Témoignage d’un Enfant

de la Vérité & droiture

des Voies de l’Esprit.

ou

ABRÉGÉ

DE L’ESSENCE

de la vraie Religion

Chrétienne

par

Demandes & Réponses.

 

Matth. XXII, 36-40. Joh. XVII, 3.

 

 

 

 

 

 

 

Quel est le grand commandement de la loi ?

Jésus lui répondit : Vous aimerez le Seigneur votre Dieu de tout votre cœur, de toute votre âme et de tout votre Esprit. C’est le premier et le grand commandement. Et voici le second qui est semblable à celui-là : vous aimerez votre prochain comme vous-même. Toute la loi et les Prophètes sont renfermés dans ces deux commandements.

Or la vie éternelle consiste à vous connaître, vous qui êtes le seul Dieu véritable, et Jésus-Christ que vous avez envoyé.

 

 

 

Imprimé à Berlebourg,

Par Christofle Michel Regelein. 1740.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PRÉFACE.

 

 

LES vérités essentielles au Christianisme sont si simples, si compréhensibles et en si petit nombre que chacun, même l’homme le plus stupide et un petit enfant, les pourrait aisément comprendre et les mettre en pratique moyennant une fidélité exacte aux exhortations de l’Esprit de la Grâce dans leur conscience. Mais au lieu de suivre cette route aisée et facile, les hommes de tout temps ont établi des maximes toutes opposées, faisant consister l’Essentiel du Culte de Dieu et de leur Religion, non dans cet Amour filial de Dieu et cette adhérence, simple et fidèle à son vouloir suprême en suivant les mouvements de l’Esprit de grâce dans leur conscience, mais dans une connaissance et pratique historique et superficielle d’un Système de Religion forgé par leur raison humaine ou tout au plus éclairée de quelques rayons de connaissance et barricadée par un million de démonstrations, preuves et raisonnements, auxquels ils appliquent et ajustent des passages de la sainte Écriture mal interprétés. Ces Systèmes s’étant multipliés à l’infini depuis le temps de la Tour de Babel, et se contrariant l’un l’autre, voici ce que Dieu fait pour remédier à tout ce désordre : Il se détourne de cette confusion et, répandant son Esprit intérieur, il donne des notions communes, simples et aisées des vérités essentielles de la Religion chrétienne, et des maximes si faciles pour les mettre en pratique que, d’un côté, il sape les fondements de cet édifice prodigieux en confusion et, de l’autre côté, il établit son Règne intérieur et la vraie Adoration de Dieu en Esprit et Vérité, se créant un peuple nouveau, enfantin, simple et obéissant qui, menant et cultivant une vie intérieure par l’oraison intérieure et du cœur, et demeurant chacun dans l’état et condition où la divine providence l’a placé dans ce monde, sont le sel de la terre et le levain qui fait lever toute la pâte (Matth. 5, 13. Chap. 13, 33).

Afin donc qu’il ne manque aucun bien à ces enfants favoris du divin Maître, à ces âmes enfantines, simples et obéissantes, il leur présente par le traité suivant un Système de Théologie raccourci, et en même temps si nerveux, solide et véritable, si aisé à comprendre, et sans être embrouillé des disputes de l’école, qu’on n’en aura peut-être encore point vu de semblable. En vérité nous avons raison de rendre des actions de grâce à la miséricorde infinie de Dieu, de ce qu’au milieu de la confusion horrible de ce Siècle, il envoie sa lumière si claire et en si grande abondance, tant extérieurement, par un si grand nombre d’excellents Livres mystiques, qu’intérieurement en répandant son Esprit intérieur dans un degré éminent dans les cœurs désireux de le recevoir, et abrégeant les jours de l’affliction, en conduisant dès le commencement dans les voies intérieures les âmes de bonne volonté et qui ne s’opposent pas à cette route divine de l’intérieur ! Ne vous amusez donc plus, enfants favoris du Divin Maître, à des controverses, disputes et choses semblables, tendantes à la multiplicité ! Tâchez plutôt de former votre intérieur dans l’oraison, le silence et la retraite ! Il n’appartient pas aux enfants d’être grands Docteurs et Réformateurs ! La petitesse, la simplicité, l’enfance, la candeur et l’obéissance sont votre partage ! Rendez à César ce qui appartient à César : Soyez bons Citoyens, des sujets fidèles, des enfants obéissants : Soyez humbles, comportables et pleins de charité envers chacun, et tâchez d’accomplir toute justice.

De cette manière votre intérieur croîtra, le Royaume de Dieu viendra en vous, et vos souffrances intérieures et extérieures, envoyées par la divine providence, et votre exemple édifieront le prochain et feront avancer le Règne de Dieu infiniment plus que par un million des discours, pratiques et assemblées particulières par lesquels l’on se multiplie, épuise son intérieur et ne fait aucune conversion durable et essentielle. Et si par providence quelques âmes de bonne volonté s’adressent à vous, sans en chercher l’occasion, apprenez-leur cette Oraison intérieure de la présence de Dieu, comme vous-même le pratiquez et selon ce que vous expérimentez : par là vous leur servirez véritablement, sans nuire à votre intérieur par la multiplicité et distractions d’un Zèle hors de saison pour la conversion des autres, lorsque vous n’y êtes pas appelés et que vous-même n’êtes pas encore bien affermis dans votre intérieur. Le très Saint Enfant Dieu Jésus veuille vous assister de son Esprit intérieur et vous conduire à ce vrai culte et adoration en Esprit et Vérité. À lui soient Louange, Honneur et Gloire à jamais, Amen !

 

 

 

 

 

 

Abrégé

de l’Essence de la Religion Chrétienne

par Demandes et par Réponses.

 

 

 

1. Demande. Quel est le but pour lequel Dieu nous a mis dans ce monde ?

Réponse. Pour nous préparer à pouvoir rentrer dans son union, ou pour nous amener à Dieu (I. Pier. 3, 18), car il est notre principe.

 

2. Dem. Et comment donc est-ce que nous en sommes sortis ?

Rép. Par la chute d’Adam.

 

3. Dem. Comment cela ?

Rép. Dieu avait créé Adam à son Image et ressemblance ; mais comme il voulait qu’il aimât son Dieu librement et de propre choix, par amour, sans aucune contrainte ni nécessité absolue, c’est-à-dire il lui avait donné la libre volonté de se soumettre à lui en vivant dans une entière dépendance de son Dieu, en quoi consiste sa félicité et son bien-être, ou bien d’entrer dans la propriété, en voulant dépendre de lui-même, en sortant de la dépendance de son Créateur : ainsi il fallait que quoi que Dieu eût créé Adam si parfait et si beau, il lui donnât un temps d’épreuve, afin que de son libre choix il fut mis dans la tentation de pouvoir prendre l’un ou l’autre parti ; savoir de choisir de rester dans la dépendance et entière soumission à son Dieu, dans laquelle il aurait été affermi s’il y eut persévéré, ou bien de pouvoir déchoir, en entrant en soi-même ou dans son propre domaine, en se séparant de son Dieu, pour vouloir vivre indépendant de lui, se laissant éblouir par l’artifice de Satan, qui lui fit accroire qu’étant si beau et possédant de si excellentes qualités, il pouvait par elles substituer par lui-même hors de Dieu, si aveuglé qu’il fût par l’amour-propre et propre complaisance qu’il prit en sa beauté qu’il vit, en se regardant hors de Dieu, que de croire pouvoir substituer en et par elle hors de ce Dieu dont il la tenait et qui la lui avait donnée. C’est donc là en quoi consiste notre chute et celle de notre premier Père, qui crut être si beau et excellent que de pouvoir substituer en lui et par lui-même ; cette présomption causa sa désobéissance : il veut prendre sa complaisance, son amour en soi-même ; et l’entreprenant, il se trouve aussitôt privé de cette excellence et couvert de la laideur la plus affreuse, tant au corps qu’à l’âme ; ce qui ne pouvait être autrement : car se retirant du Soleil qui donne la lumière et la chaleur, l’on entre nécessairement dans les ténèbres, l’on est saisi du froid et de la mort, dont Dieu menaça Adam. Dès le jour que tu en mangeras tu mourras de mort (Gen. 2, 17).

 

4. Dem. Ceci est donc le fondement et en quoi consiste notre chute : mais comment en relever ?

Rép. En rentrant dans la dépendance, en se soumettant de nouveau à Dieu ; car c’est là le fondement de la conversion, de même que le détour de Dieu est celui de la chute. Car tous les maux et désordres où les hommes sont tombés ne sont que des suites nécessaires de leur détour de Dieu.

 

5. Dem. Mais qu’en pouvons-nous, nous qui ne venons point dans ce monde dans l’état où Dieu y avait créé Adam.

Rép. Il est vrai que nous naissons dans l’état de chute et de détour de Dieu, comme il est manifeste, ignorants et imbéciles à l’égard de Dieu et des choses Divines ; mais néanmoins il nous est resté une volonté libre de nous retourner et resoumettre à Dieu, ou bien de suivre le courant de corruption et de péché d’éloignement de Dieu dans lequel nous naissons.

 

6. Dem. Mais prenons les choses de plus haut et dites-moi quel est le but de Dieu en créant l’homme.

Rép. C’était de faire une Créature d’une espèce qui surpassât, par les qualités excellentes qu’il lui donnait, les Anges les plus excellents.

 

7. Dem. Et en quoi ?

Rép. En ce que Dieu voulait non seulement donner à l’homme une âme Angélique, comme les Anges, mais aussi un corps parfait et excellent, formé de la matière visible qui avait été formée par la chute de Lucifer et de ses Anges.

 

8. Dem. Expliquez-moi ceci.

Rép. Lucifer, un grand Prince des Anges, fit la même chute que l’homme, l’y ayant précédé ; se complaisant en sa beauté dans le temps d’épreuve ou de libre choix que Dieu avait aussi donné aux Anges après les avoir créés, il voulut subsister par lui-même dans cette beauté et puissance qu’il avait reçues de Dieu, et cela causa sa chute ; il fut précipité du haut des Cieux, des demeures magnifiques des Étoiles fixes qu’il habitait, dans le Centre de toutes les choses visibles. Par cette chute fut produit le Chaos, qui fut la matière grossière dont ce monde fut formé, selon que Moïse le décrit (Gen. 1). De ce chaos effroyable qui était le lieu où Lucifer et ses Anges furent précipités, Dieu créa ce monde et le mit en ordre, il relégua Lucifer et ses Anges dans le centre de la terre comme dans une prison, et purifia et mit dans un ordre admirable le reste de ce Chaos confus, et en forma les Planètes et le Ciel où elles se meuvent, où ont leur cours l’air et le globe de la terre, qu’il posa à côté du centre universel de ce Ciel, auquel Centre il plaça le Soleil. Il créa tout ceci pour en faire la demeure magnifique de l’homme, cette noble et rare créature qu’il forma après avoir mis en ordre le logis magnifique qu’il lui avait préparé, pour se glorifier en lui en réparant par la création de l’homme et de sa génération la perte des Anges rebelles, dont ils devaient reprendre les places pour glorifier Dieu d’une manière beaucoup plus excellente qu’eux, selon les qualités qu’il a données à l’homme pour cela, l’ayant créé de corps, d’âme et d’esprit, qui toutes trois parties doivent glorifier Dieu à leur manière et selon leurs qualités.

 

9. Dem. Étant donc déchus de cet état glorieux où notre premier Père avait été créé, et ne pouvant qu’avoir part à sa chute et naître dans le même état de misère dans lequel sont nos Pères et Mères, puisqu’Adam et tous ses descendants n’ont pu engendrer que leurs Semblables, quel est le plus court chemin pour rentrer dans l’état de dépendance de Dieu d’où nous sommes déchus.

Rép. C’est d’accepter le moyen unique que Dieu nous a choisi dans sa grande miséricorde, qui est lui-même, en s’étant fait homme semblable à nous en Jésus Christ, Dieu et homme. Car il est celui qui, unifiant sa force Divine avec la faiblesse humaine qu’il a revêtue dans son humanité, est par elle descendu vers nous dans l’abîme où nous sommes tombés par le péché, pour nous prendre par la main, en nous tendant charitablement la sienne, que nous n’avons qu’à accepter en lui étendant la nôtre, afin qu’il nous tire de cet abîme.

 

10. Dem. Expliquez-moi plus clairement l’état de l’homme dans sa chute où nous naissons tous ?

Rép. Nous naissons tous ennemis de Dieu. Ce qui est manifeste ; car quoique personne ne s’avoue être tel, cependant toute notre conduite et le penchant naturel que nous avons le manifestent ; nos vices et mauvaises inclinations auxquels nous sommes portés dès notre jeunesse le montrent, puisqu’ils sont tous contraires à ce que Dieu demande de nous, qui nous est déclaré en abrégé dans le Décalogue, qui est les dix commandements de la Loi de Dieu, et amplement dans l’Évangile et dans tout le livre du Nouveau Testament, qui est avec le Vieux Testament la Parole de Dieu, qu’il a donnée aux hommes comme étant un témoignage authentique et reçu de tous ceux qui ont quelque connaissance extérieure du Christianisme.

 

11. Dem. Quel est donc le premier pas de la conversion ou du chemin qu’il faut prendre pour retourner à Dieu et sortir de cet état misérable où nous expérimentons être tous dès notre naissance inclinés à tout mal ?

Rép. C’est de s’étudier à combattre ses inclinations vicieuses, par la force que nous sentons avoir encore pour y résister, force qui est dans notre entendement et raison, pour ne pas nous laisser aller aux mouvements de nos inclinations vicieuses, auxquels nous sommes inclinés et dont nous sentons les amorces dans notre nature corrompue. Nous devons donc lire assidûment l’Écriture Sainte pour y apprendre ce que Dieu demande de nous et dans l’intention d’y régler notre conduite, en priant Dieu qu’il nous en donne l’intelligence et la grâce pour pratiquer les préceptes qui nous y sont enseignés.

 

12. Dem. Ce moyen suffit-il, et cette maxime continuée et pratiquée avec assiduité, pour parvenir au but de la rédemption que Jésus Christ nous offre, qui est le retour à Dieu, et pour sortir ainsi de l’abîme de péché où nous sommes plongés naturellement ?

Rép. Non, certes : car quoiqu’il soit nécessaire que chacun qui veut se convertir à Dieu commence ainsi et y emploie toute diligence et les forces qu’il sent bien avoir pour résister au mal, en apprenant dans la parole de Dieu écrite et autres livres ce qui est son devoir envers Dieu, cela n’arrache point la racine de la vie du vieil homme qui est en nous et dont les mouvements de nos passions vicieuses et les actes de péchés auxquels il nous pousse ne sont que les productions ou les fruits : ainsi toutes les plus hautes connaissances que nous puissions avoir de l’histoire de l’Évangile et des préceptes que Dieu nous y a donnés, quelque assidus que nous soyons à fréquenter les assemblées de l’Église où nous sommes, à y écouter les sermons qu’on y prêche et à pratiquer les cérémonies qu’on y a en usage, toute la vie moralement bonne et exempte de péchés grossiers que nous puissions mener, tout cela ne suffit pas pour déraciner les vices dont la racine est en nous ou pour faire mourir le vieil homme : l’on ne fait par tout ce travail que de couper les branches que ce mauvais arbre pousse et qu’à le bien orner ; c’est tout ce que l’homme peut faire par ses propres efforts et ce qui est nécessaire qu’il fasse en s’abstenant de mal faire et apprenant à bien faire, pratiquant les vertus et les bonnes œuvres de tout son pouvoir avec assiduité et vigilance.

 

13. Dem. Mais que faut-il donc davantage ? Un tel homme n’est-il pas un bon Chrétien ?

Rép. Être un Chrétien signifie être rené ou recréé à l’image de Jésus Christ, lequel est l’homme nouveau, tel que Dieu avait créé Adam dans son état d’innocence, et encore plus excellemment. C’est à son Image que nous devons être recréés pour être renés, selon qu’il le dit lui-même à Nicodème. Sans cela nous ne sommes que des sépulcres blanchis, quelque apparence de vertu que nous ayons au dehors.

 

14. Dem. Comment s’opère donc cette renaissance ?

Rép. C’est Jésus Christ lui-même qui l’opère par son esprit en nous : car n’étant plus en figure d’homme mortel dans ce monde, il nous a donné son esprit, qui est et habite en nous lorsque, nous étant convertis à Dieu, nous allons à Jésus Christ qui nous appelle, disant venez à moi (Matth. 11, 28. Jean 16, 13). Il dit aussi : Je vous enverrai le Saint Esprit qui est l’Esprit de vérité, il vous conduira en toute vérité, il demeurera avec vous et sera en vous (Jean 14, 16-17).

 

15. Dem. Mais n’est-ce pas l’opération du Saint Esprit qui fait que nous nous abstenons de mal faire et nous appliquons au bien, à vivre vertueusement et selon Dieu, comme il a été marqué ci-devant ?

Rép. Il est bien vrai que c’est par la grâce du Saint Esprit que l’homme s’abstient du mal et fait le bien, quelque imparfaitement que ce soit. Mais autre est cette grâce dont Dieu assiste tous ceux qui font ce premier pas de la conversion, par laquelle ils sont assistés dans les efforts qu’ils font pour cela, ce qui est très bon et très excellent, et ce travail actif très utile ; et autre est la grâce d’avoir reçu Jésus Christ lui-même dans son cœur, comme il le dit : Si quelqu’un entend ma voix et m’ouvre, j’entrerai chez lui, je souperai avec lui et lui avec moi (Apoc. 3, 20). C’est donc par l’habitation de l’esprit de Jésus Christ lui-même dans notre âme qu’est créée la nouvelle créature ; c’est lui-même qui la forme en nous ; car il en est le Père et est l’Époux de nos âmes (Jean 3, 35. Matth. 25, 1. Cant. 4, 5) ; c’est lui-même qui doit vivre en nous, par exclusion de notre propre vie précédente, afin que nous soyons véritablement régénérés.

 

16. Dem. Cette œuvre de la régénération se fera sans doute, lorsqu’on continue à travailler fidèlement comme on a fait dès le commencement de sa conversion à combattre le vice et à s’exercer toujours plus assidûment à la pratique des bonnes œuvres, en redoublant même ses exercices de dévotion, qu’on a pratiqués longtemps avec fruit.

