À propos de prédication

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Raphaël GERVAIS

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Quelques dames et demoiselles ayant échangé leur dé pour l’encrier, ont entrepris de tout réformer et de faire un peu la mode sur tout. Tout à l’heure c’était l’enseignement primaire qui devait se faire tailler par les ciseaux de ces dames ; maintenant c’est monsieur le curé qui devra apprendre d’un journal à la mode ce qu’il doit prêcher et comme il doit prêcher. Je vous le jure, si pour le malheur des autres et le mien je pouvais être curé, s’il était même possible que Dieu m’appelât au glorieux métier de prédicateur, je prêcherais volontiers sur cette parole que l’Apôtre doit avoir écrite pour notre temps : Mulierem docere non permitto ; ce qui veut dire en français, m’assure-t-on, qu’en fait de prédication les femmes ont le droit de l’écouter, de se taire et d’en faire leur profit. Et combien d’hommes et des mieux embouchés et des plus richement emplumés auraient à cet égard les mêmes droits et les mêmes privilèges que les femmes !

 

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S’il est un sujet que la presse doit aborder avec respect, je dirais volontiers : avec une crainte religieuse, c’est bien celui de la prédication. On dit pour s’excuser que plus d’un prédicateur ne dédaigne pas de poser dans un journal et d’y faire plus ou moins grande figure, et que d’ailleurs si la prédication par un côté appartient à la religion, qui est manifestement au-dessus de la mode et de l’opinion, par un autre côté elle appartient à la littérature et devient justiciable de la critique, et de la faveur ou de la défaveur des gens qui se piquent de penser et de faire plus ou moins l’opinion. Eh ! mon Dieu, je regrette tout comme un autre, sinon davantage, qu’un homme qui a l’insigne honneur de monter dans la chaire chrétienne si fort au-dessus des riens bruyants qui agitent les hommes et les préoccupent, descende volontiers dans un journal, fût-ce au bras d’un ami ou d’un admirateur. Je déplore également l’habitude irrespectueuse que prennent les journaux de présenter à leur public même des prédicateurs qui ne se soucient guère d’une telle illustration et d’une bruyante réclame, et de les mettre sur le même pied que les chanteuses et les histrions, et je soupçonne fort qu’à de pareils procédés l’amour de l’art et de la littérature est aussi étranger que la religion.

Je ne conteste point que la prédication relève de la critique littéraire par ce qu’il y a en elle de secondaire et de moins élevé, surtout lorsqu’elle descend de la chaire pour aller sous forme de livre demander les suffrages du public et des amateurs. Mais elle n’en relève point tant qu’elle reste dans l’église et ne s’adresse qu’aux fidèles qu’elle a uniquement l’intention d’instruire et d’édifier.

Du reste, peu d’auditeurs sont aptes à juger sensément la prédication ; les journalistes n’y sont pas, en général, plus experts que ceux qui n’y entendent rien, moins encore les parleurs renommés pour l’abondance redoutable de leur éloquence. C’est qu’en effet pour être une parole humaine la prédication n’est cependant pas une parole ordinaire. Pour parler il suffit d’ouvrir la bouche ; pour prêcher il ne suffit pas de parler. Et c’est l’erreur de nos messieurs et de nos dames qui vont au sermon comme au théâtre, pour le plaisir de voir et d’entendre.

Je causais un jour avec un ami à cheveux blancs, pieux, instruit, artiste, littérateur délicat, des succès d’un prédicateur en renom, son ami et le mien. « Oh ! mon cher, me dit-il, ne vous faites pas d’illusion. X est à cent pieds au-dessus de son auditoire, et il me semble bien parfois aussi au-dessus de lui-même. Dans ses dix mille auditeurs il n’a point cent hommes ou femmes qui le suivent : est-il bien sûr qu’il se suive toujours et s’entende lui-même ? Mais qu’importe ? Il est grand, bien fait, distingué, poli, cause à ravir, on vient à ses sermons que personne ne comprend pour le plaisir de le voir et de l’entendre. Tout le monde en raffole, les femmes surtout, parce qu’il est un peu sauvage et ne se laisse pas influencer par la première venue. Oui, c’est un grand succès... de parloir et de salon ! »

