but. La théorie physique, selon lui, « n’est pas une explication. C’est un système de propositions mathématiques déduites d’un petit nombre de principes, qui ont pour but de représenter aussi simplement, aussi complètement, et aussi exactement que possible un ensemble de lois expérimentales 19 ». L’originalité de Duhem, c’est que, croyant notoire, il sépare, autant que positiviste au monde, la science de la métaphysique. Aucun système métaphysique ne suffit à édifier une théorie physique. Par ailleurs, nulle conception métaphysique n’a de secours à attendre d’une notion scientifique quelconque. Le métaphysicien doit, seulement, connaître la théorie physique, « pour n’en point faire en ses spéculations, usage illégitime » 20.

 

 

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Les hommes de science, à la fin du siècle dernier, au début de celui-ci, ont dû entreprendre une urgente opération de déblaiement. Un dogmatisme factice envahissait leur domaine. Adoptée au XVIIIe par l’intérêt des Encyclopédistes et la curiosité des gens du monde, exploitée au XIXe par les philosophes et les politiciens, la science moderne était surtout traitée comme une valeur de remplacement métaphysique.

Elle vaut moins ou plus. Ceux qui lui vouèrent leur vie montrèrent qu’elle ne saurait être un absolu, et que l’on confond tout à vouloir dogmatiser les théories scientifiques en croyances métaphysiques. On ne voit point que, depuis, la confusion ait ressuscité. Un analyste trop tôt ravi aux mathématiques comme à l’histoire des sciences, déclarait en son dernier ouvrage, à propos de notre physique et de notre chimie actuelles : « Les livres que l’on écrit sur ces matières sont des œuvres provisoires qui seront plus tard aussi oubliées que les écrits de Tartaglia ou de Viète sur les équations algébriques 21. » Et M. Paul Langevin publiait cette affirmation, en un livre de l’année dernière : « Celui qui chaque jour se sert des résultats de la recherche scientifique doit avoir en eux cette confiance prudente et réfléchie, que l’autorité d’une affirmation ne suffit pas à donner. Il doit par leur histoire savoir où finit le champ de validité des lois qu’il applique, pour n’être pas tenté, comme on le fait trop souvent, de leur donner une extension illégitime, et ne pas s’exposer à cesser de comprendre quand il verra des faits en désaccord apparent avec elles 22. »

La démarche continue de la science moderne tend à réduire toujours davantage l’anthropomorphisme. Les astronomes de la Renaissance ruinent le géocentrisme 23. Au XVIIIe siècle, les naturalistes précurseurs, de Maillet, Lamarck, font de l’homme l’anneau suprême d’une chaîne commune. Buffon, dans ses Époques de la nature, montre combien est courte notre histoire humaine et agrandit à soixante-quinze mille ans les âges géologiques – chiffre qui, lui-même, nous fait sourire aujourd’hui. – L’infiniment petit recule prodigieusement encore les bornes d’un autre univers. Et voici qu’une fois de plus, avec Einstein, c’est notre conception du monde qui est bouleversée et nous en devons chasser les notions auxquelles nous attachions le plus une valeur absolue 24.

Le rôle de l’effort scientifique, durant la période envisagée ici, aura été de montrer combien cette science dont l’homme était si fière, se trouve relative. Et c’est encore progresser dans la même voie, déraciner l’anthropomorphisme. Mais ces savants n’en ont pas moins restitué à la science son « éminente dignité ». Non contents de travailler sans cesse à étendre son action matérielle, ils ont montré, en outre, sa légitimité et qu’elle est reine en son royaume. Comme s’exprimait l’un d’eux : « La Science sera toujours notre Science, cela est trop clair, mais elle n’est pour cela, ni un rêve incohérent, ni un discours bien enchaîné, et qui ne veut rien dire 25. »

Science relative à l’homme, mais noblesse de l’esprit humain, « grandeur » et « petitesse », c’était rejoindre Pascal.

 

 

 

 

 

André GEORGE.

 

Paru dans Cahiers de la Nouvelle Journée, no 2, 1924.

 

 

 

 

 

 



1 Princ. Phil., pars IVe, 204.

2 Œuvres (Éd. Brunschwicg-Boutroux), II, 39.

