Le destin
par
Paul SERVANT
Qu’est-ce que le destin ?
Le dictionnaire répond : Fatalité, enchaînement de causes liées entre elle, qui fait que les choses arrivent infailliblement, – ce à quoi un être ou une chose est destiné.
Un ancien philosophe le définit : ce qui advient à l’homme « à l’occasion du corps, des biens, de la réputation, des dignités, en un mot, de toutes les choses qui ne sont pas du nombre de ses actions 1. »
On peut donc résumer le sens communément attaché à ce vocable, en disant qu’il désigne tout ce qui est imposé à l’homme, tout ce sur quoi il n’a pas pouvoir, et qu’il subit.
Mais qui ne voit aussitôt que cette définition n’est que négative, car elle appelle celle du facteur avec lequel le destin est en fonction réciproque : la puissance humaine.
Où commence celle-ci, où finit-elle ? Question troublante qui touche au mystère même de la vie et à ses profondeurs abyssales.
À chacun de la résoudre en son particulier, car « l’effort d’un autre homme ne peut jamais remplacer l’effort personnel », et les seuls vrais biens : « les trésors spirituels, sont choses intransmissibles 2 ».
Nous voici donc ramenés à ce « Connais-toi toi-même », que cette Revue même a placé en épigraphe à son frontispice, commentaire succinct et heureux de son titre de Psyché, qui, comme chacun le sait, signifie : l’âme, et plus spécialement l’âme humaine.
Et quelle connaissance, plus que celle-ci, serait nécessaire et, en même temps, plus prenante ? Si quelque chose doit intéresser l’homme, c’est bien lui-même et sa nature !
Comment cette étude se réalisera-t-elle ? On ne peut connaître un être que par ses manifestations. L’homme n’échappe pas à cette règle ; pour être connu, il faudra donc qu’il soit manifesté. Eh bien ! ce qui le fera se manifester, c’est précisément le destin dans lequel il est jeté et dont les avatars intérieurs et extérieurs, l’assaillant, le forceront à l’action révélatrice de ses puissances latentes.
Que l’homme ne s’irrite donc, plus contre son destin, si douloureux soit-il. Qu’il le regarde, au contraire, comme un don du Très-Haut et avec cet esprit d’amour dont Jésus a proclamé qu’il était la voie, la loi, la puissance, la sagesse uniques.
Si Dieu, qui est le maître de toute chose et veut le bonheur de ses enfants, a permis que chacun d’eux traverse les circonstances particulières de la vie où il se trouve, c’est qu’elles étaient les plus favorables à son vrai bien, c’est-à-dire à sa régénération. Elles sont les réactifs efficaces qui, s’il le veut, le décaperont de ses impuretés.
Dès lors, « l’expérience progressive de ses forces, de leur sphère d’action, de leur jeu et de leurs limites, sera la lutte qu’il aura à soutenir contre les puissances du monde 3 », et chaque heure sera pour lui une école divine, s’il le demande ardemment et humblement à Celui qui n’a qu’un désir, celui d’exaucer de telles prières.
Oh certes ! cela ne sera pas sans chutes, sans découragements, sans révoltes, car il trouvera la croix à tous les carrefours de sa route et si « l’esprit est prompt, la chair est faible ». Mais qu’il ne se trouble pas ! Si dans l’excès de l’épreuve, il doutait et s’écriait : « Mon Dieu, ô mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné 4 ! », « ce mouvement n’empêcherait plus son homme intérieur renouvelé de s’unir indissolublement et pour l’éternité à son Père céleste 5 ».
Une consolation profonde viendra aussi dans l’homme, en avançant dans la connaissance de soi-même, car il verra ce destin qui l’accable, reculer peu à peu, à mesure que le champ de sa conscience s’agrandira. Il verra combien les grâces que l’homme reçoit sont extraordinaires et combien ses pouvoirs sont grands, quand, avec fermeté et sincérité, il s’attache à accomplir la volonté divine, ou – pour employer d’autres termes – à réaliser, toujours et partout, le devoir, que sa conscience lui dicte, dans le secret de son cœur.
Enfin, en s’efforçant de pénétrer plus avant dans son être intime, « il s’apercevra qu’il porte en lui l’univers 6 », et – autant que faire se peut pour sa nature infime et pécheresse – il pressentira quelques-uns des secrets ineffables de l’Être total. Car, « si rien ne lui est étranger, c’est que tout est en lui ; les êtres n’existent que par leur participation à sa pensée ; son être, en s’universalisant, les connaît et les absorbe. La lumière qui l’éclaire, le Dieu qui lui parle, la nature qui le fait vivre, sont lui-même 7 ».
Cette voie, tous peuvent la suivre.
Tous, nous avons le même Père céleste pour bénir nos efforts ; tous, pour nous guider, la même « lumière, la vraie, celle qui éclaire tout homme venant en ce monde 8 ». Tous, enfin, nous avons un champ à défricher, et ce champ, c’est notre destin particulier qui le circonscrit. Cultivons-le avec ardeur, sous les rayons de la grâce divine, afin qu’au dernier jour, nous soyons « marqués du sceau, sur le front, des serviteurs du Dieu vivant 9 », et que nous ayons part au festin de l’Agneau. (Septembre 1920)
Paul SERVANT.
Paru dans Psyché, revue du spiritualisme intégral
en août-septembre 1920.
1 ÉPICTÈTE. Manuel. Maxime no 6.
2 A. ROUGIER. Les trois degrés du temple. In Psyché. Juin 1913.
3 CAGLIOSTRO. Mémoire pour sa défense. In Dr Marc HAVEN : Le Maître inconnu, p. 284.
4 MATHIEU XXVII, v. 46.
5 Anonyme : Quelques traits de l’Église Intérieure, p. 43.
6 Dr Marc HAVEN. Préface à la magie d’Arbatel, reproduite ici-même. Psyché, juillet 1920, p. 238.
7 Dr Marc HAVEN. Préface à la magie d’Arbatel, reproduite ici-même. Psyché, juillet 1920, p. 238.
8 JEAN. I. v. 9.