Rép. Il faut toujours conserver la volonté ferme et déterminée de résister au mal et pratiquer le bien, et le faire sans négligence autant que l’on peut. Mais l’expérience de toutes les âmes saintes à qui Dieu a fait la grâce de les conduire à son union témoigne unanimement que lorsque l’âme a été fidèle à pratiquer la vertu et à se combattre elle-même, avec tous ses vices et mauvaises inclinations, soutenue de la grâce de Dieu dans ce combat qui lui est très agréable ; alors, le temps de Jésus Christ étant venu, qu’il veut entrer lui-même en l’âme pour y opérer la grande œuvre de la régénération, il fait défaillir peu à peu l’âme de ses propres forces, afin d’opérer lui-même et tout seul dans son intérieur ; alors elle doit lui céder et, sentant bien qu’elle n’a plus de force ni l’inclination d’agir activement comme ci-devant, se sentant attirée au silence et au repos, elle doit suivre cet attrait.

 

17. Dem. Il est bien raisonnable que la créature cesse son opération faible, imparfaite et défectueuse, lorsque l’Esprit de Jésus Christ lui-même commence à opérer en elle ?

Rép. Oui sans doute ; car elle ne ferait qu’arrêter et qu’empêcher cette opération Divine par son activité ; voilà pourquoi il est de conséquence que l’âme attirée au silence et à l’attention intérieure suive cet attrait et ajuste la manière de son Oraison à l’attrait que l’Esprit de Dieu lui donne de la faire ; car sans cela elle s’embrouille et s’expose à bien des difficultés et des tentations, faute de savoir comment se comporter selon la volonté de Dieu et l’opération de son Saint Esprit en elle.

 

18. Dem. Comme la prière et l’Oraison est un des exercices et des pratiques le plus nécessaire pour une âme qui veut se convertir à Dieu, étant si expressément recommandée par Jésus Christ et Saint Paul, qui ordonnent de prier sans cesse (Luc. 18, 1. Rom. 12, 2. Éphés. 6, 18), dites-moi brièvement en quoi elle consiste.

Rép. L’Oraison est, comme on l’entend communément et simplement, parler à Dieu ; c’est ainsi que la pratiquent toutes les âmes, surtout dans le commencement, où l’on n’en connaît point d’autre. L’on est enseigné dès son Enfance à prier des prières qu’on nous fait apprendre par cœur et répéter ou lire à certaines heures du jour, le matin, surtout au réveil, le soir, à midi, à l’entrée et sortie des repas ; c’est la pratique ordinaire des personnes, bien élevées dans la prière, et cela est fort bon ; ces pratiques sont très utiles lorsqu’on les fait avec attention et de cœur, et non par pure coutume, sans attention ni désir sincère et volonté de vouloir sérieusement ce que l’on désire, voulant plutôt payer Dieu de ses mines et paroles extérieures que de s’appliquer sérieusement à faire ses efforts pour pratiquer ce que l’on prie, en réglant sa vie conformément à tant d’excellents formulaires de prières que l’on récite comme des perroquets, ce qui est un abus horrible et trop général. Mais l’Oraison dans son essence est, proprement, tourner son cœur vers Dieu ; c’est le désir de l’âme de se présenter à lui, d’être devant ses yeux, mettre son cœur à découvert en sa présence, dans la foi et la croyance qu’il nous est très présent et voit tous les mouvements de nos cœurs, connaît toutes nos pensées et désirs avant que nous les ayons prononcés ; car il n’a pas besoin de nos paroles. Ce qui est donc le plus avantageux et nécessaire pour une âme désireuse de Dieu est de pratiquer l’Oraison de cette manière la plus simple en formant un commerce familier avec son Dieu. Le croyant plus proche et présent à elle et en elle qu’elle ne l’est à elle-même. Il faut qu’elle s’applique à vivre et à agir ainsi dans toutes ses actions, dans la présence de Dieu, dirigeant son intention et sa volonté à faire pour lui et pour l’amour de lui tout ce qu’elle est obligée de faire dans l’état et condition extérieure où elle se trouve par sa naissance ou dans la condition ou emploi où elle se trouve engagée, outre le temps qu’elle consacre uniquement à l’Oraison tous les jours, selon qu’on l’a marqué ici devant. Il faut qu’elle observe cet exercice continuel de la présence de Dieu, (Gen. 17, 1), et quoiqu’il ne soit pas dans le pouvoir de penser sans interruption à Dieu dans toutes les œuvres que l’on fait, ce qui n’est pas non plus nécessaire, il faut que la volonté soit de le faire, et l’intention dirigée vers lui : par ce commerce l’âme sentira bientôt l’opération et attrait de Dieu dans son intérieur, et il l’attirera de plus en plus à simplifier son Oraison : et au lieu qu’au commencement elle la faisait consister à parler à Dieu, peu à peu cette manière active de prier lui devenant difficile et à charge, en perdant le goût, elle fera consister son Oraison à être en silence devant Dieu (Psau. 65, 2), désirant de l’écouter, non des oreilles du corps (car il ne parle pas d’une manière qu’elles puissent l’entendre), mais de celles du cœur, où il opère ce qu’il parle, et elle suivra simplement, lorsqu’elle se trouvera inclinée à prononcer les paroles auxquelles le désir du cœur la poussera, sans scrupule, laissant agir librement en simplicité enfantine ce cœur, sans ordre ni méthode, qu’en suivant toujours celle que l’amour que l’inclination du cœur lui dictera à chaque moment. Son Oraison sera de plus en plus de se laisser mouvoir et incliner par l’esprit de Dieu (Rom. 8, 26) qui est en elle et de rester de volonté simplement en sa présence, malgré que souvent elle n’a ni goût sensible ni onction délectable, ni Zèle fervent dans l’Oraison ou dans le temps qu’elle y a consacré. Mais qu’elle ne sente pendant ce temps que distraction dans ses pensées, souvent ennui, dégoût et tentations, ténèbres et inquiétude, l’âme qui s’est consacrée à Dieu et adonnée à l’Oraison doit savoir et croire fermement que toutes ces dispositions pénibles qu’elle expérimente dans l’Oraison n’empêchent point le cours, la réalité et vérité de son Oraison, mais qu’il lui est très avantageux et que c’est la même opération de Dieu pour l’avancement de son œuvre en elle, quoiqu’elle ne le puisse croire si elle en juge selon le goût et sentiment qu’elle en a. C’est, dis-je, la même opération de Dieu et davantage qu’était celle que l’âme reconnaissait être telle dans le temps qu’elle a été attirée avec suavité et une paix, onction douce et repos intérieur, à se tenir en silence sans paroles ou avec peu, de temps en temps, en la présence de Dieu dans son Oraison. Mais comme l’on a beaucoup écrit de l’Oraison et de l’exercice de la présence de Dieu, qui est le point capital pour les âmes qui sont attirées de Dieu dans leur intérieur, et à chercher le Royaume de Dieu en eux où il est et nulle part ailleurs selon les paroles de Jésus Christ lui-même, cela suffit pour en donner les premiers éclaircissements.

 

19. Dem. Quel est donc le précepte fondamental de la doctrine que Jésus Christ nous enseigne dans l’Évangile et quelle est la disposition qui est absolument nécessaire que nous ayons afin qu’il puisse par son esprit opérer l’œuvre de la régénération dans nous, qui est proprement son œuvre, qu’il s’est chargé de faire, en vertu de laquelle il est nommé notre Rémunérateur ou Rédempteur ?

Rép. La disposition qu’il demande absolument de tous ceux qui veulent le suivre, être de ses disciples, ou bien être Chrétiens, car c’est la même chose, est le renoncement à nous-même, comme il le dit souvent : Si quelqu’un veut me suivre, qu’il renonce à soi-même. Et celui qui ne renonce à tout ce qu’il possède ne peut être mon Disciple (Matth. 10, 38. Marc. 8, 34. Luc. 9, 23). Voilà la disposition où doivent être tous ses vrais disciples, ou ceux qui ont une volonté déterminée de devenir Chrétiens en réalité et vérité, et c’est en vertu de cette disposition que Jésus Christ nous fait être Chrétiens, ou nous reforme à son image peu à peu par l’opération de son esprit en nous, ou bien qu’il opère la renaissance.

 

20. Dem. Expliquez-vous davantage.

Rép. Nous avons posé que la chute de l’homme consiste en ce qu’il s’est retiré de la dépendance de Dieu, son légitime souverain Seigneur qui l’a créé pour lui et auquel il appartient, mais auquel il voulait qu’il fût soumis librement de son propre choix et franche volonté, dont il s’est détourné, ayant choisi, au lieu de Dieu son Créateur et le seul souverain bien, seul bon (Matth. 19, 17) et aimable pour être l’objet de son amour et de toutes ses complaisances, ce qui fait sa souveraine félicité et son bonheur, au lieu de cela l’homme a tourné son amour et sa complaisance sur soi-même ; c’est ceci qui se nomme l’amour-propre, il s’est fait soi-même pour objet et but de son amour, en se rapportant tout, s’étant lui-même fait pour principe de toutes ses actions, faisant tout par rapport à soi et se recherchant soi-même en toutes ses pensées, intentions et but : c’est là, dis-je, en quoi consiste sa chute par laquelle il a perdu l’amour pur qu’il doit à son Dieu, qui seul est son principe, première et dernière fin en toutes choses ; il s’est captivé en soi-même, l’amour pour lui-même, où l’amour-propre a pris possession de son cœur et de toute son âme, et en a chassé l’amour de son Dieu, qui est le fils de Dieu, Jésus Christ qui est l’Amour du Père (Marc, 1, 11. Jean 1, 18), et Satan, qui est le Père de l’amour-propre, a pris possession de son cœur et de son âme ; car c’est aussi en quoi consiste sa chute, aussi bien que celle de l’homme, dans laquelle il l’a entraîné après lui par sa séduction, qui est celle du serpent, lequel serpent représente l’amour-propre qui a séduit l’homme (Gen. 3). Afin donc que l’homme puisse être retiré de cette captivité du Diable et de l’amour-propre, il est clair que sa volonté se doit détourner de lui-même et se retourner vers Dieu, duquel il est déchu ; il faut qu’il renonce à soi-même, qu’il cesse d’être lui-même l’objet de ses complaisances et de son amour, et qu’il reprenne Dieu pour être cet objet. C’est ce détour de lui-même et retour de sa volonté vers Dieu qui est la conversion ; et par cet acte de notre volonté, nous renonçons à nous-même, nous nous quittons, rendant à Dieu ce qui lui appartient, qui est nous-mêmes que nous avions pris en propre, ce qui est le grand larcin que nous avons fait ; il faut rendre ce vol à son maître qui est Dieu, avec tout ce qui en dépend, et y renoncer, s’en déposséder : car nous ayant pris en propre, nous nous sommes volés à Dieu et lui avons aussi volé toutes les créatures qui lui appartiennent et dont il nous donne l’usage ; nous nous les sommes appropriées pour en user en propre selon notre propre volonté et nos désirs, selon que notre convoitise et appétits désordonnés nous y poussent ; c’est pourquoi notre Sauveur demande de nous que nous renoncions à nous-même et à toutes choses.

 

21. Dem. Suffit-il donc d’avoir pris cette résolution et d’avoir déterminé sa volonté à ce renoncement, de s’être soumis à Jésus Christ, ayant accepté cette Loi du renoncement pour le suivre, et sommes-nous affranchis de la captivité de l’amour-propre et de tout ce qui en dépend, dès aussitôt que nous en avons pris la volonté ?

Rép. Cet acte et détermination de notre volonté n’est que la disposition qu’il faut avoir afin de pouvoir suivre Jésus Christ, comme il le montre par ses paroles. Si quelqu’un veut me suivre, s’il est déterminé de marcher après moi sur le chemin que je le veux mener pour le conduire à Dieu duquel il s’est détourné, qu’il renonce à soi-même. C’est Jésus Christ alors qui, en vertu de ce consentement que nous lui avons donné, qui est la promesse et détermination que nous avons prise de nous quitter ou renoncer d’amour et d’affection, nous prend pour siens, pour opérer en nous ce renoncement, nous délivrer de la captivité du Diable et de l’amour-propre : nous avons consenti à ce qu’il exerce envers nous cet office de Sauveur, de Rédempteur, par cette donation de nous-même à lui ; car il est notre Sauveur, qui nous ramène et rend à Dieu comme à notre légitime Seigneur, nous relevant de notre chute et nous tirant de l’abîme où elle nous a précipitée, qui est l’abîme de la propriété où nous gisons. C’est donc lui qui opère en nous ce à quoi nous avons consenti par cet acte de notre volonté qui a accepté le renoncement ; et il l’opère en réalité peu à peu par l’opération de son esprit en nous, en nous délivrant peu à peu de la captivité où la propriété nous a mis ; nous expérimentons alors, dans ce temps qu’il opère cette œuvre en nous, combien grande est cette captivité et combien dur est cet esclavage ; à mesure qu’il nous en délivre, il nous fait sentir l’impossibilité où nous sommes de nous en délivrer nous-même et comment c’est lui seul qui le peut faire. Il nous fait expérimenter l’attachement que nous avons à nous-même et à toutes les créatures, oui aux moindres et aux plus méprisables, qui nous ont captivées et dont nous sommes devenus les esclaves par notre amour et affection que nous leur avons donné, en le détournant ou dérobant à Dieu. Car nous sommes les captifs ou esclaves de l’objet auquel nous donnons notre amour. C’est pourquoi l’on dit avec raison l’amour m’a captivé, l’on est l’esclave de ce que l’on aime dans notre état de chute, c’est nous-même et les créatures. Notre relèvement ou rédemption est de redevenir les esclaves de Dieu, et c’est à quoi Jésus Christ nous ramène par le renoncement.

 

22. Dem. Quelle est donc la croix dont parle notre Seigneur en disant : Si quelqu’un veut me suivre, qu’il renonce à soi-même et charge de jour en jour sa croix, etc.

Rép. Le renoncement à soi-même apporte avec soi cette croix qu’il faut porter tous les jours. Car la sagesse de Dieu, ayant pris possession d’un cœur, ménage par la conduite de sa providence toutes les choses et les moindres circonstances qui regardent une telle âme qui s’est abandonnée à sa conduite, ayant renoncé à la sienne propre, en sorte que cette providence dispense à chaque moment les croix ou souffrances qui lui sont nécessaires, afin qu’elle puisse exercer le renoncement continuel à sa volonté propre et à toutes les inclinations de sa nature corrompue ; ce qui lui cause sa croix journalière, aussi bien dans les choses extérieures qui la concernent qu’à l’égard des dispositions intérieures où elle se trouve à chaque moment ; et c’est en recevant tout ceci sans choix, de la main de Dieu immédiatement sans regarder à la créature et à tous les moyens ou causes secondes que Dieu emploie ainsi pour la mortifier et contrarier, qu’elle porte sa croix journalière que Jésus Christ commande ici et qu’elle en tire un profit admirable. C’est le moyen sûr et infaillible par lequel elle donne lieu à l’œuvre de Dieu de s’avancer merveilleusement en elle ; car elle est, autant qu’elle demeure dans cette disposition, dans l’ordre et la volonté de Dieu, par où elle reçoit l’assistance de sa grâce par la vertu de l’Esprit de Jésus Christ qui opère en elle, qui lui communique la paix qu’il nous donne, je vous donne ma paix, que le monde ne peut recevoir. C’est cette paix intérieure qu’il nous donne par son Saint Esprit qui fait que malgré la croix journalière que nous portons, par la souffrance de la nature, nous sommes heureux et contents. Je comprends aussi, dans cette croix journalière qu’il faut porter, les persécutions et autres adversités qui arrivent d’ordinaire aux personnes qui vivent selon la piété ; mais comme ces grandes croix extraordinaires ne durent pas toujours et n’arrivent pas généralement à tous, elles ne peuvent ainsi être nommées la croix journalière qu’il faut porter. Car pour celle-ci elle produit un merveilleux effet, et la sagesse de Dieu ménage les plus petites choses et les moindres bagatelles qui se présentent à tout moment pour nous mortifier et nous donner occasion de pratiquer le renoncement selon la volonté de Dieu : il se sert de tout ce qui nous arrive et de tout ce que nous avons en main dans notre état et condition pour découvrir nos passions et attachements les plus cachés, afin de nous obliger à y renoncer, et il nous emmène par là à la connaissance de nous-même.

 

23. Dem. Il n’est donc pas nécessaire de changer l’état ou condition où l’on est pour devenir bon Chrétien.

Rép. Nullement, au contraire, si nous le faisons, quoique par bonne intention, sans avoir assez de preuves de la volonté de Dieu, et que c’est sa providence qui dirige ce changement de lieu ou de condition extérieure d’emploi, etc., nous ne faisons que de retarder, par ces changements que nous entreprenons de propre choix et par propre volonté, l’œuvre de Dieu en nous ; ainsi le plus sûr et le plus utile est d’éviter de suivre son propre choix et volonté, et de laisser agir la providence, qui prend un soin particulier d’écarter tout ce qui peut nuire véritablement à l’avancement d’une âme qui s’est donnée sincèrement à Dieu, n’adhérant à d’autre désir que de vivre selon sa volonté ; ainsi si Dieu voit qu’une telle âme soit engagée dans des circonstances d’état et de condition qui l’empêchent d’adhérer à Dieu selon l’attrait de grâce qu’il lui donne, si elle se repose sur la conduite de sa providence en lui remettant toutes choses, craignant d’agir par son propre choix et volonté, qui sont les ennemis les plus dangereux qu’elle a à craindre, et attendant humblement le temps de Dieu qu’il prendra pour la dégager de tous les empêchements ; il ne manquera pas de le faire fidèlement, lorsqu’il sera nécessaire, ce qu’elle doit attendre patiemment : car souvent et le plus ordinairement nous jugeons bien des choses extérieures nous être en empêchement pour que l’œuvre de Dieu se fasse en nous, qui ne le sont pas en effet ; mais sont plutôt des moyens dont il se sert habilement pour nous mortifier et exercer dans le renoncement à nos propriétés et volontés propres, qui se cachent sous le prétexte de scrupules de conscience, parce qu’elles nous sont ennuyeuses et pénibles : auxquelles si nous nous y soumettons pour l’amour de Dieu, nous voyons à la suite que ce que nous avons cru nous être nuisible nous a été très avantageux pour l’avancement de l’œuvre de Dieu en nous, et a été un préservatif contre plusieurs tentations très dangereuses où nous sérions tombés si nous avions suivi notre Zèle et ferveur sensible, qui nous poussait à changer d’état et condition pour servir Dieu selon notre opinion avec plus de loisir et moins d’empêchements, qui sont d’ordinaire en nous et non hors de nous et dans les choses extérieures auxquelles nous attribuons si volontiers ces empêchements.

