Œuvre de Saint-Louis

 

Ayant pour but d’évangéliser les Musulmans

au moyen d’écrits (livres et journal) en langues orientales.

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

E. MARQUIGNY

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Tout le monde sait que, si l’islamisme est à bout de voie dans ses établissements politiques, il puise dans son fanatisme une rage d’intolérance et une frénésie de prosélytisme qui ne paraissent pas près de s’éteindre. Très souvent les lettres de nos missionnaires et les correspondances des journaux catholiques contiennent d’affligeants détails sur les menées secrètes et les sinistres projets des apôtres du Coran. On a pu lire dernièrement dans le Monde et dans l’Union des lettres d’Alexandrie et de Damas pleines de renseignements douloureux touchant la conspiration permanente des Musulmans contre le christianisme. Il était question, entre autres choses, d’une chanson composée avec certains textes du Coran, où le massacre des chrétiens est indiqué comme un devoir et une nécessité. Sanglante réplique aux apologies qui se font parmi nous ! Il paraît même, – et cela devrait donner à réfléchir aux panégyristes de l’Islam, – que les entreprises de nos libres-penseurs encouragent les espérances des sectateurs du Prophète. « Le Coran a maintenant en France des apologistes, disait une des correspondances mentionnées plus haut, et les Musulmans, qui le savent, se rassurent et conservent l’espoir de triompher d’une société qui perd sa foi. » Ce qui est bien certain, c’est que le Journal de Constantinople, avant de mourir, adressait à ses lecteurs des espèces d’homélies dont le livre de M. Barthélemy Saint-Hilaire faisait tous les frais.

Le zèle catholique ne peut s’avouer vaincu : cette propagande furieuse, ces déplorables connivences doivent, au contraire, l’exciter à redoubler d’efforts et d’industrie. Que la force, il le faut, se tienne prête à réprimer les excès d’un fanatisme qui a toujours le cimeterre à la main ; mais la force, nous le savons bien, n’a pour mission que de s’opposer à la violence, et non pas de s’imposer à la conscience. Le Prophète s’est fait des adeptes par le sabre ; mais ce n’est point pas le sabre que l’Évangile veut se substituer au Coran. Nous convertissons ; nous ne contraignons pas. Évangéliser par une croisade pacifique, c’est notre dessein, c’est le but de l’œuvre de Saint-Louis.

Toutes les fois qu’on parle de la conversion des Musulmans, il s’élève dans les esprits, même les plus chrétiens, une grande objection : « Mais ces gens-là sont inconvertissables ! » Et ceux qui parmi nous ne sont chrétiens que de nom, se hâtent d’ajouter leur petite calomnie : « Jamais au sein de notre clergé lui-même l’idée n’a pris naissance d’aller évangéliser nos sujets sarrasins à l’ombre du drapeau tricolore. On a trop bien senti que ce serait se briser contre le roc et poursuivre une dangereuse chimère. » Qui ne reconnaît à ce langage la Revue des Deux-Mondes 1 ? Eh bien ! non ; ce n’est pas une chimère que de songer à la conversion des Musulmans, et les évangéliser n’est pas une idée tout à fait nouvelle au sein de notre clergé. N’allons pas, et c’est ici aux vrais chrétiens que je parle, n’allons pas faire à la vérité divine l’injure de la croire impuissante par quelque endroit. La foi peut transporter les montagnes et changer les pierres mêmes en enfants d’Abraham. Il est absolument faux que les fils de Mahomet ne puissent pas devenir des enfants d’adoption. Ce qui est vrai, c’est que cette transformation est une œuvre surhumaine, et qu’il y faut, si l’on peut ainsi dire, un coup de main du Tout-Puissant.

