LADISLAS KANIA

 

 

 

 

 

LE BOLCHÉVISME

 

ET LA RELIGION

 

 

 

 

 

 

MAGI-SPINETTI, ÉDITEURS

 

ROME 1945

 

 

 

 

 

 

 

 

MOTTO

 

« DIVINI REDEMPTORIS »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

COMMUNISME ATHÉE

 

Lettre Encyclique sur le Communisme Athée aux Patriarches, Primats, Archevêques, Évêques et autres Ordinaires en paix et communion avec le Siège Apostolique

 

 

 

      VÉNÉRABLES FRÈRES,

 

Salut et Bénédiction Apostolique.

 

1. – La promesse d’un Rédempteur illumine la première page de l’histoire humaine ; aussi, la ferme espérance de jours meilleurs adoucit le regret du paradis perdu et soutint le genre humain cheminant au milieu des tribulations ; mais, quand fut venue la plénitude des temps, le Sauveur du monde, par son apparition sur terre, combla l’attente et inaugura, dans tout l’univers, une nouvelle civilisation, la civilisation chrétienne, autrement plus parfaite que tous les progrès réalisés jusque-là, au prix de tant d’efforts, chez certains peuples privilégiés.

 

2. – Mais, la lutte entre le bien et le mal, triste héritage de la faute originelle, continua à sévir dans le monde ; l’ancien tentateur n’a jamais cessé, par ses promesses fallacieuses, de tromper le genre humain. C’est pourquoi, au cours des siècles, on a vu les bouleversements se succéder jusqu’à la révolution actuelle, qui est déjà déchaînée ou qui devient sérieusement menaçante presque partout, peut-on dire, et dépasse, par l’ampleur et la violence, ce qu’on a éprouvé dans les persécutions antérieures contre l’Église. Des peuples entiers sont exposés à retomber dans une barbarie plus affreuse que celle où se trouvait encore la plus grande partie du monde à la venue du Rédempteur.

 

3. – Ce péril si menaçant, Vous l’avez déjà compris, Vénérables Frères, c’est le communisme bolchévique et athée, qui prétend renverser l’ordre social et saper, jusque dans ses fondements, la civilisation chrétienne.

 

 

Se prémunir contre les ruses du communisme

 

57. – Sur ce dernier point, Nous avons déjà insisté dans Notre allocution du 12 mai de l’année dernière, mais Nous croyons nécessaire, Vénérables Frères, d’attirer de nouveau, d’une façon spéciale, votre attention. Le communisme athée s’est montré, au début, tel qu’il était, dans toute sa perversité, mais bien vite il s’est aperçu que de cette façon il éloignait de lui les peuples ; aussi a-t-il changé de tactique et s’efforce-t-il d’attirer les foules par toutes sortes de tromperies, en dissimulant ses propres desseins sous des idées en elles-mêmes bonnes et attrayantes. Ainsi, voyant le commun désir de paix, les chefs du communisme feignent d’être les plus zélés fauteurs et propagateurs du mouvement pour la paix mondiale ; mais, en même temps, ils excitent à une lutte de classe qui fait couler des fleuves de sang, et sentant le manque d’une garantie intérieure de paix, ils recourent à des armements illimités. Ainsi encore, sous divers noms qui ne font pas même allusion au communisme, ils fondent des associations et des revues, dans le but de faire pénétrer leurs idées en des milieux dont l’accès leur eût été difficile autrement ; bien plus, ils tentent, avec perfidie, de s’infiltrer jusqu’en des associations franchement catholiques et religieuses. Ainsi, sans rien abandonner de leurs principes pervers, ils invitent les catholiques à collaborer avec eux sur le terrain humanitaire et charitable, comme on dit, en proposant parfois même des choses entièrement conformes à l’esprit chrétien et à la doctrine de l’Église. Ailleurs, ils poussent l’hypocrisie jusqu’à faire croire que le communisme, dans les pays de plus grande foi et de civilisation plus avancée, revêtira un aspect plus doux, n’empêchera pas le culte religieux et respectera la liberté de conscience. Il y en a même qui, s’en rapportant à certaines modifications introduites depuis peu dans la législation soviétique, en concluent que le communisme est près d’abandonner son programme de lutte contre Dieu.

 

58. – Veuillez, Vénérables Frères, à ce que les fidèles ne se laissent pas tromper. Le communisme est intrinsèquement pervers, et l’on ne peut pas admettre, sur aucun terrain, la collaboration avec lui de la part de quiconque veut sauver la civilisation chrétienne. Si quelques-uns, induits en erreur, coopéraient à la victoire du communisme dans leur pays, ils tomberaient les premiers, victimes de leur égarement ; et plus les régions où le communisme réussit à pénétrer se distinguent par l’antiquité et la grandeur de leur civilisation chrétienne, plus la haine des « sans-Dieu » se montrera dévastatrice.

 

 

Conclusion

 

Saint Joseph modèle et patron

 

81. – Et pour hâter cette paix tant désirée de tous, fit « Paix du Christ dans le Règne du Christ » (Cf. Lettre Encycl. Ubi arcano, 23 déc. 1922 ; A.A.S., vol. XIV, 1922, p. 691), Nous mettons la grande action de l’Église catholique contre le communisme athée mondial sous l’égide du puissant protecteur de l’Église, saint Joseph. Il appartient, lui, à la classe ouvrière ; il a fait la rude expérience de la pauvreté, pour lui et pour la Sainte Famille, dont il était le chef vigilant et aimant ; il reçut en garde l’Enfant divin, quand Hérode lança contre Lui ses sicaises. Par une vie de fidélité absolue dans l’accomplissement du devoir quotidien, il a laissé un exemple à tous ceux qui doivent gagner leur pain par le travail manuel, et a mérité d’être appelé le Juste, modèle vivant de cette justice chrétienne qui doit régner dans la vie sociale.

 

 

 

 

 

 

 

 

INTRODUCTION

 

 

Le bolchévisme, après avoir été, pendant plus de vingt ans de son gouvernement en Russie, isolé du reste du monde derrière un mur chinois, a maintenant commencé une nouvelle phase de développement, d’expansion et de conquête. Son expansion suit deux voies. L’une d’elles est la marche de l’armée rouge, qui se déverse sur l’Europe vers le Sud et l’Occident, se conduit en Perse toujours plus comme chez soi, est active en Chine et prête à combattre en Extrême-Orient. D’autre part, l’offensive idéologique du bolchévisme a pénétré dans presque tous les pays du monde et est particulièrement énergique et conquérante près des masses en Europe. Tandis que les autres parties du globe sont attaquées indirectement, quelques nations d’Asie et l’Europe entière se trouvent déjà en face d’une révolution bolchévique.

Il y a cinq ans, les nations démocratiques de l’Europe attachées à le liberté, la Pologne en tête, commencèrent la lutte contre le totalitarisme allemand comme étant ennemi de la liberté et de la civilisation chrétiennes. Aujourd’hui, que la puissance de l’Allemagne d’Hitler se brise et que sa fin est désormais évidente et proche, les nations d’Europe doivent se demander quel avenir elles ont devant elles. Quelle victoire leur apportera la défaite de l’Allemagne ? Les sacrifices de la plus terrible et de la plus sanglante des guerres seront-ils le prix offert pour la liberté et le salut de la civilisation chrétienne ?

À la place du national-socialisme me sur le point d’être anéanti, le bolchévisme entre en Europe. Les nations européennes, étourdies et agitées par l’immensité de la catastrophé, épuisées et désorientées, n’ont plus la conscience nette de leur véritable situation et de leurs propres tendances. Elles ont désormais perdu la force de résistance contre tes courants provenant de l’extérieur. Le bolchévisme, se présentant à elles comme l’antithèse du nazi-fascisme et son véritable vainqueur, se fraye un chemin vers les âmes de ces peuples. Le bolchévisme, mythe inconnu du monde et vanté par ses partisans, prend dans l’imagination de plusieurs l’aspect d’un remède miraculeux pour tous les maux. Et plus les sociétés et les hommes sont affaiblis, plus cherchent-ils facilement le salut en quelque chose d’inconnu et de lointain.

Qu’est donc le bolchévisme ? II faut savoir répondre à la question. La propagande naziste et fasciste lutta contre lui, le dénonçant comme ennemi sous des couleurs très noires. Le nazisme est la négation de la culture européenne et chrétienne, mais cela veut-il dire que le bolchévisme, qui le combat et lui est opposé, est pour cela même le représentant de la culture européenne et chrétienne ? Cela signifie-t-il que la Russie soviétique apporte aux nations européennes leur propre culture, la liberté, la démocratie et une vie meilleure et que l’armée rouge entre en Europe comme une force amie, apportant la libération et la paix ?

Qu’est-ce que le bolchévisme ? Où est la vérité à son sujet ? L’avenir de l’Europe est lié à la réponse à cette question. Ou bien le bolchévisme gagnera et deviendra l’avenir de l’Europe, ou bien les nations, s’étant aperçues qu’il est un courant ennemi de la civilisation et du bien-être, trouveront la force de résister contre ce nouveau danger. Il est donc très important, dans l’intérêt de toutes les nations européennes qui se trouvent en face de ce problème, de savoir répondre à la question posée. Quel que ce soit le bolchévisme, il faut que les nations européennes en connaissent profondément la nature ; qu’elles sachent ce que l’armée rouge porte dans ses drapeaux et ce que les cercles dirigeants des partis communistes, actifs dans tous les pays, cachent sous l’apparence de grandes et attrayantes paroles.

Qu’est donc, enfin, le bolchévisme ? Pendant plus de vingt ans la Russie bolchévique s’est séparée du monde par le mur chinois de l’isolement. Tout de suite après la révolution, grand nombre de personnes réussirent à fuir l’apparat imparfait, en ce temps-là, de l’état soviétique, et à franchir les frontières. Voilà comment le monde civilisé a connu les évènements des premières années de la révolution. Mais ensuite les frontières furent presque hermétiquement fermées et l’on n’eut que de rares et incertaines nouvelles de la Russie Soviétique, tandis que les représentants officiels qui la visitaient n’avaient jamais la possibilité d’être réellement en contact avec la véritable vie du pays. La propagande soviétique en dépeignait les conditions sous des couleurs très roses et proclamait, surtout dans les années qui suivirent l’entrée en guerre à côté des Nations démocratiques contre l’Allemagne, que le bolchévisme avait abandonné ses anciennes thèses extrémistes et s’était rapproché des conceptions du monde chrétien et démocratique.

Où est, en cela, la vérité. Quelle est, en réalité, cette vie soviétique que le monde voit seulement à travers le prisme de la propagande ?

En 1942, 114.500 Polonais parmi lesquels 77.200 soldats et 37.300 civils, membres de leurs familles, quittèrent la Russie à deux reprises : au printemps et dans l’été. On sait à la suite de quels évènements historiques ils s’étaient trouvés sur le territoire soviétique. En septembre 1939 en collaboration avec l’Allemagne, la Russie soviétique occupa 201.000 kilomètres carrés, c’est-à-dire plus de la moitié du territoire de la Pologne, comptant une population de 13.000.000 d’habitants. De ce territoire, pendant la période d’occupation, jusqu’en juin 1941, c’est-à-dire jusqu’au déclanchement de la guerre germano-soviétique, le gouvernement de Moscou réussit à déporter dans l’intérieur de la Russie plus de 1.600.000 personnes (hommes, femmes et enfants) en qualité de prisonniers de guerre, prisonniers ou déportés civils. De ces personnes, en 1942, les représentants polonais en U.R.S.S. réussirent à retrouver seulement 613.000 concitoyens. Les autres doivent être considérés comme morts ou dispersés, d’autant plus que, d’après les nouvelles que nous possédons, un tiers des déportés n’étaient plus en vie à ce moment-là.

De cette masse d’un million et demi d’hommes, une armée commandée par le gén. Wladyslaw Anders, la même qui devint ensuite célèbre par ses combats victorieux en Italie, fut formée sur le territoire de l’U.R.S.S. conformément à l’accord survenu, au mois de juillet 1941, entre les gouvernements polonais et soviétique. Peu de temps après sa formation, cette armée, avec une partie des familles des soldats, quitta la Russie pour se transférer en Iraq. Ainsi, pour la première fois, après plus de vingt ans, une foule de milliers de personnes traînée par tout le territoire de l’U.R.S.S., ayant connu à fond et sous presque tous ses différents aspects la vie sociale de ce pays, réussissait à franchir le mur chinois de ses frontières.

Le témoignage de cette foule, d’après son expérience, ses observations, sa connaissance de la vie soviétique et des tendances du bolchévisme, a, pour le monde civilisé, une valeur immense et unique en son genre. Beaucoup de ces hommes ont écrit leurs mémoires. Ils ont eu aussi la possibilité de connaître la législation et la littérature soviétique, d’avoir en mains des documents originaux ne passant jamais la frontière de l’U.R.S.S. Ces documents témoignent de la véridicité de leurs relations et de leurs souvenirs et en sont un complément. Or, ces hommes considèrent être leur devoir de mettre la connaissance qu’ils ont acquise à la disposition des autres nations. Il dépendra de ces nations de prendre elles-mêmes, à la suite de ces renseignements, l’attitude qu’elles voudront.

À nous, qui avons connu la Russie soviétique, de vous dire ce que nous en savons. Vous devrez en tirer vous-mêmes les conclusions.

Quelqu’un pensera peut-être qu’en disant la vérité sur le bolchévisme l’on crée des sympathies pour les Allemands, comme si celui qui dirait que la peste asiatique est une maladie mortelle, devrait pour cela être considéré prosélyte de la vérole. Comme si encore quelqu’un qui, s’étant guéri de la vérole, ne devrait plus se prémunir contre une nouvelle maladie contagieuse telle que la peste ! Ce n’est certainement pas pour se jeter, à la veille de la victoire, dans les bras d’un nouveau totalitarisme, que les nations de civilisation chrétienne mènent depuis cinq ans une lutte mortelle contre le totalitarisme allemand.

Depuis le début de la guerre, la nation polonaise a donné, et elle continue à donner de nombreuses preuves qu’elle est une mortelle ennemie de l’impérialisme totalitaire allemand, et – vis-à-vis des gens de bonne foi – elle n’a pas besoin de défense contre des accusations portées à ce propos. Lorsque tout le monde baissait la tête devant la puissante Allemagne d’Hitler, ou traitait avec elle, ou bien – ainsi que le fit la Russie soviétique – s’alliait avec elle, la Pologne sut héroïquement lui opposer, seule et la première, une résistance armée. Or, aujourd’hui ni demain la nation polonaise ne pliera pas et elle ne déposera pas les armes aux pieds d’un nouveau totalitarisme qui mine son existence ainsi que celle de toute la civilisation chrétienne.

La plus ancienne et la plus noble tradition polonaise est celle d’être un rempart et un bastion inexpugnables de la civilisation chrétienne. Les autres nations chrétiennes doivent comprendre cette mission de la Pologne et la soutenir dans la lutte, si elles ne veulent se trouver sur le bord d’un précipice.

 

_______

 

 

À la base de toute civilisation, il y a les concepts religieux. Une civilisation appuyée sur ces concepts au début de son développement, lorsqu’on en construisait les fondements, et s’étant toujours développée pendant les siècles de son existence en conformité avec eux, ne peut pas, à un moment donné, les renier et en choisir d’autres sans courir le risque de se perdre. En abandonnant ces concepts, elle doit succomber et devenir la proie d’une autre civilisation ennemie. Toute l’œuvre éducative de l’homme et chaque faculté créatrice est liée aux concepts religieux comme les plus généraux de tous et ceux qui déterminent l’attitude de l’homme dans la vie. Une civilisation menacée et chancelante peut se sauver et renouveler sa vitalité en se rapprochant des sources, à travers la renaissance de cette force primordiale et indispensable de la vie, qui est la foi religieuse.

Tous ceux qui cherchent aujourd’hui à détruire la civilisation chrétienne et les nations qui lui appartiennent, sont pleinement convaincus de cela. Ils savent que, pour accomplir leur œuvre de destruction, il est nécessaire d’éliminer d’abord ses fondements généraux, de tarir la source éternelle de son développement : la religion.

Hitler le savait et, pour élever le peuple allemand dans l’esprit de son totalitarisme et le préparer à la conquête des nations européennes, il a dû attaquer le christianisme. Il dut créer une idéologie ennemie des concepts religieux, introduire à leur place de nouvelles constructions, former une théorie biologique et païenne du racisme et du « Herrenvolk ». Ce fut seulement avec l’appui de ces concepts généraux, nommés « Weltanschauung », qu’il put commencer sa guerre pour la domination du monde.

Les dirigeants du groupe des nations démocratiques se rendent compte aussi du rôle fondamental et principal que la religion joue dans la vie des peuples et surtout au cours d’une guerre menée pour une nouvelle organisation du monde.

Cette conviction a été formulée, de façon particulièrement claire, par le Vice-Président des États-Unis, Henry A. Wallace, dans le discours qu’il a prononcé le 18 mars 1943 à Delaware dans l’État de Ohio. L’homme d’État américain a dit :

« Dans le monde où nous vivons, trois grandes philosophies existent aujourd’hui : La première, basée sur la suprématie de la force sur le droit, proclame que les guerres entre les nations sont inévitables, jusqu’à ce qu’un peuple de seigneurs ne domine tout le inonde ; après quoi, un Führer, brutal dictateur, indiquera à chacun ses devoirs quotidiens. La deuxième philosophie – la marxiste – dit que la lutte des classes durera jusqu’au jour où tout le monde sera dominé par le prolétariat qui réalisera la construction sociale d’une classe unique. La troisième, que nous connaissons per expérience, sous le nom de philosophie démocratique et chrétienne, nie que l’homme soit venu au monde pour combattre tant dans les guerres que dans la lutte des classes ; elle proclame hardiment qu’une paix finale est certaine, que tous les hommes sont des frères et que Dieu est leur Père...

« Cette philosophie démocratique anime les cœurs et les âmes non seulement des Chrétiens, protestants et catholiques, mais aussi de ceux qui tirent leur inspiration de l’indouisme, du confucianisme, du mahométanisme ou d’autres croyances religieuses.

Si, en éliminant les formalités extérieures, nous considérons leur véritable essence, nous verrons que toutes les croyances, chacune à sa façon, professent la doctrine de la dignité humaine ; la doctrine qui dit que Dieu a destiné l’homme à être le bon voisin de son prochain ; la doctrine de l’unité essentielle de tous dans le monde. Ceux qui apprécient avant tout l’individualisme, proclament la liberté. Ceux qui désirent surtout l’unité, tant nationale qu’internationale, proclament la sainteté des engagements pris. Entre la liberté et le devoir il y a un contraste apparent, et la tâche de l’esprit démocratique est justement d’éliminer ce contraste.

Par la seule religion et l’éducation, l’individu attaché à la liberté peut se rendre compte que la véritable joie de vivre se trouve uniquement dans le service de l’unité suprême et du bien commun. Cette vérité qui est l’essence de la démocratie doit conquérir les cœurs des hommes du Monde entier, si la civilisation humaine n’est pas condamnée à être complètement détruite dans une suite de guerres et de révolutions plus épouvantables encore que celles du passé.

La démocratie est l’espoir de la civilisation ».

 

Nous acceptons pleinement l’opinion de Wallace sur l’importance primordiale de la religion dans la vie des nations et dans l’organisation du monde d’après-guerre. Nous devons donc – pour répondre à la question : qu’apporte au monde le bolchévisme ? – considérer avant tout l’attitude envers la religion de l’Union Soviétique et de son parti communiste. En résolvant ce problème nous compléterons les paroles du Vice-Président Wallace sur l’essence du marxisme.

Staline, dans une de ses déclarations – publiée dans son principal travail, idéologique, le plus divulgué en U.R.S.S., « Les problèmes du léninisme » – représente de la manière suivante l’attitude du bolchévisme envers la religion :

« Le parti ne peut pas être neutre au sujet de la religion ; il fait une propagande antireligieuse contre tout préjugé religieux, puisqu’il s’appuie sur la science, tandis que les préjugés religieux vont contre la science, toute religion étant quelque chose de contraire à la science. »

Ces deux déclarations de Wallace et de Staline, du chef de la grande démocratie américaine et du dictateur de l’Union Soviétique, méritent d’être comparées. Il est utile de réfléchir sur les conséquences qui dérivent d’une telle comparaison. L’avenir du monde dépend de la victoire de l’une de ces deux doctrines dans l’organisation de la vie d’après-guerre.

Aujourd’hui encore le bolchévisme apporte-t-il avec soi, aux nations vers lesquelles son expansion se dirige, ce programme antireligieux de Staline ? Ce programme est-il un point primordial dans son idéologie ou bien une chose secondaire que l’on peut abandonner ? Quelle est, en particulier, l’attitude du bolchévisme envers la religion d’après la législation soviétique, les déclarations de ses principaux créateurs, chef et théoriciens, ainsi qu’à la lumière des relations de témoins oculaires ?

Dans ce livre, on tâchera de répondre à ces questions de la manière la plus objective et en se basant sur des documents originaux.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PREMIÈRE PARTIE

 

 

LES LOIS

ET LES THÉORIES SOVIÉTIQUES

 

 

 

 

 

Chapitre I

 

L’essence de l’État soviétique

et les possibilités de son évolution

 

 

En considérant la prétendue évolution de l’Union Soviétique et en voulant vraiment la comprendre, il faut avant tout examiner la véritable nature de cet État. Elle est clairement et explicitement définie dans les articles suivants de la Constitution soviétique remontant à l’année 1936, dite « Constitution stalinienne ».

 

Art. 1 : « L’Union des Républiques Socialistes Soviétiques est un État socialiste d’ouvriers et de paysans ».

Art. 2. « La base politique de l’U.R.S.S. est constituée par des Conseils des délégués travailleurs qui s’accrurent et se consolidèrent à la suite de l’effondrement du pouvoir des propriétaires fonciers et des capitalistes, et de la conquête de la dictature par le prolétariat ».

Art. 126 : « En ce qui concerne l’intérêt des masses ouvrières et pour développer l’indépendance organisatrice et l’activité politique du peuple, on garantit aux citoyens de l’U.R.S.S. le droit de se grouper en organisations sociales : syndicats, coopératives, associations juvéniles et sportives, militaires, culturales, techniques et scientifiques, tandis que les citoyens plus conscients et actifs s’unissent dans le Parti communiste (bolchévique) de l’U.R.S.S., qui est l’avant-garde des masses ouvrières dans leur lutte pour l’affirmation et le développement de l’ordre socialiste et qui constitue la cellule directrice de toutes les organisations tant des masses prolétaires sociales, que de l’État. »

 

Pour rendre plus clair et plus complet le sens de ces articles de la Constitution soviétique, il faut ajouter l’interprétation authentique des créateurs du bolchévisme concernant :

1) la conception de la dictature prolétaire ;

2) le rôle du parti communiste.

En ce qui concerne la dictature du prolétariat, Lénine s’exprime ainsi :

 

« Le concept scientifique de la dictature ne signifie pas autre chose qu’une autorité absolue, basée directement sur la force, exempte de toute espèce de discipline imposée par la loi et de toute règle... Dictature est synonyme de pouvoir illimité, appuyé sur la force et non pas sur le droit. Pendant la guerre civile, toute autorité victorieuse se réalise exclusivement en une dictature » (1).

« La dictature prolétaire est la guerre la plus intransigeante et la plus impitoyable de la nouvelle classe contre un ennemi plus fort : la bourgeoisie, dont l’opposition est dix fois plus intensifiée par son propre écroulement »... « La dictature du prolétariat est une lutte tenace, sanglante ou non sanglante, menée par la force ou par des moyens pacifiques, militaire et économique, pédagogique et administrative, contre les forces et les traditions de l’ancienne société » (2).

« Bref, la dictature du prolétariat est une autorité du prolétariat sur la bourgeoisie, non réglée par le droit et basée

 

(i) LÉNINE « Œuvres complètes » (en russe), vol. XXV, p. 441.

 

(2) Ibid. vol. XXV, pp. 173 et 190.

 

sur la force, qui jouit de la sympathie et de l’appui des masses des travailleurs exploités » (s).

« La dictature est réalisée par le prolétariat organisé en Conseils (des Soviets) sous la direction du parti communiste des bolchéviques » (2).

 

Toutes ces idées de Lénine, concernant la dictature du prolétariat, ont été et sont actuellement réalisées dans toute leur ampleur par Staline. Il les confirme, non seulement par les réalisations pratiques de son long gouvernement, mais aussi par la publication d’une infinité de discours basés sur ces théories du créateur défunt du bolchévisme.

La déclaration suivante de Staline définit clairement le rôle du parti communiste de l’Union Soviétique. À propos de cette question, dans le discours sur le projet de constitution, prononcé le 25 novembre 1936, Staline dit textuellement ce qui suit :

 

« Je dois avouer que le projet de la nouvelle Constitution maintient réellement en vigueur le régime de dictature de la classe ouvrière, tout comme il conserve immuable le rôle directif du parti communiste de l’U.R.S.S....

En ce qui concerne la liberté des divers partis politiques, nous avons les opinions un peu différentes (c’est-à-dire différentes des idées démocratiques – Note du trad.). Le Parti est une part de la classe, il en est la part directrice. Plusieurs partis, et donc aussi la liberté des partis, peuvent exister uniquement dans une société où il y a des classes antagonistes avec des intérêts opposés et absolument incompatibles ; où il y a, par exemple, les capitalistes et les ouvriers, les propriétaires fonciers et les paysans, les « Koulak » (ri-

 

(I) LÉNINE, « État et Révolution » (en polonais), p. 51.

 

(a) Ibid., p. 52.

 

 

ches paysans) et les gueux, etc. Dans l’U.R.S.S. cependant, il n’y a plus de classes comme les capitalistes, les propriétaires fonciers et les « koulak ». Dans l’U.R.S.S. il y a seulement deux classes : les ouvriers et les paysans, qui non seulement ne sont point en contraste, mais qui fraternisent, au contraire. Dans l’U.R.S.S. il n’y a donc pas de place pour l’existence de plusieurs partis ni, par conséquent, pour la liberté des partis.

Dans l’U.R.S.S. il n’y a de place que pour un seul parti, le parti communiste » (s)

 

Les principes qui soutiennent l’organisation intérieure du parti communiste sont bien loin du libéralisme et de la démocratie. Lénine a dit :

 

« ... En vérité presque tout le monde se rend compte à présent que le bolchévisme n’aurait guère pu se maintenir au pouvoir, non seulement pendant deux ans et demi, mais pas même pendant deux mois et demi, sans la plus sévère discipline, une vraie discipline de fer, à l’intérieur de notre parti » (a).

 

Il est notoire que Staline est devenu le réalisateur le plus fidèle et le plus intransigeant de ce principe de son maître. En définitive dans le parti tout-puissant, c’est la dictature personnelle de Staline, secrétaire du parti, qui règne, selon l’esprit de l’histoire russe. D’ailleurs le monde en était informé, car depuis la mort de Lénine il voyait en lui le tyran despote de la Russie, bien que jusqu’à la déclaration de la guerre en 1941 il n’exerçât que les fonc-

 

(i) STALINE, « Discours sur le projet de Constitution de l’U.R.S.S. (en russe).

 

(2) LÉNINE, « Œuvres complètes » (en russe), vol. XXV, p. 173.

 

tions de premier secrétaire du parti communiste des bolchéviques de l’U.R.S.S. Ceci est absolument conforme à la lettre et à l’esprit de la Constitution soviétique. Avec cette charge de secrétaire du parti, Staline était et est encore, à l’heure actuelle, dictateur de la Russie soviétique.

Nous devons donc conclure, d’une façon claire et indubitable, que dans le régime soviétique nul changement ne peut avoir d’importance aussi longtemps que l’État reste basé sur le principe de la dictature prolétaire et du pouvoir monopolisé dans les mains du parti communiste. Il faut au contraire affirmer qu’il n’est advenu, dans ce domaine, aucun changement et rien ne laisse supposer qu’il doive en arriver.

Il est donc clair, et il dérive de l’esprit même fanatique et intransigeant du parti, que son pouvoir tombera complètement ou bien qu’il ne tombera pas du tout. Le parti communiste en Russie ne peut guère devenir un parti entre plusieurs autres ; il ne partagera jamais le pouvoir avec personne.

Il est donc également évident que, aussi longtemps que le parti communiste gouvernera l’empire russe et décidera de sa politique à l’étranger, tout changement formel de la politique de Moscou par rapport à la religion n’a aucune valeur réelle. Les mêmes principes de la doctrine bolchévique et du programme du parti dont nous parlerons dans les chapitres suivants, resteront toujours en vigueur.

 

 

 

 

Chapitre II

 

La Dictature Prolétaire – Le Parti – L’Administration de la Justice

 

 

La justice soviétique est aussi un organe de l’État aux mains du parti, ayant pour but de lui conserver le pouvoir exclusif et de lutter contre tout ce qui pourrait menacer le régime de la dictature prolétaire.

« Le tribunal est un instrument du pouvoir, dans les mains du prolétariat et des paysans travailleurs. » Ce principe de l’administration de la justice russe, formulé en ces termes, se trouve affiché en gros caractères sur les parois des salles des tribunaux de l’Union Soviétique. Ce principe a été formulé dans la partie générale du code pénal de la manière suivante :

 

« La législation pénale de la R.S.F.S.R. (République Socialiste Soviétique Fédérée Russe) est chargée de défendre l’État socialiste des ouvriers et des paysans et d’y établir l’ordre juridique contre les actes socialement dangereux (crimes) en appliquant aux personnes qui ont commis les dits Crimes, les moyens de défense sociale, indiqués dans le présent code » (1).

 

(s) Code pénal de la R.S.F.S.R. (Publications juridiques du N. K. Ju.). Moscou 1941.

 

 

La législation soviétique a donc complètement abandonné, en faveur de la doctrine du contrôle de la classe ouvrière et paysanne, ainsi que du parti communiste, le principe de l’indépendance judiciaire en ce qui concerne l’administration de la justice. Le tribunal soviétique ne tente pas de découvrir la vérité objective, mais de « défendre l’État socialiste des ouvriers et des paysans ».

Ce principe est aussi déduit du fait de l’éligibilité ou mieux de la nomination du juge bolchévique. On élit, ou plutôt on nomme également, pour une certaine période, le juge de paix. Il ne faut pas en outre ignorer qu’on nomme aussi en qualité de juges les fonctionnaires du N.K.W.D., c’est-à-dire de l’organe de la police.

