Sainte Thérèse d’Avila

 

(1515-1578)

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Jean SOULAIROL

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À L’INFANTE RAQUEL TUYA.

 

Y sin amor toto es nada.

SAINTE THÉRÈSE.

 

 

I

 

Les images de l’enfance prédisent toute la vie. Battons, étalons ce jeu de cartes espagnoles où nous lisons l’avenir de Thérèse. Elle aurait pu, sans doute, s’en aller dans un autre sens, transporter son ardeur dans une autre aventure. Mais ici la volonté la plus libre et la plus héroïque va jaillir d’un cœur pur et fidèle pour se trouver d’accord avec la vocation la plus certaine.

Avec les plus tendres et les plus poignants appels de l’Amour.

Regardons sans crainte ces gravures colorées de la noble Castille. Voici Avila, ses églises, ses couvents, ses demi-lunes, Avila des chevaliers, des saints et des rois, pareille à la Jérusalem céleste des Primitifs, au-dessus de sa rivière et de ses jardins qui lui portent les délices des eaux et des fleurs. Là-bas la Sierra se dresse farouche, sombre, la Sierra au delà de laquelle il y a le More et les sorciers, la Sierra qui ressemble à la gueule de Léviathan et qui s’ouvre sur l’hérétique et sur l’enfer.

Et voici, dans Avila, une maison seigneuriale, si hautaine et si fermée qu’elle fait songer à un cloître. Voici le chef de cette maison, Alphonse Sanchez de Cepeda, véritable prince qui compte un roi de Léon parmi ses ancêtres, ferme sans doute et même un peu sévère, mais tout plein d’une affectueuse bonté. Je l’imagine avec les traits de ce don Rodrigo Vazquez qu’a peint Greco, un visage si fin et si énergique tout ensemble, un large front serré aux tempes, des yeux clairs et réfléchis, une barbe en pointe... Et je songe brusquement au plus pur des héros, à celui en qui Cervantès mit toute sa noblesse d’âme, sous les dehors de la folie pour le défendre des sots, à Don Quichotte de la Manche qui eut la passion de servir, de protéger et d’aimer. Je songe au Cid Campeador qui tendit sa main nue aux lépreux, en un geste sublime dont eût bien été capable Alphonse de Cepeda, gentilhomme à la charité débordante, gentilhomme qui est le frère de la Colombe Christophore, qui a horreur de l’esclavage, qui soigne un jour une petite esclave comme ses propres enfants, gentilhomme chrétien...

Je vous tourne, chères images, parmi lesquelles va paraître la petite fille élue. Voici enfin Béatrix de Ahumada, la femme, la mère, si tendre et si douce, dont j’aime qu’elle porte le prénom de la divine amie de Dante. Toujours maladive, lisant toujours des romans en cachette de son mari, semblable à une rose penchée sur un livre de chevalerie, elle n’a heureusement pas besoin d’être une nouvelle Chimène ; il semble que le moindre effort la briserait. Et, cependant, quelle mère attentive non seulement à ses propres enfants, mais à ceux d’un premier lit, – heureuse Béatrix de Ahumada qui a senti le premier battement du cœur de Thérèse !

« Le mercredi, jour de saint Berthold, de l’ordre du Carmel, le 29 mars 1515, à cinq heures du matin, naquit Thérèse de Jésus la pécheresse. » Elle a écrit cela, vers la fin de sa vie. Elle savait qu’il n’y a aucun bien qui ne soit un don gratuit de Dieu. Elle savait qu’elle était la sœur de Marie-Madeleine et elle ne demandait qu’une place à son côté, aux pieds du Christ, sur le seuil sacré de la maison de Béthanie... Mais nous qui savons comme elle a suivi le Maître, dès ses premiers jours, ne nous pencherons-nous pas pieusement et humblement sur le berceau où repose Thérèse de Jésus la sainte ?

Je vois son père qui lui trace un signe de croix sur le front, sa mère qui la voue à la Vierge, le curé de la paroisse qui la baptise, ses frères et sœurs qui la contemplent, dans sa robe blanche où luit une médaille. Il y a un ange gardien de plus dans la maison et une petite rose vivante qui brille sur le buisson ardent de l’Ibérie. Je voudrais suivre sa croissance physique et spirituelle. Je voudrais la montrer comme certains films nous présentent le développement d’une fleur. J’écoute ses balbutiements qui sont des transpositions du secret d’amour des Chérubins. Je guette ses premiers mots où se mêlent aux caressantes appellations de ses parents les noms de Jésus et de Marie, où elle ne sait pas, où elle sait peut-être qu’elle met à jamais tout son cœur... Béatrix de Ahumada allaite Thérèse en priant. Et peu à peu, comme elle lui apprend à marcher, elle lui apprend le culte de Notre-Dame et de plusieurs saints. La petite fille épelle ses premières phrases dans la Légende Dorée de Jacques de Voragine que l’on vient de traduire en castillan. Son père aime les bons livres et, quoiqu’il soit excellent latiniste, il en a toujours en langue vulgaire pour ses enfants.

