Le temps de la colère

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

R. VALLERY-RADOT

 

 

 

Que personne ne vous séduise par de

vains discours ; car c’est à cause de ces

choses que la colère de Dieu vient sur

les fils de l’incrédulité. N’ayez donc rien

de commun avec eux.

 

(St PAUL, Épître aux Éphésiens

v-1-9. du 3e Dimanche de Carême).

 

 

 

 

 

 

 

À LA MÉMOIRE

 

D’AUGUSTIN COCHIN,

 

LUCIDE HISTORIEN

DE LA SOCIOLOGIE RÉVOLUTIONNAIRE,

CHEF MAGNANIME,

QUI, LAISSANT INACHEVÉE SON ŒUVRE ADMIRABLE,

COMBATTIT POUR SA PATRIE ET POUR SA FOI

DANS LA SOMME, LA CHAMPAGNE ET SOUS VERDUN,

ET SIX FOIS BLESSÉ, LA MACHOIRE BRISÉE,

LE BRAS FRACASSÉ TOUJOURS DANS LE PLÂTRE,

S’ÉCHAPPANT DE LA MAISON PATERNELLE,

ALLA REJOINDRE SES HOMMES

POUR TOMBER D’UNE BALLE AU COU, LE 8 JUILLET 1916

AUX PIEDS DU CALVAIRE DE HARDECOURT

APRÈS HUIT JOURS DE BATAILLE,

LÉGUANT AUX SURVIVANTS QUI SE SOUVIENNENT,

SON EXEMPLE À MÉDITER, SON MESSAGE À RÉPANDRE

EN DÉPIT DES SILENCES COMPLICES.

 

 

R. V.-R.

 

 

 

 

 

 

I

 

 

DIEU RECONNAÎTRA LES SIENS

 

 

« Vous croyez avoir fait la guerre ;

vous n’avez pas fait la guerre :

vous avez fait une Révolution ».

 

(RENÉ VIVIANI, Président de

la Commission de la Paix,

Discours à la Chambre,

17 Septembre 1919).

 

 

Ayant exilé les dieux de la Cité, le monde moderne cherche à les remplacer par quelque chose, il ne sait quoi, qui n’existe nulle part. Crise de confiance, dit-il, oui, crise de foi et qui gagne l’Église elle-même. Comme à la veille de la Révolution, nous percevons à sa périphérie une odeur d’hérésie diffuse : mêmes trahisons de mots, même confusion de principes, où, au lieu de célébrer avec les loges d’alors l’Être Suprême, le Législateur des chrétiens, la Philanthropie, d’étranges apôtres tentent d’accommoder au christianisme les idéologies maçonniques de Démocratie, d’Humanité, de Société, de Progrès, de Pacifisme et d’Internationalisme ; par endosmose inéluctable mais, hélas, unilatérale, leurs dogmes se diluent en abstractions, leur mystique en politique. Appuyant à dessein l’accent sur les nécessités physiques que comporte notre devoir social, ils relèguent dans l’ombre la pratique des vertus héroïques à tel point que le catholicisme ne se présente plus guère à la masse des fidèles que comme une adaptation sournoise au monde matérialisé, un opportunisme cafard, une religion à la petite semaine qui engendre à son image une race de petits avares.

Que s’est-il donc passé ? Comment le sel en est-il venu à s’affadir à ce point ? Qu’on se rappelle le merveilleux printemps spirituel qui éclatait de toutes parts à la veille de la guerre : alors l’Église réapparaissait soudain dans sa gloire d’aïeule vénérable, d’auguste gardienne des antiques secrets du vivre et du mourir, et le monde étonné de l’avoir trop longtemps délaissée se tournait vers Elle pour reconnaître ses insignes destins au miroir fidèle de sa plus profonde humanité. Claudel, le Cyclope subjugué par l’Enfant-Roi de Bethléem, recréait les premiers âges du monde dans sa grotte marine. Péguy, le pèlerin de Chartres, voyait l’Univers comme une paroisse de son Orléanais dans le giron de Dieu ; Jammes, l’Ӕgipan baptisé par saint François au bord du Gave béarnais, conviait toute la création à louer le Pain et le Vin changés au Corps et au Sang de Dieu ; Psichari, le centurion des déserts de l’Adrar, découvrait dans l’Armée l’image d’une soumission plus haute ; Augustin Cochin, le jeune chartiste doucement obstiné, démasquait le mufle de la Bête apocalyptique « pleine de paroles » sous les sept voiles du messianisme démocratique ; et sur le parvis des Gentils, ceux qu’on appelait en ce temps-là les apologistes du dehors renforçaient le chœur de ces croyants ; un Maurras saluait dans l’Église le temple des définitions du devoir ; un Barrès la défendait de toute son âme contre les vétérinaires et les épiciers républicains qui voulaient laisser tomber en ruines ses sanctuaires et, haussant le débat au-dessus de l’hypocrite jurisprudence où un Briand voulait le confiner, il montrait dans l’Hostie élevée par la main du prêtre « une arme contre la bassesse, une flamme dont ceux qui la possèdent rendent témoignage qu’elle est leur trésor ».

La Poésie appelait la Liturgie pour la consacrer ; la Philosophie, la Théologie pour l’accomplir ; la Nature tendait les bras à la Grâce.

Toute une jeunesse, riche d’enseignes et d’armes parlantes, écoutait comme des mots d’ordre, ces incantations prophétiques qui redonnaient à la vie sa vertu légendaire. La France, à ses yeux, n’était plus cette idéologie emphatique d’avocats et d’hommes de lettres, nom de guerre ou alibi sentimental, selon les heures, de la Révolution universelle, mais une réalité spirituelle dont la vocation millénaire trouvait justement à ce moment-là son sens et son accent dans le culte de Jeanne d’Arc récemment béatifiée. En vain essayait-on de laïciser cette figure dont le charme impérieux captivait les plus rétifs au mystère en disant qu’elle incarnait l’âme populaire, il n’en était pas moins vrai que cette âme populaire s’exprimait dans une sainte et dont la mission temporelle très précise avait été de rendre, par la force des armes, le royaume de France au Capétien, et non à un autre, afin qu’il n’en gardât que la lieutenance sous la suzeraineté du Christ ; il n’en était pas moins vrai qu’à la ressemblance de son Dieu dans sa Passion, la guerrière au cœur pur, condamnée par des princes des prêtres et des scribes de son Église, entraînait cette jeunesse à sa suite à invoquer dans les flammes de son bûcher les noms divins dont elle vivait et à embrasser sa Croix.

La sainteté qu’appelait Barrès devant « le flot montant de la grossièreté destructrice » resplendissait pour elle, là-bas, dans le Hoggar étincelant de lumière, où seul, vêtu de sa tunique blanche, l’ermite Charles de Foucauld était allé, en plein XXe siècle, épouser le silence et la pauvreté pour racheter nos obscènes inversions de la parole et du bien-être.

Tout redevenait pour elle signe d’une aventure miraculeuse vers laquelle elle se hâtait comme à des noces solennelles... C’est alors qu’un soir orageux de l’été, l’Europe apprit en tressaillant qu’un adolescent juif du nom doublement cabalistique de Gabriel Princip avait tué l’archiduc François-Ferdinand, prince héritier d’Autriche-Hongrie, dans les rues de Sarajevo, attentat obscur où se décelaient la main des Sociétés secrètes et la complicité de la police (les débats du procès ne firent qu’en dégager l’odeur ténébreuse).

La Maçonnerie internationale prévoyait-elle que ce meurtre depuis longtemps décidé dans ses loges serait l’étincelle qui incendierait la terre et la mer pendant quatre ans ou se borna-t-elle à tirer profit du massacre universel ? Qui poussa Berchtold puis Pachitch, puis Iswolsky, puis Betmann-Holweg, à déchaîner les appétits monstrueux de la Germanie ? Qui organisa la panique des cabinets ? Faut-il accuser seulement les rêves glacés d’une hégémonie financière anonyme au-dessus des patries et des États ? ou derrière ces puissances charnelles un dessein spirituel plus pervers se cachait-il, attisant tous les feux malsains qui couvaient çà et là ? Peut-être un jour aurons-nous la pleine intelligence de ces choses...

Quoiqu’il en soit, toutes les croyances, toutes les fidélités, tous les fanatismes et toutes les superstitions furent mobilisés, amalgamés et dressés ensemble contre l’envahisseur avec un art incomparable. Aux humanitaires on représentait cette guerre comme la dernière, celle qui ferait triompher à jamais le Droit sur la Force ; aux démocrates qu’elle était la levée en masse des démocraties contre les autocraties, aux nationalistes qu’elle allait libérer l’Alsace-Lorraine, aux amateurs de poncifs ethniques qu’elle était la défense éternelle des races latines contre les convoitises germaniques, déclarant froidement pour les besoins de la cause que les Anglo‑Saxons étaient sinon de sang, du moins de culture latine ; il en était de même des Sénégalais, des Marocains, des Annamites, des Hindous et des Australiens. Pour les Russes, on s’en tirait en rappelant qu’un de nos rois avait épousé, dans des temps très anciens, une princesse slave et que la grande Catherine (d’ailleurs allemande, mais on l’oubliait) avait attiré Diderot à sa cour. Quant aux catholiques, leurs prêtres prêchaient dans les chaires, avec la même conviction, que la France républicaine se levait pour mener une véritable croisade contre le Protestantisme incarné dans le peuple de Luther et de Kant et que Dieu ne pouvait manquer de donner la victoire à une aussi sainte cause. Évêques, pasteurs, rabbins, vénérables des Loges scellaient ainsi l’union sacrée. Après la bataille, Dieu reconnaîtrait les siens.

Cependant, sans s’inquiéter de la confusion étrange où éclatait le conflit, un Psichari tombait, comme il l’avait désiré, son rosaire enroulé au poignet, le scapulaire de saint Dominique sur la poitrine, dans les bois d’Ardennes, à Saint-Vincent-Rossignol (Vincent était le nom de son héros de l’Appel des Armes), Péguy à Villeroy, après avoir orné de fleurs l’autel de la Vierge dans l’église du village ; Augustin Cochin un peu plus tard, devait tomber, lui aussi, aux pieds du Calvaire de Hardecourt, un soir de victoire, sur la position conquise par sa compagnie.

Au milieu de ce délire unanime, on apprenait que Pie X, sollicité de bénir les armées de François-Joseph, était mort de douleur indignée, en bénissant la seule Paix. C’était le 20 août ; le cardinal della Chiesa prenait le nom de Benoît XV ; une âme très noble et très bonne habitait ce corps minuscule, et veillait dans ce regard d’oiseau malade que la tempête effarouche. Dès son avènement, il déclarait solennellement qu’il ne négligerait rien de ce qui était en son pouvoir pour « hâter la fin d’une si grande calamité », et il tenait parole. Mais chaque fois que sa voix s’élevait, solitaire et pure, pour conjurer les peuples de déposer leurs armes fratricides, ceux-ci ou du moins ceux qui se prétendent leurs mandataires, se détournaient de lui, tantôt avec une politesse dédaigneuse, tantôt en vociférant des injures. Les journaux français, surtout ceux de gauche, si férus aujourd’hui de germanophilie et de désarmement, se montraient les plus violents dans l’insulte et l’accusaient de prendre parti pour les assassins contre les victimes. Le refus de ces futurs pacifistes de seconder la volonté conciliatrice de « la plus grande puissance spirituelle » du monde, la seule Internationale qui tienne, disait alors Maurras (un des très rares, même dans son parti, à défendre les intentions du Pape) ce refus ne peut surprendre que les naïfs. Une collaboration de cet ordre qui aurait laissé au Pape l’initiative de la Paix aurait fait échouer le vaste plan de subversion qui n’allait pas tarder à se révéler et changer complètement, à l’insu des combattants, le sens et les buts normaux de la guerre. Aussi, dès le 26 avril 1915, le quinzième article du Pacte de Londres signé à l’occasion de l’entrée en guerre de l’Italie contre l’Autriche, et resté secret jusqu’à sa divulgation par les bolchéviks, stipulait que « la France, la Grande-Bretagne et la Russie s’engageaient à appuyer l’action de l’Italie à l’effet de ne pas permettre aux représentants du Saint-Siège d’engager une action diplomatique en vue de la conclusion de la paix et de la solution des questions se rattachant à la guerre ».

C’est que la Paix dont nous savourons aujourd’hui les fruits ne devait rien avoir de commun avec les traités d’autrefois. Elle achèverait le grand plan maçonnique ébauché en 1789, repris en 1830, puis en 1848, et le 4 septembre 1870, en proclamant enfin l’avènement de la Démocratie universelle. Pour qu’il en fût ainsi, la France, pièce maîtresse de la Révolution, comme toujours, sur l’échiquier international, devait immoler jusqu’à ses derniers fils, s’il le fallait. Comme cette action occulte, diffuse et sournoise, opérant à deux fins selon les cobayes à inoculer, tantôt par la dissolution socialiste, tantôt par le fanatisme nationaliste, demandait encore beaucoup de temps, il était de toute nécessité de persuader à la France que la paix du Pape ne pouvait être qu’une paix prématurée, une paix sans honneur, une paix allemande.

Une exclusive du même ordre, tout aussi inhumaine, sera portée contre l’offre de paix séparée de Charles d’Autriche.

À la fin de 1916, l’arrêt de l’offensive anglo-française de la Somme, comme celle des Allemands devant Verdun, venait de démontrer que, malgré les assauts furieux des deux principaux adversaires en présence, leur ruée réciproque finissait toujours par se briser contre un mur de feu infranchissable.

Charles d’Autriche venait alors de ceindre la couronne de Saint-Étienne. Dès son avènement, le 22 novembre, au lieu d’entonner l’acte de foi belliqueux de son cousin Guillaume, ce prince dont l’Église consacrera peut-être un jour l’héroïcité des vertus, déclarait solennellement, comme le Pape, qu’il voulait « tout faire pour bannir dans le plus bref délai les horreurs et les sacrifices de la guerre ».

Il y avait à ce moment-là, sur le front belge, leur pays ayant refusé de les enrôler, un jeune prince français, Sixte de Bourbon-Parme, qui servait avec son frère, le prince Xavier, comme sous-lieutenant dans un régiment d’artillerie de campagne. Leur sœur, la princesse Zita, avait épousé l’empereur Charles du temps qu’il était archiduc, et des liens d’étroite amitié autant que des vues communes de politique européenne unissaient les princes à leur beau-frère. En digne petit-fils de Louis XIV, Sixte de Bourbon comprenait que pour l’Autriche domestiquée par la Prusse depuis Sadowa (en 1915 un projet d’union douanière avait encore menacé d’aggraver sa vassalité), l’heure était venue de secouer son joug en concluant au plus tôt avec la France une paix séparée qui entraînerait nécessairement la paix générale.

Jamais la France de son côté ne retrouverait de circonstances plus favorables pour tirer d’un tel atout diplomatique tous les avantages qu’il comportait. Plus tard, si ces pourparlers échouaient, il y aurait peut-être une paix anglaise, une paix italienne, une paix américaine, mais il n’y aurait plus une paix française.

Le 29 janvier 1917, les princes Sixte et Xavier sont mandés par leur mère en Suisse : l’Empereur désire les voir secrètement ou tout au moins correspondre avec eux par un envoyé accrédité. Une lettre de l’Impératrice Zita leur est remise qui demande avec instance aux deux princes leur aide « pour réaliser le désir de paix de l’empereur, conçu dès son avènement ».

Il faut lire le récit tout emporté d’un mouvement chevaleresque où le Prince Sixte a consigné ses négociations. Pièces diplomatiques, lettres, journal de guerre, entretiens politiques avec des hommes d’État, procès-verbaux de ses rencontres avec l’Empereur ou son envoyé, le comte Erdödy, tout révèle en ce brillant capétien une intelligence lucide des choses européennes, un sens des intérêts de la France qui ne trompe pas sur les vertus héréditaires de sa race. Sa royale jeunesse a séduit un moment quelques vieillards moins glacés que les autres de nos poussives démocraties et ils se sont efforcés de le suivre, un peu essoufflés, pendant quelques mois, dans son grand dessein ; mais leurs durs maîtres invisibles ont claqué leur fouet et les ont vite fait rentrer dans leur geôle dorée d’où ils ont juré qu’il fallait continuer la guerre, longtemps encore, jusqu’à ce que les banquiers de Wall-Street voulussent bien leur décréter que les buts de la Démocratie étaient atteints.

« Nous aiderons la France par tous les moyens et nous exercerons une pression sur l’Allemagne », disait la note écrite de la main même de l’Empereur, et que le Prince Sixte rapportait de Suisse au Président Poincaré. Le 19 mars, le Prince retrouvait à Genève le comte Erdödy. De la part du Gouvernement français il proposait à l’Empereur quatre points essentiels comme bases de paix : le rétablissement de la Belgique avec ses possessions africaines, la restitution de l’Alsace-Lorraine à la France, la reconnaissance de la souveraineté serbe avec un accès naturel et équitable pour cette puissance sur l’Adriatique, Constantinople à la Russie. Mais l’Empereur trouve ces allées et venues de son envoyé d’Autriche en Suisse trop compromettantes et trop longues ; il veut voir le Prince lui-même. « Une heure de conversation entre nous fera plus avancer la paix, lui écrit-il, que vingt lettres en six mois. » Et, comme pour enlever les dernières hésitations du Prince, le comte Erdödy remet à Sixte de Bourbon une lettre de l’Impératrice. « Ne te laisse pas arrêter par ces considérations qui, dans la vie courante, seraient justifiées, supplie sa sœur. Pense à tous ces malheureux qui vivent dans l’enfer des tranchées, qui y meurent par centaines tous les jours, et viens. »

Le prince part pour Vienne avec son frère Xavier. Le 23 mars, la nuit venue, dans un grand silence qu’épaissit encore la neige qui tombe continûment, ils entrent au château de Laxenbourg où l’empereur réside, et là, dans le salon de l’impératrice où se tient le couple impérial, après les premiers épanchements (ils ne s’étaient pas revus depuis le mois d’août 1914, alors qu’archiduc héritier, Charles avait obtenu pour ses beaux-frères la licence de quitter l’Autriche et de se battre contre lui, comme c’était leur devoir de Français), l’empereur abordait aussitôt le sujet pathétique qui les réunissait. « Il faut absolument faire la paix, déclarait-il, je le veux à tout prix. Le moment est tout à fait propice, car nous avons tous connu les succès et les revers ; il y a à peu près équilibre de forces. Il se peut évidemment qu’en continuant la guerre, l’un de nous arrive à la victoire complète et écrase son adversaire. Mais peut-on jamais l’écraser complètement ? et à quel prix ? C’est affreux d’y penser... Ce ne sont pas toujours les très grandes victoires qui donnent les meilleures paix... » Et l’empereur déclare à son beau-frère qu’il fera tous ses efforts pour amener les Allemands à consentir une paix juste et équitable. S’ils ne veulent pas entendre raison, il signera la paix séparément, car il ne peut pas sacrifier plus longtemps ses peuples à la fureur dominatrice de son voisin.

Dans cette nuit du 23 mars ce Bourbon et ce Habsbourg, loin des niaises idéologies parlementaires, s’apprêtent à fonder une paix humaine, une paix véritable, selon les conseils chargés d’expérience millénaire que leur dicte l’innombrable cortège de saints et de héros qui brillèrent dans leurs illustres maisons. Il n’y a pas ici d’effets de tribune et de combinaisons de couloirs, il y a le sang des pères de la patrie, la plus haute, la plus pure autorité, la voix du plus antique sang de l’Europe. Le prince en qui parle Louis XIV estime nécessaire pour la France la restitution de l’Alsace et de la Lorraine telles que nous les possédions jusqu’en 1814 avec Sarrelouis et Landau, avant la mutilation de Waterloo ; il conviendrait même de compléter ce recouvrement en neutralisant toute la rive gauche du Rhin en dehors de la Hollande, de la Belgique et de la France, afin qu’elle s’affranchît de la domination prussienne imposée en 1815. Le contrôle de l’Entente devra désormais y empêcher l’existence d’une armée quelconque.

L’Empereur entre dans toutes ces vues. Il connaît les sentiments français à l’égard de l’Alsace-Lorraine et la nécessité absolue dans laquelle se trouve la France de recouvrer ces provinces perdues. Il n’ignore pas non plus les sentiments des Alsaciens et des Lorrains eux-mêmes et cette question le retient particulièrement comme chef de la Maison de Lorraine et descendant des comtes d’Alsace. Donc, sur ce point-là, aucune difficulté. Pour les trois autres, en ce qui concerne la Belgique, il est naturellement aussi en plein accord ; pour la Serbie il consent également à la rétablir dans sa souveraineté et à lui donner un accès sur la mer Adriatique ; il demande seulement qu’elle supprime ses sociétés secrètes dont le procès des assassins de l’archiduc François-Ferdinand a révélé l’implacable haine contre la Maison des Habsbourg. Quant à la Russie, comme elle est en pleine révolution, il convient de réserver la question de Constantinople.

Une lettre écrite de la main de l’Empereur, datée du 24 mars, va confirmer l’accord.

Mais, entre-temps, la démission de Lyautey avait entraîné celle de tout le cabinet Briand ; le ministère Ribot venait de le remplacer le 19 mars. Hélas, au lieu d’un politicien nonchalant qui, dans l’occurrence, aurait au moins laissé faire, le prince allait se trouver devant un idéologue fanatique qui entraverait tout. De l’aveu de Poincaré, toute l’opinion française était favorable à la paix avec l’Autriche ; Deschanel, le président de la Chambre, demandait sans cesse ce qu’on attendait pour la conclure ; en Angleterre les dispositions étaient les mêmes. Mais Ribot va se retrancher derrière l’Italie, dont le consentement préalable est, dit-il, indispensable. Or elle exigera le Trentin et Trieste pour la conquête desquels elle est entrée aux côtés des Alliés. Il faut que Ribot voie Sonnino, et, sans le mettre encore dans le secret, qu’il l’informe d’une manière générale des propositions de l’Autriche. Le 12 avril, au retour de Saint-Jean-de-Maurienne, où il a causé avec Sonnino, Ribot fait porter au prince par Jules Cambon, secrétaire général des Affaires étrangères, la réponse négative du Gouvernement français à l’offre de l’Empereur Charles. Le Trentin, la Dalmatie (aux trois quarts slave), toutes les îles de l’Adriatique, voilà ce qu’exige l’Italie, dont les armées pourtant, au moment même, renoncent à toute offensive pour conquérir par le fer ce qu’elle réclame ainsi par voie diplomatique. Les pourparlers ne pourront reprendre que si l’Autriche concède à l’Italie ce qu’elle demande.

Mais ni l’empereur ni le prince ne sont hommes à sacrifier la paix du monde à l’inertie calculée de Ribot et à l’appétit démesuré de l’Italie. Les quatre points fondamentaux ne sont-ils pas acquis ? Pour l’Italie, on pourra trouver un arrangement. Et en effet, le 4 mai, en réponse à la lettre du prince Sixte, Charles mandait à son beau-frère : « Je suis très content de cette bonne base de paix pour ma chère Autriche, mais il y a deux choses qui ne sont pas claires ; il est absolument nécessaire que je te voie. De ton arrivée dépend cette paix. » Et l’impératrice, précisant l’allusion de l’empereur, a joint ces lignes en français : « Il y a deux choses nouvelles et qui ne sont pas claires. L’Italie veut obtenir davantage par vous que directement par nous. Viens. »

Les choses nouvelles et qui ne sont pas claires, c’est qu’à l’insu de Sonnino, des offres de paix italienne ont été faites d’abord au ministre d’Allemagne qui a adressé l’émissaire au ministre d’Autriche ; ces offres émanent du grand quartier général de Cadorna ; elles sont inspirées, semble-t-il, par le roi lui-même, d’accord avec le parti de Giolitti ; le moral de l’armée de plus en plus bas n’inspire plus confiance au roi et il craint une révolution ; l’Italie ne demanderait que le seul Tyrol de langue italienne. L’empereur aurait négocié facilement sur ces bases, mais il a refusé pour ne pas compliquer ses conversations avec la France et l’Angleterre. Il ne veut traiter avec l’Italie que par leur intermédiaire. D’autre part il est plus libre que jamais vis-à-vis de l’Allemagne, laquelle sait, par une note de Czernin du 13 avril, que, dans six mois au plus tard, « elle ne pourra plus compter sur l’alliance de l’Autriche ».

L’Allemagne, d’ailleurs inquiète plus qu’elle ne veut le montrer des notes comminatoires des États-Unis au sujet de la guerre sous-marine, intrigue sournoisement et cherche à dissocier l’Entente en promettant aux Russes Constantinople et la Bucovine, aux Roumains la Transylvanie, aux Polonais un royaume indépendant, formé de leurs provinces russes et autrichiennes, aux Serbes, la restitution de leur territoire qu’ils agrandiront de l’Albanie, à l’Italie, Trente et Trieste ; une paix d’ogresse qui espère détacher de nous la Russie, la Roumanie et la Serbie en trahissant et mutilant l’Autriche à son profit pour mieux se payer sur la Belgique et la France.

Le 9 mai, à Laxenbourg, Charles signe la généreuse lettre dans laquelle il souscrit à tous les points demandés par l’Entente, même en ce qui concerne le Trentin, moyennant une compensation coloniale, par exemple, à trouver entre diplomates. « C’est assez clair maintenant, je l’espère », a dit l’Empereur en remettant sa lettre.

Le 20, cette lettre est remise à Poincaré ; Ribot, cette fois-ci, est présent, mais c’est pour se renfermer derrière ses lunettes jaunes dans son incrédulité systématique ; il en revient toujours à son idée de ne rien entreprendre en dehors de son compère Sonnino. Et deux jours après, à la Chambre, il entonne le couplet de rigueur sur la continuation obligatoire du massacre, ne faisant allusion aux propositions de l’Autriche qu’en les dénaturant à dessein et en affectant de croire qu’elles viennent de l’Allemagne. « Ils viendront demander la paix, déclame-t-il, non pas hypocritement, comme aujourd’hui, par des moyens louches et détournés, mais ouvertement, et nous la ferons dans des conditions dignes de la France, de son passé et de son présent, et si on ne la demande pas, nous saurons l’imposer. » (Vifs applaudissements sur tous les bancs.)

À Lloyd Georges que le prince désire revoir, au grand mécontentement du ministre français, il expédiera une lettre où il lui suggère d’inviter le roi d’Italie à se rencontrer avec le roi d’Angleterre et le président Poincaré, sur le front français, pour tenter un accord. Bien entendu, ceux-ci viendront avec leurs ministres, en l’espèce Sonnino, Lloyd Georges et Ribot. Mais il ne cache pas son pessimisme. « Petite lettre, dit le prince, écrite sur un papier de deux sous, de petit format, d’une petite écriture d’homme d’affaires pressé. » D’ailleurs cette visite n’aura jamais lieu, car Sonnino ne répondra qu’évasivement à la proposition de Lloyd Georges. À un second courrier plus pressant, il gardera le silence, et le prince Sixte, las d’attendre, regagnera à la fin de juin sa batterie sur le front belge où se prépare une nouvelle offensive.

Cependant, une dépêche de Rome, datée du 4 juin, avait annoncé ce qui suit : « Le Père Tacchi Venturi, secrétaire de la Compagnie de Jésus, dit que l’Autriche-Hongrie transigerait avec l’Italie sur les bases du Trentin et d’une haute suzeraineté sur Trieste. Il conseillera au Pape une action poussant l’Autriche à se séparer de l’Allemagne. » Hélas, il y avait l’article 15 du pacte de Londres ! Et Ribot, qui ne répondra jamais à la lettre de Charles, obéissant à l’ordre de ses véritables maîtres, dévoilera enfin le 5 juin, à la tribune du Sénat, quels intérêts il sert : « Il faut, s’écriera-t-il, repoussant avec une pudeur offensée toute allusion aux moyens de la diplomatie secrète, il faut que dorénavant la justice ait pour garantie cette Ligue des Nations qui s’organise sous nos yeux et qui demain sera maîtresse de ce monde. Malheur aux nations que leur despotisme intérieur aura écarté de cette noble union ! Elle sera pour nos enfants la garantie contre le retour à la barbarie. »

Qu’était donc cette Ligue des Nations qui demain serait la maîtresse de ce monde ?

 

 

 

 

 

 

II

 

L’OCCASION UNIQUE

 

« Que le clergé marche sous

votre étendard en croyant toujours

marcher sous la bannière des clefs

apostoliques. »

 

(Instructions secrètes des Hautes

Ventes, saisies par la police de

Grégoire XVI en 1846 et

publiées sur la demande de ce

pape, puis de Pie IX, par

Crétineau-Joly dans l’Église romaine

en face de la Révolution, 1859.)