Pour bien comprendre le rôle de la justice bolchévique, il ne faut pas oublier que, en pratique, cette justice persécute en masse sur la plus grande échelle possible « les ennemis de la classe ». La coutume de la responsabilité collective et héréditaire a été affermie. L’N.K.W.D. procède à l’interrogatoire tendant à s’assurer à quelle classe sociale appartient l’accusé, quels sont ses parents, quel est son degré de culture et d’éducation. Le sort de l’accusé dépend en grande partie des réponses à ces questions. La responsabilité collective a été formellement introduite dans le Code pénal de l’U.R.S.S. à l’article n. 1 c :

 

« En cas de fuite ou de passage de la frontière par voie aérienne du militaire majeur, les membres de sa famille, s’ils l’ont aidé, de n’importe, quelle façon, dans la préparation et l’exécution de la trahison, ou même, si seulement ils en ont eu connaissance et n’en ont pas informé les autorités, sont punis par la privation de la liberté, durant une période de 5 à 10 ans, et par le séquestre de tous leurs biens. Les autres membres majeurs de la famille du traître qui habitaient avec lui ou qui, au moment de la consommation du crime, étaient maintenus par lui, sont privés des droits électoraux et déportés pour 5 ans dans les régions lointaines de la Sibérie. »

 

Dans l’Union Soviétique, lorsqu’il s’agit d’infliger la peine on ne fait exception ni pour les enfants ni pour la jeunesse. L’article 12 du troisième chapitre intitulé : « Les principes généraux de la politique pénale » décrète que :

 

« Les mineurs, ayant atteint l’âge de douze ans, accusés de vol, de stupre, de lésions corporelles, de mutilations, de meurtres, seront conduits devant le tribunal pénal et passibles de peines diverses. »

 

Dans les nations de l’Europe occidentale il n’est pas de code qui se permette de recourir à l’analogie dans l’application des lois pénales. Cela résulte de l’esprit du vieux principe romain : « Nullum crimen sine lege. »

L’analogie dans l’application des lois est permise à l’Occident seulement dans le code civil. L’Art. 16 du code pénal soviétique, spécifie, au contraire, que

 

« si un acte quelconque socialement dangereux n’est pas directement prévu par le code, le fondement et les limites de la responsabilité sont alors fixées par les articles du code qui prévoient le crime le plus analogue à cet acte ».

 

Cependant la principale caractéristique du code judiciaire bolchévique est due à l’existence d’une institution dont l’activité annihile complètement la portée de l’article 112 de la Constitution soviétique, d’après lequel « les juges sont indépendants et uniquement soumis à la loi ». Cette institution, qui est un organe spécial pour la sécurité de l’État de l’Union Soviétique, s’appelle Commissariat du Peuple des Affaires Civiles (N.K.W.D.), la célèbre troisième incarnation de la Tcheka.

Le Comité Central Exécutif de l’U.R.S.S. a conféré à l’N.K.W.D., comme précédemment à la G.P.U. (Bureau Politique Central), des pouvoirs judiciaires non constitutionnels, qui ont fait naître dans la Russie bolchévique une « justice extrajudiciaire » appliquée sur une large échelle – et bien plus importante que la justice prévue par la Constitution.

L’N.K.W.D. n’est tenu à aucune règle, mais il a le droit de décider habituellement de sa propre initiative, sans tenir compte des articles de la Constitution et du code pénal. Si un dossier doit être confié à la voie judiciaire, ou si on doit lire à l’accusé la sentence du « Ossoboje Sowiechtchanie » (« Osso » – Commission Spéciale), ou bien encore si on doit le supprimer dans les cellules de la prison, tout cela dépend de la tactique et de la politique en vigueur en ce temps-là. Il s’ensuit donc que selon le courant du moment on peut être, pour le même crime, une fois condamné à une peine modérée, et, une autre fois, fusillé.

Cette justice politique administrative appelée « Osso » est la preuve la plus évidente que c’est, non le droit formel, mais les principes du parti, réalisant la dictature du prolétariat, qui constituent le facteur décisif dans le régime soviétique.

Ce système judiciaire soviétique, appliqué à la religion, permet l’abolition complète du principe constitutionnel de la « liberté de pratiquer des cultes religieux » lorsque l’autorité politique le juge opportun. Cette autorité traite alors sans obstacle « l’exercice du culte » comme une propagande religieuse défendue, c’est-à-dire comme un crime contre-révolutionnaire. De cette façon le régime soviétique concède au parti la liberté absolue de mener la lutte contre la religion, par l’intermédiaire des autorités gouvernementales d’après la ligne générale de la conduite politique.

 

 

 

 

Chapitre III

 

Attitude de l’État et du Parti vis-à-vis

de la Religion

 

 

L’attitude de l’État vis-à-vis de la religion se base théoriquement et légalement sur les principes établis par Lénine. Ils trouvent leur expression aussi dans la Constitution de 1936 dite « Stalinienne », qui est encore à présent en vigueur dans l’U.R.S.S. L’article 124 confirme la séparation de l’Église de l’État et de l’école de l’Église, et statue aussi bien la liberté de la religion que de la propagande antireligieuse. L’article est formulé de la façon suivante :

 

« Afin d’assurer aux citoyens la liberté de conscience, l’Église, dans l’U.R.S.S., est séparée de l’État et l’école de l’Église. La liberté d’exercer les cultes religieux et la liberté de la propagande antireligieuse sont accordées à tous les citoyens. »

 

Cette disposition de la constitution trouve une annexe et un corollaire dans le code pénal. Une attention toute particulière est réservée aux crimes commis contre l’athéisme dans l’école :

 

Art. 122 – « L’enseignement de la doctrine religieuse aux enfants et aux mineurs dans les instituts d’instruction publique et privée et dans les écoles, ou bien la violation des-

 

dispositions émanées dans ce but sont passibles de travaux correctionnels jusqu’à un an. »

Art. 126 – L’exercice des rites religieux, dans les instituts de l’État, les instituts sociaux et dans les entreprises, ainsi que l’exposition d’images religieuses dans ces instituts et entreprises, sont passibles de travaux correctionnels pouvant durer trois mois... »

 

Comme on le sait, la durée des peines pour ce genre de crimes « contre-révolutionnaires », en pratique, est sujette à un prolongement considérable et souvent indéfini.

L’examen de l’article 124, concernant la religion, nous montre une distinction subtile mais évidente entre la « liberté d’exercice des cultes religieux » et « la liberté de propagande antireligieuse ». À ceux qui professent une religion, seul l’exercice passif du culte est accordé, tandis que le droit d’une attitude active et offensive, dérivant de la liberté de la propagande antireligieuse, est reconnu aux adversaires de la religion. Ces différences sont accentuées par les susdits articles du code pénal et par toute la pratique de la vie soviétique dont le facteur décisif, le parti s’appuyant sur les dispositions de la Constitution, a mené sans le moindre égard, durant de longues années, en se servant de la collaboration des organes de l’État, une lutte d’extermination contre toutes les religions.

Que la différence entre la « liberté de pratique des cultes religieux » et « la liberté de propagande antireligieuse » soit essentielle et qu’elle dérive de la consciente intention du législateur soviétique, cela est prouvé par les textes des dispositions analogues de quelques républiques soviétiques, de l’époque antérieure à la constitution « Stalinienne » de l’U.R.S.S., de 1936.

Ainsi les républiques arménienne, géorgienne, blanche-ruthène, dans leurs Constitutions de 1927, et l’azarbeigienne dans sa Constitution de 1932, reconnaissent « la liberté de propagande religieuse » et « antireligieuse » (1).

C’est donc certainement avec intention et expressément que plus tard la Constitution postérieure stalinienne de l’U.R.S.S. en 1936 réduit ainsi l’étendue des droits de la religion en comparaison de ceux de l’athéisme, établissant la différence entre « liberté de pratique des cultes religieux » et « liberté de propagande antireligieuse ».

Est-ce peut-être à cause de ces formules variées que, dans les diverses régions de l’Union Soviétique, l’attitude de l’État est différente à l’égard de la religion ?

La réponse à cette question se trouve dans les articles 19 et 20 de la Constitution de l’Union, en vigueur depuis 1936 :

 

Art. 19 – « Les lois de l’U.R.S.S. sont appliquées pareillement dans toutes les républiques de l’Union. »

Art. 20 – « En cas d’une différence existant entre la loi de l’U.R.S.S. et la loi d’une république, la loi de l’Union prévaut. »

 

Le principe de la séparation de l’Église et de l’État contenu dans l’article 124 mérite aussi un commentaire spécial. Ce qu’il y avait encore de la hiérarchie orthodoxe en Russie soviétique, représentée, jusqu’à il y a peu de temps,

 

 

(1) MGR. WALERJAN MEYSZTOWIGZ, « La religion dans les Constitutions des États modernes », pp. 464-467.

 

 

 

par le métropolite, et, ensuite, patriarche de Moscou, Serge, récemment décédé, non seulement ne fut pas « séparé » de l’État, mais resta, au contraire, on le sait, sous la plus stricte dépendance du gouvernement soviétique.

Cette situation met en évidence un exemple typique du mensonge soviétique et le caractère fictif des lois soviétiques. Séparer l’Église de l’État fut le mot d’ordre essentiel de la propagande communiste ; il devint ensuite le Principe de la Constitution soviétique. En pratique, au contraire, la hiérarchie religieuse, tolérée après la suppression et l’extermination des hommes indépendants, devint un organe inerte de l’autorité de l’État, incapable de se défendre contre la propagande des « sans-Dieu » et de protester contre l’athéisme, en tant que directive officielle du gouvernement.

L’attitude du parti communiste des bolchéviques envers la religion est chose notoire. On sait que le programme de ce parti se base sur la conception athéiste du matérialisme historique et dialectique. La doctrine du matérialisme philosophique est, par excellence, la négation de Dieu, de la création et de tous les concepts religieux, de ceux de toutes les religions existant sur la terre. Si la matière est considérée comme le commencement et l’essence de tous les phénomènes, il n’y a pas de place pour l’élément spirituel comme élément premier, indépendant, et directif, base de toute pensée religieuse.

Et ainsi Lénine, en développant la pensée matérialiste par rapport à la religion, écrit :

 

« La religion est l’opium du peuple – cette sentence de Marx constitue la pierre angulaire de la philosophie marxiste en ce qui concerne le problème religieux. Toutes les religions contemporaines et les Églises et toutes les organisations religieuses sont partout considérées par le marxisme comme des instruments de la réaction bourgeoise, qui servent pour sa défense et pour l’épuisement et l’hébétement de la classe ouvrière » (1).

 

La lutte contre toutes les religions, contre la piété comme telle, contre l’esprit religieux, est la conséquence évidente d’un tel point de vue.

Aucun changement n’a eu lieu, sur ce point, dans le programme bolchévique. Il suffit de citer par exemple que, malgré diverses manœuvres officielles du gouvernement soviétique et d’autres manifestations propagandistes pour l’étranger, dernièrement, en 1944, sur le territoire du premier pays libéré de l’occupation allemande, c’est-à-dire de l’Italie, le parti communiste italien a fait paraître, en langue italienne, sans aucun changement, toutes ses principales publications au sujet de la doctrine matérialiste.

Par exemple, Staline, « Matérialisme dialectique et matérialisme historique » (éd. par le Parti Communiste Italien, Naples 1944) ; Staline, Kalinine, Molotov, Kaganowicz, Mikoyan, Zdanov, Beria, « Histoire du Parti Communiste (bolchévique) de l’U.R.S.S. » (Naples, Riccardo Ricciardi) ; Staline, « Principes du léninisme » (Macchiaroli).

Dans toutes ces publications la philosophie athée et ma-

 

(i) Em. JAROSLAWSKI, « Pensées de Lénine sur la religion ». Moscou 1924, p. 21.

 

 

térialiste du communisme est traitée sans aucune modification.

La vraie mission de lutte contre la religion, selon les principes bolchévistes, appartient au parti qui conduit la lutte des classes contre le régime capitaliste ainsi que la propagande athée d’après la tactique établie.

Les principes et les méthodes dont nous avons parlé plus haut, une fois établis par Lénine, furent appliqués pendant les 25 ans du gouvernement soviétique avec toutes leurs conséquences ; ils restent encore en vigueur à présent, avec la seule modification que, pour la lutte contre la religion, on s’est servi autant du mécanisme de l’État que du terrorisme dont il sera parlé plus longuement ailleurs. Staline lui-même n’a rien supprimé ni rien ajouté : il est resté le plus fidèle disciple du créateur de l’idée bolchévique, dans la question religieuse.

Cette ligne de conduite du successeur de Lénine est prouvée tant par sa politique que par ses déclarations explicites. Staline, lors de son entrevue du 9 septembre 1928, avec la délégation des ouvriers américains, a exprimé exactement et fidèlement les idées de Lénine quant à la religion. Seize ans se sont écoulés depuis, mais les thèses d’alors étaient encore en vigueur 10 ans plus tard, puisque l’interview a été publié dans les « Problèmes du léninisme » (édition de 1938). Même à présent, dans la politique réelle de l’U.R.S.S., ces thèses sont en vigueur et elles en constitueront, également pour l’avenir, la ligne de conduite, vu qu’elles dérivent des principes idéologiques de la doctrine.

Voici, dans cette interview, la partie concernant la religion :

 

Question : Nous savons que certains bons communistes ne sont guère complètement d’accord avec l’exigence du parti qui veut que tous les nouveaux membres soient athées ou bien que le clergé réactionnaire soit maintenant opprimé. Le parti communiste ne pourrait-il pas, à l’avenir, être neutre à l’égard de la religion, laquelle soutiendrait intégralement les sciences et ne s’opposerait pas au communisme ? Ne pourriez-vous peut-être consentir aux membres du parti de conserver leurs croyances religieuses, si celles-ci ne sont pas en désaccord avec la loyauté du parti ?

Staline : Il y a dans cette question quelque inexactitude. En premier lieu, je ne connais pas ces « bons communistes » dont la délégation parle ici. Existe-t-il en réalité de pareils communistes ? En second lieu, je dois déclarer, pour parler formellement, que chez nous il n’y a point de conditions d’admission au parti, imposant un athéisme obligatoire à celui qui demande à devenir membre du parti. Nos conditions d’admission au parti sont : l’acceptation du programme du parti et de son statut ; l’obéissance sans conditions aux décisions du parti et de ses organes ; la contribution des membres, l’inscription à l’une des organisations du parti.

Un des membres de la délégation : Je lis fréquemment que ceux qui croient en Dieu sont exclus du parti.

Staline : Je ne puis que répéter ce que j’ai dit quant à l’admission au parti. Il n’existe pas de notre part d’autres conditions.

Cela signifie peut-être que le parti est neutre à l’égard de la religion ? Erreur, il n’en est pas ainsi. Nous développons et continuerons à développer la propagande contre les préjugés de la religion. La législation de l’État permet que chaque citoyen ait le droit de professer la religion qu’il veut. C’est une question de conscience. C’est précisément à cet effet que nous avons séparé l’Église de l’État ; mais en faisant cette séparation de l’Église et de l’État et en proclamant la liberté du culte, nous avons à la fois assuré à chaque citoyen le droit de combattre par la persuasion, par la propagande et l’agitation telle ou telle autre religion, n’importe quelle religion. Le parti ne peut pas être neutre vis-à-vis de la religion ; il mène une propagande antireligieuse contre tout préjugé religieux, vu qu’il se base sur la science, tandis que les préjugés religieux vont contre la science, toute religion étant quelque chose de contraire à la science. Des cas comme ceux qui se sont vérifiés en Amérique, où récemment les partisans de Darwin ont été condamnés, sont impossibles chez nous, car le parti professe une politique qui appuie complètement la science. Le parti ne peut pas être neutre envers les préjugés religieux et il continuera la propagande contre ces préjugés vu que c’est un des principaux moyens pour extirper les influences du clergé réactionnaire qui soutient les classes exploiteuses et qui proclame l’obéissance à ces classes. Le parti ne peut pas être neutre vis-à-vis de ceux qui représentent les préjugés religieux, envers le clergé réactionnaire qui empoisonne la conscience de masses ouvrières. Avons-nous peut-être opprimé le clergé réactionnaire ? Oui, nous l’avons opprimé. Le mal est qu’on ne l’ait pas encore complètement supprimé. La propagande antireligieuse est le moyen qui doit conduire à bon terme la liquidation du clergé réactionnaire. Il y a des cas dans lesquels un des membres du parti entrave parfois le complet développement de la propagande antireligieuse. Si de tels membres sont éliminés, c’est un bien, car pour les « communistes de ce genre » il n’y a pas de place dans notre parti » (i).

 

(I) STALINE, « Problèmes du léninisme » (en russe), p. 192.

 

 

 

 

 

 

 

Chapitre IV

 

La méthode bolchévique de lutte contre la religion

 

 

a) La théorie

 

La doctrine bolchévique et Lénine en particulier, en se rapportant plusieurs fois aux énonciations de Marx et de Engels, ont élaboré, pour la lutte contre la religion, une méthode minutieuse, étroitement liée à l’idée matérialiste générale des lois de la vie et de la nature des phénomènes. Ce concept, considérant la vie spirituelle comme une manifestation secondaire vis-à-vis des manifestations matérielles et extérieures, formule la thèse connue, à savoir que la conscience est définie par l’existence et par les rapports sociaux et, d’une façon particulière, par le facteur économique de ces rapports comme étant le plus important.

Lénine déduit de ce principe que la lutte contre la religion devrait avant tout tendre à briser le système économique social, dans lequel se trouve – selon la doctrine matérialiste – la racine de la religion. Ce système économico-social, dont la religion dériverait, est le système capitaliste. La lutte contre la religion doit donc avoir comme but principal, et de primordiale importance, celui de couper les racines de la religion, c’est-à-dire d’abattre le système capitaliste. De cette façon, la disparition de la religion deviendra seulement une conséquence naturelle de la victoire fondamentale.

 

« La peur a créé les dieux », écrit Lénine, et il ajoute : « La peur de la force aveugle du capital, qui est aveugle, car, à travers elle, la voix de la masse ne peut pénétrer, à chaque pas du prolétariat et du petit propriétaire, menace de lui apporter une destruction « soudaine », « inopinée », « fortuite », un anéantissement, une métamorphose en « rien », d’en faire un gueux, une prostituée, elle menace de le faire mourir de faim ; voilà la racine de la religion contemporaine que le matérialiste doit considérer avant tout, s’il ne veut se contenter d’être un matérialiste de première élémentaire. Aucun livre instructif ne sera à même d’extirper la religion des masses soumises aux galères capitalistes, dépendant des forces aveugles et destructives du capitalisme, jusqu’à ce que ces forces n’aient appris à lutter en commun, d’une façon organisée, systématique et consciente, contre cette racine de la religion, contre la domination du capitalisme dans toutes ses manifestations » (i).

 

Lénine, s’appuyant sur cette théorie, et suivant Engels, s’opposait à commencer la lutte contre la religion par la propagande athée et à considérer cette propagande comme l’agent principal de la lutte. Il estimait une telle méthode, proclamée par les anarchistes et par certaines fractions du socialisme, comme un préjugé idéaliste bourgeois. Selon Lénine, seul celui qui considère le monde des idées et des concepts comme facteur indépendant et principal est à

 

(s) EM. JAROSLAWSKI, « Pensées de Lénine sur la religion » (en russe), p. 25.

 

même d’établir un pareil plan de lutte contre la religion. Un vrai matérialiste ne commettrait point cette erreur à moins qu’il ne fût bien peu instruit de la doctrine, qu’il ne fût un marxiste de première élémentaire.

D’après les théories de Lénine, traduites en langage pratique, il ne faut pas commencer l’œuvre de conversion de l’ouvrier par la propagande antireligieuse, car, dans les premiers temps, elle serait inefficace et elle introduirait la discorde entre les travailleurs en minant le front commun et homogène de la classe. Il faut commencer par former une conscience de classe parmi les ouvriers et par susciter en eux la haine contre les capitalistes exploiteurs : selon Lénine, le monde des idées religieuses croulera alors facilement, en même temps que le régime capitaliste.

 

« En proclamant la lutte contre Dieu pour la vie et pour la mort – lisons-nous dans Lénine – l’anarchiste aiderait, au fond les popes (prêtres orthodoxes) et la bourgeoisie... Le marxiste doit être matérialiste, ce qui veut dire ennemi de la religion, mais, matérialiste dialectique, qui mène la lutte contre la religion, non pas d’une façon abstraite ni théorique, non pas sur la base purement théorique d’une utopie abstraite, mais, d’une manière concrète, en ayant comme base la lutte des classes qui se déroule actuellement, et qui élève les classes plus et mieux que toute autre chose » (1).

« Nous devons lutter contre la religion. Ceci est l’alphabet de chaque matérialisme et par conséquent du marxisme. Mais le marxisme n’est pas un matérialisme qui s’arrête à l’ABC. Le marxisme va au delà. Il dit : il faut savoir lutter contre la religion, et, à cet effet, il faut donner

 

(i) Ibid., p. 18.

 

aux masses l’explication matérialiste de la source de la foi et de la religion. On ne doit pas limiter la lutte contre la religion, d’une manière abstraite, à une propagande idéologique, ni la réduire à une propagande de cette espèce ; il faut que cette lutte marche d’accord avec une pratique concrète du mouvement des classes, ayant pour mobile l’élimination des racines sociales de la religion. Pourquoi la religion se maintient-elle dans les milieux ignorants du prolétariat des villes, dans de vastes cercles du demi-prolétariat et aussi dans ceux des paysans ignorants ? – À cause de l’ignorance du peuple, répond un progressiste bourgeois, ou un radical ou un matérialiste bourgeois. Donc, à bas la religion et vive l’athéisme ! Notre mission principale est de répandre des idées athées.

Un marxiste dit : Ce n’est pas vrai. Une opinion semblable dérive d’une « culture » superficielle et bourgeoise. Un pareil point de vue explique les fondements de la religion d’une façon qui n’est pas assez profonde, d’une manière non matérialiste, mais idéaliste. Dans les États modernes, capitalistes, les racines de la religion sont principalement sociales. L’oppression sociale des masses ouvrières, leur évidente et totale impuissance vis-à-vis des forces aveugles du capitalisme, lequel procure quotidiennement à la masse moyenne des ouvriers des peines et des tortures, mille fois plus grandes, plus terribles et plus cruelles que toutes les manifestations de quelque calamité que ce soit, comme les guerres, les tremblements de terre, etc., voilà la racine la plus profonde de la religion contemporaine » (t).

 

Cela ne signifie pas que Lénine répudiât en général la nécessité de la propagande antireligieuse. Seulement, il ne faut pas, selon lui, la placer en première ligne dans l’action : il ne faut point la présenter comme la chose la

 

(1) Ibid., p. 28.

 

plus importante, et ne pas s’approcher par son moyen des ouvriers chez lesquels la conscience de classe n’est point éveillée et la volonté de la lutte des classes pas encore formée.

La propagande antireligieuse devrait être subordonnée à la lutte des classes et non vice versa (i).

Il est donc nécessaire que cette propagande soit déployée dans les limites indiquées et il est indispensable d’accomplir ce travail lorsque la racine capitaliste – la « sous-structure » matérielle, c’est-à-dire le régime capitaliste – sera extirpé ; il s’agira seulement après d’éliminer la « superstructure » religieuse, c’est-à-dire les croyances et les idées (2).

En analysant les idées de Lénine concernant la religion, il ne faut pas négliger son attitude vis-à-vis de l’idée d’élever la religion à un niveau supérieur et de faire renaître le mouvement religieux. Dans cette attitude son point de vue sur la religion, essentiellement et implacablement négatif, s’exprime de la meilleure façon. Ainsi Lénine, comme il est du reste notoire, emprunte ses idées athées à Marx et à Feuerbach, et adresse à ce dernier, en imitant Engels, des accusations caractéristiques. Il accuse Feuerbach d’avoir lutté contre la religion non point pour la détruire, mais pour la faire renaître et l’élever à un niveau supérieur, ce qui ne s’accorde nullement avec la logique d’un matérialiste.

Selon Lénine, un matérialiste parfait préfère une religion défectueuse, superstitieuse et superficielle, car il est plus aisé de la railler et de l’extirper de l’âme humaine.

 

(i) Ibid., p. 25.

 

(2) Ibid., p. 58.

 

Cette idée fut, entre autres, explicitement formulée par Lénine, dans ses lettres à Gorki dans lesquelles il exprima une crainte particulière au sujet du cas « où la religion niaise des « popes » à laquelle les masses tournent le dos, viendrait à être remplacée par une autre, plus fine, que le prolétariat ne pourrait pas aisément digérer » (I).

 

 

* * *

 

 

D’après les textes officiels et compétents, la doctrine bolchévique, par rapport à la religion, se résume dans les points suivants :

1) Le but du bolchévisme consiste dans la destruction de l’esprit religieux et de toutes les religions existant dans le monde.

2) Il regarde avec plus de condescendance le sentiment religieux superficiel ou bigot, lequel constitue l’affirmation de ses théories sur la religion, facilite la propagande athée et est facile à étouffer ; il considère, par contre, comme un véritable ennemi, la foi vive et profonde des hommes de culture supérieure.

3) Considérant le capitalisme comme « la racine » de la religion, la doctrine bolchévique juge que la lutte des classes contre le régime capitaliste est la voie la meilleure pour combattre la religion.

4) La propagande athée devrait être subordonnée à la lutte des classes et non vice versa.

 

 

(i) Ibid., p. 58.

 

5) En désignant à l’athéisme le poste d’avant-garde dans l’action, on peut susciter, dans les phases initiales de la lutte des classes, des dissentiments indésirables parmi les masses ouvrières et rendre plus difficile la formation de leur conscience au sujet de la lutte des classes, ce qui est la tâche préliminaire et de première importance.

6) Cette observation a une grande valeur surtout dans les rapports avec l’étranger, où le régime communiste n’existe pas.

7) L’État doit être neutre en ce qui concerne les problèmes religieux.

8) La mission de la lutte contre la religion regarde le parti.

9) Vu que dans l’U.R.S.S. le parti exerce la dictature, l’objectivité et la tolérance religieuse de la Constitution sont une fiction.

10) L’école est le terrain principal d’éducation de l’esprit athée.

La doctrine contenue dans les points exposés ci-dessus explique, d’une façon claire et sûre, la phase actuelle de la tactique du bolchévisme par rapport à la religion. On peut également affirmer que cette phase dérive parfaitement de la doctrine et a été prévue d’avance par elle. Un chapitre à part traitera la question.

 

 

b) La pratique (1)

 

 

Le parti communiste en Russie, s’appuyant sur la théorie de la lutte contre les religions, comme on l’a dit plus haut, la conduit en conséquence depuis des années sur le territoire de l’U.R.S.S. Cette lutte notoire avance par voies et directives diverses, choisies selon ce que requièrent la situation ou la tactique.

La ligne générale de la lutte contre l’esprit religieux reste toujours la même :

1) Lutte politique et de propagande, du parti qui tient en tout le pouvoir.

2) Organisations spéciales, créées par le parti, ayant pour but la propagande antireligieuse autorisée par la Constitution. La littérature athée, la propagande orale, les musées antireligieux, dont la plupart sont placés dans les anciennes églises et dans les lieux sacrés, en font partie.

3) Les vestiges de l’Église orthodoxe, restée en une étroite dépendance du gouvernement soviétique, instrument évident de ce dernier (contrairement au principe de la constitution) joue, à n’en pas douter, le rôle de cette « inoffensive » et sotte religion des « popes » dont l’existence est recommandée par Lénine.

4) Des appuis transitoires et périodiques à l’Église vivante et aux diverses sectes ayant pour but de dissoudre les traditions et les besoins religieux de la société, de provoquer dans ce champ le chaos et de bafouer la foi comme

 

 

(i) La IIe Partie de ce livre intitulée « La réalité soviétique » contient une série de faits que nous avons rencontrés et qui illustrent cette réalité.

 

 

un préjugé. Les sectes, après avoir accompli leur mission, furent ultérieurement, déjà avant la guerre de 1939, complètement exterminées par le gouvernement soviétique sous le prétexte qu’elles étaient des foyers d’espionnage et de contre-révolution.

5) La propagande athée à l’école, poursuivie avec un zèle particulier, et la religion représentée à la jeunesse, comme un préjugé contraire à la science.

6) Les chicanes financières qui rendent impossible l’entretien des églises.

7) Les chicanes juridiques consistant dans le fait que quiconque, par sa foi plus profonde et sérieuse, crée autour de lui une atmosphère d’attraction, soit immédiatement considéré comme un « propagandiste religieux » et emprisonné au titre de Contre-révolutionnaire. Ces cas sont jugés normalement par contumace par l’« Osso », c’est-à-dire par le tribunal administratif politique.

8) La création, avant tout, parmi la jeune génération des « komsomolec », du fanatisme athée bolchévique, remplaçant la religion.

 

 

 

 

 

 

Chapitre V

 

Le Bolchévisme et la Famille

 

 

Outre les dispositions et les manifestations des autorités bolchéviques concernant directement la vie religieuse, beaucoup de changements qui sont advenus en Russie devraient prouver que la nouvelle attitude des bolchéviques envers la religion et les principes de la vie sociale basée sur elle, est profonde et réelle.

Durant les premiers mois de la guerre germano-bolchévique, la possibilité de divorcer et de se séparer fut de nouveau limitée ; plus tard, semble-t-il, dans l’enseignement, les écoles mixtes furent supprimées. La plupart de ces dispositions furent publiées bien avant que n’eussent lieu les changements formels dans la conduite vis-à-vis des problèmes religieux.

On eût pu croire que toutes les dispositions susdites eussent une tendance à renforcer la vie de famille, à rendre à la famille son caractère de cellule fondamentale de la société, et à abolir la perversion en masse de la vie sexuelle en s’appuyant de nouveau sur la moralité religieuse. En réalité la question se présente bien autrement.

Sans aucun doute et indiscutablement, les motifs de ces changements, qui du reste ne sont pas les premiers dans la politique démographique bolchévique, doivent être recherchés dans la menace d’une catastrophe démographique, dans le danger de la dégénérescence et de l’épuisement des forces vitales de la nation. Les motifs sont donc de nature matérialiste et dérivent des intérêts menacés de la collectivité.

L’excédent naturel de la Russie bolchévique, d’après les statistiques officielles de Moscou, était très élevé avant la guerre. Le contact direct avec la réalité bolchévique nous permet de douter de l’authenticité dés données statistiques et de toute façon il nous permet d’affirmer que la disparition de cet excédent, si elle n’a pas produit un effet immédiat sur les chiffres, a certainement abrégé de beaucoup la période de l’effort créatif des individus. Outre les principes idéologiques généraux du bolchévisme et la destruction de la famille, cet état de choses est le résultat des causes suivantes :

 

1) Les périodes de famine à la suite de la guerre civile et de la première phase de la révolution, et puis le résultat des expérimentations tendant à transformer la structure sociale et en premier lien la structure agraire.

2) L’extinction de la vitalité des jeunes et des vieilles générations par le système désastreux du travail à forfait (mouvement dit « stachanien » ou « krivonosien ») et, tout à la fois, les mauvaises conditions d’alimentation et d’habitation.

3) Le très précoce développement sexuel dans les jeunes et très jeunes générations, qui, sans le frein moral de la religion, trouvent dans les écoles mixtes des conditions favorables à la perversion.