Thérèse avait six ou sept ans qu’elle ne faisait que lire avec Rodrigue, son frère le plus proche d’elle par l’âge et par le cœur, la Vie des Onze Mille Vierges et de tant de martyrs. Ils se retiraient au fond du jardin paternel pour mener la vie érémitique. Mais cela ne suffisait pas à Thérèse. Elle criait : « Éternité ! Éternité ! » Cette petite fille violente se désolait du temps. La solitude et l’attente lui pesaient comme si elle avait cent ans. Puisque les Confesseurs entraient tout droit au Paradis, magnifiquement revêtus de la pourpre de leur sang, pourquoi ne pas faire comme eux ? Elle apporterait le nom du Christ aux infidèles. Elle souhaitait de mourir sous leurs coups et pour eux, afin d’être introduite auprès de Jésus. Alors, elle partit, elle entraîna Rodrigue avec elle sur le chemin de la Sierra. Ils mendieraient leur pain, ils arriveraient chez les Maures, ils mourraient, mais en mourant ils arracheraient des âmes à Léviathan et ils entreraient ensemble dans la Cour du Roi du ciel. Leur bon oncle Pedro d’Ortigosa les arrêta au tournant de la route.

Vous n’irez point vous faire massacrer chez les Turcs, impatiente petite Thérèse. Restez dans le jardin cloîtré de la maison de Cepada. Construisez, avec Rodrigue, de petits monastères où vous récitez le Rosaire. Savez-vous que vous dessinez toute votre œuvre future ?

Elle jouait à la religieuse... Faut-il rien dire de plus de cette enfance prédestinée ? Elle avait douze ans, quand sa mère mourut. Elle fut emplie d’une déchirante douleur et se précipita dans un sanctuaire de Notre-Dame pour la supplier, avec beaucoup de larmes, de lui servir de mère. Je la vois, cette Notre-Dame, dans ses atours espagnols, et elle ressemble tout à coup à Béatrix de Ahumada pour sourire à la fillette angoissée.

– Et, cependant, vous allez rentrer chez vous, Señorita, et vous saisirez fiévreusement le livre que lisait encore celle qui vient de vous être enlevée. C’est un roman de chevalerie, quelque chose de si pur et tout de rêve... Avec Rodrigue, vous suivez la belle histoire. Avec Rodrigue, vous en composez une autre. Et tel est le premier écrit de l’auteur du Château de l’âme.

Se le reprochera-t-elle assez !... Pour moi, je regrette de ne l’avoir pas sous les yeux. Cette œuvre des ermites d’hier, je voudrais la ranger dans ma bibliothèque auprès des Jeunes Visiteurs de Daisy Ashford. Quel flot de pureté fervente viendrait à nous ! De jeunes visiteurs violets et pourpres. Des fleurs de grenadier. Elle a beau vouloir s’accuser, dans sa vie, de cette période où elle se laisse faire un brin de cour par de jeunes cousins, où elle est un peu coquette, où elle aime les parfums et les parures, Thérèse est obligée en fin de compte de nous avouer son innocence. Il fallait bien qu’elle entrevît l’amour humain. Elle était trop femme pour ne pas connaître et comprendre le goût des autres femmes... Elle qui paraît parfois sévère et même un peu dure dans l’ordre de la vocation monacale, dont elle connaît d’abord en elle-même l’inflexible et adorable exigence, elle se fera toute tendresse pour ceux qui ne sont pas appelés au Carmel. Pour sa petite sœur Jeanne, « cette âme angélique », dit-elle, qui se marie avec Jean de Ovalle. Pour la princesse Louise de la Cerda qu’elle court consoler de son veuvage au moment même de la fondation de Saint-Joseph d’Avila...

Thérèse a seize ans. Elle est grande et blanche, avec des cheveux noirs et bouclés, un front large et uni, des sourcils châtains, des yeux qui ont la couleur et la flamme du vin d’Espagne ; des lèvres bien dessinées qu’empourpre mieux qu’un bâton de rouge le sang le plus vif et le plus généreux de la Castille. La dame à l’hermine de Greco s’apparente à elle, sans aucun doute, en sa grâce légèrement hautaine. J’imagine que ses cousins, une nuit, encouragés un peu par la légère Marie Briceño, cette parente plus andalouse que castillane dont elle devait déplorer l’influence, allèrent lui donner une sérénade au son des guitares, qui sont les cigales du clair de lune, et que c’est après cela qu’Alphonse de Cepeda la mit au couvent des Augustines, sous le prétexte que sa sœur aînée venait de se marier. Dans sa robe couleur d’oranger et bordée de velours noir, avec les trois petits signes gracieux, qu’elle a au côté gauche de son visage, le premier plus bas que la moitié du nez, le second sur la joue entre le nez et la bouche, le troisième au-dessus de la bouche, elle entre au couvent avec un peu d’ennui.