 

24. Dem. Nous devons donc recevoir de la main de Dieu tout ce qui nous arrive.

Rép. Oui, assurément, car c’est ce que notre Seigneur Jésus Christ nous assure en disant : Un cheveu de votre tête ne tombera pas sans la volonté de votre Père (Luc. 12). Et il ne tombe pas un passereau en terre sans sa volonté. Quelle foi et quelle confiance en Dieu, quelle tranquillité et quel repos ne doit donc pas produire une telle croyance, que rien des plus petites choses ne nous arrive point sans une dispensation particulière de la providence Divine, qui s’en sert pour nous conduire au but qu’elle s’est proposé envers nous.

 

25. Dem. Vous parlez de foi et de confiance en Dieu, expliquez-moi ce que vous entendez par cette foi dont on parle tant et dont tous ceux qui portent le nom Chrétien se vantent.

Rép. Ce que l’on nomme communément la foi Chrétienne est la profession que l’on fait de croire tout ce qui est écrit dans l’Écriture Sainte du vieux et du nouveau Testament, et c’est à quoi l’on s’en peut tenir ; l’on nomme aussi la foi la confession particulière des symboles qu’ont faits toutes les religions différentes qui composent le peuple que l’on nomme Chrétien, selon que chacun de ces partis a expliqué cette Écriture Sainte, qu’ils reçoivent tous, n’étant que dans l’explication qu’ils en font que consistent leurs différends.

 

26. Dem. Mais comment faire pour démêler cette diversité et pénétrer quel de tous ces partis différents a la vérité de son côté, car chacun croit et dit l’avoir.

Rép. C’est un examen auquel on pourrait employer toute sa vie sans pouvoir trouver de certitude, puisque cette diversité est la source et cause de toutes les disputes et controverses des religions, qui n’ont produit que haine et persécutions entre ceux qui sont de partis contraires, ont éteint de plus en plus l’esprit de charité et de support du prochain, que Jésus Christ et ses Apôtres nous recommandent si expressément et auquel il incline tous ceux qui véritablement ont en eux cet Esprit de Jésus Christ.

 

27. Dem. Mais comment faire ?

Rép. Le plus court est de s’abstenir de toute dispute et controverse, et de croire simplement ce que Dieu nous a révélé dans l’Écriture Sainte, le recevant et croyant dans le sens que le Saint Esprit, qui l’a dictée, y entend lui-même (2. Pierre 1, 20. 21. 2. Tim. 3, 2) et qu’il renferme dans les expressions dont il s’est servi, et de prier le Saint Esprit qu’il nous en donne l’intelligence en la lisant, autant qu’il sait qu’il nous est nécessaire d’en comprendre, pour faire la volonté de Dieu, en réduisant en pratique les préceptes qui y sont contenus selon que l’état où nous sommes le requiert : et il ne manquera pas, ce Saint Esprit, de nous enseigner en toute vérité, si nous attendons avec humilité qu’il le fasse à mesure et dans le temps qu’il sait être nécessaire et si nous nous gardons de vouloir tout savoir (1. Cor. 8, 1). Car la science enfle, mais la charité édifie. Cette charité est l’amour de Dieu : si nous lisons avec intention d’apprendre à l’aimer et à lui obéir, nous serons assez illuminés et instruits. Mais si nous convoitons le savoir spéculatif, nous sommes en danger d’être entraînés dans l’erreur et l’illusion de notre propre esprit, auquel nous adhérons, ce qui est la source de toutes les erreurs ; comme au contraire le renoncement à son propre esprit est le seul moyen d’en être garanti et d’être instruit de la vérité salutaire par la lumière du Saint Esprit dont il éclaire l’âme des simples.

 

28. Dem. N’est-ce donc pas la foi salutaire ou qui nous sauve, que la profession extérieure que l’on fait de la Confession usitée et reçue dans l’Église ou parti extérieur où l’on est né ou que l’on a adopté ?

Rép. Nullement, cela n’est qu’une foi historique et une Confession purement extérieure, qui ne produit aucun changement dans nous qui nous puisse mettre en état de salut.

 

29. Dem. Quelle est donc la foi salutaire ou qui nous sauve ?

Rép. Elle consiste à recevoir Jésus Christ, comme on l’a dit, qui nous appelle pour nous tirer de l’abîme de notre corruption ; car ce mot de Foi signifie croire en Jésus Christ ; nous le croyons en recevant ce qu’il nous déclare, qu’il est notre Libérateur et Rédempteur ; nous nous fions à lui et nous abandonnons à lui, croyant qu’il opérera en nous son œuvre de la régénération. C’est l’opération de cette œuvre en nous qui est l’effet de la véritable foi ou croyance que nous donnons à Jésus Christ ; qui fait que, mettant toute notre confiance en lui, nous nous abandonnons à lui, sans nous retirer de sa conduite, ni nous en détourner, après nous être donnés à lui. Car cela serait déchoir de la foi ou de la confiance que nous avons prise en lui. Autant que nous restons donc ainsi abandonnés à sa conduite, nous sommes dans la foi qui nous conduit au salut, qu’il opère en nous par la régénération, dans laquelle le salut consiste ; car étant achevée, nous sommes alors unis à Dieu par Jésus Christ, qui nous mérite cette grâce.

 

30. Dem. Comment entendez-vous ces mérites de Jésus Christ pour nous ?

Rép. Il était impossible que l’homme par lui-même pût se relever de sa chute et retourner dans l’union Divine ou à Dieu. C’est Jésus Christ qui nous a mérité cette grâce, et c’est par lui qu’elle nous est acquise.

 

31. Dem. Expliquez cette importante matière plus amplement.

Rép. Jésus Christ, ayant pris la nature humaine, nous prend non seulement par la main pour nous mener sur le chemin qui nous reconduit à Dieu, comme il a été dit ; mais comme il sait bien que nous sommes trop faibles pour pouvoir tout seuls porter les souffrances nécessaires afin que soit consumé le venin du péché dont toute notre âme a été pénétrée par Satan, auquel nous y avons donné entrée par la chute ; pour pouvoir tout seuls porter le feu nécessaire pour la purification de notre âme, afin d’en évacuer ce venin et pour le consumer, feu devant être si violent qu’aucun homme ne l’aurait pu supporter sans être anéanti ; Dieu, par sa miséricorde infinie, a pris notre humanité telle qu’elle est dans sa chute, dans sa faiblesse et misère, tel que Jésus Christ est né de la Sainte Vierge Marie, de laquelle il a pris ce corps mortel et infirme, sujet à la souffrance comme le nôtre ; il a pris non seulement ce corps infirme et capable de souffrir, mais aussi la qualité où est notre âme unie à ce corps, tel que nous naissons, ayant rendu son âme sujette aux mêmes états de souffrance où est la nôtre, pour pouvoir être purifiée de ce venin du péché par la souffrance que lui cause le feu de la purification : et quoique Jésus Christ soit saint, pur, innocent, n’ayant participé en aucune manière au péché, il a pris en soi toutes les misères et souffrances, infirmités et maux qui nous sont venus dans notre corps et dans notre âme par le péché et qui en sont les suites, ayant pris un corps de cette matière grossière dont le nôtre est formé. Il a été tenté comme nous en toutes choses, excepté le péché (Phil. 2. Hébr. 2, 17. Cap. 4, 15), et a ainsi porté tous les maux, tentations et épreuves par lesquelles il faut que nous passions tous dans ce monde pour être purifiés de ce venin du péché. Il a souffert tout ceci pour nous, c’est-à-dire qu’il nous a acquis par là la grâce de pouvoir soutenir ce feu de purification, afin qu’il ait son effet lorsqu’il nous est appliqué. Il unit sa force divine à notre faiblesse humaine, dans chaque épreuve de purification dans laquelle il nous met, lorsque nous nous sommes donnés à lui. Il nous communique la force divine par laquelle il a surmonté la même tentation et épreuve, et c’est par cette application de son mérite de sa force divine que nous devenons victorieux et surmontons cette épreuve et qu’elle a son effet pour la purification de notre âme. C’est par la force divine, qu’il nous communique par ses souffrances et sa mort, qu’il nous est communiqué la grâce de pouvoir souffrir et mourir au vieil homme ; et c’est par ce même mérite de Jésus Christ, en se faisant homme, qu’il nous a acquis la grâce que le nouvel Adam soit réformé ou recréé en nous, par cette purification qu’il opère en nous et cette évacuation de la vie étrangère et criminelle du vieil homme, sans laquelle communication de sa vertu et force et participation de sa divinité toute-puissante aucun homme n’aurait pu soutenir cette purification sans être anéanti physiquement. Ce qui aurait été possible supposé la toute-puissance de Dieu. C’est donc par ses mérites qu’il nous applique et communique que toute l’œuvre de notre purification ou sanctification et régénération s’opère. C’est l’huile sainte de son amour et l’eau de grâce qui tempère et adoucit le feu véhément qui consume le venin de notre impureté, sans quoi il nous consumerait et anéantirait physiquement ; au lieu que tempéré et adouci par cette eau et huile de la grâce, il ne consume que le venin, et l’âme est conservée étant purifiée ; elle est changée dans une nouvelle créature.

 

32. Dem. Quel est donc ce feu purifiant ?

Rép. C’est le pur amour de Dieu ; car il est dit : Notre Dieu est un feu consumant (Hébr. 12, 29). Il consume, en s’unissant à nous par le moyen de l’humanité de Jésus Christ, toute notre impureté : tout comme un feu ardent consume l’impureté de l’or qu’on y met.

 

33. Dem. Quelle est donc la Colère de Dieu, que l’on dit que Jésus Christ a portée pour nous ?

Rép. La Colère de Dieu est le sentiment de souffrance et de peine que cause la pureté de Dieu, ou bien le feu pur de son amour, qui est son essence ; la peine et la souffrance que cause, dis-je, ce feu, au sujet impur auquel il s’applique, sur lequel il ne peut opérer autrement qu’en consumant son impureté. Ainsi Jésus Christ a porté et senti la Colère de Dieu dans les souffrances qu’il a prises sur soi pour nous ; parce qu’il a pris à soi la malédiction du péché, c’est-à-dire la misère qu’il a apportée en notre corps et dans notre âme. Ainsi le feu du pur amour de Dieu s’appliquant à Jésus Christ pour faire sur son corps et dans son âme la même opération de purification qu’il est nécessaire qu’il fasse en nous, c’est ce qui a causé sa souffrance, et c’est ce qu’on nomme qu’il a porté le poids de la colère de Dieu et de sa justice, ce qui est la même chose : car la justice de Dieu est qu’il demande que l’injustice, qui est la propriété et le venin du péché, soit consumée et que ce qui appartient à Dieu lui soit rendu, et c’est ce que ce feu opère : et lorsque cette propriété est consumée avec toute l’impureté que l’âme a contractée, alors la justice de Dieu est satisfaite et l’homme retourne dans l’union et dépendance de Dieu. Jésus Christ a donc rassemblé et pris sur soi la propriété, l’injustice et l’impureté de tous les hommes, et a souffert en sa personne l’opération douloureuse de la purification de cette propriété et impureté pour tous, et c’est par là qu’il la leur a rendue possible et qu’ils peuvent la supporter sans être anéantis ; c’est la grâce qu’il leur a méritée. Et autant qu’il y a de ces hommes pécheurs qui se convertissent à Dieu, allant à Jésus Christ pour obtenir la rédemption qu’il leur a acquise par ses souffrances, il leur applique le mérite de ce qu’il a fait pour eux ; il verse dans leur âme son corps, son sang et son esprit, qu’il a fait dissoudre par ses souffrances, comme une teinture très sainte, qui opère en eux cette même purification en attaquant leur impureté et propriété, qu’il consume. Mais ce n’est que par la souffrance, car ce sang précieux ne peut purifier nos âmes qu’en y produisant à proportion le même effet que le feu de la justice de Dieu a opéré en Jésus Christ en le faisant souffrir et mourir en figure de notre vieil homme : il faut que ce sang précieux attaquant et consumant notre impureté et propriété nous cause de la souffrance ; dès aussitôt qu’elle sera consumée, la souffrance cessera. Ce sang précieux est donc notre médecine, il est composé de l’essence de la divinité et de l’humanité de Jésus Christ ; c’est le feu du pur amour de Dieu tempéré de l’huile et de l’eau de son amour compatissant, manifesté dans son humanité, afin que nous puissions en supporter l’opération, qu’il a soufferte pour nous de la pure justice ou du feu seul et sans mélange du pur amour, ce que personne ne pouvait supporter que lui, parce qu’il est Dieu, à cause de sa toute-puissance ; la souffrance étant si grande, causée par la grandeur des péchés ou de l’iniquité ou propriété des hommes qu’il avait chargée sur soi, qu’elle aurait anéanti tous les hommes si elle s’était ainsi appliquée ou attachée à eux. Ô Seigneur Jésus ! qui pourra jamais comprendre la grandeur et le prix de tes mérites, dont tu nous veux rendre participants si nous venons à toi ! Tire-nous, Seigneur, et nous courrons après toi ! Fais-nous la grâce de profiter des grâces ineffables que tu nous as acquises par tes souffrances et par ta mort ! Grâces dont tu nous fais concevoir seulement un petit rayon, pour en rendre témoignage.

 

34. Dem. Il faut donc, pour avoir part à l’application de ces mérites de Jésus Christ, se donner à lui entièrement par le renoncement à soi-même et à toutes choses, afin de se laisser entre ses mains comme un malade entre les mains d’un médecin habile et très charitable, auquel l’on se confie sans se mêler davantage de soi-même autrement que de suivre ses ordonnances et lui laisser faire de nous ce qu’il lui plaît ?

Rép. C’est là tout ce que Jésus Christ demande de nous, en vertu de quoi il nous guérira, si docilement nous nous laissons appliquer les remèdes qu’il nous donne, quelque douleurs et souffrances qu’ils nous causent ; car ce n’est qu’à cause qu’ils attaquent la vie pécheresse de notre vieil Adam, duquel il opère peu à peu la mort selon que ce Sauveur charitable sait que nous pouvons le supporter, nous assistant puissamment dans tous les maux, épreuves, tentations et adversités qui nous arrivent, tant extérieures qu’intérieures, dans ce chemin du retour à Dieu, dont, comme l’on l’a dit, nous n’en pourrions supporter aucune s’il ne nous en avait acquis et mérité la force qu’il nous communique par là vertu de son sang précieux, qui est et la médecine et le soutien ou la vie de nos âmes.

 

35. Dem. Les mérites de Jésus Christ ne peuvent donc être appliqués ni servir à personne, qu’à condition qu’on s’abandonne à lui et souffre volontairement les douleurs que lui causent les remèdes qu’il lui donne, ce qui est les maux et souffrances que cause le renoncement ?

Rép. Non, sans doute, non plus qu’il ne servirait à un malade qu’il sût un médecin habile et capable de le guérir infailliblement de son mal s’il ne se veut résoudre de se servir des remèdes qu’il lui veut donner et souffrir les douleurs qu’ils lui causent en faisant son opération.

 

36. Dem. Qu’est-ce donc que la Colère de Dieu qui est apaisée par Jésus Christ ?

Rép. La Colère de Dieu irritée est ce feu du pur amour qui, ne pouvant souffrir d’impureté, cause l’inquiétude et la souffrance, les peines que l’âme à laquelle il s’applique ressent et qui ne lui laisse point de repos, par les remords des actes des péchés que l’homme a commis, aussi bien que par le mauvais état dans lequel il se trouve, lequel lui est découvert par cette lumière qui se fait sentir à l’âme comme colère et indignation de Dieu, à cause de l’opposition et antipathie qu’il y a entre la Sainteté de Dieu, qui est la pureté de ce feu divin et l’impureté de la créature : elle sent que ce feu la consume et la condamne, et elle ne trouve point de remède pour se calmer et apaiser ces remords que par Jésus Christ, qui est cet amour compatissant, qui la reçoit, vient à elle au temps déterminé de Dieu, lorsqu’il voit qu’après avoir été assez travaillée de la peine ci-marquée, elle se soumettra à Jésus Christ, qui ainsi l’attire à lui, disant : Venez à moi vous tous qui êtes travaillés et chargés et je vous soulagerai (Matth. 11, 28). Alors il apaise dans l’âme la colère de Dieu en adoucissant sa peine, lui fait sentir la réconciliation en cette sorte ; c’est-à-dire en lui donnant sa paix, parce qu’elle se soumet à lui, consentant qu’il exerce envers elle l’office de Rédempteur et de Rémunérateur, comme on l’a écrit. Alors elle est réconciliée avec Dieu ; c’est-à-dire qu’elle ne sent plus ses remords de conscience et peines, qui lui sont ôtés, parce qu’elle rentre dans l’ordre de Dieu en se soumettant à Jésus Christ, qui verse en elle l’huile de l’amour compatissant, qui adoucit et tempère le feu du Père, et opère en elle peu à peu la purification foncière, après lui avoir fait sentir le pardon de ses péchés commis, qui ne lui sont point imputés en vertu des mérites de Jésus Christ, qui a pris cette âme pour sienne, afin de la conduire et la purifier.