 

 

Quelques jours après ce discours, le 28 juin, s’ouvrait à Paris, rue Cadet, au Grand-Orient, le Congrès des Maçonneries des nations alliées et neutres. Elles s’étaient déjà réunies en janvier pour étudier les bases de cette fameuse Ligue des Nations qu’annonçait Ribot. Longuement préparé dans le secret des loges, ce congrès allait décider s’il convenait de prolonger la guerre ou de dicter la paix. Dès 1915, nous révèle la Documentation catholique (t. XII, p. 245), sous les auspices de la Loge suisse, l’Alpina, avait eu lieu, peu de temps avant l’entrée en guerre de l’Italie, des colloques maçonniques à Genève auxquels avaient pris part des maçons allemands et français. On y avait décidé le renversement des Hohenzollern et des autres représentants en Allemagne du principe d’autorité, la rétrocession après la défaite nécessaire de l’Allemagne de l’Alsace-Lorraine à la France, puis, à titre de dédommagement, le rattachement à l’Allemagne des sept à huit millions d’Allemands d’Autriche et le maintien de l’unité allemande. M. Achille Plista, correspondant de la Croix, en avait eu connaissance presqu’immédiatement par une confidence brève disant que l’Allemagne serait battue, mais sortirait de la guerre avec un accroissement de puissance et de territoires. Une communication écrite donna ensuite les principaux détails. En avril 1917 – ce mois vraiment décisif – la Maçonnerie s’était aussi réunie en toute hâte au Congrès international de Paris, pour discuter sur les moyens de fomenter la révolution en Allemagne, car les conditions essentielles de la paix maçonnique exigeaient avant tout la chute des deux monarchies de droit divin. Tous les journaux alors avaient docilement transmis le mot d’ordre à leurs lecteurs. Le 13 mai, le Grand Maître portugais Magalhaès Lima, avait déclaré à Lisbonne : « La victoire des Alliés doit être le triomphe des principes maçonniques [1]. »

Quand on connaît ces choses, qu’on rapproche les dates, l’inertie étudiée de Ribot s’explique de même que l’embarras de Poincaré, de Lloyd George de même que les exigences de l’Italie à qui la Maçonnerie avait promis le Trentin et Trieste, moyennant l’article 15 du pacte de Londres. On s’explique aussi l’indignation imprévue de Wilson : jusque-là, il n’avait pas songé à protester contre la violation de la Belgique et du Luxembourg, le sac de Louvain, le déportement des civils, les fusillades des enfants et des femmes ; mais soudain, au bout de deux ans d’atrocités qui l’avaient laissé parfaitement calme, il s’avise d’envoyer des encycliques sur le droit des peuples, parce qu’en représailles du blocus anglais qui affamait leur pays, les Allemands coulaient avec leurs sous-marins, les vaisseaux de commerce, à quelque pavillon qu’ils appartinssent, soupçonnant non sans raison, qu’ils ne devaient pas se gêner pour transporter des vivres et des munitions à leurs ennemis.

Nous possédons le compte-rendu de ce Congrès de juin, qui se tint justement le jour anniversaire du deuxième centenaire de l’organisation de la Franc-Maçonnerie dans sa forme moderne. C’est une brochure blanche, timbrée d’un drapeau où rayonne un soleil couleur de sang séché ; dix petites étoiles de même teinte forment un premier cercle autour de lui ; et cinq autres plus grandes sont semées dans la périphérie : elles figurent les nations qui adhèrent à la Ligue : c’est l’étendard de la Société des Nations.

Pendant trois jours, les 28, 29 et 30 juin, le Congrès discutera comme une assemblée souveraine du sort des nations et leur imposera, sous peine de mourir de faim et d’être rayée de la carte de l’Europe, l’adhésion à la religion démocratique.

Le premier jour est le plus solennel. La séance se tient rue Cadet, sous la présidence du F.˙. Corneau, président du Conseil de l’Ordre du Grand-Orient de France, initié du 33e degré. Toutes les Loges alliées et neutres, celles d’Italie, d’Angleterre, d’Irlande, de Belgique, d’Espagne, de Catalogne, de Suisse, de Portugal, d’Argentine, du Brésil et jusqu’à celle de Costa Rica et de l’Ohio sont représentées. Dès le début, nous tenons l’aveu de la Maçonnerie qu’elle a changé l’esprit de la guerre en faisant d’un conflit national un conflit social, une nouvelle étape de la Révolution universelle ; et, comme jadis Jules Ferry se félicitait de voir les armées françaises battues à Sedan, parce qu’elles étaient les armées de l’empereur, le F.˙. Corneau, dans son discours d’ouverture, se réjouit de la dissolution de l’Empire Russe. Peu lui importe que des membres de la Douma viennent ouvertement dans les lignes autrichiennes offrir la paix à tout prix et que cet abandon de la lutte menace de précipiter sur notre front l’avalanche de quatre-vingt divisions allemandes toutes fraîches, si de nouvelles hécatombes françaises sont nécessaires au triomphe de la Démocratie universelle !

« La guerre, dit le vénérable F.˙., s’est transformée en une formidable querelle des démocraties organisées contre les puissances militaires et despotiques. Dans cette tempête, le pouvoir séculaire des tsars de la grande Russie a déjà sombré ; la Grèce, par la force des évènements, a dû revenir à l’exécution de sa constitution libérale. D’autres gouvernements seront emportés par le souffle de la liberté. Il est donc indispensable de créer une autorité supernationale qui aura pour but non de supprimer les causes des conflits, mais de résoudre pacifiquement les différends entre les nations. La Franc-Maçonnerie se propose d’étudier ce nouvel organisme : la Société des Nations. Elle sera l’agent de propagande de cette conception de paix et de bonheur universels. Voilà mes très ill.˙. Fr.˙. notre travail. Mettons-nous à l’œuvre. »

Et les très ill.˙. Fr.˙. se sont mis à l’œuvre. Le Fr.˙. Lebey, secrétaire de l’Ordre, s’est levé, et il a lu un rapport qui est en même temps le symbole de la foi maçonnique incarné dans la Société des Nations et la mise en demeure aux peuples d’entrer dans la nouvelle Église sous peine d’être rejetés aux ténèbres extérieures. Il ne s’agit plus de rivalités de races, de cupidités humaines : nous sommes en pleine mythologie illuministe ; c’est la lutte entre Ahriman, principe du mal, et Ormuzd, principe du bien. « De la violation de la neutralité belge, s’écrie l’ill.˙. Fr.˙. à la levée des États-Unis d’Amérique, en passant par la Révolution russe, il n’est pas un fait qui n’ait apporté sa preuve à ce duel gigantesque entre les deux principes ennemis. Il s’agit de savoir désormais si l’humanité va atteindre son salut ou marcher à sa perte, si elle touche à l’avenir ou retourne au passé. Il n’est personne qui n’apporte une adhésion spéciale, enthousiaste et réfléchie à la Société des Nations. »

Et les vaticinations menaçantes continuent à lancer leurs foudres dans les fumées d’un Sinaï laïque où les victoires et les défaites, les hommes d’État et les chefs militaires sont classés non pas selon les nations, mais selon la conformité à l’idéal maçonnique lentement poursuivi dans l’ombre. « De Waterloo à Sedan, de Sedan à la Marne, de La Fayette et de Washington au président Wilson et au maréchal Joffre, une logique obscure paraît mener le monde à son but inconnu. »

Cette logique obscure qui remplit l’office de Providence dans ce Discours sur l’Histoire universelle à la manière maçonnique veut, en effet, que la France ne verse pas son sang uniquement pour repousser son agresseur : « La France en armes pour l’abolition du militarisme va plus loin. Elle ne saurait s’arrêter dans son apostolat. Elle revendique la Société des Nations et celle-ci devient le but même de la guerre, la préface du traité de paix. » Et sans cesse le mot Société des Nations revient, lancinant, selon la méthode d’envoûtement verbal qui réussit toujours aux plans de la secte.

Donc anathème à ceux qui tenteraient d’engager des pourparlers de paix, par pitié pour l’Europe exténuée, avant que le nouveau totem n’ait été reconnu par l’univers entier : « Tout le monde sent, dit l’orateur, qu’une paix qui ne serait qu’un instrument diplomatique demeurerait incomplète et qu’elle doit être une première mise en œuvre de la Société des Nations. Ne pas saisir L’OCCASION UNIQUE qui s’offre de rebâtir plus raisonnablement le monde, serait une véritable folie. Nous restons, en le faisant, dans la tradition de notre pays. En 1789, il proclame les Droits de l’Homme. Nous couronnerons l’œuvre de la Révolution française en proclamant le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. »

Pour que ce beau résultat soit acquis, l’Ill.˙. Fr.˙. entonne l’appel à la guerre. Comment ne profiterait-il pas de ce qu’il appelle « une occasion unique » ? « Puisque la victoire seule inclinera les peuples asservis sur le sentiment de la justice qui leur demeure encore étrangère, nous avons le devoir, mes F. F., de réveiller, partout où nous passons, les cœurs qu’une longue attente a rendus incertains quelquefois. S’IL Y A UNE GUERRE SAINTE, C’EST CELLE-LÀ, ET NOUS DEVONS LE REDIRE SANS CESSE. »

Le lendemain, le même Fr.˙. Lebey donne lecture des treize articles qui constitueront dans ses lignes essentielles la charte de la Société des Nations et sur lesquelles la Commission s’est mise d’accord. Toute la monstrueuse duperie (où il n’y a pas que des dupes) qui se révèle aujourd’hui sous la grandiloquence maintenant en loques de l’humanitarisme genevois, se trouve ici préparé, que dis-je, décrété et imposé avant les quatorze points de Wilson. Il n’y a que le drapeau timbré du soleil couleur de sang séché, rayonnant sur fond blanc au milieu des étoiles de même teinte, que nous attendions encore ; mais sans doute le verrons-nous un jour mener les gardes rouges de la République universelle contre les derniers hommes libres qui auront refusé d’adorer la Bête démocratique.

Comme l’avait proclamé l’ill.˙. Fr.˙., la charte de la Société des Nations, ce n’est que la Déclaration des Droits de l’Homme étendue aux nations, et le principe sacro-saint de l’égalité maçonnique y est appliqué dans toute son odieuse absurdité. Désormais toute nation, honnête ou fourbe, égoïste ou généreuse, turbulente ou tranquille, d’origine récente ou antique, qu’elle ait rendu des services ou commis des méfaits, aura voix égale au conseil. De cette façon, plus facilement encore que dans les parlements nationaux, la finance judéo-maçonnique, qui, des places de New-York, de Londres, de Berlin, de Paris, de Vienne, de Hambourg, dispose du charbon, de l’acier, du coton, du blé, du pétrole, pourra dicter ses volontés à l’univers. Caligula souhaitait que le monde entier n’eût qu’une seule tête. Son vœu va s’accomplir.

La guerre est naturellement décrétée hors la loi, car elle est un crime contre le genre humain, excepté bien entendu celle-ci qui est sainte parce qu’elle offre « l’occasion unique » d’établir le règne de la Démocratie universelle. Quand, sous ce vocable tabou, la Maçonnerie inspirera tous les États, les peuples n’auront plus de raisons de se battre. Si, par mégarde, des puissances entraient en conflit, la Société des Nations les convoquerait devant son tribunal souverain. Pendant que les commissions et les sous-commissions d’enquête discuteront gravement pour désigner quel est l’agresseur, une nation plus rusée ou plus avide, à laquelle ses sociétés sportives, ses organisations de police, ses ligues d’étudiants, sans compter ses entreprises d’aviation commerciale et ses laboratoires de chimie, auront permis de s’équiper, sans enfreindre la règle du nouveau Décalogue, aura tout le temps d’envahir une nation plus faible ou qui aura pris au sérieux la comédie du désarmement. Déjà l’annexion de la Géorgie par la Russie en 1918 et aujourd’hui l’invasion du Japon à coup de mitrailleuses et de canons en Mandchourie et à Shanghai, à la barbe de Genève, nous donnent un avant-goût de ce que pourra se permettre l’Allemagne.

Et comme la Maçonnerie ne saurait reconnaître comme libre qu’un peuple dont l’état de dissolution démocratique est suffisamment avancé pour ne plus offrir de résistance à l’action des Loges, l’assemblée décrète souverainement : « Un peuple qui n’est pas libre, c’est-à-dire qui ne possède pas les institutions démocratiques et libérales indispensables à son développement, ne peut pas constituer une nation. » Contre ce peuple-là, toutes les injustices seront permises.

Le Congrès n’oublia pas d’adresser au Président Wilson, l’homme de paille des juifs maçons de Wall Street, l’hommage de son admiration et le tribut de sa reconnaissance pour la grandeur des services rendus par lui », affirmant que « les principes éternels de la Franc-Maçonnerie (parbleu !) étaient entièrement conformes à ceux proclamés par M. le président Wilson pour défendre la Civilisation et la Liberté des peuples » et déclarant que le Congrès « était heureux de collaborer avec lui à la réalisation de cette œuvre de justice internationale et de fraternité démocratique qui représente l’idéal même de la F.˙.-M.˙. ».

Enfin, le dernier jour, 30 juin, la Grande Loge de France, sous la présidence du général Peigné, reçut à son tour, 8, rue de Puteaux, les délégués du Congrès et, après un banquet de près de deux cents couverts au Palais d’Orsay, une tenue solennelle avec réception sous la voûte d’acier et batterie d’allégresse, adopta les résolutions émises la veille par le Grand Orient.

Ainsi les jeux étaient faits et la paix de l’empereur Charles condamnée à l’étouffement absolu. Au Sénat, le 22 juillet, Ribot qui n’a toujours rien répondu à la lettre généreuse de l’empereur, tonnera avec sa grandiloquence coutumière contre le despotisme germanique et affectera toujours de confondre les deux adversaires dans la même exécration, cependant que Wilson deviendra de plus en plus, grâce à une publicité inouïe, le Juste, le Vertueux, le seul Pacificateur ; il n’est entré dans la guerre que pour venger l’humanité ; l’Amérique, la vertueuse Amérique dont il est l’expression visible, ne pense qu’à délivrer les opprimés, secourir les nations en détresse. Naïvement le peuple français s’imagine que ces tonnes de boîtes de conserve, d’équipements, de bottes de caoutchouc, de couvertures, tout cet immense stock qui se déverse en avalanche dans nos ports nous est prodigué libéralement pour coopérer à la croisade humanitaire contre le despotisme des Huns, en attendant les magnifiques soldats qui ne peuvent manquer de venir combattre à nos côtés dès qu’ils seront instruits.

Si quelqu’un se fut avisé de dire que cette intervention risquait de nous ruiner et qu’il eut été plus avantageux de continuer à regarder du côté de Vienne, on eût tôt fait de le traduire en conseil de guerre et de le fusiller comme « défaitiste ». Quand le général Pershing viendra saluer la statue du général La Fayette et déposer à ses pieds une gerbe de fleurs en disant : « La Fayette, nous voici ! » aussi ingénument nous croirons que c’est au Français qui émut l’opinion de son pays en faveur des colons insurgés de la Virginie, que ce cri s’adressait, alors que c’était tout simplement à l’initié de la Loge des Amis réunis. Le bulletin du Congrès de juin 1917 a eu bien soin de remarquer dans une note de la page 17 que le tablier maçonn.˙. de La Fayette est pieusement conservé par la grande Loge des Massachussetts. « De La Fayette à Wilson, a dit le Fr.˙. Corneau, une logique obscure mène le monde à son but inconnu. »

Le 1er août 1917, le Pape jeta encore un nouveau cri de paix. Il conjurait l’Europe de ne pas aggraver, en prolongeant encore la guerre, les souffrances de tous, et il lui demandait, avec une tendre stupeur, si, « entraînée par une folie universelle, elle allait courir à l’abîme et prêter la main à son propre suicide ». On reconnaissait dans cet appel l’écho des propositions de l’Autriche et peut-être des suggestions du P. Tacci-Venturi, mais aussi celui des revendications formulées par les loges maçonniques et qui, savamment filtrées aux tribunes parlementaires et dans la presse, semblaient à l’opinion l’Évangile du Droit. On aurait dit que, comme Léon XIII, Benoît XV tentait à nouveau d’exorciser de leur venin les aspirations démocratiques en les ramenant à de légitimes désirs de liberté ; il ajoutait foi à la Société des Nations, à son programme d’arbitrage et de désarmement, à son vœu de substituer « à la force matérielle des armes la force morale du droit ». Pour la première fois, rompant avec l’inflexible condamnation prononcée par le Saint-Siège contre la Maçonnerie, il faisait crédit aux formules qu’elle lançait ; sans doute espérait-il aussi qu’en entrant dans cette formation, les catholiques pourraient en arrêter les desseins pervers ?

Mais l’exclusive de l’article 15 du Pacte de Londres ne souffrait aucune atteinte et la Paix du Pape ne postulait pas le renversement des monarchies allemandes et autrichiennes ; la religion démocratique n’y trouvait pas son compte. Aussi, alors que toutes les puissances répondaient, évasivement, il est vrai, mais respectueusement, l’Angleterre, la France et l’Italie, liées par le Pacte de Londres, n’accusèrent même pas réception. En France, en particulier, tous les journaux, à l’exception de l’Action Française, raillèrent, méprisèrent où injurièrent la proposition du Pape. « Coup d’épée dans l’eau », disait-on, ou « Paix allemande ». Le Temps et les Débats hochaient la tête avec componction. « Grave inopportunité », concluaient-ils.

Quant à Ribot, le chargé d’affaires anglais à Rome, M. de Salis ayant paru s’intéresser aux efforts du Saint-Siège, il chargeait l’ambassade de France de transmettre à Lord Robert Cecil, ministre du Foreign Office, des instructions que celui-ci rapportait à Lord Bertie sous cette forme : « M. Ribot me prie de vous faire connaître ses appréhensions et de vous dire qu’il ne saurait se laisser conduire dans la voie où le Vatican paraît vouloir l’entraîner ; il espère que le gouvernement britannique partage son sentiment et donnera à M. de Salis des instructions en vue de décourager toute tentative ultérieure du cardinal secrétaire d’État, tendant à une intervention officieuse entre belligérants. »

Le 22 juillet, à Paris, malgré sa promesse de ne pas démasquer la personne de l’empereur à Sonnino, il communiquait au ministre italien tout le dossier des négociations, y compris les lettres du 24 mars et du 9 mai ; et en septembre, sur les tombes de la Marne, à la Fère-Champenoise, « du haut de la colline qui fut la clé de la victoire », il jetait à nouveau à l’Allemagne le mot d’ordre maçonnique énoncé au Congrès de juin au sujet des garanties exigées pour conclure la paix : « C’est au peuple allemand de comprendre qu’il dépend de lui de nous les donner en secouant la tyrannie néfaste du despotisme militaire. S’il se refuse à devenir une démocratie pacifique, c’est dans ses intérêts économiques qu’il risque d’être atteint par la ligne de commune défense que les peuples se verront forcés d’organiser contre lui. »

Le 12 octobre, enfin, il va livrer l’Autriche devant la Chambre, en révélant les pourparlers de paix et en affirmant, contre toute vérité, qu’ils ont échoué parce que l’Autriche n’offrait rien à l’Italie. Telle sera sa seule réponse à la lettre de Charles. Son rôle est fini et, le 22 octobre, au sortir d’un comité secret, il tombera misérablement. La Maçonnerie, n’ayant plus besoin de lui, l’oubliera dans un coin.

« L’Empereur Charles a offert la paix, dira plus tard Anatole France ; c’est le seul honnête homme qui ait paru au cours de cette guerre, et on ne l’a pas écouté... Un roi de France, oui, un roi aurait eu pitié de notre pauvre peuple exsangue, exténué, n’en pouvant plus. Mais la démocratie est sans cœur et sans entrailles. Au service des puissances d’argent, elle est impitoyable et inhumaine [2]. »

En effet, la révolution russe a produit ses fruits ; le girondin Kerenski, comme il arrive toujours, n’a pas été long à être débordé par le jacobin Trotski. À Moscou, cela se traduit ainsi : les bolcheviks ont dévoré les mencheviks. Lénine, au début d’octobre, a quitté la hutte de branchages et de foin d’où, pendant tout l’été, il avait, en Finlande, déguisé en paysan, dirigé l’action des Soviets. Il se cache à Pétrograd, dans le faubourg de Viborg, les sourcils teints en gris, sans barbe, sous une perruque, tandis que Trotski, avec sa méthode, nouvelle alors, d’infiltration invisible dans les centraux téléphoniques, les télégraphes, les postes, les gares, tisse la toile où Kerenski se débat. Il suffira de deux mitrailleuses sur les toits du Palais d’hiver pour que Kerenski s’enfuie avec ses phrases et ses attitudes. Lénine peut ôter sa perruque et se faire reconnaître. Sa dictature commence. Le sang va couler en Russie plus abondant encore que pendant la guerre. Le front russe n’existe plus.

Presqu’en même temps, le 24 octobre, les Italiens essuient une défaite écrasante sur l’Isonzo ; le 1er novembre, le communiqué allemand annonce 160 000 prisonniers et 1 500 canons capturés dans la retraite générale qui prend les allures d’une déroute et va nécessiter l’envoi urgent d’une armée française, sous les ordres du général Fayolle, pour rétablir la situation.

Mais, implacable, la Maçonnerie, non contente de dissoudre la Russie, va couper les derniers fils diplomatiques qui pouvaient nous relier à l’Autriche. L’Empereur Charles avait toujours refusé de déclarer la guerre à l’Amérique, malgré l’insistante pression de l’Allemagne. Le F.˙. Massarick, qui poursuivait à Paris le séparatisme de la Bohème, pousse son compère Wilson à rompre officiellement avec la monarchie austro-hongroise, sous le prétexte qu’elle est devenue vassale de l’Allemagne (les hypocrites ! Ils font tout pour qu’il en soit ainsi !). Dans le message du 4 décembre, plein de sous-entendus entre initiés, Wilson dit au Sénat : « Nous sommes en guerre avec l’Allemagne et pas avec ses alliés. En conséquence, je propose gravement que le congrès déclare les États-Unis en état de guerre avec l’Autriche-Hongrie. L’Autriche-Hongrie n’est pas en ce moment sa propre maîtresse, mais la vassale de l’Empire allemand. Nous devons considérer les puissances centrales comme ne faisant qu’une. »

Mais pour conclure, il laisse échapper cet aveu ingénu qui réduit à rien les raisons évoquées et montre bien le vrai caractère de cette décision : « La même logique conduisait à une déclaration de guerre contre la Turquie et la Bulgarie. Ce sont aussi des outils de l’Allemagne ; mais ce sont de simples outils qui ne sont pas encore au travers du chemin de notre action nécessaire. »

Et pour continuer cette action nécessaire, un mois après, le 8 janvier 1918, toujours avec le même sérieux imperturbable, cette noble candeur, dira Clemenceau l’ironiste, Wilson lançait ses quatorze points. Tous les buts de la guerre, et l’esprit même de la Paix qu’il préconisait, sans annexion ni indemnité, ne faisaient que reproduire les conclusions adoptées par le Congrès maçonnique de juin 1917. Dans ses parties concrètes, son encyclique n’offrait pas de plus grands avantages aux alliés que la lettre du Pape du 1er août ; mais comme l’idéologie démocratique y était pieusement observée en tous ses articles, la presse de l’Entente entra dans un délire sacré, et ce qui cinq mois plus tôt, prononcé par le Pape, était flétri comme dicté par l’Allemagne, apparaissait dans la bouche du Président aux dents d’or, la voix même de la justice immanente.

C’est que d’abord la monarchie autrichienne, en dépit de sa bonne volonté évidente, y était impitoyablement, toujours au nom de l’humanité, contrainte à continuer la guerre. En parlant de la réponse que le Comte Czernin avait faite aux quatorze points wilsoniens, le « Maître de l’heure », comme l’appelaient alors les journaux inspirés par la Maçonnerie, déclarera un mois plus tard dans son message au Congrès avec la « noble candeur » qui était sa marque : « Le comte Czernin semble avoir une vision nette des bases essentielles de la paix et ne pas chercher à les obscurcir. (Il consentait en effet à une Pologne indépendante, à une Belgique évacuée et restaurée, à l’autonomie politique des diverses nationalités de l’empire des Habsbourg.) « Discernant et admettant comme il le fait, poursuivait le législateur de la Démocratie, les principes essentiels engagés et la nécessité de les appliquer honnêtement, il est naturellement porté à croire que l’Autriche est en mesure de répondre aux desseins pacifiques exprimés par les États-Unis, et cela avec moins d’embarras que ne pourrait le faire l’Allemagne. Peut-être même aurait-il été plus loin dans l’expression de ses sentiments s’il n’avait été embarrassé par les alliances de l’Autriche et par sa dépendance à l’égard de l’Allemagne. »

Alors ? le Maître de l’heure va tout tenter, n’est-ce pas, pour arracher cette nation des bras de sa dure maîtresse, d’autant qu’il sait que l’Allemagne ne peut continuer la lutte sans les blés de la Hongrie et de la Roumanie ? Or, si l’Autriche signait la paix, l’Allemagne serait ainsi coupée de toutes communications avec la Roumanie conquise... Oui, mais si Wilson aidait l’Autriche à se détacher aujourd’hui de l’Allemagne, la paix générale qui s’ensuivrait ferait manquer « l’occasion unique », dont a parlé le F.˙. Lebey, de détruire les dernières monarchies de droit divin, surtout celle des Habsbourg. Il faut donc poursuivre « la guerre sainte » !

Les pourparlers de Brest-Litovsk commencent ? Qu’importe ! Au contraire : Wilson, dans son message du 8 janvier, avait félicité les bolcheviks de leur « exposé parfaitement précis des principes d’après lesquels ils seraient disposés à conclure la paix ». Ils avaient été formulés, disait-il, « avec une franchise, une largeur de vues, une générosité d’esprit, une sympathie humaine et universelle qui doit provoquer l’admiration de tout ami de l’humanité », et il revendiquait pour l’Amérique l’honneur « d’aider le peuple russe à atteindre son haut idéal de liberté et de paix dans l’ordre », sous la dictature de Lénine.

Il convient d’observer qu’en avril 1917 le financier judéo-maçon de Wall-Street, Jacob Schiff, chef de la firme Kuhn, Lœb et Cie, s’était vanté publiquement d’avoir commandité la Révolution russe (ce qui était connu d’ailleurs de l’État-major du Tzar dès le 15 février 1916). Jacob Schiff n’était pas seul d’ailleurs, et l’on retrouvait à ses côtés les banquiers également juifs de la place de New York qui s’appelaient Warburg, Otto Kahn, les mêmes, comme par hasard, qui pousseront à la présidence des États-Unis leur homme-lige, Hoover, pour qu’il lance le moratoire du plan Young.

À Paris commençait à courir dans les rues l’ignoble refrain où l’on appelait « Notre Père », comme Dieu même, le Féticheur de la Maison Blanche :

 

        Gloire à Wilson not’Père ;

        Il fait finir la guerre ;

        C’est la Société des Nations

        Qui fera taire le canon.

 

« Ce dont il s’agit aujourd’hui, c’est de la Paix du monde », décrétait le nouveau Messie, le 11 février.

En fait de paix du monde, trois semaines après, la paix de Brest-Litovsk, enfin signée par ordre de Lénine, montrait comment la « franchise, la largeur de vues et la générosité d’esprit, la sympathie humaine et universelle » des bolcheviks entendait « atteindre ce haut idéal de liberté et de paix dans l’ordre », préconisé par Wilson. Ce traité livrait à l’Allemagne la Pologne, la Courlande, la Lithuanie, et exigeait vingt milliards d’indemnités ; trois jours après, la Roumanie capitulait à son tour, sans conditions. Désormais, tranquille sur le front est, l’Allemagne pouvait envoyer quatre-vingts divisions nouvelles contre nous ; elle pouvait aussi contraindre l’Autriche à venir l’appuyer sur le front ouest, et ceci avant qu’aucun soldat américain fût prêt à renforcer nos unités épuisées et à relever nos vieux territoriaux qui remplaçaient en maints secteurs aux premières lignes nos jeunes classes anéanties, et alors que la désorganisation du front italien avait encore prélevé des effectifs importants ! En vérité, la Maçonnerie avait bien travaillé pour la Paix.

Mais encore une fois, des milliers d’hommes devaient être immolés, des milliards gaspillés pour que régnât la Démocratie universelle.

Comme l’avait déclaré le F.˙. Lebey dans sa communication au Conseil de l’Ordre, le 9 décembre 1917 : « Pendant une guerre si nette, si claire, si formelle, nul ne saurait hésiter sur son devoir. Ne pas défendre la patrie serait livrer la République. Patrie, république, esprit révolutionnaire et socialisme sont indissolublement liés. »

Pour la France seule, cet holocauste devait lui coûter encore trois cent mille victimes et cent milliards sans qu’elle en sortît plus grande, au contraire, que si elle avait accueilli la paix que lui offrait Charles d’Autriche. Il fallait, pour que la nouvelle rédemption fut imposée à l’Europe centrale, que Paris connut l’épouvante de ce bombardement mystérieux de la Bertha dont les obus démoniaques tirés du massif de Saint-Gobain fondaient lâchement, de quart d’heure en quart d’heure, sur les femmes et les enfants, dans les églises et dans les rues. Il fallait que nous connussions à nouveau les angoisses de la brèche ouverte sur Paris par la débâcle de la deuxième armée anglaise sur le front de l’Oise, le 21 mars, et deux mois plus tard, le 27 mai, la ruée soudaine de Ludendorff sur le Chemin des Dames à peine occupé par des unités squelettiques franco-anglaises qu’on avait envoyées là se reposer de l’attaque de mars, toutes nos réserves étant dans les Flandres, appelées à l’aide par l’état-major anglais, pour soutenir le choc de la bataille d’Amiens qui faisait rage.