4) Les milliers et milliers d’enfants qui se trouvent sur le pavé et pour lesquels nul orphelinat, asile, quartier d’habitation commune, ou toute autre institution dite d’éducation publique, ne peut remplacer les soins que l’on a dans la famille. Ces enfants se sont transformés en bandes de vagabonds et de délinquants. Aujourd’hui il existe dans les prisons bolchéviques des sections spéciales pour les criminels mineurs, qui sont la terreur de la société.

5) Les migrations forcées d’énormes masses de population, des centres relativement civilisés, dans des lieux de l’Asie centrale et de la Sibérie où les conditions de vie sont fort primitives, ainsi que le changement radical des conditions atmosphériques qui en dérive, ont provoqué la diminution de la capacité génératrice de cette population et la grande mortalité des enfants.

6) Les réclusions de dizaines de millions d’hommes, de femmes et de jeunes gens dans les camps de concentration leur ont enlevé, pour de longues années et peut-être même pour toujours, la possibilité de créer une vie de famille en provoquant des symptômes de dégénération en masse. Il faut se rappeler qu’à l’époque des tsars, la déportation, en Sibérie ou dans l’Asie centrale, en la majeure partie des cas, n’empêchait pas les déportés de continuer la vie de famille, vu que les familles suivaient les déportés ; la justice bolchévique exclut en principe cette possibilité et la déportation, en général, est accompagnée du complet isolement de la famille, et de sa destruction.

 

Cet ensemble de facteurs, d’après l’avis même des Russes et d’après l’expérience des déportés de diverses nationalités (depuis 1939 jusqu’à ce jour) a eu pour conséquence que les nouvelles générations russes sont menacées du danger d’extinction de la vitalité. La guerre dans laquelle les individus les plus sains et les plus valeureux meurent généralement a accru encore cette menace de catastrophe démographique.

Les bolchéviques eux-mêmes ne nient point que ceci soit un aspect négatif de la révolution, mais ils se consolent en le considérant comme transitoire.

Il faut, selon eux, pour la formation et l’affirmation de la morale antireligieuse bolchévique, reconstruire toute la chaîne des institutions d’éducation publique et élever le niveau des mœurs. Jusqu’à présent la période vécue par le bolchévisme a été une période de création de la force armée du prolétariat, au prix d’énormes sacrifices et notamment de la ruine de la vie et de la santé de dizaines de millions d’hommes.

Lorsque les résultats de ces « sacrifices » commencèrent à prendre le caractère d’une catastrophe sociale, on dut recourir à des remèdes. On procéda, non par la voie d’un retour sincère à la moralité religieuse, mais par la voie d’un ordre juridique formel, plus rigoureux, remettant de cette manière la catastrophe et la solution définitive de tout le problème à la fin de la guerre et à la victoire complète de la révolution mondiale prolétaire, quand on pourra pleinement, pense-t-on, réaliser une reconstruction sociale basée sur la moralité athée bolchévique.

Rien ne laisse supposer que, par ces nouvelles directives dans la politique démographique, le bolchévisme ait abandonné le principe de la subordination absolue de l’individu aux intérêts de la dictature prolétaire. Rien ne prouve que le bolchévisme ait désapprouvé le postulat du renoncement aux affections individuelles, postulat exprimé dans le vulgaire dicton dont les bolchéviques font usage : « Tu avais une femme ici, tu en auras une autre ailleurs. »

 

 

 

Chapitre VI

 

Le Bolchévisme : pseudo-religion

 

1. – Introduction

 

Le communisme athée de la Russie ne s’est pas limité à l’œuvre de destruction de toutes les religions dans son territoire, et, d’une façon particulière, de la religion chrétienne. Le tableau spirituel du phénomène du « bolchévisme » ne serait pas complet si l’on ne mentionnait la force créée par celui-ci pour remplacer la religion et mobiliser les éléments psychiques de l’homme qui sont généralement dominés par la religion. La haine de l’Eurasie envers la civilisation européenne s’est révélée dans la répudiation de la chrétienté ; les éléments séculaires de la civilisation mongole des steppes, civilisation dévastatrice et impérialiste, se sont exprimés dans le fanatisme bolchévique (I).

En exterminant la religion dans l’âme du peuple russe et des autres peuples occupant les territoires illimités de l’U.R.S.S., le bolchévisme leur inculquait, en même temps, à la place de la religion, sa nouvelle foi matérialiste et

 

 

(I) NICOLAS BERDIAEV, « Le sens et les prémisses du communisme russe », traduction de l’édition italienne, p. 175 : « La révolution russe renferme en elle-même les caractères typiques de chaque révolution et est en même temps une révolution exceptionnelle, née d’un procès historique tout-à-fait russe et du caractère unique de l’intelligentzia. »

 

 

 

athée. Les bolchéviques le faisaient avec leur fanatisme caractéristique et sans égards. Un procédé fort intéressant se créa de cette façon, à la suite duquel le courant intellectuel bolchévique, ennemi de toutes les religions, commença à jouer le rôle d’une pseudo-religion, tendant à réunir, à travers le parti communiste, tous les peuples de l’U.R.S.S. en une commune marche vers la destruction du monde européen. C’est ainsi que le communisme athée, voulant dominer l’homme, dut prendre en considération – malgré ses principes matérialistes – l’inné et indestructible besoin de foi et de religion enraciné dans l’âme humaine (i).

Il vaut la peine d’examiner ce procédé et d’en analyser les points principaux.

 

 

2. – Le Christianisme russe – Le pseudo-mysticisme et impérialisme des Russes

 

Des éléments d’un pseudo-mysticisme et le sentiment d’une grande mission devant être accomplie dans le monde par le peuple russe sont inhérents et se sont toujours

 

 

(1) Ibid., p. 159 : « Le problème du pouvoir reste fondamental pour Lénine, les autres sont tous secondaires ; et voici le point qui distingue les bolchéviques parmi les révolutionnaires : ils ont créé un État policier, dont le genre d’administration est très semblable à celui d’autres temps. Afin d’asservir les masses ouvrières et paysannes, afin d’organiser le pouvoir, il était nécessaire de posséder un autre organe en dehors de la force seule, de la seule constriction, il fallait avoir une doctrine homogène, une conception homogène du monde, des symboles expérimentés. Le peuple était soutenu dans le règne de Moscou et dans l’Empire par l’unité des croyances religieuses ; une foi nouvelle et unique destinée aux masses populaires doit se traduire par des symboles élémentaires : le marxisme transformé à la russe semble correspondre complètement à ces conditions. »

 

 

faits sentir dans l’âme russe. Ces éléments, cherchant, pour eux, une formule, une issue et la voie de la réalisation, s’unirent – comme il arrive souvent – avec l’élémentaire et caractéristique impérialisme russe. Ces tendances étaient bien connues de la littérature européenne philosophique, politique et plaisante, du XIXe siècle. Elles suscitèrent en Occident, non seulement un vif intérêt, mais souvent même de l’inquiétude. Le célèbre historien français, Michelet, écrivait : « La plus terrible caractéristique du tsarisme est qu’il est une sorte de religion. » L’on se rendait alors déjà compte aussi que l’expansion russe, basée sur une grande puissance numérique et une culture différente, pouvait devenir un facteur menaçant pour les peuples européens, pour ce monde que les Russes aimaient à appeler d’un ton méprisant et avec un air de supériorité : « l’Occident pourri ». En même temps les puissances qui avaient de vastes intérêts vitaux en Asie, dans le proche et lointain Orient, dans les Indes et en Chine, ne pouvaient regarder avec indifférence les plans de l’impérialisme russe concernant ces territoires.

Depuis l’époque de Pierre le Grand, la Russie fonda son progrès et son développement sur les éléments de la civilisation européenne importés et déjà imposés par la force à la société russe par le tsar réformateur. L’« Européisation » de la Russie ne s’accomplit cependant pas totalement : elle ne donna que des résultats partiels. Elle produisit plutôt des fruits empoisonnés, déforma l’évolution naturelle et imprima une fente profonde dans l’âme russe.

Les milieux dirigeants russes d’avant-garde, les esprits plus élevés et plus profonds du monde intellectuel russe du XIXe siècle émergeaient et se perdaient dans les concepts anarchistes ou nihilistes (« Ne pas résister au mal » et « Pire c’est, mieux cela vaut »). Bakounine, Léon Tolstoï, voilà les principaux personnages représentant ce désespoir et le sens de l’égarement de l’esprit abstrait russe. Cette idéologie désarmait intérieurement les milieux dirigeants de la Russie « européisés » depuis l’époque de Pierre le Grand. Les réserves du pseudo-mysticisme, contenues dans l’âme russe, s’épuisaient sans avantage dans ces idéologies abstraites et pleines de contradictions.

Le Russe ne savait pas concilier la liberté chrétienne et la dignité personnelle avec la hiérarchie et l’ordre social, l’aspiration à la perfection et à l’idéal surnaturel avec la réalité quotidienne et la faiblesse de la nature humaine. L’âme russe, toujours hésitante entre l’abus anarchique de la liberté et l’avilissement servile aux pieds du despote, s’effrayait d’une façon barbare des contrastes entre le mal et le bien, entré l’idéal et la vie. Incapable de se modérer, d’unir le réalisme de la vie avec les aspirations vers l’idéal de la perfection, de concevoir la pluralité des phénomènes dans un ensemble riche de variété mais harmonieux, l’âme russe, assujettie aux principes chrétiens représentés par l’orthodoxie, passait d’un extrême à l’autre, se perdait en contradictions et subissait une décomposition intérieure. La Russie chrétienne devait certainement cette construction psychique, hésitante et non coordonnée, à ce fait qu’elle tenait son christianisme de Byzance et non de Rome. La formation intérieure de l’individu n’était en conséquence ni pleine, ni intègre, ni harmonieuse. Il restait des défauts ne pouvant être combattus avec plein succès que par l’éducation de l’Église catholique romaine. Pour l’Église orthodoxe, trop pauvre spirituellement, la tâche était au-dessus de ses forces.

On ne peut guère juger le peuple russe en se basant sur ses émigrés qui, depuis une vingtaine d’années, se trouvent éparpillés dans des pays de culture latine. Il s’agit d’éléments complètement assimilés par cette culture, ayant cessé d’appartenir à la communauté nationale russe.

En même temps l’impérialisme politique de la Russie du XIXe siècle cherchait en vain une expression cohérente et décisive, une idée universelle, un instrument approprié et une voie claire. Le panslavisme des uns (Aksakov, Kaikov, Danilevsky) dirigeait son regard vers l’Europe, Constantinople et le Proche Orient. Le panasiatisme des autres (Juszakov, le prince Uchtomski) s’adressait à l’Orient, proclamant qu’il apportait « la justice, la simplicité, les aspirations idéales » russes aux peuples de l’Asie. Il manquait toutefois à cet impérialisme autant les bases solides d’une idée décisive et dynamique que les attraits d’une idéologie universelle.

Ce dynamisme était entravé et décomposé par les incohérences intimes des idéologies malsaines russes de l’anarchie, du nihilisme et de la lutte des éléments révolutionnaires contre le tsarisme.

 

 

 

3. – La révolution bolchévique : répudiation de la civilisation chrétienne européenne

 

La révolution communiste en Russie, en démolissant le tsarisme, la classe gouvernante et, du fait même, tout le monde intellectuel russe, a détruit aussi et en même temps l’élément le plus européisé. La révolution communiste a apporté au peuple russe, en supprimant le tsarisme avec son idéologie de la tyrannie intérieure et de l’impérialisme extérieur, une nouvelle tyrannie et un nouvel impérialisme. La différence consiste en ce que la nouvelle tyrannie a trouvé des bases idéologiques plus solides, constituées par le concept matérialiste du monde ne se décomposant pas à l’intérieur (comme il était advenu dans la chrétienté orthodoxe). Le nouvel impérialisme a trouvé une idée universelle attrayante et une voie politique concrète, constituées par le programme de la révolution mondiale. La vieille idée russe de l’« Occident européen pourri » assuma une signification plus concrète. Ce fut le monde qui vivait dans le régime capitaliste et guidé par les idées religieuses que l’on désignait comme pourri.

Ainsi les anciennes réserves du pseudo-mysticisme et de la foi en une grande mission de la Russie, accumulées dans l’âme russe, ont trouvé leur propre expression, conforme aux plus profonds et réels éléments spirituels du peuple, dans la doctrine bolchévique avec son athéisme matérialiste, avec l’idée de sa supériorité vis-à-vis des pays capitalistes « rétrogrades » et avec l’idée impérialiste de la révolution mondiale.

Lénine aussi, vrai fils de la Russie, aux traits caractéristiques mongols, a emprunté sa doctrine à l’Europe, mais cette doctrine, bien que née sur le terrain européen, était, au fond, antieuropéenne ; car le matérialisme historique formulé par Karl Marx est l’antithèse des fondements principaux, chrétiens et idéalistiques, de la civilisation européenne. C’est à cause de cela qu’en Europe le marxisme fut accueilli en écartant néanmoins ou en révisant les formules extrémistes du matérialisme philosophique, avec son athéisme et sa haine à l’égard de l’esprit religieux. Au contraire, dans la Russie eurasiatique de Lénine, ce sont précisément ces éléments du marxisme qui ont été mis au premier plan, en faisant d’eux le dogme de l’État soviétique et de l’idéologie bolchévique : de cette nouvelle religion sui generis du peuple russe.

Si différents écrivains, cherchant le phénomène le plus réel de la Révolution bolchévique, l’ont découvert dans le reniement, de la part du peuple russe, de l’« européisme » qui lui fut imposé par les tsars, à partir de Pierre le Grand (i), le sort du matérialisme en Russie et l’adaptation, là-bas, de l’élément matérialiste extrémiste constituent alors une excellente confirmation de cette thèse.

Le marxisme, dans l’interprétation de Lénine, est précisément le retour du peuple russe aux bases propres de la civilisation mongole de l’Asie Centrale et le reniement de cette « européisation » superficielle qui n’avait pas donné, à la Russie, un bon résultat. Le bolchévisme, abattant, avec les droits de l’individu, l’élément spirituel de la vie,

 

(1) Par ex., l’historien français Oudard, dans le livre intitulé : « Pierre le Grand ».

 

 

et créant le système de la tyrannie exercée au nom de la communauté, mécaniquement et matériellement conçue, représente la victoire des éléments de l’âme russe, généralement appelés asiatiques dans le monde de la civilisation chrétienne et occidentale. On comprend que par le mot « asiatisme » il ne faut pas entendre les civilisations religieuses extrêmement idéalistes que l’on rencontre également dans ce continent, comme par exemple dans les Indes, dans les plateaux du Tibet, ou même au Japon.

 

Les peuples de l’Asie centrale, originaires des steppes illimitées de cette partie du monde, possédaient eux aussi une « pseudo-mystique » qui leur était propre et se révélait surtout dans l’élan vers les conquêtes exécutées sous le commandement des despotes, qui tenaient leurs peuples sous une discipline de fer inhumaine. Un semblable élan de conquête animait jadis les troupes de Gengis Khan et de ses successeurs. Le manque de civilisation intérieure et le fait de négliger le génie créateur spirituel de l’individu poussaient les énergies psychiques de ces peuples à l’expansion extérieure, engendraient l’attitude fondamentale impérialiste de leur politique et imprimaient un caractère spécial à leur religion. L’orthodoxie chrétienne fut aussi la proie de cet esprit de la steppe asiatique. La vie spirituelle et l’individu ne réussirent guère à conquérir les droits qui leur étaient dus. Au-dessus de l’Église Orthodoxe il y avait toujours l’autocrate despote, le tsar, qui se substituait au Tout-Puissant. La tâche principale de l’Église et de la religion était d’appuyer le trône et de garder les sujets dans l’obéissance.

Le culte du despote, les dogmes considérés comme chaînes de la pensée, et la foi réduite à la superstition, voilà ce qu’était en Russie l’Orthodoxie, christianisme emprunté à Byzance, séparée de Rome. Cette religion, tout en étant chrétienne et par conséquent spiritualiste, individualiste et pour cela étrangère à la mentalité russe de la glèbe asiatique, produisit néanmoins les fruits empoisonnés de l’anarchie et du nihilisme. L’on comprend fort bien pourquoi le christianisme, même déformé ou estropié, ne pouvait servir heureusement ni au culte terrestre du despote, ni à l’oppression de l’élément spirituel et individuel.

 

 

 

4. – Le bolchévisme : pseudo-religion de l’Eurasie

 

En analysant à fond la forme russe du matérialisme historique et son interprétation par Lénine et Staline, nous devons nous persuader qu’il assuma le caractère destructif d’une pseudo-religion et, précisément, d’une religion telle qu’elle correspondait à la psychologie du peuple russe et des autres peuples soviétiques dont la civilisation tire ses origines de la tyrannie mongole et des steppes sans limites de l’Eurasie. Le culte de Dieu est remplacé par le culte du despote ; les vérités de la foi sont substituées par les dogmes du parti et l’on ne peut guère les discuter ni en douter sous la menace d’être damné, sur cette terre, dans l’enfer des prisons et des camps de travaux forcés ; la foi fait place à l’ignorance des masses rendues communistes et qui répètent des formules philosophiques sans la moindre préparation ni compréhension (I).

Le culte du despote défunt a son symbole dans la tombe de Lénine, qui se trouve sur la Place Rouge à Moscou, tandis que, du culte du despote vivant, André Gide écrit, dans son « Retour de l’U.R.S.S. », que le portrait de Staline a remplacé, dans les maisons soviétiques, l’ancienne icone. Quiconque a été en U.R.S.S. sait aussi quelle importance y tient la personne de Staline. La loi cruelle, qui punit impitoyablement le plus petit manque de respect, veille sur son autorité. Il n’y a pas seulement ses portraits et ses bustes qui « ornent » (ils sont fort laids, il est donc difficile de parler d’un vrai ornement) les logements et les bureaux, mais ses monuments (horribles, types « standard ») surgissent sur les innombrables places, souvent devant les églises dont on a changé la destination. À la place des fêtes religieuses ont été instituées les fêtes pour les divers anniversaires solennels de la révolution.

La doctrine du parti fait fonction de dogmatique reli-

 

 

(r) NICOLAS BERDIAEV, « Le sens et les prémisses du communisme russe », traduction de l’édition italienne, p. 223 : « En Russe soviétique, toutes les disputes théoriques, idéologiques, philosophiques, d’une part, et tous les conflits pratiques, économiques, d’autre part, sont soutenus par les catégories de l’orthodoxie et de l’hérésie. Toute tendance orientée vers la « droite » ou vers la « gauche », en politique ou en philosophie, est considérée comme une tendance hérétique. L’accusation d’hérésie est une menace perpétuelle, et la ligne qui délimite l’orthodoxie est une ligne religieuse et théologique, non pas politique. Lorsque la politique obéit ainsi aux mots d’ordre de l’orthodoxie, l’État devient une Église. Telle fut la théocratie chrétienne du moyen âge, telle est la « théocratie » soviétique, et tout gouvernement qui adoptera le « totalitarisme » aura le même sort. Ivan le Terrible, cité par nous comme un théoricien de l’autocratie, avait créé la notion du règne orthodoxe d’après laquelle le tsar devait veiller au salut de l’âme de ses sujets. »

 

 

 

gieuse avec la différence que, comme nous l’avons déjà mentionné, la punition des doutes et des hérésies est infligée par la justice soviétique immédiatement ici-bas, sur terre. La doctrine des bolchéviques formulée dans « l’histoire du Parti Communiste (bolchévique) » est enseignée dans les écoles, les instituts et les cours du Parti, tout comme un catéchisme. En outre, toutes les discussions sont arrêtées pour en référer à l’« évangile », représenté par les écrits de Lénine, dont l’interprétation infaillible est donnée par le despote, qui est à la fois le « pontife suprême », Joseph Wissarionowicz Staline. Cet « évangile » a été nommé « léninisme » par le despote, et lui-même, personnellement, en surveille l’interprétation, empêchant impitoyablement, comme un crime, toute déviation qui s’y introduirait (i).

Le caractère dogmatique, pseudo-religieux, de la doctrine du parti, trouve une expression non équivoque jusque dans les coutumes vulgaires et du reste ingénues, imprégnées du servilisme introduit dans la littérature soviétique. Cet usage consiste dans le fait que tout auteur de l’Union Soviétique, publiant un livre, doit le faire précéder de la citation d’un passage de quelque auteur de la doctrine, comme s’il s’agissait d’un évangéliste. Avant tout on cite Lénine, éventuellement Marx, Engels, et puis la loyauté et la raison imposent de renforcer la citation du « chef » mort, par celle du « chef » vivant, en ajoutant parfois des extraits d’auteurs célèbres moins importants mais

 

(r) Ibid., p. 194 : « Staline représente un homme d’État oriental, du type asiatique. »

 

 

reconnus. Après Lénine vient Staline, qui a « confirmé » et « approfondi » les idées de son prédécesseur, ou les a développées d’après la situation nouvelle. Suivent les autres, de moindre envergure, mais, avec ceux-ci, l’on court parfois le risque que cette « célébrité » de second rang ne soit taxée, après un certain temps, du reproche d’espion ou de « chien fasciste » et qu’on ne l’expédie dans l’autre monde. Alors il faut ôter le livre de la circulation et le détruire avec soin.

Des citations de ce genre et des rappels aux « évangélistes » ne se trouvent pas seulement dans les livres politiques. Bien au contraire. Les publications même appartenant aux sciences spéciales, aux sciences naturelles ou techniques et militaires, aux voyages, citent aussi l’« évangile ». Les éditions de Darwin, les écrits de Nansen, les livres traitant d’arguments stratégiques et les poésies de Pouchkine sont toujours encadrés dans le châssis de la doctrine, rendue illustre par les noms « célèbres » et « infaillibles » des soi-disant « classiques du marxisme–léninisme–stalinisme ».

Le caractère pseudo-religieux du bolchévisme ressort davantage dans l’instruction publique. L’école est un terrain sur lequel la doctrine bolchévique reconnaît, sans réserve, l’efficacité de la propagande athée, comme instrument de la lutte contre la religion. Comme il s’agit ici d’éléments jeunes, il n’est pas nécessaire d’attendre que « l’extirpation de la racine sociale-capitaliste » ait aplani la voie à la conception matérialiste. Il faut inculquer cette idée à la jeunesse avec toute la puissance de l’autorité éducatrice, la corroborer par le dogme et avec le fanatisme pseudo-religieux ; puis faire de la doctrine du parti une pseudo-religion, dont les esprits jeunes surtout, tendant vers l’idéalisme et les sentiments élevés, ont assurément besoin.

La place du Tout-Puissant est remplacée, avec une étrange vulgarité, par la figure du souverain, symbolisant l’État. Nous en avons une parfaite illustration dans les épisodes survenus pendant l’occupation de la Pologne, alors qu’on ordonnait aux enfants de prier Dieu afin qu’il leur envoyât du pain et des gâteaux. Comme le résultat n’avait pas été obtenu, on leur commandait d’adresser la même prière à Staline ; et soudain les enfants étaient menés devant une table copieusement servie. La dogmatique du parti, formulée dans l’« Histoire du parti communiste (bolchévique) de l’U.R.S.S. », constitue une matière à part et fait fonction de catéchisme. L’éducation athée systématique est appliquée en même temps, tournant en ridicule et recouvrant de boue le « préjugé religieux », toutes les traditions, les rites et les objets du culte, ces reliques d’ignorance que les enfants peuvent remarquer dans la vie de famille. On commande aux petits de lutter contre tout cela, d’« éduquer » les parents et de les dénoncer s’ils sont opiniâtres.

 

 

5. – Conclusion

 

Le tableau esquissé constitue la synthèse du bolchévisme dans le champ de la pseudo-religion, de ce bolchévisme qui saisit dans les durs lacets de la tyrannie intérieure l’âme du Russe eurasiatique désireuse de ces liens, incapable d’être spirituellement indépendante. Il crée en même temps une voie ferrée à l’élan du conquérant, qui y pénètre profondément, élan ayant encore aujourd’hui le caractère d’un pseudo-mystique impérialiste. L’idée de la révolution mondiale, au nom des dogmes immuables du parti, s’unissant au sentiment de la suprématie du peuple soviétique sur les pays « rétrogrades » du capitalisme, devient une excellente expression de cette pseudo-mystique : expression remarquablement meilleure que l’impérialisme tsariste blanc corrompu et affaibli par l’« européisation », intérieurement décomposé par des éléments d’anarchie et de nihilisme.

Cette mystique est, par sa nature même, la haine et la passion de détruire des civilisations supérieures et différentes. Son fanatisme inflexible constitue une menace pour les peuples affaiblis par le scepticisme et le manque de foi.

 

 

 

 

Chapitre VII

 

Comment faut-il interpréter la politique actuelle de Moscou ?

 

 

Depuis le moment de l’attaque allemande à l’U.R.S.S. et de l’entrée en guerre de celle-ci comme alliée des démocraties occidentales, depuis l’an dernier, en particulier, on parle assez superficiellement de changements fondamentaux de la politique bolchévique, dans l’esprit de compromis avec les démocraties occidentales, l’esprit de renonciation aux plans de révolution mondiale et l’esprit de retour vers la religion.

Outre la propagande et de vaines déclarations, trois sont les faits importants et concrets advenus au cours de l’année dernière et cités généralement par les partisans de la thèse susdite :

1) la dissolution du Komintern ;

2) l’introduction de commissariats d’affaires étrangères dans les différentes républiques fédérées, ainsi que la reconnaissance de leurs droits de maintenir à l’étranger des représentants diplomatiques autonomes comme dans les Dominions anglais ;

3) le renouvellement du Saint-Synode et l’élection, avec l’approbation de Staline, du patriarche métropolite de Moscou.

La connaissance de l’esprit de la politique du bolchévisme ne permet guère d’en déduire des conclusions optimistes et rassurantes pour l’avenir. Au contraire, il faut même considérer uniquement ces gestes comme :

a) une tactique transitoire dérivant de la collaboration actuelle avec les démocraties, contre les Allemands ;

b) la confession indubitable que Moscou a reconnu que la période de la guerre en cours convient au développement d’une nouvelle phase d’expansion impérialiste, par le moyen du parti communiste, dans chaque pays, soumis à Moscou et collaborant à la diffusion de la révolution communiste.

L’analyse de chacun des trois faits cités conduit à de tels résultats. Voyons-les en particulier.

L’activité du Komintern consistait, avant tout, à avoir dans toutes les parties du monde une organisation secrète, appuyée sur les représentants diplomatiques ou bien à avoir un contact clandestin avec la centrale du parti à Moscou. Les partis communistes de chaque pays sont des instruments visibles de l’activité de cette conspiration. La publication de la « dissolution » ne signifie sûrement pas la liquidation de cette organisation secrète. En repliant le drapeau du Komintern, Moscou a, en même temps, déployé les étendards des comités « des patriotes » de chaque pays, préparant, dans leur sein, les futurs gouvernements communistes de leurs nations respectives. Ces comités prouvent que non seulement on n’a pas renoncé à la politique impérialiste d’expansion, mais qu’un nouvel instrument d’expansion adapté à la situation a été créé pour elle.

Ce qu’est, dans la pratique, la renonciation de Moscou à la politique impérialiste et au Komintern, ce qui est advenu en Italie le montre avec évidence. Ercoli-Togliatti, ancien membre du Komintern, arrivé de Moscou, provoqua, en une journée (à la fin de mars de l’année 1944), un changement radical dans le cours de la politique du parti communiste italien. La nouvelle tactique (participation au gouvernement Badoglio et annulation des décisions du congrès de Bari) advint en étroite liaison avec ce qui, dans le même temps, était exprimé par l’article officiel de l’organe du gouvernement soviétique (« Isvestia »), et ce que l’Ambassadeur soviétique à Londres commençait à suggérer. Il s’agissait donc d’une attitude dictée par Moscou.

L’élargissement des droits formels des républiques fédérées ne signifie point une plus grande autonomie de ces républiques mêmes. Comme on l’a déjà mentionné plus haut, la centralisation soviétique ne se base pas du tout sur le caractère formel de la Constitution de l’U.R.S.S., mais sur l’épine dorsale homogène, disciplinée et centralisée du parti communiste (bolchévique) de l’U.R.S.S.. Or étant donné que nul changement n’est survenu dans le rôle joué par le parti, un changement quelconque de cette nature, dans la structure de 1’État soviétique, n’a aucune signification de décentralisation.

Mais, étant donné que le centralisme soviétique est resté intact, l’innovation signifie seulement l’augmentation d’expansion extérieure et la dissimulation de nouveaux plans impérialistes. Il est clair que le droit qu’a chaque république séparée d’envoyer, pour son propre compte, des représentants diplomatiques à l’étranger, ne peut avoir d’autres résultats que ceux-ci : 1) l’U.R.S.S. peut disposer, quand et où elle veut, d’un plus grand nombre de représentants, selon que cela convient à sa politique ; 2) les bolchévistes, ayant créé la fiction d’une association fédérative d’États libres, s’ouvrent plus facilement de cette façon la voie à l’annexion de nouveaux territoires. Les apparences nouvelles d’autonomie des républiques fédérales doivent constituer de nouveaux allèchements.

Les décisions nouvelles de Moscou au sujet de la question religieuse s’expliquent facilement après l’étude approfondie de la doctrine bolchévique. Les thèses notoires de Lénine concernant la méthode de lutte contre la religion enseignent que ce n’est pas agir dans l’intérêt du bolchévisme de commencer l’œuvre de bolchévisation des nouvelles sociétés par la guerre à la religion. L’actuel « retour à la religion » signifie seulement et uniquement que la centrale du communisme athée mondial pousse à l’attaque de nouvelles nations dans lesquelles l’organisation bolchévique n’a pas encore été introduite. Une tactique de ce genre devait se manifester maintenant dans certaines démarches positives puisque le caractère athée du communisme était déjà bien connu au monde. Il sembla donc nécessaire d’user d’un rideau de fumée.

Si le retour à la religion dans le territoire de l’U.R.S.S. avait été sincère, Moscou, en créant la nouvelle hiérarchie ecclésiastique, aurait certainement dû se servir d’hommes nouveaux, s’adresser aux prisons et aux camps de concentration, où se trouvent en Russie des hommes vraiment religieux, qui ont payé leur foi en Dieu avec la prison et les galères. Le métropolite Serge, instrument docile du gouvernement soviétique depuis nombre d’années, ne représentait sûrement pas l’esprit de la foi vraie et inébranlable qui eût pu devenir une source de renaissance.

Il était plutôt, sans nul doute, un représentant de cette « sotte religion des popes » que Lénine conseillait de tolérer dans l’intérêt de l’athéisme.

Le retour à la religion est aussi la preuve de plans impérialistes soviétiques concernant directement les pays d’Europe et du Moyen Orient. Depuis que le communisme gouverne la Russie exclusivement et despotiquement, et il ne peut gouverner qu’ainsi, aucune tactique employée ne peut être autre chose qu’une apparence extérieure et un « piège du communisme », contre lequel l’encyclique « Divini Redemptoris » met les fidèles en garde.