La justice de Dieu est donc satisfaite aussitôt que l’âme se soumet ainsi à Jésus Christ ; c’est-à-dire que sa volonté est déterminée de se laisser purifier par son sang du venin du péché, laisser opérer la mort du vieil homme, afin que le nouvel homme soit recréé ; elle est, dis-je, satisfaite pour ce temps-là et sous la condition que l’homme persévérera dans son abandon à Dieu et laissera opérer dans son âme cet œuvre de la régénération par laquelle l’âme est emmenée à la réunion avec Dieu ; et c’est alors seulement que Dieu et sa justice est proprement satisfaite, l’homme étant retourné dans la parfaite réunion à Dieu pour laquelle il l’a créé : c’est ce que requiert sa justice et qui s’opère par l’entière extirpation du vieil homme, et non autrement, ce qui ne serait que pure fausse imagination. Il en est comme d’un créancier qui promet de payer sa dette ; aussi longtemps qu’il ne veut pas la payer, il vit dans l’injustice et est coupable d’ire ou de colère ; la justice demande qu’il paye : aussitôt qu’il en a la résolution et la volonté sincère, son créancier, voulant prendre patience, est apaisé ; sa justice et colère est apaisée, sous condition qu’il le payera. Ceci est ce que fait l’homme par le premier pas de la conversion. Mais il n’en doit pas rester là, il faut qu’il paye, et lorsque le paiement est achevé, alors seulement et proprement la justice est satisfaite, ayant reçu ce qu’elle prétendait et qui lui était dû avec droit. Béni soit Dieu !

 

37. Dem. Dites-moi ce que vous entendez en distinguant en Dieu le feu pur et dévorant de son pur amour et l’amour compatissant que vous dites s’être manifesté en Jésus Christ ?

Rép. Ce feu consumant est représenté comme étant l’attribut du Père, et l’amour compatissant, qui s’est manifesté par Jésus Christ qui est la parole ou le verbe, est le fils, par le Saint Esprit ; ces trois sont un seul et même Dieu, c’est la très Sainte Trinité. Dieu s’est manifesté aux hommes par sa parole, qui s’est faite chair en Jésus Christ ; et il opère en eux et les vivifie par le Saint Esprit. Je vous enverrai le Saint Esprit qui demeurera avec vous et sera en vous, il vous conduira en toute vérité, dit Jésus Christ (Jean 14, 16. 17).

 

38. Dem. Le fidèle Chrétien est donc la demeure de Dieu et de la très Sainte Trinité ?

Rép. Oui : Saint Paul dit : Vous êtes le Temple de Dieu, et Jésus Christ dit (Jean 14, 23) : Moi et le Père viendrons en lui et ferons notre demeure chez lui, et je vous enverrai le Saint Esprit. Ainsi le Père, le Fils et le St. Esprit habite dans l’âme du fidèle, le dirige et conduit, opérant en lui, comme il fait l’Église en général.

 

39. Dem. Qu’entendez-vous par l’Église ?

Rép. Le Corps ou l’assemblée des vrais fidèles.

 

40. Dem. Cette assemblée est-elle extérieure, et la trouve-t-on dans un lieu ou corps d’Église de quelqu’une des religions, dont il y a un si grand nombre qui se nomment Chrétiennes ?

Rép. Cela ne se peut ; car l’Église est l’Épouse de Jésus Christ, elle est conduite par son esprit et composée des membres de son corps ; toutes les âmes ou personnes qui la composent doivent être des membres vivants de Jésus Christ, ce qui ne se trouve dans aucune Église ou assemblée extérieure qui se nomme Chrétienne.

 

41. Dem. Où faut-il donc la chercher ?

Rép. Le Royaume de Dieu est en vous, dit Jésus Christ, et là où est son Royaume, là est son Église. Elle est donc spirituelle ; et le commerce et la communion que nous avons avec cette Église est en esprit. Ce qui n’exclut pas l’aide mutuelle que Dieu donne à chaque âme qui se convertit à lui par les moyens extérieurs, lui faisant rencontrer d’ordinaire quelque personne qui l’assiste dans la voie de salut, selon le besoin qu’elle en a, ce que la providence Divine ne laisse jamais manquer à ceux qui se donnent à Dieu sincèrement. Elle est si admirable qu’elle pourvoit à tous les besoins d’une telle âme à point nommé, d’une manière autant sûre qu’elle est merveilleuse, et moins l’âme cherche et s’inquiète pour s’aider elle-même par sa propre activité et recherche, en restant abandonnée à Dieu tranquillement, plus Dieu prend soin d’elle et ne lui laisse rien manquer de tout ce qui lui est nécessaire selon son état ; soit par l’aide de quelque livre pieux qui lui tombe entre les mains ou par quelque personne expérimentée dans les voies de l’esprit que Dieu lui adresse. Soit donc médiatement ou immédiatement, Dieu ne laisse jamais manquer d’aide et d’avis nécessaires à une âme qui s’est donnée à lui, et elle jouit réellement de la communion et aide de tous les Saints, tant au Ciel qu’en la terre, qui composent l’Église, qui sont ici en terre tous ceux qui appartiennent véritablement à Dieu, dans quelque situation ou Église extérieure qu’ils soient engagés et de quelque nation du monde qu’ils soient. Et dans le Ciel ils reçoivent l’aide et sont en communion et communication avec tous les Saints bienheureux, Anges et hommes, et avec Dieu même, par sa dispensation et volonté en lui. C’est ce que chacun qui s’est donné à Dieu doit croire, quelque cachée que lui paraisse souvent cette communion quant à la compréhension des sens, qui y ont peu de part. Car Dieu est esprit, et ceux qui l’adorent en esprit et vérité ont communion entre eux comme ils l’ont avec Dieu ; mais Dieu ne manque pas aussi de leur fournir les aides extérieures dont ils ont besoin.

 

42. Dem. Comme le Symbole des Apôtres est l’abrégé de Croyance de tous les Chrétiens et qu’il est reçu de toutes les Religions et partis, dans lesquels ceux qui portent le nom Chrétien sont divisés, expliquez-le !

Rép. Je crois en Dieu le Père tout-puissant, Créateur du Ciel et de la terre.

Ceci est la première partie de ce Symbole que tous ceux qui font profession de la Religion Chrétienne confessent de bouche.

Dieu, considéré en son essence en lui-même, se nomme le Père, Créateur de toutes choses, du Ciel et de la terre, duquel l’Apôtre dit qu’il demeure dans une lumière inaccessible, que nul n’a vu et ne peut voir (1. Tim. 6, 16). Il se manifeste ou se produit au dehors par son Fils, qui est sa Parole ou le verbe Éternel, par lequel il a fait toutes choses. Selon Saint Jean, Chap. 1, 1 : Au commencement était la Parole et la Parole était avec Dieu ; et cette Parole était Dieu ; v. 3. toutes choses ont été faites par elle et sans elle rien de ce qui a été fait n’a été fait. Cette Parole par laquelle Dieu s’est manifesté au dehors, ayant créé par elle des créatures, se nomme le Fils de Dieu, qu’il a engendré de toute Éternité ; elle est sa production ; c’est Dieu lui-même qui se manifeste. Voilà pourquoi Saint Jean dit : Cette Parole était Dieu, elle est Dieu, non un Dieu particulier et séparé ou distinct du seul Dieu que nous adorons, qui a créé les Cieux et la terre et toutes les choses qui y sont ; mais cette parole est le même Dieu qui a dit ou parlé et la chose a eu son être et a paru ; v. 14. Cette Parole a été faite chair et a habité entre nous en Jésus Christ, auquel nous croyons, comme il est dit ici dans la 2me partie du Symbole que voici.

Et en Jésus Christ son Fils unique, notre Seigneur ; qui a été conçu du Saint Esprit ; est né de la Vierge Marie ; il a souffert sous Ponce Pilate ; il a été crucifié ; il est mort et a été enseveli ; il est descendu aux Enfers ; le troisième jour il est ressuscité des morts, il est monté aux Cieux ; il s’est assis à la droite de Dieu le Père tout-puissant : et de là il viendra pour juger les vivants et les morts.

Dieu lui-même, ce seul Dieu que nous croyons (car il n’y en a qu’un), a pris notre humanité et l’a unie à sa Divinité par sa Parole qui s’est faite chair en Jésus Christ. Dieu s’est manifesté au dehors, sortant de cette Lumière inaccessible, où aucune Créature ne peut atteindre, ne l’a vu et ne le peut voir, pour se manifester aux Anges bienheureux, premièrement en les créant ; et puis aux hommes, en ayant pris la nature humaine en Jésus Christ, qui a été conçu du Saint Esprit, qui est l’Esprit de Dieu, auquel nous croyons, savoir au Père, au Fils et au Saint Esprit, les trois dont dit Saint Jean (1. Ép. 5, 7) : Il y en a trois qui témoignent dans le Ciel, le Père, la Parole et le Saint Esprit, un seul et même Dieu, béni et adoré éternellement, Amen, de nous dans un respectueux silence, sans nous ingérer à vouloir comprendre son être, mais désirant qu’il nous absorbe en lui. Ces trois dont parle Saint Jean n’ont point reçu de lui d’autre nom, nous ne leur en voulons point donner non plus que celui d’un seul Dieu que nous adorons, qui s’est manifesté en Trois par ses opérations, en produisant des Créatures intelligibles, dans lesquelles il a peint son image par sa Parole qui est son Fils. Ces trois sont la très Sainte Trinité que nous adorons, sentant bien ses opérations, n’étant qu’un seul et même Dieu ; c’est là notre Confession. Jésus Christ est donc conçu du Saint Esprit dans le Sein de la bienheureuse Vierge Marie. Dieu veut naître de cette Vierge, prendre d’elle notre humanité, dans l’état misérable où le péché nous a réduits. Quelle merveille, ô Dieu ! que tu t’abaisses jusqu’à nous ! La Parole Éternelle de Dieu, son Fils, sa manifestation au dehors, se fait homme, et son Esprit Saint est l’esprit qui régit ou gouverne cet homme ; il prend à soi une âme et un corps comme ont tous les autres hommes, devenant ainsi semblable à eux ; il converse avec eux, leur fait du bien, leur annonce ses lois écrites dans les Évangiles et les pratique lui-même dans la vie humiliée et renoncée qu’il a menée, pour nous donner l’exemple que nous devons suivre (Jean 13, 15) en vivant ainsi dans le renoncement à sa suite : il mène une vie souffrante, est l’homme de douleur. Il souffre sous Ponce Pilate, se soumet à ce juge inique, se laisse crucifier, meurt de cette mort sanglante en répandant son Sang précieux, qui est la liqueur par laquelle il sanctifie nos âmes, savoir de ceux qui le veulent recevoir ; c’est la tincture universelle, qui nous sanctifie et nous régénère, créant et nous changeant en de nouvelles créatures, comme il en est écrit ci- dessus. Il meurt, et nous devons mourir ; mourons donc volontiers, corporellement avec lui, et mourons au vieil homme ! laissant opérer cette mort par son Sang répandu dans nos âmes, en souffrant volontairement cette opération douloureuse qu’il y produit. Car Son Sang est, dans son essence (qui est réellement et véritablement répandu dans nos âmes), son esprit et le feu pur de son amour ; la Divinité unie à l’humanité qui vient en nous est notre nourriture (Jean 6), qui nous redonne la vie divine, nous ressuscitant véritablement d’une nouvelle vie divine après avoir opéré la mort de notre vieil Adam en réalité et vérité. C’est ce que chaque vrai fidèle ou croyant doit expérimenter s’il confesse et croit en vérité la confession marquée ici du Symbole des Apôtres ; et s’il ne l’expérimente pas, qu’il croie sûrement qu’il n’est pas bon Chrétien et qu’il se donne à Jésus Christ, s’offrant à lui, venant à lui d’un cœur sincère, et il le recevra, lui apprendra cette leçon, de se quitter, se renoncer, pour être à son Sauveur de tout son cœur.

Jésus Christ souffre sous Ponce Pilate sans murmurer contre ce Juge injuste ; il nous apprend par là à souffrir comme lui l’injustice sans murmurer, à nous soumettre aux juges et aux puissances établies sur nous, sans regimber, mais souffrir humblement les insultes, les douleurs, et de laisser la vie, quand il plaira à Dieu, dans ce lieu, en nous taisant comme notre Divin Sauveur, dont la douleur a percé son saint Cœur.

Il a été enseveli.

Tout ce qu’il a plu à notre Seigneur Jésus Christ de souffrir et tous les états par lesquels il a voulu passer en figure de notre vieil homme représentent ceux que nous devons passer aussi, à sa suite, devant mourir et être ensevelis mystiquement, tout aussi bien comme notre corps doit mourir et être enseveli, pourrir et défaillir à son être grossier : il faut que nous mourions tellement à la vie propre de notre être propre et esprit propre que ce corps du vieil Adam soit même enseveli, que toute propre vie soit anéantie, si nous voulons ressusciter avec Jésus Christ dans une nouvelle vie Divine ; et c’est de cette mort, sépulture et résurrection dont tant de Saints Auteurs mystiques ont écrit amplement, l’ayant expérimentée eux-mêmes en rendant témoignage, puisque c’est en quoi consiste la réalité de la renaissance et que par cette expérience et œuvre que l’Esprit de Jésus Christ opère en nous, tout ce qu’il a fait et a souffert pour nous nous est appliqué, sans quoi tout ce que nous en confessons de bouche et que nous en croyons n’est qu’une foi historique ou croyance que l’histoire que nous avons dans l’Évangile des faits de Jésus Christ est véritable : ce qui ne produit aucun changement réel dans notre être pour la régénération. Car quoiqu’en considérant et prenant à cœur ce que Jésus Christ a fait pour nous, en méditant sa doctrine et sa vie, cela nous porte à l’imiter et nous engage à cesser des désordres de notre vie vicieuse et à nous appliquer à mener une vie vertueuse ; ce qui est fort bon et que chacun doit faire, étant le premier pas de la conversion ; cependant cela ne produit aucun changement réel dans le fond de notre être ; cela ne fait point mourir notre vieil homme et ne recrée point le nouveau, ne nous donne point un nouveau cœur. Car cette œuvre de la renaissance doit être opérée par l’esprit de Jésus Christ, œuvre dont il dit à Nicodème (Jean 3, 4, 5) : En vérité, en vérité, je te dis si quelqu’un n’est né de nouveau, il ne peut entrer dans le Royaume de Dieu. La nature de la chose même marque suffisamment combien est grande cette œuvre de la régénération et de quelle importance elle est ; qu’elle ne se fait pas si vite ni tout d’un coup, comme tant de gens se l’imaginent, se flattant faussement d’être renés, sans être morts et avoir été ensevelis avec Jésus Christ ; oui, même sans avoir fait la plupart le premier pas d’une vraie conversion en ayant travaillé de toutes leurs forces à imiter la vie de Jésus Christ, en renonçant à leurs passions criminelles ou en travaillant sérieusement à s’abstenir des actions auxquelles elles les poussent. Ils sont encore bien éloignés d’avoir commencé l’œuvre de la régénération, ou plutôt d’avoir commencé, par une donation entière d’eux-mêmes à Jésus Christ, de le laisser opérer cette œuvre en eux. Il faut donc mourir et être enseveli avec Jésus Christ ; non seulement cela, mais il faut aussi descendre avec lui aux Enfers, comme nous le confessons par cet article qui suit. Il est descendu aux Enfers.

 

43. Dem. Qu’entendez-vous par là ?

Rép. Après que Jésus Christ a été enseveli, son âme est descendue aux Enfers, où il a été prêcher aux Esprits qui sont dans la prison et qui avaient été autrefois incrédules, etc. (1. Pierre 3. v. 18. 19. 20). Ce sont les méchants qui du temps de Noé périrent par le déluge et moururent dans l’impénitence, auxquels Saint Pierre dit ici que Jésus Christ, étant vivifié par l’Esprit, a prêché après avoir été enseveli, il a pris une nouvelle vie, ce qui représente la vie nouvelle et Divine qu’il nous communique lorsque véritablement nous sommes auparavant morts avec lui en la chair, c’est-à-dire à notre vieille vie, que nous apportons dans ce Monde par notre naissance charnelle.

 

44. Dem. Est-ce là tout ce que signifie sa descente aux Enfers ?

Rép. Non. Mais cet article renferme aussi en soi les souffrances de l’âme de Jésus Christ, qu’il a voulu souffrir dans ce séjour des Diables et des âmes damnées. Car de même qu’il a souffert dans ce monde, y étant venu pour sauver les hommes par ses souffrances et sa mort, de même a-t-il souffert dans son âme par sa descente aux Enfers. Mais comme ceci est une matière qui n’importe pas à la foi qui nous fauve, ceci en suffit.

 

45. Dem. Mais de quel usage nous est cet article du Symbole ?

Rép. Ceux qu’il plaît à Dieu de faire passer par les épreuves de purification de l’âme, dans laquelle il opère l’œuvre de la régénération, en tirent beaucoup ; car leur âme expérimente qu’elle souffre cruellement dans ces épreuves de la part des esprits malins et qu’elle passe par l’enfer spirituel pour sa purification, comme elle en témoigne : et de ce que Jésus Christ a souffert les mêmes épreuves, cela marque qu’il les a sanctifiées comme toutes les autres, pour la consolation de ceux qu’il y mène et qui en reçoivent le fruit qu’il leur a acquis, le leur ayant mérité en ceci comme dans tous les autres états qu’il a portés pour nous et par lesquels il nous fait passer. Ceux qu’il honore de cette grâce (qui est très amère et très crucifiante) peuvent seuls comprendre quelque petite chose de ce que Jésus Christ a souffert en descendant aux Enfers. Mais autant pénibles que sont à porter ces états à la suite de Jésus Christ, autant opèrent-ils des effets merveilleux pour la gloire de Dieu, en étendant les mérites de Jésus Christ pour la rédemption de toute créature, lorsqu’elles les veulent accepter.

Le troisième jour il est ressuscité des morts.

Ô Consolation admirable pour l’âme qui s’est donnée à Jésus Christ et qu’il conduit par tous les états par lesquels il a passé le premier ! Il ne la laisse point pour toujours dans les liens de la mort et de l’enfer, ni ensevelie dans un oubli Éternel : mais quand son temps est venu, il la ressuscite ; il ressuscite cette âme qu’il a fait mourir tellement à sa propre vie qu’elle a été ensevelie et a perdu toute espérance d’être ressuscitée, ayant été, par sa sépulture mystique, pourrie et anéantie à son propre être. Non, il ne l’a fait mourir que pour la faire revivre de sa vie Divine, et c’est ce qu’il nous assure par sa résurrection, aussi bien à l’égard de nos âmes qu’à celui de nos corps qui ressusciteront au dernier jour en immortalité bienheureuse, comme St. Paul l’a écrit (1. Cor. 15).