À quoi tiennent donc les difficultés exceptionnelles de l’apostolat auprès des Musulmans ? Il n’est pas sans intérêt de se le demander et d’y réfléchir un peu. – Ce sont les mœurs, dit-on souvent, qui offrent à l’introduction de l’Évangile dans les pays mahométans le plus invincible obstacle. – Sans doute, l’homme plongé dans la vie des sens ne laisse pas sans peine un culte qui s’est fait le complice de ses grossiers instincts. Mais les mœurs des païens étaient-elles moins dissolues, et leur religion donnait-elle au vice moins de licence ? Cependant la grâce a triomphé de la corruption, et la loi évangélique s’est soumis les cœurs. – L’islamisme est armé du glaive et de la raison d’État : c’est une puissance politique encore plus qu’une doctrine. – Mais cela aussi se rencontrait au commencement et se rencontre presque partout où le christianisme veut s’établir. Il y a donc dans l’islamisme quelque mystérieuse force de résistance qui ne se trouve pas dans l’idolâtrie ni parmi les sauvages. Qu’on veuille bien se rappeler ce que nous avons dit sur la nature de cette religion essentiellement satanique, dont l’inspiration même est la haine de Jésus-Christ, et qui érige en acte de foi la guerre contre les chrétiens : fanatisme infernal, cent fois pire que l’ignorance, qui met au cœur des adeptes toute la rage naturelle aux sectaires, et cette obstination exaltée jusqu’à l’aveuglement volontaire, jusqu’au refus absolu de toute discussion, de tout examen. C’est le péché contre le Saint-Esprit, c’est le crime irrémissible, c’est la griffe de Satan dans l’âme 2.

Que faire pour arracher au démon ses malheureuses victimes ? Prier d’abord, invoquer le secours du divin chef contre son ennemi déclaré. Une œuvre a été fondée dans cette intention ; nous l’avons déjà signalée et recommandée aux lecteurs des Études 3.

À la prière, pour qui rien n’est impossible, il faut joindre toutes les ressources du zèle dans la mesure du possible. Voici une œuvre qui peut accomplir un grand bien, et qui nous demande notre concours non seulement au nom de la religion, mais encore au nom de la civilisation et du patriotisme, au nom de l’honneur et des intérêts français. Nous l’oublions trop peut-être, la France a charge d’âmes à l’égard des Musulmans. Nous avons fait concevoir à l’Église de grandes espérances en arborant le drapeau français et en plantant la croix sur la terre d’Afrique. Avons-nous répondu à tout ce que la religion attendait de notre conquête ? Si certaines raisons de prudence politique ont fermé à nos missionnaires les voies ordinaires de propagande, sommes-nous pour cela dispensés de travailler à la diffusion de l’Évangile par les moyens qui restent en notre pouvoir ? Déjà l’Empereur, dans son voyage, a reconnu la nécessité d’ériger un évêché par province, et d’élever celui d’Alger au rang de métropole. C’était le vœu de Pie IX ; c’était le désir du vénérable prélat qui se dévoue avec un si grand zèle à tous les intérêts de notre colonie. D’ordinaire les œuvres catholiques, par la nature même de leur institution, ne regardent que certaines classes de personnes. Ici la nation, l’Europe et toute la chrétienté sont intéressées aux résultats. On n’a qu’à lire certains chapitres des Missions chrétiennes de M. Marshall, si l’on veut se renseigner sur l’état de nos relations avec les Musulmans en Algérie et ailleurs, et sur les raisons urgentes, au double point de vue religieux et politique de déployer auprès d’eux un zèle actif, éclairé, infatigable. Volontiers, si nous en avions le droit, nous appellerions ici l’attention des hommes politiques, et nous commenterions, par exemple, à propos de l’Algérie, ce que disait très bien le Constitutionnel du 20 juillet dernier an sujet de notre colonie de Cochinchine : « Lorsque les conquérants et les vaincus ne sont séparés que par les institutions et les habitudes, l’assimilation demeure toujours possible ; ce n’est qu’une question de temps, de tact, de bonne administration... Mais cette assimilation rencontre d’immenses difficultés, quand la résistance a sa source dans le sentiment religieux, dans une croyance établie et vivante, c’est-à-dire dans la conscience et dans l’âme. Il faut alors des prodiges d’habileté pour surmonter l’obstacle invisible. Vainqueurs et vaincus restent en présence sans s’unir... et tout est perpétuellement en question entre la compression et la force... Déjà les bienfaits de notre gouvernement nous ont acquis l’adhésion des populations ; il reste à compléter l’assimilation par la conquête des âmes, à rendre l’Annamite (lisez l’Arabe) tout à fait Français. Ce sera l’œuvre du christianisme. »

M. l’abbé Bourgade, aumônier de la chapelle de Saint-Louis, à Carthage, et déjà fondateur de plusieurs œuvres importantes pour la mission d’Afrique, a conçu le projet de poursuivre, au moyen de publications en langues orientales, une croisade pacifique contre les erreurs, les préjugés et le fanatisme musulmans. Condamné par le Coran à une ignorance systématique, et obligé par une prescription formelle à fuir toute controverse religieuse, le mahométan est presque inaccessible à toutes les tentatives de l’apostolat par la prédication. Les écrits seuls ont chance de faire pénétrer la vérité jusqu’à son esprit. Prêcher par des livres, en même temps qu’on prodigue les bonnes œuvres, toujours efficaces sur les cœurs, voilà comment on peut attirer le disciple de Mahomet à la foi de Jésus-Christ.

