La dernière des Médicis

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

 

André MABILLE DE PONCHEVILLE.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Il y eut jadis, en Italie, une princesse, une Médicis, qui, selon les prévisions humaines, devait être la troisième de son nom à régner sur la France, après Catherine et Marie. Née au palais Pitti, sur les bords de l’Arno, le 11 août 1667, elle reçut au baptême les prénoms d’Anne-Louise en souvenir de sa grand-tante Anne d’Autriche, et à cause de son cousin Louis XIV, – car sa mère, Marguerite d’Orléans, était petite-fille d’Henri IV. Chacun prévoyait qu’elle épouserait le dauphin de France. N’était-elle pas, dès ce jour de sa naissance, la plus riche héritière de l’Europe ? Mais il ne lui était réservé que l’amer destin d’être « la dernière des Médicis », comme l’appelle M. Pierre Bautier dans la brève, mais attachante biographie qu’il vient de lui consacrer 1.

 

*

*   *

 

L’enfance d’Anne-Louise de Médicis s’écoula tantôt sous les plafonds dorés du palais Pitti, tantôt parmi les chênes verts du jardin Boboli, au léger murmure de l’eau dans les vasques moussues, tantôt dans ces églises de Florence où les suaves Madones, peintes par Angelico, font que l’on s’agenouille avec plus de douceur dans l’âme que nulle part ailleurs. Sustermans l’a portraiturée en ces premières années ainsi que son frère aîné Ferdinand, grand prince de Toscane, soumis tous deux encore à une vieille gouvernante dont la figure austère, sinon revêche, contraste avec leurs jolis minois d’enfants princiers.

Quand l’âge vint pour la jeune fille d’être établie, son père, Cosme III, songea quelque peu au roi d’Espagne Charles II, puis revint à l’idée d’avoir pour gendre le dauphin de France. En 1690, Pietro di San-Luigi, moine feuillantin et diplomate habile, partit pour Versailles avec ordre de ne rien négliger pour réussir en ce sens. Marguerite d’Orléans, d’accord pour une fois avec son époux, estimait qu’il fallait se hâter, car sa fille avait 23 ans. Selon elle, la jeune princesse, d’ailleurs « très belle et très sage », ne pourrait plus trouver à 30 ans qu’un archiduc, et même moins peut-être. En fait, Anne-Louise épousa Jean-Guillaume de Neubourg Wittelsbach, électeur palatin, et s’en fut vivre sous le ciel voilé de l’Allemagne pendant quelque quinze années.

Morose résidence, le palais de Düsseldorf, en dépit des belles peintures de Rubens, qui l’ornent pour cette autre Médicis, comme un autre Luxembourg. Jean-Guillaume est un barbon épais de corps, point beau de figure, et qui a tort de s’obstiner à danser le menuet, car son gros ventre ne lui permet pas de le faire avec grâce. Son épouse l’accompagne à la chasse et n’a guère d’autres distractions. Seulement, Louis XIV étant mort en 1715, l’électeur jugea bon d’imiter le Roi-Soleil, au moins en cela, et Anne-Louise retrouva sa liberté dans le cours de l’année qui suivit.

Qu’elle ait décemment pleuré son mari, nous en avons pour témoignage le tableau de Douven où elle est représentée, veuve aux longs voiles de deuil, près de l’effigie du Palatin ; mais elle ne tarda point, cependant, à regagner les douces collines toscanes et le cher palais Pitti. Son père vivait encore ; on devine leurs promenades lentes, un peu mélancoliques, entre les ifs taillés du jardin Boboli, tandis que s’égouttent les fontaines.

Mais Cosme III, lui aussi, rend son âme au Créateur, et Anne-Louise, une fois de plus, se retrouve seule, désemparée. Réfugiée au couvent de la Quiete, elle y passe les journées à prier ou méditer, mais, le soir, se rend à San-Lorenzo dans un carrosse que traînent huit chevaux, car son rang l’exige. Elle entend là des offices rehaussés d’une musique déchirante, des Saluts que les maîtres de chapelle excellent à rendre pathétiques, et sans doute s’y laisse-t-elle aller plus d’une fois à la douceur des larmes.

Le grand-duc Jean-Gaston, son frère cadet, infirme et indolent, règne nominalement et va mourir. Anne-Louise est nommée régente après son décès, quand le traité de Vienne (1738) attribue la Toscane à François de Lorraine, futur empereur d’Autriche, époux de Marie-Thérèse et père de Marie-Antoinette. « La dernière des Médicis, écrit M. Pierre Bautier, qui survécut six ans à Jean-Gaston, n’eut désormais qu’un souci : garantir la pérennité des collections artistiques de sa famille en en faisant l’apanage de la dynastie qui succédait à la sienne. Les souverains passent. Le pays demeure. »

Et c’est ainsi que les pèlerins de Florence doivent à une princesse infortunée ces pures joies de l’esprit qu’ils trouvent à parcourir les appartements du palais Pitti où elle vécut, ornés des tableaux de Giorgione, Titien, Caravage et tant d’autres, ou encore les longues galeries des Offices, peuplées d’innombrables et glorieuses effigies.

 

*

*   *

 

Telle fut, pieuse, éprise d’art et d’histoire comme il convenait à sa race et à son rang, mais traînant avec tristesse la fin de cette race et les déconvenues de sa propre existence, telle fut l’ultime descendante de Laurent de Médicis. Un lointain château de Bavière, Schleissheim, conserve dans l’oubli son meilleur portrait. Ses beaux yeux languissants, mais surtout la blancheur et l’éclat de son teint, y contrastent avec la figure noire du négrillon qui lui apporte une corbeille de fleurs. Négligemment, l’esprit et le regard ailleurs, elle y puise sans choisir, comme s’il n’était plus désormais pour elle, après les douleurs de sa vie, de roses qui ne fussent trop entourées d’épines.

 

 

André MABILLE DE PONCHEVILLE.

 

Paru dans la revue Le Noël

en mai 1938.

 

 

 

 

 



1 Bulletin de la Société royale d’Archéologie de Bruxelles, décembre 1937.

 

 

 

 

 

 

 

www.biblisem.net