« Cruel ennui » même, selon qu’elle dit. Elle n’est pas moins pieuse, d’une dévotion solide, et fait prier pour sa vocation ; mais elle a comme une crainte de la vie religieuse... Dix-huit mois s’écoulent ainsi. Elle est malade, il lui faut sortir du pensionnat. Elle va se reposer quelque temps chez l’oncle Pedro d’Ortigosa. Et celui qui l’avait arrêtée lorsqu’elle courait au martyre d’un jour chez les Maures est celui qui va décider de son martyre, de son apostolat de quarante-sept ans. Il lui fait lire les épîtres de saint Jérôme et c’est après cette lecture que, le 2 novembre 1535, à vingt ans, elle s’échappe de la maison paternelle pour entrer chez les Carmélites de l’« Incarnation » d’Avila.

 

II

 

« Je vous trouve charmant de venir me déclarer que vous saurez ce qu’est cette demoiselle rien qu’en la voyant. Nous ne sommes pas si faciles à connaître, nous autres femmes. Quand vous les avez confessées durant plusieurs années, vous vous étonnez vous-mêmes de ne pas les avoir bien comprises ; c’est qu’elles ne se rendent pas un compte exact d’elles-mêmes pour exposer leurs fautes, et que vous les jugez seulement d’après ce qu’elles vous disent ». Qu’elle est femme, sainte Thérèse qui a écrit ces lignes à l’un de ses directeurs ! Et, cependant, selon un mot que j’aime, elle est l’intelligence faite homme. Elle tient à voir clair et elle voit clair. Il y a en elle une pénétration et une vivacité d’esprit géniales, avec quelque chose de libre et de spontané, de gracieux et de pur, qui en font l’un des écrivains les plus grands et les plus attachants du monde. Par la sûreté de sa doctrine, elle se range parmi les docteurs. Mais elle est femme, elle veut l’être, elle enverra un jour cette lettre au Père Gratien : « Pourquoi veut-on que j’écrive ?... Que les théologiens le fassent ! eux, ils ont étudié ; mais moi je ne suis qu’une sotte... Pour l’amour de Dieu, qu’on me laisse filer à mon rouet et aller au chœur et suivre la règle comme les autres sœurs ; je ne suis pas faite pour écrire ; je n’ai pour cela ni santé ni intelligence. » Quel enjouement et quelle grâce !... Elle n’est pas la patronne des bas-bleus avec toutes leurs lunettes et leurs travaux d’érudition en quinze tomes. À une jeune fille qui se présente au Carmel, une Bible sous le bras : « Nous ne sommes ici, dit-elle, que de pauvres femmes ignorantes ; nous ne sommes pas faites pour vous et pour votre livre. » On entend bien que ce n’est point mépris de la Bible chez celle qui commentera plusieurs versets du Cantique ; ce qu’elle veut, c’est que l’on reçoive docilement l’Écriture, de l’Église. Elle n’écrit que par ordre ou par amour – ce qui est tout un – mais alors quelles merveilles ! Une fausse humilité ne casse pas sa plume. Elle a pensé, elle a vécu avant que d’écrire. Sa lumière et sa flamme nous viennent tout droit.

Qu’elle souffrit, cependant, durant ses premières années au monastère de l’Incarnation ! Elle qui avait affronté, pour l’amour de Jésus, en quittant la maison paternelle, une agonie aussi terrible que celle de la mort, elle fut en proie aux sécheresses, la prière lui était un sacrifice... Mais l’amour connaît l’héroïsme. Psyché ne lâchera pas l’invisible Éros ! Invisible ? Thérèse le voyait dans toutes ses sœurs. Elle ne passait pas de journées sans faire envers celles-ci le plus d’actes de charité qu’elle pouvait ; elle soignait avec la tendresse la plus gaie une religieuse qui avait une plaie horrible au ventre et dont la plupart étaient comme obligées de se détourner... Thérèse exténuée tomba malade à son tour.

En octobre 1538, il lui fallut quitter le couvent où la règle d’avant la réforme ne la cloîtrait pas. Elle passa quelque temps chez sa sœur aînée et chez son oncle, puis à Bécédas, au printemps de 1539, où elle convertit le prêtre qui la confessait et qui avait une liaison coupable. Devant l’incomparable pureté de sa pénitente, il lui avoua sa faute. Il avait pour elle, sans doute, une amitié un peu sensible. Thérèse ne s’en froissa pas, mais, plus belle et plus grande encore que la femme de Mantinée du Banquet de Platon, elle se servit de ce sentiment humain pour élever l’âme du prêtre jusqu’à Dieu. Ces conversations, je les imagine comme le premier dessin du Chemin de Perfection et du Château Intérieur. Grâce à Thérèse, le prêtre avait rompu sa liaison et ne cessa de s’élever en vertu. C’est d’ailleurs sur tous ses confesseurs que la sainte eut une heureuse et haute influence.

