Manifestations télépathiques de trépassés

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

H. LOUANDRE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Parmi les soldats envoyés à Madagascar se trouvait le fils d’un brave ouvrier des ateliers de Fives-Lille qui habite Mons-en-Barceul (Nord) avec sa femme.

À la lecture des journaux qui rapportaient que nos pauvres troupes manquaient de tout sous un climat malsain et que les provisions envoyées prenaient de fausses directions, la pauvre mère était bouleversée de sinistres pressentiments : jusque dans ses rêves elle voyait son enfant en proie à l’impitoyable fièvre, mal soigné et tendant les bras vers elle pour implorer du secours.

Toutefois, ceci ne présente rien de surprenant et beaucoup d’autres mères de soldats ont pu avoir de ces angoisses poignantes et des frayeurs auxquelles les préoccupations de batailles restaient étrangères.

Mais dans la nuit du 5 au 6 septembre 1895, la pauvre femme eut un horrible cauchemar. Elle assista à l’agonie de son fils ; elle le vit luttant contre la mort, à deux pas d’elle, et l’impression fut si vive, si violente, qu’elle se réveilla en sanglotant et réveilla brusquement son mari pour lui expliquer, non sans peine tant elle suffoquait, qu’elle sortait d’être témoin du trépas de leur fils à Madagascar.

« – Allons, lui dit le brave homme frissonnant sous le coup de ce lugubre réveil, vas-tu donc maintenant ajouter foi aux rêves ? Tout songe, tout mensonge... Tu te fais du mal avec tes continuelles appréhensions ; la nuit ton imagination travaille là-dessus. Je t’ai déjà répété cent fois que dans les bavardages des journaux il faut en prendre et en laisser. Sais-tu d’où te vient un pareil cauchemar ? De la persistance de ton idée fixe. »

Puis continuant à la raisonner de son mieux :

« – Ton fils est vigoureux et il n’a jamais été malade. Il reviendra, je te le garantis, Dieu merci ! »

Hantée par le poignant spectacle, la mère interrompait :

« – Non, non, je l’ai trop bien vu ! En mourant il a crié : Maman ! maman !... Oh ! je l’ai bien entendu... Mon pauvre Louis, je ne le verrai plus ! »

Et la pauvre femme eut une effrayante attaque de nerfs.

Le lendemain on écrivit au soldat. Les jours, les semaines se passèrent ; pas de nouvelles. Enfin, vers le 14 octobre en arrivait une, fatale, hélas !... l’avis de décès du jeune homme.

Or, il se trouva que la date et même l’heure de la mort coïncidaient exactement avec celles du cauchemar de la mère et que les époux avaient notées ainsi que des voisins à qui la chose avait été racontée, pour voir qui aurait raison.

 

Cette manifestation télépathique de trépassé n’est par un cas isolé ; on en rencontre beaucoup d’autres, En voici encore quelques-unes :

Le fameux médium Home raconte dans ses mémoires :

 

« J’allai avec ma famille résider à Troy, dans l’État de New York, situé à près de 300 milles de Norwich où habitait mon camarade d’enfance Edwin. J’avais alors 13 ans et mon ami 15 1/2.

« Un soir, vers la fin de juin, après une veillée fort calme passée avec quelques amis, ma famille s’était retirée dans ses appartements respectifs et moi-même j’avais gagné ma chambre si pleinement éclairée par la lune que la bougie était devenue inutile. Mes prières dites, j’étais assis sur le lit et je me préparais à ramener le drap sur moi lorsqu’une obscurité soudaine sembla envahir la chambre. Cela me surprit, car je n’avais pas vu un seul nuage dans le ciel...

« Au sein même de cette obscurité il se produisit une lumière qui augmenta graduellement, et mon attention fut attirée au pied du lit où se tenait mon ami Edwin !

« Il faut dire ici qu’un mois avant cette vision nous avions convenu ensemble que celui des deux qui le premier quitterait la terre se présenterait le troisième jour à l’autre, si toutefois Dieu le permettait, pour vérifier ce qu’il y avait de fondé dans toutes les étranges histoires qu’on racontait sur des apparitions de personnes après leur mort.

« Edwin m’apparut dans une sorte de nuage lumineux qui éclairait sa figure plus nettement dessinée que si la vie l’eût animée. Ses traits étaient les mêmes, à part un certain rayonnement et la différence que sa chevelure qui était longue dans la vision roulait sur ses épaules en boucles ondoyantes.