Mais pour ce qui concerne le parti communiste en Russie, il n’y a pas eu le moindre changement. Le programme du parti n’a subi aucune modification et, par rapport au monde extérieur, en réalité, le communisme non seulement ne montre pas un esprit de compromis, mais sa conduite est offensive et agressive. Durant longtemps (lutte de Trotski contre Staline), deux directives opposées furent en lutte dans la politique bolchévique : la création d’un puissant État soviétique, ou la révolution mondiale. La phase actuelle de la politique soviétique est caractérisée par le fait qu’il n’y a point de divergences ou d’alternatives entre les deux directives. Entré en guerre, le puissant État soviétique la considère comme son moment idéal, depuis longtemps attendu, pour pouvoir bolchéviser le plus grand nombre de pays.

L’opposition entre l’impérialisme du communisme et les aspirations impérialistes inhérentes à la nature du peuple russe a disparu aussi. Actuellement l’un soutient l’autre et ils marchent ensemble vers la conquête du monde. L’impérialisme nationaliste d’aujourd’hui des cercles dirigeants russes se rend parfaitement compte que le meilleur instrument d’expansion, c’est l’idée de la révolution communiste mondiale (i).

Ceci a son importance précisément par rapport aux peuples européens. Provoquer dans leur sein la révolution, introduire la dictature du prolétariat, détruire en chacun d’eux l’élément actif et dirigeant, représentant la culture traditionnelle comme étant un élément « bourgeois » et « capitaliste », cela signifie abaisser le niveau de ces peuples et ouvrir la voie à l’Eurasie russe pour dominer l’Europe. De cette, manière le bolchévisme réussirait à réaliser l’ancien mythe russe de la conquête de « l’Occident pourri ».

 

(I) NICOLAS BERDIAEV, « Le sens et les prémisses du communisme russe », traduction de l’édition italienne, p. 590 : « Il est difficile de faire comprendre en Occident que la Troisième Internationale n’est point une Internationale, mais une idée nationale russe, une transformation du messianisme russe. Les communistes d’Occident affiliés à la Troisième Internationale jouent en vérité un rôle humiliant : ils ne comprennent pas qu’appartenir à la Troisième Internationale signifie appartenir au peuple russe et réaliser sa vocation messianique. »

 

 

 

 

Chapitre VIII

 

Les expériences italiennes de l’année 1944

 

 

La propagande communiste, dans le territoire italien, est une excellente confirmation et illustration des méthodes bolchéviques de lutte, dans la première phase de la conquête de la bolchévisation de la société. Les communistes, ayant à leur tête Ercoli-Togliatti, déploient tous leurs efforts, selon les directives de Lénine, pour créer, dans l’opinion publique, la conviction qu’ils ne sont point du tout les ennemis de la famille ni de la religion.

Ercoli-Togliatti, dans son premier discours prononcé à Naples (« Gazzetta del Mezzogiorno », 12 avril 1944), a dit : « La politique communiste de l’avenir respectera les sentiments catholiques du peuple et garantira à chacun la liberté de la parole, du culte et de l’association. »

La « Civiltà proletaria », l’organe officiel du parti communiste italien, du 14 juillet 1944, dans l’article intitulé « Notre vrai visage », dit :

 

« Pour les communistes, la famille est chose sacrée, soignée et protégée ; la famille, la véritable famille est créée en réalité par les communistes...

L’épouvantail du communisme, comme oppresseur de la liberté religieuse, doit complètement disparaître maintenant ; il ne faut même plus qu’il en reste le souvenir. Et puisque nous sommes libres à présent de parler et de dire la vérité sans obstacles, eh bien, nous voulons que vous sachiez tous que les communistes respectent toutes les religions, que les communistes sont pour la liberté religieuse. Le communisme russe, par exemple, toujours cité comme oppresseur de la religion, n’a jamais lutté contre la religion, non, et il est bien de le relever : le communisme russe a lutté contre l’Église, l’Église étant l’instrument du tsarisme oppresseur du peuple... Libres de tout regarder, de comprendre en lisant et en écoutant, on ne peut plus admettre aujourd’hui, sur le communisme, certaines idées, vraiment enfantines, inculquées par la propagande fasciste. »

 

Ercoli-Togliatti s’exprime à ce propos et dans les mêmes termes dans la revue hebdomadaire, napolitaine, « L’Unità ». Dans l’article intitulé « L’anticommunisme et la religion » soutient entre autres ce qui suit : « Ne sommes-nous pas l’unique parti qui n’ait jamais fait de l’anticléricalisme ? »

Le grand discours prononcé par Ercoli-Togliatti le 9 Juillet, à Rome, est particulièrement intéressant comme étant l’expression de la très fidèle réalisation des méthodes de lutte contre la religion et pour le renversement de l’ordre social, méthodes déjà indiquées naguère par Lénine.

Pour constater l’identité de la pensée, il suffit de comparer certains passages de ce discours avec des citations extraites des écrits d’il y a 20 ans de Lénine.

Lénine disait :

 

« Il serait absurde de croire que, dans une société basée sur la continuelle oppression et l’ignorance des masses ouvrières, il soit possible de dissoudre les préjugés religieux avec des moyens de caractère purement propagandiste. Ce serait une étroitesse bourgeoise que d’oublier que le joug de la religion sur l’humanité est seulement un effet et un reflet du joug économique existant dans la société.

Le prolétariat ne pourra être instruit par aucun livre ni aucune propagande tant qu’il ne sera pas éclairé par sa propre lutte contre les forces occultes du capitalisme.

Cette unité dans la vraie lutte révolutionnaire de la classe subjuguée pour la création du paradis terrestre est plus importante pour nous que l’unité des opinions du prolétariat, sur le paradis au ciel... » (1).

 

Et Ercoli-Togliatti, dans la partie de son discours intitulé par l’organe communiste « L’Unità » (n. 31 du Juillet 1944) : « L’Unité des clases ouvrières pour le renouvellement du pays », a déclaré :

 

« ... La classe ouvrière, après la première guerre mondiale, a été divisée en Europe, pendant des années, parce qu’une partie des chefs de cette classe dirigeait ses armes contre la partie plus avancée du prolétariat ; de cette manière ils rendirent possible l’avènement du fascisme et l’écrasement des régimes démocratiques. Aujourd’hui nos amis et frères socialistes ont aussi vu le danger en face.

Tous unis, nous disons, vis-à-vis du danger d’une renaissance du fascisme ou des conditions dans lesquelles il surgit dans le passé : nous comprenons que notre devoir élémentaire est d’être unis et d’opposer à ce péril un bloc des forces de la classe ouvrière...

 

(I) Cit. de LÉNINE, dans Jaroslawski. Op. cit., p. 13.

 

... Cependant le problème de l’unité a un aspect d’un caractère encore plus ample, non seulement prolétaire mais populaire. Nous savons que dans les rangs du Parti Catholique s’assemblent des masses d’ouvriers, de paysans, d’intellectuels, de jeunes travailleurs qui, au fond, ont les mêmes aspirations que nous...

 

 

Compagnons !

 

Nous voulons l’unité d’action avec ces masses catholiques. C’est pourquoi nous sommes disposés à discuter, avec les dirigeants du Parti de la Démocratie Chrétienne, les conditions de cette unité. Nous sommes prêts, en tant que Parti Communiste, allié au Parti Socialiste, à stipuler avec les chefs de la Démocratie Chrétienne un pacte d’action commune prévoyant la lutte des grandes masses communistes, socialistes et catholiques pour la libération de l’Italie et pour la renaissance démocratique et progressive de notre pays. »

 

Il résulte clairement, du parallèle entre les deux passages cités, que le chef communiste a réalisé, dans le cas italien, de la façon la plus fidèle, les indications de Lénine.

Il considère comme la chose la plus importante l’union de toutes les masses des travailleurs en une unique classe ouvrière et il est convaincu que cette union dans la lutte pour les intérêts matériels de classe fera passer en seconde ligne toutes les différences idéologiques et en particulier les idées religieuses. Dans une telle organisation unitaire de classe, c’est-à-dire basée sur la communauté des intérêts matériels, les instincts de la lutte des classes et par conséquent de l’égoïsme économique et de la haine sociale, se développeront et domineront automatiquement. Il sera plus facile, dans une telle atmosphère, et en peu de temps, de soumettre à la haine de classe les concepts religieux et le sentiment positif de la charité chrétienne.

De cette façon le prolétariat italien, selon les principes de Lénine, ne doit être « instruit par aucun livre ni par aucune propagande jusqu’à ce qu’il ne soit éclairé par sa propre lutte contre les forces occultes du capitalisme ».

Voilà pourquoi les communistes font, sans la moindre crainte, la proposition de collaboration avec la Démocratie Chrétienne sur le terrain d’une organisation commune de classe et pour une lutte commune des classes. Ils se confient en leur doctrine d’après laquelle, dans une Organisation et une lutte de ce caractère, imposée par eux, dérivant de leur esprit, les masses catholiques se dissoudront et l’esprit révolutionnaire de la haine des classes l’emportera sur l’idéologie constructive catholique.

De cette comparaison entre les instructions de Lénine, remontant à nombre d’années, avec les déclarations actuelles d’Ercoli-Togliatti, il devient très clair que nous ne nous trouvons en présence d’aucun changement dans l’idéologie ni même dans la tactique bolchévique, comme certaines personnes, peu au courant des théories soviétiques, se l’imaginent, et comme une partie du monde chrétien est près de se laisser convaincre. Bien au contraire, les méthodes, aussi bien que la doctrine du léninisme classique, trouvent toujours leur pleine réalisation (i).

 

(i) Le journal romain « Il Popolo » (du 24-12-1944) a publié un article qui confirme en plein notre thèse. C’est un passage emprunté à l’organe officiel de la jeunesse soviétique « Komsomolskaia Prawda » du 16-11-1944.

Nous lisons entre autres : « Il ne faut pas cacher que parmi les instituteurs

 

 

 

Ces méthodes sont un exemple typique de ces « supercheries du communisme » contre lesquelles nous prémunit l’Encyclique « Divini Redemptoris ».

 

 

il en est – heureusement ils ne sont pas nombreux – qui, surtout dans les derniers temps, ont fait preuve d’une grande tolérance envers la religion ; même le nombre des instituteurs qui ont pratiqué des actes religieux est un peu augmenté. Il est bien triste que quelques instituteurs se soient trouvés dans l’esclavage de l’erreur religieuse. De cette manière l’on ne pou-ra pas former les idées communistes des enfants... Toutefois l’attitude de notre parti vis-à-vis de la religion est connue et est immuable. Il lutte contre les préjugés religieux, parce qu’il défend la Science et parce que les préjugés religieux sont contraires à la Science, la religion étant presque l’antithèse de celle-ci. »

 

 

 

 

 

 

 

DEUXIÈME PARTIE

 

 

LA RÉALITÉ SOVIÉTIQUE

 

 

 

Note préliminaire

 

Dans cette partie a été réuni le matériel pratique, illustrant la lutte du bolchévisme contre la religion, contre l’école catholique, contre la famille, contre la morale, basée sur la religion.

Ce matériel est une petite partie de la grande collection de documents écrits par les ex-prisonniers et déportés, gens de toutes classes et tous métiers, polonais, juifs, ukrainiens, géorgiens, blancs-ruthènes, hommes qui, malgré que l’on puisse les compter par dizaines de milliers, ne sont qu’une très petite légion miraculeusement sauvée, au milieu des masses lancées par la guerre dans le tourbillon de l’enfer bolchévique.

Ces documents choisis ont été groupés ici de la manière suivante :

 

 

i) La lutte contre la religion

1.L’action antireligieuse dans les territoires polonais, occupés en 1939-1940.

(Extrait du travail du Doct. T. M. Wieliczko, intitulé : « Les soviets sur le territoire polonais »).

2. – Le tableau de la vie religieuse dans la Russie bolchévique d’après les récits des prisonniers et des déportés.

3. – Relations des juifs sur le vie religieuse en Russie.

4. – Les musulmans.

 

II) L’organisation de l’enseignement dans les territoires occupés en 1939

(Extrait du travail du Doct. T. M. Wieliczko, intitulé : « Les soviets sur le territoire polonais ».)

 

III) La famille, les vieux, les enfants et les femmes

(Extrait du travail de Pierre Zwierniak, intitulé : « Dans les prisons soviétiques 1939-1942 ».)

 

IV) Le travailleur dans l’U.R.S.S.

 

1. – Vie des déportés – Un village communiste. – Changements de milieux.

2. – Travail et vie de l’ouvrier.

Les numéros près des relations et près des chapitres des travaux susmentionnés sont ceux du dossier des relations sur la vie de la Russie soviétique, réunies par des citoyens polonais. Les initiales à côté des numéros sont les premières lettres du prénom et nom de l’auteur de la relation. Les travaux du Doct. Wieliczko et de Zwierniak se basent tous les deux sur ces relations qui sont encore inédites.

 

 

 

 

 

Chapitre I

 

La lutte contre la Religion

 

 

1. – L’action antireligieuse dans les territoires polonais occupés en 1939-1940

 

(Extrait du travail du Doct. M. Wieliczko ; intitulé : « Les Soviets sur le territoire polonais »)

 

« L’action commença par la fermeture ou la destruction de plusieurs églises, chapelles et couvents sous le prétexte de nécessités militaires.

La province de Tarnopol fut traitée plus mal encore que les autres provinces. Dans Tarnopol même, immédiatement après l’entrée de l’armée soviétique, l’église des Pères Dominicains fut visée par l’artillerie de campagne, et totalement brûlée. Toute action anti-incendiaire était défendue sous peine de mort. La sacristie seule fut sauvée ; l’N.K.W.D. s’y installa (Commissariat populaire des affaires intérieures). (6117 et 7674.)

D’autres destructions d’églises eurent lieu dans la commune de Zalozce (6293), ainsi qu’à Zborow (7089) bien que l’armée soviétique n’y eût rencontré aucune opposition armée. L’église même des Jésuites à Pinsk, particulièrement vénérée pour les reliques de Saint André Bobola qui s’y trouvaient, fut bombardée et brûlée de façon barbare.

Les croix et les images saintes sur les rues furent détruites, les cimetières profanés, saccagées les croix des tombeaux, arrachées les photographies des morts : on tira sur les monuments et les statues, surtout sur celles du Christ et de la Sainte Vierge, pour démontrer à la population locale que Dieu n’existe pas et que seule l’autorité soviétique existe, à laquelle il faut obéir. (4510, 7039, 7082, 8318.)

Plusieurs églises furent complètement pillées, les cloches emportées, ainsi que les calices, crucifix en métal, etc..., les cadres, missels et livres de prière étaient détruits ou brûlés (9130).

Là où il fallait encore avoir une certaine considération pour les sentiments religieux de la population locale, l’on procédait d’une manière plus habile, en créant, avec intention, d’énormes impôts, impossibles à payer, qui ruinaient la population désireuse de conserver les édifices du culte. L’église de Monki, province de Bialystok, fut taxée de 10.000 roubles. La somme ayant été payée, 15.000 roubles furent encore demandés et, une fois ceux-là payés, 50.000 roubles (7338). D’autres églises subirent le même traitement, mais en laissant toujours moins de temps pour le payement des impôts qui se succédaient les uns aux autres.

Indépendamment de cela, l’on demandait de très fortes sommes pour l’usage de l’électricité (5642). À Stanislawow, par exemple, l’église payait 5 roubles pour 1 kw de lumière, tandis que le payement normal n’était que de 80 kop. (7568).

En cas de non-versement dans les délais fixés des sommes demandées, les églises étaient fermées, et devenaient possession des occupants (5045). On les transformait en cinémas, théâtres (4566) ou écuries. (4957).

À Bialystok les autorités locales, après avoir arrêté les prêtres, ne réussirent pas à faire un théâtre de l’église de saint Roch. L’attitude de la population fut si décidée et si courageuse que l’on dut céder, et se limiter aux mépris habituels et aux moqueries envers ceux qui fréquentaient l’église (4506).

On ravageait non seulement les églises, mais aussi les paroisses, les terres paroissiales, les couvents, les dotations et tous les biens dits de mainmorte. Souvent on organisait dans la paroisse des écoles areligieuses, et les fonctionnaires de l’N.K.W.D. s’installaient, avec leurs bureaux, dans les maisons appartenant à l’église ou à la paroisse. Les bibliothèques étaient régulièrement brûlées et les registres des baptêmes exportés (6577, 7765).

Avec la politique antireligieuse, les autorités d’occupation exerçaient une oppression continuelle et très raffinée sur le clergé, qui était frappé, maltraité, emprisonné, déporté en Sibérie, parfois même tué (6828, 8673).

Citons quelques faits précis, parmi une infinité de laconiques informations sur les arrestations, déportations et massacres de prêtres.

Le curé d’Antonowka, banlieue de Sarny, fut pris à l’autel pendant qu’il célébrait la messe et emprisonné par l’N.K.W.D. (5630). Les Pères Dominicains de Tarnopol furent traînés par l’N.K.W.D. hors de leurs cellules, conduits devant l’église, et obligés à regarder celle-ci aussi longtemps qu’elle brûla. Ils furent ensuite emprisonnés (10105).

Un prêtre du petit bourg de Stary Dwor, banlieue de Baranowicze, fut entraîné hors de sa maison, dans un champ, et là, battu sans miséricorde. La population préoccupée, étant allée à la recherche du curé, le trouva expirant dans le champ, ensanglanté, méconnaissable (9299).

Dans la localité de Zelva, banlieue de Wolkowysk, après une perquisition à l’église et chez eux, les prêtres des paroisses, catholique et orthodoxe, furent arrêtés ensemble. Deux semaines après, ils étaient tués d’une manière horrible : leurs corps furent trouvés près du bourg, dans un bois où ils avaient été jetés (5647). Au contraire, l’arrestation du Père chambellan Joseph Bojko, de la paroisse de Nalibock, banlieue de Stolpce, ne réussit pas ; la population locale et celle des villages et des colonies voisines, armée de bâtons, de fourches et de pelles s’y opposa et facilita sa fuite (7990).

Outre la confiscation, en faveur de l’État, de tous les locaux appartenant aux couvents, il fut défendu aux moines et aux religieuses de porter l’habit religieux. Les élèves du séminaire de Léopol, obligés de revêtir des habits bourgeois, furent conduits de leur couvent aux travaux forcés (6368).

Il faut souligner que dans la commune de Zalozce, province Tarnopol, après avoir renvoyé les religieuses du couvent, on déporta aussi les enfants de l’asile qu’elles gardaient, pour leur donner, dans un « pryiut » de Moscou, l’éducation conforme à l’esprit communiste (6293). Seul le métropolitain grec catholique de Léopol, Szeptycki, ne fut pas touché ; tandis que l’archevêque latin de Léopol, S. E. Twardowski, fut obligé d’abandonner le palais épiscopal et de vivre d’une manière privée.

En conduisant la lutte contre la religion et contre l’Église, les occupants commencèrent leur propagande antireligieuse, très développée en Russie, cherchant à engager dans cette activité des éléments de la population locale, agitateurs capables. Ils jetèrent, entre autres, les regards sur les anciens instituteurs. Comprenant qu’ils auraient eu précisément une plus grande influence sur les écoliers et sur leurs parents, ils leur commandèrent de donner des conférences minant la religion. Les refus faits de vive voix n’étaient pas pris en considération, il fallait les présenter par écrit, avec motifs et raisons. Ces déclarations étaient transmises à l’N.K.W.D., qui commençait une enquête, à la suite de laquelle l’on procédait à de sévères représailles (10749). Mais cette méthode ne fut pas efficace. Il y eut peu de candidats pour ce vilain métier. Les agitateurs provenant de Russie n’étaient pas écoutés. La population, réagissant devant leurs propos antireligieux, riait ou s’écriait : « Nous voulons Dieu » (10686).

Ils se limitèrent alors à la raillerie des sentiments religieux, aux profanations et aux blasphèmes, ainsi qu’aux représailles pour la fréquentation des églises (7640), la possession de livres de messe, croix, petites médailles et petites images de saints (7490).

« Chez moi, pendant la perquisition – écrit une des victimes déportées en Sibérie – les officiers de l’N.K.W.D. trouvèrent un livre de messe. Après avoir su à quoi il servait, ils s’en moquèrent en employant, avec un visible contentement, des paroles vulgaires et des blasphèmes. Ils arrachèrent ensuite du livre les estampes représentant la Sainte Vierge, les jetèrent à terre, crachèrent dessus, et, les foulant aux pieds, crièrent : « Qu’elle t’aide, à présent, ta Sainte Vierge ! » (4469).

« À notre réponse que nous avions été prier à l’église – raconte un autre Polonais – le « politruk » (instructeur politique, représentant du parti dans toute cellule de la vie sociale) dit : « N’avez-vous pas honte de prier encore au XXe siècle ? Comme culture vous êtes plus en retard que nous d’au moins 50 ans ! Faire de telles sottises ! Dites-moi si, où et quand vous avez vu Dieu ? » (6039).

Ces paroles reflètent bien l’état primitif et la pensée du simple soviet. Nous comprenons maintenant comment le peuple russe ait pu engager cette lutte brutale contre la religion au point que, pendant la Sainte Messe, les soldats soviétiques entraient dans l’église le béret sur la tête ; qu’avec des hurlements et des éclats de rire ils aient pu empêcher le prêtre de célébrer la Messe ; qu’à la fin ils aient dansé dans l’église et tué le bétail à sa porte (6369). Seuls les soldats de l’N.K.W.D. étaient capables d’arrêter un prêtre portant le Saint Sacrement chez un malade, de lui arracher le Saint Sacrement, de le jeter à terre et de le fouler aux pieds (9651).

En comparaison de ces faits, les assemblées avec musique devant l’église, pendant les fonctions, paraîtront un « jeu innocent », ainsi que les projections, sur les murs de l’église, de films cinématographiques antireligieux ou pornographiques, ou bien l’ouverture des tombeaux pendant les luttes septembrales sous prétexte de chercher des armes, et en réalité pour voler les morts (7912, 8318, 10686). Souvent les fonctionnaires de l’N.K.W.D. eurent l’audace de commander aux prêtres d’ouvrir eux-mêmes les tombes, mais ils y renoncèrent, après la leçon que leur donnèrent les paroissiens, et particulièrement les femmes. Lorsque le curé de Sainte-Élisabeth de Léopol reçut l’ordre d’ouvrir tous les tombeaux, au temps des luttes septembrales, l’attitude de la population réunie fut si menaçante que les représentants de l’N.K.W.D. préférèrent se retirer, et le prêtre, bien malade, réussit à s’enfuir en Hongrie (10686).

D’autres faits ne sont pas à passer sous silence, comme la disposition du 1er janvier 1940, publiée par les occupants, qui défendait la célébration des mariages religieux (10686) ; le trait suivant est consigné par notre rapporteur : « Un prêtre de Léopol me racontait, dit-il, qu’il avait fait le mariage de quelques ménages de militaires soviétiques vivant ensemble déjà depuis plusieurs années et unis seulement civilement ; ceux-ci le prièrent de fermer les portes de l’église pendant la cérémonie et de garder, à ce sujet, le plus grand secret. »

On portait souvent en cachette les enfants qui devaient être baptisés, et les prêtres, malgré les sévères punitions qu’ils encouraient de ce fait, ne refusaient jamais d’exercer leur ministère (1074).

 

 

2. – Le tableau de la vie religieuse dans la Russie bolchévique d’après les récits des prisonniers et des déportés

 

« ... Après l’appel du prêtre Zahowicz pour le « dopros » (interrogatoire), je me trouvai comme à un pèlerinage... je fus entouré par mes camarades d’infortune, désireux de se confesser. Il y avait des hommes, des femmes, des vieillards, des jeunes gens plus ou moins pieux. Je m’assis sur quelque chose qui ressemblait à un banc et je commençai le travail, me rendant toujours plus compte que Dieu m’avait envoyé vers ces gens qui avaient tant besoin de la confession, la dernière de leur vie, comme je le sus plus tard... Quand le bolchévique me vit assis, entouré de gens à genoux qui priaient, il m’appela et je reçus les premières meurtrissures. On me donna des coups de pieds ; je fus battu et jeté tout nu dans un obscur souterrain dont le plancher était de pierres pleines de boue. J’y restai pendant trois heures. Après mon retour dans la cave, je trouvai d’autres gens inconnus, et pour un peu de temps je cessai de confesser. Quelques heures après je recommençai, mais avec plus de prudence... » (H. B., aumônier militaire, né le 13 septembre 1895.)

 

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« ... Dans le camp du travail j’ai toujours confessé et célébré la Sainte Messe, certainement avec beaucoup de prudence. Les portes du local où la Messe était célébrée étaient veillées par des gens affidés. Lorsque les soldats de l’N.K.W.D. s’approchaient, l’on donnait le signal convenu et nous passions dans un autre lieu pour terminer la fonction. En général les Messes étaient célébrées aux heures de nuit, dans le « lagier » (camp du travail forcé), ou dans le bois, ou encore en quelque autre cachette. Il me semble que personne n’est mort sans se confesser ; la moyenne des morts de faim et d’épuisement allait de 5 à 10 personnes par jour. Deux des prisonniers passèrent à la religion catholique ; je baptisai le premier, un lithuanien (fils illégitime) élevé dans un milieu non catholique ; l’autre était protestant... » (Doct. Don K. W., né le 27 juin 1904 à Ignatowka).

 

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« On nous opprimait pour notre nationalité, nos croyances, nos origines et notre éducation. Voyant le crucifix suspendu, l’« uprawlajuszczyj » (gardien des travaux) nous disait : « Pourquoi ce Christ ne descend-il pas de la croix et ne vous fait-il pas chauffer, tandis que vous balayez la neige du plancher ? » (K. E.).

« ... Je dois même parler de la vie religieuse, d’un niveau plus élevé. Le soir, tous ensemble on priait, récitant les litanies et le rosaire. Les essais de chants religieux furent sévèrement réprimés par les autorités, qui recouraient aux injures et aux blasphèmes... » (K. Z., artilleur, 30 ans, employé municipal, célibataire).

 

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« ... Les églises toutes fermées ; et dans ces églises, des dépôts de blé, des sociétés et des théâtres... » (R. A., 22 ans, chauffeur mécanicien, célibataire).

 

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 « ... Seulement en mai 1941, j’eus la possibilité d’assister au mois de Marie organisé par monsieur Lange, juge de la Cour d’Appel de Léopol, décédé. Quand éclata la guerre germano-soviétique, quelques personnes furent emprisonnées pour avoir fréquenté le mois de Marie... À chaque pas l’on cherchait de nous opprimer moralement en nous parlant, dans les assemblées, de la chute de la France et de Sikorski, etc. À la suite de la guerre contre les Allemands, les conditions dans le « sowhoz » (ferme de l’État) devinrent bien plus mauvaises. Les arrestations commencèrent, les perquisitions, les accusations de sympathie envers les Allemands, les représailles, etc. La mobilisation des hommes et le manque de conducteurs de filateurs me sauvèrent seuls de l’arrêt encouru pour ma participation au mois de Marie... » (Don J. S., employé de banque « spec pieresiedleniec » (Déporté pénal).

 

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 «... Comme prêtre catholique, je fus soudain maltraité. Ils se moquaient de moi, me conseillant de prier la Sainte Vierge pour qu’elle vînt à mon aide... » (Don K. J.).

 

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 «... Il était défendu d’accomplir n’importe quelle fonction religieuse, publique ou privée. Les objets du culte, des chapelles de camp, furent saisis à l’arrivée à Koncisk, après une minutieuse perquisition... Malgré cela, le soir, je confessais en cachette en divers lieux, voire même les malades de l’hôpital bolchévique ; dans le temps de Pâques, et aux lieux convenus, je distribuais la communion à qui s’était confessé. De temps en temps, toujours en cachette, on célébrait la messe et plusieurs se rassemblaient pour la prière. Je fus appelé aux « dopros » (interrogatoires). Pendant l’un d’eux un officier de l’N.K.W.D. entama avec moi une discussion sur l’existence de Dieu et autres problèmes religieux. Je répondis à ses questions très brièvement. Il se mit ensuite à parler de l’éducation de la jeunesse dans les écoles de l’Union soviétique. Il soutenait, entre autres, que l’éducation religieuse était inutile... Il me nomma « aumônier de guerre »... La prière dans les camps de concentration était pour plusieurs un soutien et une aide pour tenir. Plusieurs n’eurent pas la force de résister et des cas de suicide se vérifièrent... Beaucoup d’orthodoxes se présentaient pour faire baptiser les enfants. Souvent ils demandaient des Messes pour leurs morts... » (W. T. aumônier militaire, curé).

 

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 « ... Le travail pastoral consistait dans la confession – naturellement en cachette – et, rarement, dans les prières communes. Le niveau de la religiosité était généralement haut, si l’on fait abstraction de quelques cas particuliers... » (Don K. S., né en 1902).

 

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 « ...Dans le camp des prisonniers à Kozielsk, des enquêtes et des interrogatoires furent entamés jour et nuit. Chacun y était considéré comme agent du service secret, ou espion du régime soviétique. On nous faisait diverses insinuations et propositions, défendant toutes les fonctions religieuses, interrogeant qui que ce fût qui avait parlé, même un seul instant, avec le prêtre, demandant si, par hasard, celui-ci confessait ou indisposait les gens contre eux. Mais après quelques semaines, ayant examiné le loup de près, je commençai à confesser, et je réussis même à célébrer quelques Messes pour pouvoir distribuer la communion... Pendant le carême de l’an 1941, je réussis à confesser et à communier plus de 800 personnes. Il fallait se cacher des bolchéviques et plus souvent aussi des nôtres qui s’étaient laissés séduire par la forte propagande communiste. Dieu merci, ils étaient en petit nombre ; le soldat tenait ferme, restait attaché à la foi des pères, et résistait à la propagande, n’épargnant pas les accusations et les moqueries à l’adresse du régime et de l’économie bolchévique... Je dois souligner que, parmi la population locale, je remarquai une grande haine envers les communistes, mais en même temps une grande passivité, causée par la terreur de l’avenir incertain. Constater la vraie nostalgie et le besoin de la religion me causait une grande joie ; ainsi qu’entendre les continuelles demandes d’un baptême, d’une petite croix, d’une médaille ou image de saint. Plusieurs assistaient à nos fonctions et à nos enterrements et, dans ces occasions, apportaient souvent une poignée de terre à bénir pour la déposer sur les tombeaux de leurs chers parents, ou la conserver comme une chose sacrée (ce dernier chapitre concerne les conditions en temps de liberté) ». (Don D. N. aumônier militaire de la cinquième brigade de Wilno).

 

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 « ... Fait caractéristique : en passant je demandais : “Où sont vos cinémas ?” – on nous avait dit qu’il y en avait plusieurs dans chaque village –. La réponse était : « Vous ne voyez pas ces maisons avec les fenêtres fermées, ces belles églises avec les croix renversées ? ce sont des cinémas qui retracent les scènes de la vie soviétique. »

« Les persécutions religieuses n’ont pas encore réussi à arracher complètement au peuple russe la foi en Dieu. Dans chaque maison, il y a des tableaux religieux, l’on célèbre des baptêmes et autres fonctions sacrées d’une manière privée et en cachette. Plusieurs personnes ont gardé des petites croix et images de saints, etc. Dans les cimetières, on voit plusieurs croix récentes, en bois (le monument funèbre régulier soviétique devrait être une étoile à cinq pointes sur un pal). Dans les campagnes se cachent des moines et des religieuses orthodoxes contre lesquels le gouvernement soviétique lutte en vain depuis vingt ans... » (S. J. employé municipal, colon militaire).