« Ah ! la République vous dépense du sang comme de l’eau claire ! » s’écriait Joseph de Maistre en 1794, en songeant aux 70 000 morts qu’avait coûtés la conquête du Piémont par les armées de la Révolution.

Une fois de plus, il est vrai, comme à la Marne, comme à Verdun, la France se ressaisit sous la verge de fer de Clemenceau ; le Tigre imposa aux Alliés le commandement unique de Foch, et les Américains, arrivant enfin, peu à peu, pour se battre vraiment et boucher les vastes trous faits dans la ligne de bataille par nos morts, la stratégie française, après la terrible alerte de mai au chemin des Dames, eut les moyens de dominer l’adversaire. La seconde ruée germanique du 15 juillet, dans les champs catalauniques, ne réussit qu’à se briser contre nos tirs de barrage et trois jours après, la foudroyante riposte de Mangin, débouchant de la forêt de Villers-Cotterêts, délivrait Soissons, puis Laon, capturant 30 000 soldats, 800 canons et 6 000 mitrailleuses, tandis que dans le Nord les forces anglo-françaises dégageaient progressivement la Picardie et la Flandre. L’initiative échappait désormais à l’Allemagne.

En septembre, sur le front de Macédoine, la splendide campagne serbo-française de Franchet d’Esperey allait commencer, enfonçant en moins de quinze jours le front bulgare ; le 29, la cavalerie française entrait à Uskub et le 30, à midi, la Bulgarie signait l’armistice. L’Allemagne et l’Autriche se trouvaient coupées de la Turquie au moment où le général Allenby, à la tête de ses Anglo-Indiens, chassait celle-ci de Syrie et entrait à Damas. À la fin d’octobre elle capitulera à son tour. Devant Franchet d’Esperey la route du Danube est ouverte ; la Serbie est entièrement libérée ainsi que la Roumanie ; par la Hongrie et la Bohême, le général français s’apprête à marcher sur Munich, puis sur Berlin, tandis que les Italiens, que Foch harcèle depuis deux mois et demi, se décident enfin à entrer dans l’offensive unanime ; profitant du désarroi de l’armée austro-hongroise, ils déclenchent le 26 octobre une attaque générale du mont Tomba à la mer, et en deux jours, franchissent la Piave et poursuivent les Autrichiens en pleine déroute. Le 2 novembre, c’est-à-dire au bout de sept jours, l’Autriche signe à son tour l’armistice. L’Allemagne demeure seule ; sur le front d’Occident, ses armées battent en retraite sur toute la ligne en direction de la Meuse, d’ailleurs dans un ordre saisissant, grâce aux mitrailleurs d’élite de leurs arrière-gardes, ordre d’autant plus admirable que les prisonniers allemands du front russe, libérés par la paix de Brest-Litovsk, s’étaient chargés à leur retour de propager depuis un an dans les rangs des troupes le communisme qu’on leur avait inoculé. À Berlin, à Munich, à Vienne et à Budapest, les Loges avaient travaillé activement, comme elles l’avaient décidé dès avril 1916, à provoquer la Révolution. Il dut courir à ce moment-là des mots d’ordre pareils à ceux qui firent tourner bride à Valmy, après une simple canonnade, au duc de Brunswick, Grand Maître Général des Illuminés de Bavière. Et puis quel merveilleux terrain de culture pour la Révolution que ces peuples épuisés par la faim, excédés de continuer à se massacrer sans savoir pourquoi et à qui l’on vient dire que la paix est entre leurs mains s’ils confessent le dogme démocratique en renvoyant dans le désert comme des boucs émissaires leurs souverains légitimes « Le travail a porté ses fruits, déclarera le social-démocrate Vater, le 21 décembre 1919, dans une réunion à Magdebourg. Nous avons organisé la désertion sur le front, nous avons pourvu les déserteurs d’argent, de tracts de propagande faisant appel à la désertion. Nous avons envoyé nos gens dans toutes les directions, principalement au front, pour qu’ils puissent travailler les soldats et désagréger l’armée. Ils ont conseillé aux soldats de passer à l’ennemi et c’est ainsi que l’écroulement a été obtenu petit à petit, mais en toute certitude. »

Dans quelle mesure cette conversion démocratique fut une feinte pour l’Allemagne, les paroles sibyllines du Kaiser, parlant du sommeil de Charlemagne précurseur du grand réveil, les biens respectés des maisons souveraines, le nom même du Reich conservé, tout cela autorise des doutes sérieux. Certes, l’Allemagne jouait un jeu dangereux, car un pays n’ouvre pas la porte à la Révolution sans dommages ; mais il valait la peine d’être joué. En somme, les quatorze points permettaient aux Allemands d’éviter l’écrasement total ; au moment où Castelnau lâchant sur le flanc gauche de Ludendorff les légions de l’impétueux Mangin, allait leur infliger une capitulation en rase campagne, sans précédent depuis Sedan, l’armistice permit aux armées allemandes de rentrer en triomphatrices magnanimes dans leurs villes inviolées : l’Allemagne, convertie à l’évangile wilsonien, déclarait renoncer à ses conquêtes par humanité.

Pourtant, au début, la comédie risqua de tourner fort mal. L’Allemagne avait laissé les principaux rôles aux socialistes et aux communistes, car il convenait de montrer aux Puissances occultes qu’on n’était pas démocrate à demi. Comme par hasard, que ce fut en Prusse, en Bavière, en Autriche ou en Hongrie, ce furent uniquement des juifs qui dirigèrent le mouvement. Berlin se donna à Liebknecht, à Rosa Luxembourg, à l’énigmatique Spartacus qui s’appelait aussi Parvus et dont le nom était Sobelsohn ; à Munich régnèrent Kurt Eisner, puis Max Lieven ; à Vienne, Adler, condamné à mort sous François-Joseph pour avoir assassiné un ministre d’État. À Budapest sévit l’horrible Bela Kuhn. Pendant ce temps la Russie continuait à massacrer, piller, torturer, profitant de l’aide que lui avait promise Wilson pour « atteindre son haut idéal de liberté et de paix dans l’ordre ».

Peut-être n’avait-il pas tellement tort, ce Lénine qui, à l’annonce de la signature de l’armistice, avait annoncé au camarade Zinoviev : « Notre triomphe est complet ; Wilson, Lloyd George et Clemenceau demandent et proposent un armistice. » Et la Gazette rouge avait publié la nouvelle avec cette manchette : « Capitulation complète de la Bourgeoisie. »

Cependant Wilson, en janvier 1919, avant de venir, de sa propre autorité, diriger les débats de la Conférence de la Paix, au nom de son pays, s’était arrêté à Rome et il avait rendu visite au Pape. Que se dirent-ils ? On rapporte qu’au cours de leur entretien, le Pape tint à rappeler que le cardinal Gasparri, dans sa lettre à l’évêque de Valence, avait adhéré aux quatorze points. Comment, à l’issue de cette audience, ne mit-il pas en garde son troupeau contre la dangereuse équivoque qui menaçait de le séduire ? Comment ne rappela-t-il pas les objurgations de tous ses prédécesseurs et en particulier la clairvoyante encyclique Humanum Genus, où Léon XIII dénonçait le danger de l’hypocrite langage maçonnique : « Ils ne parlent, écrivait-il, que de leur zèle pour les progrès de la civilisation, de leur amour pour le pauvre peuple. À les en croire, leur seul but est d’améliorer le sort de la multitude et d’étendre à un plus grand nombre d’hommes les avantages de la société civile. Mais à supposer que ces intentions fussent sincères, elles seraient loin d’épuiser tous leurs desseins. » Il ajoutait que le dernier mot de ces desseins c’était – et tous leurs efforts tendaient à ce but – « de détruire de fond en comble toute la discipline religieuse et sociale qui est née des institutions chrétiennes, et de lui en substituer une nouvelle, façonnée à leurs idées, et dont les principes fondamentaux et les lois sont empruntés au naturalisme ». Et il recommandait aux pasteurs d’instruire leur peuple sur cette question : « Faites-leur connaître les artifices employés par ces sectes pour séduire les hommes et les attirer dans leur rang, montrez-leur la perversité de leur doctrine et l’infamie de leurs actes. Rappelez-leur qu’en vertu des sentences plusieurs fois portées par nos prédécesseurs, aucun catholique, s’il veut rester digne de son nom et avoir de son salut le souci qu’il mérite, ne peut, sous aucun prétexte, s’affilier à la secte des Francs-Maçons. Que personne donc ne se laisse tromper par de fausses apparences d’honnêteté. Quelques personnes peuvent, en effet, croire que, dans les projets des francs-maçons il n’y a rien de formellement contraire à la sainteté de la religion et des mœurs, toutefois, le principe fondamental qui est comme âme de la secte, étant condamné par la morale, il ne saurait être permis de se joindre à elle, ni de lui venir en aide d’aucune façon. » « En premier lieu, ordonnait-il encore, arrachez à la Franc-Maçonnerie le masque dont elle se couvre et faites-la voir telle qu’elle est », et dénonçant enfin leurs doctrines insensées d’égalité démocratique, il prononçait : « Leurs dogmes principaux sont en si complet désaccord avec la raison qu’il ne se peut imaginer rien de plus pervers. »

Foncièrement honnête et pieux, mais timide et faible, alors qu’il eût fallu sur le siège de Pierre un Hildebrandt ou un Sarto, Benoît XV se laissa-t-il dominer par l’inquiétante politique de son secrétaire d’État, le Cardinal Gasparri qui, les mois qui suivirent l’appel du Pape du 1er avril 1917, dans ses deux lettres aux archevêques de Sens et de Valence et ses déclarations au correspondant de l’United Press of America, était entré à fond dans les idéologies wilsoniennes, concernant la Société des Nations, le désarmement et la démocratisation des gouvernements ? L’heure était-elle venue dont parlait Bossuet, lorsque dans son commentaire sur l’Apocalypse il rappelle que dans les premiers temps l’Église a été persécutée par la violence, mais prévoit que dans les derniers elle le sera plutôt par la séduction ? Le but des Hautes Ventes était-il atteint de persuader le clergé de « marcher sous leur étendard en croyant marcher sous la bannière des clefs apostoliques ? »

Quoi qu’il en soit, on reste stupéfait de cette adhésion sans réticence du Saint-Siège au plan maçonnique, alors que la révélation de l’article 5 du Pacte de Londres, l’étouffement systématique des propositions de paix de Benoît XV, ainsi que celles de Charles, l’Europe et la Russie en pleine anarchie, tout ce spectacle enfin annonciateur des derniers temps eût dû le remplir d’horreur et lui rappeler la parole de l’Apocalypse : « Alors tout pouvoir fut donné à la Bête de faire la guerre aux Saints et de les vaincre. Et elle reçut autorité sur toute tribu, tout peuple, toute langue et toute nation. » Mais Benoît XV se tut, même quand il apparut certain qu’au Congrès de la paix il n’aurait même pas un petit tabouret, comme le Honduras, Haïti ou Libéria, dans cet aréopage international qui allait décider du sort du monde et où tant d’intérêts religieux, soulevés par le droit des minorités ethniques, allaient être débattus, où l’étonnant tour de passe-passe de la reconnaissance de la nationalité juive arrachée à Lord Balfour, ainsi que l’établissement non moins extraordinaire du Foyer israélite à Jérusalem, allaient bouleverser le statut des Lieux Saints.

Dès le 4 décembre, par la lettre encyclique Quod jam diu, Benoît XV prescrivait des prières publiques pour attirer les bénédictions du ciel sur cette paix suspecte qui se tramait en dehors de lui. « Nous emploierons toute l’influence de Notre ministère apostolique, écrivait-il, afin que les décisions qui seront prises pour perpétuer dans le monde la tranquillité de l’ordre et la concorde soient partout acceptées volontiers et fidèlement exécutées par les catholiques. » Mais, le même jour, dans le Populaire de Nantes, ivre d’orgueil de voir enfin l’Église, dans cette posture humiliée, mendier ainsi une alliance qu’elle avait repoussée jusque-là avec horreur, laissait échapper des cris d’ignoble exultation devant le triomphe de ses principes. « Monsieur Wilson me semble jouer aujourd’hui le rôle qui fut jadis dévolu à la Papauté. Autrefois la Papauté avait une force spirituelle qui lui permettait d’intervenir dans les conflits et de les terminer au profit de la justice, à présent la Papauté est bien déchue. Elle n’a rien fait pendant la guerre et au moment où la paix va être conclue, il n’est même pas question de Benoît XV. À cette autorité, une autre s’est substituée, celle du président Wilson. Celle-là émane, non de la religion, mais de la raison. Elle s’impose, non par un dogme, mais par la pureté du sentiment et de la pensée. » « Il est remarquable, écrira le Rappel, que l’idée et le vocabulaire de la Révolution française, nous reviennent sous les espèces du président Wilson. »

Quelques jours après la visite de Wilson au Pape, le 18 janvier 1919, la conférence interalliée des Préliminaires de la Paix s’ouvrait sous la présidence de M. Poincaré, président de la République française, dans le salon de l’Horloge, au ministère des Affaires étrangères. Vingt-sept nations y prenaient part, dont Haïti, le Hedjaz, le Honduras et la république noire de Libéria. « Vous tenez dans vos mains l’avenir du monde. Je vous laisse, Messieurs, à vos graves délibérations », déclara M. Poincaré, puis il s’éclipsa. M. Wilson proposa d’offrir la présidence à Clemenceau, ce qui fut accueilli à l’unanimité ; et Clemenceau, ayant accepté, s’exprima ainsi, désignant le véritable metteur en scène de la tragi-comédie dont le rideau se levait : « Le programme de cette conférence a été établi par M. le président Wilson ; ce n’est plus la paix de territoires plus ou moins vastes que nous avons à faire, ce n’est plus la paix des continents, c’est celle des peuples. Ce programme se suffit à lui-même, il n’y a plus de parole superflue à ajouter. Messieurs, tâchons de faire vite et bien. » Quod facies, fac citius...

Pour commencer, au nom sans doute du principe des nationalités, ni la Bavière, ni la Saxe, ni le Wurtemberg, ni aucune des principautés germaniques n’eurent le droit de revendiquer leur ancienne autonomie, et l’on sait ce qu’il advint des tentatives de séparatisme rhénan. L’unité bismarckienne, ô ironie, fut reconnue dans la Galerie des Glaces, à Versailles, là même où en 1871, elle avait été scellée avec notre sang. Par contre, la Lithuanie ne fut pas rattachée à la Pologne, bien que sa fraternité de sang comme ses gloires historiques l’eussent exigé indubitablement et que le poète national Mickiewicz eût été lithuanien. On vit promues à la dignité d’État les tribus les plus confuses comme la Lettonie, le Hedjaz ou des agglomérations si inextricables qu’on était contraint de leur donner un double nom ; la Serbie agrandie, toujours au nom du principe des nationalités, s’appela Yougo-Slavie, parce qu’aux Serbes proprement dits se joignaient des Slovènes sans compter les Croates... Quant à l’Autriche-Hongrie, véritable confédération danubienne dont l’unité, chef-d’œuvre des Habsbourg, était une nécessité géographique pour tous les États qui la composaient, elle fut impitoyablement démembrée. On n’osa pas nommer Bohême l’état artificiel qui comprenait des Hongrois, des Allemands, des Tchèques et des Slovaques, mais on l’appela Tchéco-Slovaquie.

Pour que cette comédie des nationalités, dont la principale raison d’être avait été l’anéantissement de la dernière monarchie catholique, fut d’une absurdité complète, il fallait, selon la remarque de M. Malinsky, dans sa pénétrante étude sur la Démocratie victorieuse, il fallait que cette comédie fût réglée par le représentant d’une République où les races ne comptent pas et où Anglo-Saxons, Allemands, Italiens, Français, s’appellent Américains et parlent anglais. Mais, encore une fois, ce n’était que la façade. L’important c’était, derrière cet appareil juridique, de rassembler dans les mains de la finance judéo-maçonnique, sous le nom de virements, de consolidations, de crédits, d’emprunts, tous les capitaux de l’ancienne chrétienté et de consommer la ruine des peuples libres commencée par la guerre.

On comprend les paroles sévères de Foch rapportées par Sauerwein dans le Matin du 8 novembre 1920. Le 6 mai 1919, lors de la remise du traité aux puissances alliées, le Maréchal, ayant inutilement présenté ses objections, dit à Clemenceau : « Monsieur le Président, je me demande si je vous accompagnerai demain à Versailles. Je me trouve devant le cas de conscience le plus grave que j’aie connu dans mon existence. Ce traité, je le répudie et je ne veux pas, en m’asseyant à vos côtés, en partager la responsabilité. Il y aura peut-être une Haute-Cour pour nous juger, parce que la France ne comprendra jamais que de la victoire nous ayons fait sortir la faillite. Ce jour-là, je veux me présenter la conscience tranquille et mes papiers en règle. »

Mais ceci fut dit entre deux portes et rien n’en transpira pendant dix-huit mois. Le 8 novembre 1920, il était trop tard ; ce n’était pas à cette époque-là et à un simple journaliste, dans une conversation particulière, mais dès le 6 mai 1919 et à la France entière qu’il eût fallu dire : « On vous ment ; cette Paix n’est pas une paix de justice, c’est l’escroquerie de la victoire et j’en connais les bénéficiaires. » Mais le Maréchal se tut ; sa consigne ne comportait pas de démarches de cette sorte. La stratégie politique ne se trouve pas dans le règlement de manœuvres, au chapitre VIII du Combat, concernant l’exploitation du succès.

La Maçonnerie l’avait toléré, malgré sa foi religieuse, comme tant d’autres de ses pairs, parce que lui seul pouvait mener à la victoire les armées de la Démocratie. Il croyait sauver seulement la France et l’Europe ; on le laissa dans cette illusion. Mais une fois son rôle technique terminé, on ne tînt plus compte de ses avis. Il bougonna, bouda, mais demeura dans ses fonctions.

Quant à Wilson, notre renoncement à la frontière du Rhin, voulue par Foch, nous ayant été arraché par lui sur sa promesse que l’alliance anglo-américaine jouerait immédiatement, en cas d’agression, l’univers étonné apprit que sa parole n’engageait nullement son pays, le Sénat américain ayant refusé de ratifier sa signature. Il aurait suffi d’ailleurs, pour prévoir cette duperie, de se reporter au texte officiel du traité de Versailles, où il est écrit, afin que nul n’en ignore : « L’Honorable Voodrow Wilson, agissant tant en son nom personnel que de sa propre autorité. »

Ce n’était pas en effet les États-Unis que le Prophète aux dents d’or avait été chargé de représenter, mais la Maçonnerie ; seulement l’Amérique ne se démasqua qu’une fois le tour joué, et, gorgée de dollars, elle déclara que, la doctrine de Monroe lui interdisant de se mêler des affaires de l’Europe, elle se désintéressait des conséquences du traité de Versailles.

Le rôle de Wilson était fini. On le vit s’éloigner dans sa petite voiture de paralytique général et l’on n’entendît plus parler de lui.

 

 

 

 

 

 

III

 

 

LES VIOLONS SONT RETENUS

 

 

« Les églises jouent un rôle dans la vie

de ce pays ; nos paysans y tiennent, ils s’y

retrouvent chaque semaine ; elles sont

pour eux des centres de marché. Devant

l’église on se rencontre, on discute les

affaires... »

 

(Paroles d’Aristide Briand,

rapportées par Maurice Barrès

dans la grande Pitié des Églises

de France, p. 42.)

 

 

En France, la ferveur nationale avait été chauffée à une telle température qu’il eût été imprudent de lui révéler brusquement dans quelle espèce de boue glacée on voulait l’enliser sous le nom magique de Paix, d’autant qu’à cette époque-là l’écho des sermons belliqueux, entendu pendant cinquante mois dans toutes les chaires retentissait encore avec force dans le cœur des catholiques ; ceux-ci croyaient encore – on le leur avait tant répété – que la France, fille aînée de l’Église, venait de remporter une victoire spirituelle sur l’Allemagne protestante ; Luther, Kant, Nietzsche, avaient fui devant Saint Louis, Jeanne d’Arc et le général de Sonis. Des brochures subventionnées par le ministère des Affaires étrangères et signées par des prélats éminents et des théologiens en renom avaient enseigné aux fidèles, conformément à toute la tradition de l’Église, que, cette guerre étant pour nous la plus légitime des défenses, mourir sur le champ de bataille était un acte infiniment méritoire aux yeux de Dieu et pouvait effacer toutes nos fautes si nous offrions, dans les conditions requises, notre vie pour le salut de notre patrie ; pour ceux qui ne se battaient pas, des affiches de l’emprunt national, posées dans les églises à côté des mandements de carême et des horaires de messe, avaient sans cesse rappelé aux fidèles combien leurs pasteurs estimaient un devoir de souscrire aux Bons du Trésor qui permettaient à l’État d’alimenter notre ligne de feu en canons et en munitions.

Une maison d’éditions s’était montrée particulièrement zélée dans cette propagande ; elle s’était fait adjuger par le Quai d’Orsay une sorte de monopole en la matière ; elle avait à Barcelone, 38, Calle del Bruch, une importante succursale de son officine de la rue Garancière. C’était la maison Bloud et Gay, dont, avant la guerre, on connaissait les attaches modernistes et les sympathies pour le mouvement démocratique du Sillon. Mgr Baudrillart, qui dirigeait un Comité catholique de propagande française à l’étranger, y publiait des brochures fort habilement rédigées, entre autres un plaidoyer intitulé La France, les Catholiques et la Guerre, où, avec autant de verve que de mesure, il remettait au point certaines extravagances que plus tard la même librairie n’encouragera que trop. S’appuyant sur l’autorité de saint Thomas et les exemples des cardinaux Ximenès, Richelieu, Fleury, que leurs fonctions portèrent à préparer et mener des guerres, il y soutient qu’un prêtre catholique a le droit d’obéir à la loi civile qui l’oblige à combattre. « Si c’était un mal en soi, argumente-t-il, que de combattre, il est clair que le prêtre devrait tout souffrir plutôt que de se soumettre à une telle obligation. Mais, comme on l’a déjà fait voir, la guerre n’est pas un mal en soi, combattre n’est pas une faute en soi et peut même devenir un acte fort méritoire... Si donc l’Église le lui défend, c’est une question de suprême convenance, ce n’est plus une question de moralité proprement dite. Le prêtre qui combat ne commet pas un acte immoral, il commet un acte qui répugne à sa fonction... L’Église a mille fois raison de le dire et l’instinct du fidèle chrétien est juste... » Mais « nous n’apprendrons rien à personne en rappelant que, de tout temps, l’Église, implicitement ou explicitement, a autorisé ses prêtres à combattre dans des cas de suprême danger pour la chrétienté, pour la société, pour la nation ». Et il cite saint Magloire, évêque de Dol qui, les armes à la main, défendit les îles normandes contre les païens du Nord, les papes Jean VIII, Jean X, saint Léon IX, Jules II, Calixte III, Pie II, saint Pie V, sans compter ceux qui organisèrent les croisades, les évêques français Gozlin de Paris, saint Ebbon de Sens, saint Émilien de Nantes, Guérin de Senlis, Philippe de Beauvais, Richelieu de Luçon, le religieux saint Jean de Caspistran, les cardinaux italiens ou espagnols, Scarampa, Caraffa, Albormaz, Ximenès, qui, tous, commandèrent des armées, les curés des XIIe et XIIIe siècles, qui « conduisirent les milices des communes, firent triompher l’autorité royale de la tyrannie sanguinaire de certains féodaux et, en assurant la victoire de Philippe-Auguste à Bouvines, renouvelèrent, dans une communion nationale, le pacte conclu à Reims entre la France et l’Église ».

Mais le recteur de l’Institut catholique n’était pas seul à mobiliser ainsi l’âme catholique au service de la France ; des noms fort éloignés jusque-là des passions nationalistes prenaient feu et flamme contre l’envahisseur germain. On pouvait lire de véhémentes Lettres aux neutres de Georges Hoog, lieutenant de Marc Sangnier, où la conduite barbare des Allemands en Belgique, leurs mensonges, leurs cruautés envers les prêtres, étaient flétris avec horreur. Même les catholiques de cette nation, au dire de l’auteur, avaient perdu le sens de la foi chrétienne tandis qu’en France, l’anticléricalisme avait disparu comme par enchantement ; préfets et évêques transfigurés par l’Union Sacrée s’alliaient dans la même croisade contre un peuple déchu, manifestement maudit de Dieu. Le Belge Fernand Passelecq, lui, nous racontait comment les Allemands s’y prenaient pour « teutoniser » son pays et M. Dominique de Lagardette, dans Prisonnier civil, nous dévoilait les tortures infligées à un prêtre français, l’abbé Pradels ; cet ecclésiastique se trouvant en Westphalie, au début de la guerre, les autorités militaires l’avaient interné comme espion ; durant cinquante mois, il avait enduré dans les camps de concentration le régime le plus dur, soumis au travail forcé, même les dimanches, sans excepter le jour de Pâques ! Le cardinal Hartmann sortait de ce récit sous d’assez tristes couleurs ; d’ailleurs le captif nous affirmait que la barbarie de ses geôliers était une tare congénitale et concluait son réquisitoire en faisant siennes les paroles du poète souabe Hölderlin, dans son Hypérion : « Les vertus des Allemands ne sont que des vices déguisés et rien de plus, car elles ne sont qu’une tâche imposée, exécutée par crainte et lâcheté... Malheur au jeune étranger qui, prenant son bâton de voyageur, viendra guidé par l’amour chez un tel peuple !... » Raoul Narsy, à son tour, racontait le supplice de Louvain tandis que les abbés Desgranges, Ardent, Thellier de Poncheville, nous célébraient l’Éveil de l’âme française devant l’Appel aux armes.

Mais le plus fort était une brochure, Guerre de religions, de Frédéric Masson, où l’historien de Napoléon et les Femmes affirmait que le principal dessein des Allemands en nous déclarant la guerre, avait été « l’abaissement et l’écrasement de la religion catholique », afin d’imposer à l’Occident le culte du Dieu de la force brute, incarné dans les mythes germaniques de Thor et de Wotan : Arminius, Luther et Guillaume II étaient ses prophètes. « Désormais, disait le grave académicien, comment s’étonner que ce Dieu ait ordonné la destruction de Louvain, de cette Université coupable d’avoir contesté la parole du grand Allemand qui le premier affirmait le dieu allemand et nationaliste, l’Église allemande en la séparant violemment de la Rome pontificale et en légitimant la confiscation des biens ecclésiastiques ? » La même haine du luthérianisme germanique contre le catholicisme latin avait dicté le sacrilège bombardement de Reims. Par contre, dans l’armée française, on pouvait dénombrer, dès 1915, plus de 300 aumôniers titulaires ou agréés, 20 000 prêtres mobilisés. Cette armée était indubitablement une armée de croisés. D’ailleurs Guillaume n’était-il pas l’allié du Grand Turc ? À Jérusalem n’avait-il pas livré aux fidèles tous les établissements catholiques, laissé transformer les églises en mosquées, remplacé nos Frères de la Doctrine chrétienne par des professeurs allemands ? Vraiment on pouvait se demander si le général Sarrail, récemment débarqué à Salonique pour déjouer ses complots ténébreux, n’était pas un nouveau Renaud à qui d’ailleurs n’allait même pas manquer une Armide sous la forme plus moderne d’une infirmière-major...

Il y avait cent huit pages in-8° de cette pénétration critique.

Pour refroidir ce pieux chauvinisme, il fallait donc, de toute nécessité, agir par gradations insensibles. Il y eut trois années de flottement pendant lesquelles les radicaux, seuls détenteurs de l’orthodoxie maçonnique, procédèrent à ce qu’ils appelaient « un regroupement tactique » de leurs forces. Ils pressentaient qu’au lendemain de la guerre, comme il arrive toujours aux époques de reconstruction, le pays enverrait au Parlement une majorité de droite, surtout avec le mode adopté de représentation proportionnelle.

Tandis que les purs, restant dans l’opposition, se grouperont sous l’étiquette de « Parti républicain socialiste » avec, à leur tête, le maître escamoteur Aristide Briand, les opportunistes feindront de sacrifier leur extrême-gauche et s’infiltreront dans cette « Union républicaine nationale et sociale » plus connue sous le nom de Bloc national. Sacristies et boutiques, académies et conseils d’administration, dans un nouveau transport d’union sacrée y ont juré d’opposer un front unique contre le bolchevik, cet Homme-au-couteau-entre-les-dents dont la Bourgeoisie, qui a su digérer trois révolutions mais n’entend pas céder à celle-ci plus qu’à la Commune, a barbouillé le spectre effrayant sur tous les murs des villes de France. Alexandre Millerand, haut commissaire en Alsace, socialiste cossu, ancien adhérent de la Loge Diderot, ancien rédacteur en chef de l’anticléricale Lanterne, liquidateur des biens des Congrégations, mais revenu de bien des choses après avoir goûté du pouvoir, préside à ses destinées.