Les prétendus soins qu’elle devait recevoir à Becedas la massacrèrent. De retour chez son père, aux environs du 15 août, elle resta quatre jours toute crispée sur elle-même, paraissant tour à tour morte ou mourante ; sa langue était en lambeaux des morsures qu’elle lui fit. Que m’importe le nom de sa maladie ! Je ne veux voir que son corps sacrifié sur la croix mystique. Elle n’est pas destinée, comme Lydwine de Schiedam ou Anne-Catherine Emmerich, à souffrir cette passion toute sa vie. Il faut qu’elle parte un jour, aussi forte et aussi vaillante que les apôtres, sur toutes les routes de la Castille. Mais elle aura connu les pires tourments physiques où les épouses du Christ rachètent avec Lui, dans la flagellation et le broiement, toutes les impuretés de notre chair.

Les épreuves n’ont pas fini, d’ailleurs, ni sa lente préparation aux sommets de la vie mystique et apostolique. De retour au monastère de l’Incarnation, elle retrouva son apparente solitude spirituelle dans un corps toujours souffrant. Elle se reprochera vingt ans après de n’avoir pas donné à l’Amour divin tout le temps de sa clôture. Et il est vrai que la règle autorisait à faire de longs parloirs où l’on recevait toute la société d’Avila. Elle fut particulièrement poussée par ses supérieures à ces entretiens qui, sans doute, roulaient sur des sujets religieux, mais la retenaient tout de même loin de l’oraison.

Elle avoue, d’ailleurs, qu’en ce temps-là elle était obligée, pour élever son âme, d’user de livres ou de paysages. Elle aima toujours les eaux et les fleurs. En 1574, elle écrira : « J’ai un ermitage d’où l’on voit la rivière, et aussi de la cellule où je dors ; je puis de mon lit jouir du paysage ; cela me cause un vif plaisir. » On pense à Jeanne d’Arc, lorsqu’elle répond à ses juges : « Si j’étais encore dans mes bois, j’y entendrais bien mes voix ! », à sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus qui repose son regard sur l’azur... Pourquoi les saints fermeraient-ils les yeux aux beautés que Dieu a créées ?... Mais ce que Thérèse d’Ahumada voulait, c’était l’entretien seule à seul avec Dieu.

Elle a vu le Christ la regarder avec un visage sévère. Elle a cru à une illusion ; elle a continué ses parloirs. Alors, elle a vu un monstre (et les personnes qui étaient avec elle l’ont vu) une espèce de crapaud plus gros que nature traverser le salon où elle causait... Et voici qu’il lui faut aller secourir son père dans la mort chrétienne.

Elle revient au couvent. Elle se sent emportée dans la vie mystique... Et c’est alors qu’elle se trouve retenue par des confesseurs plus timorés les uns que les autres, et notamment par le Père Balthazar Alvarez, un saint, mais qui est lui-même empêché par ses propres directeurs. Pendant près de vingt ans, elle ne pourra pas se livrer à son élan. Le Bien-Aimé du Cantique l’appelle avec des gémissements inénarrables ; on lui dit que le diable a coutume de tromper les âmes en singeant Dieu. On lui conseille de se méfier, on lui ordonne de suivre les voies ordinaires. Elle se cramponne, pour obéir, à de véritables buissons d’épines, quand l’Époux est sur la colline, rayonnant de gloire et d’amour. Et plus tard, elle écrira : « Je ne comprends pas ces craintes qui nous font dire : le démon, le démon, quand nous pouvons dire : Dieu, Dieu, et faire trembler notre ennemi. Et ne savons-nous pas qu’il ne peut faire le moindre mouvement si le Seigneur ne le lui permet ? Que signifient donc toutes ces terreurs ? Quant à moi, c’est certain, je redoute plus ceux qui craignent tant le démon que le démon lui-même ; car pour lui, il ne saurait me faire de mal, tandis que les autres, surtout s’ils sont confesseurs, jettent l’âme dans de cruelles inquiétudes. »

Ah ! chère ennemie de la pusillanimité, grande âme qui pouviez planer comme l’aigle des hauts monts et qui vous riiez des chiens aboyants de l’abîme dans la lumière de Dieu, quel martyre tous ces retardements durent vous être !... Mais voici Pierre d’Alcantara, voici le Dominicain Bañez, voici vos admirables frères du Carmel, le Père Gratien, le Père Jean de la Croix... Le Bien-Aimé n’a éprouvé votre fidélité que pour vous envoyer de sublimes messagers que vous aiderez à votre tour dans la divine montée.

