Anatole Le Braz

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Ernest PRÉVOST

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Anatole Le Braz est né en 1859, à Saint-Servais-en-Duault (Côtes-du-Nord). Son père, instituteur à Plumillian, puis à Penvénan, non loin de la petite baie de Port-Blanc où le poète devait se fixer plus tard, lui enseigna ce qu’il savait, le prépara au lycée de Saint-Brieuc, d’où il passa au lycée Saint-Louis, à Paris. Licencié en 1886, il fut nommé professeur à Quimper et il y demeura jusqu’en 1900, date à laquelle il fut appelé à la Faculté de Rennes.

Dès son installation en Finistère, il s’était lié avec un folkloriste éminent, Luzel, qui l’initia à la poésie des Bardes et composa avec lui les Sonious Breiz Izel, recueil de chants populaires. Ainsi débuta-t-il dans l’œuvre qui devait être sa tâche unique, l’objet, la joie et la passion de sa vie, dans sa consécration – j’allais dire son « ordination » – à la Bretagne : D’Unan hep Ken (à Une seulement !)

Avec Luzel il chemina par les villages et les landes, raconte son émouvant biographe, M. O. -L. Aubert, « il coucha dans les auberges, à la belle étoile, s’asseyant au bord des buissons, pour noter une vieille chanson, pour prendre une leçon de simplicité, de charme breton 1 ». Et ce sont ces chansons merveilleuses, nourries de mystère, de frisson et de rêve, pieusement recueillies de la bouche des vieillards, qu’il a traduites en un langage enveloppant, harmonieux, obsesseur, et qui ont inspiré intensivement, profondément, tous ses livres.

Le premier de ses livres fut La Chanson de Bretagne, celle du vent et de la mer, des rochers et des épaves, des processions et des cloches, poèmes imprégnés de la tradition, mais qu’il anima à la flamme de son cœur, en des rythmes très purs.

Puis il donna La Légende de la Mort. La Bretagne fraternise avec L’Ankou (la mort), ses défunts se mêlent à ses vivants. Anatole Le Braz s’est penché vers les paysans, les matelots du Trécor, du Léon, de l’Argoat, religieux et profanes à la fois, toujours hantés d’une confuse présence, et il leur a élevé, selon l’expression de M. Léon Daudet, « comme un calvaire devant l’immensité marine, sur un promontoire de granit ».

Mais pour parler vrai, il ne renonça pas à bien parler. Il a laissé aussi s’exprimer son âme propre. Dans Au Pays des Pardons, s’il est « le secrétaire lettré » des humbles qu’il écoute, sa personnalité ne se dégage pas moins avec envergure.

En 1897, il publia Pâques d’Islande, nouvelles où l’angoisse (L’Anaon) vous prend en son étreinte, où l’on sent frémir l’âpre vérité, la naïve grandeur, la résignation surhumaine de ces marins voués aux plus tragiques aventures ; et ensuite Le Sang de la Sirène, Âmes d’Occident, Contes du Soleil et de la Brume, dans lesquels évoluent, agissent, content et meurent des Bretons enracinés à la terre, ou coureurs intrépides de tous les océans, pêcheurs fantômatiques des solitudes polaires, « suggestionnés par les fabuleuses traditions inscrites dans leurs mémoires ».

Que dirai-je du Gardien du Feu ? Tout le monde connaît cette œuvre, la plus saisissante d’Anatole Le Braz, celle qui le fit le plus connaître. Ce n’est pas un roman, ce conflit de deux mentalités et de deux races, mais une puissante et poignante étude de psychologie humaine, avec de fascinants tableaux de mer, des aquarelles, des esquisses, des croquis où se révèle tout le génie d’une intelligence et d’une âme charmeresses.

Anatole Le Braz, écrivain en prose, est de beaucoup supérieur à l’écrivain en vers. Poète, il l’est infiniment plus dans ses contes que dans ses poèmes. Cet art si captivant de la « nouvelle », qui demande l’entière perfection, il l’a considérablement illustré, on ne l’a pas assez reconnu ; et l’on n’a pas dit assez la lumière, la pénétration, la magie de son verbe. Son œuvre est un vaste poème aux multiples épisodes, une sorte d’Odyssée d’Armorique.

Il fut aussi, cet aède, un maître d’une incomparable séduction, un conférencier inoubliable. De magnifiques qualités d’esprit, de persuasion et de grâce, devaient faire de lui un précieux propagandiste. Tel il se montra, en effet, quand survint la guerre et qu’il alla, à trois reprises, plaider notre cause aux États-Unis.

Grand écrivain breton, certes, et le plus souverain évocateur de l’âme d’Armor, mais grand écrivain français à titre égal, Anatole Le Braz ne doit pas être considéré seulement comme le raffinement attique, la conséquence lyrique et le couronnement d’un Brizeux, mais encore comme un émule, nullement indigne, avec son originalité animatrice, réalisatrice et fière, de ce Chateaubriand qu’il célébra, de ce Renan, empreint ainsi que lui de charme celtique, de cet universel et génial nostalgique, Pierre Loti, qui parla de la Bretagne en Breton et sut, prestigieusement aussi, la comprendre et l’aimer.

 

 

 

Ernest PRÉVOST.

 

Paru dans L’Ami du lettré en 1927.

 

 



1 La Bretagne touristique, à Saint-Brieuc.

 

 

 

 

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