Comment l’école révolutionnaire travestit l’histoire

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Alexandre REMY

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

I.

 

L’école révolutionnaire, interprétant dans un sens faussement absolu quelques formules ou maximes de notre ancien droit monarchique, en a conclu avec grand fracas que le principe fondamental et constitutif de l’ancienne monarchie française n’était autre qu’un prétendu droit divin, se traduisant gouvernementalement par la volonté arbitraire et despotique du monarque. Parmi ces formules ou maximes qui ont ainsi reçu de l’école révolutionnaire une interprétation essentiellement opposée à leur véritable signification tout à la fois intrinsèque et historique, il en est principalement quatre qui, grâce à ce travestissement, sont devenues dans les mains d’une génération façonnée au mépris et à la haine de l’institution monarchique autant d’arguments contre l’esprit et les bienfaits de cette institution.

Nous allons les faire passer l’une après l’autre sous les yeux du lecteur, en restituant à chacune d’elles la véritable signification qui lui appartient devant la critique historique.

 

II.

 

On sait que, sous l’ancienne monarchie, les Édits ou Ordonnances royales se terminaient par cette formule : Car tel est notre bon plaisir.

Quel sens politique s’attachait à cette formule ?

Il importe d’en établir avant tout l’origine.

Or, c’est dans le berceau même des libertés nationales qu’il faut la chercher. Chez les Francs, la souveraineté publique résidait dans la nation présidée et gouvernée par son Roi : la loi, délibérée et votée dans des assemblées générales, était sanctionnée et promulguée par le monarque ; et comme la souveraineté publique se résumait finalement dans son représentant héréditaire, chargé du pouvoir exécutif, la sanction royale se formulait naturellement ainsi : Tale est placitum nostrum : ce que les historiens traduisent indifféremment par ces mots : Tel est le résultat de l’assemblée, – telle est notre volonté ou tel est notre bon plaisir. Quoi qu’il en soit, cette formule, telle que nous la prenons à son origine et dans son sens primordial, désignait donc, non la volonté exclusivement personnelle et par conséquent absolue ou arbitraire du monarque isolé de son peuple, mais la volonté collective et universelle de la nation, délibérée dans une assemblée publique présidée par le Roi, et ayant son expression régulière dans un vote libre, librement sanctionné par le chef de l’État. Que, dans la suite, la royauté, jetée hors de ses conditions véritablement constitutives par la féodalité, en soit venue quelquefois à faire abus de cette formule à son profit propre, nous ne le nions pas ; mais l’abus ne détruit pas le principe, et il n’en reste pas moins vrai que la formule Tel est notre bon plaisir, prise dans son sens originel, ne signifie rien autre chose que la souveraineté publique, formée de l’accord du roi et de la nation, et se résumant dans le pouvoir royal par la sanction et l’exécution.

 

III.

 

Dans notre vieux droit monarchique, on rencontre fréquemment cette maxime : Si veut le Roi, si veut la loi.

L’école révolutionnaire n’a pas manqué de la traduire ainsi : La volonté du Roi est la loi.

Or, toutes les traditions historiques s’accordent pour lui donner cette signification toute contraire : La loi est la volonté du Roi.

La loi est la volonté du Roi, c’est-à-dire que le roi ne voulait rien ou ne pouvait rien vouloir que ce que voulait la loi. C’est ainsi, en effet, que l’entendait Clotaire Ier reconnaissant que « le devoir le plus sacré de la royauté était de respecter la loi ». C’est ce qu’entendait pareillement Louis XI, déclarant que « quand les rois violent la loi, ils font leur peuple serf et perdent le nom de roi ». C’est ce qu’entendait non moins formellement aussi Henri IV, disant que « la première loi du souverain est de les observer toutes, et qu’il a lui-même deux souverains : Dieu et la loi ». Enfin, c’est cette même interprétation que consacrait Louis XV, proclamant dans son Édit de 1717 ce qu’il appelait avec un si remarquable bonheur d’expression « l’heureuse impuissance » de la royauté devant les lois qui formaient la constitution de l’État.

La loi est la volonté du Roi, c’est-à-dire encore que, dans le jeu de notre ancienne constitution, la loi étant l’expression de la volonté nationale, et cette volonté se résumant dans la souveraineté royale, le Roi personnifiait, pour ainsi dire, la loi, et en était aux yeux du peuple comme la représentation vivante et souveraine.

 

IV.

 

Un autre axiome de notre droit monarchique, est celui-ci : Le Roi ne tient que de Dieu et de son épée.

Tenir de Dieu et de son épée est une formule d’origine féodale, qui était employée pour désigner le franc-aleu, c’est-à-dire toute terre entièrement libre de « cens, rentes ou dettes, servage, relief, et toute redevance quelconque à vie et à mort ». Appliquée à la royauté franque, elle indiquait l’indépendance de la couronne, et voulait dire qu’en France le monarque ne relevait ni du Pape, ni de l’Empereur, ni d’aucune autre puissance qui pût exiger de lui l’hommage. Nos Rois tenaient de Dieu, en ce sens qu’ils ne relevaient d’aucune puissance étrangère, et que leur autorité n’avait sa source comme ses limites légitimes que dans les lois fondamentales de l’État ; ils tenaient de leur épée, en ce sens que, ne reconnaissant point de juges placés au-dessus d’eux, c’est par la force de leurs armes qu’ils se faisaient rendre la justice qui leur était due, et qu’ils maintenaient envers et contre tous leur autorité et les droits de leur couronne.

Qu’il y a loin de cette interprétation, sanctionnée du reste par tous les témoignages de l’histoire, à celle par laquelle le parti révolutionnaire a essayé de transformer en un axiome de droit divin et de despotisme une formule purement et simplement déclarative de l’indépendance temporelle de nos Rois !