3 Dans son Discours, à la Sorbonne, pour le Cinquantenaire de son entrée au Collège de France.

4 À propos de la Mécanique, au Ier Congrès inter de Philo. (Rev. de Méta., 1900, p. 588). Plus récemment, dans son remarquable ouvrage sur l’Idéal scientifique des Mathématiciens (Alcan, 1920), Pierre Boutroux semble avoir un peu outré cette idée : « Apparemment, le credo du savant est souvent un peu simpliste et il n’est pas aisé d’en déterminer exactement les fondements. Lorsqu’on cherche à l’analyser, on a l’impression que ce credo repose en définitive sur une sorte de foi mystique dans le progrès et les destinées de la science » (p. 5). Pour beaucoup, l’épithète mystique serait de trop.

5 Considérations sur la marche des idées et des évènements dans les temps modernes, t. II, p. 56, 57.

6 Le cas d’A.-M. Ampère, curieux et significatif, mériterait à lui seul toute une étude. Récemment, l’un de nos principaux physiciens, M. Marcel Brillouin, a pu dire que « les admirables travaux scientifiques d’Ampère ne semblent presque que de brefs incidents, interrompant quelques instants le cours de sa pensée métaphysique, seule perpétuellement active ». (Cf. Rev. Gén. de l’Électricité, no de nov. 1922 consacré à Ampère, p. 3o). On n’ignore point que le grand physicien était catholique, encore que nourri de l’Encyclopédie. Comme écrit Sainte-Beuve : « Jusqu’à la fin, nous l’aurons vu toujours allier et concilier, sans plus d’effort et de manière à frapper d’étonnement et de respect, la foi et la science, la croyance et l’espoir en la pensée humaine et l’adoration envers la parole révélée. » (Cf. la notice sur Ampère, dans Critiques et Portraits, p, 402 et suiv.).

7 Pour Arago, voir, par exemple sa Biographie de Fresnel, lue à l’Ac. des Sc. le 26 juillet 1830 (Œuvres complètes, I, 107), avec sa distinction des faits, des lois, des causes, ces dernières étant presque inaccessibles aux savants. Pour Berthelot, voir l’art. sur « La Sc. idéale et la Sc. positive », dans Science et Philosophie, p. 4 : « La science positive ne poursuit ni les causes premières ni la fin des choses. » (C’est la déclaration même de Claude Bernard, dans La Science Expérimentale, édit. de 1890, p. 53 et suiv.).

8 Dans le Producteur (1820). Le Positivisme a eu la singulière fortune de contribuer au « scientisme », alors que Comte, dans ses œuvres maîtresses, exposa, au contraire, la relativité de la science et en fit passer le concept de l’état statique à l’état dynamique. (Cf. à cet égard, Brunetière, Sur les Chemins de la Croyance. L’utilisation du Positivisme, ch. II, § 2 et 3).

9 Les textes abondent, pour Renan ; surtout, naturellement, dans l’Avenir de la Science, mais encore ailleurs. Ex. : Vie de Jésus : « La science seule est pure... seule la science cherche la vérité pure. » Discours et Conférences (sur Claude Bernard) : « Il sentait qu’il faisait œuvre de prêtre, qu’il célébrait une sorte de sacrifice. » Pour Renan, voir la meilleure biographie que nous ayons : Jean Pommier, Renan (Perrin, 1923). Le credo de Taine est sensiblement le même. Dans la Littérature Anglaise (Byron), voici le ton : « Dans cet emploi de la Science et dans cette conception des choses, il y a un art, une morale, une politique, une religion nouvelle, et c’est notre affaire, à présent, de les chercher. » Aux dernières pages des Origines (Régime Moderne, t. II, p. 210 et suiv. de l’éd. orig.), il en reste de même : « ... Il y a maintenant une autorité laïque fondée sur la raison humaine et qui est exercée par les savants, les érudits, les lettrés, les philosophes. Eux aussi, à leur manière, ils sont un clergé puisqu’ils font des dogmes et enseignent une foi », p. 213 : « Elle aussi la science est une religion... Elle aussi, elle a ses dogmes, rassemble ses fidèles en une grande église. »