Sous son binocle de myope, carré, brusque, le grand avocat d’affaires a rassemblé, tambour battant, tous les honnêtes gens, dans son fameux discours du 4 novembre 1919. Une seule condition est requise pour les catholiques, c’est d’adhérer au dogme déjà formulé par Clemenceau à Strasbourg : « Nous tenons pour intangibles la République et la laïcité. » Ce pacte est proposé – ô ironie symbolique ! – boulevard Voltaire, sur les tréteaux du théâtre Bataclan. Dans ces conditions le F.˙. Mascuraud qui, comme par hasard, se trouve être le secrétaire de cette coalition de l’ordre moral pour le comité parisien, a toute raison d’écrire à l’intention de ses frères, dans la Presse de Paris du dimanche 16 novembre, sous ce titre : La France le veut, ces lignes toutes phosphorescentes de sous-entendus. « Oui, nous marchons contre les unifiés avec ceux qui marchaient contre nous quand nous demandions et soutenions toutes les réformes d’ordre social, selon notre programme initial, programme dont nous sommes fiers, dont nous ne retranchons rien et auquel rien ne nous rendra infidèles. Si les partis politiques sont tenus d’opérer aujourd’hui un regroupement tactique de leurs forces, c’est l’intérêt supérieur de la République qui l’exige ; la France le veut. »

En effet, selon les prévisions radicales, le pays a délégué une majorité de modérés et même de catholiques ; mais dans leur ensemble, ces catholiques sont de cette espèce qu’a jugée Donoso Cortès : « Cette école ne domine que lorsque la société se dissout ; le moment de son règne est ce moment transitoire et fugitif où le monde ne sait s’il choisira Barabbas ou Jésus et demeure en suspens entre une affirmation dogmatique et une négation suprême. La société alors se laisse volontiers gouverner par une école qui n’ose jamais dire « j’affirme », qui n’ose pas non plus dire « je nie », mais qui répond toujours « je distingue ». Tous ces entre-deux seront broyés par la Révolution ou rejetés avec dédain par la reconstruction. »

Le premier soin de ces « entre-deux » fut d’accepter un sectaire de la minorité au poste le plus important du Conseil, à savoir le ministère de l’Intérieur, où le maçon Steeg se chargea de servir « l’intérêt supérieur de la République », comme l’y avait convié le F.˙. Mascuraud.

Grâce à ce coup de maître du « regroupement tactique », une poignée de radicaux joua avec le Bloc National comme le chat avec la souris. Nous pûmes assister à la répétition des mêmes opérations prudentes et progressives qu’Augustin Cochin nous a lumineusement décelées dans le travail – l’Art Royal comme disent les initiés – de la petite société des frères de Dijon en 1789. Et comme alors les naïfs modérés n’y virent goutte, car leur journal, lié par tant de fils d’or, ne leur raconte pas ces choses et ils oublient qu’en démocratie ce n’est pas l’homme libre et responsable en face de son métier ou de sa mission qui décide des intérêts du pays, mais l’homme assemblé, c’est-à-dire amputé de ses moyens de réfléchir, de comprendre et de choisir, entraîné par les avis et les passions contradictoires, leurré sur la force de l’adversaire qui crie plus haut que lui, porté par là même aux plus périlleuses concessions dont il n’aperçoit la portée qu’une fois sorti de la cuve délirante où bouillonnent toutes les haines, toutes les rancunes, toutes les convoitises et toutes les peurs ; ils ne se rendirent pas compte qu’un groupe peu nombreux, mais décidé, sans scrupules, muni de mots d’ordre d’un parti puissant et dont les chefs secrets sont étrangers à cette assemblée, arrivant dans cette confusion, c’est ce groupe qui manœuvrera tous les autres.

En dépit des fureurs mystiques des Loges, il apparaissait que le problème de l’Alsace restée sous le régime concordataire ne pouvait se résoudre sans qu’on renouât des relations avec le Vatican ; il s’agissait donc de ne céder sur ce point aux revendications des catholiques qu’à la condition d’une reconnaissance éclatante de leur part des lois laïques, y compris la loi de séparation elle-même. Le moment était favorable car, abusés par les décorations qui pleuvaient sur les évêques et la condescendance du gouvernement à laisser rentrer les religieux dans leurs couvents et leurs collèges, les catholiques, du moins ceux qu’a peint Donoso Cortés, vivaient en pleine euphorie. On les voyait rôder dans les antichambres des ministères, nouant leurs alliances à la Sganarelle, s’efforçant de galvaniser à nouveau ces vieilles erreurs pourries du démocratisme religieux que l’épuisement nerveux de la nation faisait proliférer. Songez donc ! le cardinal Gasparri venait de rappeler que la politique de Léon XIII était « toujours maintenue, jamais révoquée ». Le Pape avait envoyé à Deschanel, lors de son élection à la présidence de la République, un télégramme dans lequel le Saint-Père lui disait qu’Il ne doutait pas que la divine Providence ne lui réservât la « mission magnifique et glorieuse de relever la France de ses ruines matérielles et morales, de donner à son pays la paix religieuse qui sera l’un des importants facteurs de son relèvement et de contribuer efficacement à cette pacification des peuples après laquelle soupire toute l’humanité ». Deschanel, un peu gêné par ces précisions, s’était borné à le remercier de ses vœux « pour la grandeur et la prospérité de la France » et feignant de croire que dans la pensée du Saint-Père la pacification des peuples ne saurait se traduire que par une gallophilie éperdue, il lui avait répondu qu’il attachait un haut prix « à ses vœux pour le bonheur de la France victorieuse et pour l’accomplissement de ses destinées historiques intimement liées à la cause de la justice ». Mais qu’importent ces petites divergences ! C’est une ère nouvelle qui s’ouvre. Pour la première fois depuis bien longtemps, le Pape a tenu à attirer les bénédictions du ciel non seulement sur la France en général, mais sur l’action présidentielle et le gouvernement ! Plus de doute ! la République laïque est reconnue de droit divin et M. Xavier de la Rochefoucauld, dans un banquet du Bloc national, s’écrie, le cœur enivré : « Dieu protège la France et la République ! » D’ailleurs la République de Deschanel et de Millerand n’a-t-elle pas pour les catholiques tous les sourires ? « Tous les Français s’uniront dans le respect de la République et l’amour de la France », a dit Millerand. Tous les Français, ils ne sont plus exclus ! Ils n’en reviennent pas ! Il y aura même pour eux peut-être quelques places de sous-secrétaires d’État ? Tenez, récemment un pasteur protestant, M. Soulier, a plaidé les motifs d’ordre politique qui, pour lui, commandent la reprise urgente des relations diplomatiques avec le Vatican, et le 11 mars 1920, Millerand, président du Conseil des Ministres, a déposé sur le bureau de la Chambre le projet de loi relatif au rétablissement de ces relations. Tout fait penser que le Saint-Siège sera des plus conciliants sur les susceptibilités laïques de la République une et indivisible.

Pauvre Benoît XV, sa compassion inquiète pour la multitude de ses enfants prodigues a quelque chose de tragiquement touchant. Au milieu de ces loups et de ces renards qui ravagent sa chrétienté, il ne peut que gémir, car nul ne répond à ses tendres avances. La Conférence de la Paix l’a ignoré et le 10 mars 1919 dans une allocution il a dû crier son angoisse au sujet de la Palestine que la convention Balfour menace de livret aux juifs : « Nous nous demandons avec la plus vive anxiété quelle décision va prendre à l’égard des lieux sacrés, dans quelques jours, la Conférence de la Paix qui siège à Paris... Ce serait assurément nous porter à nous-mêmes et à tous les fidèles un coup bien cruel que de créer une situation privilégiée aux infidèles en Palestine et notre douleur serait plus vive encore si ceux à qui on y livrera les augustes monuments de la religion chrétienne n’étaient pas chrétiens. »

Le 2 décembre 1919, la Fédération internationale des Associations pour la Ligue des Nations s’est réunie en conférence à Bruxelles. « Outre un certain nombre de rêveurs que l’on ne peut classer dans aucune école », nous apprend le R. P. de La Brière dans la Croix du 16 décembre, « les avocats professionnels de la Société des Nations se rattachaient à deux directions dominantes qui étaient celles du plus grand nombre des membres de la Conférence de Bruxelles : la conception humanitaire dérivée du Contrat Social de Jean-Jacques Rousseau et représentée surtout par la Franc-Maçonnerie et d’autre part la conception prolétarienne et collectiviste dérivée du Capital de Karl Marx et représentée universellement par les groupements socialistes. »

Parmi les délégués on remarque Léon Bourgeois et Ferdinand Buisson, maçons notoires, Paul Doumer qui, dit-on, n’appartient plus aux Loges, mais en a gardé toute l’idéologie. Renaudel, Albert Thomas, Gustave Théry, d’Estournelle de Constans, Hennessy, dont les affinités ne sont pas douteuses. Dans la délégation belge, les maçons Solvay et Goblet d’Alviella sont heureusement neutralisés par des catholiques tels que Mgr Deploige et Carton de Wiart. Le bâtonnier Théodor, du barreau de Bruxelles, est parvenu à faire échouer le projet d’élire les délégués au suffrage universel ou même par la désignation du Parlement, en dépit des fureurs des F.˙. présents qui avaient adopté ce mode de représentation dans leur congrès de juin 1917. Mgr Deploige a réussi à faire adopter un texte qui laisse chaque membre de la Société des Nations « libre d’entendre comme il lui plaît le mode de nomination de ses délégués ». Mais les purs ont eu la précaution de joindre une motion de M. Hennessy qui souhaite que « ce mode de nomination soit le plus démocratique possible ». Le vœu de Mgr Deploige laissait en effet une petite porte par où pouvait se glisser un représentant du Saint-Siège, souveraineté autocratique par excellence puisqu’elle ne relève que de Dieu seul. Aussi quand un protestant de Bâle, M. Silbernager, vient proposer l’admission de la Papauté, M. Doumer objecte sèchement que « le Saint-Siège n’étant pas une nation, il ne peut faire partie de la Société ». En vain Mgr Deploige tente de relever ce parti-pris d’écarter, à l’aide de chinoiseries juridiques, « la première puissance morale du monde » dont la Souveraineté est réelle et sans l’avis de laquelle la Société des Nations sera impuissante à régler tous les conflits religieux qui, en Orient comme en Occident, troublent les peuples, on voit le Président, sir Dickinson, lever soudain la séance, laissant sans réponse sur le bureau la motion de Mgr Deploige : « Il est souhaitable que le Saint-Siège puisse faire partie de la Société des Nations. »

Mais le Pape ne se décourage pas ; il accepte cet humiliant dédain et timidement il essaye encore en juin de désarmer sa rivale. Il ne peut pas croire que l’Occident qui a tout reçu du christianisme ignore ou renie à cette profondeur son héritage spirituel et il parle comme si les nations avaient toujours foi dans le Christ et ne lui avaient pas substitué le culte de l’Humanité. (Un journal maçonnique qui s’appelait justement la Société des Nations avait écrit dans son numéro du 4 juillet 1915 : « Pour avoir le peuple, conquérez son âme, nourrissez-la de la foi, la foi humaine dans la divinité de l’Humanité. ») « Une fois cette Ligue entre les Nations fondée sur la loi chrétienne pour tout ce qui concerne la justice et la charité, écrit le Saint-Père, dans son Encyclique, ce ne sera certainement pas l’Église qui lui refusera sa contribution efficace car, étant le type le plus parfait de la Société universelle, l’Église est d’une efficacité merveilleuse pour amener la fraternité entre les hommes. »

Mais les promoteurs de la Société des Nations restent sourds à ces invitations paternelles. Comme la Maçonnerie a écarté Léon XIII de La Haye, elle écartera Benoît XV de Genève. Tout ce qu’il pourra faire, ce sera de bénir et d’encourager une Union catholique d’études internationales fondée le 9 février 1920 par le baron de Montenach, sorte de conseil de vigilance privé auprès du nouvel organisme et qui s’efforcera de lutter contre les influences maçonniques. Mais son action, comme toujours, restera purement négative. Elle neutralisera, parfois avec succès, une offensive de l’adversaire, elle ne prédominera jamais. La fraternité comme l’entend la Société des Nations n’est pas celle du Christ ; ses membres ne la veulent tenir que de leur raison aveugle et dure.

On croit entendre les Impropères du Vendredi Saint s’élever solitaires et déchirants devant l’universel reniement : « Mon peuple, que t’ai-je fait ? Je t’avais nourri de manne dans le désert et tu m’as abreuvé de fiel. »

Un mois plus tard, comme s’il était épouvanté par la vision de la contre-Église qui va dévorer la Chrétienté, le Saint-Père s’écrie dans son Motu Proprio du 25 juillet : « Voici que mûrit l’idée que tous les pires fauteurs de désordre appellent de leurs vœux et dont ils escomptent la réalisation, de l’avènement d’une République universelle, basée sur les principes d’égalité absolue des hommes et la communauté de biens d’où soit bannie toute distinction de nationalités et qui ne reconnaisse ni l’autorité du père sur ses enfants, ni celle du pouvoir public sur les citoyens, ni celle de Dieu sur la Société humaine. Mises en pratique, ces théories doivent fatalement déclencher un régime de terreur inouïe et aujourd’hui déjà une partie notable de l’Europe en fait la douloureuse expérience. »

 

 

Cependant, en France, comme les débats pour la reprise des relations avec le Saint-Siège ont commencé, on tient à bien marquer à « cette puissance morale » dans quels sentiments on entend renouer ces relations et pour que la leçon soit plus amère, c’est un catholique, M. Noblemaire, qui présentera le projet du gouvernement aux Chambres. Le 15 juillet 1920, cet honorable député, d’une dévotion irréprochable dans le privé, spécifiera dans son rapport à la Commission des Finances que « la reprise des relations ne saurait comporter aucune modification de la législation française existante en manière de culte, d’école et d’associations ». En outre, comme il était question d’un voyage du chef de l’État français à Rome, il est bien stipulé que celui-ci ne rendra visite au Souverain Pontife qu’après sa visite au Quirinal. Les « droits » de la Charbonnerie italienne acquis par l’ouverture de la brèche de la Porta Pia ne peuvent pas en effet être discutés.

« Il serait à coup sûr déplorable, ajoutait ce chrétien empressé à renier son maître devant César, soit de blesser en France, soit, et plus encore, de nous aliéner, au dehors, des esprits que les lendemains de la guerre trouvent politiquement plus avancés ou confessionnellement plus indépendants et qui veulent et aiment la France à l’avant-garde de la pensée libre. Mais, en toute vérité, il n’est aucunement question de cela, jamais le Gouvernement n’a songé à mener le pays vers les guêpiers de la politique confessionnelle. Jamais le Parlement ne s’y laisserait d’ailleurs entraîner. » Et comme s’il n’avait pas donné assez de gages à la maçonnerie, l’honorable Noblemaire répète à nouveau, sous la foi du serment, son reniement : « Oui, s’écrie-t-il, s’il y avait quelque certitude ou seulement quelque éventualité que le geste français produisît je ne sais quelle impression d’anachronisme ou de régression dans les esprits alliés, amis ou neutres mêmes, que le lendemain de la guerre trouve politiquement ou socialement plus avancés, philosophiquement plus affranchis et qui veulent et qui aiment la France de la pensée libre, à leur avant-garde, il faudrait y regarder à deux fois. » (Très bien ! Très bien ! à gauche, note l’Officiel).

C’est alors que, pour rassurer tout à fait les commères de la rue de Valois et les pontifes de la rue Cadet sur les intentions du Gouvernement, on voit sortir de l’ombre Briand qui, de sa place, intervient à sa manière. Fortement discrédité depuis la guerre par les malheureuses affaires de Grèce et la non moins maladroite affaire Lancken, c’était le moment pour lui de recommencer le jeu d’intrigues compliquées où il était passé maître et savait duper tout le monde. Or, l’ancien rapporteur de la Loi de Séparation de l’Église et de l’État avait à laver le vieil affront que le magnanime Pie X lui avait infligé en 1905 en refusant dédaigneusement de reconnaître l’organisation des cultuelles dont il s’était tant glorifié. Il se lève de sa place et déclare devant la gauche assez déconcertée qu’il estime urgente la reprise des relations avec le Vatican, ne serait-ce qu’à cause de l’Alsace-Lorraine où le Concordat est toujours en vigueur et où le statut religieux doit être réglé le plus tôt possible, d’autant que la Papauté, il le sait, semble revenir à des sentiments moins intransigeants qu’en 1905 : « Ses oreilles, insinue-t-il, sont à l’heure actuelle ouvertes à toutes les conciliations... La loi de Séparation dans son organisation des cultuelles a été frappée d’interdit par le Saint-Siège. Il faut que cet interdit soit levé. Il faut poursuivre les négociations. »

Avec quelques passes de ses belles mains caressantes qui font se pâmer les âmes femelles, en deux mois il aura mis le Bloc national dans sa poche et dès janvier 1921, se trouvera président du Conseil. Les catholiques à la Noblemaire ne jurent que par lui car, ayant à cœur d’effacer son humiliation romaine, il les aidera de toutes ses ruses à vaincre les dernières résistances des radicaux à courte-vue, pour faire aboutir la reprise des relations avec le Vatican cependant qu’il enverra comme ambassadeur à Rome pour négocier son affaire le très laïque Jonnart qui, à son départ, tient à déclarer : « Le choix dont j’ai été l’objet atteste de la part du gouvernement le ferme dessein de ne rien sacrifier des lois républicaines. »

Mais cette duplicité n’est pas suffisante : en sous-main, ce « monstre de souplesse », selon l’immortelle expression de Barrès, se prépare, avec son nouveau compère solennel et retors, à étrangler doucement dans l’ombre le Bloc national.

La Maçonnerie, en effet, a jugé l’heure venue de procéder à l’épuration traditionnelle. Du 22 au 24 septembre, la Grande Loge de France a tenu ses assises rue de Puteaux, dans la crypte de l’ancien monastère des Franciscains ; elle a décidé de « passer à une action intensive pour s’opposer au Bloc National ». Un Israélite, Bernard Wellhoff, a été nommé Grand Maître en remplacement du Général Peigné. Le rapport de la Commission préconise « l’alliance de toutes les forces laïques et républicaines de la nation pour arriver, par le progrès social, à l’union intime de tous les citoyens ».

Quand, dans son jargon reconnaissable à cent lieues, la Maçonnerie parle ainsi d’union intime et de progrès social, on peut être sûr qu’elle a dans sa poche une nouvelle déclaration de guerre et, tout naturellement, sa première pensée est de constituer une ligue, la Ligue de la République, qui aura son siège 16, rue de la Sorbonne, à l’École des Hautes Études Sociales fondée par la juive Dick May, de son véritable nom Mlle Weill. Nous retrouvons ici les noms de Painlevé, d’Herriot, des généraux Gérard et Sarrail. C’est le coup de grâce pour la fragile Entente Républicaine démocratique, pivot du Bloc National, mais trop suspecte décidément de cléricalisme refoulé.

Le compère Jonnart, toujours lui, va se charger de l’exécution. Il a fondé, pour torpiller l’Entente, un Parti qui, aux épithètes républicaine et démocratique de sa victime en ajoute une autre aussi prudhommesque, celle de social, et qui, en outre, exigera de ses membres l’acte de foi formel dans « l’intangibilité des lois laïques ». Le premier soin de ce Parti a été de prononcer l’exclusive contre un de ses membres, le catholique César Caire, qui se présentait à la vice-présidence du Conseil municipal. Les considérations de la sentence sont ineffables. « Il a la réputation d’un fort galant homme et ferait sans aucun doute honneur à la fonction qu’il sollicite, mais politiquement son élection aurait une signification qui doit donner à réfléchir à tous les républicains de l’assemblée et leur faire préférer nettement M. Peuch. » Ce M. Peuch était un anticlérical notoire.

Résolument dressé, comme l’affirmait le manifeste, contre les révolutionnaires de droite et de gauche, ce parti allait compter des maçons militants comme Lafferre, Mascuraud (toujours lui), Rabier, Verlot, président des jeunesses laïques. À ces sectaires, M. César Chabrun, professeur à l’Institut catholique, n’hésitait pas à se joindre en compagnie de son coreligionnaire Louis Rollin. M. Chabrun allait d’ailleurs bientôt se ruer voluptueusement dans le reniement intégral à l’occasion de la cérémonie toute laïque du Soldat Inconnu, en proposant à la Chambre le transport solennel du cœur de Gambetta, l’insulteur de sa foi, au Panthéon, église profanée.

C’est qu’en haut lieu les gages d’apostasie politique étaient exigés de plus en plus impérieusement, et le 21 octobre 1921, Briand saura faire entendre le roulement de la charrette fatale. « Il y a des hommes, prononcera-t-il en se tournant vers les bancs de la droite et du centre où aussitôt les oreilles se couchent et les épaules se rentrent, il y a des hommes qui ont pris en face du régime une telle attitude que, sous prétexte d’union sacrée, il ne peut pas être question de les compter dans une majorité républicaine. Cela n’est pas possible. Messieurs, dans le groupe de cette Chambre qui est sorti le plus nombreux du suffrage universel, il faut qu’on se décide, il faut qu’on prenne une figure politique... Mais oui s’il y a dans ce groupe des hommes que gênent une certaine précision de formules ou certains votes, s’il y a des hommes qui ne peuvent pas supporter sans inquiétude et sans frissons nerveux les sommations que de certains côtés on leur adresse pour les entraîner dans une politique de réaction sous prétexte de République, CEUX-LÀ, IL FAUT S’EN SÉPARER. »

Six jours après, le compère Jonnart, dans une séance de son Parti Républicain, Démocratique et Social dont il est le président, renouvellera l’excommunication majeure en émettant le vœu d’une politique d’union des républicains sur un programme de reconstitution nationale excluant toute collusion réactionnaire ou révolutionnaire, et devant la Commission administrative du parti, rappellera que la reprise des relations avec le Saint-Siège est un acte purement diplomatique qui n’affecte « aucun changement dans la politique intérieure de la France et qu’il ne sera point touché ni à la loi de séparation ni aux lois de laïcité ». Quant aux congrégations, si une circulaire, pendant la guerre, a dû suspendre l’application des lois Briand afin de permettre aux religieux de venir se faite tuer pour le triomphe de la Démocratie universelle, il n’en est plus de même maintenant qu’on n’a plus besoin d’eux. Si cette circulaire n’a pas été abrogée, c’est que le ministère actuel a eu d’autres soucis. Mais cette situation ne peut se prolonger indéfiniment sans danger. « La question des congrégations soulève dans certains groupes de vives préoccupations et on attend du gouvernement qu’il fasse connaître nettement son sentiment en coupant court à tout malentendu et à toute équivoque. Il faut à la fois rassurer le parti républicain et fixer les congrégations sur les droits et les devoirs du Gouvernement ; ces droits et ces devoirs se résument dans l’application de la législation républicaine qui n’a subi aucune modification et à laquelle le représentant de la France auprès du Saint-Siège a nettement déclaré qu’il ne serait porté aucune atteinte. » « Il ne saurait donc être question d’autoriser les Congrégations enseignantes qui sont rentrées en France à rouvrir des écoles. Il est bon qu’elles ne puissent nourrir à ce sujet aucune illusion et que le gouvernement les en avertisse solennellement. Il éviterait ainsi d’être obligé de recourir pour assurer l’exécution des lois à des mesures auxquelles il lui répugnerait naturellement de procéder. » Seules, vu le grand esprit de conciliation du gouvernement, les congrégations hospitalières, charitables et missionnaires pourront être tolérées, moyennant certaines garanties.

Les catholiques Boissard, Lefas, Chabrun, entendent retentir ces soufflets sur le visage de leur Mère, mais ils ne bougent pas, et, impassibles, acceptent ces injurieuses sommations. Ainsi Alcantor fait la leçon à Sganarelle : « Les violons sont retenus, le festin est commencé, et ma fille est parée pour vous recevoir. »

Afin que la farce garde tout son sel, la reprise des relations sera votée sur un ordre du jour des radicaux bon teint tels que Monzie, Brard, Jouvenel, le F.˙. Rabier, ainsi conçu : « Le Sénat approuvant les déclarations du gouvernement et confiant en lui pour assurer le respect des lois de la République, repoussant toute addition, passe à l’ordre du jour. »

Ces lois de la République, M. Brard a soin de rappeler après tant d’autres le sens qu’un Briand entend leur donner. « Lorsqu’à propos de la reprise des relations avec le Vatican, nous parlons d’assurer le respect des lois de la République, il ne peut s’agir que des lois de séparation et de laïcité et non pas de lois quelconques étrangères à l’interpellation en cours. Aucune équivoque n’est permise et je ne fais pas au Sénat l’injure d’insister sur ce point. »

Briand viendra confirmer ce sens bien clair qui a toujours été le sien : la revanche de son échec de 1905, et il se glorifiera de ce que son gouvernement a eu l’occasion récemment de faire revivre la Loi de Séparation. « Il l’a appliquée dans bien des cas chaque fois que son application a été demandée. Si demain un débat s’institue sur les conditions dans lesquelles les lois laïques sont exécutées dans notre pays, le gouvernement ne s’y refusera pas. Il discutera la question avec vous. Mais pour le moment les lois de la République, connues du Saint-Siège, en pleine connaissance desquelles les conversations se sont engagées, ne sont nullement en péril, ne peuvent pas l’être... » Et il menace les radicaux de quitter le pouvoir si un fanatisme mal compris le prive du bon tour à retardement qu’il entend jouer aux mânes de Pie X. Un autre jour, il avait dit : « J’ai demandé au Saint-Siège s’il connaît les lois laïques et il m’a répondu : Je connais les lois laïques. »

Après cela Victor Bérard pourra bien ironiser en lui rappelant à la tribune du Sénat, le 28 décembre, les propres paroles qu’il prononçait quinze ans auparavant, en 1906, déjà Président du Conseil, alors qu’il refusait toute conversation avec Rome : « Quel genre de conversation pourrait s’engager, demandait-il alors, et à quoi pourrait aboutir l’entretien ? On sait que la conversation engagée est un engrenage, un engrenage redoutable... Ce sont deux forces redoutables qui se trouveraient en conflit : c’est une monarchie aux prises avec une République qui veut la liberté, qui veut sa dignité, c’est une grande puissance morale qui ne cède que peu à peu devant le progrès grandissant d’une démocratie et qui essayerait quand même d’imposer sa constitution monarchique à une partie des citoyens qui vivent dans ce pays. Ce qu’elle demanderait, je vais vous le dire : elle nous demanderait de nous substituer aux citoyens français en sorte que l’indifférence religieuse n’entraîne pas la décadence de l’Église ; elle nous demanderait le bras séculier, sans lequel j’en arrive à me demander si l’Église catholique peut vivre dans ce pays.... »

Victor Bérard peut s’étonner de le voir, à cette même place, plaider aujourd’hui le contraire ; le subtil commentateur de l’Odyssée trouve ici devant lui un Ulysse dont la « souplesse monstrueuse » laisse loin derrière elle les ruses innocentes du Laertiade. Briand a compris qu’il n’a plus devant lui les résistances qu’il avait rencontrées au temps de Pie X. L’heure lui semble venue enfin qu’il avait annoncée beaucoup trop tôt dans l’Humanité, en juillet 1905, lorsqu’il laissait déjà voir ce qu’il entendait par sa politique de conciliation religieuse : « L’Église, écrivait-il, est une citadelle endormie, ses remparts sont dégarnis de canons, ses arsenaux vides, ses armées dispersées, ses chefs assoupis. Si nous savons nous y prendre, nous tomberons à l’improviste sur cette citadelle sans défense et nous l’enlèverons sans combat comme les soldats de Mahomet enlevèrent Byzance. »

Aujourd’hui il n’a plus à craindre d’entendre s’élever des protestations indignées, lorsqu’il rassure ainsi les scrupules de l’orthodoxie républicaine au Sénat : « L’inquiétude manifestée par M. Paul Boncour dans le beau discours que l’on a évoqué si souvent, c’est que la France, renonçant à sa tradition révolutionnaire, ne devienne, par sa représentation au Vatican, le véhicule de la politique catholique dans le monde. Mais il ne s’agit pas de cela du tout, absolument pas. La France n’est pas là pour véhiculer une religion, mais pour surveiller les intérêts internationaux, pour les discuter là où l’on parle et pour chercher, parmi les solutions qui peuvent être apportées à certains problèmes, la plus favorable à ses intérêts. Telle est la situation. Elle est bien simple. »

Vifs applaudissements au centre et à droite, note l’Officiel. Pas un catholique ne viendra témoigner à la tribune qu’il lui est sans doute permis, même en République, de voir aussi dans cette représentation de la France auprès du Vatican, la reconnaissance forcée mais évidente d’intérêts spirituels plus purs, plus nobles que cette vague « surveillance des intérêts internationaux », définie dans une langue de bas maquignon.

C’est que tous les anciens condamnés de Pie X ont reparu partout, à toutes les avenues du pouvoir, entremetteurs infatigables. Ils parlent très haut maintenant. Ils sentent, eux aussi, que leur heure est venue ; en Briand ils ont reconnu un Maître à leur ressemblance ; son opportunisme n’est-il pas le lieu géométrique où se rencontrent toutes les équivoques parlementaires qui flattent les timidités de leurs âmes femelles ? Comme lui ils dosent, ils mélangent, ils édulcorent. Il n’y a plus de principes, il n’y a plus que des combinaisons de couloirs. Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes sans Dieu, puisque des évêques sont décorés et que des prélats siègent à l’Institut. Tout fiers de s’agiter autour des puissants du jour, nos Sganarelles, armés de leurs pots de colle et de leurs gros pinceaux, placardent fièrement sur tous les murs des paroisses de France la reprise du Mariage forcé.