 

V.

 

Enfin, il est une quatrième formule qu’on voit constamment employée par nos Rois en tête de leurs édits et ordonnances : c’est celle de Roi par la grâce de Dieu.

L’école révolutionnaire a affecté de voir dans cette formule l’invocation d’un droit divin comme source directe du pouvoir royal, et soutenu par conséquent qu’elle était radicalement exclusive des droits de la nation.

La vérité est, au contraire, que nos Rois ont toujours reconnu tenir primitivement leur couronne, non pas de Dieu seulement, mais de la nation.

L’histoire nous montre, en effet, Louis-le-Bègue s’intitulant Roi par la miséricorde de Dieu et l’élection du peuple, misericordia Domini et electione populi rex.

L’histoire nous montre aussi le roi Robert reconnaissant expressément être redevable de sa couronne à la bonté divine et à la libéralité des Français, quoniam divina propitiante clementia, nos gallica liberalitas ad regni provexit fastigia.

Dans des temps plus rapprochés, Massillon, prêchant à Versailles devant Louis XIV, put prononcer ces paroles sans être interrompu ni désapprouvé par ce monarque : « Oui, Sire, c’est le choix de la nation qui mit d’abord le sceptre entre les mains de vos ancêtres ; c’est elle qui les éleva sur le bouclier militaire, et les proclama souverains. Le royaume devint ensuite l’héritage de leurs successeurs : mais ils le durent originairement au consentement libre des sujets. Leur naissance seule les mit en possession du trône ; mais ce furent les suffrages publics qui attachèrent d’abord ce droit et cette prérogative à leur naissance. En un mot, comme la première source de leur autorité vient de nous, les Rois n’en doivent faire usage que pour nous. »

On sait, d’un autre côté, que, par son édit du mois de juillet 1714, Louis XIV avait appelé les Princes légitimés à succéder à la couronne au défaut des Princes légitimes. Or, ces derniers protestèrent contre cette infraction aux lois fondamentales de l’État par un Mémoire où sont énoncées les vraies conditions constitutives de l’hérédité royale. « Personne, – disaient-ils dans ce Mémoire, – ne peut avoir la couronne de France que celui qui y est appelé par les lois fondamentales.... Le peuple français, qui est plus ancien que ses rois, ne leur a cédé sa puissance et confié son autorité publique que sous ces conditions.... En France, celui qui succède à la couronne ne tient rien du roi son prédécesseur, mais du peuple. »

Enfin, par son édit du mois de juillet 1717, Louis XV, faisant droit à cette protestation, reconnut formellement que « c’est à la nation seule à se choisir un roi, en cas d’extinction de la maison royale ».

« Pourquoi donc, ainsi que le fait judicieusement observer un auteur anonyme, – pourquoi, dans le cas de défaillance de la maison régnante, le droit de choisir un roi appartiendrait-il à la nation, sinon parce que c’est elle qui a choisi la maison régnante ? L’extinction de la maison de Bourbon ne peut transmettre à la nation un droit nouveau ; elle ouvre seulement l’exercice du droit national. Le choix, au défaut de la race, regarde nécessairement ceux qui ont choisi cette race ; et si c’est la nation qui s’est volontairement soumise au premier mâle de la maison régnante, il est donc vrai que c’est elle qui l’a fait roi. »

Mais s’il est vrai que la royauté ait sa source dans la nation, comment nos Rois pouvaient-ils s’intituler : Rois par la grâce de Dieu ?

La contradiction n’est qu’apparente, et disparaît devant une distinction tirée des conditions mêmes qui constituent la royauté. Nos Rois pouvaient croire régner et régnaient, en effet, tout ensemble par la grâce de Dieu et par la volonté du peuple : par la volonté du peuple, en ce sens que la royauté, avant sa source dans la nation, était essentiellement de droit national ; par la grâce de Dieu, en ce qui concernait l’exercice de l’autorité souveraine, qui, lorsqu’elle est légitime, est de droit divin.

Il est vrai qu’on peut resserrer l’objection, en reprochant à nos anciens rois d’avoir supprimé dans leurs actes la formule par la volonté du peuple pour conserver exclusivement celle par la grâce de Dieu.

Mais, même présentée ainsi, l’objection peut être facilement réfutée. Nous soutenons, par exemple, que les héritiers successifs du premier roi de France ont pu employer exclusivement la formule par la grâce de Dieu, parce qu’en effet ils tenaient personnellement leur couronne, non du fait direct et primitif de l’élection nationale, mais de la loi d’hérédité, c’est-à-dire du privilège de leur naissance, – privilège dont ils étaient redevables à Dieu seul. Nous ajoutons que l’emploi exclusif de cette formule par les successeurs légitimes du premier Roi de France, ainsi considéré au point de vue de l’hérédité, n’entamait en rien et laissait subsister dans toute sa vérité historique le principe de droit national d’où dérivait primitivement la royauté.

 

VI.

 

Comme on le voit, nous avons abordé de front l’imputation de droit divin et de despotisme tirée contre notre vieille royauté, par l’école révolutionnaire, de quelques axiomes de notre ancien droit monarchique. Or, cette imputation, il nous a suffi de la placer devant les faits et devant les témoignages de l’histoire pour la réduire à néant.

Tous les monuments de notre histoire attestent, en effet, que s’il y a en France une institution nationale par excellence, c’est cette vieille royauté de Clovis qui naquit dans les forêts de la Germanie en même temps que la nation même, et qui, dans un développement de quatorze siècles, n’a jamais cessé de donner la main aux libertés publiques !

 

 

 

Alexandre REMY,

Mensonges révolutionnaires, 1854.

 

 

 

 

 

 

 

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