Assurément on ne va pas au sermon pour dormir et s’ennuyer, bien qu’on y dorme souvent et qu’on s’y ennuie quelquefois. Le prédicateur doit à ses auditeurs, et à son propre ministère, autant qu’il se peut, une parole digne des plus hautes pensées et des plus grands sentiments, qui aide les âmes à s’élever au-dessus des pensées humaines et des affections terrestres. Ce serait mal comprendre un texte fameux de saint Paul que d’imaginer que le prédicateur, pour atteindre son but et remplir sa mission, doit méconnaître à plaisir toutes les lois de la parole humaine. Il a plu à Dieu de convertir par une prédication inculte un monde délicat, ouillé de beau langage et de fins discours, pour montrer que la parole humaine n’était pour rien dans la conquête du monde à l’Évangile ; mais rien ne prouve qu’il ait l’intention de retenir miraculeusement au pied de la chaire chrétienne des auditeurs que l’on ennuierait et froisserait à plaisir. D’accord. Pourtant si grande que l’on fasse dans la prédication la place à l’art et à l’éloquence naturelle, cette part ne sera jamais la principale.

Le prédicateur en chaire ne parle pas pour parler, mais pour dire quelque chose. Il ne dit point ce qu’il lui plaît de penser et de dire, ni ce qu’il plaît à ses auditeurs d’écouter : il dit ce qu’il a mission de dire et parce qu’il a mission de le dire. Son premier devoir n’est pas d’être éloquent, mais d’être fidèle, de ne pas trahir la pensée du Maître qui l’envoie, de ne point amoindrir la vérité divine en l’attifant de ses propres pensées.

Le fond de la prédication n’est pas au loisir du prédicateur. Il doit prêcher toute vérité, tout l’Évangile, dogme et morale, les vérités consolantes et les vérités terribles, non comme elles se présentent, ni toutes en même temps, mais selon les besoins des temps et des auditeurs, dont les pasteurs des âmes sont sans doute les meilleurs juges. Le plus nécessaire et le plus utile n’est pas toujours ce qui est le plus agréable à celui qui prêche ni à ceux qui écoutent.

J’ai ouï dire à certains prédicateurs que leur plus cruel embarras n’est pas toujours de bien traiter un sujet, mais de choisir le sujet qu’il importe davantage de traiter devant un auditoire qu’ils ne connaissent pas suffisamment. Et, de fait, un prédicateur qui ferait sans embarras le tour du monde avec les mêmes sermons, me paraîtrait ressembler singulièrement à un charlatan qui distribue partout, avec la même assurance et le même succès, les mêmes drogues qui ne font à personne ni bien ni mal.

L’Église s’est donné depuis longtemps la peine de pourvoir à la prédication ordinaire et de diriger ceux qui en ont la charge dans leur délicat et sublime ministère. On m’a fait lire un guide officiel du prédicateur, composé par des experts, sur le désir du concile de Trente, et promulgué par un Pape qui avait été du métier et qui eut en son temps un certain renom de sagesse et d’expérience, saint Pie V. Je l’ai encore dans ma bibliothèque, et le dimanche, quand il m’arrive d’entendre quelque joli sermon qui ne m’apprend rien, comme il en faut, paraît-il, aux prétentieux auditoires de nos grandes villes, je lui demande la simple et solide instruction que j’aurais pu entendre et qui me rappelle quelque bonne et grande vérité sur laquelle je ne reviens jamais sans profit. Il est intitulé Catechismus romanus ad parochos, c’est-à-dire « Catéchisme romain à l’usage des prêtres qui ont charge d’âmes ». La matière de la prédication ordinaire est là tout entière, exposée, divisée et rangée. Le prédicateur qui a conscience de l’importance de son ministère n’a qu’à se l’assimiler et à la traduire dans un langage qui ne soit ni au-dessus ni au-dessous de son auditoire.

Ce qu’il convient de prêcher en tout temps et en tout lieu, c’est bien ce qu’il est partout et toujours nécessaire de croire et de pratiquer : le catéchisme romain en fait foi. Mais que faut-il prêcher en certaines circonstances particulières ? Le vulgaire dont je fais partie ne voit pas d’assez haut ni assez loin pour en juger pertinemment, et quand il y prétend, il touche facilement, sans s’en douter, à l’odieux et au ridicule.