Mais une grande difficulté se présente dans l’emploi de cet unique moyen de propagande. Où trouver des ouvrages de nature à être lus avec fruit ? De toutes les publications catholiques, il n’en est guère qui puissent être goûtées par des Musulmans. « Essayer de leur donner à lire un traité contre les erreurs du Coran, comme celui de Martinis ou de Denis le Chartreux, serait plus que peine perdue », au témoignage de Mgr Pavy dans sa lettre d’approbation à M. l’abbé Bourgade. « Annoncer, même dans le titre d’un livre ou dans la série de ses chapitres une réfutation ouverte et directe de l’Islam, serait se condamner bien stérilement à n’être jamais lu par le mahométan le plus rapproché de nos idées. » M. l’abbé Bourgade le savait. Aussi les œuvres de propagande qu’il a rédigées, les Soirées de Carthage, la Clef du Coran, Passage du Coran à l’Évangile 4, se distinguent-elles par beaucoup de modération dans la forme et par une grande habileté à tourner les obstacles. C’est plaisir de voir comme le Coran est complété par l’Évangile et l’Évangile confirmé par le Coran d’une façon tout à fait inattendue et à l’aide de textes ingénieusement rapprochés. M. Bourgade, on peut le dire, a su entrer par la porte de l’ennemi pour sortir par la sienne. Dans ses dialogues, vraies causeries pleines de finesse et d’agrément, le savant auteur relève délicatement les vices les plus apparents de l’Islam, la polygamie, le divorce, le paradis sensuel, le défaut de titres chez le Prophète pour prouver sa mission ; il découvre avec beaucoup d’adresse les contradictions qui pullulent dans le Coran, et les signes manifestes de fausseté qui ôtent toute valeur à bon nombre de traditions musulmanes et aux faits dont elles sont l’appui. Enfin, dans sa dernière partie, l’écrivain prépare sans secousse le passage du Coran à l’Évangile ; il démontre le dogme et la morale du christianisme par le même procédé dont se sont servis quelques écrivains catholiques faisant voir dans Voltaire et dans Rousseau des apologistes malgré eux. Mahomet défenseur de la foi ; c’est à peu près comme M. Renan apôtre de la divinité de Jésus-Christ sans le vouloir.

On m’accuserait peut-être de faire injure à nos savants, si je les renvoyais aux livres de M. l’abbé Bourgade pour s’instruire sur Mahomet et le Coran. Ce serait pourtant leur rendre service. Cette lecture, s’ils avaient pris la peine de la faire, leur aurait épargné l’humiliation d’écrire tant de choses étranges sur l’islamisme et son fondateur. J’oserai même avancer qu’il y aurait profit pour les catholiques à prendre connaissance des ouvrages du docte missionnaire. Mgr Massaïa le disait avec beaucoup de vérité, dans une lettre à M. l’abbé Bourgade (1er décembre 1864) : « Il est fort peu d’Européens, même parmi les savants, qui soient à même de saisir le caractère véritable de cette secte mystérieuse. » Nous en avons eu, depuis un an, quantité de preuves.

Mgr le vicaire apostolique des Gallas (Afrique orientale), félicite vivement M. Bourgade d’avoir si bien atteint le but apostolique de ses travaux, et il ajoute : « Je vous prédis pour des temps peu éloignés bien plus de sympathie pour l’Œuvre, et de vogue pour vos ouvrages dans les pays lointains. » Puisse cette prédiction se réaliser ! L’Œuvre de Saint-Louis mérite, sans nul doute, les encouragements de tous ceux qui ont à cœur la propagation de la foi et le progrès de la civilisation chrétienne. Malheureusement, faute de ressources, M. l’abbé Bourgade n’a pu, jusqu’ici, donner à son œuvre d’autre développement que la publication, en arabe, d’un journal (le Birgys) et des deux premiers opuscules dont nous avons parlé, les Soirées de Carthage et la Clef du Coran. Ces deux livres et celui qui leur fait suite, Passage du Coran à l’Évangile, sont traduits en persan, mais sans être encore publiés. La traduction arabe du troisième volume et la version turque de tout l’ouvrage conseillée par Mgr Massaïa, sont en voie d’exécution. Les catholiques ne laisseront pas manquer des secours nécessaires une œuvre aussi importante. C’est avec grand plaisir que nous avons remarqué les noms d’hommes éminents, soit du clergé, soit des grands corps de l’État, dans le comité de direction et dans celui de rédaction, parmi les conseillers et parmi les souscripteurs associés.