 

 

 

 

 

 

IV

 

 

ALORS LE COQ CHANTA

 

 

« Je regarde donc dans l’Église deux

sortes de persécutions, la première en

son commencement et sous l’Empire

romain où la violence devait prévaloir,

la seconde à la fin des siècles où sera le

règne de la séduction. »

 

(BOSSUET.)

 

 

« La Société des Nations, avait décrété le F.˙. Lebey au congrès de juin 1917, doit être le but de la guerre. »

La Maçonnerie ne l’oubliait pas, mais elle y rencontrait des traverses. La Conférence de Bruxelles lui avait appris que l’Europe, malgré son épuisement et ses révolutions juives, n’était pas encore devenue entre ses mains cette pâte molle qu’elle avait espéré pétrir à son gré, dès les armes déposées ; les nationalismes qu’elle avait réveillés avec une virulence inconnue depuis 1848, avaient repoussé, par instinct de conservation, son principe démocratique du suffrage direct et neutralisé ainsi pour un temps la mystique humanitaire du Pacte en laissant aux États le soin de choisir eux-mêmes leurs délégués qui ne s’en iraient à Genève que munis d’instructions précises comme d’ordinaires ambassadeurs. En somme ce Parlement international n’était encore qu’une Sainte-Alliance bourgeoise où l’Angleterre s’attablait en installant largement ses coudes ; et l’on avait beau y vénérer, toujours des lèvres sinon du cœur, l’évangile wilsonien que dans sa motion de juin 1917 le Congrès maçonnique avait affirmé être « entièrement conforme aux principes éternels de la Franc-Maçonnerie », le pétrole y jouait un rôle beaucoup plus important que le droit des peuples. Cependant, le plus grave, c’était qu’au sein même du Temple d’Hiram la querelle rituelle entre les obédiences latines et les obédiences anglaises au sujet de l’invocation au Grand Architecte supprimée par le Grand Orient en 1877, loin de s’éteindre, reprenait de plus belle ; non point que le catholicisme ne fût toujours, pour les uns comme pour les autres, l’infâme du temps de Voltaire qu’il fallait détruire coûte que coûte, mais les deux grandes obédiences ne s’entendaient pas sur les moyens. Les Loges latines, enfermées dans une libre-Pensée sommaire et ombrageuse, ne toléraient qu’un laïcisme absolu et qu’une seule méthode pour l’imposer : la persécution ouverte ou larvée ; les loges anglaises, au contraire, plus attachées à l’ésotérisme traditionnel, estimaient plus habile de garder la Bible sur leur autel et d’invoquer, sous le nom symbolique du Grand Architecte, voire parfois de Dieu, la Puissance occulte de l’Univers dont elles servaient les desseins, laissant leurs membres libres, comme au XVIIIe siècle, de pratiquer leur religion et comptant sur l’influence de leurs exégèses pour les amener peu à peu à devenir de parfaits maçons. Peut-être le poète William Blake exprimait-il les sentiments secrets d’un dignitaire des hauts grades du rit écossais lorsqu’il disait : « Cet ange qui est devenu démon est mon ami particulier ; ensemble nous avons lu la Bible dans son sens infernal ou diabolique, le sens même qu’y découvrira le monde s’il se conduit bien. »

Or, comme l’observait l’organe officiel du Conseil suprême des 33 .˙. de Washington, la Démocratie universelle avait bien, grâce à la guerre, remplacé l’Église, mais seulement dans l’ordre politique, et il restait à instaurer son règne « dans l’ordre moral, spirituel, ecclésiastique ». Exploitation du succès impossible sans l’entente de toutes les puissances maçonniques. Aussi, en 1920, le Grand Orient d’Italie que dirigeait alors le célèbre israélite Nathan, avait-il tenté de réunir à Rome les deux obédiences pour le 20 septembre à l’occasion du cinquantenaire de l’ouverture de la brèche de la Porta Pia, mais il ne put aboutir. La grande Loge de New York ne daigna même pas répondre : son grand maître Farmer se méfiait du résultat si l’initiative en était laissée à une maçonnerie latine dont le rationalisme court et l’imprudente impatience risquaient de tout compromettre. En 1912, sous les auspices de la loge suisse l’Alpina, s’était fondé un certain Bureau international des relations maçonniques dont le siège était à Neuchâtel et que dirigeait un certain Quartier-la-Tente ; ce bureau n’avait réussi à grouper que vingt-huit adhérents et la guerre avait encore aggravé sa somnolence ; Farmer suggéra au grand Maître de l’Alpina, Reverchon, de lancer, sous forme de circulaire, une enquête où l’on signalerait l’intérêt qu’il y aurait à donner une meilleure organisation à ce Bureau.

Le 11 décembre 1920, dans une réunion tenue à Genève en l’honneur des membres francs-maçons de la S. D. N., Reverchon, après avoir célébré dans la Maçonnerie le précurseur de la S. D. N. et la part personnelle qui revenait au F.˙.  Léon Bourgeois dans sa création de la Cour Suprême de La Haye, insista sur la vigilance que devait exercer la Maçonnerie « contre les menées toujours à craindre du nationalisme, de la haute finance et du cléricalisme qui relevait continuellement la tête. » Transition toute indiquée pour lancer l’idée d’un Congrès international qui étudierait les difficiles problèmes de la Paix. « Si la Maçonnerie s’unissait, déclarait-il, elle pourrait exercer une influence considérable pour la pacification du monde. »

Cette fois, l’invitation fut mieux entendue. Une assemblée préparatoire se tint à Genève les 4, 5 et 6 mars 1921 ; treize puissances avaient envoyé des délégués : le Grand Orient et la Grande Loge de France, le Grand Orient de Hollande, le Grand Orient de Luxembourg, la Grande Loge d’Italie, le Grand Orient de Bulgarie, le Grand Orient d’Italie, la Grande Loge de Vienne, la Grande Loge suisse l’Alpina, le Grand Orient de Belgique, la Grande Loge de New York, le Grand Orient d’Espagne, le Grand Orient de Turquie. Bernard Wellhoff, le nouveau Grand Maître de la Loge de France, demanda l’admission des Allemands, ce qui provoqua un débat délicat et l’on élabora une déclaration que devaient signer les Loges allemandes et où il leur était demandé de réprouver « les violations de sentiments d’humanité ».

Enfin, du 19 au 23 octobre, le congrès put se réunir ; mais seule de toute l’Allemagne, la loge Au Soleil Levant de Nuremberg avait donné son adhésion ; les autres loges avaient refusé de signer la déclaration humiliante de mars et conjuré leurs frères de race « de demeurer inébranlables dans le pangermanisme contre l’utopique solidarité universelle ». Les Loges anglaises et irlandaises boudaient toujours à cause du grand Architecte. Mais les délégués de la Grande Loge de New York étaient venus en nombre. Le 19 octobre, dans les salons du Cercle Maçonnique de Genève, 8, rue Bovy-Lysberg, au cours d’une réunion privée, Reverchon rendra un hommage spécial à ces délégués « venus d’Amérique après avoir été les initiateurs du projet de réunir en territoire suisse les représentants de la Maçonnerie universelle ». Au cours des séances générales, le Frère Nathan Larrier ayant proposé un vœu concernant « l’organisation dans les obédiences d’associations destinées à propager les idées sur lesquelles repose la Société des Nations », nous apprendrons par le Suisse Herbelin qu’il existait déjà une association internationale pour la S. D. N. qui comptait un grand nombre de maçons ; il y avait même dans divers pays, notamment en France, en Italie, en Portugal, une Fédération maçonnique pour la S. D. N. qui avait pour but « d’inspirer les travaux de cette assemblée en exerçant son influence sur les gouvernements et en étudiant les problèmes économiques et sociaux que ladite Société était appelée à résoudre ». Le Congrès de Genève approuvera en principe l’idée d’étendre cette Fédération aux autres obédiences où elle n’était pas encore établie.

Nous apprendrons aussi que le Grand Orient de France ayant proposé un texte dans lequel il déclarait combattre tous les dogmes, le délégué américain Townsend Scudder, dont l’influence ne tardera pas à devenir prépondérante, en adoucira les termes, ne laissant subsister que les professions de foi relatives aux aspirations philanthropiques et à la liberté de conscience. Mais quand au cours du banquet maçonnique Bernard Wellhoff s’écriera : « Si la Maçonnerie ne rassemble pas ses forces, l’humanité va rétrograder. Ni les ultramontains, ni les catholiques ne sont à même de la pousser en avant. Depuis longtemps leur insolence n’avait été aussi grande que celle qu’ils affichent à l’heure actuelle ; jamais ils n’ont conquis autant de citadelles que de nos jours. Si nous ne nous dressons pas en face d’eux pour leur résister, demain l’humanité se trouvera à bref délai sous un immense éteignoir... Il est temps que toutes les Grandes Loges et tous les Grands Orients unissent leurs efforts, car les ultramontains et les cléricaux n’hésitent plus à combattre la Maçonnerie », à ce signe de détresse, le Frère américain Scudder, la main sur la Bible et les yeux fixés sur le Grand Architecte, répondra qu’« il n’existe à ce sujet aucune divergence entre la maçonnerie américaine et la maçonnerie latine... Les idéals sont les mêmes. Nous, Américains, nous avons les mêmes buts à atteindre ».

Il paraissait bien plus habile, en effet, au regard des hauts initiés de la Maçonnerie internationale, plutôt que de heurter de front « les cléricaux et les ultramontains » abhorrés du juif Wellhoff, de les amener insensiblement à mépriser leurs traditions nationales qui, jusqu’ici, avaient nourri leur foi même d’un héritage de vertus millénaires et de transplanter ainsi cette foi – ne doutant pas qu’elle ne dût s’y adultérer bientôt – au sein de cette Société des Nations dont Loisy, le prêtre apostat, venait de proclamer, dans une de ses leçons au Collège de France, qu’elle aurait « pour âme la religion de l’Humanité, c’est-à-dire une religion qui ferait de l’Humanité l’objet de sa foi et de son service ». Selon les expressions du clerc moderniste, Wilson avait parlé en Médiateur de la Nouvelle Alliance, en Pape de l’Humanité.

Les entremetteurs sont tout trouvés ; agglutinés autour de Briand, ils montrent, en ce moment où se traite la reprise des relations avec le Vatican, combien leur foi est une bonne fille. De même que pendant la guerre, l’apport spirituel de l’Église de France stimulée par la conviction qu’elle défendait l’orthodoxie romaine contre l’hérésie luthérienne a, par contrecoup, puissamment aidé les Loges à détruire la Monarchie catholique des Habsbourg et livré Jérusalem aux desseins sionistes qui, dans un bref délai, pourront disposer comme ils le voudront des Lieux Saints, ainsi en faisant croire aux catholiques qu’ils travaillent pour la Paix du Christ, la Maçonnerie trouvera encore en eux des auxiliaires inestimables pour imposer au monde son impérialisme humanitaire. L’Égalité inhumaine de la mystique révolutionnaire n’admettra ni vainqueurs ni vaincus, ni coupables ni innocents, ni spoliateurs ni spoliés. Alors on verra l’Allemagne s’asseoir non seulement sans repentir, mais le cœur ulcéré de vengeance aux côtés de la Belgique, sa victime, et retourner cyniquement ses poches vides après s’être sciemment ruinée en dépenses somptuaires avec des milliards empruntés aux autres États ; alors l’Antéchrist bolchevik ruisselant du sang des peuples qu’il a massacrés ou réduits en esclavage, armé jusqu’aux dents, riant sous cape de son plan quinquennal qui, espère-t-il, acculera l’Europe entière à la famine et au désespoir, pourra proposer impudemment le désarmement intégral aux autres nations.

Pour jouer cette horrible farce, Briand est l’homme rêvé. Tout se passe d’ailleurs comme si après la disparition de Wilson, suivie d’un très court interrègne d’un ou deux ans, la Maçonnerie l’eut élu pour achever, « dans l’ordre moral, spirituel, ecclésiastique », selon l’expression de la Loge américaine, l’œuvre de dissolution que le Président de la Maison Blanche avait été chargé d’exécuter sur le plan politique.

Depuis longtemps elle connaît son pouvoir d’impure séduction pour en avoir usé avec profit lors de la séparation de l’Église et de l’État. La sociologie sommaire qu’elle inocule aux adeptes de ses grades inférieurs a convenu tout de suite à la facilité de l’aventurier parlementaire et composé la seule métaphysique à l’usage des classes du soir qu’il possédera jamais. Entra-t-il jamais en Loge ? La Croix, à l’occasion de ses funérailles, a rappelé que dans sa jeunesse il en avait manifesté l’intention, mais que les cérémonies initiatiques avaient rebuté son scepticisme gouailleur. Beaucoup plus tard, toujours d’après la Croix, à un député qui dénonçait ses attaches maçonniques, il aurait répondu avec componction : « Je n’ai pas l’honneur d’être franc-maçon. » Peut-être ne mentait-il pas. Mais, de toute évidence, il était de religion maçonnique ; son vocabulaire humanitaire, truffé de grossières idéologies à majuscules, l’exhale de cent lieues, et son fameux discours de Genève, lors de l’entrée de l’Allemagne à la Société des Nations, – comme d’ailleurs celui de Stresemann – est certainement d’un enfant naturel sinon légitime de la Veuve.

Quoi qu’il en soit, il demeurera dans l’Histoire l’Homme de la Paix maçonnique, car il en a incarné l’imposture à la perfection. Personne n’a su mieux que lui flatter les parties basses de l’homme, sa paresse ou sa peur, en jetant le discrédit sur les réactions les plus naturelles de son honneur, et ce qu’il dénoncera sous le nom de force, dans son langage de bar spécial, ce sera tout simplement le courage que les anciens appelaient vertu et qui prescrit à un peuple le devoir d’être fidèle à sa vocation dans le monde.

À cette noble consigne, il substituera des à-peu-près obliques qu’il nommera conciliation, détente, et qui signifient en bon français le parti-pris de tout céder à l’adversaire, mais c’est précisément ce que ses dévots croient être l’art suprême de la politique, car ils sont persuadés que la paix consiste à réconcilier Saint Pierre et Simon le Magicien, saint Paul et Festus, en faisant parler à Pierre et à Paul le langage de Festus et de Simon le Magicien. Et Briand offre à ces âmes femelles l’image démesurément grossie de leurs secrètes capitulations. Comment ne pas l’admirer ? Il est si habile ! N’a-t-il pas réussi à faire admettre par des Chambres anticléricales ce qu’il appelle dans son ignoble bagout de camelot qui traduit bien son mépris des exigences du vrai : le Concordat de la Séparation ! Il est plus qu’un Bonaparte, il est un nouveau Constantin qui va célébrer les noces de la démocratie laïque et du Christianisme et ramener les belles heures du Sillon et du Modernisme...

Coïncidence remarquable : deux mois à peine après le Congrès maçonnique international de Genève, a lieu le premier Congrès démocratique international d’inspiration soi-disant chrétienne. Le metteur en scène en est, comme par hasard, Marc Sangnier, qui s’agite étrangement depuis la mort de Pie X. Ce congrès se tient dans la salle des Conférences de la Démocratie, boulevard Raspail. La presse en parla peu alors, mais, à distance, il est curieux d’en feuilleter les comptes-rendus. Il y avait beaucoup de prêtres, ce qui nous fait songer aux instructions secrètes de la Haute Vente, telles que les exprimait déjà Vindice à Nubius dans sa lettre du 9 août 1838. « C’est la corruption en grand que nous avons entreprise, la corruption du peuple par le clergé et du clergé par nous, la corruption qui doit nous conduire à mettre un jour l’Église au tombeau. » Parmi eux, un certain abbé Metzger, Autrichien, a présenté un rapport sur l’International Katholic Association, l’Ika, qu’il a fondée là-bas et dont le développement est naturellement d’une urgente nécessité si l’Europe ne veut pas retourner à la barbarie. Ce doux abbé s’exalte dans la vision enfantine d’une humanité où il y aurait d’un côté des esprits cruels, païens, qui ne rêvent que batailles et qui, hélas, sont encore puissants dans le conseil des États, et de l’autre de suaves démocrates qui ont horreur de verser le sang ailleurs que dans les guerres sociales et qui, pour cette raison, attirent les idéalistes buveurs d’eau minérale et les vieilles filles aux maternités refoulées.

« Si les 300 millions de catholiques qui devraient de par leur foi représenter dans le monde le véritable idéal chrétien, dit cet abbé, aidaient résolument le Saint Père dans sa politique de paix, ils formeraient avec les pacifistes groupés autour d’autres croyances ou d’autres philosophies une phalange invincible pour la paix du monde. » Mais les subsides étaient encore maigres. « Notre action se heurte, soupire cet abbé romantique, à la résistance des forces militaristes et chauvines. Et puis la réalisation de cette tâche pratique exige des ressources immenses : or, il est aujourd’hui plus que jamais vrai de dire que si les capitalistes manquent d’idéalisme, les idéalistes manquent de capitaux. »

L’idéalisme de l’Ika qui louche si tendrement vers « les pacifistes d’autres croyances et d’autres philosophies », comme par exemple celle des Droits de l’Homme, présente au Congrès dans la personne du F.˙. Ferdinand Buisson, n’allait pas tarder à se développer rapidement si nous en croyons l’Osservatore Romano du 9 avril 1922. « Trente prélats de quinze pays différents, parmi lesquels des cardinaux, des nonces apostoliques, ont salué avec enthousiasme leur mouvement et le soutiennent. Le Pape, informé en détails de leur travail les a bénis et encouragés plusieurs fois. »

Naturellement, dans ce congrès idéaliste, on a réclamé l’admission immédiate de l’Allemagne dans la Société des Nations et, un auditeur maladroit ayant demandé si les Allemands présents reconnaissaient la culpabilité de leur pays, Marc Sangnier a répondu de haut : « Le Congrès a pour but d’étudier les moyens à employer pour créer dans le monde un état d’esprit pacifiste et non de porter une appréciation positive sur certains faits appartenant à l’histoire. »

Il y est question aussi de l’École unique. Pourquoi ce problème pédagogique est-il examiné dans un Congrès international, on ne le comprend pas très bien au premier abord, mais quand on voit intervenir le F.˙. Ferdinand Buisson, partisan fanatique de cette réforme qui vient d’être votée par le Congrès maçonnique de la Grande Loge de France et qu’on lit dans le compte-rendu officiel rédigé par les étranges chrétiens du boulevard Raspail que son intervention « réfutant toutes les objections des adversaires est acclamée par l’auditoire », alors nos yeux s’ouvrent...

La séance de clôture a lieu au Manège du Panthéon. Ferdinand Buisson y siégeait fraternellement sur l’estrade aux côtés de Marc Sangnier. La Maçonnerie et le Christianisme réconciliés en leur personne présidaient trois milliers de disciples appartenant à vingt et une nations. Un télégramme transmit à Benoît XV « l’expression de leur plus respectueuse admiration et de leur gratitude émue ». Un autre fut envoyé au F.˙. Harding, président des États-Unis, pour le féliciter d’avoir pris l’initiative de la Conférence du désarmement (l’érotomane de la Maison Blanche fournissait alors le Mexique de mitrailleuses et de munitions pour appuyer le gouvernement révolutionnaire d’Obregon).

À l’issue du Congrès, nous apprennent les Cahiers des Droits de l’Homme, le Comité Central de cette Ligue représenté par les noms bien connus pour leurs sympathies catholiques de Ferdinand Buisson, Mme Ménard-Dorian, Aulard, Victor Basch, Bouglé, Séailles, Guernut, Kahn, le général Sarrail, a reçu les délégués allemands, autrichiens et hongrois. La réunion, d’un caractère tout privé, a eu lieu le lundi 12 décembre chez Mme Ménard-Dorian ; l’abbé Jocham, président de la Ligue des catholiques allemands pour la paix, et l’abbé Metzger, secrétaire général de l’Ika, un peu inquiets sans doute, se sont excusés sous le prétexte qu’ils étaient obligés de quitter Paris le lendemain, à la première heure ; mais les organisateurs du Congrès, Marc Sangnier et Georges Hoog sont là qui savourent en triomphateurs cette équivoque embrassade de maçons notoires. Pas un instant ces chrétiens ne se demandent ce que doit penser de cette lugubre comédie ce peuple français qu’ils prétendent édifier de leur amour. Qui a raison, du F.˙. Ferdinand Buisson, libre-penseur qui regarde nos dogmes comme des chaînes pour la conscience, ou Sangnier qui, dans le privé, confesse ces mêmes dogmes et, en public, les troque sans pudeur contre l’illuminisme maçonnique ?

« S’il y avait quelque certitude ou seulement quelque éventualité que le geste français produisît je ne sais quelle impression d’anachronisme ou de régression dans les esprits alliés, amis ou neutres mêmes, que le lendemain de la guerre trouve politiquement ou socialement plus avancés, philosophiquement plus affranchis et qui veulent et qui aiment la France de la pensée libre à leur avant-garde, il faudrait y regarder à deux fois. » (Très bien ! Très bien ! à gauche, notera l’Officiel). Ainsi parlait aussi le catholique Noblemaire à la tribune de la Chambre.

Comme au temps de Caïphe et de Pilate, on voit ces chrétiens se chauffer dans la cour du Temple, au feu humanitaire allumé par les ennemis de leur Dieu – il fait si froid dans les nuits de reniement ! – et jurer aux servantes et aux gardes qu’ils ne connaissent pas cet Homme qu’on juge et crucifie depuis dix-neuf siècles parce qu’il ose dire en face de la Loi – la Loi intangible – qu’il est Roi et fils de Dieu, que son empire sur la terre ne relève pas de l’homme, mais de son Père seul qui est dans les cieux.

Alors le coq chante. Mais les yeux de ces chrétiens restent secs ; ils sont trop contents du volume d’air qu’ils déplacent en s’agitant autour des puissants. Ils tournent le dos à leur Maître qui passe avec son regard triste – usque ad mortem – et ses mains enchaînées, trop occupés à se chauffer et à renier, renier, renier. Tout ce qu’ils osent – et ils s’estiment courageux – alors que la Russie, l’Angleterre, le Japon, les États-Unis ont déjà dépêché des représentants au Saint-Siège, c’est de mêler leurs voix, et dans le jargon laïcisant qui convient, au concert des intérêts nationaux qui exigent notre présence auprès de « la plus grande puissance morale du monde », comme il est de bon ton de s’exprimer pudiquement. Se chauffant toujours au feu de la valetaille qu’on tâche d’alimenter tant bien que mal avec le Droit, la Justice, l’Humanité et autres souches pourries et qui font beaucoup de fumée, quand par hasard une encyclique, un mandement pastoral, y jette un peu de ce bois que la veuve de Sarepta ramassait quand Élie la rencontra, de celui dont se fait la Croix rédemptrice, et que le brasier jette alors une grande lueur, au seul froncement de sourcil de César, ils s’empressent de jurer qu’il n’y a qu’une seule flamme légale, unique, sacrée. L’Église a depuis longtemps abandonné les exigences du Syllabus ; elle n’ambitionne plus que de coopérer au Progrès moderne avec la Maçonnerie, la Théosophie, l’Armée du Salut, la Christian Science et autres forces morales d’une Démocratie manifestement inspirée de l’Esprit.

À travers la trouble ivresse verbale qu’un Aristide Briand verse à ces chrétiens dégénérés du XXe siècle, la complaisance à essuyer crachats et coups de bâton se transformera en ténacité, l’inertie s’appellera sang-froid, les désastres deviendront de simples difficultés. Pendant dix ans, enroulé autour de l’arbre en carton de la Paix, le python fétiche de la Démocratie leur modulera son incantation canaille ; au dodelinement de sa grosse tête lasse, à droite, à gauche, ses yeux matois déchargeront leur fluide sensuel ; ses écailles ternies feront jouer dans l’ombre leurs feux louches. Au chant magique de leur totem ils sentiront leurs entrailles se liquéfier de volupté et communieront à la prostitution rituelle du langage où les convie l’animal sacré...

 

 

Briand cependant est tombé le 12 janvier 1922, au retour de la Conférence de Cannes, à la suite d’une motion de Léon Daudet qui a ouvert les yeux de la Chambre sur les honteux abandons de ce singulier ministre des Affaires étrangères qui s’en est allé sur la côte d’Azur reconnaître, d’accord avec Lloyd George, la légitimité des Soviets et souscrire, sous le nom de plan britannique de reconstruction européenne, au moratorium allemand d’où sortira la crise Hoover, mais il a gardé son pouvoir d’intrigues et sa clientèle où les démocrates chrétiens sont ses agents de dissolution les plus sûrs et les plus actifs.

Le doux Benoît XV vient de s’éteindre et le nom du cardinal Ratti vient de sortir des urnes du Conclave. La presse de gauche est à peu près unanime pour annoncer que c’est un pontificat de conciliation qui s’ouvre. « Le nouveau Pape, écrit le Rappel, peut être le champion des idées nouvelles et conciliatrices. » L’Œuvre met en manchette : « Le nouveau Pape a choisi le nom de Pie XI, mais on pense qu’il ne suivra pas la politique de Pie X. » Son apparition sur le balcon extérieur de Saint-Pierre pour donner la bénédiction urbi et orbi montre qu’il sera moins intransigeant que ses prédécesseurs sur la question romaine. À la pensée qu’il conserve comme secrétaire d’État le cardinal Gasparri, le petit sectaire François-Albert exécute des cabrioles autour du Saint-Siège. « Il y a des chances, insinue-t-il dans Bonsoir, pour qu’un homme occupant la place depuis sept ans déjà exerce au moins pendant les premiers temps une influence essentielle. Or on sait qui est le cardinal Gasparri, l’homme, avant tout, du Parti populaire italien, à ce point que son zèle en faveur du rapprochement vaticano-quirinalesque agaça parfois Benoît XV lui-même. Il était le candidat du laïque Jonnart, ambassadeur. Mais voici la note dominante : Mgr Ratti est un Pape de gauche, ouvert aux idées nouvelles, un moderniste m’écrit-on – bref une sorte de Pape bleu, en attendant sans doute un Pape rouge que ne pourra manquer de nous donner le prochain Conclave si M. Jonnart est encore là pour accepter une nouvelle mission temporaire à cette occasion... Un pape moderniste ?... En vérité, laissez-moi rire... De grâce, soyons sérieux et ne nous payons pas de mots... Qu’est-ce que le modernisme ? L’exégèse de l’abbé Loisy ? Le renanisme ? Et voyez-vous un Pape moderniste ? C’est absurde ! Quel péril pour la religion comme pour les peuples que l’avènement d’un pareil ambitieux sans foi ni principes dans la Chaire de Pierre !... J’entends que j’exagère. Par moderniste, il faut entendre seulement un prélat imbu d’esprit nouveau, de l’esprit du siècle, un de ces hommes d’Église sur qui l’on conte des anecdotes gaillardes aux environs des boulevards, qui savent parler aux républicains, aux démocrates et flatter leur snobisme de parvenus, un serviteur de Dieu qui « la connaît » en somme mieux qu’eux. Avec de tels souverains on peut causer et s’entendre. L’école de Mgr Cerretti, en un mot. »

Nous nous excusons de citer cette irrévérencieuse appréciation, mais nous l’avons trouvée reproduite dans la consciencieuse Documentation catholique éditée par la Bonne Presse, rue Bayard, au tome VII (janvier-juin 1922, p. 415, 2e colonne).

La presse modérée, par la bouche d’or de Gustave Hervé, commente dans le même sens l’apparition sur le balcon de Saint-Pierre. « Le geste de bénédiction, écrit l’ancien antimilitariste dans sa Victoire, signifie que l’Église catholique, poursuivant et élargissant la politique de Léon XIII, va faire dans tous les pays catholiques un nouvel effort pour s’adapter au régime démocratique et laïque qui, depuis la Révolution française, n’a cessé de gagner du terrain dans tout le monde moderne. Pour la France, il signifie que les catholiques français qui refusaient de s’organiser en associations cultuelles sur le modèle que la loi de Séparation les autorise à constituer, vont recevoir de Rome l’invitation d’accepter ce régime. »

À entendre cet étonnant concert, on croit rêver et l’on ne peut relire sans serrer les dents le plan de séduction que dévoilaient si perfidement les Instructions secrètes des Hautes-Ventes, il y a quelque cent ans : « Le Pape, quel qu’il sait, ne viendra jamais aux sociétés secrètes ; c’est aux sociétés secrètes à faire le premier pas vers l’Église, afin de les vaincre tous deux... Le travail que nous allons entreprendre n’est l’œuvre ni d’un jour ni d’un siècle peut-être ; mais dans nos rangs, le soldat meurt et le combat continue... Nous ne doutons pas d’arriver à ce terme suprême de nos efforts. Mais quand ? Mais comment ? L’inconnu ne se dégage pas encore. Néanmoins rien ne doit nous écarter du plan tracé ; au contraire, tout doit y tendre comme si le succès devait couronner dès demain l’œuvre à peine ébauchée... Que le clergé marche sous votre étendard en croyant toujours marcher sous la bannière des clés apostoliques. Tendez vos filets comme Simon Barjona ; tendez-les au fond des sacristies, des séminaires et des couvents plutôt qu’au fond de la mer ; et si vous ne précipitez rien, nous vous promettons une pêche plus miraculeuse que la sienne. Vous aurez pêché une révolution en tiare et en chape, marchant avec la croix et la bannière, une révolution qui n’aura besoin que d’être un tout petit peu aiguillonnée pour mettre le feu aux quatre coins du monde. »

Cette révolution qui doit mettre le feu aux quatre coins du monde, nos ralliés à tout prix s’emploient de tout leur cœur à la servir, ne s’apercevant même pas que plus ils concèdent d’avantages aux ennemis de leur foi, plus ceux-ci se montrent inflexibles dans leurs doctrines. En vain Mgr Julien, le sourire aux lèvres, s’imagine, dans sa lettre pastorale de Carême 1922 sur la paix religieuse, amorcer la fin du conflit scolaire en recommandant à ses ouailles de « s’adapter aux lois de la République », l’instituteur et le curé pouvant bien se réconcilier dans le modus vivendi de la proportionnelle scolaire : la Lanterne du 7 mars n’y voit que de quoi pendre le ci-devant évêque, et l’ancien journal de Millerand et de Briand vocifère : « C’est un marché de dupes qu’il nous offre. Il n’y a d’entente possible entre l’école laïque et l’école libre que si celle-ci donne le même enseignement que celle-là... » « Ah ! le souffle d’apaisement religieux, raille à son tour la France libre du 8 mars, comme cela sonne bien dans leur bouche, à ces messieurs ! et comme la Chambre bleu-horizon serait surpassée par la Chambre noire ! »

Alors, pour ne pas être accusés de noircir la Chambre, nos ralliés vont se rougir le plus qu’ils pourront, prosternés devant leurs tyrans avec une servilité que ne connurent ni la Restauration ni le second Empire dans leurs plus beaux jours.