C’est merveille vraiment que des gens du monde, bons chrétiens d’ailleurs, mais plus au courant des modes et des frivolités mondaines que des états d’oraison, et plus versés dans la lecture des journaux et de la littérature profane et légère que dans l’étude de l’Écriture sainte et de la théologie, fassent montre d’être tellement pénétrés de la pensée des fins dernières qu’il soit inutile de leur en parler, et tellement familiers avec les articles du Credo et les commandements du décalogue, que ces vérités fondamentales de la foi et de la morale chrétienne n’ont plus pour eux aucun intérêt. Il leur arrive peut-être, s’ils sont sincères, comme aux estomacs débilités par une diète trop sévère et trop prolongée, qui n’ont plus l’appétit des viandes robustes et d’une nourriture fortifiante, parce qu’ils meurent de faim. Souvent dans les banquets les bouches les plus fines et les plus délicates ne sont pas celles qui ont connu l’abondance et la satiété. N’en serait-il pas ainsi pour cette nourriture de l’âme qui est la parole de Dieu ? Ne serait-elle pas facilement insipide surtout aux cœurs légers et aux intelligences faméliques nourris de ces pensées frivoles et de ces mots soufflés qui font toute la littérature d’aujourd’hui ?

 

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Que nos grands critiques me pardonnent ce qui leur paraîtra une impertinente sincérité. – À quinze ans, j’étais fou de parole et d’éloquence. Ce que j’aimais alors dans la prédication, c’était la parole pour elle-même, la parole humaine qui fait vibrer l’imagination et la sensibilité comme les cordes d’une lyre intérieure : des joies, des larmes, au moins des tressaillements et des émotions ! De solides et claires instructions qui m éclairassent à fond sur mes croyances et mes devoirs, je n’avais cure. Quinze ans plus tard, ce que j’aimais le moins, ce que je trouvais insipide et insupportable dans certaines prédications, c’était justement ce dont je raffolais autrefois, cette parole humaine qui se pomponne, qui piaffe, qui hennit, qui fait tout pour parler aux yeux et aux oreilles et oublie seulement qu’elle doit éclairer l’esprit et donner de sérieuses et fortes convictions. Et depuis, la prédication qui a toujours ravi mon suffrage, c’est la plus simple et la plus claire, celle qui s’oublie tellement qu’en l’entendant je ne pense plus à elle, mais aux vérités surnaturelles qu’elle met à ma portée. Le dirai-je ? Pour moi la prédication idéale c’est le catéchisme bien fait.

Mon Dieu ! quels cris vont pousser nos grandes dames et nos grands hommes ! Et pourtant, mesdames et messieurs, si vous saviez vous tâter le pouls, vous conviendriez comme moi que c’est là surtout la prédication dont vous avez besoin.

Je crois connaître quelque peu mon pays et avoir une idée assez nette des lacunes et des besoins de la classe lettrée et intelligente à laquelle je ne ferai pas d’autre injure que de supposer que j’en puis faire partie. Je dois avoir le droit de me dire des choses désobligeantes sans manquer à la charité sur laquelle sont très chatouilleux tous les gens qui n’en pratiquent d’aucune sorte. Donc je ne dis du mal que de moi : tant pis pour ceux qui ont le malheur de me ressembler.

J’avoue d’abord que mon péché mignon, c’est la paresse pour tout ce qui est travail intellectuel, en quoi je suis Canadien pur sang, et qu’entre toutes les études je néglige de préférence celle des vérités religieuses, en quoi je ressemble admirablement à toute la classe lettrée de mon pays. Bref, beaucoup de prétentions bâties sur une ignorance très approfondie ; c’est pourquoi je puis prétendre appartenir à la classe dirigeante de mon pays – et un peu à celle de tous les pays.