 

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 « Tandis que je me trouvais dans le souterrain de la prison de Dniepropetrovsk, une nuit, un officier de l’N.K.W.D. vint chez moi et me dit que, me voyant souvent prier et supporter avec calme les coups ou d’autres pénibles « incidents », il devait admettre que la religion et la prière étaient un grand secours dans les moments difficiles – il désirait donc s’entretenir avec moi de Dieu... J’étais très étonné. Il me parla de sa mère et de sa famille ; il semblait sincère. Il voulait une consolation spirituelle, cherchait Dieu, demandait que je lui apprisse la religion. Il venait de temps en temps me voir – toujours la nuit. Il disait avoir fait les études supérieures. Quelques jours après je fus emmené dans un couloir où je trouvai deux enfants qu’on me pria de baptiser ; on me demanda de bénir les petites croix qui m’avaient été présentées. Ce que je fis. Je rencontrai ensuite l’officier de l’N.K.W.D. qui me procura de la nourriture (la famine sévissait dans la prison). Il arriva même que, pendant la promenade des prisonniers, le gardien m’appelât à part et commençât une conversation sur Dieu ; je voyais combien la religion et la foi en Dieu manquaient à ces gens-là... » (Prêtre orthodoxe M. B., né le 5 novembre 1911 à Wilno).

 

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 « ... En faisant la queue, je bavardais souvent avec les Russes qui me racontaient beaucoup de choses de leur vie. Elles le faisaient même à haute voix, sans crainte, car au fond elles ne se souciaient plus de rien. On parlait surtout de la religion. Lorsqu’elles virent ma petite médaille, les vieilles se mirent à pleurer, et les jeunes filles me posèrent nombre de questions. Elles disaient ne plus se rappeler comment on priait ; je dus leur apprendre à baptiser les enfants sans l’assistance du prêtre. À dire vrai, la constitution laissait la liberté du culte, mais des impôts si élevés frappaient l’Église qu’elle ne put subsister. En outre, la propagande antireligieuse était assez développée surtout dans les écoles ; parmi les enfants et la jeunesse... » (W. A.).

 

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 « ... Chose étrange, en réalité, un tiers des citoyens russes sont des déportés pénaux ou des condamnés politiques, renfermés dans les camps de travail. Dans la constitution, on parle beaucoup de tolérance religieuse, tandis qu’en réalité je rencontrai des faits de vraie persécution religieuse. Le mari de la personne chez qui j’habitais dans le « Kazakhstan » du Nord avait été condamné à 10 ans de prison parce qu’on l’avait vu prier à la maison, le soir, et qu’il avait été dénoncé aux autorités de l’N.K.W.D. – On parle de la liberté de parole et de presse, et, en fait, nul ne peut dire ce qu’il pense, car il se trouvait immédiatement dans un camp de concentration... Dans la petite ville où je me trouvais, il y avait une vieille petite église orthodoxe fermée et très endommagée. Une des femmes du lieu me raconta que la petite église avait été ouverte jusqu’en 1935, et deux « popes » (prêtres orthodoxes) y avaient célébré les fonctions. À chaque fête, une foule de fidèles s’assemblaient dans la petite église. Cependant les persécutions commencèrent. Pendant les fonctions, la petite église était entourée de bandes de jeunes gens athées qui lançaient des cailloux et de la boue contre l’église et sur les fidèles, sifflant pendant les prières, etc. La petite église fut enfin fermée et l’entrée en fut interdite aux fidèles. Chez cette même femme, je trouvai, suspendue dans un coin de la maison, une image qu’elle avait recouverte d’un autre petit tableau, parce que certains crachaient dessus et se moquaient de la propriétaire. Dans plusieurs maisons (ou presque dans toutes) il y a de ces images. La jeunesse élevée dans les écoles soviétiques est athée dans la proportion de presque 100 %. Peu de parents ont le courage d’inculquer la foi à leurs enfants. Je me souviens de mon dégoût en voyant une enfant de treize ans qui, en présence de sa mère, de sa grand-mère et de la mienne, imitait d’une manière vulgaire les gens qui prient, ajoutant que seulement les vieux et les stupides priaient. Je me rappelle l’air embarrassé de la mère et de la grand-mère me regardant avec une certaine honte, sans toutefois faire à l’enfant la plus petite observation. Celle-ci avait appris cela à l’école et non à la maison. En général, l’éducation de la jeunesse est complètement différente de la nôtre. Chez nous, par exemple, on apprend aux enfants le respect des vieux et des femmes ; chez eux, bien au contraire, les vieux sont raillés et considérés comme des êtres inutiles... » (E. K.).

 

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 « ... Des injures et des surnoms horribles, de continuels interrogatoires sur : qui venait chez moi..., où allais-je... pourquoi les paroissiens venaient-ils me voir.., de quoi parlaient les prêtres pendant les sermons et les exercices..., que disaient certaines personnes en confession..., qui enrôlait les partisans..., tout cela avec des épithètes offensant la dignité humaine, et les plus atroces blasphèmes contre Dieu, l’Église, la Pologne et les prêtres ». (Don S. K., né le 1er novembre 1895 à Wilno).

 

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 « ... Le ministère pastoral, dans la province de Buchara, a existé, avec des interruptions provoquées par ma maladie, du 13 décembre 1941 au 20 juin 1942, c’est-à-dire jusqu’au moment où les autorités soviétiques le défendirent, ordonnant de se conformer aux lois soviétiques sur la religion (activité pastorale d’un aumônier militaire de l’Armée polonaise en liberté) ». (Aumônier M. F. J., né le 27 mai 1913 à Poznan).

 

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 «... Dans la prison de Dniepropetrovsk (avril-septembre 1940), je me trouvais avec S., Russe intelligent, qui avait fait, ainsi que les Russes aiment à le remarquer, « un peu d’Université avant la révolution ». Il avait beaucoup lu, s’intéressait à la politique internationale avec des vues imbues de l’impérialisme du tsar. Il avait un fils assez grand, élevé à l’école bolchévique. La belle-mère vivait chez lui, c’était une personne de sentiments religieux. Dans les moments de bonne humeur, il citait des faits intéressants sur la vie russe en général et sur la sienne. « Autrefois, au temps des tsars, racontait S., il existait une coutume pascale d’après laquelle, le deuxième jour des fêtes, on portait, dans les prisons, des aliments et des boissons aux prisonniers. Ce jour-là, des foules immenses se rendaient aux « tiurme » (prisons), chargées de toutes sortes de cadeaux pour les prisonniers. Aujourd’hui, avec le régime bolchévique, si quelqu’un veut faire pour Pâques un « baba » (gâteau pascal) et fêter ce jour fût-ce même dans l’intimité, il doit fermer soigneusement portes et fenêtres pour que personne ne voie qu’il peut se permettre ce luxe et surtout qu’il observe encore des « superstitions » religieuses. Pendant une de ces fêtes, organisées en secret chez S., le petit-fils ne voulait à aucun prix goûter du gâteau béni. Les grandes personnes ne comprenaient pas ce refus, car le « baba » pascal est un luxe et qu’il devait faire envie à l’enfant. À la fin, après des insistances vaines et réitérées, comme les parents et la grand-mère, pris de curiosité, voulaient connaître la raison de cette abstinence, le jeune garçon confessa en rougissant : « À l’école, le maître nous a dit que le « baba » pascal sent le prêtre » (P. Zw. - l-a).

 

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 «... Nous sommes dans la Semaine Sainte de l’an 1940. La prison de Dniepropetrovsk (autrefois Iekaterinoslav) est plongée dans le sommeil. Soixante prisonniers se trouvent dans une grande cellule de vingt lits. Les uns sont couchés deux par deux dans un lit, d’autres à terre entre un lit et l’autre, d’autres encore dans l’espace, resté vide, de la cellule. Leur sommeil est inquiet, nerveux ; leur respiration, dans l’air putride et lourd, pénible comme leur malheureux sort.

Sur la porte une lampe électrique éclaire d’une faible lueur ce spectacle de misère, de saleté et de désespérance.

Après minuit, la porte de la cellule est tout à coup ouverte.

Une patrouille de gardiens apparaît. L’ordre est : « Se lever immédiatement et, sans s’habiller, passer dans le couloir. » Nous autres, prisonniers entraînés et pleins d’expérience, nous savons que ceci signifie : perquisition.

Après nous avoir poussés dans le couloir gelé et presque obscur, les gardiens, comme d’habitude, se partagent en deux groupes : une partie reste dans la cellule pour fouiller dans nos vêtements, l’autre procède à la perquisition personnelle de nous tous dans le couloir. Cette fois-ci, c’est une perquisition toute particulière. Dans ce lieu obscur, à la lumière des lanternes, les « bojcy » (soldats soviétiques), avec leurs bérets hivernaux à pointe, paraissent presque des diables d’une scène infernale. Ils s’approchent des deux côtés de notre groupe où l’un est rangé après l’autre. Ils posent la question : « Boga imiejesz ? » (As-tu Dieu ?) et fouillent de mains lestes cherchant la petite médaille. Les prisonniers attendent debout, nus, tandis que les gardiens palpent leurs guenilles, essayant de deviner au toucher la présence d’objets métalliques et ronds, cachés dans les pochettes ou bien cousus dans les doublures des habits. À chaque instant, accompagnée de quelque blasphème, une petite médaille résonne sur le plancher de pierre.

Une heure après, la perquisition est terminée. Engourdis par le froid, nous retournons dans la cellule, où, comme tant d’autres fois, nos vêtements ne sont qu’un tas de guenilles éparpillées à terre...

Naturellement toutes les petites médailles n’ont pas été retrouvées... Il en est suffisamment resté pour une prochaine « recherche de Dieu ». (A. R., né en 1901 à Léopol – 1-b).

 

 

 

3. – Relations des juifs sur la vie religieuse en Russie

 

« ... Les juifs étaient plutôt poursuivis pour leur religiosité, refusant, par exemple, au début, de travailler le samedi et les jours de fêtes hébraïques. Plus d’une fois, je fus, comme médecin, appelé au commandement, où l’on me pria de ne pas délivrer d’exonérations du travail aux juifs pour les jours de fêtes hébraïques, seules les fêtes de l’État étant reconnues. Cette préoccupation, chez les bolchéviques, devenait même ridicule. Je me souviens de ce fait : un des comptables chantait des airs d’opéra. Comme ce jour-là était celui d’une fête juive, il fut arrêté et il fallut beaucoup de temps pour arriver à expliquer le malentendu au « docte » représentant de la milice. Je me rencontrai plus tard, après l’amnistie, avec des juifs russes. Il y avait quelques médecins israélites dans l’hôpital où je travaillais en qualité de médecin militaire polonais. Les vieux étaient peut-être encore religieux, mais les jeunes étaient uniquement des bolchéviques, chez lesquels tout sens de tradition ou de foi de leurs pères avait disparu. Je ne sais si cette attitude était sincère, car la sincérité était une chose bien rare en Russie, quoique, envers nous, soldats polonais dont on connaissait les opinions sur le régime soviétique, il y avait moins de méfiance ». (L. E. Docteur, sous-lieutenant, né à Brzozow, Prov. de Léopol, en 1899).

 

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 « ... L’homme qui vit en Europe ne peut avoir l’idée de la grandeur du mal causé par les Soviets. La civilisation hébraïque, tant de fois objet d’oppression dans l’histoire, est maintenant, plus que jamais, poursuivie.

J’arrivai seulement à comprendre l’extension de ce malheur quand, déjà libéré, j’observai les conditions de la vie dans les villes de l’U.R.S.S. Je voyais cette populace qui, dans l’espace de vingt ans, avait réussi à changer complètement sa manière de vivre. Dans les villes soviétiques il n’y a plus de synagogues, ni de maisons de prière et il est sévèrement défendu d’avoir des livres de prière. La population locale hébraïque est moralement opprimée et la nouvelle génération, soustraite, dès les premières années, à l’influence des parents, est élevée dans l’athéisme et le mensonge. J’ai été à Kujbyszew, Omsk, Tomsk, Stalingrad et Tachkent et en d’autres localités, et je me suis aperçu que la manière de vivre des juifs se trouve, en comparaison de celle de toutes les autres populations, au niveau le plus bas.

Ceci est la conséquence du traitement particulier tenu envers eux par les autorités. Me trouvant dans l’U.R.S.S., j’ai été témoin du terrible malheur qui a frappé les juifs russes ! Ayant observé leur vie dans ce pays, je pense que les prières silencieuses pour la libération sont une bien faible manifestation des souffrances de ce peuple... » (Étudiant en médecine né à Radom en 1916. Pologne centrale, prov. W.).

 

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 « ... Lorsque les perquisitions étaient faites, on nous enlevait tout, fussions-nous juif ou catholique. En effet, pour les Juifs, il n’y avait aucun égard ; on leur prenait même les taleds et les livres de prière. En théorie, l’on n’admettait aucune liberté de culte ; mais cependant il y avait des juifs croyants qui tenaient des « rodal » cachés à la maison et célébraient des fonctions clandestines... » (G. A. employé né à Cracovie en 1911).

 

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 « ... Avez-vous, propagateurs de l’égalité des classes et des races, résolu le problème hébraïque ? Ils ont conquis une partie du peuple juif – les intellectuels – en les exploitant comme dirigeants et en leur offrant en échange l’accès à tous les, biens, mais en même temps ils ont laissé le reste de la population hébraïque dans la plus terrible misère matérielle et morale. Ils ont détruit ce qu’il y a de plus sacré dans le cœur du Juif : la religion et la langue, l’obligeant à l’assimilation voilée par de belles paroles d’ordre et des conceptions de souveraineté... »

« ... Dans la Russie soviétique, les Juifs vivent du souvenir des belles années passées et soupirent en pensant à ce temps-là. Ils espèrent en voir le retour. Les synagogues, qui peuvent se compter sur les doigts d’une main, ne suffisent pas pour satisfaire les aspirations religieuses de tous les Juifs russes. La jeunesse israélite est désormais complètement assimilée et ne connaît plus ni la langue maternelle ni les us et coutumes hébraïques... ». (S. I. employé privé né à Zawiercie en 1919).

 

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 « ... La célébration des cultes religieux est rigoureusement défendue. Des parents furent condamnés à une peine allant de 5 à 10 ans pour la circoncision de leurs propres fils. Parmi les susdits Juifs je rencontrai un professeur de Moscou ancien membre du parti communiste. Le docteur M., citoyen polonais de Tarnow et moi eûmes, avec ce professeur, une discussion sur le « problème juif » dans la Russie soviétique. Cet entretien nous fit comprendre clairement l’attitude du juif communiste niant l’existence du peuple juif dans l’U.R.S.S. Différente au contraire était l’opinion du citoyen soviétique, juif-orthodoxe, prisonnier lui aussi depuis 12 ans, ce qui ne l’avait jamais empêché d’exercer (clandestinement) le culte religieux. Il confessa sincèrement que, sur 4 millions de Juifs russes, 65 pour cent étaient des Juifs orthodoxes et nationalistes, complètement dénationalisés comme juifs, par les autorités soviétiques ; et que les fils qui conservent encore les sentiments hérités de leurs pères, doivent à présent prier en cachette, se défiant même des plus proches parents. Après la sortie des « lagier » (camps russes de travail pénal), j’eus la possibilité de me convaincre de la vérité de tout ce que le Juif orthodoxe avait raconté... À Fergana (Kirghizstan) j’ai connu beaucoup de citoyens soviétiques juifs et aussi des Juifs polonais. En cherchant du travail, je rencontrai par hasard le directeur d’un « artel » (coopérative artisane) juif, membre du parti communiste. Dans le cours de la conversation, je lui confessai que j’étais rabbin et je le priai de me trouver un emploi qui ne m’obligeât pas à travailler le samedi. Mon attitude à l’égard du travail ce jour-là l’intéressa beaucoup ; il m’invita chez lui et me fit connaître son vieux père. Ce dernier, après un long entretien, et s’être assuré que j’étais vraiment rabbin, me confessa toute la vérité : lui et son fils, quoique membre du parti communiste, célébraient le culte juif, selon le rite espagnol. Mais tout ceci se déroulait dans le plus grand secret et la défiance à l’égard même des parents et des voisins.

À Margelan (Tagikistan), le jour de la fête hébraïque « Purima », quelques juifs, citoyens soviétiques, habitant la ville, m’invitèrent dans une maison où l’on célébrait la prière du soir. Un voisin nous dénonça aux autorités de l’N.K.W.D. (Comm. Pop. des Affaires Intérieures). Le propriétaire de la maison fut arrêté et, après enquête, condamné à dix ans de prison. Pendant mon séjour à Fergana, je fus invité chez un juif, communiste aussi, avec lequel je parlai longuement du problème hébraïque en Russie et surtout du Birobidjan. Comme tous les juifs nationalistes, il soutenait que le Birobidjan ne résout pas le problème hébraïque, qu’en général l’attitude des autorités soviétiques envers les juifs n’est pas très bienveillante, quoiqu’il n’y ait en ce sens aucun ordre officiel de la part du gouvernement. À ce point de la conversation, la femme de mon hôte étant rentrée, il interrompit immédiatement le discours. À ma demande pourquoi il se défiait de sa propre femme, il me répondit que, dans la Russie soviétique, on ne pouvait avoir confiance ni en sa femme, ni en ses enfants... » (Rabbin S. M., né en 1904 à Brzesc s/Bug. Prov. Polesie).

 

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 « ... Au début, on permettait aux juifs de fréquenter les synagogues, mais bientôt la communauté hébraïque fut liquidée ainsi que le bureau d’enregistrement relatif aux naissances. L’on frappa ensuite d’un impôt si élevé le palais dans lequel la synagogue se trouvait que, ne pouvant payer la taxe imposée, les juifs durent fermer la synagogue... Je n’ai jamais vu une synagogue dans les villes de l’U.R.S.S. où j’ai été ; il n’y avait ni presse, ni aucun enseignement scolastique hébraïque. L’attitude envers les juifs était hostile ». (K. J., employé, né à Przemysl, prov. de Léopol, en 1911).

 

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 « ... En ce qui concerne la religion, je citerai un exemple : je me trouvais avec un juif de Rzeszow, dont je ne me souviens pas du nom, qui portait, comme tous les juifs orthodoxes, une longue barbe et les « pejs » (de longues boucles aux tempes). Celui-ci priait tous les jours sans secacher, ce qui lui valut d’être assigné aux travaux les plus lourds et lui attira beaucoup de soucis de nature morale. » (K. H., technicien dentiste, né à Nowy Sacz, prov. de Cracovie, 33 ans.)

 

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 « ... Deux semaines après ils commencèrent à nous emmener à la gare. Naturellement nous étions assujettis à une perquisition sévère et tous les objets de culte religieux, entre autres, nous étaient confisqués... Je me rappelle qu’un des chefs, voyant un juif qui priait sur son lit de sangle, placé en haut, le tira à terre par la « tfilim » (long manteau porté par les juifs) et le frappant brutalement à coups de pieds lui criait : « Nous n’avons pas besoin de Dieu... » (H. D., étudiant en médecine, né à Varsovie en 1914).

 

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 « ... Et si l’un d’eux réussissait à trouver une médaille cachée jusque-là, ou un livre de prières, la joie et les éclats de rire des sans-Dieu n’avaient pas de limites. Immédiatement, une punition, consistant généralement dans la prohibition d’aller au cabinet ou de jouir de la promenade quotidienne de 10 minutes, était imposée à toute la cellule.

En ce qui concerne les juifs soviétiques, les anciennes générations sont suffisamment religieuses ; ils le cachent, cependant, pour la sûreté de leur personne et des leurs. Officiellement, dans le territoire de l’U.R.S.S., les synagogues et les maisons de prière n’existent point et toute manière de prier est sévèrement défendue et punie... » (G. H., simple soldat, né à Varsovie en 1918.)

 

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« ... Qu’est-il arrivé aux milliers de synagogues et de maisons de prière existant en ce territoire avant le régime soviétique ? De ce nombre, 89 % ont été « spontanément » cédées par les juifs pour en faire des locaux publics, sociétés, « krasnyje ugolki » (« nids rouges »), magasins, etc.

« La chose se présentait de la manière suivante : l’on taxait la synagogue d’une contribution si élevée que les intéressés n’étaient absolument pas à même de la payer. De plus, les habitués de la synagogue étaient poursuivis de plusieurs manières, jusqu’à l’emprisonnement, sous l’accusation de « contre-révolutionnarisme » de la part des rabbins, etc. Les rabbins, à peu d’exceptions faites pour les opportunistes, furent déportés au nord, ou en d’autres lieux d’isolement, et plusieurs, comme on le sait, sont déjà morts ; d’autres sont condamnés à mourir. Le sens de la religion est assez enraciné dans les masses juives de l’U.R.S.S. J’ai pu le remarquer dans les conversations que j’ai eues avec diverses personnes ainsi que par mes observations personnelles. Même les juifs occupant des places de l’État fréquentaient en cachette les fonctions célébrées les jours de grandes fêtes hébraïques. J’ai assisté à une de ces cérémonies dans une petite maison, au faubourg de Krzywy Rog (Ukraine) le jour du « Roszhaszan » (nouvel an). J’y rencontrai des employés de l’État et y vis une espèce de « Maran » (rite espagnol médiéval) ; ces gens priaient avec ardeur, oubliant le danger qu’ils couraient de perdre ainsi leur place et par conséquent le pain quotidien...

« La plus grande partie des juifs de l’U.R.S.S., la vieille génération surtout, élevée dans l’esprit religieux national, conserve en cachette les traditions et les fêtes solennelles, avec plus d’ardeur encore que dans les pays où existe la liberté de culte. Ils les transmettent avec foi et ardeur à leurs enfants. Je connais le fait d’un père mourant faisant ses recommandations à son fils en ces termes : « Rappelle-toi que tu es israélite ; récite toujours le « Kadysz » (prière pour le repos des âmes) même si pour cela tu devais souffrir. » Ces paroles me furent rapportées par le fils du mort. Il ne sera pas inopportun de citer l’épisode intéressant qui me fut raconté par un juif, professeur en médecine dans la clinique de laryngologie de l’Institut Médical de Dniepropetrovsk, où j’étais malade. Un haut personnage du parti communiste, connu de ce professeur, eut un fils. Le père, désirant absolument faire la circoncision rituelle de l’enfant et craignant, à cause de sa position, l’opinion de ses supérieurs, partit pour un voyage soi-disant de service, pendant lequel sa femme et ses parents procédèrent à l’accomplissement du rite. Contre les accusations de cléricalisme qui lui furent ensuite adressées, il se défendit en affirmant que la chose avait été faite à son insu. J’ajoute encore ceci : on me confisqua, comme à d’autres prisonniers, le livre de prières que je gardais comme une relique, l’ayant eu de mon père lorsque je partis pour la guerre de 1939. » (M. M., employé dans les industries du bois, né à Sosnkowice prov. de Nowogrodek, Pologne orientale, en 1909.)

 

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 « ... Au début, les synagogues étaient ouvertes ; mais, dans la suite, de si lourds impôts furent créés que, malgré l’extrême générosité de la population juive, l’on n’arriva pas à les payer ; quand l’un était réglé, un autre plus fort était réclamé : l’on dut fermer ainsi les synagogues. En Russie proprement dite, la liberté des pratiques religieuses n’existe pas, mais bien au contraire, une très forte propagande athéistique, financée par le Gouvernement soviétique... » (J. A., sans profession ; né à Perehinsk, prov. de Stanislawow, en 1908.)

 

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 « ... Les écoles de caractère religieux avaient été fermées ; d’autres, par contre, étaient transformées conformément au système soviétique, et l’enseignement de la langue russe y était obligatoire. La langue hébraïque était défendue ainsi que l’enseignement de la religion. Pratiquement, la liberté de culte n’existe pas en Russie. » (R. Sz., mailleur, né à Przysucha, district de Opoczno, en 1912.)

 

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 « ... En qualité de citoyen polonais de religion hébraïque, je le sentis, non seulement du côté national, mais même religieux, car mon livre de prières me fut enlevé et, pendant la plus grande fête juive, je fus obligé de travailler. » (H. M., chef d’orchestre, né à Cieszyn (Silésie) en 1902.)

 

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 « ... Je dois conclure – considérant les choses en général – que ce tant vanté libéralisme envers les minorités nationales était une feinte impudente. La vie des juifs dans la Russie soviétique mérite une toute particulière attention. L’on ne peut malheureusement pas parler de religiosité, parce que, pour faire des actes religieux, il faut se trouver dans les conditions qui conviennent. J’exposerai brièvement comment le problème se présentait : de même qu’il n’existait pas d’églises catholiques, ni orthodoxes, ainsi n’y avait-il pas de synagogues, ni de maisons de prière. De temps en temps, dans quelque petite ville, un résidu de tradition survivait, le tout dans le secret le plus profond. La presse et l’enseignement exécutent les ordres reçus, sans aucune initiative personnelle. Le seul fait enfin que j’ai pu observer est que les juifs russes n’ont conservé que la langue juive, qu’ils peuvent employer selon la « Constitution ». Je ne connais pas à fond la question du « Birobidjan » mais, si elle a le caractère des autres grands projets bolchéviques, elle ne sera certainement pas une solution du problème juif. » (G. A., né à Lodz en 1908, électricien ; 10553).

 

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 « ... Même les sentiments religieux étaient parfois offensés par les railleries envers les objets de dévotion, comme portraits sacrés, croix, images saintes, etc. » (G. I., dentiste stagiaire, né à Varsovie en 1905 ; 10561.)

 

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 « ... Après l’amnistie, durant le voyage vers la Russie méridionale, je parlai avec plusieurs juifs russes rencontrés alors. Ils travaillaient durement et souffraient la faim avec les autres hôtes des Soviets. Ils n’ont aucune possibilité de conserver les traditions et les mœurs de leurs pères. Les rabbins sont tous déportés. L’on ne trouva pas de viande « sans défaut » (viande permise aux juifs orthodoxes), ni du pain azyme pour les fêtes de Pâques, il n’y a pas de livres de prière, ni de « tales », ni de « tfilim » (objets de rite juif), etc. Les synagogues et les maisons de prière sont fermées ou bien transformées en clubs ouvriers, en « kiasnyje ugolki » (« nids rouges »). Selon les principes de la religion hébraïque, les prières doivent être récitées en présence de dix juifs, mais ceci pouvant être considéré comme une réunion antirévolutionnaire, les juifs prient seuls dans leurs maisons. Qui le désire ne peut pas fêter le samedi, car s’abstenir de travailler peut être puni par la prison... ». (W. Sz., agriculteur, né à Léopol en 1902 ; 10563).

 

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 « ... La vie religieuse était opprimée de diverses manières ; par exemple, le jour du « Jugement » un groupe de juifs se rassembla pour réciter les prières. Une partie d’entr’eux furent arrêtés et emprisonnés sous l’accusation d’avoir pris part à une réunion illégale ; l’on ne sut plus rien à leur sujet. Les Polonais en concentration dans le pays voisin se trouvaient, d’ailleurs, dans les mêmes conditions. Les juifs et les Polonais n’étaient séparés que fortuitement. Tous étaient également maltraités et exploités sans distinction de nationalité ou de religion... » (Z. M., médecin ; 10566.)

 

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 « ... Dans l’Ouzbékistan, j’habitais la ville de Fergana. J’y rencontrai les juifs de Buchara, fanatiques religieux, qui conservaient encore les traditions bibliques. Leur beau temple avait été transformé en club et le cimetière seul était resté le centre du culte religieux. C’était l’unique concession faite aux juifs de l’Union Soviétique par les gouverneurs de la Russie d’aujourd’hui. La jeunesse juive est presque totalement assimilée et prévenue, par l’adroite propagande, contre la tradition et la religion qui ont toujours été les bases et les fondements de l’existence séculaire du peuple juif. » (Doct. K. S., avocat, né à Sanok, prov. de Léopol, en 1901.)

 

 

 

4. – Les musulmans

 

Vers fin de janvier 1942, une des unités de l’Armée se transféra à Guzar (Ouzbékistan, au sud de Samarcande).

Toutes les mosquées étaient supprimées, la plupart transformées en écuries ou latrines, quelques-unes en magasins. Au dépôt de l’État-Major de cette unité de l’Armée, dont en ce temps-là j’étais le Chef d’État-Major, il y avait aussi un tartare, Ali K., assistant de turcologie à l’Université des Jagellons, parlant parfaitement la langue turque et, comme la langue ouzbek est étroitement liée à la turque, grâce à cette connaissance il nous servait de trait d’union avec la population locale.

Quelques jours après, se servant de la confiance que les croyants mahométans avaient en lui, mahométan comme eux, Ali K. réussit à avoir un entretien avec le Mully local ou l’uléma, de toute façon avec un vieillard qui représentait en cachette l’autorité spirituelle musulmane de la région.

« Dans le cadre de l’accord polonais-soviétique, je demandai aux autorités soviétiques locales un bâtiment à adapter comme chapelle de l’armée ; ils m’offrirent une mosquée à moitié détruite. Avant de donner une réponse, je fis demander par Ali ce que les musulmans auraient pensé de cela. La réponse de ce vieillard fut la suivante : « Personnellement, je serais heureux que les murs d’une mosquée, au lieu de servir d’étable comme à présent, fussent employés comme lieu de prière, mais mes compatriotes pourraient penser autrement ; il vaut mieux donc ne pas le faire. Si, au contraire, vous y placez un hôpital ou une école, nous vous serons tous reconnaissants pour la consécration de nos mosquées profanées. »

« Par conséquent, nos fonctions religieuses furent tenues dans la cour d’un grand caravansérail, qui était le siège de l’État-major. La population musulmane demanda, par Ali K., la permission d’assister à nos fonctions, permission que, naturellement, je leur accordai. Chaque dimanche ils se plaçaient dans la pénombre de la cour, la tête découverte (seulement ils ne se mettaient pas à genoux), très sérieux et recueillis.

« Après la première fonction, ils nous posèrent deux questions : 1. Pourquoi pouvez-vous librement prier, tandis qu’à nous cela ne nous est pas permis ? 2. Du moment que vous priez, vous êtes des gens comme il faut ; alors pourquoi vivez-vous avec ces ennemis de Dieu ?