Le Pape, dans sa lettre Maximam gravissimamque du 2 février 1924, ne vient-il pas de permettre – au moins à titre d’essai – les associations diocésaines ? Il a pris soin, il est vrai, de réprouver les lois laïques et de marquer que dans sa pensée, cette nouvelle législation n’est qu’une étape vers la pleine liberté, qu’importe ! Pour eux, c’est le blanc-seing désiré et comme leurs aînés, à propos de la tolérance condescendante que Léon XIII avait accordée au terme de démocratie, chuchotaient sous le manteau : « On lui a fait avaler le mot, on lui fera bien avaler la chose », ils pensent bien faire avaler la laïcité à ce pontificat. Un simple ralliement de raison au pouvoir établi, tel qu’avait cru bon de le conseiller Léon XIII, ne leur paraît plus suffisant ; il faut que l’Église contracte avec la République un mariage d’amour. Déjà ils se font gloire de se définir « des républicains véritables qui ne séparent pas la forme du gouvernement de sa doctrine et qui, par conséquent, tout en se préservant du sectarisme, sont des laïques au sens que les théoriciens de la République ont toujours donné à ce mot ». On pouvait lire cette profession de foi dans l’Almanach catholique de 1924 édité chez Bloud et Gay.

Oh ! en théorie, dans la thèse, comme ils disent, l’Église est toujours pour eux la chaire de vérité, la souveraine maîtresse des âmes, mais dans l’hypothèse, comme une telle affirmation les excommunierait de la République laïque et obligatoire, ils la renient tout simplement et revendiquent leur laïcité « au sens que les théoriciens de la République (c’est-à-dire les Gambetta et les Jules Ferry) ont toujours donné à ce mot ».

« Nous sommes en plein paganisme », constate tranquillement le chrétien d’aujourd’hui, ne se doutant pas que s’il pouvait être juste en des cas particuliers de subir certaines contraintes quand l’Évangile n’avait pas encore infusé son esprit dans notre civilisation, il est insensé autant qu’odieux de s’y résigner de si bon cœur après plus de quinze siècles de services et de bienfaits. Mais l’affirmation des droits de Dieu n’est plus de mise ; ni le Mécréant, ni l’Albigeois d’aujourd’hui n’ont plus rien à craindre de la « plus grande force morale » ; elle n’ambitionne plus qu’une petite place à leur côté dans l’aréopage de Genève pour décréter de concert la paix du monde...

On ne peut se demander sans honte comment les chrétiens de ce temps accueilleraient un saint Bernard ou un saint Dominique s’ils revenaient organiser en Europe la défense de la foi menacée ; ils couvriraient sa voix de clameurs indignées et n’auraient de cesse que Rome ne les eût désavoués devant la Société des Nations. « Ce n’est plus de ce temps », répéteraient-ils en haussant les épaules. Car ce temps exige que les États renient Dieu et adorent la souveraineté populaire et que les catholiques y coopèrent, ne se lassant pas de souscrire à chaque nouveau coup de verge sur les épaules de leur Rédempteur, à chaque crachat, à chaque soufflet sur sa Face, votant les douzièmes provisoires pour l’achat des clous et du bois de la Croix...

L’Église attend la liberté d’enseigner ses enfants selon cette fameuse répartition proportionnelle scolaire qu’ils lui ont promise, tout bas, entre deux portes d’antichambre de ministère, moyennant de légères concessions verbales ; mais la Maçonnerie veille ; elle lâche, au moment voulu, ses molosses contre les téméraires qui se risquent à entrer dans le domaine privé de l’Enseignement dit public, et nos gens courent encore. « Ce n’est pas encore le moment », prononcent-ils gravement. Ainsi, dans la cour de Caïphe, ce n’était pas non plus le moment pour Pierre de confesser son maître ; la manœuvre parlementaire de ce temps-là consistait à le renier... Peut-être un jour se trouvera-t-il un prêtre pacifiste et démocrate pour nous apprendre que ce reniement était de la haute politique qui permit au futur chef de l’Église d’entrer chez le grand Prêtre et d’endormir ainsi les soupçons du Sanhédrin. Quant aux larmes, ce passage aurait bien pu être interpolé plus tard par un disciple fanatique de Paul...

 

Il court dans les évêchés un certain Mémoire confidentiel qui trace pour les élections de 1924 une conduite digne de ces héroïques chrétiens. Ce mémoire prescrit l’abandon radical de toutes les revendications catholiques, même celles qui ne s’inspirent que du simple droit commun comme la répartition proportionnelle scolaire : « Revendication d’une justice éclatante, concède le Mémoire confidentiel, malheureusement cette réforme s’inspire d’une conception directement contraire à celle qui a prévalu sous la troisième République, en matière d’enseignement public... De toute certitude, tous les partis de gauche, les modérés comme les avancés, s’y opposent obstinément. » Aussi, pour ne pas leur déplaire, faut-il désormais éviter « toute sorte de compromissions avec les anciens partis », car la cause de cette intransigeance des partis de gauche n’est évidemment pas imputable au sectarisme de la Maçonnerie mais aux maladroites interventions des catholiques trop zélés qui ont « provoqué la mauvaise humeur » de M. Jonnart. Et comme « les candidatures idéales sont vouées à l’échec », le Mémoire confidentiel prescrit le ralliement complet aux « lois de la République », y compris sans doute la laïcité « au sens que les théoriciens de la République ont toujours donné à ce mot », comme s’exprimait l’Almanach catholique français pour 1924.

Le résultat de cette profonde politique fut, bien entendu, le triomphe du Cartel maçonnique, les démocrates chrétiens ayant employé tout leur zèle à évincer les candidats conservateurs, soit en les supplantant, soit en soutenant contre eux les candidats radicaux.

Aussitôt au pouvoir, la Maçonnerie jeta le masque, chassa Millerand de la présidence, appliqua immédiatement les lois laïques en Alsace-Lorraine au mépris des libertés promises par Poincaré. Ce fut une stupeur chez les catholiques, car ces moutons ne voudront jamais croire que les loups soient friands de leur chair. On fonda aussitôt, en réponse à l’attaque du Cartel, la Fédération Nationale Catholique avec, comme président, le général de Castelnau, et une campagne d’offensive générale commença dans tout le pays. Les orateurs dirigeaient contre les positions de l’adversaire des tirs de mitrailleuses bien nourris : malheureusement c’était des cartouches à blanc. Rappel des Congrégations, répartition proportionnelle scolaire, toutes nos libertés étaient revendiquées, la voix terrible et le torse bombé, devant des dizaines de milliers de personnes tout émues de leur nombre et de leur audace. Les Évêques patronnaient ces assemblées en plein air et cela finissait à l’église, sous l’œil indulgent de la police, avec un salut et le chant du Nous voulons Dieu. L’exaltation était si communicative que les Cardinaux et Archevêques de France, le 10 mars 1925, décidèrent de lancer une déclaration « sur les lois dites de laïcité et sur les mesures à prendre pour les combattre ». Inspirée et rédigée par un théologien dominicain dont l’éloquence avait pendant vingt-cinq ans enseigné dans la chaire de Notre-Dame la pure doctrine de saint Thomas, elle renversait toutes les équivoques et n’avait qu’un seul souci : dire la vérité. « Les lois de laïcité, énonçait-elle, sont injustes, d’abord parce qu’elles sont contraires aux droits formels de Dieu... Elles tendent à substituer au vrai Dieu des idoles (la liberté, l’humanité, la science, etc.), à déchristianiser toutes les vies et toutes les institutions. Elles sont injustes ensuite, parce qu’elles sont contraires à nos intérêts temporels et spirituels... Dès lors les lois de laïcité ne sont pas des lois. Elles n’ont de la loi que le nom, un nom usurpé ; elles ne sont que des corruptions de la loi, des violences plutôt que des lois, dit saint Thomas. Ne nous nuiraient-elles que dans l’ordre temporel, en soi, elles ne nous obligeraient pas en conscience... Elles ne pourraient nous obliger qu’au cas où il faudrait céder un intérêt purement terrestre pour éviter des troubles et des scandales. Mais comme les lois de laïcité attentent aux droits de Dieu, comme elles nous atteignent dans nos intérêts spirituels ; comme après avoir ruiné les principes essentiels sur lesquels repose la société, elles sont ennemies de la vraie religion qui nous ordonne de reconnaître et d’adorer dans tous les domaines, Dieu et son Christ, d’adhérer à leur enseignement, de nous soumettre à leurs commandements, de sauver à tout prix nos âmes, il ne nous est pas permis de leur obéir, nous avons le droit et le devoir de les combattre et d’en exiger, par tous les moyens honnêtes, l’abrogation. »

« Deux tactiques : la première consisterait à ne pas heurter de front les législateurs laïcs ; on citerait des cas dans l’histoire où, avec certains hommes investis du pouvoir et moins mal disposés, elle a réussi ; cependant elle présente dans le cas présent des inconvénients graves. Elle laisse les lois debout. Les plus malfaisantes continuent à agir, quelles que soient les intentions des ministères successifs. Cette politique, en outre, encourage nos adversaires, qui, comptant sur notre résignation et notre passivité, se livrent, chaque jour, à de nouveaux attentats contre l’Église... C’est pourquoi la majorité des catholiques vraiment attachés à leur foi demandent qu’on adopte une attitude plus militante et plus énergique. »

Et l’Église de France, par la voix de ses cardinaux et archevêques, préconisait une action méthodique ; sur l’opinion par la propagande de la vérité, par la dénonciation des préjugés qui égarent le peuple en l’aveuglant, par les démonstrations extérieures ; sur les législateurs par des pétitions envoyées aux députés et aux sénateurs de chaque département et, au besoin, par le refus des voix catholiques aux candidats qui ne seraient pas, en théorie et en pratique, les adversaires du laïcisme ; sur le gouvernement enfin par des protestations massives, des délégations, des ultimatums, voire des grèves, ainsi qu’ont l’habitude de le faire socialistes, communistes, fonctionnaires, ouvriers, commerçants, quand une loi ou un décret leur déplaît ou leur nuit. « Ils assiègent et ils harcèlent le gouvernement qui, presque toujours, finit par céder à leurs instances. »

« Pourquoi, poursuivait cette réfutation éclatante du récent mémoire confidentiel, pourquoi autant que nous le permettent notre morale, notre dignité, notre amour de la paix, fondée sur la justice et la charité, ne les imiterions-nous pas, afin d’effacer de notre code les lois qui, suivant l’énergique parole d’un de nos évêques, nous mènent « du laïcisme au paganisme » ?... Assurément l’œuvre est immense et difficile, mais le propre de la vertu de force est d’affronter les obstacles et de braver les dangers. De plus, nous disposons de troupes dont le nombre et le courage égalent au moins le nombre et le courage des autres groupements, car une multitude de chrétiens, à compter seulement ceux qui sont fervents et agissants, sont impatients d’engager la lutte. Nos cadres – paroisses, diocèses, provinces ecclésiastiques – sont préparés. Ce qui a trop manqué jusqu’ici aux catholiques, c’est l’unité, la concentration, l’harmonie, l’organisation des efforts... On dira que cette attitude nous expose à des retours offensifs et impitoyables de nos adversaires. Ce n’est pas certain. En tous cas, à quelles calamités ne nous expose pas l’attitude contraire ? Quel avenir nous attend si, satisfaits d’une légère et artificielle détente, nous nous endormons ? Jamais, peut-être, depuis cinquante ans, l’heure n’a paru aussi propice ; à la laisser passer sans en profiter, il semble bien que nous trahissions la Providence. »

Ce fut un beau tapage chez les démocrates chrétiens. Cette franchise allait ruiner toute la politique de conciliation si laborieusement ourdie dans l’ombre, juste au moment où Briand revenu au pouvoir avec le Cartel allait leur permettre de reprendre ces intrigues de couloir et d’antichambre qui les grisent d’une illusoire puissance. Briand, au cours de sa campagne électorale, notamment dans son discours de Nantes, n’avait pas caché de quel côté il entendait orienter ses troupes : « Que la France apparaisse comme la fille de la Révolution, tournée vers l’avenir, et vous y verrez les peuples se tourner vers elle et lui crier : Éclaire-nous, guide-nous !... Cette France-là sera inattaquable, couverte par le bouclier du monde entier. C’est celle que je veux voir sortir des élections prochaines... Demain, il faut que tout ce qui est républicain, du plus modéré au plus avancé, se groupe, s’unisse ; il faut que tout ce qui est de la famille républicaine, tout ce qui est « bleu » se dresse contre ce qui est « blanc » et je dis que de pareilles luttes, bien loin d’affaiblir le pays, ne font que le fortifier. » Car, à l’encontre de l’anticléricalisme, le pacifisme républicain est exclusivement un article d’exportation...

Il fallait donc choisir entre l’ultimatum de l’Apôtre de la Paix et la Déclaration des cardinaux ; il n’y avait pas à hésiter, d’autant que le bruit courait d’une grande fureur du nonce Cerretti à la nouvelle de cet acte d’autorité apostolique. Un dimanche de Carême, dans la chaire de Notre-Dame, alors que le Père Samson, de sa voix magnifique, y venait d’émouvoir les cœurs en proclamant qu’il ne croyait pas qu’un Dieu fût assez barbare pour avoir immolé son Fils à sa Justice, mais que la Rédemption avait été inspirée par le seul amour des hommes, le cardinal-archevêque en gravit à son tour les marches et pour tranquilliser ses ouailles sur l’héroïsme que la Déclaration semblait leur demander, il les avertit qu’il ne fallait voir dans cette critique des lois laïques qu’une « simple leçon de catéchisme » et non un acte politique. Parole normande qu’on pouvait interpréter comme on voulait et que le trop rusé prélat se garda bien d’expliquer. Logiquement et chrétiennement, cela aurait dû vouloir dire qu’il valait mieux obéir à Dieu qu’aux hommes et que les devoirs envers Dieu enseignés dans le catéchisme nous interdisaient d’accepter des lois qui niaient jusqu’à son existence. Aussi bien le sens comme les termes mêmes de la Déclaration le criaient à chaque ligne. Mais c’était trop simple et les démocrates chrétiens surent en tirer une exégèse qui justifiait tous leurs abandons ; ils mirent en avant la fameuse distinction entre la thèse et l’hypothèse, d’après laquelle il est expressément requis de renier dans l’hypothèse ce qu’on affirme dans la thèse. En thèse la Déclaration des cardinaux était irréfutable, mais dans l’hypothèse il fallait n’en tenir aucun compte. En somme on faisait dire à Son Éminence le cardinal Dubois : « Ne prenez pas au sérieux cet appel aux armes ; nous sommes forcés d’enseigner ça au catéchisme, portes bien closes, parce que telle est notre doctrine, mais qu’elle n’aille point troubler vos combinaisons politiques et n’y voyez que du noir sur du blanc, comme au Syllabus. » C’est ainsi qu’ils imaginaient aussi une distinction subtile entre laïcité et laïcisme. Le laïcisme était condamnable parce qu’il apportait des préoccupations sectaires, mais la laïcité était un état de fait résultant du progrès social et décelant bien souvent un christianisme qui s’ignorait.

En moins de six ans, d’abord ténébreusement, puis effrontément, s’est refaite l’obscène confusion de la Rédemption et de la Révolution, du Salut et du Progrès économique, du Christ et de l’homme charnel, toute la grossière mystagogie enfin du Sillon dont Pie X avait dévoilé « l’âme fuyante ». « La Paix ! la Paix ! », invoquent-ils en joignant les mains. Ah ! certes, elle n’a rien de commun avec celle, trop dure à conquérir, que saint Thomas définit la tranquillité de l’ordre ; cette rigueur de doctrine, cette soumission à l’objet, ce discernement sagace des éléments d’un problème, ont toujours répugné à leurs effusions oratoires, à leur fourbe évasion hors du réel. Cette guerre qu’un Péguy, un Psichari, un Cochin, des milliers d’autres, avaient pressentie et offerte comme l’holocauste de toutes nos erreurs, ils n’en veulent pas accepter l’enseignement mystique ; elle ne sera plus désormais qu’une faillite commerciale, sans auteurs responsables, à liquider le plus vite possible sur le dos des millions de morts, de veuves, d’orphelins par un consortium international de banquiers, de philanthropes, de démocrates, qui communient dans on ne sait quelle liquéfaction ignoble des vertus chrétiennes.

 

 

Au mois d’août 1926, le délire atteignit son apogée à Bierville.

C’était la sixième fois, depuis 1921, que le Congrès international des catholiques pacifistes, en union avec la Ligue des Droits de l’Homme, tenait ses assises. En 1922 il s’était transporté à Vienne, en 1923 à Fribourg en Brisgau, et l’on y avait assisté à ce spectacle qui eut fait verser des larmes à Jean-Jacques de femmes allemandes apportant leurs bijoux en sacrifice à la réconciliation des peuples ; en 1924 les mystères du nouveau culte humanitaire furent célébrés à Londres ; en 1925 à Luxembourg. Cette année 1926, il fallait frapper un grand coup, car l’esprit de Locarno venait d’illuminer les âmes sensibles et les cervelles légères au spectacle de l’amitié scellée entre le maçon Stresemann et son compère Briand, sous les tonnelles du lac Majeur, au prix de l’évacuation sans garanties de la Rhénanie.

Un manifeste est lancé de l’officine du boulevard Raspail à tous les pacifistes démocrates qui, « quelles que soient leurs convictions, non seulement respectent mais reconnaissent la nécessité des forces religieuses et morales pour l’œuvre de la paix », les conviant à un congrès qui se tiendra cette fois dans le somptueux domaine de Bierville, près d’Étampes, propriété du ploutocrate socialisant, Marc Sangnier.

Si aucun parlementaire catholique n’a jugé opportun d’envoyer son adhésion, par contre, cent seize sénateurs ou députés, dont plusieurs ministres ou anciens ministres, ont signé un appel à l’opinion française en faveur de cette démonstration internationale.

Briand, alors Président du Conseil, s’est empressé naturellement d’assurer Marc Sangnier, président du comité d’organisation, de toute sa sympathie et de tout l’appui de son gouvernement. Le 24 août, cent cinquante congressistes déjeuneront au Ministère des Affaires étrangères. Accueil, nous dit le compte-rendu, « solennel, charmant et cordial ». M. Barthou, ministre de la Justice, délégué par le président de la République, représentera le Gouvernement, assisté de Sarraut, ministre de l’Intérieur et de Painlevé, ministre de la Guerre. Il portera un toast « au Congrès, à ses efforts, à ses services, à la paix fondée sur les assises de la Justice et du Droit ».

Dans le parc, un vaste camp – le camp de la Paix – a dressé une quarantaine de tentes pouvant abriter quatorze cents jeunes gens ; trois autres tentes ont été aménagées en réfectoire de 100 mètres sur 200 mètres. « Symbole éloquent, dit le compte rendu, le matériel ainsi que les cuisines roulantes et les groupes électrogènes qui devaient éclairer le camp de la paix pendant la nuit ont été prêtés bénévolement par le ministre de la Guerre, nouvelle et originale attestation de la volonté de Paix qui anime la Nation Française et son gouvernement. » Un calvaire – le Calvaire de la Paix – domine ces grandes manœuvres pacifistes de l’Humanité future où alternent, comme dans les rêves civiques de Robespierre, les discours, les cantiques, les réjouissances populaires et les banquets. Durant tout le mois d’août, seront célébrées des fêtes internationales où Firmin Gémier réglera les divertissements et Xavier Privas entremêlera ses romances montmartroises avec les sensibleries philanthropiques du chansonnier silloniste Henri Colas, cependant qu’Edward Montier, président des Philippins de Rouen, dramaturge de patronage et moraliste échauffé de la crise des sens chez les adolescents, qui devait disparaître dans une histoire de mœurs assez délicate, s’enchantera au commerce des jeunes apôtres de la Paix...

Le conciliant Mgr Jullien, évêque d’Arras, a laissé dans le Correspondant du 25 septembre 1926 un récit de ces journées mémorables bien curieux à lire, car on y remarque une indulgence assez frivole traversée çà et là de fugitives inquiétudes. Sa Grandeur, en effet (on ne disait pas encore Son Excellence), a tenu à patronner ces manifestations pacifistes de concert avec Mgr Gibier, l’évêque de Versailles, cœur excellent aussi, mais qui ne craignait pas les imprudences (Gibier avancé, mais fort bon goût, avait télégraphié à sa femme un congressiste démocrate de la Semaine Sociale, en 1913.)

À la séance d’ouverture, Mgr Jullien a déclaré modestement : « Le catholique éprouvé qu’est Marc Sangnier a souhaité qu’un Évêque pût dire son mot en ces grandes assises qui réunissent des hommes venus de tous les horizons de la pensée française et internationale. » Ce mot épiscopal ne sera d’ailleurs qu’une adhésion chaleureuse au grand rêve maçonnique. « L’Église, ne craindra-t-il pas d’avancer, reconnaît dans les organismes de La Haye et de Genève l’aboutissement de sa théologie sur le droit international. » L’Église n’a donc qu’à passer la main à la Société des Nations, puisque celle-ci, qui a prononcé l’exclusive contre la représentation du Saint-Siège en son sein, est, selon cet évêque, l’aboutissement de sa théologie sur le droit international. Aussi ne faut-il pas nous étonner si nous voyons le F.˙. Ferdinand Buisson, président de la Ligue des Droits de l’Homme qui, naturellement, est de toutes ces fêtes, s’avancer vers l’évêque d’Arras, les yeux mouillés de pleurs de joie et déclarer, à la lueur des torches et sous les drapeaux unis de toutes les nations, qu’il est prêt à signer tout ce qu’a dit Sa Grandeur. Alors l’évêque applaudit à son tour le F.˙. Buisson ; les mains du maçon et de l’Oint du Seigneur s’étreignent, l’Église et la Libre-Pensée s’embrassent. Justitia et Pax osculatae sunt...

Cependant ce prélat qui est lettré ne tarde pas à se montrer quelque peu dépaysé dans cette assemblée qui ignore par trop les nuances, les distinctions, qui font les délices de Sa Grandeur ; mais dans son désir de plaire, il s’efforce à tout comprendre, même les impulsions rudimentaires de Caliban.

« Il faut s’attendre à voir aux prises deux tendances qui peuvent se caractériser ainsi : l’une, plutôt sociale et juridique, l’autre plutôt individuelle et mystique. Un certain évangélisme tolstoïsant se fera jour pour simplifier le problème de la paix en le réduisant à une question de conscience personnelle. Le principe de la non-résistance au mal ne sera plus un conseil de perfection qui est le fait d’un petit nombre, mais une obligation pour tous. »

Quand une vieille Anglaise, Miss Clar, jettera dans la balance élégante de l’évêque le poids brutal du précepte : Tu ne tueras point, Sa Grandeur rappellera gravement les arguments théologiques en faveur des guerres légitimes, citera saint Thomas, Vittoria, Suarez. Mais ces jeunes gens, insensibles à l’érudition ecclésiastique et à l’autorité des Anciens, n’ont plus de lettres ; ils n’ont lu que Jaurès et des moutures de Marx pour patronages et prennent l’échauffement de leurs entrailles pour l’inspiration de l’Esprit Saint. « Défense à l’État, décrètent-ils, de porter atteinte à la conscience individuelle. Tout citoyen, s’il considère la guerre comme injuste, a le droit et le devoir de refuser de porter les armes ! » Sans doute, admet Sa Grandeur, dans la thèse cette opinion peut se soutenir, mais dans l’hypothèse comment l’admettre sans de graves désordres ? Sa Grandeur s’étonne d’un tel fanatisme ; elle n’a pas encore découvert que chez les démocrates chrétiens, la commode distinction ne joue que lorsqu’il s’agit des Droits de l’Église ; quand il s’agit des principes de l’individualisme révolutionnaire, la thèse doit être respectée inflexiblement, dut la Société en périr ; mais Sa Grandeur se contente de noter : « Ils seraient pour Tertullien contre saint Ambroise et saint Augustin. » « Je vois venir Tolstoï, annonce-t-il encore. » Eh quoi ! ne vont-ils pas jusqu’à poursuivre l’esprit de guerre dans les jeux des enfants ? Quel manque d’atticisme ! « Ne peut-on admirer les hommes de guerre sans aimer la guerre ? » Ces jeunes fanatiques le priveront-ils du plaisir qu’il goûte à lire le récit de la bataille de Rocroy dans l’Oraison funèbre du Prince de Condé ? Non, il ne leur sacrifiera pas la redoutable infanterie espagnole célébrée par l’Aigle de Meaux, non plus que le combat contre les Maures du Cid cornélien.

Mais peut-être chez ces jeunes barbares la « tendance juridique et sociale » sera-t-elle plus discrète que la « tendance individuelle et mystique » ? Hélas ! elle ignore autant les dissertations des docteurs orthodoxes ou veut les ignorer ! Pour ces disciples de l’Alliance nouvelle, les Droits de l’Homme sont l’Évangile, la Société des Nations, l’Église infaillible qui doit, selon la définition de l’abbé Loisy, faire de l’Humanité « l’objet de sa foi et de son service ». Aussi les États devront-ils « limiter leur souveraineté au profit de cette autorité internationale qui doit constituer un Sur-État capable d’imposer sa loi par des pouvoirs suffisants. » Mais Sa Grandeur tient ce vœu pour une chimère. « C’est un rêve évanoui », pense-t-il. « Les États ont déjà assez de peine à concilier l’individualisme démocratique avec les nécessités sociales de la Nation. »

Une autre motion préconisant « la réforme de l’enseignement dans le sens démocratique en facilitant aux enfants de la classe ouvrière et paysanne l’accès des études secondaires et supérieures » ne le trouble pas davantage. « Il est vrai, commente Sa Grandeur, que le nom d’école unique n’est pas prononcé, ce qui fera peut-être accepter la motion à ceux qui auraient peur d’un mot. »

L’empressement d’un Ferdinand Buisson à stimuler tous ces délires (« Ferdinand Buisson approuve chaleureusement la doctrine pacifiste de l’Église », lit-on dans la publication Peuple de France, des Éditions Spes) n’ouvre pas les yeux de Sa Grandeur. Elle ignore sans doute que la Grande loge de France, comme on peut le lire à la page 236 de son bulletin officiel de 1922, a émis le vœu suivant : « La Franc-Maçonnerie, qui a tant fait pour l’émancipation des hommes et à qui l’histoire est redevable des révolutions nationales, saura aussi faire cette plus grande révolution qu’est la Révolution internationale » et que pour y parvenir elle s’emploie à lancer l’idée qu’elle a déjà émise au Congrès interallié de 1917 de faire de la Société des Nations « une sorte d’État supranational investi des trois pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire dont l’autorité serait sanctionnée par une armée ou une police internationale ». Sa Grandeur ignore aussi sans doute que l’École unique méditée, préparée dans ses moindres détails au fond des Loges, n’est dans la pensée de ses promoteurs que la suprême offensive générale de la Maçonnerie contre nos dernières libertés scolaires et qui doit instaurer le règne absolu de la laïcité en s’emparant définitivement et totalement de toute la formation intellectuelle, morale et physique de l’enfance et de la jeunesse.

Sa Grandeur, au surplus, a l’âme trop indulgente pour croire à des desseins si noirs ; et puis ces jeunes gens ont un enthousiasme si touchant qu’Elle serait désolée de leur déplaire ; aussi, tout en formulant des réserves – oh ! sans rigueur ! – contre certains vœux « qui paraîtraient dangereux pour la sécurité du pays », Elle conclut ainsi son article : « Il ne faut pas être trop sévère pour tout ce qui anticipe sur le temps et dérange les habitudes d’esprit réputées principes inébranlables, quand par ailleurs les gouvernements ont les mains libres pour parer à la sécurité des États. » Et d’un geste gracieux, Sa Grandeur couvre ces bons jeunes gens de son manteau épiscopal.