Que dis-je ? Thérèse a les anges avec elle. Il faut regarder du côté des anges. Notre temps comme tous les temps regarde trop du côté du démon. Je voudrais peindre sur tous les murs les anges de Greco, de Gustave Doré, de Maurice Denis, de Giovanni de Fiesole et jusqu’à cet ange Heurtebise de Man Ray qui traverse de son fluide le vase en forme de lyre. Mais ici, ô joie incomparable, je suspends l’ange même de Thérèse : « Voici, nous a-t-elle dit, voici une vision dont le Seigneur daigna me favoriser à diverses reprises. J’apercevais près de moi, du côté gauche, un ange sous une forme corporelle. Il est extrêmement rare que je les voie ainsi. Quoique j’aie très souvent le bonheur de jouir de la présence des anges, je ne les vois que par une vision intellectuelle. Dans celle-ci, le Seigneur voulut que l’ange se montrât sous une forme sensible aux yeux de mon âme. Il n’était point grand, mais petit et très beau ; à son visage enflammé, on reconnaissait un de ces esprits d’une très haute hiérarchie qui ne sont, ce semble, que flamme et amour... Je voyais dans les mains de cet ange un long dard qui était d’or, et dont la pointe en fer avait à l’extrémité un peu de feu. De temps, en temps, il le plongeait, me semblait-il, au travers de mon cœur et l’enfonçait jusqu’aux entrailles : en le retirant, il paraissait me les emporter avec ce dard et me laissait tout embrasée d’amour de Dieu. La douleur de cette blessure était si vive qu’elle m’arrachait de faibles soupirs... mais cet indicible martyre me faisait goûter en même temps les plus suaves délices... Ce n’est pas une souffrance corporelle, mais toute spirituelle, quoique le corps ne laisse pas d’y participer à un haut degré. Il existe alors entre l’âme et Dieu un commerce d’amour si suave qu’il m’est impossible de l’exprimer... Les jours où je me trouvais dans cet état, j’aurais voulu ne rien voir, ne point parler, mais m’absorber délicieusement dans ma peine, que je considérais comme une gloire bien supérieure à toutes les gloires créées. »

On l’a vu, à sa mort, ce cœur de Thérèse que la javeline de l’ange a ouvert de part en part.

 

         Ouvrez, princes, ouvrez vos portes éternelles ;

         Portes du grand palais, laissez-vous pénétrer,

         Laissez-en l’accès libre aux escadrons fidèles :

                     Le Roi de Gloire y veut entrer...

 

Ces grands vers de Pierre Corneille, dans sa traduction des Psaumes, comment ne me hanteraient-ils pas quand l’Ange ouvre les portes du cœur de la princesse Thérèse à l’Époux divin qui l’a choisie ?... Un jour, à la mi-novembre de 1572, après avoir communié des mains de Jean de la Croix, elle entendra ces paroles du Christ qui lui donne sa main droite : « Regarde ce clou : c’est la marque que dès ce jour tu seras mon épouse ; jusqu’ici tu ne l’avais pas mérité. Désormais tu auras soin de mon honneur, non seulement parce que je suis ton Créateur, ton Roi et ton Dieu, mais encore parce que tu es ma véritable épouse. Mon honneur est le tien, et ton honneur est le mien. » Et, un autre jour, il lui passera au doigt un anneau orné d’une pierre semblable à une améthyste, mais d’une splendeur où s’éteignent tous les bijoux d’ici-bas, comme gage de sa promesse d’exaucer toutes les demandes de Thérèse. Quelqu’un s’étonne-t-il encore que cette femme qui a reçu un tel joyau, taillé au « foyer saint des rayons primitifs » qu’a chanté le pauvre et magnifique Baudelaire, ait poussé le grand cri : Ou mourir ou souffrir !... Quelle soif peut-elle avoir que de gagner des âmes à Dieu ou de le rejoindre ? Il faut que le Christ apaise son impatience : « Songe, ma fille, qu’après ta mort tu ne pourras plus accomplir pour mon service ce que tu fais maintenant. Prends pour moi la nourriture et le sommeil ; tout ce que tu fais, fais-le pour moi, comme si tout cela n’était plus vécu par toi mais par moi-même... »

Elle s’est imbibée de Dieu, c’est elle qui le dit, comme l’éponge s’imbibe d’eau. « Mon âme, dit-elle, jouit d’une paix ineffable. Satisfactions ou chagrins sont impuissants à lui enlever, du moins pour un temps notable, la présence tout à fait indubitable des trois divines Personnes. »

L’enivrement est si fort qu’elle sort de sa cellule, un tambourin à la main. Et dans la petite cour du monastère, à l’heure de la récréation, elle se met à danser de joie. Elle danse pour le Maître. Ses sœurs l’accompagnent au claquement des castagnettes ou en tapant dans leurs mains. Thérèse danse et improvise une chanson :

 

         Vivo sin vivir in mi

         Porque tal vida espero

         Que muero porque no muero...