Et comment en serait-il autrement ? J’ai appris tant bien que mal au collège un catéchisme de persévérance, suivi même un cours de religion dont je ne comprenais guère la portée ; mais depuis, je me suis donné à tout, sauf à l’étude des vérités religieuses. J’aurais bien pu de temps à autre rafraîchir mes connaissances religieuses et affermir mes convictions par une lecture sérieuse. J’ai dans ma bibliothèque un Bossuet et même un Bourdaloue ; leur reliure soignée prouve l’estime que j’en fais. Mais qui, à moins d’être théologien ou prédicateur de profession, lit aujourd’hui Bossuet et Bourdaloue ? Il m’est arrivé deux fois, depuis vingt ans, non pas de lire, mais d’ouvrir ce dernier ; la première fois pour retrouver un exorde que je venais d’entendre dans une cathédrale le jour de Pâques de la bouche d’un prédicateur de renom, lequel exorde ne m’était pas inconnu, parce que je l’avais appris en rhétorique ; la deuxième, pour les besoins d’une polémique où je m’étais aventuré sans en prévoir l’issue. En dehors de cas semblables, je me contente, comme tout le monde, de lire les livres du jour et les journaux. Dieu sait si j’y trouve quelque chose au point de vue de l’instruction religieuse ! Aussi j’avoue en toute humilité, n’en déplaise aux Marguerite, aux Lucie et à toutes les dames emplumées qui font la mode et l’opinion dans notre monde intelligent, que si je considère mon besoin et mon utilité, le prédicateur qui aura ma préférence sera celui qui me fera revoir, sans trop me le dire, le catéchisme que j’ai oublié, et qui m’exposera le plus simplement et le plus clairement possible, dans une langue à la fois digne, sobre et précise, toutes ces vérités chrétiennes que je suis censé croire et ces devoirs que je me persuade vouloir pratiquer.

Ce qui me console, c’est que mes goûts me mettent en compagnie d’esprits bien autrement cultivés que le mien et d’une tout autre portée.

J’ai connu un magistrat fort distingué, très homme du monde et du meilleur monde, qui suivait avec acharnement le catéchisme de sa paroisse fait en ce temps-là par un vicaire très sérieux, mais qui ne s’était jamais compromis avec l’éloquence, et le plus intéressé de l’auditoire, celui qui y apprenait davantage, c’était le magistrat. Autre exemple, celui-là pris moins près de nous.

Il y a quelque quarante ans vivait à Paris un catholique de quelque renom, assez entendu en éloquence et en littérature, et qui avait appartenu depuis trente ans à la classe dirigeante de son pays : il s’appelait Montalembert. Un jour, c’était en carnaval, l’illustre comte vint passer une récréation et causer familièrement avec des religieux voués à la prédication qu’il estimait particulièrement.

« Mes Pères, leur dit-il, c’est sans doute une visite d’amitié que je vous fais, mais qui n’est point désintéressée. Je viens en mon nom, et au nom de plusieurs de mes amis, hommes du monde comme moi, vous faire une prière. Voilà le carême qui va commencer ; un bon nombre d’entre vous vont prêcher dans les premières églises de Paris : je viens vous supplier en leur nom et au mien de ne pas nous donner de grands sermons et de belles thèses sur la morale indépendante et autres sujets de ce genre, mais de nous faire simplement un bon catéchisme sur le dogme et la morale. C’est ce qui nous est le plus nécessaire. Si vous saviez comme nous sommes ignorants des choses de la religion, nous gens du monde, même ceux qui sont les mieux disposés et les plus instruits ! Et c’est aussi ce qui nous intéressera davantage. Quand nous allons au pied de vos chaires, ce n’est pas pour écouter de beaux discours, nous pouvons en entendre ailleurs, et parfois nous savons en faire d’aussi éloquents que les vôtres ; nous y allons pour nous instruire. Croyez-le bien, pour nous intéresser en nous instruisant, rien ne vaut un bon catéchisme. »

Je ne sais pas si notre barreau canadien compte aujourd’hui beaucoup d’hommes plus distingués que ne fut en son temps feu le juge J.-T. Loranger, ni si notre classe dirigeante peut se glorifier de bien des hommes plus cultivés que Montalembert ; mais il me semble que de la tête aux pieds, sans en excepter les dames de l’écritoire, notre société trouverait à un catéchisme bien fait intérêt et profit. Mais il faudrait l’appeler d’un autre nom.

J’accorderai volontiers, pour être juste, sans aucune intention désobligeante, que ce catéchisme parfaitement fait, je ne l’ai pas entendu aussi souvent que je l’aurais voulu, pour maintes raisons, dont la plus simple et la plus claire, c’est que, comme toute chose parfaite, il est assez difficile à faire.

 

 

Raphaël GERVAIS.

 

Paru dans La Nouvelle-France en 1904.

 

 

 

 

 

 

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