Cependant Elle aurait pu se rappeler le passage de la lettre de Pie X sur le Sillon : « Quand on songe à tout ce qu’il a fallu de force, de science, de vertus surnaturelles pour établir la Cité chrétienne et les souffrances de millions de martyrs, et les lumières des Pères et des Docteurs de l’Église et le dévouement de tous les héros de la Charité en une puissante hiérarchie née du ciel, et des fleuves de grâce divine, et le tout édifié, relié, compénétré par la Vie et l’Esprit de Jésus-Christ, la Sagesse de Dieu, le Verbe fait homme ; quand on songe, disons-nous, à tout cela, on est effrayé de voir de nouveaux apôtres acharnés à faire mieux avec la mise en commun d’un vague idéalisme et de vertus civiques... Qu’est-ce qui va sortir de cette collaboration ? Une construction purement verbale et chimérique où l’on verra miroiter pêle-mêle et dans une confusion séduisante, les mots de liberté, de justice, de fraternité et d’amour, d’égalité et d’exaltation humaine mal comprise ; ce sera une agitation tumultueuse, stérile pour le but proposé et qui profitera aux remueurs de masses moins utopistes. »

 

 

Or ces idylles se consommaient à l’heure même où, au Mexique, le juif maçon Callès, qui avait succédé à Obregon à la présidence, ordonnait l’application de la Charte sectaire de Queretaro qui livrait églises, écoles, institutions au bon plaisir de l’État et décrétait la laïcisation intégrale de l’Enseignement à tous les degrés. Promulguée en 1917 et aussitôt condamnée par l’unanimité des Évêques, aucun gouvernement n’avait osé lui donner force de loi et Obregon lui-même avait reculé devant douze millions de catholiques décidés à résister jusqu’au sang.

C’était le 31 juillet 1926 que la Constitution devait entrer en vigueur. La veille, dans la province de Jalisco, un jeune chef, Anacleto Gonzales Florès, a rassemblé autour de lui ceux qu’on appellera désormais les cristeros dans une ligue, l’Union Populaire ; ils ont juré « par Jésus Crucifié, par Notre-Dame de la Guadeloupe, Reine du Mexique et par le salut de leur âme » de défendre, les armes à la main, leur liberté religieuse. Cette ligue s’étendra bientôt à tout le Mexique. Une nouvelle Vendée s’élève au pays des Indiens.

En même temps ils ont décidé de répondre à l’édit de Callès par le boycottage absolu. « Dès le 31 juillet, énonce l’article Ier de leur programme, les catholiques s’abstiendront de promenades, amusements, cinémas, théâtres, bals et de toute espèce de divertissements publics et privés. Maudit soit le catholique qui, lorsque Dieu est absent de notre patrie, ose encore s’amuser ! »

Il en sera de même des vêtements qu’on ne doit acheter qu’en cas d’extrême nécessité, des friandises, des fruits, moyens de transport, billets de loterie, fréquentation des écoles laïques, journaux opposés à leur programme. Les Catholiques vivront entre eux, enseigneront le catéchisme à leur foyer, priant en famille pour la liberté de l’Église, organiseront des centres d’instruction religieuse, propageront leurs doctrines dans les ateliers, les fabriques, les établissements commerciaux.

Quant aux évêques, ils ont ordonné la suspension du culte ; les églises sont fermées ; les persécuteurs ne s’empareront que de temples vides. Le Saint Sacrifice se célébrera désormais en cachette dans les maisons amies ; un atelier de couture, un bureau, une salle à manger, se transformera soudain en chapelle où des prêtres, introduits sous des déguisements, viendront dire la messe, communier les fidèles et d’où ils partiront, emportant sur eux les hosties consacrées pour continuer leur ministère de village en village.

Devant cette résistance, Callès a interdit toute réunion religieuse sous peine de mort et lâché ses bandes dans toutes les provinces. Le 15 août, Don Luis Batis, curé du village de Chalchuite, accusé de complot contre le gouvernement, est fusillé avec trois jeunes présidents de ses œuvres paroissiales. Le 21, au village de Monax, le vieillard Manuel Campos est traîné dans le cimetière où, après avoir été fouetté, il tombe, criblé de balles, les bras en croix, au cri de Viva Cristo Rey ! le cri de ralliement des Cristeros. Quand ils ne sont pas fusillés en masse, les catholiques sont pendus aux poteaux télégraphiques ou aux branches des arbres. Impassibles, les États-Unis continuent à fournir d’armes et de munitions ce gouvernement de bandits.

Mais la route est longue de Puebla à Bierville et les feux de salve qui massacrent les cristeros au pays de Notre-Dame de Guadeloupe n’arrivent pas au Camp de la Paix. D’ailleurs de quoi se plaignent ces agités ? N’ont-ils pas un gouvernement démocratique et la Démocratie n’est-elle pas la réalisation politique de la fraternité évangélique ? la Constitution de Queretaro ? N’avons-nous pas su nous accommoder en France de la laïcité de l’État ? Ici même Ferdinand Buisson ne rivalise-t-il pas d’amabilité avec Mgr Jullien ? Et s’il est vrai que le peuple se déchristianise de plus en plus, cela n’a pas d’importance puisqu’avec l’enseignement obligatoire des principes démocratiques, il devient de plus en plus conscient des Droits de l’Humanité.

S’il s’agissait de pogroms en Hongrie, en Roumanie, Marc Sangnier volerait aussitôt dans les bras de Victor Basch et de Rappoport, et, tout suant d’éloquence, tonnerait contre les gouvernements autocrates qui oppriment la liberté de conscience. Mais ces cristeros qui n’ont qu’un amour, celui de Dieu, et semblent ignorer la Démocratie puisque ce nom sacré est absent de leurs lèvres quand ils tombent sous les balles et qu’ils crient seulement : Viva Cristo Rey, entre nous, ils doivent être des esprits arriérés dans le genre de ces chouans de nos provinces de l’Ouest que l’abbé Trochu, heureusement, éveille depuis quelques années à la conscience sociale...

Combien plus intéressants sont en ce moment la Géorgie et l’Azerbaïdjan ! Les congressistes se sont empressés d’envoyer des vœux de sympathie aux jeunesses révolutionnaires qui combattent là-bas « pour les idées de liberté et de démocratie incarnées dans le principe de l’indépendance de leur république démocratique. »

Cependant, à Rome, le Souverain Pontife suivait anxieusement les nouvelles qui lui arrivaient du Mexique et quand, le 20 août, encore tout chaud des vœux pour l’École unique et le refus du service militaire, Sangnier lui a envoyé un télégramme ainsi conçu : « Plusieurs milliers de congressistes catholiques réunis à Bierville, au sixième Congrès Démocratique International pour la Paix, envoient au Saint-Père l’hommage de leur admiration enthousiaste et reconnaissante pour le magnifique effort de la Papauté en faveur de la Paix du Christ. Dimanche prochain, jour de clôture du Congrès, sous la présidence de Mgr Gibier, ils prieront à l’intention de l’Église et du Pape, assurant le Souverain Pontife de leur très profond et filial respect. » Le Pape lui a fait répondre par le cardinal Gasparri ces mots soigneusement pesés : « Le Saint Père agrée l’hommage de vénération des catholiques réunis pour le sixième congrès international pour la paix et accorde bien volontiers la bénédiction apostolique implorée. Il prie pour qu’à son tour et partout arrive la Paix sociale et internationale avec le règne du Christ. Sa pensée se tourne avec une particulière et paternelle sollicitude vers l’Église du Mexique. Que Dieu la soutienne et la console dans sa dure épreuve. »

Leçon opportune, mais qui ne semble pas avoir beaucoup ému les entrailles de Marc Sangnier. Le jour de la clôture, après la messe, il est monté à l’autel pour lire la réponse du Pape et la faire acclamer, mais il a passé sous silence le mot implorée qui aurait offensé la conscience démocratique de ses disciples.

« Il apparaît bien clairement dans le texte pontifical que les vœux du Saint Père envisagent une paix plus large que n’est la Paix démocratique », aura bien soin de souligner l’Osservatore Romano dans son compte rendu. « Apparisee ben chiaro che si auspica ad una pace piu larga che non sia la pace democratica », et il ajoutera que « le regard de Pierre se porte bien au-delà des confins de la France et de l’Europe ».

Mais les congressistes de Bierville se gardent bien d’accuser le coup. Que leur importe ? Ils savourent leur triomphe d’avoir réussi leur équivoque humanitaire sous le patronage de deux évêques. « On ne travaille pas pour l’Église, disait déjà Pie X dans sa lettre au Sillon du 25 août 1910, on travaille pour l’Humanité. » F. Buisson peut aller raconter à ses frères des Droits de l’Homme que désormais les catholiques sont les plus précieux fourriers de la Maçonnerie.

En 1918, selon la remarque de l’organe du Conseil Supérieur des 33 .˙. de Washington, si la Démocratie universelle, grâce à la guerre, avait remplacé l’Église dans l’ordre politique, il lui restait d’instaurer son règne « dans l’ordre moral, spirituel, ecclésiastique ». En août 1926, sous les ombrages de Bierville, la Contre-Église a gagné la seconde manche. La Paix humanitaire se confond désormais avec la Paix du Christ et Briand en est l’apôtre ; l’olivier de Locarno ne se distingue plus des rameaux de Betphagé sur le passage du Rédempteur. Neuf mois plus tard, le vendredi 26 mai 1927, à Mulhouse, le sénateur Brenier, président du Conseil de l’Ordre du Grand Orient, pourra dire dans une conférence organisée sous les auspices de la loge « la Parfaite Union » : « Pendant deux siècles notre plus dangereuse ennemie fut l’Église ; il semble maintenant qu’elle reconnaisse s’être trompée de route. Le cardinal Gasparri s’efforce de créer un modus vivendi avec la République et de conclure un concordat avec elle, auquel les Loges non seulement ne s’opposent pas, mais dont elles espèrent le succès. »

Dans ce camp de la Paix, toute l’équivoque de Lamennais entre la Nature et la Grâce, la Société et l’Église, l’Homme et le Christ, la Démocratie et la liberté déifiante du baptême, reprend corps. Tout ce que l’Encyclique Mirari vos a condamné devient article de foi. Les sacrements ne sont plus nécessaires pour le salut du monde ; ce sont seulement des « forces morales » qui coopèrent au même titre – on est pour l’égalité démocratique ou on ne l’est pas – que le laïcisme de Ferdinand Buisson. Le Christ Roi doit déposer sa couronne et se contenter d’apporter le ferment révolutionnaire de son Évangile à la démocratisation du monde. L’Église enfin s’est réconciliée et compose avec le progrès, le libéralisme et la civilisation moderne : la quatre-vingtième proposition du Syllabus est abrogée.

Dieu règne et ne gouverne plus.

 

 

 

 

 

 

V

 

 

LA GRANDE TENTATION

 

 

« Toutes nos pensées se confondent et,

comme disait saint Paul, il n’y a rien qui

paraisse plus insensé à ceux qui ne sont

pas éclairés d’en haut. »

(BOSSUET.)

 

« La vérité vous délivrera. »

(Év. S. Jean, 8, 32.)

 

 

Nous n’y pouvons rien si la République, en France, apparaît de plus en plus, à mesure que les recherches historiques se précisent, une émanation de la Maçonnerie internationale chargée d’exécuter avec une méthode de progression satanique la déchristianisation de notre pays. Depuis cent quarante ans, de Mirabeau à Gambetta, de Michelet et de Quinet à Aulard et à Seignobos, de Jules Ferry à Ferdinand Buisson, c’est une même mystique humanitaire, tantôt haineusement athée, tantôt hypocritement dissimulée sous un vague idéalisme, qui anime tous ses principes de gouvernement et d’enseignement. Dès le 23 juillet 1789, Corbin de Pontbriand s’écriait à la Loge de la Parfaite Union : « Mes très chers frères, le triomphe de la liberté et du patriotisme est le triomphe le plus complet du véritable maçon. C’est de vos temples et de ceux élevés à la véritable philosophie que sont parties les premières étincelles du feu sacré qui, s’étendant rapidement de l’Orient à l’Occident, du Midi au Septentrion de la France, a embrasé les cœurs de tous les citoyens. La magique Révolution qui, sous nos yeux, s’opère en si peu de jours, doit être célébrée par les disciples fidèles du véritable maître avec un saint enthousiasme dont les profanes ne peuvent partager les douceurs. Qu’il est beau, mes très chers frères, le jour où un roi citoyen vient annoncer qu’il veut commander à un peuple libre et former de son superbe empire une vaste loge dans laquelle tous les bons Français vont véritablement être frères ! » Et le 26 septembre 1920, à l’occasion du convent du Grand Orient, le F.˙. Bernadin, 33e, du Conseil de l’Ordre, déclarait au Trocadéro : « Ce n’est pas la France de Basile et de Loyola que nous acclamons aujourd’hui, c’est la vraie, la belle et généreuse France, celle de Voltaire, de Diderot, de la Révolution, des Droits de l’Homme, de Danton et de Robespierre, c’est-à-dire celle que le G.˙. O.˙. incarne, celle pour la défense de laquelle nous sommes heureux et fiers d’être admis à nous grouper autour de vous ».

À ce même convent, le F.˙. Marcel Huart, rapporteur de la Commission de propagande, rappelant la manifestation maçonnique organisée cette même année par l’Union Parfaite de la Rochelle en l’honneur des quatre sergents « martyrs de la liberté », ajoutait : « Cette dernière manifestation obtint un succès prodigieux et Ferdinand Buisson, ce vénéré vétéran des luttes républicaines, put dire avec émotion : “J’ai 80 ans, il ne m’avait jamais été donné d’assister à une manifestation d’une aussi belle tenue !” Et de vieux maires de campagne ne purent s’empêcher de déclarer que la Franc-Maçonnerie est vraiment l’armature de la République. » On citerait des milliers de textes pareils.

M. Jean Guiraud, rédacteur en chef de la Croix, a publié en 1926 dans les Nouvelles Religieuses, revue d’information dominicaine, une série d’articles sous le titre L’Action laïque sous le Second Empire, où il réfute « l’injuste accusation des catholiques républicains qui affirment que la législation anticléricale de la Troisième République ne serait qu’une mesure de défense et de répression contre les catholiques qui, en compromettant l’Église dans leur politique monarchiste, auraient fait une guerre à mort à un régime qui ne demandait qu’à bien vivre avec eux. » La fausseté d’une semblable affirmation, énonçait-il, sera démontrée si nous prouvons : 1° que bien avant l’établissement de la République le parti républicain était foncièrement irréligieux ; 2° que bien avant son avènement le parti républicain avait rétabli le plan anticlérical qu’il a réalisé lorsqu’il est devenu maître du pouvoir. » Et M. Guiraud, apportant des témoignages irrécusables, établissait l’identité de ce plan républicain et du plan maçonnique sous le second Empire.

« La République aussi est une croyance », réplique Viviani à un député catholique qui proclame ses convictions religieuses. « République et laïcité se confondent ; qui attaque l’une attaque l’autre », déclare à son tour M. Barthou ; et à Charles Benoist qui dit à M. Poincaré : « De vous à moi, il n’y a pas tant de différences », celui-ci lance sa fameuse réponse : « Il y a toute la question religieuse. »

Que ce soit dans les questions de l’École, de la Famille ou de la Cité, partout, nous nous heurtons à la mystique maçonnique de l’État républicain, expression de la Volonté générale, seul juge du bien et du mal. En France la passion politique ne consiste pas à se quereller pour savoir si le chef du gouvernement doit se coiffer d’une couronne, d’un képi de général ou d’un feutre démocratique, mais c’est notre tourment crucial et la marque de notre élection que toute question politique ébranle nos croyances religieuses sur les sources de l’autorité, selon la parole de Blanc de Saint-Bonnet « Les erreurs politiques ne sont que des erreurs théologiques réalisées. »

 

 

Convaincus par l’expérience de notre histoire qu’il serait plus difficile encore, étant donné les doctrines fondamentales de notre République, de convertir ce régime à une conception moins fanatique de son office que de restaurer la monarchie chrétienne en ralliant tous les Français fidèles à leurs traditions nationales, des catholiques avaient cru pouvoir trouver dans l’empirisme organisateur de Maurras une alliance providentielle. Comme devait l’écrire Jacques Maritain dans sa brochure Une opinion sur Charles Maurras et le devoir des Catholiques : « Il n’a pas dépendu d’eux mais des permissions de la Providence que la tête politique la plus solide de leur âge et de leur pays soit privée des dons de la foi : situation historique exceptionnelle qu’ils n’ont pas choisie et qui les oblige à adopter, eux aussi, en raison des circonstances et en vue du bien commun, une ligne de conduite exceptionnelle. »

Sans doute, c’était pour eux une chose cruelle à penser qu’un esprit tel que Maurras pût concevoir une Cité selon son cœur, parfaite en justice comme en beauté, sans que le Christ en fût nécessairement la pierre angulaire ; mais qu’on nous cite une autre doctrine politique ou sociale de notre temps où cette vérité de foi ne soit pas méconnue ou écartée ou honteusement assimilée à la pire mystagogie révolutionnaire ? Ici, du moins, si Maurras ne replaçait pas sur l’autel la Croix ni dans le tabernacle la Présence réelle, non seulement il approuvait les catholiques de les y adorer, mais il les y poussait avec une nostalgie qu’il a exprimée maintes fois de la manière la plus émouvante. C’est que Maurras partait de l’homme concret et non pas d’une idéologie de l’humanité. Il s’arrêtait au seuil des principes, se taisait sur leur source divine, mais ne cherchait pas à leur opposer les idoles impudentes du monde moderne, la Société, l’État, la Démocratie ou la Révolution. Au regard de leur conception traditionnelle, ces catholiques, à mesure qu’ils fréquentaient cet ancien contempteur du « Christ Hébreu », et suivaient le cheminement de sa pensée, voulaient voir dans son positivisme plutôt qu’un refus de sa part, un inachèvement, et forts de leur foi, de leur nombre et de leur qualité au sein de la Ligue d’Action Française, ils se plaisaient à regarder Maurras comme un nouvel Aristote qu’ils avaient tout profit à écouter dans l’ordre naturel en attendant qu’ils fussent dignes de voir naître parmi eux un nouveau saint Thomas pour le commenter à la lumière de la grâce.

Car ce n’était pas sans raison que des thomistes éminents, tout en réprouvant les lacunes de son incrédulité, lui accordaient la plus admirative sympathie, notamment le cardinal Billot, l’illustre théologien de la Grégorienne, le Révérend Père Le Floch de la Congrégation du Saint-Esprit, supérieur du Séminaire français de Rome, les dominicains Garrigou-Lagrange du Collège Angélique, Clérissac, Pègues, de Pascal, Vallée qui dirigea dans les voies mystiques la carmélite Élisabeth de la Trinité, le Révérendissime Don Delatte, abbé de Solesmes, Dom Besse, maître des novices de Notre-Dame de Ligugé et Jacques Maritain, professeur à l’Institut catholique de Paris. Le cardinal Billot avait même reproduit en note de son traité De Ecclesia d’importants passages des critiques antilibérales de l’auteur du Dilemme de Marc Sangnier.

Sans doute, cette alliance nécessitait de part et d’autre des précautions indispensables, et Maurras le reconnaissait mieux que personne lorsqu’il déclarait dans son livre l’Action Française et la Religion catholique : « La situation est délicate, parce que tous les croyants qui rencontrent des incroyants sont exposés à vivre et à travailler avec eux, et que vie et travail en commun comportent des risques matériels pour la foi. » Mais loin d’imposer son positivisme, il disait que les catholiques ne devaient aucune reconnaissance à Auguste Comte d’avoir « mis les Français non croyants en état de se rappeler tout ce qu’ils tiennent de l’Église ». « Il leur sera parfaitement loisible de répliquer qu’il leur convient de lire les maîtres catholiques de Comte plutôt que Comte lui-même, ce qui sera toujours leur droit et, probablement, leur devoir », et plus loin : « Personne d’informé ne saurait ni dire ni penser que chez nous, les croyants se trouvent sous la coupe des incroyants ou que les catholiques y reçoivent les directions d’un chef qui n’est pas des leurs. » En effet, le président de la Ligue était le comte Bernard de Vesins, catholique éprouvé.

On conçoit quelles haines un jouteur aussi redoutable avait pu amasser dans le clan démocratique avant la guerre, et toute une cabale intriguait au Vatican pour obtenir sa condamnation. Si Maurras vouait à ce qu’il appelait « la vieille et sainte figure du catholicisme historique », « un grand respect mêlé d’une sourde tendresse et d’une profonde affection », le Mystère du Christ qui en est l’âme même continuait à lui demeurer, sinon hostile comme au temps de sa jeunesse, du moins tristement étranger, et il n’amendait qu’à demi, au cours d’éditions successives, les passages blasphématoires de ses anciens livres, Le Chemin de Paradis et Anthinéa, que ses amis croyants eussent voulu effacer de leur sang. La foi est un don, et ils ne cessaient de la demander pour celui que Pie X, au témoignage de Camille Bellaigue, appelait, bien que sachant tout cela, un beau défenseur de la foi : « E un bel defensor della fede. »

C’était en juillet 1914, moins de six semaines avant la mort du pontife ; Camille Bellaigue que le Saint-Père honorait de son amitié était venu lui apporter les remerciements de Maurras pour le refus qu’il avait opposé jusqu’ici à la promulgation de la condamnation réclamée avec toujours plus d’insistance.

– Elle est là, avait dit le Pape, en montrant son bureau, et elle n’en sortira pas.

Il avait ajouté :

– Ils venaient, en colère, comme des chiens, me dire : « Condamnez-le, très Saint Père, condamnez-le ! » Je leur répondais : « Allez-vous-en, allez lire votre bréviaire, allez prier pour lui ! »

Camille Bellaigue, comme le Père Pègues en janvier 1914, avait imploré de Pie X pour Maurras une bénédiction spéciale qui lui avait été accordée ; et c’est alors qu’il avait dit de lui : « E un bel defensor della fede. »

Comme pour autoriser les plus hauts espoirs, deux membres des comités directeurs, Léon de Montesquiou et Henri Vaugeois, devaient revenir du positivisme au catholicisme. Des jeunes filles royalistes entraient au Carmel pour faire violence au ciel et lui arracher cette âme d’un si grand prix.

Pendant la guerre, Maurras ne démérita pas du Saint-Siège. Il eut à cœur de défendre Benoît XV contre tous ses détracteurs, qu’ils fussent de droite ou de gauche, et qui dénaturaient ses intentions les plus pures, l’accusant de germanophilie. Cette polémique que Maurras recueillit dans son livre Le Pape, la Guerre, et la Paix en restera le témoignage.

« Vous défendez l’Église avec autant de courage que de talent, lui écrivait le 31 octobre 1915 le cardinal Andrieu, archevêque de Bordeaux. Faut-il s’en étonner ? Elle représente des principes sans lesquels tout le reste se désorganise et s’effondre. Elle a procuré à la France qui ne date pas de 89 quatorze siècles de grandeur et de prospérité, et vous avez raconté dans une page délicieuse, à propos d’un sacre épiscopal, que vous lui deviez votre salut intellectuel. Ne contracterez-vous pas envers elle d’autres dettes d’un ordre encore plus élevé ? Je suis tenté de croire que vous en avez la noble ambition – et nul ne souhaite plus que moi qu’elle ne se réalise – lorsque vous écriviez dans la préface de votre hymne à la Provence : « La nuit sublime d’Augustin et de Monique, la nuit d’Ostie, me remonte dans la mémoire avec le cri théologique du noble auteur des Confessions sur la douleur des choses possédées de ce sentiment qu’elles ne sont point composées pour elles-mêmes et qu’un autre désir les anime et les transfigure hors de leur petite durée et de leur minime étendue. »

« Qu’est-ce que ce désir qui anime et transfigure, sinon le besoin d’infini concret qui tourmente l’homme à toutes les heures de son existence et qui n’est apaisé que lorsque son âme, naturellement chrétienne, selon le mot de Tertullien, communie dans les ombres de la foi, en attendant les splendeurs de la vision, à la vérité et à la charité divine ? »

« Veuillez agréer, Monsieur le rédacteur, avec mes remercîments et mes félicitations, l’hommage de ma profonde estime et de mon cordial respect en N.-S. »

Mais ses adversaires n’avaient déposé les armes qu’en apparence. Dès la mort de Benoît XV, ils les reprenaient. Leur heure approchait. Le vent qui soufflait de Locarno gonfla bientôt leurs voiles. On disait que Pie XI, effrayé par les nationalismes que les quatorze points de Wilson avaient déchaînés dans toute l’Europe, préparait une encyclique où le racisme, le fascisme et le nationalisme intégral de l’Action Française allaient être condamnés. L’encyclique ne parut pas, mais une enquête lancée en 1925 par les Cahiers de la Jeunesse Catholique de Louvain devait précipiter les choses, du moins quant à la France.

Cette revue d’étudiants avait demandé à ses lecteurs : « Parmi les écrivains de ces vingt-cinq dernières années, quels sont ceux que vous considérez comme vos maîtres ? » Des voix allèrent à Bourget, à Barrès, à Bordeaux, mais le nom de Maurras arriva en tête à une grosse majorité de suffrages. Sur quoi les démocrates belges poussèrent des cris d’anathème, La Libre Belgique, leur organe attitré, feignant d’oublier que l’enquête portait sur des écrivains et non sur des docteurs de la foi, s’indigna de ce que le cardinal Mercier n’eût recueilli que deux voix. En dépit des explications et des réserves très nettes apportées par Mgr Picard, aumônier des étudiants, et de M. Paquet, directeur des Cahiers, de pesants réquisitoires rééditèrent à doses massives les vieux pamphlets d’avant-guerre et feignirent de croire que les doctrines politiques d’Action Française dérivaient toutes du méchant conte des Serviteurs et ne tendaient à rien moins qu’à la paganisation de l’Europe. À les entendre, le Cercle la Tour du Pin avait entrepris de rétablir l’esclavage ! La chaire du Syllabus, où avaient professé le père de Pascal et Dom Besse, n’avait été créée que dans le dessein d’asservir l’Église au pouvoir civil !

Une brochure, sous forme de lettre à un jeune ami, signée de l’avocat Passelecq, aussitôt reproduite dans l’Ouest-Éclair de l’abbé Trochu, avançait impavidement des énormités de cette force.

Le tapage fut si grand que le cardinal Mercier s’en émut ; mais sans doute mis en défiance par la grossièreté du ton et de l’argument, il envoya son ami et confident, l’abbé Van den Hout, directeur de la Revue catholique des idées et des faits, interroger Maurras ; pendant une soirée entière, Maurras répondit aux questions préparées par le cardinal ; Henri Massis et Jacques Maritain assistaient à l’entretien ; un compte rendu rédigé d’après des notes prises par l’abbé Van den Hout, signé des deux témoins, fut remis au cardinal. Après lecture, le grand théologien que Léon XIII avait chargé de promouvoir, un des premiers, le réveil de la philosophie thomiste, prononça :

– La position politique de M. Maurras est inexpugnable.

Cependant en mars 1926 la Nonciature faisait savoir au cardinal Charost, archevêque de Rennes, que le Saint-Siège serait très désireux de lui voir publier une lettre qui blâmerait l’Action Française de vouloir asservir la religion aux intérêts de sa politique. Le Cardinal réunit ses suffragants et, d’accord avec eux, après une enquête qui établit que les meilleurs diocésains de la Bretagne appartenaient à l’Action Française, n’estima pas opportune la publication de cette lettre. Mais cinq mois plus tard, le 27 août, éclatait comme un coup de tonnerre dans l’Aquitaine une réponse de Son Éminence le cardinal-archevêque de Bordeaux à une question posée par de jeunes catholiques anonymes ; elle était datée du 25 août, fête de Saint-Louis.

Ces jeunes gens y apprenaient que Maurras enseignait des doctrines épouvantables, que dis-je ? non seulement Maurras, mais tous les dirigeants, aussi bien les catholiques comme Vesins, président de la Ligue, que les positivistes. Ces dirigeants ne poursuivaient pas seulement un but politique : « Si les dirigeants de l’Action Française, disait Son Éminence, ne s’occupaient que de politique pure, s’ils se contentaient de rechercher la forme du pouvoir la mieux adaptée au tempérament de leur pays, je vous dirais tout de suite : “Vous êtes libres de suivre l’enseignement que donnent de vive voix ou par écrit les maîtres de l’Action Française.” Mais leur dessein était plus noir : ils prêchaient l’athéisme le plus absolu, blasphémaient le Verbe incarné, niaient l’institution divine de l’Église. Maurras avait osé dire : “Défense à Dieu d’entrer dans nos observatoires.” Catholiques par calcul et non par conviction, les dirigeants de l’Action Française se servent de l’Église, ou du moins espèrent s’en servir, mais ils ne la servent pas puisqu’ils repoussent l’enseignement divin qu’elle a mission de propager. » Ils faisaient table rase de la distinction du bien et du mal et remplaçaient la recherche de la vertu par l’hédonisme ou le culte de la beauté, et par l’épicurisme ou l’amour du plaisir. D’après eux, la société était affranchie comme l’individu de toutes les prescriptions de la loi morale. Ils partageaient l’humanité en deux classes ou plutôt en deux règnes : l’homme non lettré que le maître de cette école appelait l’imbécile dégénéré et l’élite des hommes instruits. « Pour combler le vide causé par l’absence complète de la loi morale, les dirigeants de l’Action Française nous présentent une organisation sociale toute païenne où l’État, formé par quelques privilégiés, est tout, et le reste du monde rien... Aussi osent-ils nous proposer de rétablir l’esclavage ! » La seule vertu qu’ils reconnaissaient était la force. En bref, « athéisme, agnosticisme, antichristianisme, anticatholicisme, amoralisme de l’individu et de la société, nécessité, pour maintenir l’ordre, en dépit de ces dénégations subversives, de restaurer le paganisme avec toutes ses injustices et toutes ses violences, voilà, mes chers amis, ce que les dirigeants de l’Action Française enseignent à leurs disciples et que vous devez éviter d’entendre ».