« Trois dimanches après vint chez moi le major Czajkowskij, officier de l’union soviétique (N.K.W.D.) me disant très affablement qu’il avait une grande faveur à me demander. Je m’aperçus immédiatement qu’il s’agissait d’une intrigue. Il commença : « Je sais que vous êtes une armée indépendante et avez le droit de faire des fonctions religieuses selon vos habitudes, mais à vos fonctions prennent part non seulement les soldats, mais aussi les civils. » « Oui » – lui répondis-je – « ils y prennent part et continueront à y prendre part, car à Guzar, ainsi que vous le savez, il y a beaucoup de population polonaise ; il s’agit de citoyens polonais qui ont tout le droit d’assister à nos fonctions. » « Mais bien sûr, je suis parfaitement d’accord, je n’ai envers eux aucune difficulté » – dit le major Czajkowskij – « mais, outre ceux-là, d’autres gens aussi y prennent part ». « Je comprends », lui répondis-je, « vous parlez de la population locale, ouzbek. »

« Il s’agit exactement d’elle. »

« Mon Major – lui dis-je – notre accord, que nous désirons accomplir avec loyauté, nous engage moralement à ne rien faire sur votre territoire, qui pourrait être pénible pour vous et je comprends parfaitement qu’il doit être très pénible pour vous que les Ouzbeks voient comment nous prions. »

Le major Czajkowskij, stupide et borné, se mit fort à rire, ne comprenant pas l’ironie de mes paroles.

« Mais vous me comprenez toujours parfaitement ! Oui, il faut absolument faire en sorte qu’ils ne viennent pas. »

« D’accord » – je répondis – « mais en ce qui concerne ces gens-là, je ne peux ni rien permettre ni rien défendre. »

« Mais certainement, nous publierons l’ordonnance et vous ne mettrez qu’une sentinelle à la porte pour les avertir que l’entrée est défendue. »

Le dimanche suivant, une sentinelle, qui gardait la porte, avertissait, d’après mon commandement, tout Ouzbek qui venait que, par décret des autorités locales, l’entrée était interdite.

Les dimanches suivants, il n’y eut plus d’Ouzbeks ; je sus que les autorités soviétiques avaient fait de très fortes répressions pour la présence à nos fonctions. (T. F. – 9637/7.)

 

 

 

Chapitre II

 

L’Organisation de l’enseignement soviétique dans les territoires occupés en 1939

 

(Extrait du travail du Doct. T. M. Wieliczko, intitulé : « Les Soviets sur le territoire polonais »)

 

 

Au début, dans plusieurs écoles, on laissa toute chose sans changements, ne touchant pas même à l’enseignement de la religion et assurant les parents des élèves que la religion, l’enseignement de : l’histoire et de la géographie de la Pologne ne seraient pas enlevés du programme

Des changements radicaux se vérifièrent bientôt.

Un nouveau programme scolaire fut rédigé, provoquant pour les enfants un recul d’un an, sous la prétendue excuse du niveau plus bas de l’école polonaise. La religion, l’histoire, la géographie de la Pologne, ainsi que le latin, furent effacés des programmes ; puis, avec le temps, tous les livres polonais, les livres de calcul non exclus, furent retirés, car, soutenait-on, les tâches ne répondaient pas aux prix des marchandises ni aux principes de l’idéologie communiste (4618).

Le programme scolastique, par contre, fut agrémenté par des réunions, des films cinématographiques glorifiant l’héroïque massacre de la classe intellectuelle russe, des propriétaires de terres, des « popes » (prêtres orthodoxes), des gendarmes et des agents de police pendant la période de la révolution, ainsi que l’histoire du parti, l’enseignement de l’idéologie communiste et une parfaite connaissance de la constitution soviétique.

Avec le temps, on procéda à la suppression, non seulement de la langue et de la littérature polonaise, mais l’on défendit même de parler le polonais.

À la place de la langue polonaise, l’enseignement de la langue russe fut introduit, puis celui de la littérature communiste de l’histoire de la révolution russe avec un égard spécial à la lutte des classes ; les cours sur les principes matérialistes et relatifs aux règles fondamentales nouvelles et indispensables de l’enseignement de Marx et de Lénine furent aussi inaugurés (10685). Le programme de l’enseignement visait de plus à diminuer et à diffamer tout ce qui était polonais ; il présentait la religion, l’histoire, l’économie et la politique polonaises sous le plus mauvais jour (6464).

Plus tard, une forte pression fut faite pour obliger les écoliers à fréquenter l’école soviétique, au moyen de laquelle on voulait à tout prix séparer la jeunesse, le plus tôt possible, des parents et de leur foyer. Les directeurs et les dirigeants des différents bureaux et établissements gouvernementaux avaient l’obligation de contrôler scrupuleusement la fréquentation de l’école par les enfants et d’appliquer aux parents de ceux qui n’y venaient pas les sanctions « soviétiques », les privant de tout emploi, les chassant des appartements qu’ils occupaient, les signalant aux autorités compétentes de l’N.K.W.D. (10623).

Le corps enseignant fut changé en même temps que le programme et remplacé par des personnes techniquement qualifiées ; par un personnel provenant de Russie, ou souvent de la rue, dépourvu de préparation et de connaissances élémentaires, de principes de pédagogie et d’enseignement. L’inscription au parti suffisait, le consentement des autorités de l’N.K.W.D. et l’activité éprouvée d’agitateur et de propagandiste. C’est ainsi que la jeunesse apprenait avec étonnement, par exemple, que Mickiewicz, Kosciuszko ou Konopnicka étaient d’éminents communistes polonais.

Qu’il suffise de dire qu’un écrivain communal fut nommé directeur d’un gymnase ; dans un autre gymnase, un voleur sorti de prison fut nommé directeur ; dans un troisième, un agriculteur fut promu directeur, etc. (8464, 10685).

Un élément assez caractéristique de la question relative à l’attitude des autorités d’occupation envers l’enseignement scolaire des minorités est constitué par le fait qu’en plusieurs écoles, dans lesquelles aussitôt après l’entrée des troupes soviétiques la langue blanche-ruthène fut introduite, comme langue officielle et obligatoire pour l’enseignement, cette dernière fut bientôt remplacée par la langue russe (61112).

Dans la petite ville de Siemiatycze existait une école élémentaire publique qui, avant la guerre, était fréquentée par 1150 élèves. De ce nombre, 98 seulement étaient de religion orthodoxe, dont 81 se disaient russes ou blancs-ruthènes. Les autres élèves, c’est-à-dire, 92% environ d’entre eux, étaient polonais de religion catholique. Les juifs ne fréquentaient pas cette école, en ayant une à eux. En octobre 1939, le Conseil communal, par ordre de l’N.K.W.D., convoqua une réunion des parents, à laquelle 460 prirent part. Ils devaient décider s’ils voulaient une école avec l’enseignement en langue polonaise ou en langue russe ; 420 personnes votèrent pour l’école polonaise et 40 seulement pour l’école russe. Malgré cela, en novembre, une école élémentaire était fondée, avec un nouveau directeur, qui déclara entre autres, aux maîtres assemblés, que les autorités soviétiques étaient hostiles aux instituteurs fréquentant l’église, et donnant ainsi un mauvais exemple à la jeunesse (7742).

À Brzesc sur le Bug, existaient 9 écoles élémentaires avec l’enseignement en langue polonaise, une en langue russe et quelques-unes en langue juive ; trois écoles moyennes avec l’enseignement en langue polonaise, une en langue russe et une en langue juive. Trois écoles moyennes furent alors fondées avec l’enseignement en langue russe, une en langue juive et une en langue polonaise.

Quelques écoles élémentaires (pour les enfants jusqu’à l’âge de sept ans) furent ensuite ouvertes avec l’enseignement en langue russe, deux seulement en langue polonaise et une en langue blanche-ruthène (6112).

Avec le temps, dans toutes les écoles où l’enseignement était donné dans la langue locale, celle-ci, par ordre des autorités d’occupation, fut remplacée par la langue russe.

Outre cette guerre à la langue polonaise et à tout ce qui était polonais dans les écoles, les nouvelles autorités entreprirent une lutte impitoyable contre la religion.

Dans toutes les classes de chaque école, les crucifix furent enlevés, et dans les lieux où des chapelles scolaires existaient, furent créés des clubs et des salles de récréation où eurent lieu les réunions. L’enseignement de la religion, comme nous l’avons précédemment montré, fut effacé de tous les programmes même dans les écoles élémentaires. La notion du Tout-Puissant et de ses Saints fut remplacée par la notion du tout-puissant Staline et de ses fidèles collaborateurs. À la place des crucifix et des images saintes furent placés, dans presque toutes les classes, les portraits de Staline ou de Lénine, en compagnie de leurs « grands » prédécesseurs, Marx et Engels ou des chefs élevés par voie de faveur, comme Molotov, Kalinine, Woroszylow, etc.

La prière et la fréquentation des églises étaient défendues ; la persécution sévissait ainsi qu’aux premiers temps du christianisme. Les élèves n’assimilant pas la propagande antireligieuse étaient éloignés des écoles, tandis que les parents étaient privés de travail, déportés en Sibérie ; la jeunesse plus avancée en âge était emprisonnée (4511, 6452). Les divers propos démagogiques et les blasphèmes qui blessaient les sentiments les plus sacrés des enfants polonais étaient au contraire permis.

Dans une école élémentaire, une jeune institutrice, qui se disait, devant des enfants de sept ans, leur camarade plus âgée, commanda un jour à ces pauvres petits d’élever leurs prières à Dieu pour Lui demander le pain qui ne cessait de leur manquer. Les enfants, profitant de l’occasion, récitèrent à haute voix la prière sollicitant le pain quotidien. Évidemment, celle-ci ne donna pas le résultat ardemment désiré. Alors l’institutrice triomphante, regardant ses élèves, leur demanda : « Où est votre Dieu ? Vous voyez bien qu’il n’existe pas. » Et elle leur conseilla de prier à haute voix Staline d’envoyer du pain et des cadeaux. La demande ayant été adressée à Staline, par ordre de l’institutrice, les portes de la chambre contiguë furent ouvertes et les enfants y virent des paniers de pain, de fruits et de toutes sortes de gâteaux. Ceci arrivait au temps où le pain manquait et où, pour l’avoir, l’on devait faire chaque jour des queues interminables. Il va sans dire que l’institutrice déclarait aux écoliers étonnés que le tout-puissant Staline pouvait seul satisfaire leurs prières, quand il le voulait (6451).

Outre les conférences scolastiques et les leçons sur la nouvelle organisation du monde, de nombreux comices étaient organisés, auxquels prenaient part les dignitaires soviétiques.

Les agitateurs, voire même des membres du parti, y parlaient, cherchant à inculquer à la jeunesse leurs conceptions que ces phrases, toujours répétées, résument : « Dieu n’existe pas ; notre bienfaiteur et seigneur, qui a le droit de vie et de mort, est Staline » (6451).

Des conférences quotidiennes illustrant les diverses faces de la sympathique et heureuse vie en Russie soviétique – là où, selon les conférenciers choisis, on gagnait 1.200 grammes de pain pour une journée de travail et un kilo entier de sucre par mois – étaient tenues par de jeunes pédagogues sans expérience, communistes jurés, pleins de haine pour tout ce qui concernait en quelque façon la Pologne, la famille et la religion. Ils provenaient de Russie et étaient choisis parmi les agitateurs et les simples soldats fidèles au parti. Sur leur valeur pédagogique et scientifique, l’on peut être renseigné par les écoliers eux-mêmes :

« Quelles merveilles ne nous racontait-on pas sur l’Union Soviétique ! » dit un des élèves du gymnase. « Des mensonges semblables, il n’y en a pas dans le monde. L’ignorance et le manque total de connaissances de ces messieurs ressortaient à chaque pas, surtout lorsque, par plaisanterie, nous leur demandions s’ils avaient mangé « les racines » ou bien « les logarithmes secs ». La réponse était toujours la même : « Certainement, naturellement ; en Crimée nous en avons beaucoup ! » Et ceux-là étaient nos tuteurs, nos dirigeants et nos pédagogues » (10747).

Les pédagogues de cette espèce réussissaient plus facilement avec les petits enfants, en distribuant à la fin de chaque conférence, les caramels que leur soi-disant meilleur tuteur Staline envoyait par leur intermédiaire à ses écoliers bien-aimés (9486).

Par les douceurs, le pain et les cadeaux, ils cherchaient à se captiver les cœurs et les âmes des plus petits, surtout aux différentes fêtes communistes ; ou bien le jour de l’An, lorsque au lieu de la veille de Noël ou du jour de Saint Nicolas, les cadeaux étaient distribués dans les écoles. L’on demandait aux enfants d’où leur provenaient les cadeaux, et quand les plus francs répondaient : de Dieu, ils étaient blâmés : « Tu dis une sottise, de Dieu tu ne recevras jamais rien, mais seulement de Staline. » Les enfants, désirant les douceurs, qui en ce temps-là manquaient complètement, répondaient alors en riant : « Oui, de Staline » (4696).

D’autres méthodes existaient aussi contre la jeunesse polonaise animée de sentiments patriotiques. Aux comices organisés dans les écoles venaient des brigades d’action, cherchant à découvrir les opposants pour leur donner des coups de bâtons jusqu’à ce qu’ils perdissent connaissance.

Dans les écoles de filles l’on organisait des soirées dans lesquelles on dansait au son des musiques militaires. Les élèves même de première année du gymnase devaient y prendre part et danser avec les soldats. L’absence était mal vue (4904).

Les écoliers étaient obligés de prendre part aux cortèges, dans lesquels ils devaient chanter des chansons communistes, porter les affiches, les blasons nationaux et les portraits des commandants bolchéviques, avec Lénine et Staline en tête (5029).

Les directeurs et les instituteurs provenant de Russie donnaient un caractère spécifique aux méthodes d’enseignement de la jeunesse, et pour faciliter leur travail, ils choisissaient dans chaque classe les jeunes gens moralement plus faibles, pour s’en servir comme d’espions. Les élus avaient l’obligation de surveiller collègues et maîtres, déjà surveillés et contrôlés d’autre part par les inspecteurs qui visitaient constamment les écoles.

Les inspecteurs, au lieu de contrôler les résultats de l’enseignement, arrachaient, sous le prétexte de voir si les enfants avaient des puces, les croix et les petites médailles que ceux-ci portaient sur la poitrine. Malheur au maître dans la classe duquel l’inspecteur avait trouvé quelque chose de semblable.

Les autorités scolastiques organisaient les « Komsomol » (Fédération de la jeunesse communiste).

On choisissait les plus mauvais élèves, qu’on nommait représentants du gymnase, et qui servaient en même temps d’espions. La persécution des élèves commençait en ce temps-là. Le « Komsomol » avait ses milices scolaires ayant pour but de maintenir l’ordre dans les classes ; elles étaient payées en argent pour leurs travaux assidus. Le « Komsomol » organisait aussi souvent des amusements avec danses, fréquentés surtout par les « Komsomol » du parti et leurs sympathisants. Les Polonais ne prenaient pas part à ces amusements (10747).

Dans les écoles supérieures, des « Comités d’étudiants » étaient organisés ; les pouvoirs enlevés aux recteurs et au Conseil académique leur étaient conférés. Les étudiants se montraient hostiles à ces innovations, en s’abstenant de fréquenter les Comités et autres institutions académiques créées par les occupants (10686).

Au lieu de la domination attendue sur l’école, les relations s’aigrissaient de jour en jour dans tous les instituts d’enseignement. La jeunesse polonaise s’organisait dans des clubs et sections autodidactiques, où l’on faisait aussi de la politique et où l’on commentait les vues des occupants. Dans presque toutes les écoles, un journal clandestin surgissait (10747).

L’abîme entre l’école et la jeunesse devenait toujours plus profond.

Contre cet état de choses, les occupants réagissaient avec des moyens particuliers.

Les arrestations des élèves, dans les écoles, commencèrent sous n’importe quel prétexte.

Souvent les jeunes gens et les jeunes filles étaient directement transportés des bancs de l’école aux prisons (8673, 9205). À Stanislawow le siège de la maison où se trouvait le troisième gymnase fut exécuté par les soldats de l’N.K.W.D. La perquisition fut faite dans l’école, et quelques dizaines d’élèves furent arrêtées sans aucune raison (7790). À Bialystok, à cause de nombreuses absences le jour du 11 novembre, les soldats de l’N.K.W.D. organisèrent une rafle dans le cimetière militaire où les élèves de toutes les écoles polonaises avaient été porter des fleurs sur la tombe du Soldat Inconnu. De nombreuses arrestations furent effectuées. Cinq élèves des classes supérieures furent déportés en Russie. Des sommes fabuleuses furent promises à ceux qui avaient été arrêtés et aussi le travail pour les familles, à de bonnes conditions, s’ils donnaient les noms des agitateurs de la manifestation et s’ils voulaient travailler dans les écoles au bénéfice de l’N.K.W.D. (6464).

 

* * *

 

... À Usztobe, dans l’école élémentaire locale pour les enfants des émigrés internés coréens, une jeune juive provenant de Pologne enseignait la langue allemande. Elle s’était enfuie devant les Allemands, avec les troupes russes, en 1941. Elle devait certainement se livrer en Pologne à la propagande communiste, autrement elle n’aurait pu recevoir une telle fonction.

Un jour elle nous visita, nous Polonais, dans la baraque éloignée de travail, après le « kolchoz », parmi les champs de riz. Dans la conversation qui fut entamée entre nous, je demandai à la seule personne qui n’était pas passée par la prison soviétique et qui vivait uniquement dans l’atmosphère de la « liberté bolchévique », quelles étaient ses impressions et les expériences qu’elle avait faites dans sa collaboration avec les bolchéviques.

Après avoir regardé autour d’elle d’une manière défiante, elle me répondit : « Je dois vous dire que je suis terriblement fatiguée de tout cela. Tout ici tourne désespérément autour d’une seule et même idée, soutenue d’une manière importune et je dirais même tout à fait maladive. Chez nous (c’est-à-dire en Pologne), si vous réveillez une personne qui dort sur le tram ou bien dans le train, elle cherchera instinctivement son billet. Ici le premier mouvement instinctif du voyageur réveillé est de vous réciter les phrases stéréotypées de la propagande bolchévique : que Marx et Engels, Lénine et Staline, sont les plus grands hommes, les plus intelligents... et vous savez encore quelles autres choses. C’est ce qui arrive aussi dans l’école bolchévique... » (P. Zw. – l-a).

 

 

 

 

Chapitre III

 

La famille les vieux, les enfants et les femmes

 

(Extrait du travail de Pierre Zwierniak, intitulé : « Dans les prisons soviétiques 1939-42 »)

 

 

Dans l’isolement de l’Occident corrompu, des habitudes et des traditions bourgeoises, il y avait une lacune. En Russie même, à l’intérieur, existaient des personnes – qui existent encore – qui se souviennent des vieux temps et savent ce qu’il y a en vérité derrière les frontières de la Russie. Celles dont je parle sont les personnes âgées et leurs récits et souvenirs d’un passé non lointain s’opposaient aux buts du parti qui élève « les constructeurs du monde nouveau ».

Pour cette raison, la vieille génération a été frappée en Russie de la sentence de massacre et de destruction complète, pour qu’elle fût au plus tôt éliminée de la société de l’État prolétaire.

Le sort des vieillards en Russie est donc pour cela triste et lugubre ; la vieillesse est devenue une malédiction, quelque chose de semblable à un signe infamant.

Il est dur pour les vieux de vivre libres en Russie, mais leur sort dans les prisons, où aucun égard n’existe pour eux, est terrible.

Dans la prison de Dniepropetrovsk, dans la cellule où il n’y avait que des femmes polonaises, il y avait une citoyenne soviétique d’origine polonaise, de 78 ans, qui, ainsi qu’une prisonnière du nom de Jodlowska, avait été arrêtée pour avoir prié. Elle racontait qu’elles étaient restées toutes les deux pendant huit semaines dans la cellule de la mort, qui est une torture raffinée souvent employée par les bolchéviques. Dans les souterrains suffocants de la prison, étant complètement épuisées, elles obtinrent la commutation de la peine de mort en dix ans de prison. Pour les vieux il n’y avait pas d’égards dans les prisons bolchéviques » (10623 - Sz. Eu.).

 

Les vieux doivent faire de lourds travaux dans les camps, où l’on exige d’eux le même rendement que des condamnés en pleine vigueur. Le sort de ces personnes qui sont considérées comme infirmes et transportées en des camps spéciaux, est identique à celui des autres. L’employé de l’État, doct. Gr. W « fut reconnu comme étant malade de tuberculose et envoyé dans le camp des infirmes. Il y avait en ce lieu des personnes gravement malades et âgées. Pendant l’hiver, la première troupe composée d’hommes relativement plus sains travaillait seule, mais dès qu’il commença à faire plus chaud, tous les infirmes furent envoyés à six heures du matin dans le bois, pour couper et scier les arbres, transformer de lourdes poutres, moissonner le blé et pour d’autres travaux forestiers et champêtres. Pendant quelques semaines il fallut piocher la terre – travail lourd pour les personnes saines, et d’autant plus pour les infirmes ! Ce travail continuait jusqu’au coucher du soleil sous la surveillance des gardiens du camp. Selon le règlement, on devait employer les personnes qui avaient les 65 pour cent de santé en comparaison d’un prisonnier sain, mais l’on ne faisait pas cas de ce règlement, et si quelqu’un n’avait plus la force d’achever son travail, il était mis en prison, où il recevait 350 grammes de pain et, trois fois par jour, un plat de soupe allongée d’eau » (2729).

Lorsque la guerre contre les Allemands éclata, tous ceux qui, pour une raison ou l’autre, pouvaient fomenter le mécontentement furent destinés aux prisons. « Dans la prison de Nowoczerkask, une petite vieille était détenue, citoyenne soviétique, mère de plusieurs enfants, prisonnière depuis longtemps dans les camps de travail forcé et dans les prisons. Au moment où éclata la guerre, elle fut transportée avec d’autres malheureuses mères dans les cellules préventives des prisons : ces pauvres femmes pouvaient en effet propager le mécontentement et l’aversion pour le régime » (10623 – Sz. Eu.).

 

« À Kiev, dans la prison de Lukianovka, se trouvait un petit vieux de 76 ans, ukrainien, condamné à six ans de réclusion, et sa femme, à quatre ans, parce que leur fils, membre de l’N.K.W.D., était passé du côté des Allemands. Un Tchèque était prisonnier aussi, lequel, par amour du communisme, était venu de Tchécoslovaquie en Russie et qui maintenant furieux crachait dans sa barbe » (3681 – L. W. Capt.).

 

Le sort des vieux était partagé par les ecclésiastiques, les religieuses et les moines. Ils sont les soutiens du vieux système social et de la foi en Dieu, aussi est-ce pour cela que le régime rouge de la terreur les frappe, à chaque occasion, de manière redoublée. Les victimes de cette terreur, comme dans l’exemple que nous allons mentionner, manifestaient parfois une faible résistance.

« Pendant le cours du voyage, nous nous sommes arrêtés à Tcheliabinsk, où on nous a emmenés aux bains. Pour cette raison on nous a faits descendre du wagon et on nous a réunis avec quelques prisonnières provenant des wagons voisins. Nous fûmes, à cette occasion, témoins de cruautés : des religieuses russes furent jetées directement du wagon sur les pierres, parce qu’elles n’obtempéraient à aucun des ordres des gardiens ; elles vivaient seulement de pain et d’eau chaude. Elles étaient battues à coups de pieds et, aux insultes, ne répondaient pas, en donnant l’impression d’être muettes. Les gardiens se conduisaient envers elles comme des écorcheurs, ils traînèrent les pauvres femmes sur les pierres jusqu’aux bains » (10756).

 

Et maintenant, nous examinerons le sort des constructeurs du « monde nouveau », de la jeune génération bolchévique, qui remplit les prisons.

La révolution rouge, basée sur les jeunes et les poussant en première ligne, exige peut-être d’eux le plus grand héroïsme, consistant dans la renonciation au bonheur individuel, pour un bonheur lointain, pour le bonheur des générations futures. Qui n’accepte pas ce postulat, qui, en Russie, ne sait pas souffrir et ne rien dire, celui-là immédiatement pourrit, il ne devient autre chose que du fumier.

Voilà une des sources de réfraction en masse des jeunes bolchéviques.

Un autre chapitre de la vie de la jeunesse bolchévique se clôt par la parole « bezprizorny », un enfant sans surveillance, un vagabond mineur. Ce phénomène, si caractéristique de la révolution russe, provient principalement de la dispersion de la famille russe, une des plus importantes cellules sociales. La tutelle familiale n’a pas été remplacée par celle de l’État, qui construisait surtout l’industrie de guerre, les chars armés, et les avions. D’autre part le contact prématuré avec la vie, dans sa conception extrêmement matérialiste, gâte les jeunes âmes et pousse des centaines de milliers de jeunes vers la prison. À dire vrai, ils ne sont pas toujours des caractères corrompus ; leur unique crime est souvent le vol de pain pour se rassasier. Leur sort est identique à celui des autres prisonniers.

« De Kiev à Butyrki, nous voyagions dans les mêmes wagons, dans lesquels nous avions voyagé de la Pologne à Kiev. Nous voyagions en demandant de l’eau tous les deux jours et sans la recevoir ; dans la même terrible compagnie de bandits, de voleuses de métier et de prostituées de profession ; en compagnie des enfants de la même Russie soviétique, de petits enfants qui ont à peine 9, 10, 10, 12 ans et sont déjà condamnés à un ou deux ans de prison pour avoir, ayant eu faim, volé du pain » (D. J., docteur en philosophie, 1907).

 

« Une jeune fille communiste, ayant terminé son école soviétique de neuf ans, nous racontait, dans la cellule, ses péripéties tragiques, attendant de nous la réponse à la crainte qui l’assaillait et au malheur qui lui était arrivé : Elle travaillait dans le « kolchoz » déguenillée et affamée. À cause de la famine elle avait laissé le « kolchoz » et avait été en qualité de domestique chez la famille aisée d’un « komandir » (chef). Comme dans la maison de celui-ci, on ne lui payait pas le salaire promis, tout en raisonnant elle avait pris à la « komsomol » quelques objets qui, à son avis, répondaient à la valeur de son salaire pour le travail exécuté ; et, pour conclure, elle avait été condamnée, pour vol, à la prison.

« Elle croyait que, dans la justice soviétique, les châtiments devront un jour avoir un terme et, désespérée, elle se harassait pour chercher leur cause. En parlant des films dans lesquels elle avait vu Staline, elle s’était mise à pleurer. Lénine et Staline étaient ses saints ; c’est la conception de la perfection, créée dans l’école bolchévique et dans le « komsomol ». Pleine de rancune, elle disait que tout le peuple russe souffre et sert aux tsars, comme autrefois, au temps de leur règne (10623 – Sz. Eu. prison de Nowoczerkask).

 

Les enfants occupaient une grande partie de la prison de Lukianovka à Kiev qui leur était expressément consacrée. « Pendant la promenade, des prisonniers polonais, des milliers d’enfants (de dix à treize ans) les saluèrent par des cris et d’assez grossières insultes (une tirade des plus vilains blasphèmes s’ensuivit).

Une aile énorme de la prison était réservée pour ces enfants des prisonniers, les futurs délinquants de la Russie de Staline.

Nous étions une grande attraction pour ces enfants, attachés comme des singes à tous les barreaux des fenêtres. Pour nous, ce spectacle était effrayant » (3681 – W. capitaine).

 

Celui qui a décrit la scène précédente « s’est trouvé dans la cellule où était exclusivement prisonnière la jeunesse de Kiev, composée surtout d’élèves et d’étudiants. Parmi ceux-là, un élève polonais, citoyen soviétique, était condamné à dix ans de réclusion. Les parents de ce jeune garçon avaient, eux aussi, été emprisonnés et il ne savait pas, depuis plusieurs années, ce qui était arrivé à sa mère et à son père » (3681).

 

Les enfants des pays occupés en 1939-1940 ont été victimes aussi d’arrestations en masse.

Les écoliers étaient arrêtés parce qu’ils ne voulaient pas désavouer leur foi en Dieu et l’amour de la Patrie.

Les enfants des familles déportées en Sibérie, après la perte de leurs parents, étaient réunis dans les asiles russes, où ils étaient soumis au procès de dénationalisation ; à la première occasion, ils s’évadaient avec les enfants russes, augmentant les rangs des vagabonds mineurs.

« Au début, dans les terres occupées, les autorités des prisons de l’N.K.W.D. avaient enlevé tous les mineurs de huit à dix-huit ans des cellules communes et les avaient enfermés dans des cellules séparées dans le but de leur inculquer la propagande communiste. Mais rencontrant l’opposition et l’indignation à l’égard des conférences agitatrices, les mêmes autorités furent obligées de liquider ces cellules et de reporter la jeunesse dans les cellules communes » (1311 – J. sous-officier de carrière, prison de Bialystok).

 

Après cette conversion manquée de la jeunesse à la foi communiste, l’on procéda contre elle avec la même intransigeance que pour les grandes personnes.

Dans la prison de Trembowla, le prisonnier M. J. (sans profession), introduit dans la cellule, « aperçut sur les lits en bois quatre jeunes garçons, dont le premier qui s’appelait W. et était né en 1925 – (la scène décrite a eu lieu en novembre 1939) – était assis et pleurait ; le deuxième portait un uniforme de soldat russe, tandis que le troisième était couché immobile sur son lit de sangle. Le quatrième, s’étant approché du nouveau venu, lui demanda pourquoi on l’avait arrêté. M. répondit qu’en réalité il ne le savait pas, et, à son tour, il interrogea les jeunes gens pour savoir pourquoi ils pleuraient. Ceux-ci lui racontèrent qu’ils venaient de retourner de l’interrogatoire où ils avaient été « caressés » (frappés) (489).

 

M. E., élève du lycée scientifique de Tarnopol, « fut arrêté le 9 avril 1940 sous l’accusation d’appartenance à l’Organisation Nationale Polonaise et de détention d’armes. Avec lui et pour les mêmes raisons, plusieurs de ses collègues du gymnase furent arrêtés. Au début il était prisonnier, avec eux, dans la prison de Tarnopol, où ils avaient été soumis à l’instruction. Le Tribunal collégial se réunit le 15 décembre 1940 dans la même prison. Sur le banc des accusés se trouvaient vingt personnes, parmi lesquelles une femme. Sept personnes furent condamnées à mort. M. E. fut condamné à sept ans de travaux forcés » (48o – M. E., élève du Lycée).

 

L’élève F. St. était prisonnier dans la prison de Niezyn en Ukraine. « Cette prison avait été installée dans une forteresse tsariste, pleine d’humidité, de punaises, de puces et de rats... Les personnes devenaient folles, tel un aspirant des environs de Léopol (je ne me rappelle pas exactement son nom). Ici je reçus cinq ans de colonie pour les enfants mineurs de Kiev. J’avais en ce temps-là 17 ans. Dans cette colonie nous étions trente, dont les 50 pour cent provenant de Pologne. Il y avait aussi de jeunes délinquants soviétiques, principalement des assassins, des bandits, des voleurs et des homosexuels » (738 – F. St., élève).