Il est monté aux Cieux ; il s’est assis à la droite de Dieu le Père tout-puissant, et de là il viendra pour juger les vivants et les morts.

Après avoir souffert l’ignominie, les douleurs et la mort dans cette vie et dans ce corps mortel, il a été élevé en gloire ; cette humanité infirme et misérable, qu’il a bien voulu revêtir en couvrant sa Divinité, a été élevée en gloire, ayant été transmuée et changée, nous assurant par là que nous aurons le même sort, si nous sommes fidèles jusqu’à la mort. Divin Jésus ! fais-nous donc cette grâce de te rester abandonnés et délaissés jusqu’au trépas ! rends-nous supportables les douleurs, les souffrances et la mort par où il faut passer pour participer à la gloire que tu nous as acquise et dont tu jouis, ce qui nous réjouit ! Nous t’adorons et te louons, ne voulons adhérer ni n’aimer que toi seul, Divin Sauveur notre Seigneur ! Comme ton Père Saint et Tout-puissant t’a soutenu dans tes souffrances, t’en a rendu victorieux, fais-nous aussi la même grâce de ne pas succomber au temps d’adversité ! C’est toi-même qui dois obtenir la victoire, surmonter tous les maux, tous les travaux dont il te plaît de nous charger aussi bien que toute la misère et le péché que notre chute nous a causés ; conserve-nous dans l’abandon à ta discrétion ! Jésus Christ s’étant fait homme est notre frère aîné, la gloire qu’il s’est acquise par ses souffrances sera aussi donnée en proportion à tous ceux qui l’auront suivi, comme il dit à ses Apôtres (Matth. 19, 28) : Vous serez assis sur douze Trônes jugeant les douze lignées d’Israël. Cette gloire sera pour tous ceux qui l’auront suivi dans la régénération, lui ayant laissé opérer cet ouvrage en eux.

Il est le juge des Vivants et des morts, de tous les hommes, de toute créature, tant de ceux qui sont morts au Seigneur dès cette vie, lesquels sont bienheureux, que de ceux qui sont restés vivants en eux-mêmes, n’ayant pas voulu se renoncer ni mourir avec lui ; ils n’auront pas non plus part à sa gloire et ne pourront plus racheter le temps de grâce qu’ils ont ici tant méprisé que de ne le pas employer à apprendre à se renoncer, à bien souffrir et bien mourir à toute propre volonté, à toute convoitise et volupté, ce qui est la leçon que Dieu nous donne pour l’apprendre ici. Si nous employons autrement le temps de cette vie mortelle, il est perdu pour nous. Hâtons-nous donc de racheter celui qui nous reste encore, prenant à cœur l’exhortation du St. Apôtre : Rachetez le temps, car les jours sont mauvais ! (Éph. 5, 16).

Je crois au Saint Esprit.

C’est en vain que nous nous vantons de croire en lui, si nous vantons son opération dans nos âmes mais que nous ne nous laissons pas régir par lui ; car tous ceux qui sont conduits par l’esprit de Dieu sont Enfants de Dieu. Je vous enverrai l’Esprit de vérité (Rom. 8, 14). Ainsi il faut donc suivre ses mouvements et s’en laisser posséder en lui ouvrant son cœur ; si le nôtre est sincèrement désireux de nous laisser conduire par lui à tout bien, il nous enseignera lui-même à connaître son opération simple et pure, et nous garantira de toute séduction des esprits de mensonge qui se travestissent en Anges de lumière ; car le Seigneur garde les simples, et ne donnera-t-il pas son Saint Esprit de vérité à tous ceux qui le lui demandent ? Notre Seigneur nous assure que oui. Fions-nous donc à lui, et il nous conduira et gardera, et nous dirigera, car il demeurera avec vous et sera en vous. Il opérera l’œuvre de la régénération, car c’est lui dont notre Seigneur dit : Si quelqu’un n’est né d’eau et d’esprit, il ne peut entrer au Royaume de Dieu (Jean 3, 5).

Je crois la sainte Église universelle.

 

46. Dem. Qu’entendez-vous par l’Église universelle ?

Rép. J’entends l’assemblée des fidèles, qui sont tous conduits et régis par le Saint Esprit et qui ainsi sont le corps dont Jésus Christ est le chef ; il ne peut y avoir aucun des membres de ce Corps qui ne soit animé du même esprit et de la même vie qui anime le chef. Cette Église est universelle ou générale, parce qu’en quelque lieu du monde, dans quelque nation que ce soit, autant de personnes qui se trouvent parmi eux qui se laissent conduire par le Saint Esprit, tous ceux-là sont des membres de l’Église universelle : car c’est le caractère indispensablement nécessaire que chaque Membre de cette Église doit avoir, que d’être mû, conduit, et d’avoir la vie de l’esprit unique qui gouverne et conduit tout le corps de cette Église ; de même que chaque membre du corps humain est animé du seul et même esprit qui donne la vie et régit tout le corps, et qu’aucun membre ne peut être uni au corps et en dépendre s’il n’était vivifié d’une vie et d’un esprit particulier. C’est pour prouver cette vérité que Saint Paul compare l’Église au corps humain et dit qu’elle est le corps de Christ (1. Cor. 12).

 

47. Dem. À cette condition, vous trouverez peu de membres de cette Église, puisque bien peu d’hommes se laissent conduire par le saint Esprit : et qu’entre ceux qui ont la volonté de le faire, il y en a si peu qui connaissent encore bien ses opérations, et encore moins dans lesquels il règne et gouverne en Maître absolu, ce qui est supposé lorsqu’on dit qu’un tel homme est mû et conduit par le saint Esprit qui est sa vie.

Rép. Il est vrai qu’il y en a bien peu des uns et des autres, et c’est le grand malheur de notre temps ; cependant il y a plusieurs âmes sincères et désireuses que le Saint Esprit règne en elles ; et de telles âmes peuvent être contées être des membres de l’Église universelle, lorsqu’elles se sont données véritablement à Jésus Christ et qu’il les a prises dans sa conduite, quoiqu’elles ne soient que dans le commencement de la carrière de la foi et aient encore bien du chemin à faire jusqu’à ce qu’elles soient arrivées au but où elles peuvent dire avec vérité : Je vis non plus moi, mais Christ vit en moi (Gal. 2, 20). Car alors de telles âmes sont les colonnes de l’Église. Il suffit, pour être de ses membres vivants, d’être sous l’opération et préparation de l’esprit de Jésus Christ, qui est occupé à l’œuvre de la régénération dans une telle âme.

 

48. Dem. Ne faut-il pas que tous ces membres vivants qui composent l’Église soient d’accord entre eux en tout point à l’égard de la religion extérieure dont ils font profession ?

Rép. Cela ne se peut à présent, à cause du grand nombre et de la diversité des religions qui portent le nom de Christ, qui reçoivent toutes à la vérité l’Évangile et sont néanmoins divisées entre elles ; nous voyons que Dieu opère impartialement par son Esprit dans tous les cœurs qui se donnent à lui, uniformément, les attirant tous au renoncement à eux-mêmes et à toutes choses, à aimer Dieu de tout leur cœur. Ce qui est le grand commandement, seul nécessaire. Tous ceux qui vivent selon cette règle sont membres de l’Église, quoiqu’ils professent une religion différente extérieurement ; car Dieu regarde au cœur, et nous voyons par les relations qu’on a que Dieu a, parmi les Sauvages et d’autres nations qui ne portent pas le nom Chrétien, des personnes qui en réalité et vérité ont l’esprit de Jésus Christ en eux, pratiquant ses maximes et étant enseignés par lui dans leur intérieur, qui rendent témoignage des opérations les plus spirituelles de cet esprit et qui sont entièrement conformes à ce que les auteurs Mystiques parmi les Chrétiens en ont écrit ; ceux-ci sont et composent tous ensemble l’Église militante, qui est encore combattante et dans la préparation par l’Esprit de Jésus Christ. L’Église Triomphante est composée de tous les Saints bienheureux et des Anges.

Je crois la communion des Saints.

C’est le commerce en esprit et par le même Saint Esprit qu’ont ensemble toutes les âmes qui composent l’Église militante et triomphante, ou la Terrestre et Céleste ; commerce qui est aussi intime que la communion des membres du corps et l’aide qu’ils se donnent entre eux, selon que la même vie et le même esprit universel de l’Église les y meut et incline. Ainsi ils n’ont tous qu’à se laisser mourir à leur propre esprit et opération, et cet esprit universel les mouvra et vivifiera, et inclinera à servir les autres Membres selon que Jésus Christ les y poussera, sachant le besoin d’un chacun. Ils n’ont tous rien autre chose à faire qu’à demeurer attachés à leur chef Jésus Christ en restant abandonnés à lui ; car il faut que la communion que les membres de l’Église ont soit par l’Esprit de l’Église qui est unique, étant un seul et même esprit, et opérant toujours uniformément en tous. Aucun ne peut et ne doit donc opérer ou communiquer son esprit particulier sous quelque bonne intention que ce soit ; car ce serait une communion particulière et nuisible, et non la communion des Saints, qui sont ceux qui sont sanctifiés par l’Esprit du Seigneur. Dieu dispense ainsi à chacun selon son besoin l’aide mutuelle par les membres qu’il dirige par son esprit à s’entre-aider les uns les autres pour leur édification : et plus purement ils se laissent gouverner par cet esprit, plus l’aide que Dieu donne par leur moyen est pure et efficace, exempte de tout mélange du propre esprit. Ainsi, pour s’entre-aider réellement, il faut cesser son propre opérer et laisser opérer l’Esprit de grâce qui aidera par nous très efficacement, selon qu’il l’ordonnera, pour le solide avancement de ceux auxquels il dispense cette aide, qui est sans choix de la part des moyens que Dieu emploie à cela, qui restent passifs à son opération. Car quelque bonne intention qu’aient tous ceux qui agissent, poussés par leur propre esprit ou incités à agir par d’autres qui vivent en eux-mêmes, ils ne font que gâter et empêcher l’œuvre du Seigneur dans les âmes de bonne volonté ; car ils communiquent leur esprit particulier et non l’Esprit de Dieu ; ce sont les bergers qui n’entrent pas par la porte des brebis que Jésus Christ dit être lui-même (Jean 10. 9). C’est en quoi consiste principalement à présent la séduction, plusieurs étant venus au nom de Christ sous belle apparence, disant : Christ est ici ou là (Matth. 24, 23. Marc. 13, 21. Luc. 17, 21-23) dans ce nouveau parti et forme extérieure de Religion, dans cette communauté particulière. Croyons Jésus Christ qui dit : Ne le croyez point, n’y allez point, le Royaume de Dieu est en vous. Là, savoir dans notre intérieur, il nous communique aussi l’aide des membres de l’Église Céleste par les Esprits bienheureux qu’il lui plaît d’employer pour nous assister dans nos besoins ; nous jouissons très réellement de leur aide et communion en manière spirituelle selon leur qualités ; plus nous devenons spirituels et nous laissons dégager du sensible par l’opération de l’Esprit de Dieu, plus intimement nous jouissons de leur commerce.

La résurrection de la Chair.

Le corps mortel doit être détruit et doit être changé dans un corps immortel et glorieux, comme saint Paul l’écrit (1. Cor. 15). Ce corps ici et cette chair mortelle est le corps du péché, ou qui a été produit par le péché, est infirme et misérable, sujet à la souffrance et à mille nécessités : il est un instrument dont Dieu se sert pour humilier l’esprit hautain et orgueilleux que nous avons. Souffrons donc patiemment les maux qui nous arrivent par l’entremise de ce corps ! la souffrance est son partage ; ne l’idolâtrons pas ! car c’est un cadavre puant qui doit bientôt pourrir et n’est pas celui qui doit ressusciter (1. Cor. 15, 37. --) ; le corps qui est semé n’est pas celui qui naîtra. Quelle illusion où le péché nous a plongé ! Tout le travail de l’homme naturel ne tend qu’à le cajoler, le parer, l’enrichir ; il fait de ce cadavre son Idole. Ô Dieu, quelle folie ! il doit bientôt pourrir ; c’est un corps d’humiliation, et l’on en fait l’Idole d’orgueil que l’on encense ; toutes les pensées et intentions de l’homme naturel tendent et ont ce corps chétif pour objet.

Le corps ou la chair, la résurrection duquel nous croyons, est donc tel que celui que Dieu créa avant la chute d’Adam, et encore plus glorieux et transparent qu’il ne l’était alors, puisque la rédemption que Jésus Christ nous a acquise est si efficace qu’elle remet l’homme dans un état plus glorieux et excellent qu’Adam n’était avant sa chute, à l’égard de son esprit, de son âme et de son corps : puisque Jésus Christ nous a acquis une grâce et une vie surabondante (Jean 10, 10) par sa rédemption et que l’état d’Adam avant sa chute était un état d’épreuve où il n’a pas persisté, mais que l’état dans lequel nous ressusciterons sera un état de confirmation où nous ne serons plus sujets à la tentation de pouvoir déchoir, quoique notre dépendance de Dieu sera toujours très libre.

La vie Éternelle, que nous croyons, est l’état permanent où nous serons confirmés dans l’union divine après la résurrection de nos corps ; c’est la perfection de l’état de béatitude où nous serons à l’égard de toutes les trois parties dont l’homme est composé, l’Esprit, l’Âme et le Corps (1. Thess. 5, 23). Le corps est le dernier qui a part à la rédemption ; comme saint Paul dit, nous attendons la rédemption de nos corps (Rom. 8, 13). Son âme était renouvelée et son esprit la dominait ; il ne reste que le corps à être renouvelé, ce qui se fera pour le général des fidèles à la résurrection, quoiqu’il y en a à qui Dieu accorde la grâce de ressusciter leur corps avant ce temps, comme il est arrivé à ceux qui sont ressuscités à la résurrection de Jésus Christ (Matth. 27. v. 52) pour l’accompagner et honorer la résurrection de son corps. Élie eut la même grâce ; Hénoch et Moïse, duquel personne ne trouva le corps (Deut. 34, 6), ayant été transmué, et l’écorce, ce vieux corps, enterrée ou putréfiée par Dieu même.

 

40. Dem. La vie Éternelle ne commence-t-elle donc qu’après la résurrection de nos corps ?

Rép. Elle commence dès cette vie pour les hommes dans lesquels Jésus Christ a achevé l’œuvre de la régénération à l’égard de leur âme ; car dès que l’âme est ressuscitée mystiquement avec Jésus-Christ, étant devenue une nouvelle créature, cette âme renouvelée vit de la vie Éternelle, de la vie nouvelle que Jésus Christ lui communique, après lui avoir arraché la vieille vie du vieil Adam ; comme il dit à Marie, celui qui croit en moi ne mourra jamais (Jean 11, 26). Dès aussitôt que la foi que nous avons en Jésus Christ, par laquelle nous nous sommes abandonnés à lui, a eu son effet, l’âme ne meurt plus jamais ; elle est affranchie de la mort produite par le péché et est pour toujours vivifiée de la vie Éternelle. Mais la félicité, aussi bien d’une telle âme que de celles qui sont mortes corporellement dans cet état bienheureux, ne sera consommée et dans sa perfection que lorsque le corps sera aussi renouvelé et que ce corps ici aura revêtu l’immortel, celui-ci étant réuni à l’âme, l’homme étant alors dans l’état parfait dans lequel Dieu l’a créé.

 

50. Dem. Vous donnez donc trois parties principales à l’homme, qui composent l’homme entier dans sa perfection.

Rép. Oui, il y a trois hommes dans l’homme régénéré ou qui est dans l’œuvre de la régénération. I. L’homme spirituel ou Divin, que Saint Paul nomme aussi l’Esprit, qui est le souffle que Dieu donna à Adam en le créant (Gen. 2, 7), qui est la respiration de la vie Divine (1. Pierr. 1, 4. Jean 10, 34). C’est par son verbe qu’il lui a communiqué cette partie toute Divine, cet esprit de vie, une particule de son Être. C’est par lui qu’il l’a créé à son Image qui est le Verbe. Et qui fait que nous sommes participants de la nature Divine. Cet Esprit, que je nomme l’homme Divin, doit être le Roi qui gouverne l’homme dans l’ordre de sa création. II. L’âme est la seconde partie de l’homme ; elle est l’homme astral, formé de la quintessence des Astres ; et c’est ce que les Anges ont aussi, et ils sont à cet égard de même qualité que les hommes ; l’âme doit être sujette à l’Esprit. III. Le corps est l’homme terrien, formé de la quintessence de la terre, tel que Dieu l’a formé ; mais, à la chute, ce corps glorieux a été couvert du corps grossier que nous avons à présent, qui est comme un cercueil dans lequel notre corps glorieux est enseveli ; c’est l’écorce grossière. Au lieu donc que l’esprit était le Roi de l’homme tout entier, celui-ci étant uni à Dieu immédiatement, car Dieu est esprit, l’homme, par sa chute, a renversé cet ordre Divin. Le corps, d’esclave ou de serviteur de l’âme, est devenu le Maître, a soumis l’âme à ses convoitises et affections grossières et charnelles, entraînant toutes ses nobles facultés, sa volonté et son amour, dans la convoitise des choses grossières de ce monde.

 

51. Dem. Et où est devenu l’esprit ?

Rép. Il est retourné à Dieu qui l’a donné (Ecclés. 12, 7) ; car dès aussitôt qu’Adam s’est retiré de la dépendance de Dieu par sa désobéissance, il a perdu l’esprit ; et cet arrêt qui lui fut prononcé, dès le jour que tu en mangeras tu mourras de mort (Gen. 2), eut son accomplissement ; il mourut à l’esprit, à la vie Divine. Cet esprit ne pouvait que quitter Adam, étant une particule de la Divinité qui ne pouvait s’en séparer ni se laisser entraîner dans sa désobéissance. L’esprit retourne à Dieu qui l’a donné, et au lieu de cet esprit Divin, Adam fut couvert de ce cadavre puant ou corps grossier que nous avons, dont il eut honte (Gen. 3), ce qu’il n’avait point eu sujet d’avoir de son corps glorieux. Voilà pourquoi St. Jude nomme tous les hommes qui vivent dans l’impénitence, sans être convertis à Dieu, Gens sensuels n’ayant point l’esprit (vers. 19).

