« Le cœur avide d’infini »

de Noël Nouet

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Léon LAHOVARY

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ne te fie pas à quiconque doute de la vie de famille.

(Carmen SYLVA.)

Sachant qu’au plus exquis va le coup le plus rude...

(Lucien PATÉ.)

 

 

Si vous aimez la vraie poésie, celle qui parle à l’âme et qui la fait vibrer, celle qui, par les moyens les plus simples, arrive sans peine à nous émouvoir, commande la sympathie et force l’admiration, lisez ce livre si prenant, si naturellement beau, si tendre et si viril tout ensemble, et si sincère avant tout, qui a pour titre : Le Cœur avide d’infini, et qui est signé : Noël Nouet.

D’autres poètes ont, peut-être, une forme plus impeccable, des rimes plus parnassiennes, une prosodie plus régulière, une correction plus classique. Mais tous, assurément, n’ont point, dans la pensée et dans l’expression, cette incontestable originalité, cet art qui est bien son art, qui n’est pas trop savant, en somme, et qui n’en est que plus charmant.

Il a, en effet, sa personnalité, son caractère, son style, une certaine manière de sentir et un certain tour d’esprit qui n’appartiennent qu’à lui.

C’est, avant tout, un contemplatif, qui aime la nature et qui la connaît bien, que les choses les plus banales, les plus humbles, les plus cachées, charment, attendrissent, intéressent, et qui sait rendre, comme il les comprend, leur mystère et leur poésie...

Son premier recueil : Les Étoiles entre les feuilles, paru en l’année 1910, n’a point passé inaperçu. Il a valu à son auteur, au printemps de l’année 1911, l’un des prix de littérature spiritualiste fondés par madame Claire Virenque et par d’autres généreux donateurs, heureux d’encourager les belles-lettres et de faire un peu les Mécènes, et décernés par un jury que préside M. Charles de Pomairols. Ainsi, cette œuvre de début, coup d’essai qui fut presque un coup de maître, a été justement remarquée.

Les spectacles de la nature, si merveilleux et si changeants, la vie paisible que l’on mène aux champs ou dans une petite ville de province, tel fut, en grande partie, le sujet de cet intéressant et tout premier volume.

M. Noël Nouet est poète dans l’âme. Un jour que je me promenais avec lui, à la campagne, sur la route, et que, lentement, la nuit tombait, il s’écria tout à coup : « Voyons si les premières étoiles luisent déjà au ciel !... » Tout l’homme est dans ces mots, tout le poète aussi. Il suit très attentivement la grande leçon que donnent les choses, il veut connaître et approfondir les lois qui régissent l’univers. Rien de livresque ni d’artificiel dans sa manière si spontanée.

Dans Le Cœur avide d’infini, les horizons se sont élargis, et l’inspiration du poète a pris un large et libre essor...

Son cœur s’est éveillé doucement, ingénument, et les ineffables secrets que la profonde campagne garde pour ses initiés, les beautés de la terre, celles du ciel, la féerie des heures, l’enchantement des saisons, tout cela ne lui suffit plus, et il nous en fait, très joliment, l’aveu :

 

            J’ai plus besoin d’une âme encor que de musique !...

 

Il voit passer de jeunes couples, sur la grand-route, au crépuscule... Une charmante jeune fille, sa voisine, son amie d’enfance peut-être, vient d’être fiancée, lui dit-on... Il est mélancolique, il souffre... Son cœur est, en effet, « avide d’infini », mais il y a plusieurs infinis, il y en a deux en tout cas : l’infini de l’amour et l’infini de la foi ! Il veut aimer, comme Sully Prudhomme, « avec ce qu’il a d’éternel... »

L’amour ne se fait pas attendre, et la seconde partie du livre fut, on ne le sent que trop, intensément vécue... Tout un drame secret... et poignant se devine à mesure que l’on tourne ces pages pleines de passion à peine contenue, de douleur difficilement refoulée, et qui brûlent les doigts, et qui vont droit à l’âme... Nul roman n’est plus pathétique qu’un roman que l’on a vécu, et rien n’est plus beau qu’un beau rêve, surtout s’il est resté un rêve !...

Jeunes filles qui venez de si loin, du pays des grands vents et des vieilles superstitions, des mornes steppes couvertes de neige et où glissent des traîneaux, pauvres oiseaux du Nord qui venez réchauffer vos membres délicats et frileux au tiède et indulgent soleil du beau ciel de France, mais qui vous envolez, un jour, du même vol léger et rapide, ô jolis, ô frêles oiseaux, vrais « oiseaux de passage », comme vous ont appelés les poètes, les rêveurs et les amoureux, vous qui ne faites, en effet, qu’aimer un instant... et passer, pourquoi venez-vous, ô jeunes filles, éblouir nos yeux pour les rendre à la nuit, prendre en vos mains, pour les broyer, les cœurs des meilleurs d’entre nous, parler à nos âmes, encore croyantes, Dieu merci ! un langage qu’elles ne comprennent pas et où toutes les haines inexpiables, toutes les rancunes et toutes les revendications des races qui se croient éternellement asservies et opprimées, et qui ne veulent plus croire à rien, ni à la famille, ni à la patrie, ni à l’humanité, ni à Dieu, – à la famille moins qu’à toute autre chose, – races exaltées et fanatiques, et continuellement en révolte, où toutes ces haines et ces rancunes, dis-je, clament leur désespoir séculaire à la face des hommes et à la face des cieux ?... Âmes d’Occident et âmes de là-bas, des villes où, entre les pavés, veillent des obus prêts à éclater, ne sont point faites toujours pour s’entendre, pour communier ensemble et s’unir à jamais !