10 Voir ses articles, Science et Philosophie (Rev. de Méta. 1899 et 1900), puis La Science et les Philosophies de la liberté (Congrès Inter. de Philo, Paris, 1900. Bibl. du Congrès. I Philo. gén. et Méta). Un autre savant, dont nous indiquerons plus loin les conceptions, Pierre Duhem, avait été le premier à opérer cette analyse critique. (Cf. Quelques réflexions au sujet de la Phrs. expérimentale. Rev. des Ques. Scient., 2e série, t. III, 1894). Mais l’ensemble de ses idées à cet égard se trouve développé dans son grand ouvrage : La Théorie Physique, son objet, sa structure, 1906.

11 Rev. de Méta., 1889, pp. 517, 559, 518, 579. (Voir à ce sujet : Pierre Boutroux, op. cit.) Le lecteur remarquera aisément que de telles idées rejoignaient la philosophie bergsonienne, dont M. Le Roy devait devenir, plus tard, le commentateur le plus clairvoyant et le plus original (Une Philo. Nouvelle : Henri Bergson, Alcan, 1912).

12 Il va sans dire que le simple rappel des caractéristiques de cette philosophie scientifique n’a pas la moindre intention exhaustive. Que ne resterait-il pas à dire, surtout à propos de Dernières Pensées et Savants et Écrivains, qui ont paru postérieurement à beaucoup d’études consacrées à l’illustre savant !

13 Abel Rey, La Théorie de la Physique chez les physiciens contemporains (1907), p, 38.

14 La Science et l’Hypothèse, p. 4.

15 La phrase citée au texte est extraite des Fondements de la géométrie (p. 63), traduc. française, récemment publiée par M. Rougier, d’une étude parue dans The Monist, en janvier 1898. On remarquera que les termes sont analogues au passage de La Valeur de la Science (p. 225) sur la même question.

16 La Valeur de la Science, p. 233. (Cf. aussi Dernières Pensées : « L’Évolution des Lois »).

17 Id., p. 238 et suiv.

18 On pourrait rappeler, également, les idées de Jules Tannery, lesquelles reflètent assez un état d’esprit analogue (voir Science et Philosophie, 1911, particulièrement pp. 34 et 68-75).

À l’étranger, l’œuvre d’un Ernest Mach, – sa théorie de « l’économie de pensée », sa critique du mécanisme traditionnel, – réclamerait plus et mieux qu’une simple allusion. On en trouverait l’étude, par ex., dans l’ouvrage de M. Rey et dans la monographie récente (1923) de M. Robert Bouvier : La Pensée d’Ernest Mach. En ce qui nous occupe ici, d’ailleurs, nous retiendrions beaucoup plus le criticisme de Mach que sa « philosophie » générale.

19 La Théorie Physique, p. 17.

20 Id. « Physique de Croyant », p. 441. – On ne peut, en outre, manquer de faire allusion aux magnifiques recherches de l’auteur sur la science du Moyen Âge et de la Renaissance. Pour la gravitation, par exemple, il démontre l’action lointaine des « Précurseurs Parisiens de Galilée », un Buridan, un Albert de Saxe, un Oresme, – puis de Vinci, avant les grands physiciens classiques et, enfin, Newton. (Cf. Études sur Léonard de Vinci, t. III, dont la matière est reprise au ch. VII de la Théorie physique). Par là encore, Duhem ruine l’idée d’un « dogme » scientifique, soudainement « révélé » à la prodigieuse intelligence d’un Newton.

21 Pierre Boutroux, op. cit., p. 239. – En un autre domaine, M. Joseph Bédier parle, lui aussi, de « cette chose toujours provisoire que nous appelons la vérité historique » (Légendes Épiques, III, p. 70).

22 La Physique depuis vingt ans (1923), p. 429.

23 Quoi que l’on puisse penser, aujourd’hui, de leurs conceptions, en aucun cas la Terre n’apparaît comme un système de références privilégié.

24 Plus exactement, le Temps et l’Espace deviennent relatifs, l’absolu (car il en reste un) n’étant que leur combinaison, l’Espace-Temps, (Einstein, Minkowski).

25 Jules Tannery, op. cit., p. 73.

 

 

 

 

 

 

 

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