 

52. Dem. Et dans quel état est donc rendu l’Esprit à l’homme qui se convertit à Dieu ?

Rép. Dès aussitôt que Jésus Christ trouve entrée dans l’âme par son esprit, car il est le chemin, la vérité et la vie (Jean 14), il montre le chemin de la conversion à l’âme, la remet dans la vérité par le renoncement et devient sa vie. Il lui rend cet esprit qui est la vie Divine : Celui qui me mange vivra par moi, je suis le pain de vie (Jean 6). Dès qu’étant entré dans l’âme, il commence l’œuvre de la régénération ; il y met le germe du nouvel homme qui est cet esprit émané de lui ; et l’opération de ce germe, qui commence dès lors à se faire sentir à l’âme, est ce que l’on nomme, dans des écrits qui traitent plus amplement de cette matière, l’attrait du Centre. Et c’est ce que l’excellent Auteur Mystique Mr. Bertot nomme souvent le Don de la Foi ; car il est proprement l’esprit de la foi, qui est l’esprit de Jésus Christ ; qui régit, gouverne tous les Enfants de Dieu ; qui seul est leur vie. À lui seul Dieu, Père, Fils et St. Esprit, soit donné tout l’honneur, gloire et adoration par l’opération de son Saint Amour éternellement ! Ainsi soit-il ! Halleluja ! Ton règne vient ! Amen ! Halleluja !

 

53. Dem. Comme notre Seigneur Jésus Christ a donné un formulaire de Prière à ses disciples, expliquez-le !

Rép. 1. Notre Père qui es aux Cieux.

Dieu est notre Père, qui nous a créés à son Image. Il est Esprit et habite aux Cieux dans son Essence, quoiqu’il soit partout et en toutes choses par ses opérations. Les Cieux, où il est, ne sont pas seulement ceux qui sont matériellement élevés au dessus de la terre, car il est partout et remplit toutes choses ; mais notre Seigneur nous signifie par là l’adoration qu’il demande. Il dit (Jean 4, 24) : Dieu est esprit ; ceux qui l’adorent, l’adorent en esprit et en vérité. Il signifie par l’esprit dans ce passage les Cieux marqués ici, où il le faut chercher pour l’invoquer et l’adorer. Ces Cieux sont en nous, dans le Centre de notre âme ; le Royaume de Dieu, qui sont les Cieux où il est, est en vous (Luc. 17, 21). C’est le centre de l’âme où il se manifeste.

2. Ton nom soit sanctifié.

J’ai mis mon nom en eux. Ce nom est sa Parole. C’est Jésus Christ ; cette parole qui s’est fait chair et veut venir à nous, ayant pris nos infirmités et misères, venant en nous en s’étant revêtu de cette forme de chair de péché (Rom. 8, 3) par laquelle il a, pour ainsi dire, revêtu notre corruption et souffert que son Nom soit profané ou souillé par elle, quoiqu’il n’ait eu aucune part au péché. Nous le prions que ce Nom soit sanctifié ; il l’est lorsque nous lui laissons opérer l’effet pour lequel il s’est couvert de nos misères, qui est de sanctifier ou purifier nos âmes. C’est en lui laissant opérer en nous l’œuvre de notre régénération ; c’est par là que ce Nom de Dieu, sa Parole, est sanctifié et nous sanctifie, n’ayant pas dédaigné de se salir selon l’apparence et de laisser profaner sa sainteté divine et son humanité que son Nom a revêtu, pour nous tirer de l’abîme d’ordure du péché où il est descendu pour nous en tirer ; il en sort avec nous, se sanctifie et s’en nettoie, et nous sanctifie avec lui, en nous en nettoyant aussi.

3. Ton Règne vienne.

Nous demandons que le Règne de Dieu vienne. C’est que toutes les Créatures soient soumises d’une soumission volontaire à leur légitime Créateur et Seigneur. Car toutes les Créatures soupirent (Rom. 8), attendant ce règne glorieux. Nous prions en particulier que ce Règne s’établisse en chacun de nous ; qu’il y soit rétabli par le total renversement de celui de Satan et de l’amour-propre. C’est là le désir de l’âme, dès aussitôt qu’elle est convertie à Dieu ; elle ne cesse de désirer que cette œuvre s’accomplisse, et s’abandonne toujours de nouveau à Dieu pour souffrir les opérations douloureuses que causent la purification du venin du péché, malgré toutes les peines qu’elle a à supporter. Aussitôt qu’elle peut prendre haleine, ayant un peu trêves de souffrances, le désir de son cœur est toujours que le Règne de Dieu vienne en elle et se manifeste, peinée et tyrannisée qu’elle est la plupart du temps que dure cet ouvrage par le sentiment importun de sa corruption, dont elle désire si ardemment d’être délivrée. Car il faut que ce règne soit venu dans tous les Enfants de Dieu, un chacun en particulier, avant qu’il puisse venir en général et que toutes les créatures soient délivrées de l’esclavage de la vanité sous lequel elles soupirent, esclavage dans lequel elles sont assujetties à cause de nous (Rom. 8, 21) et dont elles ne peuvent être affranchies que par le rétablissement ou avènement du Règne de Dieu en nous.

4. Ta Volonté soit faite en la Terre comme au Ciel.

Nous demandons par là d’être aussi parfaitement soumis à la volonté de Dieu que tous les Saints Anges et esprits bienheureux le sont, n’ayant de félicité et de contentement que dans l’accomplissement de cette volonté Sainte ; ce qui est en quoi consiste tout leur bonheur et est aussi le nôtre, puisqu’au contraire tout le malheur de l’homme et de l’ange rebelle provient de ce qu’il s’oppose à l’accomplissement de la volonté divine, voulant vivre dans sa volonté propre et l’accomplir, ayant secoué la soumission et dépendance à cette Divine volonté. L’âme qui est convertie à Dieu et dans la conduite de son esprit sent bien qu’elle est en peine, tourment et mésaise, n’a ni paix ni satisfaction aussitôt qu’elle veut faire sa propre volonté en s’écartant de la volonté Divine et de son ordre envers elle, sous quelque apparence de raison, quelque bonne et plausible, même profitable pour son état spirituel qu’elle paraisse. Ce qui arrive souvent à de telles âmes, qui ne trouvent pas la conduite que la Providence tient envers elles conforme aux idées de Sainteté que leur propre esprit leur fournit. Si elles veulent se tirer de cet ordre pour suivre ce à quoi leur propre choix et volonté les attire, elles se trouvent dans l’inquiétude qu’apporte la multiplicité et perdent la paix intérieure qu’apporte à l’âme la soumission à l’ordre et la volonté de Dieu. Ceci est un point très important, afin de ne pas résister à Dieu et empêcher son œuvre en nous sous belle apparence ; car la propre volonté est l’ennemi le plus dangereux ; et autant que nous lui adhérons, nous empêchons l’accomplissement de cette demande. Ta volonté soit faite en la terre comme au Ciel signifie aussi qu’il ne suffit pas, afin que le règne de Dieu vienne en nous, que notre volonté supérieure unie à notre esprit soit soumise à la volonté de Dieu : mais nous demandons que la partie basse de notre âme, notre volonté inférieure et animale, aussi bien que notre corps, soit soumise à faire la volonté de Dieu. C’est aussi le désir de l’âme éprise de l’amour de Dieu, qui n’a point de cesse, jusqu’à ce qu’elle ne vive et n’agisse plus par sa propre volonté, ni pour elle-même, mais par la volonté de Dieu, par amour pour lui ; elle veut lui être soumis et dépendre de cette sainte volonté, ne désire que son accomplissement tant à l’égard des choses spirituelles que des temporelles, pour le corps, l’âme et l’esprit, afin que tout son être soit réuni dans la dépendance de cette volonté Divine ; n’ayant qu’elle pour unique but et motif en toutes choses, et ne se laissant mouvoir à rien que par ce principe de faire ou de souffrir la volonté de Dieu, à laquelle elle désire de se soumettre en effet aussi librement et avec l’amour et la complaisance qu’y prennent tous les Saints et les bienheureux dans le Ciel.

L’Esprit de Dieu travaille avec un soin continuel à rompre la propre volonté de l’âme, où il opère par toutes les créatures qui l’environnent ; et c’est pour la rendre souple, la disposant à ce que cette demande s’accomplisse en elles. Sa fidélité consiste à recevoir ainsi toutes ces contradictions par quel moyen qu’il lui arrive avec agrément de la main de son Dieu.

5. Donne-nous aujourd’hui notre pain quotidien.

Cette demande nous apprend à n’avoir point de souci pour le lendemain, mais de nous tenir en repos, abandonnés à la volonté de Dieu et au soin de sa Providence ; aussi bien à l’égard de l’âme que du corps ; comme notre Sauveur nous l’enseigne (Luc. 12, 22-31). Il suffit qu’il a soin de nous ; si nous nous sommes abandonnés à lui, étant siens, il en aura soin ; et toutes nos peines ne viennent-elles pas des soins et soucis auxquels nous adhérons pour l’avenir ? Les réflexions sur cela nous font perdre la paix et le contentement qui est, en jetant tout son souci sur Dieu, si nous sommes dans la disette pour le corps ou pour l’âme, dans la peine et douleur ; souvent le soin que cela durera toujours ou pour l’avenir nous fait souffrir davantage que la souffrance et le besoin présents que nous sentons (Hébr. 13, 5). Contentons-nous du présent ! En y restant soumis à la volonté de Dieu, nous sommes en disposition de recevoir l’effet de la vertu ou force divine qu’il nous communique en secret au fond de notre âme, pour pouvoir supporter les peines présentes : mais en adhérant aux réflexions sur l’avenir, nous nous frustrons de la grâce qu’il nous donne pour supporter l’épreuve présente.

Dieu, étant notre Père et voulant que nous le nommions ainsi, nous montre par là qu’il veut prendre soin de pourvoir à tous nos besoins, comme fait un tendre Père envers ses Enfants lorsqu’ils lui sont soumis et obéissants ; ils peuvent vivre sans souci, n’ont rien à faire qu’à obéir et dépendre de lui ; il pourvoit tout sûrement par les soins de son amour, sagesse et toute-puissance. Quelle folie a un Enfant faible et imbécile comme nous sommes de se mettre en souci pour ce qui le concerne, n’ayant ni le pouvoir ni la capacité nécessaire pour cela ? Ayons soin de dépendre de Dieu notre bon Père ! et il nous donnera suffisamment notre entretien, sans avoir soin du lendemain, soin qui nous trouble le repos d’aujourd’hui, dont il veut nous faire jouir en nous abandonnant à son soin, par lequel il veut pourvoir à tout si tendrement. Lorsque nous voulons nous pourvoir et avoir soin de nous, il nous laisse faire, et nous expérimentons comment toute notre prétendue sagesse et prévoyance n’est que folie et vanité ; il prend plaisir à renverser tous nos projets, à disperser ce que nous avons amassé, afin de nous ramener par cette expérience à vivre de sa dépendance ; il renverse tous nos projets ; il fait ronger des vers nos provisions ; il nous donne par là notre leçon. Ô Dieu ! apprends-nous donc, Père tendre et bénin, qui avec tant d’amour nous conduis par la main, à nous fier et reposer sur ta bénignité et ton soin paternel, vivant de foi et d’abandon à ta discrétion ! Tu es toi-même notre pain, Divin Sauveur ! (Jean 6). Ô Parole de vie ! c’est toi qui nous nourris et entretiens pour le corps et pour l’âme ! c’est toi qui as créé tout le monde et qui fais croître et entretiens tout ce qui sert à nous nourrir et nous vêtir ! Retires-tu ta force et ta vertu qui fait tout croître, il faut que tout périsse et soit anéanti. Tu nous en menaces, Seigneur ! et veux montrer aux hommes impénitents, par les merveilles de ce temps, qu’ils dépendent de toi, leur légitime Roi ; que tu peux ruiner la terre par la peste et la guerre et la famine, dont tu nous menaces visiblement. Ô hommes, pensez-y ! faites-y attention ! tournez au repentir hâtivement ! C’est donc de toi, Seigneur ! que nous voulons attendre notre pain quotidien sans aucun soin, vivant de ta charité et clémence, en nous contentant de ce que tu voudras bien nous donner, sans murmurer, mais reconnaissant humblement que nous ne méritons pas seulement l’air que nous respirons ; car c’est la vérité, nous vivons seulement et subsistons par ta bonté. Rends-nous seulement bien soumis à ta très Sainte volonté, que cela soit notre trésor et notre seule richesse, notre provision et tout le bien qui nous appartient.

6. Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés.

Le premier acte de conversion que l’on doit faire et qui est la preuve que notre conversion est sincère, c’est lorsque nous commençons par pardonner de cœur les fautes ou offenses que nous croyons qu’on nous a faites, ne voulant point les ressentir ni conserver aucune haine, rancune ni ressentiment contre ceux qui nous ont fait les plus noires injures et torts ; c’est ce que notre Seigneur nous signifie dans la parabole du créancier (Matth. 18). C’est par cet acte de réconciliation que nous sortons du tourbillon de colère dans lequel nous sommes entraînés par notre chute, irrités que nous nous sentons être contre toutes les créatures qui s’opposent à l’accomplissement de nos volontés ; nous croyons qu’elles nous offensent et font grand tort ; elles nous irritent et nous nous persuadons que c’est avec justice lorsque nous avons le droit de notre côté. C’est par cet acte d’humilité que nous faisons, en pardonnant de cœur et volonté toutes les fautes que l’on a commises contre nous, que nous entrons dans l’esprit humble et souffrant du Seigneur Jésus, par cette disposition qui est un cœur vraiment contrit et humilié ; ce qui provient d’une conviction foncière des offenses que nous avons commises contre Dieu ; nous sommes dans la disposition d’en recevoir le pardon que nous en demandons, et nous le recevons en effet : car cette disposition humble, qui est l’effet d’une vraie contrition, nous obtient ce pardon que Dieu est si prêt à nous donner par son amour, n’attendant pour cela que notre retour vers lui. Ce n’est donc pas simplement une demande que notre Seigneur nous apprend à faire ici ; mais c’est la disposition de cœur qu’il faut avoir et la marque certaine d’un cœur vraiment repentant et qui se convertit à Dieu qu’il nous exprime par cette demande : Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensé. La réconciliation avec Dieu suppose celle avec le prochain. Comme l’exemple que notre Divin Sauveur en donne le montre si admirablement bien dans la parabole du Serviteur qui devait à son maître (Matth. 18). Si nous voulons que nos péchés nous soient remis, il faut donc pardonner de cœur à tous nos ennemis, et ne garder aucun ressentiment d’aucun tort, d’aucun mal, d’aucun tourment qui nous soit arrivé ; et si nous demandons le pardon, ce n’est qu’à cette condition. Mon adorable Père ! donne-nous de tels cœurs ! c’est ton amour qui seul peut les changer ainsi ; de colère et vindicatifs que nous sommes, nous rendre doux et patient, sans vouloir se venger que par bienfaits. Car c’est notre devoir, et en suivant la loi du saint renoncement, nous expérimentons qu’en effet nos plus grands ennemis nous ont procuré plus de bien que nos amis ; en attendant que nous le puissions voir, croyons et soumettons-nous humblement à tout maltraitement. Il est certain que nos ennemis ne peuvent rien faire envers nous que ce que Dieu permet pour nous procurer de grands biens, si nous tournons notre œil sur lui, recevant de sa main ce qui nous peine et contrarie ; ils sont les moyens efficaces dont Dieu se sert pour atteindre son but envers nous, pour nous détacher de ce monde et des créatures, pour rompre notre volonté et nous humilier, pour nous faire souffrir et bien mourir ; ce sont les gens mal intentionnés. Les Diables et mauvais esprits, et souvent aussi nos amis, sans en avoir la volonté, nous font souffrir le plus cruellement, nous causent le plus grand tourment ; ceci est un bon exercice de patience, très propre à nous bien écraser et bien mortifier. Consolons-nous donc tous ensemble ! adorons Dieu qui est si admirable dans ses moyens ! Ce n’est que la nature qui pâtit et doit mourir, afin que l’esprit vive et fasse vivre de la vie de Dieu dès ce bas lieu. Nous pouvons pardonner facilement à ceux qui nous offensent si nous comprenons ce secret qu’ils sont nos bienfaiteurs et nous procurent tant de bien ; mais ce secret est un secret Divin qu’il faut apprendre du Sauveur en lui donnant son cœur.

7. Et ne nous induis point en tentation, mais délivre du Malin.

Quand quelqu’un est tenté, qu’il ne dise point, je suis tenté de Dieu ; car Dieu ne peut être tenté de maux, et aussi ne tente-t-il personne ; mais chacun est tenté quand il est attiré et amorcé par sa propre convoitise ; et quand la convoitise a conçu, elle enfante le péché (Jacques 1, 14-15). Voici parfaitement bien exprimée l’Origine de toutes les tentations ; elles proviennent de la convoitise qui est en nous depuis le péché. Ce n’est donc point Dieu qui nous tente, mais il nous éprouve comme il fit Abraham. Il ne tente personne ou ne l’induit point au mal. Notre Seigneur nous apprend à prier de n’être point induits en tentation ; c’est-à-dire que Dieu ne permette pas que nous y succombions, mais nous assiste de sa grâce toute-puissante afin de n’être point surmontés par les tentations qui nous arrivent et dont le Malin en est l’auteur, s’unissant à notre convoitise qu’il amorce. Il faut donc avoir son recours à Dieu dans les tentations qui nous arrivent, et tourner son cœur, ses désirs, toute son affection vers lui. C’est par cet acte de prière que la force de la tentation se rompt, car la convoitise perd sa force lorsque nous détournons l’œil de notre âme aussi bien que celui de notre corps de l’objet que nous convoitons, ne regardant pas cet objet, et le tournons vers Dieu pour prendre toute notre complaisance en lui. Alors il nous délivre du Malin et du mal, que nous étions bien prêts et en danger de commettre ; et la force de la tentation se rompt, sans autre effort de notre côté que de détourner notre regard du corps et de l’âme de l’objet que nous aimons et convoitons, et de le fixer sur Dieu seul par un regard de foi, sans objet distinct que nous nous faisons de lui, mais d’un regard général et indistinct, le regardant tel qu’il est, invisible et incompréhensible dans son Être ou en Jésus Christ, Dieu et homme, qui s’est manifesté en chair, et souffre que nous nous représentions son image pour l’adorer d’une manière distincte, conforme à ce que nos sens peuvent comprendre. Chacun doit pratiquer ce conseil dans le temps de la tentation, de la première ou seconde manière, selon qu’il y est incliné et y trouve la force et la grâce pour surmonter la tentation.

