Les temps difficiles

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

André SAVORET

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

« Qui n’amasse point avec moi disperse. »

 

La lecture de certains ouvrages se réclamant d’un christianisme soi-disant ésotérique ou d’un néo-bouddhisme falsifié, comme aussi nos modestes réflexions sur les courants d’idées qui bouleversent notre époque, nous ont incité à écrire ces lignes.

Nous tenons à dire, avant tout, que notre intention n’est pas d’ouvrir une polémique qui serait en contradiction avec l’esprit de cette Revue, mais d’essayer de distinguer, en prenant l’Évangile pour critérium, ce qui, en dépit de certaines apparences, est conforme aux enseignements du Christ de ce qui leur est contraire, afin que le lecteur, réfléchissant à son tour, pèse nos arguments, écoute les frémissements de son cœur et, l’Évangile en mains, tire sa conclusion personnelle. Les temps sont durs, de plus durs semblent proches ; à chacun de choisir son Maître, car il est dit : « Tu ne serviras pas deux Maîtres. »

Nous rappellerons donc brièvement les caractéristiques de l’esprit du siècle, puis celles de l’esprit chrétien. Laissant au chercheur le soin de les mettre en parallèle, nous essaierons, sans abuser des citations, de différencier certaines théories pseudo-messianiques du Christianisme évangélique, effleurant ainsi le sujet brillant du retour de Jésus. 

« Vous connaîtrez l’arbre à ses fruit. »

Si nous considérons les manifestations de l’activité humaine dans tous les domaines de la vie moderne, nous remarquerons qu’elles ont pour caractère commun l’Esprit de révolte et d’anarchie. Le renversement des valeurs, l’utilitarisme des uns, les rêveries humanitaires des autres, l’indifférence de la masse pour ce qui n’est ni sport ni jouissances immédiates, l’incohérence d’une poésie sans règle et souvent sans âme, sinon sans esprit, l’avortement d’une littérature licencieuse à froid ou donnant sa mesure dans d’innombrables volumes de critique ou d’essais (à défaut des œuvres hautes et pures qu’elle ne saurait enfanter), une science où champignonnent les théories les plus contradictoires, tout cela sent la décomposition et la mort 1.

Un coup d’œil sur les convulsions politiques et sociales renforce cette sensation et, si le présent est sombre, l’on peut appréhender un proche avenir plus ténébreux encore. Ici, on cherche à saper la famille, là, à justifier la négation des plus élémentaires devoirs, ailleurs à fausser le Génie même de la race et son sens religieux. Pendant ce temps, l’olivier de la paix sert d’abri aux vautours préparant les futures hécatombes. La terre, même, s’agite : les catastrophes se succèdent et l’ordre des saisons reflète l’instabilité de l’ordre social. Quel rempart opposer à cette anarchie universelle, à cette ruée d’appétits inférieurs ?

Progrès, justice sociale, humanité, solidarité, autant de termes pompeux, autant d’idoles vaines, au nom desquelles les hommes s’entre-dévorent fraternellement. Quant à l’enfance, espoir de la race, faits divers et statistiques suffiraient à donner aux plus optimistes quelques inquiétudes sur l’an de Grâce 1940.

Si l’on nous oppose que les siècles passés présentent d’aussi sombres tableaux, nous nous permettrons les remarques suivantes :

1o La démoralisation qui sévit jadis, quoique ininterrompue, n’affecta que les classes dites « supérieures » de la société, ne corrompant que très partiellement la population, surtout celle des campagnes.

2o Les principes mêmes de l’édifice social ne furent presque jamais reniés publiquement, même par ceux qui les respectaient le moins.

3o Les bases de la société (autorité paternelle, foi conjugale, respect filial) n’étaient pas, comme de nos jours, ébranlées par les lois et les mœurs.

Aujourd’hui, la contagion a gagné les campagnes jadis saines, comme une autre, plus matérielle, les emprisonne physiquement. D’autre part, les conditions actuelles d’existence dans les villes, le machinisme à outrance, le genre de distractions qu’elles offrent, la surenchère électorale, le goût du confort, le besoin de paraître, le gaspillage et bien d’autres facteurs sont les lents mais irrésistibles dissolvants du foyer, unité biologique de l’organisme social. Crimes et suicides d’enfants, laisser-aller des parents, multiplication des divorces, malthusianisme et prostitution florissante (avec son cortège de misères physiologiques et de tares morales), mépris de la vie humaine et des lois divines, en sont les premières conséquences.

Est-ce notre faute si nos constatations ressemblent étrangement à un réquisitoire ? Anarchie, révolte, violence, jouissance, telles sont les manifestations cardinales de l’Esprit de ce temps. Depuis deux millénaires que s’affrontent christianisme et antichristianisme, la terre, leur enjeu, est divisée. Depuis vingt siècles, les mœurs, les lois, les institutions ont pu changer, le cœur humain est resté tel ; mais ce qu’hier contenait seulement en puissance, aujourd’hui le traduit en acte. Aussi assistons-nous au début d’un terrible règlement de comptes.

« La fermentation précède la séparation », disent les hermétistes.

La fermentation est à son comble, deux armées se recrutent, le moment vient où il faudra choisir son Maître et, si nul ne sait l’heure du combat ultime, chacun peut craindre son imminence. C’est pourquoi il est écrit : « Veillez et Priez », car « Je viendrai comme un voleur ».

L’Évangile énumérant les signes auxquels nous reconnaîtrons que les temps sont proches, nous nous excusons de renvoyer le lecteur au texte original en nous interdisant tout commentaire 2.

 

André SAVORET.

 

Paru dans Psyché en 1928.

 

 

 

 

 

 

 



1 Nos réserves sur les théories contradictoires de la science actuelle ne nous empêchent pas de reconnaître l’énorme valeur de ses réalisations d’ordre pratique.

2 Cf. Math. 24-25, Marc 13, Luc 21, Apocalypse, passim.

 

 

 

 

 

 

 

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