Adresser les souscriptions ou offrandes à l’un des quatre membres suivants du comité : M. le curé de Saint-Roch, M. le curé de Saint-Louis d’Antin, M. Desprez, doyen des notaires de Paris, 15, rue des Saints-Pères, M. l’abbé Bourgade, 69, route d’Orléans. Le libraire de l’Œuvre est M. Challamel aîné, 30, rue des Boulangers.

 

 

 

E. MARQUIGNY.

 

Paru dans Études religieuses,

historiques et littéraires en 1866.

 

 

 

 

 



1 1er septembre 1865, p. 76.

2 J’invite tous nos lecteurs à relire les grandes et fortes paroles de Bossuet contre l’islamisme et son fondateur, dans le panégyrique de saint Pierre Nolasque. Il est bon, après tant de doucereuses apologies, de se retremper dans la haine de l’erreur et du mensonge. « Cet objet lugubre d’un chrétien captif dans les prisons des mahométans, me jette dans une profonde considération des grands et épouvantables progrès de cette religion monstrueuse. Ô Dieu, que le genre humain est crédule aux impostures de Satan ! Ô que l’esprit de séduction et d’erreur a d’ascendant sur notre raison ! Que nous portons en nous-mêmes, au fond de nos cœurs, une étrange opposition à la vérité, dans nos aveuglements, dans nos ignorances, dans nos préoccupations opiniâtres. Voyez comme l’ennemi du genre humain n’a rien oublié pour nous perdre et pour nous faire embrasser des erreurs damnables. Avant la venue du Sauveur, il se faisait adorer par toute la terre sous les noms de ces fameuses idoles devant lesquelles tremblaient tous les peuples ; il travaillait de toute sa force à étouffer le nom du vrai Dieu. Jésus-Christ et ses martyrs l’ont fait retentir si haut depuis le levant jusqu’au couchant, qu’il n’y a plus moyen de l’éteindre ni de l’obscurcir. Les peuples qui ne le connaissaient pas, y sont attirés en foule par la croix de Jésus-Christ ; et voici que cet ancien imposteur, qui dès l’origine du monde est en possession de tromper les hommes, ne pouvant plus abolir le saint nom de Dieu, frémissant contre Jésus-Christ qui l’a fait connaître à tout l’univers, tourne toute sa furie contre lui et contre son Évangile : et trouvant encore le nom de Jésus trop bien établi dans le monde par tant de martyrs et par tant de miracles, il lui déclare la guerre en faisant semblant de le révérer, et il inspire à Mahomet, en l’appelant un prophète, de faire passer sa doctrine pour une imposture ; et cette religion monstrueuse, qui se dément elle-même, a pour toute raison son ignorance, pour toute persuasion sa violence et sa tyrannie, pour tout miracle ses armes, armes redoutables et victorieuses, qui font trembler tout le monde, et rétablissent par force l’empire de Satan dans tout l’univers. Ô Jésus, Seigneur des seigneurs, Arbitre de tous les empires et Prince des rois de la terre, jusqu’à quand endurerez-vous que votre ennemi déclaré, assis sur le trône du grand Constantin, soutienne avec tant d’armées les blasphèmes de son Mahomet, abatte votre croix sous son croissant, et diminue tous les jours la chrétienté par des armes si fortunées ? » (Édit. Vivès, t. XII, p. 94-95.) Voir aussi dans M. Floquet les preuves du zèle de Bossuet contre les musulmans. Études sur la vie de Bossuet, t. II, p. 485 et suiv. ; Bossuet précepteur du Dauphin, p. 493 et suiv.

3 « Notre-Dame d’Afrique et l’Association de prières pour la conversion des Musulmans », Études, nouv. série, t. II, p. 943.

4 Soirées de Carthage, ou Dialogues entre un prêtre catholique, un muphti et un cadi (2e édit. Lecoffre, 1852).

La Clef du Coran, faisant suite aux Soirées de Carthage (Lecoffre, 1852).

Passage du Coran à l’Évangile, faisant suite aux Soirées de Carthage et à la Clef du Coran (Didot, 1855).

 

 

 

 

 

 

 

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