 

 

III

 

Cette splendeur de vie mystique ne s’est pas faite en un jour. Mais pour Thérèse tout y converge ou tout en rayonne. C’est là que s’acheminait la petite fille qui criait : « Éternité ! Éternité ! » et qui allait se faire massacrer chez les Maures. C’est pour cela que l’illustre fondatrice reprend, à grands travaux et grandes peines, cette construction de monastères qui fut le jeu de son enfance. La vie intérieure, les écrits, la vie apostolique, tout part de là et revient là. Sans l’amour il n’y aurait rien. Mais avec l’amour il y a tout.

La grande carmélite ne conçoit aucun orgueil des grandes grâces dont elle est favorisée. – « Comment, dit-elle au Christ, une si haute Majesté dans une créature aussi basse que mon âme ! » – Et le Christ, de lui répondre : « Elle n’est point basse, ma fille, puisqu’elle est faite à mon image. » Thérèse sait que toutes les âmes sont faites à l’image de Dieu et de toutes elle a grand soin. Elle s’occupe des siens, de leur mariage, de leurs enfants. Sa sœur Jeanne paraît bien sa préférée. Elle est sa sœur de père et de mère. J’imagine qu’elle lui ressemble, aussi brave et aussi ardente, mais plus petite et plus frêle, plus semblable à Béatrix de Ahumada ; elle est toute tendresse pour les petits et Thérèse aussi les aime. Je relis cette lettre que la sainte adressait à un neveu qui avait eu une fillette illégitime : « ... Certes, je suis profondément affligée de l’offense qui a été faite à Dieu, mais, quand je vois cette enfant vous ressembler si bien, je ne puis m’empêcher de l’accueillir et de l’aimer beaucoup. C’est étonnant comme elle rappelle, toute petite qu’elle est, la patience de Thérèse. Dieu veuille en faire sa servante ! car ce n’est pas elle la coupable ; aussi vous ne devez rien négliger pour qu’elle soit bien élevée. Certes elle le mérite, car elle est très gentille... » Ce n’est pas Thérèse qui a le mépris du monde pour les bâtards.

Elle ne néglige rien de ce qui la touche de près ou de loin. Elle sait qu’il n’y a que deux commandements, aimer Dieu, aimer le prochain, et que le second est le même que le premier. Cette contemplative est la femme la plus active que l’on ait jamais vue.

 

... Entre le ciel et la terre, si tendue que ses os sont séparés,

Entre l’obéissance et l’amour elle est comme une écartelée,

L’exigence immédiate de l’amour et la chose bonne ici qui lui est donnée à faire,

Dieu lui-même des deux côtés qui l’appelle, à la fois dans le ciel et sur la terre !...

... Et cependant les chemins de l’Estramadure et des Deux Castilles

La voient en marche jour et nuit pour planter une prieure et quatre filles

Où Dieu le veut, entre deux pierres du désert, le Carmel comme un rayon de miel fauve et comme une rude touffe de rue :

Voici pour notre prière fade assez de cœurs purs comme du feu pour en venir à bout et l’encens qui la continue...

 

Qu’ils sont vrais, ces grands vers de Claudel, dans sa feuille de sainte Thérèse !... Rien ne la décourage. Quand, en 1561, elle sait qu’elle doit fonder Saint-Joseph d’Avila, ni son déchirement à la pensée de quitter sa cellule du couvent de l’Incarnation, ni la menace de l’Inquisition, ni le manque d’argent, ni le mur démoli par les démons, ni l’opposition de toute une ville, rien ne l’arrête. Par l’intercession puissante de son saint préféré sous l’invocation duquel elle a mis ce monastère qu’elle porte comme un enfant, elle ne se rebute d’aucun obstacle. Toujours soumise à l’Église, toujours obéissante, au moment des pires difficultés, à la Noël de 1561, elle court à Tolède, auprès de Lonise de la Cerda, accompagnée par Jean de Ovalle... Et quand elle revient, elle trouve le bref du Pape autorisant la fondation de Saint-Joseph ; la petite maison toute prête, élevée par les soins de Jeanne de Ahumada et de doña Guiomar...

Elle met à Saint-Joseph quatre pauvres orphelines, sans dot, mais grandes servantes de Dieu, momentanément dans l’obédience de l’évêque. Et le 24 août 1562, en présence de Pierre d’Alcantara, du Père Ybañez et du Père Balthazar, qui nous apparaissent comme revêtus tout à coup de la gloire de saint François, de saint Dominique et de saint Ignace, la grande Réformatrice du Carmel et ses quatre premières filles assistent, dans la pauvre petite chapelle de Saint-Joseph d’Avila, à la première messe de tous les Carmels térésiens. Je rêve d’un tableau en deux parties, comme l’Enterrement du Comte d’Orgaz. En bas, cette petite salle nue et blanche, quelques statues habillées de couleurs violentes, et l’autel avec des fleurs de quatre sous et quelques cierges... Toute la splendeur est au ciel. Le Christ, la Vierge, saint Joseph, saint Augustin, sainte Madeleine, sainte Claire, tous les saints que Thérèse chérit et qui l’ont secourue, l’accueillent et l’embrassent, environnée des onze mille et sept mille vierges qui doivent la suivre dans le temps et dans l’espace, tandis qu’un ange très pur, d’une aile souveraine, monte placer, auprès de la lance du calvaire, le dard enflammé où le sang de Thérèse brille en escarboucles d’amour...

