Le bon Samaritain

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Ben TOBIE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les paraboles évangéliques sont des sources de beautés spirituelles, mais le rayonnement ne nous en devient conscient que s’il réveille en nous la sentinelle céleste que la Providence y a placée et qui renferme elle aussi, la même vérité, la même lumière.

Ces paroles de vie que les sages ont toujours aimées ne possèdent pas seulement le sens littéral que nous leur connaissons et qui est déjà si nourrissant pour les âmes de bonne volonté, elles ont encore une signification plus haute : intérieure et mystique.

Cette lumière cachée est vive et insaisissable comme l’éclair, elle traverse notre cœur appesanti de matière avec une rapidité qui est en raison directe de l’excellence de sa beauté. Bien présomptueux serait celui qui croirait en fixer entièrement l’essence subtile. Ce flambeau intérieur ne nous appartient pas, notre langue si habile, lorsqu’il s’agit des préoccupations mondaines, en parle avec difficulté et notre esprit ne s’y applique que péniblement.

Nous nous devons cependant à la recherche du cette vérité la plus profond e des livres saints : en ce lieu d’exil, nous n’avons que ce moyen et la prière pour tenir notre œil intérieur sain et capable de s’élever vers le Ciel – vers l’Esprit – comme notre œil extérieur vers le firmament...

Lecteur ami, médite avec nous l’une de ces paraboles lumineuses...

Il est écrit : Jésus reprit la parole et dit : Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho. Il tomba au milieu des brigands qui le dépouillèrent, le chargèrent de coups et s’en allèrent le laissant à demi mort. Un sacrificateur qui, par hasard, descendait par le même chemin, ayant vu cet homme, passa outre. Un lévite arriva aussi dans ce lieu et passa outre. Mais un Samaritain qui voyageait, étant venu là, fut ému de compassion lorsqu’il le vit. Il s’approcha, banda ses plaies, y versant de l’huile et du vin, puis il le mit sur sa propre monture, le conduisit à une hôtellerie et prit soin de lui. Le lendemain, il tira deux deniers, les donna à l’hôte et dit : Aie soin de lui, et ce que tu dépenseras de plus, je te le rendrai à mon retour. Lequel des trois te semble avoir été le prochain de celui qui était tombé au milieu des brigands ? C’est celui qui a exercé la miséricorde envers lui, répondit le Docteur de la Loi. Jésus lui dit : Va, et toi, fais de même 1.

Ainsi que nous l’avons dit, les paraboles possèdent d’abord un sens littéral, déjà fort beau en lui-même. C’est, ici, une exhortation à l’amour fraternel, à cette charité ardente qui est le commandement nouveau apporté par Jésus et l’essence même de sa doctrine.

Quant au sens plus élevé, malgré notre indignité, nous allons essayer d’en recueillir quelques rayons, confiants dans le Dieu de bonté et de miséricorde qui entend notre prière...

Tout est un. L’homme assassiné, les brigands, le sacrificateur, le lévite, le bon Samaritain sont la même créature et cette créature : c’est l’homme, c’est nous-mêmes.

Le voyageur attaqué dans le chemin qui mène de Jérusalem à Jéricho, c’est l’âme humaine, le joyau pur qui constitue notre vraie personnalité, l’étincelle divine qui est descendue de la cité céleste pour s’envelopper de matière.

Les brigands qui l’assaillent, ce sont les passions qui, prenant corps, nous poussent à commettre l’iniquité et nous font rechercher notre bonheur uniquement dans la possession des biens matériels. Nous devenons ainsi égoïstes, ambitieux, dominateurs ; nous regardons le prochain comme notre inférieur et parfois, quand il est plus faible que nous, nous n’hésitons pas à le tourmenter et à le dépouiller, car de chute en chute, nous pouvons en arriver, hélas ! aux combinaisons les plus basses et les plus viles.