Car à toi appartient le Règne, la puissance et la gloire aux Siècles des Siècles ; Amen !

Oui, Seigneur, notre Dieu ! nous t’adorons et prosternons aux pieds de ton Trône, reconnaissons que c’est à toi qu’il appartient de régner. Règne sur nous, en nous, en Maître Souverain ! car c’est à toi qu’il appartient. Soumets-nous sous ton saint Empire et captive nos volontés, que nous n’en soyons plus les maîtres, mais te les ayant données, qu’il ne soit plus dans notre pouvoir de les reprendre, ni de révoquer la donation entière que nous t’avons faite de nous-même ! Oui, que nous soyons tes esclaves jusqu’à la mort et aux siècles des siècles dans toute l’Éternité ! Ô Dieu de vérité ! prononce toi-même l’Amen ! (Apoc. 3, 14) par ta Parole, qui est l’Amen lui-même et accomplit, effectue ce que je dis et qu’il nous enseigne de dire : ainsi soit-il ! ton saint nom soit béni ! Ô Dieu de vérité ! Ô Dieu qui es la charité ! ton feu Divin brûle sans fin et nous transforme en toi, notre saint Dieu tout-puissant, notre Roi !

 

 

 

 

 

 

Remarque sur le premier Article du Symbole :

Créateur du Ciel et de la terre.

Gen. 1. v. 1.

 

Dieu créa au commencement les Cieux et la terre, et il est dit au verset 8me : Dieu nomma l’étendue Cieux. Cette étendue ici qui est nommée Cieux, que Dieu créa de la terre qui était sans forme et vide, ou bien du Chaos, ne sont pas les Cieux dont il est dit au 1er Verset que Dieu les créa au commencement, qui sont les Cieux que St. Paul nomme le troisième Ciel, et celui des étoiles fixes, demeures des Anges depuis le commencement que Dieu les créa : et les Cieux qui furent formés lorsque Dieu puis après sépara et mit en ordre la matière du Chaos (vers. 8) sont les Cieux des Planètes et l’étendue dans laquelle elles se meuvent, ce qui est clair par ce passage.

 

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Les Dix Commandements

de la Loi de Dieu.

 

Exode 20. Écoute, Israël ! je suis l’Éternel ton Dieu.

 

LA première disposition que Dieu demande de tous ceux qui sont Israélites selon l’Esprit, c’est l’attention du cœur. J’écouterai ce que dira le Dieu fort (Ps. 85, 9). C’est écouter non seulement les paroles et commandements de Dieu, qui nous sont prêchés extérieurement et que nous lisons, mais c’est de faire attention à ce que Dieu parle dans l’intérieur de notre âme. Ô soyons donc attentifs à ce qui se fait sentir dans notre intérieur ! Écoutons et suivons la voix et les admonitions de notre conscience ! Mais si nous sommes déjà du nombre de l’Israël de Dieu, écoutons sa voix qui est l’opération de son verbe dans le centre de notre âme ; car c’est là son sanctuaire très saint, où il parle et commande et opère ce qu’il ordonne ; c’est l’attrait du centre qui est sa voix et son parler. C’est en évitant les distractions, cherchant le silence et la retraite autant que notre état le permet, évitant les distractions et de nous occuper des choses de ce monde, ne désirant pas de savoir ce qui ne nous regarde pas, que nous acquérons la disposition d’écouter Dieu qui parle en nous ; car l’ennemi et la nature corrompue met à tâche de nous détourner de l’attention aux opérations de Dieu en nous. Écoutons donc ! soyons attentifs envers notre Seigneur, notre Dieu, auquel nous appartenons, en tout temps, et en faisant les œuvres de notre vocation, aussi bien que pendant le temps destiné à l’oraison ! et c’est par une telle habitude de vivre recueillis dans la présence de Dieu que nous croîtrons dans le renoncement à nous-mêmes et à toutes choses.

 

Qui t’ai retiré du pays d’Égypte de la maison de servitude.

 

Les âmes qui vivent dans une véritable attention de cœur à Dieu sont celles qui sont délivrées de la servitude d’Égypte, c’est-à-dire qui ont passé par les travaux de la première conversion ; qui sont attirées de Dieu dans le Centre de leur âme hors de la région astrale, c’est-à-dire des sens et de leur imagination, où se forment les pensées par la suggestion de la raison et de l’amour-propre, Dieu leur ouvrant et faisant connaître ce que c’est que l’attrait du Centre, qui est la voix, l’opération et l’attrait de Dieu, qui incline l’âme dont il a pris possession, opérant ce qu’il parle en elle par Jésus Christ son Verbe. Ce Verbe commençant donc alors d’opérer efficacement, l’âme est retirée par lui hors de la partie basse d’elle-même, où elle était auparavant et y avait sa demeure, devant alors faire attention à ce qui s’y passait, à prendre garde aux pensées diverses qui s’y formaient pour les distinguer, afin de rejeter les mauvaises et de suivre les bonnes ; ce qui la retenait dans la multiplicité et l’empêchait, quoiqu’occupée à ce bon travail, de parvenir à l’attention nécessaire pour arriver à l’unité et au repos, où conduit le verbe qu’il faut écouter tout seul, sans plus faire attention aux autres paroles ou voix qui se font entendre dans la partie sensitive de l’âme, assujettie à la région astrale, où tout les esprits bons et mauvais ont le pouvoir de faire entendre leurs voix. Écoute donc, Israël, ton Dieu, et n’écoute plus que lui seul ! Il te retire de la multiplicité des travaux d’Égypte, qui représente la région astrale. Il te transmet dans la région de l’Esprit, où le verbe Dieu fait seul entendre sa voix et demande que tu lui donnes à lui seul toute ton attention, à l’exclusion de toute autre voix, quelque bonne qu’elle soit et quelque bonne chose qu’elle prononce.

 

I. Tu n’auras point d’autre Dieu devant ma face.

 

C’est Dieu seul qui doit être l’unique objet des regards de notre âme, c’est-à-dire de son amour, de son affection et de tous ses désirs, de ses inclinations. Dieu seul en lui-même doit faire son objet ; car c’est par cette disposition générale de son cœur que l’homme vit et est en la présence de Dieu sans interruption. Autant que nous donnons quelque partie de toute l’affection de notre âme à autre chose, soit à nous-même ou autre créature, nous en faisons par là un autre Dieu que nous adorons, et nous contrevenons à cette défense : Tu n’auras point d’autre Dieu devant ma face. Oui, mon Dieu ! car c’est toi seul qui es aimable ; c’est pour t’aimer ou t’adorer uniquement que tu nous as créés ! car ce que l’on aime l’on l’adore. Aimer c’est adorer en réalité et vérité.

 

II. Tu ne te feras point d’image taillée, ni aucune ressemblance des choses qui sont là haut aux Cieux, ni ici bas sur la terre, ni dans les eaux sous la terre.

Tu ne te prosterneras point devant elles et ne les serviras point : car je suis l’Éternel ton Dieu, le Dieu fort, qui est jaloux, punissant l’iniquité des Pères sur les Enfants, jusqu’à la troisième et à la quatrième génération de ceux qui me haïssent ; et faisant miséricorde en mille générations à ceux qui m’aiment et qui gardent mes commandements.

 

Le sens littéral de ce commandement est assez connu, qui défend toute les idolâtries grossières et les adorations des idoles ou marmousets, pratiquées parmi les païens. Ainsi nous ne nous y arrêterons pas et poursuivrons l’idolâtrie spirituelle et commune qui nous regarde. Nous avons dit dans l’explication du premier commandement que ce que l’on aime l’on l’adore ; l’objet auquel l’on donne son amour et son affection est l’idole que l’on encense et que l’on adore, quelle créature que ce soit ; elles sont toutes comprises dans ce qui est nommé ici. Par les choses qui sont aux Cieux, dont il est défendu de se faire des images taillées, sont signifiées les choses qui sont invisibles à nos yeux grossiers : ce sont les saints Anges et esprits bienheureux, et leurs demeures magnifiques, les mondes Célestes, dont notre Seigneur dit : Il y a plusieurs demeures dans la maison de mon Père (Jean 14, 2). Il est défendu ici de se faire des images taillées de ces esprits bienheureux pour les adorer. Les images taillées sont celles que nous nous représentons ou formons nous-mêmes, qui sont les productions de notre propre esprit et imagination, et qui n’ont ni réalité ni vérité que dans cette imagination qui est fausse et trompeuse. Il faut donc mourir à son propre esprit à l’égard de ces choses qui sont là-haut aux Cieux, et aussi aux choses spirituelles et Divines, qui sont Célestes ; ne s’en faire pareillement point d’images que l’on adore. Ce sont toutes les connaissances que l’on a des choses spirituelles et Divines, en images et selon que notre propre esprit est capable de les concevoir : il ne faut point s’y attacher ni leur donner son affection. Non seulement il ne faut point s’en tailler des images comme cela est si commun parmi les personnes pieuses, qui en font leurs idoles, étant les productions de leur propre esprit ; mais même les connaissances véritables qui leur sont données de Dieu comme des dons pour leur instruction, il ne faut point leur donner son affection en s’y attachant, sans quoi on en fait des idoles ; car tout ce qui peut être compris et conçu par la capacité de l’esprit humain concernant Dieu et les choses Divines est bien quelque chose de Dieu, mais n’est pas Dieu. L’âme ne doit pas s’y arrêter, ni s’y attacher. C’est à Dieu seul en général comme il est dans son Être, immense et incompréhensible comme il est à toute créature, que nous devons adhérer et nous attacher uniquement, en foi générale et qui n’admet aucune image ou chose distincte ; car tout cela n’est pas Dieu. Il veut être adoré dans son immensité en foi obscure pour notre entendement, auquel Dieu est incompréhensible.

Ainsi il n’est pas nécessaire de se faire une idée distincte de Dieu dans l’oraison pour l’adorer ; il ne faut que l’aimer, lui offrant tout son cœur, pour qu’il en prenne possession comme en étant légitime Seigneur auquel nous le rendons et l’adorons, voulant l’aimer uniquement sans partage aucunement.

Il n’est rien excepté ; nous ne devons rien adorer, non plus des choses Célestes que des terrestres : toutes les choses qui sont sur la terre sont pour nous servir d’entretien, et non pour nous captiver : car nous sommes captifs de l’objet auquel nous donnons notre cœur ; c’est là ce que nous adorons. Ainsi celui qui s’attache à or, argent, ou à quoi que ce soit des choses de ce monde, les adore et est leur esclave, renverse l’ordre de Dieu, pèche contre ce commandement : Tu ne te prosterneras point devant elles. La prosternation représente la soumission et assujettissement où nous sommes à l’égard de la chose, à laquelle nous donnons notre amour ; car nous nous en rendons esclaves, et cet esclavage est représenté par la prosternation extérieure. Les choses qui sont dans les eaux, qui sont sous la terre, sont les Esprits malins, qui y ont leur demeure et auxquels Dieu défend d’adhérer et de les adorer.

Dieu est jaloux de l’amour et de l’adoration que nous lui devons, et les injures que nous lui faisons en rebutant son amour, qui demande que nous lui donnions le nôtre, retombent sur nous et causent nos maux et châtiments.

 

Punissant l’iniquité des pères sur les enfants jusqu’à la troisième et quatrième génération de ceux qui me haïssent.

 

Cela semble être contraire à ce qui est dit ailleurs, que les Enfants ne porteront point l’iniquité des Pères (Ézéch. 18, 20). Ainsi cette troisième et quatrième génération des méchants sont ceux qui suivent leur train et sont leurs enfants dans la méchanceté de leurs esprits. Car pour ce qui est de leurs enfants naturels, s’ils ne suivent point le mauvais train de leurs Pères, leurs iniquités ne leur sont point imputées. Dans la troisième et quatrième génération ; cela marque que la génération des pervers ne sera pas de grande étendue, puisqu’elle ne va qu’à la trois et quatrième. Et cette génération me paraît signifier, sous ce nombre de trois et quatre, le temps qu’elle doit subsister dans ce monde, le temps qu’il durera qui est 4000 ans. Chaque génération étant contée pour 1000 ans, après quoi l’iniquité, la génération dans ce monde pervers prendra fin, aussi bien que ce monde corrompu. Et la génération des justes sera en mille ; tant Dieu les fera fructifier en enfants spirituels, de siècles en siècles ; ils éprouveront la miséricorde de Dieu. Ainsi ne nous affligeons pas de voir le mal ainsi régner comme il fait dans le monde ; il prendra bientôt fin, le Diable joue de son reste, le Règne de Dieu viendra à son tour, qui durera de siècle en siècle et d’Éternité en Éternité ; loué soit Dieu !

 

III. Tu ne prendras point le nom de l’Éternel ton Dieu en vain, car l’Éternel ne tiendra point pour innocent celui qui aura pris son nom en vain.

 

Nous prenons le nom de Dieu en vain non seulement en le prononçant mal à propos, mais surtout lorsque nous nous attribuons le nom de Dieu qui est Jésus Christ et les mérites de sa mort et de tout ce qu’il a fait pour nous, sans avoir une volonté déterminée de nous convertir à Dieu et de renoncer à nous-mêmes, afin que ce nom de Dieu, sa parole, opère en nous et produise son effet. C’est alors en vain et inutilement que nous nous l’appliquons et nous en vantons : car il faut lui laisser opérer en nous l’œuvre de la régénération, si nous voulons le prendre ou l’accepter efficacement lorsqu’il se présente et s’offre à nous, frappant à la porte de notre cœur. Il ne faut pas le laisser frapper en vain et se flatter pourtant de l’application de ses mérites. Car cela est prendre véritablement le nom de Dieu en vain, sans en recevoir aucun fruit.

 

IV. Souviens-toi du jour du repos pour le sanctifier. Tu travailleras six jours et tu feras toute ton œuvre : mais le septième jour est le repos de l’Éternel ton Dieu. Tu ne feras aucune œuvre en ce jour-là, ni toi, ni ton fils, ni ta fille, ni ton serviteur, ni ta servante, ni ton bétail, ni ton étranger qui est en tes portes. Car l’Éternel a fait en six jours les Cieux et la terre, et la mer, et tout ce qui est en eux, et s’est reposé le septième jour ; c’est pourquoi l’Éternel a béni le jour du repos et l’a sanctifié.

 

La création du monde, que Dieu a fait en six jours, représente admirablement bien la création nouvelle de l’homme, qui est dans son état d’impénitence un véritable Chaos. Ce travail de Dieu pour créer de ce Chaos la nouvelle créature est le même que celui qu’il a fait à la création du monde. Il se fait par la Parole Dieu dit ; et le St. Esprit se meut et opère ce que la Parole prononce. Ces six jours représentent le temps que cet Esprit saint opère cette création de la nouvelle créature par le St. Esprit : son travail est de séparer la lumière des ténèbres et de mettre en ordre ce qui était en confusion ; de purifier et consumer le venin de la corruption : c’est là le travail de Dieu. Il se repose lorsqu’il est achevé : non qu’il cesse d’opérer, mais c’est une opération qui est un repos, parce qu’alors que la nouvelle créature est recréée, il ne travaille plus à détruire la corruption qui s’opposait à son opération, car elle est anéantie : mais il opère en faisant dans et par cette nouvelle créature toutes ses volontés. Ne trouvant plus de résidence, il se repose dans cette âme renouvelée ; son travail en elle est un repos ; il la meut et régit tout tranquillement et aussi naturellement comme notre âme donne le mouvement et la vie à notre corps. La fidélité de l’âme consiste à se laisser mouvoir et vivifier par lui. Mais que dis-je ? elle ne peut autrement, elle est transmise dans le Sabbat éternel : car ces commandements ici ne sont autre chose que l’expression de ce que fait l’âme par son instinct naturel lorsqu’elle est renouvelée, les ayant gravés de Dieu dans son cœur. Elle laisse alors aussi de son côté opérer Dieu en elle et repose de ses propres œuvres et de toute son activité : car elle est charmée de la vie de Dieu, sachant que tout ce qu’il ne fait pas et n’opère pas lui-même et purement par son esprit n’est rien que vanité et tromperie, une ombre sans réalité. C’est pourquoi elle ne veut et ne peut rien faire que ce que Dieu par son esprit fait et opère en elle ; car il est sa seule vie. Elle repose ainsi et observe le Sabbat éternel, mais elle n’est pas oisive, non plus que Dieu n’est pas oisif en elle ; car il vit, et par conséquent il opère en elle selon son bon plaisir les œuvres les plus excellentes pour sa gloire et le bien du genre humain. Ce commandement de ne point travailler le septième jour est aussi très nécessaire à observer selon la lettre pour tous les hommes en général et est un jour que Dieu donne afin qu’on l’emploie à vaquer à l’oraison en se reposant des œuvres temporelles. Il est très nécessaire de le consacrer à Dieu particulièrement, en se recueillant dans ce jour et employant ainsi le temps que l’on y a plus de loisir que les autres à s’occuper de Dieu dans la retraite, qui est ce qu’on y peut faire de meilleur, en s’exposant devant lui et lui ouvrant son cœur, le lui mettant à découvert afin qu’il l’examine et toutes nos intentions, renouvelant nos résolutions de renoncer à nous-même et à toutes choses, désirant de l’aimer purement et de lui appartenir sans réserve. Cela est le but de Dieu en ayant établi un jour de la Semaine pour le repos, qu’il est très utile d’observer, en se dégageant des distractions que causent les occupations de cette vie. Et ainsi il faut en faire bon usage, et le temps que l’on n’emploie pas aux exercices publics usités dans la religion où l’on est doit être consacré à Dieu dans la retraite. Et c’est une fausse liberté que plusieurs spirituels, ou qui prétendent l’être, se donnent, sous prétexte d’une liberté Chrétienne, de ne vouloir pas se soumettre à cette ordonnance générale, parmi tous ceux qui portent le nom Chrétien et parmi les juifs, d’observer le jour du repos, soit le Samedi par les uns et le Dimanche par les autres : car quoiqu’on abuse beaucoup de ce jour-là, l’employant souvent à des choses plus criminelles devant Dieu que n’est le travail, en divertissements et autres choses inutiles, cependant c’est une régie très bonne et louable à observer en général. Et ceux qui abusent de la liberté que Dieu a voulu donner aux hommes pour se reposer dans ce jour-là, qui lui doit être consacré d’une manière particulière, en portent la faute pour eux-mêmes. L’on ne doit pas pour cela en priver ceux qui le veulent employer selon l’intention de Dieu. Et ceux qui se sont véritablement consacrés au Seigneur et s’appliquent à changer toutes leurs occupations et leur travail dans une prière continuelle, en le faisant en la présence de Dieu, doivent par humilité et condescendance pour le prochain s’abstenir de travailler ce jour-là, pour leur propre utilité et pour éviter le scandale que l’on en prend avec raison ; cela étant une fausse liberté que l’on se donne sous prétexte d’une spiritualité mal entendue.