Il lui fallut, cependant, revenir encore à l’Incarnation, jusqu’à ce qu’elle fût autorisée, en décembre de la même année, à quitter définitivement son premier couvent pour aller vivre avec les religieuses de sa réforme. Son enthousiasme était tombé. Intrépide quand elle agit, elle subit ensuite une inquiétude et des tristesses mortelles. Il est vrai que le Conseil Municipal lui-même se ligua contre elle, qu’il fut question d’aller devant le Conseil du Roi, qu’il fallut l’action la plus énergique des Dominicains Raflez et Ybañez pour faire cesser le conflit...

Enfin, la voici dans son couvent de Saint-Joseph, avec quatre nouvelles filles qu’elle emmène de l’Incarnation et le trousseau qu’on lui a permis d’emporter, une natte de paille, un cilice de mailles de fer, une discipline et un habit vieux et rapiécé. Cinq ans, elle va rester là. C’est là qu’elle écrit la Vie et le Chemin de la Perfection. Pauvretés, austérités ; mais Thérèse trouve qu’elle ne fait aucune œuvre pour Jésus. Elle est Thérèse de Jésus. Puisqu’elle ne meurt pas pour le rejoindre, elle doit travailler pour lui...

Alors, en 1567, autorisée enfin par ses supérieurs, elle part dans ses chariots, traînés de mules, pour aller de Medina-del-Campo à Malagon, de Valladolid à Tolède et à Palestrina et à Salamanque et à Albe de Tormès établir ses foyers d’amour et de prière. Les grelots des mules ne troublent pas son oraison, ni les cahots de la route. On suit la règle autant qu’il est possible durant le voyage et le silence est de rigueur à certaines heures. Aux moments de récréation, Thérèse est toute simplicité, comme toujours, et tout gracieux enjouement. Elle plaisante doucement une vieille religieuse qui craint de passer au milieu des soldats. Elle goûte un grand charme, à ce qu’une rivière, un jour, lui serve de compagne pendant tout un long chemin. Elle est si espagnole qu’il lui faut bien rencontrer les taureaux. Et c’est le 14 août 1567, en arrivant de nuit à Medina-del-Campo, tout au début de ses fondations, qu’elle croise le bétail qui entre dans la ville pour les courses du lendemain.

Les épreuves ne lui manquent pas ; elle va toujours de l’avant. La grande leçon de Thérèse est une leçon de confiance et de courage, parce qu’elle est une leçon d’Amour. Elle ne croit pas qu’à l’Amour il y ait quelque chose d’impossible. Après 1572, quand il lui faudra accepter, malgré elle et malgré les religieuses de l’Incarnation, de devenir la prieure de ce couvent, elle mettra, dans le chœur, une statue de la Vierge à la stalle qu’elle occupe et les carmélites comprendront et aimeront celle dont elles ne voulaient pas.

1574. Nouveau départ à la fondation de nouveaux monastères... Qu’il leur était doux et facile à Rodrigue et à elle de les bâtir avec de petites pierres dans le jardin paternel ! Maintenant, pour que les murs tiennent, il ne suffit pas de l’eau du puits, il y faut mettre le sang du cœur. Les Mitigés n’ont pas désarmé. Et, en 1576, Thérèse est recluse à Tolède par ordre du nonce Sega. Les Mitigés ont pour eux le nonce, le général de l’ordre, le Pape. Thérèse cherche un appui auprès du Roi, de ce Philippe II qui se cloître dans l’Escurial, qui confond trop souvent la religion et la politique mais garde en son cœur la Foi intacte. Thérèse écrit le Château de l’Âme. Elle n’est pas seulement blessée par les difficultés qu’elle rencontre ; elle a pleuré sur le massacre de la Saint-Barthélemy, sur le Sac de Malines, sur les tueries de Harlem ; elle a mal à l’Europe comme Jeanne d’Arc avait mal à la France ; elle souffre de voir partout pratiquées les odieuses doctrines du Prince de Machiavel. Elle a passé la nuit de Noël de 1578, toute en larmes, dans le déchaînement d’un ouragan qui est l’image de l’état du monde. Elle écrit le Château de l’Âme. Elle sait que tout se résoudra dans un accord prodigieux. Elle n’ignore pas que cette vie apparaît trop souvent comme une farce bien mal concertée ; c’est elle qui l’a dit : Esta farsa de esta vida tan mal concertada. – Mais ce n’est pas à cette vie qu’elle tient, c’est à l’Amour. Elle écrit le Château de l’Âme. Et la tempête peut sévir : elle ne renversera pas les demeures mystiques. Thérèse a trouvé la porte que chante Claudel :

 

... Une porte, une porte, ô mon âme, une porte pour sortir de l’universelle vanité !