« Il me regarda avec un sourire d’ineffable douceur ; puis, levant lentement son bras droit vers les cieux, il fit trois cercles dans l’air, après quoi la main, le bras, puis le corps, lentement s’évanouirent. Alors la clarté revint dans ma chambre ; je restai un instant muet et sans mouvement, et je sonnai aussitôt que je pus le faire.

« Ma famille, me croyant malade, s’empressa autour de moi. Je m’écriai : « J’ai vu Edwin ; il est mort il y a trois jours aujourd’hui et à la présente heure. » Le fait se vérifia trois jours plus tard, à l’arrivée d’une lettre annonçant qu’après quelques heures de maladie, Edwin avait succombé à une dysenterie maligne.

« En 1850, j’eus une semblable vision qui m’annonça la mort de ma mère, laquelle habitait à Waterford, à 12 milles de moi. »

 

On m’objectera que l’on n’est pas obligé de croire tout ce qu’a raconté Home. Je répondrai qu’il n’y aurait rien d’étonnant à ce que ce sensitif ait été, plus qu’un autre, particulièrement apte à recevoir une communication télépathique, qu’en tous cas les deux faits suivants étant analogues et acceptés comme authentiques, il n’y a pas de raison de récuser davantage le récit du médium.

 

« Mgr de Ségur rapporte un troublant exemple de visite de trépassé à un ami :

« C’était en Russie, à Moscou, dit-il, peu de temps avant la terrible campagne de 1812. Mon grand-père maternel, le comte Rostopchine, gouverneur militaire de Moscou, état fort lié avec le général comte Orloff, célèbre par sa bravoure, mais aussi impie qu’il était brave.

« Un jour, à la suite d’un souper fin arrosé de copieuses libations, le comte Orloff et un de ses amis, le général V., voltairien comme lui, s’étaient mis à se moquer affreusement de la religion et surtout de l’enfer.

« – Et si, par hasard, dit Orloff, si par hasard, il y avait quelque chose de l’autre côté du rideau ?...

« – Eh bien ! répartit le général V., celui de nous deux qui s’en ira le premier reviendra en avertir l’autre. Est-ce convenu ?

« – Excellente idée ! répondit le comte Orloff.

« Et tous deux, bien qu’à moitié gris, se donnèrent très sérieusement leur parole d’honneur de ne pas manquer à leur engagement.

« Quelques semaines plus tard éclata une de ces grandes guerres comme en vit seule la fameuse épopée napoléonienne. L’armée russe entra en campagne, et le général V. reçut l’ordre de partir immédiatement pour prendre un commandement important.

« Il avait quitté Moscou depuis deux ou trois semaines lorsqu’un matin, de très bonne heure, pendant que mon grand-père faisait sa toilette, la porte de sa chambre s’ouvre brusquement. C’était le comte Orloff, en robe de chambre, en pantoufles, les cheveux hérissés, l’œil hagard, pâle comme un mort.

« – Quoi ! Orloff, c’est vous ? à cette heure ? et dans un costume pareil ? qu’avez-vous donc ? qu’est-il arrivé ?

« – Mon cher, répond le comte Orloff, je crois que je deviens fou. Je viens de voir le général V.

« – Le général V. ? Il est donc revenu ?

« – Eh non ! reprend Orloff, en se jetant sur un canapé et en se prenant la tête à deux mains, non, il n’est pas revenu ! Et c’est là ce qui m’épouvante !

« Mon grand-père n’y comprenait rien. Il cherchait à le calmer.

« – Racontez-moi donc, lui dit-il, ce qui vous est arrivé et ce que tout cela veut dire.

« Alors, s’efforçant de dominer son émotion, le comte Orloff raconta la conversation de leur souper fin et la promesse qu’ils s’étaient mutuellement faite, puis il poursuivit :

« – Or, ce matin, il y a une demi-heure à peine, j’étais tranquillement dans mon lit, éveillé depuis longtemps, ne pensant nullement à mon ami, lorsque tout à coup les deux rideaux de mon lit se sont brusquement ouverts, et je vis, à deux pas de moi, le général V., debout, pâle, la main droite sur sa poitrine, me disant : « Il y a un enfer, et j’y suis ! » et il disparut. Je suis venu vous trouver de suite. Ma tête part ! Quelle chose étrange ! Je ne sais qu’en penser ! »

« Mon grand-père le calma comme il put, lui parlant d’hallucinations au réveil, de cauchemars, lui faisant ressortir qu’il y a bien des choses extraordinaires, inexplicables, etc. Puis le comte Orloff fut reconduit en voiture à son hôtel...