 

V. Honore ton Père et ta Mère, afin que tes jours soient prolongés sur la terre que l’Éternel ton Dieu te donne.

 

Ceci marque la soumission, le respect et l’obéissance que tous les Enfants doivent indispensablement à leurs Pères et Mères principalement : sous quelque prétexte que ce soit, personne ne peut s’en dispenser, au moins qu’ils ne voulussent de leurs Enfants des choses qui sont manifestement contraires à ce que Dieu nous commande. Hors de là, les Enfants qui veulent se conduire selon la volonté de Dieu ne peuvent trop être exacts à observer ce commandement, et doivent bien se garder d’y contrevenir, tâchant en toutes choses et en toute occasion de leur témoigner respect et obéissance. Les Enfants auxquels Dieu fait la grâce de les attirer à lui et qui voient que leurs Parents n’ont pas autant de piété et de crainte de Dieu qu’eux ont fort sujet d’être sur leur garde pour ne les pas mépriser, ni sous prétexte de piété se dispenser de l’obéissance et du respect qu’ils leur doivent : car c’est un abus fort commun et par lequel ils se font un grand tort. Si les Enfants ont un commencement de conversion et de piété solide, c’en est une marque certaine que l’obéissance, la vénération et le respect qu’ils doivent montrer à leurs Pères et Mères plus exactement que ne sont les gens du monde, quand même ces parents sont des mondains et leurs sont contraires dans le chemin de la piété. Combien plus le doivent-ils observer lorsque leurs Pères et Mères ne leur sont pas contraires ou ont eux-mêmes un commencement de conversion, marchant avec leurs Enfants dans les voies de Dieu ? Certainement ils leur doivent doublement le respect et l’obéissance, et doivent supporter leurs faiblesses et défauts avec grand amour et support, se bien garder de les juger et de les mépriser. Car c’est le premier commandement avec promesse (Éphés. 6, 2). Il faut donc observer envers de tels parents exactement le renoncement au propre esprit et à la propre volonté : ceci est de très grande importance à observer si l’on veut faire son devoir et croître solidement dans le renoncement, ne pas se faire illusion pour sa condamnation. C’est un abus commun et très mauvais que les Enfants de nos jours secouent volontiers le joug de leurs parents sous prétexte de piété, ce qui ne peut être assez réprimé : car la vraie piété aime la dépendance et l’obéissance. Plus elle est pratiquée non seulement envers les Pères et Mères, mais aussi envers tous ceux qui ont quelque droit sur nous par le parentage naturel ou par notre condition comme sujets ou serviteurs, plus c’est une preuve certaine que notre piété est de bon aloi : car si elle nous pousse à nous rendre libre de la dépendance, soumission et obéissance, elle est assurément fausse, et nous nous trompons nous-même. Remarquez bien ceci, ô vous Enfants et jeunes gens touchés de Dieu, pour ne pas tomber en fausse liberté, en orgueil et indépendance, en propre choix et propre volonté, ce qui vous sera funeste : et dans ce point Satan ne manquera pas de vous tenter souvent de changer votre état sous belle apparence de servir Dieu mieux et avec moins d’empêchement ; mais c’est d’ordinaire artifice de la nature et de Satan ; pour vous faire illusion, il se déguise en ange de lumière. Ne vous croyez pas vous-mêmes ni ces suggestions, et soyez très certains qu’en demeurant dans l’obéissance et la dépendance avec humilité, faisant de cela votre principal devoir pour l’amour de Dieu, vous trouverez dans cet exercice de renoncement peu à peu le vrai contentement et le solide avancement, quoique sans éclat ni brillant. Prenez en cela pour modèle et pour régie ce qui est dit du Divin Enfant Jésus : Et il leur était soumis (Luc. 2, 51).

Il est presque superflu de dire ici que cette obéissance et dépendance, cette soumission est requise de même des Enfants de grâce envers les parents de grâce que Dieu leur a donnés, puisque c’est en quoi consiste la paternité et maternité spirituelle. Car lorsque Dieu indique à une personne qui s’est donnée à lui un guide ou Directeur, il lui fait connaître en même temps que toute l’utilité et la grâce que Dieu lui veut communiquer par le moyen de telles aides dépend de l’obéissance et de la dépendance qu’un tel enfant spirituel rendra à ses parents de grâce, sans quoi ils ne lui pourraient servir en aucune manière ; la grâce ne leur est communiquée pour aider de tels Enfants qu’autant que ceux-ci sont dans la disposition de leur obéir et de les croire aveuglément sans se consulter en aucune manière en ce qu’ils leur disent : puisque ce n’est pas comme des créatures faillibles et sujettes à se tromper, comme elles le sont en effet, qu’ils les regardent, mais comme étant adressés de Dieu à eux ; et posé pour fondement ce qui doit toujours être, à savoir que c’est Dieu qui leur a donné ces parents de grâce, ils doivent regarder Dieu en eux et se confier en lui, qui ne permettra pas qu’ils soient trompés s’ils ont l’intention sincère de suivre Dieu, d’obéir à Dieu et de le croire, lui qui les a adressés à de tels moyens pour leur donner à connaître sa volonté. Ainsi c’est à Dieu qu’ils se confient, et non à la créature ; et il ne leur manquera pas et ne permettra pas qu’ils soient trompés, en vertu de la foi, de la confiance et du renoncement à leur propre esprit et volonté qu’ils pratiquent pour l’amour de Dieu, et d’où dépend tout leur avancement. Car Dieu garde les simples.

 

VI. Tu ne tueras point.

 

Non seulement il est défendu par ce commandement de tuer qui que ce soit corporellement, mais toute haine et aversion est défendue, tout mauvais traitement, vengeance et dépit contre qui que ce soit. Car celui qui hait son frère est un meurtrier. Ceci s’étend encore bien plus loin dans le spirituel et défend que nous dirigions la passion de colère ou notre magie contre quelqu’un pour l’obliger, par la force de cette magie que nous lui faisons sentir dans son âme, à faire ce que nous désirons de lui, à quoi il résiste. Ce qui est tel qu’on peut faire souffrir cruellement les personnes auxquelles on s’applique ainsi par sa magie, en se les voulant soumettre et les forcer à faire sa volonté. Oui, il y a de tels esprits magiques qui sont capables de tuer ceux qui ne se veulent pas soumettre à eux, si Dieu le leur permettait ; ceci est un meurtre spirituel, tout aussi criminel et davantage que de tuer corporellement. Et malheur à ceux qui se servent ainsi de leur force magique ! car c’est crime de sortilège. Cependant cette manière d’opérer sur les âmes devient toujours plus commune de nos jours et se pratique plus des personnes qui veulent être spirituelles que des autres mondains qui ignorent ceci : car ils croient rendre service à Dieu en opérant de cette sorte par leur amour magique pour gagner par cet amour les âmes, les attirer dans leur parti et dans leur sentiment et se les soumettre : ce que font surtout les chefs et auteurs des petites sectes d’aujourd’hui, qui se multiplient sans nombre, croyant par là rendre service à Dieu ; et si la force magique de leur amour ne suffit pas pour gagner ceux auxquels ils s’adressent, ils emploient celle de leur colère, de la malédiction, dont ils menacent et qu’ils font sentir vivement, pour terrasser et surmonter, obliger de se soumettre à eux, d’entrer dans leur parti ceux qu’ils n’y ont pu obliger par leur amour et leur douceur et caresse magique. Contre toutes ces choses, il faut se tenir uniquement et simplement attaché à Dieu, ne voulant ouvrir son cœur qu’à lui seul, se confier en lui, car il garde les simples qui ne prétendent que de l’aimer purement et simplement.

 

VII. Tu ne paillarderas point.

 

Toute impureté et impudicité est ici défendue. Mais qui nous dira jusqu’où s’étend cette défense dans le sens spirituel ? Certes ! ce n’est que lorsque l’on se détermine à aimer Dieu uniquement qu’on expérimente combien l’on est souillé et corrompu par l’amour pour la créature. Car autant qu’on lui donne son cœur, son amour, son inclination, l’on s’unit avec elle, l’on paillarde avec elle ; c’est une fornication, quelle qu’elle soit, créature animée ou inanimée. Dieu seul doit posséder notre amour, c’est lui auquel nous devons être unis : et c’est pour rentrer dans cette union qu’il faut se convertir à lui. Ainsi tous les attachements humains sont paillardise, quelque légitimes qu’ils nous paraissent. Mais ce n’est qu’avec le temps, en étant fidèles à Dieu et nous laissant à son opération, qu’il nous découvre notre fornication. C’est inutilement qu’on voudrait accuser des hommes, vivant dans leur nature, de paillarder, parce qu’ils aiment la créature ; ils le prendraient pour imposture et calomnie, et s’en défendraient vivement. C’est en s’étudiant à aimer Dieu uniquement qu’on apprend cette vérité : son esprit saint nous découvre alors notre impureté.

De même que c’est être meurtrier que de forcer ainsi par sa magie, comme il a été dit dans le précédent commandement, ainsi c’est paillarder que d’attirer à soi par la magie de l’amour ; c’est un enchantement et ensorcellement très criminel. Ô ! si tous ceux voulaient faire attention qui à bonne intention sont si fort zélés et empressés à convertir à eux et à faire parti, croyant rendre service à Dieu par leur activité à travailler ainsi, qu’ils seraient étonnés et remplis de frayeur en découvrant leur esprit meurtrier et leur impureté ! Car ils sont adultères en s’unissant et en cherchant la créature, et l’attirant à eux. Ils crucifient le Seigneur, étouffent le Divin Enfant Jésus dans les âmes où il est né et doit bientôt paraître et se manifester : leur manœuvre est tromperie, tuerie et paillardise. Car c’est au seul amant Divin qu’il faut nous attacher, pour le craindre et l’aimer, lui consacrant tous nos désirs, tous nos soupirs, et nous servir les uns les autres par la pureté de l’amour Divin, sans attirer à nous, mais au Sauveur qui seul doit posséder tout notre cœur. Car la loi est spirituelle (Rom. 7, 14). Pensez-y bien ! vous, âmes qui voulez être amateurs de Dieu et désirez de l’aimer purement uniquement ! L’Époux dit de l’Épouse, qui est notre âme : Tu es un jardin clos, une source close (Cant. 4, 12). Tous les hommes, tous les Esprits en cherchent ardemment l’entrée. Mais tenez-la fermée ! si vous ne voulez pas violer ce commandement dans son vrai sens, qui n’exclut nullement le sens littéral qui doit toujours l’accompagner et n’en peut être séparé : car Jésus Christ nous appelle à la pureté de corps et d’esprit.

 

VIII. Tu ne déroberas point.

 

C’est la propriété qui est le grand larron et qui ne vit que de rapine. Nous dérobons à Dieu tout ce que nous nous approprions ; car tout lui appartient et est son bien, nous sommes à lui nous-mêmes, et combien plus nos biens. C’est donc en lui rendant son bien, en rentrant dans sa dépendance que nous lui rendons le larcin que nous avons volé. Ceci est ce que signifie le renoncement, où il faut entrer, se laissant dépouiller de toutes choses en faveur de l’amour Divin auquel tout appartient.

 

IX. Tu ne diras point faux témoignage contre ton prochain.

 

Ce commandement se rapporte à celui de notre Sauveur qui dit : Ne jugez point afin que vous ne soyez point jugés (Matth. 7, 1). Car si nous jugeons faussement et selon les apparences, nous rendons faux témoignage : ce qui arrive très souvent, l’homme animal ne comprenant point les choses qui sont de l’esprit de Dieu (1. Cor. 2, 14). Ainsi il juge faussement et témérairement de ceux qui sont conduits et mus par l’esprit du Seigneur, qui règne dans leur cœur. Il faut donc juger sobrement de ce que nous n’entendons pas et ne comprenons pas ; surtout envers ceux-là, où nous voyons les caractères de l’humilité, de l’innocence, de la pureté ; car c’est ce qui trompe le moins et par quoi l’on peut le mieux distinguer ceux qui sont vrais spirituels. Car les faux font plus grand éclat, brillent par leurs talents et font grand bruit ; ils n’aiment point la vie cachée, mais à paraître et à se faire voir. Nous aimons l’inconnu et désirons que Dieu seul soit connu, soit servi, soit aimé et bien cherché où il est à trouver, dans notre propre cœur, au fond de notre intérieur, là où est le témoin de vérité qui contredit à toute fausseté, à tout mensonge, et qui là nous instruit selon la vérité, bannissant toute fausseté, toute malice, tout artifice ; c’est de ce témoin fidèle et véritable que nous témoignons ; c’est lui que nous recommandons, comme celui qui est suffisant à tout jusqu’au bout.

 

X. Tu ne convoiteras point la maison de ton prochain ; tu ne convoiteras point la femme de ton prochain ; ni son serviteur, ni sa servante, ni son bœuf, ni son âne, ni aucune chose qui soit à ton prochain.

 

Contentez-vous de ce que vous avez présentement (Hébr. 13, 5).

Les commandements de la Loi et ceux de l’Évangile s’accordent très parfaitement. L’humilité, qui naît de la connaissance de nous-même, de notre misère et de notre indignité, nous garantit de convoiter. Car alors nous sommes bien convaincus que nous ne méritons pas seulement le bien dont Dieu nous favorise ; ainsi nous nous en contentons et en rendons actions de grâce, sommes reconnaissants envers ce Dieu de charité qui nous comble de sa bonté. Il faut, pour être garanti de convoitise, recueillir assidûment et fréquemment, oui sans cesse, tous ses désirs, tout son amour vers Dieu en grande humilité, non en désirant de grands dons ni connaissances, mais de l’aimer uniquement, de lui appartenir et de lui obéir. En faisant ce retour vers lui de volonté et de pensée, lorsqu’on s’en est distrait, tâchant continuellement tranquillement de concentrer et rassembler ainsi tous ses désirs, toutes ses affections, tout son amour vers lui, nous oublions de convoiter toute autre chose, même les plus excellents dons ; et Dieu nous purge peu à peu de cet amour et convoitise des créatures ; il accomplit en nous le grand commandement : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta pensée et de toute ta force (Marc. 12, 30). Toute la force de notre âme, qui est notre Magie, doit donc être rassemblée et occupée avec toutes ses facultés marquées en détail dans ce commandement, à aimer notre Dieu uniquement, sans vouloir autre chose, nous en occuper ni les convoiter. Apprends-nous-le Seigneur, qui es toi seul notre Divin Docteur ! car toi seul peux accomplir ce commandement en nous, en purifiant nos pauvres âmes toutes souillées et pénétrées du venin du péché, de l’amour-propre et de l’amour des créatures. Nous te présentons pour cela ce cœur, ô notre Dieu ! notre Sauveur ! unique Rédempteur ! Purifie-le par ton sang que tu as répandu pour cela, et le remplis et l’enflamme de ton amour pur et Divin par lequel alors nous accomplirons, ou plutôt toi, charitable Sauveur ! nous apprendras à aimer notre prochain comme nous-mêmes ; que, comme tu nous as aimés, nous nous aimions aussi en toi par ton amour et pour toi purement. C’est ce que nous espérons et attendons, étant le but de toutes tes opérations en nous. Car c’est toi, ô Seigneur Jésus Christ ! qui es l’accomplissement de la Loi (Rom. 10, 4) en nous ; lorsque tu t’es recréé en nous dans la nouvelle créature, la loi est accomplie. C’est toi qui l’accomplis parfaitement. En attendant, il faut que chacun s’étudie à régler toute sa vie et sa conduite conformément à ces Divins commandements.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Remarque

à la Réponse de la 31e Demande

pag. 36.

 

L’Auteur, disant que sans la Communication de la Vertu et force de Jésus Christ, et sans la participation de sa Divinité, aucun homme n’aurait pu supporter la purification sans être anéanti physiquement, ce qui aurait été possible supposé la toute-puissance de Dieu.

L’Auteur ne veut pas dire par là que ni les damnés ni les démons seront anéantis physiquement ; car dans ses autres Écrits il soutient par des preuves évidentes que les démons et les damnés seront forcés après bien des tourments de se soumettre à la fin à Jésus Christ, et qu’ils seront sauvés par là et par les mérites de Jésus Christ. Mais il veut dire que c’est justement pour n’être pas anéantis physiquement (ce qui aurait été possible supposé la toute-puissance de Dieu) que Jésus Christ leur a mérité et acquis la grâce nécessaire pour pouvoir supporter le feu consumant de la purification, dans laquelle les damnés et les démons entreront après avoir soumis leur volonté rebelle à Jésus Christ ; car c’est alors que leur état de damnation se changera en un état de purification.

 

 

 

Charles Hector de SAINT-GEORGES DE MARSAY,

Abrégé de l’essence de la vraie religion chrétienne, 1740.

 

 

 

 

 

 

 

 

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