Une porte, n’importe par où, mais dites que dès maintenant il y a une porte pour échapper

À cette vie qui n’est qu’un rêve lourd, un cauchemar entre les deux digestions !...

... Mon âme dit : Mourir plutôt que de vivre sans aiguillon !

Plus loin que la Palestine et plus loin que les pays de l’émeraude et de la rose,

Plus loin que la Nouvelle-Zélande et l’anneau là-bas de la lune australe dans l’eau rose,

Heureux qui dans la recherche du Paradis dont il est écrit et dans la découverte de Dieu,

Chaque jour plus jeune, et chaque jour plus fort, et chaque jour plus sûr dans la foi, et chaque jour plus ardent, et chaque jour moins satisfait et plus joyeux,

Comme Crusoé pour une grande aventure jadis quand il se défit de son héritage et de sa maison,

Embarque sans rien réserver toutes les ressources de son intelligence et de son imagination.

Et la où le corps hébété fléchit et où la volonté s’embarrasse et se retire,

Coule tout son navire sous lui et passe outre par la passion et par le désir !

 

Thérèse ne laisse pas cependant de veiller aux biens matériels comme aux biens spirituels. Dans ses épreuves même, elle conserve tout son esprit et toute sa gaieté spontanée d’enfant. Un saint triste est un triste saint. Elle veut que ses religieuses rient et chantent.

1580. Voici le bref de Grégoire XIII qui consacre l’indépendance des Carmes déchaussés. Et Thérèse repart. Villeneuve de la Xara, Palencia, Soria, petites villes qui lui avez fait des accueils royaux, soyez bénies comme des villes saintes !

Les cloches sonnent. Les petits enfants courent au-devant d’elle. Bénédiction sur bénédiction. Je songe au grand cardinal de Bérulle dont Léon Bloy rappelle qu’il s’agenouillait devant chacun de ces petits et leur demandait un signe de la croix sur le front. Des oriflammes claquent au vent. Toutes les rues sont pavoisées. Tout le peuple est là. Et le Conseil Municipal, et le Clergé. C’est qu’avec Thérèse il y a Quelqu’un qui va entrer dans le nouveau monastère, Quelqu’un dont l’honneur est son honneur, Quelqu’un qui l’a choisie à tout jamais et qui est réellement présent sous les espèces d’un tout petit pain azyme. Et qui est Dieu...

Grenade. Burgos. Quand la sainte se croit la plus démunie, le plus beau couvent jaillit du sol, avec un jardin enchanté. De miraculeuses musiques se font entendre parmi les fleurs et les eaux. Thérèse a couronné son œuvre. Elle peut mourir.

Non. Il lui manque une épreuve. Il faut qu’à Valladolid, sa nièce la prieure la mette à la porte, parce qu’elle défend la justice du testament de Don Laurent : « Allez-vous-en et puissiez-vous ne jamais revenir ! » Oui, allez-vous-en, Thérèse. Vous n’avez plus rien à faire avec les avocats et les disputeurs. Vous n’avez plus rien à faire avec la terre sinon de souffrir encore le dur voyage d’Albe de Tormès, de souffrir pour mourir, pour avoir le droit de crier : « Seigneur, il est temps de vous voir. »

Thérèse n’est pas revenue à Valladolid. Elle n’a même pas remis les pieds dans Avila de Castille. Le 4 août 1582, à neuf heures du soir, elle est entrée au milieu d’une extase, dans la vraie Avila des Saints qui est le Paradis. Elle a reconnu les délices des fleuves éternels et de la Rose Mystique. Des anges lui offraient une sérénade. Et l’Épouse est entrée à jamais dans la joie de l’Époux. Cantique des cantiques. Les cœurs ouverts par la lance et par le dard se sont fondus ensemble dans l’Amour.

Je voudrais dire l’indicible. Les mots les plus brûlants des Canciones de Jean de la Croix expirent devant la merveille. Le secret du Roi n’appartient qu’au Roi.

Sainte Thérèse de Jésus qui avez joué cœur et gagné, combien je sens tout à coup l’insuffisance et la pauvreté de mes images ! J’ai grand-peur qu’il y reste bien peu de chose du rayonnement de votre flamme. Toute blanche sous le manteau de bure, puissiez-vous du moins accepter comme un vœu d’amour ces traits gauches et ces couleurs maladroites et me dire en souriant comme à ce Jean de la Misère qui fut votre portraitiste au Carmel : « Dieu vous pardonne, frère Jean, de m’avoir faite si laide. »

 

 

 

Jean SOULAIROL.

 

Recueilli dans La vie et les œuvres

de quelques grands saints, vol. II, 1926.

 

 

 

 

 

 

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