Le lévite et le sacrificateur, c’est le culte extérieur et figuratif, quand nous le pratiquons sans y associer intimement notre cœur et sans nous efforcer de nous élever du symbole et de la lettre à l’esprit vivant. C’est encore la prétention d’honorer et de servir Dieu par nos propres moyens, par une sagesse et une science seulement humaines. Car, poursuivi par l’idée de beauté jusque dans ses ténèbres, l’homme s’efforce de tromper l’apparence de sa misère ; dans ce but, il se crée un idéal artificiel, il étudie les livres pour donner un semblant de grandeur à ses conceptions, mais elles restent petites parce que fondées sur les sens matériels. Possédé par le terrible démon de l’orgueil, il se leurre de cette fausse science, alors qu’il n’est point libéré de ses passions et qu’elles lui font toujours subir leur joug pesant : son être véritable et divin se meurt lentement de leurs blessures.

Il passe alors un Samaritain... Les Pharisiens qui sont en nous le méprisent et, pourtant, il porte avec lui le vin et l’huile de notre régénération, ainsi qu’il est écrit : « J’ai exaucé ceux qui ne me demandaient rien, je me suis laissé trouver par ceux qui ne me cherchaient pas. J’ai dit me voici à une nation qui ne s’appelait pas de mon nom 2. »

Le bon Samaritain, c’est « la pierre rejetée par ceux qui bâtissaient et qui est devenue la pierre angulaire 3 », il est « l’enfant d’amour », « l’ami fidèle qui nous accompagne ici-bas dans notre misère, par l’effet de la pure et vive charité qui l’anime en faveur de la malheureuse humanité 4 » ; pour tout dire, il est le Christ veillant sur le monde pour le racheter journellement de ses crimes.

Lecteur, mon frère, ne nous rebellons point contre les brigands, ne partons pas en guerre contre le lévite et le sacrificateur : ces forces ténébreuses que nous avons laissées se développer en nous se trouveraient encore nourries et fortifiées par ces faux mouvements. Laissons seulement agir Jésus, il faut que ce soit sa charité qui, nous envahissant progressivement, convertisse nos ténèbres en lumière et guérisse doucement nos substances viciées. « Jésus est venu pour sauver ce qui était perdu 5. » Rien de ce que son Père lui a donné ne sera perdu et son Père lui a tout donné.

Sans Lui, nous ne ferons jamais œuvre bonne, car nous ne sommes par nous-mêmes qu’erreurs et préjugés, aussi peu capables de nous libérer que de nous sacrifier. Notre moi est une prison ; notre lumière, un flambeau de poix ; notre vie, un long tourment, parce qu’elle est séparée du Père, c’est-à-dire de l’amour vivant ressuscitant sans cesse le monde.

Sincèrement, reconnaissons que nous ne sommes rien, que nous ne pouvons rien. Délivrons-nous du vieil homme, devenons pareils à des enfants : Jésus s’ouvrira alors en nous et remplira notre cœur de son amour.

Jésus est parmi les humbles et ceux qui souffrent. Par lui, la veuve ne pleure plus, l’orphelin ne soupire plus, les blessures se cicatrisent, chacun peut vivre abondamment, car il a soin de tous. Par son amour vigilant, il a sauvé le monde et le sauvera tous les jours, malgré nous.

Pauvres aveugles des choses divines et seules vraies, si le rideau était levé et si nos yeux pouvaient enfin voir, quel étonnement ce serait pour nous que cette rédemption continuelle du monde.

Malheureux qui souffrons dans notre prison de chair et de passion, allons vers Lui, Il est le bon Pasteur. Sacrifions-nous entièrement à Lui, Il nous mènera droit au Père, car s’il veille depuis si longtemps sur nous, c’est pour nous conquérir sans cesse et finir par nous unir intimement par Lui avec le Père, dans l’effusion de l’Esprit-Saint.

 

 

Ben TOBIE.

 

Paru dans Psyché, revue du spiritualisme intégral

en novembre 1922.

 

 

 



1  LUC, X, 30 à 37.

2  ISAÏE, LXV, 1.

3  Psaume CXVIII, 22, et LUC XX, 17.

4  LOUIS-CLAUDE DE SAINT-MARTIN, Le Nouvel Homme, p. 6 et 7.

5  LUC, V, 32 ; XIX, 10.

 

 

 

 

 

 

 

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