« Dix ou douze jours après cet étrange incident, un courrier de l’armée apportait à mon grand-père, entre autres nouvelles, celle de la mort du général V. Le matin même du jour où le comte Orloff l’avait vu et entendu, à la même heure où il lui était apparu, à Moscou, l’infortuné général, sorti pour reconnaître la position de l’ennemi, avait eu la poitrine traversée par un boulet et était tombé raide mort !... »

 

Le récit de Mgr de Ségur me rappelle une autre anecdote tenue pour parfaitement véridique et qui offre avec la précédente beaucoup de ressemblance. C’est par elle que je vais terminer :

Le marquis de Rambouillet, frère aîné de la duchesse de Montausier, et le Marquis de Précy, aîné de la maison de Nantouillet, tous deux âgés de 25 à 30 ans, étaient intimes amis et allaient à la guerre comme y allaient au XVIe siècle tous les jeunes gens de qualité.

Un jour qu’ils s’entretenaient des affaires de l’autre monde, après plusieurs discours qui témoignaient assez qu’ils n’étaient pas trop persuadés de tout ce qui s’en dit, ils se promirent, l’un à l’autre, que le premier qui mourrait en viendrait apporter des nouvelles à son camarade.

Au bout de trois mois, le marquis de Rambouillet partit pour la Flandre où il y avait alors la guerre, et Précy, arrêté par une grosse fièvre, demeura à Paris. Six semaines après, Précy entendit, sur les six heures du matin, tirer les rideaux de son lit, et se tournant pour voir qui c’était, aperçut le marquis de Rambouillet « en buffle et en bottes ».

Il sauta de son lit voulant aller se jeter à son cou pour lui témoigner la joie qu’il avait de son retour ; mais Rambouillet reculant de quelques pas en arrière lui dit que les embrassades n’étaient, hélas ! plus de saison, qu’il ne venait que pour s’acquitter, avec la permission de Dieu, de la parole qu’il lui avait donnée ; qu’il avait été tué la veille dans telle circonstance, que tout ce que l’on disait de l’autre monde était bien réel, qu’il devait songer à vivre d’une autre manière et qu’il n’avait point de temps à perdre parce qu’il serait tué dans le premier combat où il se trouverait.

On ne saurait exprimer la pénible surprise du marquis de Précy. Ne pouvant se résoudre à croire ce qu’il entendait, il fit de nouveaux efforts pour embrasser son ami qu’il était tenté de soupçonner d’une macabre tromperie ; mais il n’embrassa qu’une « fumée », et le marquis de Rambouillet, voyant combien son camarade persistait dans son incrédulité, lui montra où il avait reçu le coup mortel : c’était dans les reins et le sang paraissait encore couler de la plaie.

Sur ce, il disparut, laissant Précy terrifié.

Revenu bientôt de sa stupeur, celui-ci appela son valet de chambre et réveilla en même temps toute la maison par ses cris. Plusieurs personnes accoururent ; il leur raconta ce qui venait de se passer. Tout le monde attribua cette vision à la force de la fièvre « qui, sans doute, avait altéré son imagination », et on lui conseilla de se recoucher lui montrant que cela ne pouvait être qu’un mauvais rêve.

Le marquis de Précy protestait contre toute possibilité d’hallucination ; mais il eut beau préciser les moindres circonstances de l’aventure, certifier qu’il était parfaitement éveillé quand il avait vu et entendu son ami, on refusa de prendre ses assertions au sérieux jusqu’au jour où la nouvelle de la mort du marquis de Rambouillet fut enfin apportée par la poste de Flandres.

Alors on constata la concordance extraordinaire qui existait entre les détails de la dépêche et ceux fournis par Précy sur la fin de son camarade, sur l’endroit de sa blessure, et il était impossible qu’il eût appris tout cela naturellement. Dans la suite, le marquis de Précy s’étant trouvé, pendant la guerre de la Fronde, au combat du faubourg Saint-Antoine, y fut tué (1652).

 

 

 

 

H. LOUATRON.

 

Paru dans L’Écho du merveilleux

en mai 1898.

 

 

 

 

 

 

 

 

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