 

 

 

La femme dans la prison soviétique

 

Son malheur dans les moments de perquisition et de pillage des maisons, dans les moments d’arrestation des parents et d’elle-même est bien connu. Dans les chapitres précédents nous les avons déjà vues, souffrant dans les cellules communes, les chambres de mort et les prisons ; dans la saleté et sans l’assistance médicale quand elles accouchaient d’un enfant.

Dans la prison, comme dans un foyer où la cataracte pénètre, toutes les pires conséquences de l’égalité bolchévique de la femme étaient réunies pour l’amener pratiquement à l’épuisement de sa vraie tâche de mère et d’éducatrice des jeunes générations, et pour conduire ses fils et elle-même au tourbillon du chaos révolutionnaire.

Le cynisme et le manque de pudeur, dans le traitement de la femme prisonnière, se manifestaient dès son entrée dans la prison. Les perquisitions préliminaires étaient souvent faites par des hommes. Dans les relations entre hommes et femmes, l’on répétait souvent des phrases comme celles-ci : « À Vitebsk, ainsi qu’à Bialystok, la perquisition ; les hommes et les femmes sont complètement nus, les accroupissements et les sauts des femmes sous les yeux des hommes » (10687 – A. J.).

 

« On nous a révoqués de Zytomir. Dans la prison, la perquisition des hommes et des femmes était faite dans la même chambre. Nous avions l’impression d’être pénétrés dans un hôpital de fous » (10623 – Sz. Eu.).

 

Dans certaines prisons, les gardiens conduisaient les femmes aux bains et là, ils les surveillaient. Ceci arriva par exemple dans la prison de Kiev, qui se trouvait dans la rue Korolenki.

Dans la prison de Charkov « les mères étaient prisonnières avec les enfants et petits enfants parce que, ayant eu faim, elles avaient volé ! Les femmes accusées d’avoir manifesté leur mécontentement envers les autorités étaient prisonnières. Ces dernières étaient martyrisées dans des cellules spéciales où régnaient la faim et le froid ; elles sortaient grosses de ces cellules.

D’autres encore étaient prisonnières pour leurs maris qui avaient déserté l’armée rouge en Pologne et en Finlande ; les filles pour les pères, les mères pour les fils ; elles attendaient toutes la libération, indifférentes d’où elle pourrait leur venir » (10756 – H. Cz.).

 

« Les mères avec les petits enfants derrière les barreaux des prisons : – la désillusion politique d’une jeune fugitive d’au-delà des Monts Carpathes » – « un mortel accouchement dans la cellule » – « la lutte des femmes pour avoir l’assistance médicale pour une accouchée mourante » – dans ces titres est synthétisée l’histoire d’une certaine cellule de femmes dans la prison de Stanislawow. L’histoire est esquissée de la manière suivante par l’une des protagonistes :

« Nous rentrons dans la cellule... vide : des objets y sont, qui indiquent qu’elle est habitée. Il y a même des jouets d’enfants. Sous la fenêtre se trouve un lit libre avec une paillasse.

« Nous l’occupons à deux et nous attendons. La porte s’ouvre finalement et les enfants font irruption ; derrière eux, les grandes personnes rentrent. Il nous semble drôle qu’en prison il n’y ait pas seulement des grandes personnes et qu’il y ait même des enfants. Ils sont trois : Janusz, Magda et Osiep. Janusz a sept ans, Magda est une enfant de quatre ans et le plus petit, de quelques mois, par des cris et des pleurs, réclame continuellement à manger.

« La mère de Osiep, Ksenia, maigre et décharnée, avait passé la frontière hongroise, parce qu’on vivait mal chez elle et, avec les deux enfants, elle avait été là-bas, où on lui avait promis qu’elle serait mieux. Abandonnant la maison et le mari, à la recherche d’un sort meilleur, elle s’était trouvée dans le pénitencier bolchévique. Elle est en prison déjà depuis sept mois, déguenillée, nu-pieds, affamée. Elle a déjà perdu un enfant, l’autre mourra certainement bientôt. Elle prononce des imprécations contre elle-même et ceux qui l’ont poussée à s’enfuir.

« Dans cette cellule, j’ai rencontré une amie de ma sœur avec son fils Janusz, qu’à Stanislawow on croyait déportée depuis longtemps en Russie.

« Le malheur réunissait tous les habitants de la cellule.

« Une nuit le cri et les pleurs des enfants demandant à manger me réveillèrent. Janusz avait un épanchement de sang et la fièvre.

« Magda frappe à la porte avec le balai, elle veut du beurre. Osiep pleure sur la poitrine de sa maman. La pauvre Ksenia n’a pas de nourriture, ni lait, ni sucre pour ce petit. Elle cherche à le calmer en le berçant sur ses bras maigres, qui paraissent plutôt deux rameaux secs ; c’est un squelette, et non une femme. Je ne peux supporter cette vue : je verse du thé dans la bouteille, je le sucre et l’offre à Ksenia avec des biscuits. Elle ne sait comment remercier. Des larmes de gratitude débordent des yeux maternels. Le petit enfant calmé s’endort.

« Pour un moment le calme règne. Il y a dans ma tête le bourdonnement d’une ruche, je m’efforce de ne rien penser, pour reposer, ne fût-ce qu’un instant. Mais voilà que la porte s’ouvre, une jeune femme de trente-huit ans, peut-être, entre ; maigre, exténuée, elle ne tient plus debout ; ses yeux sont larmoyants, elle porte sur le visage les traces de la souffrance. Assez bien vêtue, elle est, elle aussi, fugitive de la Hongrie. Ksenia la reconnaît avec peine, c’est une bonne connaissance avec laquelle elle a passé la frontière, venant chercher en Russie un sort meilleur. Ksenia s’occupe de cette malheureuse femme. L’infirmière entre, prend la température de Janusz et le destine à l’hôpital. Magda crie qu’elle a faim, qu’elle veut du pain, du sucre et du lait. L’infirmière la console avec un mot qui ne se réalisera jamais : « Tu les auras ! » Et elle s’en va.

« À travers la petite fenêtre le gardien crie de se préparer pour la promenade. Nous allons nous promener avec les malades, sous le portique de l’hôpital. C’est un petit jardin où il y a de tout : les oignons, les petits pois, les concombres, les violettes y poussent et on y enterre les morts. Cette terre, fraîchement remuée, qui recouvre les prisonniers dormant d’un tranquille sommeil, suscite un étrange état d’âme.

« Les enfants courent ; ici, dans ce petit coin lumineux et ensoleillé, renfermé entre quatre hautes murailles, l’on voit ce que l’on ne distinguait pas dans la cellule : leurs visages sont pâles comme la cire, les yeux creux ; ils sont maigres, épuisés. La douleur serre le cœur quand on regarde ces petits enfants qui souffrent et l’on pense en même temps que le jour de la vengeance devra bien arriver.

« Nous marchons l’une après l’autre, en cercle, regardant le ciel clair, le haut mur, le gardien. La faim commence à nous tourmenter. Une croûte de pain ne calme pas la faim et la mie est plus indiquée pour faire des statuettes d’échecs que pour manger, elle ressemble à de l’argile. Couchée sur mon lit, je me demande combien de temps cela pourra durer. Les pensées courent à la maison. La porte s’ouvre tout d’un coup et le gardien vient chercher la nouvelle venue. C’est une très riche ukrainienne de la Russie transcarpathique. Ses parents ne voulant pas qu’elle épousât un jeune homme pauvre, elle avait décidé de s’enfuir avec lui. Elle avait exécuté son plan. Cette jeune fille n’avait pas trente-huit ans comme j’en avais jugé tout d’abord, mais dix-huit ; elle avait beaucoup souffert et cela se reflétait sur son visage. Lorsqu’elle avait traversé la frontière, elle était enceinte et là, par suite de la frayeur, l’avortement avait eu lieu. Elle avait gardé le lit dans la prison de Nadvorna dans l’humidité et la saleté, sans aucun soin, luttant avec la mort. Son jeune organisme avait longtemps résisté à la maladie. Ils l’avaient transportée à Stanislawow où elle avait eu une pneumonie. Guérie après quelques semaines, elle s’était levée du lit, complètement changée. Moralement et psychiquement découragée, elle donnait l’impression d’une folle.

« De nouvelles arrêtées arrivent ; ce sont principalement des ukrainiennes. Elles vont souvent à l’interrogatoire et en retournent avec les yeux creux et des meurtrissures. Pendant l’instruction elles restent bien des heures sans manger ni boire. L’une d’elles avait été tellement frappée que, sur son corps, il n’y avait pas de place sans meurtrissures ; elle avait de plus les reins déplacés. Elle resta au lit pendant deux jours sans pouvoir bouger. De la prison, des cris arrivent souvent à notre cellule, nous vivons maintenant par la force des nerfs, nous apprenons que nos enfants sont très battus.

« Une jeune Ukrainienne qui est avec nous se trouve probablement au dernier mois de sa grossesse. Elle ne mange rien, ne boit que du thé.

« Chaque jour il y a la visite de l’infirmière, qui consiste en un examen superficiel des malades. L’infirmière, voyant souffrir la femme enceinte, assure que l’accouchement n’est pas prochain ; que les souffrances sont provoquées par des douleurs nerveuses, et non par celles de l’accouchement. Les vieilles dames qui s’y connaissent disent que l’évènement doit avoir lieu bientôt, et il en est ainsi. Nous étions à peine couchées pour dormir que la femme est prise par les douleurs de l’accouchement.

« D’aucune manière, on ne peut obtenir du gardien qu’il appelle l’infirmière. La malade, dans une mare de sang, avec l’enfant qui est né mort, commence à agoniser. Aucun secours sanitaire ne lui est apporté. Nous appelons le gardien pour la malade ; mais celui-ci, implacable, répond : « Il n’arrivera rien de mal, elle vivra jusqu’au matin ; à présent l’infirmière n’est pas là, ni le médecin. »

« On fait du bruit dans la cellule ; le gardien furieux frappe avec les clés à la porte et crie : « Couchez-vous, faites silence, sans cela je vous mettrai en prison. » Une de nous, voyant que la malade souffrait de telle sorte, avait bondi sur le lit, et, d’un seul coup, avait cassé la vitre. Le silence régnait. Le bruit de la vitre réveilla les gardiens qui veillaient en bas. Il y eut immédiatement une course et des cris. Le directeur de la prison monte jusqu’à la cellule, son substitut aussi, quelques chefs et un grand nombre de gardiens. Ils crient, nous menacent toutes de la prison. Celle qui avait osé casser la vitre a le courage de confesser sa faute. À haute voix, debout sur le lit, elle indique du doigt la souffrante et, audacieuse et courageuse, elle lance contre eux des paroles caractérisant la Russie, elle les appelle assassins, bourreaux, menteurs. Ceux-là restent pétrifiés sans prononcer un mot. Après cette pluie de foudres sur leurs têtes, le premier à se ressaisir est le directeur, qui commande d’emmener la femme en prison. Le médecin est appelé, mais il était déjà trop tard. La jeune Hongroise était morte d’hémorragie. Ils l’enlèvent de la cellule, ordonnant aux voisines de remettre en ordre la place où la morte avait été malade.

« Ce fut là une nuit terrible. Nous ne pouvions fermer les yeux ; jusqu’au matin, énervées, nous maudissions ce peuple semblable à des bêtes.

« Nous allâmes à Kharkov. Là, des conditions pires qu’à Stanislavow nous furent réservées. Nous fûmes placées dans une cellule que l’on pouvait plutôt appeler une cave. Une grande cellule basse, avec deux petites fenêtres abritées par des boîtes en tôle, humide à tel point que les paillasses sur lesquelles nous étions couchées étaient mouillées. Dans ces conditions, après peu de temps, nous tombions malades d’arthrite.

« Dans cette prison nous rencontrâmes des Russes qui s’y trouvaient déjà depuis plusieurs années. C’étaient des femmes condamnées à un grand nombre d’années de réclusion. Volontiers elles se mirent en relation avec nous ; elles avaient confiance en nous, elles nous racontaient comment on vit dans les camps de travaux forcés ; mécontentes du régime, elles se plaignaient de Staline et de tout son gouvernement. Ces femmes avaient beaucoup souffert ; depuis leur arrestation, leur foyer domestique avait été complètement détruit, tous ceux qui le composaient sans distinction étaient en prison. Les motifs étaient futiles, il suffisait d’avoir un ennemi parmi ses connaissances, ou bien de dire que l’on croyait en Dieu. En cas de nécessité, elles intervenaient pour nous défendre » (10756 – H. Cz.).

 

 

 

Mortalité des enfants des émigrés internes

 

« Relâché du camp des travaux, j’allai à la localité de Ushtobe, située dans la partie septentrionale de la province de Alma-Ata. Ici j’ai été assigné, avec d’autres de mes collègues, au « Kolkhoz » (ferme de l’État) « Tor », où l’on faisait la récolte dans les champs de riz.

Les habitants de celui-ci et des voisins « Kolkhoz » sont des gens de la Corée, émigrés forcés, en masse venus, par ordre des bolchéviques, des rivages de l’Océan Pacifique à l’Asie centrale. Au début il fut difficile de prendre contact avec ces gens. La population de la Russie bolchévique est en général méfiante et circonspecte pour se mettre en rapport avec les étrangers. Les Coréens sont complètement muets vis-à-vis des étrangers. Mais après un certain temps, à l’occasion du voyage de Ushtobe, pour apporter le riz battu, un vieux Coréen se mit à parler. Évidemment la conversation commença par la question : qui gagnera la guerre ? Lorsque je répondis : « La Russie », il montra un visible chagrin.

En continuant la conversation, je sus de lui, ce que d’autres aussi assuraient, que, quoiqu’ils vivent depuis plusieurs années sous ce nouveau régime, ils s’en trouvent très mal. Plusieurs d’entre eux sont dans les prisons et les camps de concentration. Le climat n’est pas indiqué pour leur tempérament, les enfants meurent. Les conditions de vie, pour le train de vie russe, n’étaient pas mauvaises, le Kolkhoz était riche, je crois même très riche. Ils vivaient en de bonnes conditions de séjour, dans des maisons meublées avec goût et dans le style de l’ancienne civilisation coréenne. Ils s’habituaient très difficilement aux nouvelles conditions climatiques ; leurs fils, nés de femmes jeunes, saines, élevées déjà sous le nouveau climat, mouraient.

Les vieux avaient la nostalgie de la patrie, des bois de la Corée et des rivières de l’Océan Pacifique ; les jeunes, imbus de bolchévisme, n’éprouvaient plus cette nostalgie.

Cette influence négative de l’âpreté du climat sur l’organisme des émigrés forcés, je l’observai plus tard dans la population polonaise. Étant déjà dans l’armée polonaise, je voyageais beaucoup en Russie et les délégués de la population polonaise me donnaient de nombreux exemples d’une très grande mortalité enfantine. Pour la population polonaise, les conditions très mauvaises d’hygiène, inférieures sous certains rapports aux conditions dans lesquelles la population coréenne vivait dans les rizières des alentours de Usztobe, entraient aussi en jeu » (P. Zw. l-a).

 

 

 

Déportation tsariste et déportation soviétique

 

Pour comparer les mesures du terrorisme rouge aux méthodes et aux mesures de répression du système tsariste, je citerai les données statistiques se rapportant aux déportations en Sibérie dans les années qui vont de 1823 à 1877. Ces chiffres ont été extraits du livre « Zywopisnaja Rossija » (tableaux de vie russe), publié en 1895 :

 

 

 

 

 

 


 

 

 

À la suite des condamnés, chaque année, une moyenne de 13 hommes, 2036 femmes et 3976 enfants partaient volontairement. 70 % du nombre des morts concernait les fils des déportés. Du contingent annuel de déportés 83 % étaient des hommes et 17 % des femmes.

Dans les années 1870-77, 84519 hommes et 4745 femmes furent déportés. Plus de 42491 femmes suivirent volontairement les condamnés.

Le fait que les déportés en Sibérie, au temps du tsarisme, amenaient avec eux leurs familles mérite d’être souligné ; tandis que maintenant, dans la Russie bolchévique, les millions de déportés dans les camps des travaux forcés, vivent seuls, loin de tous leurs chers parents, et il leur est même défendu souvent d’avoir avec eux le moindre rapport.

Depuis l’occupation polonaise et uniquement dans les années 1939, 1940 et 1941, plus de 1.600.000 personnes furent déportées en Sibérie, à Kazakhstan, et emprisonnées.

 

 

 

Chapitre IV

 

Le travailleur dans l’U.R.S.S.

 

 

1. – Vie des déportés – Un village communiste – Changements de milieux

 

Note préliminaire. – En plus de la prison et du camp de concentration, la déportation constitue le troisième moyen d’« adaptation » (mot employé par la législation soviétique) des masses « aux conditions de vie en commun propres à l’État des travailleurs ». Cette méthode d’« adaptation » fut appliquée à des millions de personnes – hommes, femmes et enfants – déportées en l’année 1939-1940 des pays occupés par les bolchéviques dans les steppes de l’Asie Centrale.

Les relations suivantes nous offrent surtout un tableau de la vie des déportés. Comme, par suite des conditions existant en Russie, ils vivaient en des conditions de liberté relative, ils trouvèrent le moyen d’approcher des hommes libres et de connaître ainsi la « vérité russe » ; leur parole illustre donc aussi, jusqu’à un certain point, la vie même des hommes libres et, en premier lieu, les conditions d’existence dans le village communiste.

« ... Le 13 avril 1940 nous fûmes déportées, ma mère, ma tante et moi, en vertu de n’importe quel paragraphe, mais, au fond, pour la simple raison que nous faisions partie d’une famille de militaires.

« Nous fûmes emmenées dans la région de Kustanajsk, dans le Kazakhstan. On nous déchargea à Giarkul, toute petite station, et on nous partagea entre les « kolkhoz » et les « sovkhoz » du voisinage. Le « kolkhoz » « Komintern », à 22 kilomètres de la station, nous fut dévolu par le sort. Le village était grand et étendu. Les cabanes, construites en troncs d’arbre ou en gazons (nommées cabanes en terre), manquaient généralement de toits, ceux-ci ayant été brûlés par les habitants pendant l’hiver. Plusieurs cabanes, ou pour mieux dire leurs ruines, étaient inhabitées. Toutes les parties en bois avaient été arrachées et volées par les voisins, pour servir de combustible. Au centre du village se trouvaient un monument à Staline, un bureau et le local du soviet paysan avec la poste. Dans le magasin : plusieurs jouets en bois, des chapeaux de dames, déjà recouverts d’ancienne poussière, quelques portraits de personnalités de marque, des miroirs ; et c’est tout ! De temps en temps arrivait de la marchandise extraordinaire comme, par exemple, du savon, quelque article d’habillement, du sucre.

Mais le cas n’était pas fréquent ; quand il se vérifiait, le village entier accourait dès la nuit pour faire la queue, mais seuls les plus adroits ou les plus robustes réussissaient à acheter. Nous apprîmes à faire la même chose. Dans le village se trouvait aussi une forge, et, contiguë à celle-ci, une place, entièrement occupée par des machines qui y restaient inoccupées en été et, en hiver, exposées à la pluie et à la gelée. Elles représentaient une partie du patrimoine local, dont le reste était disséminé dans les champs. Digne d’attention était l’« étable », construite dans la propriété d’un « koulak » (agriculteur russe, riche), expulsé en son temps. Des cochons maigres et affamés comme des chiens vagabonds y tournaient, en compagnie de rats, probablement eux aussi affamés. Quelque cochon de temps en temps crevait, sans toutefois causer la moindre impression sur les personnes qui travaillaient là. La même chose arrivait dans les écuries réservées aux vaches et aux chevaux. Pendant l’hiver, les bêtes poussaient des hurlements de faim, et crevaient en grand nombre.

Nous prîmes logement dans une minuscule cabane en argile, dépourvue de toit. L’on y pénétrait par une petite porte très basse ; à l’entrée était une petite étable, puis venait une étroite antichambre et finalement notre chambrette. Elle était basse, n’avait qu’une seule petite fenêtre, un grand poêle et quelques planches appuyées sur des troncs en bois, qui pouvaient servir de lit. Nous y dormions à trois personnes. En hiver, la chambre ne pouvait pas être chauffée ; la neige et la glace recouvraient les parois gelées. Le combustible, d’ailleurs, manquait. Au printemps, au temps de la fonte des glaces, du plafond, qui laissait filtrer l’humidité causée par la fonte de la neige, l’eau dégouttait dans la chambre, et l’enduit tombait en morceaux. L’air était irrespirable, humide, et sentait le renfermé ; la fenêtre, en plus, ne s’ouvrait pas complètement. Et ainsi partout.

La propriétaire de la maison, une vieille personne, avait élu domicile sur le poêle, l’endroit le plus chaud ; en y grimpant, elle faisait, d’en haut, pleuvoir des poux, ce qui nous remplissait de dégoût : mais il n’y avait aucun remède. Dans les moments de liberté les ménagères se consacraient à l’« épouillement », c’est-à-dire à la tuerie des poux sur les têtes respectives. Je vis une fois un vieux Kirghiz en écraser un avec les dents. Quoique difficile à croire, ceci est vraiment arrivé ! Chaque semaine, la propriétaire de la maison s’employait à « salir » le plancher de la chambre, et elle le faisait avec de l’argile mélangée au crottin de cheval.

Le savon manquait tout à fait ; on s’en passait donc pour la lessive ; et les vêtements, sales et barbouillés, n’avaient vraiment pas l’apparence de vêtements.

Notre « kolkhoz » comptait 27 familles polonaises, déportées de Pologne ; le reste de ses habitants était représenté par les membres du « kolkhoz » même, des Cosaques et des Russes.

... Les travaux étaient variés, mais tous physiquement lourds. Nous étions assignés à ceux que refusaient les membres russes du « kolkhoz ». Par exemple, à la coupe de l’ainsi nommé « kiziak », fait de bouse de vache, de crottin de cheval ou de crottes de mouton, comprimé avec de la paille. On le coupait avec des bêches, et le transportait ensuite, à bras, devant les écuries, où il restait déposé jusqu’à complet desséchement. Ce « kiziak » servait de combustible. Nous procédâmes au nettoyage de toutes les écuries, ce qui n’avait pas été fait depuis plusieurs années. Pendant deux jours de suite, 11 personnes travaillèrent dans une écurie. Pour salaire, elles devaient recevoir la somme de 100 roubles, mais comme il n’y avait pas d’argent, elles se dépensèrent gratuitement. À l’arrivée du printemps, on travailla dans la steppe, vers où partaient les « boudki », espèces de wagons munis, de chaque côté, de deux planchettes, sur lesquelles nous dormions en compagnie de jeunes gens russes et cosaques, et de jeunes filles effrontées. À 4 heures du matin le cri du « brigadier » : « Réveille-toi, peuple ! » nous réveillait. Il fallait se lever à l’instant, attacher les bœufs aux charrues et aux herses et... labourer. À 9 heures c’était le déjeuner, composé de pâtes trop cuites, dans l’eau, en forme de boulettes, sans aucun condiment. À 2 heures de l’après-midi, un dîner analogue ; puis un intervalle de repos jusqu’à 4 heures, et le souper à l’heure du coucher du soleil, c’est-à-dire vers dix heures du soir. L’on marchait la journée entière derrière les bœufs, parcourant ainsi près de 25 km. Cependant, l’on n’arrivait jamais à fournir la tâche de travail prescrite. Je ne me rappelle pas exactement ce qu’elle était, mais jamais nous ne pûmes être en règle avec les dispositions indiquées ; tout au plus arrivions-nous à exécuter la moitié du travail imposé. Les moustiques constituaient une vraie plaie ; des essaims entiers volaient autour de nous et nous piquaient d’une manière insupportable. Les gens devenaient fous, les bœufs mêmes, récalcitrants, étaient exaspérés. Je ne sus jamais les faire obéir : ils craignaient seulement les voix masculines, et je pouvais m’époumoner sans obtenir aucun résultat.

... Il y avait souvent des inspections. Des réunions s’organisaient alors, et n’importe quel représentant des autorités prononçait un discours prolixe, adressé à toutes les personnes présentes. Il parlait beaucoup sur la façon de travailler, sur celle d’obtempérer aux règles prescrites, toujours au bénéfice de l’État, exclusivement de l’État ; il s’étendait aussi sur les soins que l’État prend de ses citoyens. Je me rappelle qu’un jour – pendant un de ces discours – un membre russe du « kolkhoz », assis derrière l’orateur, ouvrit sa veste déchirée et montra qu’il ne possédait pas même une chemise. Durant les réunions, aucun n’avait le droit de parler ; il fallait répondre « oui » à tout et si, parfois, quelque femme plus courageuse avançait des objections, il cherchait toujours à la convaincre qu’elle avait tort et à lui expliquer la nécessité seule du travail. En ces jours, les « brigadiers » devenaient fous ; ils n’avaient ni repos, ni nourriture ; ils devaient uniquement travailler. On respirait plus librement lorsque, quelques jours après, l’inspecteur en question, s’étant refourni, au dépôt du « kolkhoz », de viande, de beurre et d’œufs, s’en allait. Les travailleurs ne recevaient jamais rien, en dehors des pâtes, en forme de boulettes, cuites dans l’eau, tandis que les autorités avaient en abondance des aliments substantiels. On nous donnait aussi 500 grammes de pain, noir, lourd, mal cuit et, le plus souvent, amer. Et que de fois nous ne reçûmes pas de nourriture cuite, pour la simple raison que la cuisinière avait quitté la « troupe », ou bien que la farine n’était pas arrivée à temps !

Une fois le travail terminé, nous allions nous coucher. Mais était-il possible de s’endormir, lorsque, jusque tard dans la nuit, on entendait les cris et le tapage des jeunes filles et des jeunes gens, dont le niveau moral était indescriptible ? Que de sottises ne devions-nous pas entendre, que de malédictions et de blasphèmes ! » (115 – A. M., élève).

 

« ... En qualité de colon militaire, je fus déporté avec ma famille et d’autres avec nous, dans la colonie de Siemireczna, arrondissement de Solwyczegodsk, région d’Arkhangelsk.

Les vieillards et les enfants étaient obligés de couper le bois et de le charger sur les wagons. Le labeur était assez dur ; on travaillait forcément 11 heures par jour. Si, pendant ces 11 heures, la quantité de travail assigné n’avait pas été fourni, il fallait continuer pendant 20 heures consécutives, jusqu’à ce que fût rejointe la tâche imposée. La récompense était très modeste ; plusieurs quotes-parts étaient décomptées, soit pour l’entretien des fonctionnaires de l’N.K.W.D., soit pour celui du Commandement, soit, enfin pour dépenses de logement et de combustible ; à tel point que, pour vivre, nous étions obligés de vendre nos objets personnels.

Les jours de fêtes, le travail imposé était particulièrement dur ; on nous répétait continuellement que nous ne retournerions jamais en Pologne. Pour infraction aux règles du travail, on était emprisonné, soumis à un jugement et privé d’une partie du salaire (174 – N. R., agriculteur).

 

_________

 

« ... Dans l’arrondissement de Solwyczegodsk, les déportés étaient affectés surtout à l’industrie forestière (dite « lespromkhoz »). En hiver on travaillait à la coupe des forêts, à charroyer le bois jusqu’aux voies fluviales au moyen de chevaux, à fabriquer, dans la forêt même, des charpentes, des mousquetons et des skis, faits en bois de bouleau, ainsi qu’à ouvrir les arbres abattus. La fabrication des charpentes et des skis, qui exigeait une certaine capacité spéciale et une longue pratique, était la mieux rétribuée ; le bénéfice atteignait même 10 roubles par jour. Par contre, ouvrir le bois, en travaillant 12 heures sur 24, y compris l’aller et le retour dans la forêt, à travers une neige haute d’un mètre et demi, et, avec une température de 45 degrés au dessous de zéro, n’était jamais payé plus de trois roubles.

À la coupe des forêts les femmes aussi et les grandes jeunes filles étaient assignées. Trente femmes environ, capables de bien coudre et de broder, étaient occupées dans un laboratoire de couture, gagnant près de 2 roubles par jour.

Pendant la saison d’été, tout le monde, à peu d’exceptions près, était dirigé vers le fleuve Vicegda, pour confier à son courant des charges flottantes de bois de charpente, et particulièrement dans les localités de Riabow et de Charytonowa-baza, situées à une distance de 12 et de 40 km.

Ceux qui, pour invalidité ou vieillesse, étaient inhabiles au travail physique, et même les enfants de 10 ans, étaient cependant obligés de travailler dans l’arrondissement de la colonie, privés de toute cuisine, pour avoir le droit d’acheter le kilo de pain qui constitua notre seule nourriture pendant la première année de notre séjour. » (216 – L. J. J., sergent-major de car. à repos.)

 

« Le 10 février 1940 je fus pris avec ma femme et deux enfants et déporté à Charytynow, région d’Arkhangelsk, arrondissement de Solwyczegodsk.

J’y trouvai une baraque déjà occupée par des prisonniers, un terrain boueux, la « taïga » dans les habitations ; des punaises, des poux et l’absence de poêles, de fenêtres et d’espace.

... L’assistance médicale se réduisait à l’exemption du travail. L’insuffisance de ressources causait une grande mortalité. Pendant le voyage, deux enfants moururent congelés ; la fille de Casimir et un enfant de madame Piotrowska. Ma femme aussi mourut par suite de congélation et faute de soins médicaux. La disette dans l’alimentation provoqua, dès la deuxième année, des épidémies de scorbut et d’héméralopie. Une épidémie de rougeole fit ensuite des ravages ; 75 des enfants furent atteints. La famille presque entière d’un invalide de guerre mourut de faim. Je ne me souviens pas pour le moment des noms, mais à Charytynow 800 personnes environ succombèrent et, dans le cimetière de Nowikow, 150 autres furent enterrées. Outre ma femme, morte à Charytynow, je perdis ma mère dans le Kazakhstan, et mon frère Vitold, capitaine de réserve, qui disparut, sans laisser de trace, à Kozielsk, dans un camp de prisonniers de guerre. Une partie des familles déportées ne fut jamais délivrée et resta probablement sur les lieux. » (339 – S. K., agriculteur.)

 

« Owcesowehoz » de Jermakow, arrondissement de Kaganow, région de Pawlodar, jusqu’au 30 juin 1941.

Sur le chemin de fer en construction Akmolinsk-Kartaly, dans la region de Kustanajsk, du premier juillet jusqu’au 10 octobre 1941.

Terrain désert, petits centres habités, en dehors du chef-lieu de l’arrondissement et de la ville de Pavlodar ; 20 km de distance du chef-lieu d’arrondissement, et 40 de celui de la région, situé au delà du fleuve Irtish, et jusqu’à 500 km de distance des autres localités. On ne rencontre dans la région aucun centre habité. Petites maisons : cabanes en argile, humides, sales (nommées « aul » par les Cosaques), sans planchers. Une unique chambrette ou cuisine servait de logement à diverses familles polonaises ; elles y vivaient seules ou en compagnie d’indigènes ; plusieurs, pour le manque d’espace, durent s’adapter à vivre dans les « prigon », réduits pour brebis ou vaches, construits à côté des cabanes, et où le fumier, non remué depuis plusieurs années et parsemé de joncs ou de foin, servait de grabat aux Polonais. Des ouvertures dans les toits en paille tenaient lieu de gargouilles pour l’eau de pluie, ainsi que de fenêtres, lieux d’observation pour qui était chargé de cette tâche. Aucune hygiène ! Un seul édifice en maçonnerie, servant de « club » aux citoyens soviétiques, obligés à fréquenter en masse les réunions politiques.