Dans la pièce qui s’intitule Déchirement, et qui est, en effet, d’un sublime déchirant, le poète, le cœur brisé, mais ferme et résolu quand même, s’exprime ainsi, du fond de sa détresse courageuse et de la solitude nouvelle qui l’attend :

 

            Non, je vous aime trop pour vous aimer ainsi

            J’ai soif d’affinités intégrales, et si

            Nous ne partageons plus une même espérance,

            Si vous ne pouvez plus me suivre où je m’élance,

            Si vous ne pouvez pas mettre l’éternité

            Au-dessus des instants que Dieu nous a comptés,

            Si vous avez assez d’une heure passagère

            Pour aimer, pour chanter, pour chercher la lumière,

            Si vos baisers n’ont pas ce parfum d’absolu

            Que je guette partout, que j’ai toujours voulu...

            .     .     .     .     .     .     .     .     .     .     .     .     .     .

            Enfin si ce malheur est irrémédiable,

            Si l’amour ne peut faire un miracle en ce lieu,

            Au nom de cet amour lui-même, adieu ! adieu !...

 

Il déchire la plupart de ses poèmes d’amour, les plus poignants et les plus beaux, j’en suis sûr, et, à les voir brûler un à un, au fond de l’âtre sombre où, avec des monceaux de papiers, il a jeté son cœur en pâture aux flammes, pour qu’il ne soit plus que cendres froides, il éprouve, à leur point extrême, la volupté de la souffrance et l’allégresse du sacrifice !

Cependant, la Nature le berce et le console, et lui rend peu à peu la force avec le calme... Il reçoit, silencieux et triste, la bénédiction paternelle des grands arbres... Il les aime, il cherche leur ombre, il les chante en des vers majestueux, graves et lents...

Puis il se tourne vers sa mère :

 

            Mère, je me retiens à toi ;

            Tes gestes font de la lumière...

 

et le voici rasséréné, confiant en la vie, – presque heureux !

Il regarde le ciel et les astres, il chante l’eau, le vent, le clair de lune, l’aube, et les enfants de ses premiers amis, les chers enfants qui jouent et folâtrent dans un grand parc ensoleillé, et il chante tout cela en vers délicieux, où tout, images et symboles, est très ingénieux et très original...

Et puis, que de belles pensées, d’un caractère philosophique, des pensées très justes et très finement rendues, et quel sévère examen de conscience, et quel constant effort vers le bien, vers le progrès moral, vers l’impossible perfection !

Il veut s’envoler haut, très haut, comme ces blancs essaims de pigeons qu’il voit se poser, voleter, dans le jardin du Luxembourg, sur les balustrades, les urnes et les statues, et qui repartent, l’instant d’après, pour aller se poser ailleurs, ou pour s’élancer vers le ciel, vers les étoiles, vers Dieu peut-être !... Il a soif d’absolu et soif d’éternité... Qu’y a-t-il vraiment, se demande-t-il, « de l’autre côté de la mort ?... »

En attendant, ce contemplatif, ce doux, ce tendre et ce résigné, qui s’est d’abord replié sur lui-même et qui s’est tourné, ensuite, vers ses frères, ce noble et ce charmant poète, d’une sensibilité si exquise et si rare, veut être énergique et vaillant, et il aspire à l’action, après avoir longtemps vécu comme dans un rêve :

 

            Je voudrais voir briller au fond de mon ciel noir

            L’étoile indubitable et douce d’un devoir !

            Qui fait une croisade ? Où sont les Thermophyles ?

            Je veux me dévouer, me donner, m’oublier...

 

Travaillez, rêvez, ô poète ! La douleur vous a ennobli et grandi, et vous vous connaissez mieux encore à présent... Les jours calmes et heureux viendront... Ne sont-ils pas déjà venus ?... C’est le printemps, la joie, les fleurs et la lumière !... C’est un baume qui se répand sur les âmes blessées et sensibles !... C’est la résurrection des âmes, et c’est le renouveau tout au fond de nos cœurs !... Le bonheur passe, retenez-le ! Aimez à nouveau, et chantez !... Oui, chantez toujours et quand même ! Chantez les souvenirs qui, hier encore, étaient de chères espérances ! Chantez les espérances qui, demain, à leur tour, seront des souvenirs, des souvenirs chers et sacrés ! Fredonnez-nous un air léger, et qui fasse pleurer de tendresse ! Chantez-nous la chanson jolie ! Chantez-nous l’éternelle chanson !

 

26 février (10 mars) 1912.

 

 

Léon LAHOVARY, Les lauriers et les glaives, 1914.

  

 

 

 

 

 

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