Les occupations imposées aux habitants du « sovkhoz » consistaient à paître les moutons ; à remplir divers offices dans les édifices administratifs et les fermes ; en des travaux agricoles dans les champs et à la fabrication de briques cuites ou faites d’argile et de paille ; occupations, celles-ci, assez lourdes pour les femmes et la jeunesse obligée de travailler avant même l’âge de 14 ans ; les cas étaient fréquents où les mères, pour avoir du pain, se virent dans la nécessité de faire travailler des enfants de 10 ans.

... La population cosaque, excepté peut-être les jeunes pourvus d’emploi, est hostile au régime, parce qu’elle ne peut oublier comment elle fut traitée à l’époque de l’introduction du « communisme » dans les années 1931-32. Russes et Cosaques disent que 90 % des habitants moururent en ce temps-là. Une famine épouvantable règne dans le pays, le typhus sévit, les emprisonnements et les déportations sont à l’ordre du jour. L’ignorance est totale ; il n’existe aucune orientation pour le peuple ; les intellectuels aussi attendent la venue, de l’étranger, des détachements d’un Denikine, ou de quelque autre chef.

Les vols de moutons, de blé, de laine, la corruption, se rencontrent à chaque pas ; c’est le seul moyen de vivoter tant bien que mal ! Le directeur même d’un « sovkhoz » d’environ 40.000 moutons tire profit de ceux qui ont été volés et « régulièrement » enregistrés, et il exerce la corruption. Ceci arrivait à Griaznowka » (350 – P. A., comptable).

 

« ... Toute notre jeunesse, et mêmes les jeunes femmes furent enrôlées pour le fauchage du foin. Les conditions de vie étaient horribles ; l’on dormait dans des charrettes, confectionnées avec des bâtons et des chiffons, hommes et femmes ensemble (généralement polonais avec polonaises) » (78 R. W. T., employé technique).

 

 

 

2. – Travail et vie de l’ouvrier

 

Note préliminaire. – Nous avons réuni en ce chapitre les relations qui donnent un tableau des conditions de la vie et du travail de l’ouvrier dans l’U.R.S.S. Ce sont de courtes notes, rédigées d’après l’expérience personnelle des narrateurs, et les jugements de russes, ou de citoyens russes d’une autre nationalité, rapportés par les déportés.

 

 

Sûreté du travail.

 

« ... Il ne se passait pas un jour où un homme ne fût tué ou blessé, à cause de la faiblesse des soutiens : comme il s’agissait seulement de fournir une somme de travail établie, les ouvriers soviétiques construisaient (l’armature dans les minières) avec tant de solidité, que, venant après eux, on pouvait tirer avec la main les poutres du pavé. » (12359 – S. R., domestique).

 

 

Rigueur dans le travail.

 

« ... Abandonner le travail, sans autorisation préalable, et sans avoir accompli toutes les formalités prescrites, c’était s’exposer au jugement du tribunal, qui punissait sévèrement tant les absences non autorisées que tout retard à se présenter au travail. L’on pouvait être exempté du travail pour la durée d’un jour, après en avoir obtenu la permission du supérieur immédiat, et avoir remis dans ses mains une demande écrite. Il n’était pas permis d’emporter quoi que ce fût des usines. Je me souviens du cas d’une ouvrière, qui, par inadvertance – ainsi que sa mère me le rapporta – avait mis dans la poche une pelote de fil. Elle fut arrêtée à la grille, déférée au tribunal et condamnée à un an de rigoureuse prison. Cette peine était subie en prison, d’où, escortés par les gardes armées de mousqueton et par un chien, les condamnés allaient quotidiennement, les uns après les autres, au travail dans les usines. La somme de travail qu’ils devaient fournir était augmentée, il me semble, et, par contre, la ration des vivres diminuée. La mère de la susdite ouvrière lui apportait régulièrement, deux fois par semaine, de la nourriture dans sa prison. Un jour, comme elle en revenait, elle me raconta en pleurant que sa Niusa était malade ; que le jour auparavant elle s’était évanouie pendant le travail, et que, malgré cela, quoique faible au point de devoir être soutenue par le bras par deux camarades, elle avait été emmenée tout de même pour travailler. Elle n’avait pas une température assez haute pour être exemptée du travail, même un seul jour » (11946 – S. U., professeur de gymnase).

 

 

 

Nourriture des ouvriers.

 

« ... À chaque tour, près de 300 ouvriers venaient à la fois, et tous ces hommes devaient, dans le cours de deux heures, prendre leur repas dans une salle à manger, capable de contenir 40 personnes au maximum. La chose était impossible, étant donnée surtout la malheureuse bureaucratie soviétique. Aussi, pour s’assurer la possibilité du repas, les ouvriers arrivaient-ils 4 heures presque avant le commencement des travaux ; ils restaient à l’entrée de la cuisine avec une température d’une dizaine de degrés au-dessous de zéro, dans l’attente qu’on leur ouvrît et qu’ils pussent occuper, dans la queue, un rang qui leur assurât l’heureuse probabilité de recevoir leur nourriture. Passons maintenant aux formalités en usage dans la cuisine même : il fallait, avant tout, acheter à la caisse un petit bloc de bons pour mets et, avec celui-ci, se présenter au guichet de la cuisine ; là, on recevait, dans des écuelles, les mets qu’on apportait ensuite sur la table pour les consommer. Que de fois il m’arriva qu’après une ou plusieurs heures d’attente, debout faisant la queue, ayant finalement acheté le petit bloc, j’apprenais au guichet de la cuisine, à ma grande surprise et désillusion, que la pitance demandée était terminée ! Il fallait alors aller au travail à jeun, et, dans ces occasions, que de scènes parfois, de malédictions et de plaintes de la part des ouvriers ! Malheureusement, sans résultat ! » (12419).

 

 

Récompense du travail.

 

La récompense pour le travail était disproportionnément basse en comparaison du prix des articles de première nécessité. En gagnant 110 roubles par mois, je devais en payer 50 pour le logement, ou plutôt pour un coin de chambre (étant donné que je vivais dans une chambre avec la propriétaire de la maison, une Russe, et avec sa famille composée de cinq personnes). Le prix d’un kilo de pain, acheté au marché noir, atteignait 40 roubles, d’un kilo de pommes de terre les 13 à 20 roubles, d’un kilo de tomates les 5 à 10 roubles ; un verre de lait coûtait de 1 à 3 roubles, un œuf 5 roubles, 1 kg de beurre de 200 à 250 roubles. Parlant avec ma propriétaire, qui travaillait aux chemins de fer, j’arrivai à la conclusion qu’aucun ouvrier ne pouvait gagner honnêtement de quoi s’entretenir ainsi que sa famille. Si quelqu’un ne se débrouillait pas, ainsi que le faisait ma patronne, en volant aux chemins de fer du charbon et du pétrole, et en le vendant ensuite à des prix excessifs, il devait par force endurer la faim avec les siens » (11946).

 

 

Queues pendant la perception des salaires.

 

« Il vaut la peine encore de mentionner la manière dont les salaires étaient payés. Je dois d’abord déclarer que ces payements s’effectuaient en théorie deux fois par mois, c’est-à-dire le premier et le quinze. Pratiquement toutefois, la chose était bien différente. Le payement avait lieu seulement lorsque l’administration des mines d’Artiomowsk avait consigné l’argent nécessaire. L’organisation des versements est le comble... du manque de toute organisation. Le bureau annonçait, par exemple, que l’on paierait les salaires en un jour fixé. Des centaines de personnes se réunissaient quelques heures auparavant formant la queue, pour atteindre l’unique guichet de la caisse, et recevoir l’argent. Il n’arriva jamais, pendant le temps de mon travail à la mine, que la caisse eût assez d’argent pour donner le salaire à tous les ouvriers réunis. Parfois, après avoir passé plusieurs heures debout, quand finalement je me trouvais le 5e ou le 4e à passer au guichet, j’étais informé qu’il n’y avait plus d’argent » (12419).

 

 

Syndicats professionnels.

 

« ... Selon la prémisse théorique, propre au régime politique et social de l’Union Soviétique, les intérêts de l’ouvrier et de l’entreprise sont identiques, et il n’est pas possible qu’une divergence quelconque entre les intérêts de l’ouvrier et ceux de l’État donneur de travail puisse naître. L’ouvrier et le paysan sont les administrateurs du pays, et tout ce qui arrive sert leurs intérêts. Tous les facteurs opérant sur le terrain d’une entreprise, tels le directeur, les organes du parti et les organes du syndicat professionnel, ont en premier lieu le devoir de servir les intérêts de l’ouvrier, et, donc, le maintien d’organes spéciaux pour protéger les intérêts de celui-ci est superflu. La seule supposition que dans l’Union Soviétique des influences hostiles à l’ouvrier pourraient exister et dont il faudrait le protéger, est inadmissible. La divergence entre cette prémisse théorique et la réalité est grande toutefois et constitue la source principale des tristes conditions de l’ouvrier soviétique.

Ainsi que l’ouvrier polonais, l’ouvrier soviétique tend lui aussi à obtenir les meilleures conditions de vie possibles, offrant en échange la consommation rationnelle de son énergie. Toutefois l’augmentation du prix de la main-d’œuvre est contraire à la politique soviétique de stabilité des prix officiels, tandis que la politique de l’État s’oppose à l’amélioration des conditions de l’ouvrier, par l’augmentation qui équivaut à son travail. L’on exige d’autre part que le plan de la production de chaque entreprise soit rigoureusement observé ; plan dont le budget établi par les autorités surpasse arbitrairement les réelles possibilités de l’entreprise. L’insuffisance du nombre des établissements de travail dans l’Union Soviétique, et le manque, en général, d’articles industriels, oblige l’État à exiger des entreprises le maximum de production possible, et les directeurs des entreprises, responsables de l’exécution du plan, ainsi que les organes du parti, obligent à leur tour l’ouvrier au plus grand rendement de travail. La méthode en usage, à l’égard de l’ouvrier, généralement approuvée par l’État, est celle de le maintenir au niveau de la faim, et de le tenter par la possibilité d’une existence meilleure et avec la perspective de la reconnaissance de l’État, s’il devient « partisan du système de Stakhanov », en fournissant journellement non moins des 100 % de la somme de travail assignée. Le système de travail « Stakhanov » est funeste à la santé de l’ouvrier, parce qu’il exige de lui un effort constant et disproportionné avec ses forces ; il cause la perte prématurée de ses capacités de travail. Je connus dans l’Oural les trois frères Fedoniov, qui furent pendant quelques années partisans du système « Stakhanov ». Deux parmi eux, à l’âge de seulement 38 et 41 ans, souffraient de maladies chroniques, qui les avaient privés au moins de 60 % d’habileté au travail » (12437 – E. H., industriel).

 

 

 

La femme ouvrière.

 

Dans le travail, on ne faisait pas de différence entre l’homme et la femme, persuadés que la femme était, pareillement à l’homme, capable de n’importe quel travail, et qu’il n’y avait rien qu’elle ne sût exécuter. Sa structure physique plus faible n’était jamais envisagée ; elle était même considérée comme une idée conçue des bourgeois.

En général, l’habileté dans le travail était appréciée ; les moins habiles se virent souvent exposées à subir les plaisanteries piquantes des camarades de travail.

Le travail dans les usines comprenait deux, et parfois, trois tours. Les femmes avaient leurs tours de travail la nuit, comme les hommes. Chaque ouvrier avait une semaine de travail diurne, et une semaine de travail nocturne. Au début, le dimanche était journée de liberté, dite de « sortie » ; l’on travailla ensuite même le dimanche, mais la récompense due pour cette journée de travail, devait être « volontairement » offerte, par les ouvriers, au bénéfice de l’armée rouge.

 

 

Le Triomphe de la mort.

 

« Le 10 février 1940 je fus déporté, avec toute ma famille, par les autorités soviétiques d’occupation, dans la région d’Arkhangelsk, arrondissement de Wierchnotojemsk, station forestière de Kornilov, colonie de Nizna-Muczno.

... Une fois arrivés à la gare de Kotlas, nous fûmes déchargés des wagons, et dirigés vers la gare du port, laquelle, vu la congélation du fleuve Dvina, était hors de service ; nous dûmes poursuivre de là notre chemin au moyen de charrettes, jusqu’au lieu susdit, parcourant encore 180 km. Quelques enfants et quelques adultes moururent pendant ce voyage. Parmi ceux que je connaissais bien, Jean Gabrys, de plus de 40 ans, et le petit enfant d’Antoine Blassat, dont je ne me rappelle pas l’âge, moururent le long du chemin, à la suite de congélation.

... La vie dans le camp de concentration était terrible. Le payement des salaires était suspendu à dessein, tandis qu’il aurait dû avoir lieu régulièrement le 5 et le 20 de chaque mois.

On ne pouvait trouver aucun crédit. Le spectre de la mort par la faim était devant nous. L’impitoyable faucheuse avait commencé son horrible moisson ; il n’y avait pas de jour auquel manquât quelque nouveau cadavre. Les enfants et les vieillards furent les premiers frappés. Ainsi mourut le 15 mai ma fille Jeanne ; le 20, ma fille Salomé ; le 2 août, mon fils Joseph ; tous, petits ; le 2 septembre, ce fut le tour de mon fils Frédéric, et le 3, de mon fils Romain. Le 16 septembre, ma femme accouchait d’un petit garçon, qui ne vécut qu’une demi-heure ; elle mourut ensuite le 22 octobre. L’accouchement s’était déroulé sans l’ombre d’assistance médicale, ce qui m’avait coûté de grands sacrifices : et c’est ainsi que l’année 1940 se terminait pour moi. L’année suivante, 1941, le 9 mars, je perdais mon fils Jean, le 10 mai, ma fille Marie, et le 16 juillet, l’aîné et le dernier de mes fils Stanislas, âgé de 14 ans. Les 6 fils de Stéphan Celejewski moururent ensuite, 4 fils et la femme d’Antoine Blawat, ainsi que l’entière famille des Zabawa, composée de 4 adultes, dont les prénoms me sont inconnus. 67 % des 400 habitants de la colonie étaient enterrés le 2 septembre 1941, au moment de l’amnistie. (En cas de nécessité je peux citer tous les noms.)

Les autorités de l’N.K.W.D. agissaient à notre égard avec une monstrueuse hypocrisie... Elles exigeaient de la population polonaise qu’elle prît la naturalisation soviétique, promettant la liberté en échange, à la condition toutefois de vivre dans le lieu de déportation. Elles s’efforçaient de propager à tout prix le communisme parmi les enfants, fondant dans ce but des écoles, écoles maternelles et asiles, sans se soucier d’autre part de la terrible mortalité des enfants, ni des différentes maladies qui sévissaient parmi eux : comme la phtisie pulmonaire, le scorbut, etc. Il était défendu aux parents, sous la menace de graves punitions, d’apprendre aux enfants les prières, de leur parler de Dieu et de la Pologne » (293 – K. A., de 40 ans, agriculteur de la banlieue de Radziechow).

 

 

 

 

 

 

APPENDICE

 

 

 

Le Métropolitain Szeptycki dans la lutte contre l’athéisme bolchévique

 

Après la mise en pages de notre livre, Monsieur Jaroslaw Nagorski a publié dans l’hebdomadaire de l’Armée Polonaise, « L’Aigle Blanc » – N. 6 – II-II-1945 – un chapitre de la brochure préparée par lui et intitulée : « Le Métropolitain du peuple ukrainien ». L’auteur montre, dans ce chapitre, l’activité du Métropolitain grec-catholique Szeptycki à Léopol, depuis le mois de septembre 1939 pendant tout le temps de l’occupation soviétique, jusqu’à sa mort survenue le 1er novembre 1944.

Cette période de la vie du Métropolitain fut surtout consacrée à la lutte contre l’effort du régime communiste pour liquider complètement l’Église grecque-catholique en Pologne.

Des affirmations authentiques du Métropolitain, des faits et des documents chiffrés par Nagorski, confirment pleinement la thèse de notre livre en ce qui concerne les rapports du bolchévisme vis-à-vis de la religion.

Nous complétons pour cela la mise en pages de notre livre par quelques passages extraits de la publication de Nagorski.

Quelques-unes de ces citations ont été soulignées par l’auteur de « Bolchévisme et Religion ».

Le mois de Septembre 1939 trouve le Métropolitain Szeptycki obligé déjà depuis neuf ans à garder un fauteuil à cause d’une grave infirmité, l’inflammation des articulations, qui l’oblige à l’immobilité ; il perd l’usage de la main droite et de temps en temps une attaque plus forte le prive aussi de l’usage de la main gauche. Il a 74 ans.

Toute sa vie est consacrée à l’idée de parvenir à l’union de l’Église orientale-orthodoxe avec l’Église Catholique Romaine et à l’idée surtout de serrer les liens qui unissent les Ukrainiens au Saint-Siège de Rome et par celui-ci à la culture occidentale. Le Métropolitain de Haliez se trouve en face de cette collectivité orientale et de cette mission à laquelle il s’était toujours préparé lui-même et avait préparé son Église de rite grec-catholique.

Le nombre des soldats rouges qui inondent les rues de Léopol et les divisions toujours plus nombreuses qui sont déchargées à la gare ou lancées des camions civils, surtout de citoyens de l’Union Soviétique habillés en uniforme du parti, sont des êtres humains totalement différents, de peu de valeur comme individus, mais par contre, complètement pris par la machine du régime soviétique. Dès le premier moment, quoique recouverte du voile de la propagande la plus exécrable et la plus fausse, cette machine porte avec soi l’anéantissement de toutes les valeurs spirituelles de l’homme, de la religion, et en même temps par l’exécrable mot d’ordre de « culture socialiste dans la substance, mais nationaliste dans la forme », par les centaines de wagons de chemins de fer prêts aux voyages vers la Sibérie, par toute la monstrueuse machine de l’N.K.W.D., elle porte avec soi le plan bien étudié pour l’anéantissement de l’âme des populations ukrainienne et polonaise, pour la destruction physique de tout ce qui est en elles de précieux et d’indépendant.

Dès le début le Métropolitain ne s’est pas fait d’illusions au sujet des véritables intentions du régime soviétique. Il sait qu’ils sont venus dans le but de « libérer et racheter » les Ukrainiens, il sait que dans leur langage ceci signifie dominer et ruiner, tout en jouant le rôle de libérateurs et de sauveurs. Il ne se laisse point tromper par les perfides « privilèges » que les nouveaux dominateurs accordent aux Ukrainiens, visant d’ailleurs très clairement à diriger la haine de la population vers les Polonais. Il ne se laissera pas tromper par la « fondation » des nouvelles écoles polonaises ou  bilingues. « Tous ces privilèges n’empêchent pas la population de se rendre compte que le système tout entier vise à la ruine complète de la vie nationale ukrainienne. »

Le régime soviétique liquide en vitesse l’enseignement de la religion dans les écoles et commence, quoiqu’en sourdine, la propagande athée. Le Métropolitain ne se fait toutefois pas d’illusions. Il sait qu’une année après l’autre les rangs de ses prêtres s’aminciront, non pas seulement parce que déjà au cours des premières semaines un séminaire ukrainien a été fermé, mais aussi parce que après la comédie du faux plébiscite le Parlement, constitué de 1.400 délégués, a décrété à l’unanimité la suppression de tous les couvents et surtout parce que sous peu commenceront les déportations et les arrestations qui n’épargneront certes pas les prêtres.

À cause de cela, le Métropolitain commande : « Je confie à chacun la mission de l’enseignement religieux. Chaque prélat apprendra à quelques personnes intelligentes et pieuses comment administrer le Sacrement du Baptême, pour qu’elles sachent baptiser toutes seules les nouveau-nés, en cas de manque de prêtre. »

Les ordres religieux furent supprimés. Le Métropolitain proteste publiquement, libère des obligations religieuses tous ceux qui n’ont pas la force de surmonter les épreuves qui les attendent, et rappelle à ceux qui lui demandent d’être relevés des règles : « La Divine Providence, vous répandant dans le monde, vous confie la mission précise et grande de divulguer des conseils évangéliques et l’enseignement de l’Évangile même. » Tout de suite après il laisse quelques prêtres pour officier dans les Églises des Couvents qu’il transforme en églises paroissiales, et envoie les autres religieux et les séminaristes exemptés du Séminaire, aux paroisses sans curé. »

 

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« L’école soviétique commence l’attaque contre l’âme des enfants. Le Métropolitain s’adresse aux fidèles de l’Archevêché par un mandement :

« La question la plus importante pour l’Église, le peuple et la famille est que les enfants soient bien élevés » !...

Les autorités soviétiques enlèvent naturellement des écoles l’habitude de la prière quotidienne avant et après l’étude.

Le Métropolitain demande à ses fidèles de bien vouloir réciter dans chaque maison les prières du matin et du soir :

« Chaque prière élève l’âme de la fange de la matière et de la méchanceté de tous les jours, de la pauvreté et de la misère à quelque chose de plus haut, de plus saint, pur, idéal, à Dieu... »

 

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 « Comment s’adresse-t-il, le Pasteur de Saint-Georges, comment divulgue-t-il ses mandements ? Il ne faut naturellement pas parler de presse. Les lettres sont reproduites en 200 exemplaires au cyclostyle et chaque personne qui les reçoit doit les recopier pour sa paroisse et, suivant les possibilités, pour quelques voisins. Je désire qu’une copie des mandements soit donnée à ceux qui se chargeront de les lire à haute voix dans chaque maison. »

Le Métropolitain sait très bien que le gouvernement soviétique ne tolérera pas passivement les mots de ses mandements, quoiqu’il n’y ait rien en eux qui puisse aller au delà de la théorie de la liberté de religion reconnue par la constitution de Staline. Déjà en décembre 1939, le mandement du Métropolitain adressé à la jeunesse est presque un congé. « Chers Enfants, veuillez copier ce mandement et vous le rappeler de temps en temps. Rappelez ces vérités à d’autres enfants. Par ce mandement, chers enfants, je veux me congédier de vous, car je ne sais pas si Dieu me permettra de travailler pour vous et de prier pour vous »...

Les autorités soviétiques ne se décident point pour le moment à liquider physiquement le Métropolitain, quoiqu’elles cherchent de différentes manières un successeur qui soit obéissant à leurs volontés. L’N.K.W.D. par contre fait une perquisition dans la Chancellerie du Métropolitain et confisque, entre autres, le cyclostyle.

 

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« Il n’est point facile de résister dans une paroisse quand le régime ne ménage pas ses efforts afin de rendre totalement insoutenable la vie au curé. Le Métropolitain même déclare qu’avec les nerfs malades, le penchant au pessimisme ou à la tristesse peut amener à la folie et aussi à un repliement sur soi-même et à des chutes dignes de pitié. » Pendant 22 mois de régime bolchévique, plus de 40 prêtres grecs-catholiques se trouvent dans les prisons soviétiques ou sont déportés, tandis que cent environ quittent les paroisses, cherchant une défense contre la persécution de l’autre côté du cordon soviétique. Tout en comprenant la nécessité pour quelques prêtres de se cacher, tenant compte des faibles forces des autres, le Métropolite ne peut toutefois pas permettre que ses 1267 paroisses restent abandonnées. Les prêtres doivent rester près de leur population, dont le sort n’est pas plus facile que le leur. Ainsi que le Métropolitain même certifie après 22 mois d’occupation soviétique, « se basant sur des chiffres approximatifs... le nombre des victimes déportées ou tuées dépasse de beaucoup le chiffre de 250 mille dans mon diocèse. Naturellement il s’agit seulement des Ukrainiens de religion grecque-catholique. »

 

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Toute personne ayant vécu sous l’occupation soviétique se rappelle le terrible tableau présenté par un citoyen soviétique, quand il se trouvait dans une maison privée ou loin du regard de l’omniprésent N.K.W.D. et ne se sentait pas contrôlé. En face d’une personne qui, selon lui, était digne de confiance, il découvrait toute sa misère matérielle et morale et à la fin de la conversation il demandait une croisette pour son enfant, ou bien une chemise pour sa femme, qui déjà depuis deux ou trois ans ne portait rien sous sa robe sale et barbouillée.

« Malgré la défense, plusieurs personnes venaient dans nos églises, des fonctionnaires du terrible N.K.W.D. même. Ils nous demandaient souvent de bien vouloir baptiser leurs enfants, se con fessaient (les femmes surtout), communiaient, nous priaient de donner aux enfants des images saintes, ils légalisaient parfois leurs mariages. »

« Grand nombre de soldats, quand ils avaient la possibilité de parler sincèrement, racontaient comment ils avaient été trompés, dans quelle misère ils vivaient chez eux... Il est certain que plusieurs parmi eux sentaient la nécessité et le désir de la religion... »

 

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Le Métropolitain portait une attention toute particulière à l’hôpital, où les autorités soviétiques défendaient aux confesseurs de s’approcher des mourants, sans égards envers leur religion. Le Métropolitain réclame auprès du gouvernement de Kiev à cause de ces systèmes. Il les défie, car « dans les hôpitaux soviétiques les mourants sont traités pire que les condamnés à mort dans les prisons européennes, auxquels on ne refuse généralement pas la réalisation de leur dernière volonté ».

Les protestations du Métropolitain restent naturellement sans écho. Il ordonne alors de nouveau : « On demande à tous les prêtres habitant près des hôpitaux de bien vouloir s’y rendre le plus souvent possible... Bien entendu, en soutane, afin de donner aux malades la possibilité de se confesser. Je permets d’apporter aux malades en cachette la Sainte Communion et de la leur donner de manière que pas même leur plus proche voisin ne s’en aperçoive. »

Grâce à l’aide des sœurs devenues infirmières, les prêtres arrivent à rentrer dans les hôpitaux. L’un d’eux, le Père Kotiw, accomplit mille fois environ le crime d’administrer les Saints Sacrements dans l’hôpital gouvernemental, crime qui est puni par six mois de prison.

 

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 « Le Métropolitain ne perd pas l’occasion, non seulement dans les lettres adressées aux fonctionnaires soviétiques, mais aussi publiquement, de stigmatiser toute la perfidie et la parodie de liberté accordée aux citoyens par la constitution de Staline.

Voici quelques phrases de la lettre ouverte adressée au camarade Zarczenko qui pendant la première occupation bolchévique était, à Léopol, le Chef du Bureau de l’Instruction Provinciale (O.W.N.O.).

« Les cas de violation de la conscience des enfants par leur inscription aux « pionniers » (sorte d’explorateurs rouges), provoqués par la fanatique propagande athée, me donnent l’occasion et la raison pour m’adresser au Bureau Provincial de l’Instruction avec une protestation décidée contre cette corruption de la conscience. Je ne rapporte pas le nom des coupables n’ayant point l’intention de les accuser ni de leur nuire. Il s’agit pour moi d’une question de principe. »

« L’article 124 de la constitution de Staline dit : « Afin d’assurer aux citoyens la liberté de conscience... l’Église dans l’U.R.S.S. est séparée de l’État, et l’école de l’Église. »

« ... Cet article assure en même temps aux parents la liberté d’élever les enfants dans leur foi, et leur donne le droit d’exiger que l’école respecte leur volonté en ce qui concerne l’éducation de leurs fils, c’est-à-dire que l’école élève leurs enfants conformément à leurs désirs, ou tout au moins qu’elle ne s’interpose pas dans les questions religieuses et n’agisse point contre la religion des enfants et de leurs parents. D’après la constitution, en effet, chaque personne est libre de professer sa religion. »

« Malgré la liberté de conscience garantie par la constitution, dans les écoles elle est interprétée de telle sorte que l’école s’oppose à la liberté des enfants quand ils veulent prier avant l’étude, et les punit à cause de la prière. Ce qui doit diminuer l’autorité de la constitution aux yeux des parents et de toute la société. »

« L’église grecque-catholique gouvernée par le Métropolitain se trouve sous les attaques continuelles des milieux officiels et non officiels et se prépare à sa mission en Orient dès que les conditions le permettront, se dresse contre des problèmes toujours plus compliqués, mais aurait besoin d’une impulsion plus forte encore qui puisse élever sa vie intérieure, ainsi que son organisation. Il faudrait convaincre les caractères les plus faibles et incertains que, malgré les conditions difficiles, non seulement il faut, mais on peut aussi travailler.

Le Métropolitain décide de changer les réunions du jeudi, auxquelles prennent part 60/80 prêtres environ de tout le diocèse, en un synode de l’archevêché. Au mois de mars, dans la lettre adressée aux prêtres, il annonce la convocation du Synode pour le 2 mai 1940...

« Ce premier Synode convoqué sous le nez de l’N.K.W.D. ne se déroula pas sans victimes. À la clôture du Synode, le Métropolitain dit : « Deux de nos Pères, parmi les plus proches membres du Synode, sont morts victimes des conditions dans lesquelles nous vivons actuellement à Léopol. Quatre de nos plus proches collaborateurs ont été arrêtés et pareillement dix autres personnes participant au Synode. »

 

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« Les autorités bolchéviques s’étaient préparées à leur façon à la désorganisation de l’église grecque-catholique et à l’anéantissement de l’autorité de Szeptycki. Elles proposèrent la chaire d’Archevêque de Léopol à un des plus fameux prêtres ukrainiens, philosophe – auteur d’ouvrages spirituels connus parmi les ukrainiens, comme « L’hymne à Dieu » ou « Trois méthodes de pensée ». Elles auraient facilité tout le reste, et l’auraient destiné à la qualité de Métropolitain ; il suffisait qu’il donne son consentement.

Le Père Gabriel Kostelnyk répondit : non ! Bien grande est l’autorité de Szeptycki ! Les bolchéviques ne peuvent trouver personne qui ose se faire appeler Métropolitain de Haliez. Ils s’adressent au Père Kostelnyk :

« Le sort de votre famille est dans vos mains ! »

Non !

Ils arrêtent son plus cher fils, Bohdan, âgé de dix-sept ans. Après quelques semaines, quelqu’un fit parvenir au Père Kostelnyk l’habit ensanglanté de Bohdan.

– Il le portait quand il était encore vivant.

« ... Pendant le temps du pouvoir de ce régime, Dieu... a permis à notre Église et à notre population le sacrifice jusqu’à la mort, presqu’ainsi que des martyrs, de nombreux de ses fidèles. Il nous semble indiscutable que la haine envers le Christ et son Église ait été la plus forte raison de la persécution que nous avons subie.

Et ceux qui subirent ces persécutions jusqu’à la fin étaient convaincus de souffrir pour la foi chrétienne et catholique... ».

 

 

Ladislas KANIA, Le bolchévisme et la religion,

Magi-Spinetti, Rome, 1945.

 

 

 

 

 

 

 

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