En lisant ce réquisitoire, les catholiques d’Action Française se frottèrent les yeux en se demandant s’ils n’étaient pas le jouet d’une monstrueuse hallucination. Mais le texte était bien là, sous leur regard ; la signature officielle : Paulin, cardinal Andrieu, archevêque de Bordeaux, suivait bien ce verdict aussi grave pour l’honneur des catholiques monarchistes.

Le 31 août, la comtesse de Lur Saluces écrivit au cardinal :

« L’Aquitaine m’apporte la lettre de Votre Éminence datée de la fête de saint Louis, roi de France. J’en suis péniblement surprise. Mon mari était un des « dirigeants » de l’Action Française. Sa vie entière a été consacrée à la défense de l’Église et des droits de Dieu et je suis profondément peinée de voir que Votre Éminence, mieux placée que personne pour avoir pu apprécier son dévouement entièrement désintéressé, semble n’en avoir gardé aucun souvenir. Je devais à sa mémoire d’élever cette protestation.

« Croyez, Éminence, à mes respectueux sentiments.

« MAC-MAHON, comtesse DE LUR-SALUCES. »

 

Que durent penser le cardinal Billot, le Père Le Floch, le Père Pègues, le Père Garrigou-Lagrange, lorsqu’ils apprirent qu’un prince de la Sainte Église les avait jugés assez naïfs ou assez lâches pour encourager les efforts d’aussi perfides ennemis de 1’Église auprès desquels les Luther et les Calvin n’étaient que des enfants ? Mais cette condamnation infâmante entraînait aussi dans le même abus de confiance les saintes mémoires de Pie X, du cardinal de Cabrières, du cardinal Mercier, du cardinal Sevin qui avaient béni leurs efforts, tout en connaissant parfaitement la délicatesse du problème. Il est vrai que le cardinal Andrieu lui-même avait cédé, du moins jusqu’en 1915, à la même séduction, et tant d’autres archevêques et évêques de France qui avaient l’Action Française sur leur table et la recommandaient à leurs ouailles.

Le 8 septembre, les dirigeants catholiques de l’Action Française adressaient au cardinal une lettre où, reproduisant les graves accusations portées contre eux, ils manifestaient leur stupeur inexprimable devant ces griefs : « Ils sont la contradiction précise, rigoureuse de nos convictions les plus sacrées, les plus profondes, les plus carrément affichées comme le savent tous ceux qui nous approchent. Ils nous montrent que Votre Éminence a été trompée sur notre compte par nos ennemis les plus haineux. »

« Le respect même que nous professons pour l’autorité et la personne de Votre Éminence nous fait un devoir de protester auprès d’Elle ; nous ne mettons pas un instant en doute la hauteur et la droiture de ses vues, mais il est évident que son information a été surprise. En fait, nous sommes calomniés, indignement calomniés devant l’opinion de notre pays et de nos frères dans la foi ; nous sommes blessés au point le plus intime et le plus sensible de notre conscience catholique ; nous sommes gravement atteints dans notre honneur de chrétiens. Nous ne pouvons pas nous taire. Ce serait renier notre foi que de laisser croire à Votre Éminence que nous ne la professons pas avec toute l’énergie de notre âme.

« Nous protestons donc de toutes nos forces contre ces accusations “d’athéisme, d’agnosticisme, d’antichristianisme, d’anticatholicisme, d’amoralisme”, de “paganisme”. Nous croyons tout ce que croit l’Église. Et puisque Votre Éminence nous juge si différents de ce que nous sommes, nous Lui offrons de Lui adresser, si Elle le désire, la formule de profession de foi, telle que le pape Pie X l’a prescrite, revêtue de nos signatures. Mais nous ne pouvons accepter d’être classés publiquement par un de nos évêques parmi les ennemis de l’Église, notre Mère.

« Nous nous sommes, il est vrai, unis, sur un terrain exclusivement politique, à des incroyants. Mais à quels incroyants ? À des ennemis de l’Église, à des francs-maçons, à des anticléricaux – comme le font, trop souvent hélas ! beaucoup de catholiques de notre pays (parmi lesquels se recrutent les plus perfides ennemis de l’Action Française) ? Non pas ; mais à des incroyants respectueux de l’Église, aussi opposés que nous-mêmes à toute mesure d’oppression ou de vexation à son égard ; bien plus, qui voient en Elle, sinon l’institution divine, du moins la plus haute, la plus pure, la plus efficace des forces morales à l’œuvre dans le monde, qui sont prêts, à ce titre, à la défendre, à la servir et non – ainsi qu’on vous l’a dit perfidement – à se servir d’Elle, sinon comme on se sert d’un abri auguste et tutélaire, à l’ombre duquel l’humanité, même païenne, a la permission peut-être de se réfugier.

« “Pour savoir ce que pensent en commun” les dirigeants de l’Action Française, est-il juste d’aller rechercher tel ou tel livre de jeunesse, écrit par l’un d’eux (et d’ailleurs amendé depuis, non “pour la forme”, mais par la suppression de longs passages, voire d’un chapitre entier) ? Ces livres-là ne sont pas le thème des enseignements de l’Action Française ; leur existence même serait ignorée de la plupart de nos adhérents, si les polémiques de nos ennemis ne la leur avaient révélée. La doctrine politique de l’Action Française se trouve largement exposée dans notre quotidien, dans nos discours de propagande, dans les cours et conférences que nous faisons, dans les ouvrages sur lesquels nous nous appuyons expressément et que nous présentons avec insistance au public. Ceux-là sont bien connus, ils ont obtenu une très large diffusion. Quelques-uns (Kiel et Tanger, L’Enquête sur la Monarchie, etc.), contiennent une doctrine exclusivement politique qui peut, sans difficulté, être subordonnée à la métaphysique de saint Thomas ou au Credo catholique. Bien plus, d’autres sont écrits par des catholiques dans un sens ouvertement catholique : tel le livre de La Tour du Pin : Vers un ordre social chrétien, qui est comme la charte de notre action sociale.

« Voilà où il faut aller chercher notre doctrine ; on ne trouvera là, croyons-nous, ni athéisme, ni antichristianisme, ni amoralisme, mais au contraire, – même quand c’est un incroyant qui tient la plume ou porte la parole, – la plus grande déférence envers l’Église, ses dogmes, sa hiérarchie. S’il en était autrement, nous n’aurions pas recueilli des éloges motivés de tant de théologiens, d’évêques, des cardinaux Sevin, de Cabrières, pour ne citer que les morts.

« Sans doute, nous ne sommes pas infaillibles. Dans un champ de labeur si vaste, quelqu’un des nôtres a pu commettre quelqu’erreur, se servir de quelqu’expression inexacte, être fautif sur quelques détails. Mais nous osons l’affirmer, pour quiconque prend les choses avec équité et d’ensemble, l’enseignement de l’Action Française est bien tel que nous l’avons dit...

« Votre Éminence peut voir maintenant en quoi nous sommes d’accord avec nos ennemis incroyants. Ce que nous avons en commun, c’est une foi patriotique très ardente, le culte de nos traditions nationales et de nos gloires françaises qui sont parfois aussi des gloires catholiques, telle Jeanne d’Arc, puis la conviction qu’il faut, pour l’assainissement et le développement de notre pays, une réforme constitutionnelle fondamentale, enfin l’accord sur les procédés propres à la réaliser.

« Et nous faisons partager ces idées à un nombre toujours croissant de bons Français.

« Voilà notre crime, Éminence, et ce que les catholiques démocrates qui vous ont renseigné sur notre compte ne peuvent nous pardonner : car chaque progrès de nos idées a marqué un recul des leurs dans l’esprit public. Ils sont jaloux. Telle est l’une des clés de la formidable et odieuse machination qui a porté aux pieds de Votre Éminence tant de renseignements faux.

« Nous n’ajouterons qu’un mot. Pendant toute la crise moderniste, les catholiques d’Action Française ont eu la joie de se trouver en accord spontané avec les directions de Sa Sainteté le pape Pie X. Les non-catholiques d’Action Française ont salué dans des actes, dont la signification la plus haute leur échappait nécessairement, une défense des biens humains auxquels ils étaient les plus légitimement attachés : par exemple, le principe d’autorité, la capacité de l’intelligence à saisir et à démontrer la vérité, la discipline des puissances obscures du sentiment ou de la passion, etc. À ce moment-là, nous avons eu contre nous tout le clan moderniste et semi-moderniste où les tendances condamnées à Rome s’unissaient à une haine solide pour l’Action Française, ainsi qu’on peut le voir en parcourant certains périodiques aujourd’hui disparus, et les ouvrages de certains auteurs frappés les uns et les autres par les censures de l’Église. Si c’était ici le lieu et le moment de plaider à fond ce procès, nous pourrions verser au dossier bien des noms propres et quelques pièces décisives... Quoi qu’il en soit, à ce moment, nous avons su, de la façon la plus certaine, que la suprême autorité de l’Église estimait que l’Action Française avait fait œuvre utile. L’un de nos directeurs politiques, il y a quelques jours, faisait allusion, dans le journal, à ces incidents, dont nous gardons un impérissable et fier souvenir. Mais ceux qui, de près ou de loin, tenaient aux groupes que nous combattions, alors que l’Église les réprouvait, nous ont gardé une rancune tenace, et n’ont pas cessé, nous le savons de bonne source, de poursuivre contre nous leur revanche. Voilà une seconde raison de leurs menées hostiles à notre égard.

« En achevant cette lettre, Votre Éminence nous permettra de garder l’espérance qu’ayant entendu le cri de notre conscience, en possession de notre solennelle profession de foi, maîtresse d’ailleurs si Elle le désire, de pousser plus loin son enquête, Elle ne se refusera pas finalement à faire justice des allégations publiques qui nous atteignent dans notre honneur de chrétien.

« Nous prions Votre Éminence d’agréer nos sentiments de très profond respect. »

Suivaient dix signatures : Léon Daudet, codirecteur politique, membre du Conseil d’administration de l’Action Française ; G. Larpent, secrétaire général de l’Action Française ; Pierre Lecoeur, secrétaire de la Ligue d’Action Française ; Maxime Réal del Sarte, fondateur et président de la Fédération nationale des Camelots du Roi et des Commissaires d’Action Française ; Étienne de Resnes, président du Conseil d’administration de l’Action Française, président d’honneur de la Ligue ; Paul Robain, chef du service des Conférences, trésorier de la Commission de propagande ; Me de Roux, président du Comité d’études législatives et sociales d’Action Française ; Bernard de Vesins, président de la Ligue d’Action Française ; Georges Calzant, secrétaire général des étudiants d’Action Française. L’amiral Schwerer, président d’honneur de la Ligue, et Robert de Boisfleury, administrateur délégué de l’Action Française, absents de Paris, envoyèrent le lendemain leur adhésion à cette lettre.

Pierre Chaboche, président de l’Union des Corporations françaises, joignit sa requête à celle des dirigeants d’Action Française.

« Catholique de naissance, de volonté et de raison, ayant suivi en exil, à l’âge de quinze ans, mes maîtres, les RR. PP. Jésuites, chassés de France par une infâme loi d’exception ; vice-président de l’Association des Anciens élèves d’un de leurs collèges ; directeur dans les dernières années d’avant-guerre d’un cercle catholique de jeunes employés et ouvriers en collaboration avec mon ami François Hébrard, l’éminent président de la Fédération gymnastique et sportive des patronages français, j’ai donné assez de preuves publiques de mon attachement à la religion pour avoir le droit de déclarer hautement que je n’aurais jamais accepté de participer à une œuvre dangereuse pour ma foi. Bien au contraire, j’ai toujours constaté chez tous mes collaborateurs de l’UCP un esprit profondément social et catholique, conforme en tous points aux principes qui constituent notre charte et qui ont été exposés par notre maître le colonel de la Tour du Pin...

« Les sectes maçonniques qui nous haïssent parce que nous leur avons porté, en attaquant la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, principe même du laïcisme, des coups dont elles ont pu mesurer toute la gravité, ne manqueront pas de se réjouir de ce pénible incident et chercheront à l’exploiter dans un désir de vengeance. Leurs manœuvres ne nous détourneront pas de notre tâche. Nous nous souviendrons que le salut de la France, notre seul but, ne peut être obtenu qu’au prix des plus douloureuses épreuves et que celles-ci précèdent toujours de peu les triomphes décisifs. »

Quand, quelques semaines plus tard, par la seule confrontation des textes, les accusés apprendront que la lettre du cardinal n’était qu’un démarquage pour le fond, comme en maints endroits pour la forme même, du pamphlet de Passelecq et que Son Éminence, dans sa lecture probablement un peu hâtive avait même attribué à Maurras la fameuse phrase « Défense à Dieu d’entrer dans nos observatoires », alors qu’elle n’était que de l’avocat belge, la stupeur fera place à la honte.

Mais au moment même où leur plainte respectueuse était remise au Primat d’Aquitaine, quel ne fut pas leur douloureux saisissement lorsqu’ils lurent dans la Croix une lettre de Sa Sainteté Pie XI au cardinal Andrieu, datée du 5 septembre, et que venait de publier l’Osservatore Romano ? Cette lettre, bien que beaucoup plus paternelle, informait néanmoins la chrétienté que le Souverain Pontife avait lu avec plaisir la réponse de Son Éminence au groupe de jeunes catholiques qui l’avaient interrogée.

« Votre Éminence signale de fait un danger d’autant plus grave dans le cas présent qu’il touche plus ou moins directement, et sans qu’il le paraisse toujours, à la foi et à la morale catholiques. Il pourrait insensiblement faire dévier le véritable esprit catholique, la ferveur et la piété de la jeunesse et, dans les écrits comme dans les paroles, offenser la délicatesse de sa pureté, en un mot abaisser la perfection de la pratique chrétienne et plus encore de l’apostolat de la véritable action catholique à laquelle tous les fidèles, les jeunes gens surtout, sont appelés à collaborer activement pour l’extension et l’affermissement du règne de Jésus-Christ dans les individus, dans les familles, dans la société... C’est donc fort à propos que Votre Éminence laisse de côté les questions purement politiques, celle par exemple, de la forme du gouvernement. Là-dessus, l’Église laisse à chacun la juste liberté, mais on n’est pas, au contraire, également libre – Votre Éminence le fait bien remarquer – de suivre aveuglément les dirigeants de l’Action Française dans les choses qui regarderaient la foi ou la morale.

« Votre Éminence énumère et condamne avec raison (dans les publications non seulement d’ancienne date) des manifestations d’un nouveau système religieux, moral et social, par exemple au sujet de Dieu, de l’Incarnation, de l’Église et généralement du dogme et de la morale catholiques, principalement dans leurs rapports nécessaires avec la politique, laquelle est logiquement subordonnée à la morale. En substance, il y a dans ces manifestations des traces d’une renaissance du paganisme à laquelle se rattache le naturalisme que ces auteurs ont puisé (inconsciemment, croyons-nous) comme tant de leurs contemporains, dans l’enseignement public de cette école moderne et laïque, empoisonneuse de la jeunesse, qu’eux-mêmes combattent souvent si ardemment.

« Toujours anxieux à la vue des périls suscités de toutes parts à cette chère jeunesse, surtout du fait de ces tendances fâcheuses, encore que ce soit en vue d’un bien tel qu’est sans aucun doute le louable amour de la patrie, Nous nous sommes réjoui des voix qui, même hors de France, se sont élevées ces derniers temps pour l’avertir et la mettre en garde. Aussi, ne doutons-nous pas que tous les jeunes gens écouteront votre voix d’évêque et de prince de l’Église. En elle et avec elle, ils écouteront aussi la voix même du Père commun de tous les fidèles. »

Aussitôt, étudiants, commissaires et ligueurs catholiques envoient une adresse au Saint-Père dans laquelle « ils déposent à ses pieds l’hommage de leur filial attachement et de leur entière soumission aux enseignements de l’Église » et l’assurent « qu’ils veilleront plus scrupuleusement que jamais à s’écarter de toutes les erreurs que l’Église condamne, à maintenir intactes dans les âmes et à défendre au dehors les vérités dont Rome a le dépôt. » Ils ajoutent qu’ils veilleront à ce que « dans le domaine de la politique et pour bon nombre d’entre eux dans le domaine des œuvres ils aient à cœur de ne pas négliger cet apostolat catholique dont le Pape leur a tracé la règle avec une si haute sagesse ».

L’adresse personnelle du Président de la Ligue, Bernard de Vesins, était ainsi conçue :

 

        « TRÈS SAINT-PÈRE,

 

« Quand Votre Sainteté a daigné écrire le 5 septembre à Son Éminence le cardinal-archevêque de Bordeaux au sujet de la lettre du 25 août, nous avions déjà rédigé une adresse dont je me permets de remettre plus loin les termes sous les yeux de Votre Sainteté.

« Cette adresse affirme notre foi catholique et notre soumission à l’Église. J’ose ajouter que depuis que Votre Sainteté a parlé Elle-même en ayant l’extrême bonté de choisir, pour nos efforts comme pour notre bonne foi, certaines expressions dont la bienveillance nous a été au cœur, ces sentiments de soumission et de respectueuse affection envers l’Église ont augmenté par les devoirs d’obéissance filiale qu’ont les fidèles envers leur Père commun.

« Au nom de mes amis, signataires de l’adresse à Son Éminence le cardinal-archevêque de Bordeaux et au nom des milliers de ligueurs catholiques pratiquants et dévoués, dont j’ai l’honneur d’être le chef politique comme président de la Ligue d’Action Française, je dépose humblement aux pieds de Votre Sainteté une solennelle protestation de notre foi entière aux dogmes de l’Église catholique et de notre soumission à son chef. Ces sentiments qui n’ont jamais cessé d’être les nôtres, la manifestation en est devenue particulièrement nécessaire puisque l’on a cru pouvoir exprimer publiquement des doutes sur leur sincérité.

« C’est la raison pour laquelle je la renouvelle ici en priant Votre Sainteté de daigner agréer l’expression des sentiments de respect et de soumission avec lesquels nous sommes et voulons rester ses fils très obéissants et dévoués.

 

« Signé : Comte BERNARD DE VESINS. »

 

Quant à Maurras, il a écrit au cardinal Andrieu le 17 septembre une lettre où il manifeste le respectueux étonnement où l’a plongé « un blâme public que rien ne lui faisait prévoir et que rien ne lui expliquait ». Il évoquait la lettre chaleureuse de Son Éminence datée du 31 octobre 1915. Avait-il démérité depuis ? Il citait la publication en 1917 de son livre le Pape, la Guerre et la Paix : « C’était le temps où la « rumeur infâme » et les calomnies contre Benoît XV troublaient trop d’esprits. Les années suivantes, j’ai été un des apôtres de l’heureux rétablissement de l’ambassade du Vatican. Depuis, cette action générale qui avait mérité la faveur de Votre Éminence a gagné immensément en force matérielle et morale. Nos cadres anciens, décimés par la guerre, ont été rétablis, étendus, fortifiés, les obstacles élevés en grand nombre contre notre œuvre l’ont servie, loin de l’arrêter ou de la ralentir. Des criminels nous ont visés, des assassins restés impunis ont fait trois martyrs dans nos rangs. Ils ont aussi collaboré à ces progrès de notre cause et de notre action. Devant les images ensanglantées de Marius Plateau, de Philippe Daudet et d’Ernest Berger, je me permets de redemander à Votre Éminence ce qui a pu changer ses sentiments envers une œuvre qui n’a pas dévié de la première ligne approuvée. »

Pour toute réponse, l’avis de réception qui joignait la lettre recommandée devait être retourné à son auteur, revêtu d’un récépissé dans lequel Maurras crut reconnaître l’écriture de Son Éminence.

Le 12 octobre, il écrivait également au Saint-Père :

 

 

Paris, le 12 octobre 1926.

« TRÈS SAINT-PÈRE,

 

« Votre Sainteté daignera m’excuser si je me suis trompé, mais il me semble bien que tout me fait un devoir de me tourner aujourd’hui vers Elle.

« Les tristes circonstances présentes, le chagrin que j’en ai, la douleur que Votre Sainteté en a dû ressentir Elle-même en écoutant quelques-uns de ses fils de France, enfin la haute vénération qu’imposent la personne, le caractère, la dignité surhumaine de Votre Sainteté, tout me conseille de venir déposer, quoi qu’il arrive, à Ses pieds, certaines informations qui ne sont ni dans mes livres ni dans mes autres écrits, mais sans lesquelles il pourrait manquer à la situation qui nous est faite un rayon de jour essentiel.

« Si l’exposé ne fait que doubler des renseignements déjà reçus, il ne peut causer de dommages à personne. Tout ce que je sais de la sagesse pontificale me donne le courage d’entreprendre hardiment ce récit, d’ailleurs fort limpide.

« L’Action Française a été fondée en 1899, il y a près de trente ans, par un groupe d’hommes dont le seul lien moral tenait à l’épouvante et à l’horreur du mal que la Franc-Maçonnerie, la juiverie, les sectes protestantes menaçaient de faire à leur patrie française. Lorsque ce mal eut triomphé, malgré tous leurs efforts, ces hommes, incroyants, furent bien obligés de voir que les ennemis de la Patrie étaient aussi ceux de l’Église et que le Catholicisme était persécuté par ceux-ci pour les mêmes raisons et au même titre que l’avaient été les défenseurs de l’Ordre social et national français.

« Ils furent ainsi amenés à prendre la défense de l’Église (sous le ministère Combes, 1902), et à rallier sur ce terrain un très grand nombre de leurs concitoyens, d’ailleurs indifférents en matière de religion ; ainsi, peu à peu, imposèrent-ils à l’adversaire une certaine retenue faite de pudeur, de respect, peut-être d’inquiétude, car ils avaient fini par constituer une force morale assez persuasive et assez redoutée.

« Comme il était naturel, des catholiques s’associèrent à cet effort de défense extérieure.

« Les raisons que nous proposions pour défendre l’Église n’ont jamais prétendu à fortifier les convictions des croyants qui valaient par elles-mêmes et tenaient par leur propre force. Mais les arguments venus de nous étaient efficacement servis, même par des croyants, aux incroyants dont on utilisait ainsi les principes ou les sentiments, tels que l’honnêteté, l’honneur, le goût de l’ordre, l’amour de la famille, de la patrie, de la science, de l’humanité. Par là, des trente-trois ou trente-quatre millions de Français qui sont classés indifférents à la foi catholique, beaucoup, et des meilleurs, durent comprendre quel bienfait universel représentait la religion pour la patrie et pour le genre humain. Sans rien empiéter ni détruire sur le domaine religieux proprement dit, nous avons insisté avec force sur la nécessité de rendre honneur, respect et admiration à l’Église comme à la mère de la France et de la civilisation.

« Cette longue campagne, qui a duré plus de vingt ans, est peut-être ce qui explique la parole mystérieuse par laquelle, en juillet 1914, Sa Sainteté le Pape Pie X daigna parler de ces modestes travaux comme d’une défense de la “foi”. C’est en tout cas ce qui avait attiré Son attention bienveillante sur le petit recueil de mes études de Politique religieuse, paru en 1912. C’est ce qui m’avait valu à deux reprises Sa paternelle bénédiction. C’est enfin ce qui Lui avait inspiré d’intervenir en ma faveur pour épargner une condamnation qui, en frappant deux de mes livres, eût retenti sur le reste de mon action.

« Ai-je démérité depuis ? Ou l’œuvre commencée est-elle sortie de ses voies ? Je me le suis demandé, Très Saint-Père, avec une attention exacte et profonde et, quelques erreurs ou quelques fautes qui soient naturelles au cœur humain, j’ai cependant la certitude de m’être appliqué à me souvenir du généreux bienfait pontifical, de n’en pas abuser et surtout de m’en rendre moins indigne qu’il y a treize ans.

« Certes, antérieurement au 15 janvier 1914, jour où Pie X étendit sur moi sa protection, j’étais le premier à dire aux catholiques en parlant de tel ou de tel de mes livres : – “Ces livres ne sont pas pour vous, ils peuvent faire du bien à d’autres Français, pas à vous. Leur critique imagée, leur satire violente du panthéisme ou de l’idéalisme allemand, de l’atomisme anglo-saxon, du moralisme romantique et révolutionnaire, vous n’en avez pas besoin, vous avez dépassé le stade, cela ne vous est pas destiné.” Déjà, aussi, à chaque réédition nouvelle de ces livres, je m’étais appliqué à faire le nécessaire pour y supprimer ou amender ce que je jugeais pouvoir contenir une offense pour les catholiques, mes compagnons de lutte. Après l’acte de Pie X, je revis de plus près encore les points critiques et je fis des suppressions et des corrections nouvelles que personne ne m’avait demandées, auxquelles rien ne m’engageait, mais qu’il me semblait devoir à la grande âme bienfaisante dont j’avais éprouvé la bénédiction.

« Le même sentiment de gratitude s’était imposé tandis que j’écrivais, dès 1915, la matière du livre Le Pape, la Guerre et la Paix, défense du clergé français contre les rumeurs infâmes, défense de la politique universelle du premier successeur de Pie X... Et sans doute l’auteur de ces écrits obéissait-il à ses idées constantes sur la structure de sa patrie comme sur l’avenir du monde, mais il eût mis moins d’affection, moins de piété, moins de passion, si la pensée du grand bienfait pontifical ne l’eût assisté chaque jour.

« Les plus fidèles serviteurs de Pie X ne s’y trompèrent pas. Ceux d’entre eux qui avaient été mes premiers répondants auprès du Saint-Siège me continuèrent jusqu’à la fin une bienveillance si affectueuse que, le 18 avril 1920, le plus illustre d’entre eux, le cardinal de Cabrières, après avoir prononcé dans la chaire de la cathédrale de Nîmes l’éloge de nos morts de la guerre, daigna présider l’assemblée civile, où devant des milliers de royalistes nîmois il décerna sa louange à nos survivants et m’accorda l’insigne honneur de parler devant lui.

« Certes, notre œuvre avait grandi et, malgré le massacre, elle ne cessait de s’accroître, mais dans une direction qui ne pouvait déplaire à Votre Sainteté : lorsque fut arrêtée en 1908, la liste de nos comités directeurs, elle comprenait six croyants, un protestant et six incroyants. De ces derniers, deux sont morts dans des sentiments de foi catholique profonde, deux autres font donner à leurs enfants une éducation catholique, et le protestant fait comme eux. En outre, de nombreux visiteurs ou correspondants ne cessent de dire ou d’écrire qu’ils sont venus ou revenus au catholicisme tantôt par l’influence de l’Action Française, tantôt à la suite de mes critiques des systèmes adverses ou par les conséquences tirées de ma défense religieuse... Comment, dans ces conditions, a-t-on pu parler au Saint-Père d’infiltrations littéraires ou philosophiques païennes !

« Ce qui s’est produit, en fait, ce qui doit bien avoir une cause, est un résultat tout contraire. Ceux des catholiques, jeunes ou non, que l’on appelle, sans doute à tort, mes disciples, sont si peu des sectateurs du “Dieu État” ou de la “Déesse France” que beaucoup d’entre eux se distinguent par la vivacité de leur foi chrétienne et même par certaine direction de sentiments et d’idées qui vont à l’ascétisme et à la mysticité.

« Je n’y suis pour rien, Très Saint-Père ! Loin de moi l’idée de me prévaloir de résultats qu’il ne m’appartient pas de viser. Mais enfin cela prouve que je n’ai ni produit ni même visé le résultat contraire si tout ce que l’on dit de mon “immense influence” est exact.

« À vrai dire, ni les directions ni les sentiments de la foi catholique ne me sont ennemis, comme on l’a prétendu, ni même complètement étrangers. Je les ai trouvés autour de moi en naissant ; je les ai en quelque sorte respirés et, sur beaucoup de points secrets de l’esprit et de l’âme, il m’a toujours été difficile d’y méconnaître quelque chose de fraternel. Mais ces jeunes esprits sont libres des difficultés qui m’obsèdent, ils voient ce que je ne vois point : comment ne respecterai-je pas la vue de leur foi ? Que leur enseignerais-je d’autre ? Ce que je ne sais pas ? Ce que je sais fort bien que j’ignore ? Je ne connais, à l’égard des croyants, que le respect, souvent l’admiration, quelquefois l’envie, c’est dire à Votre Sainteté combien sont éloignées de moi les intentions ou grossières ou subtiles, toujours viles, qui me sont gratuitement imputées.

« Voilà ce que je désirais ardemment déclarer au Saint Père.

« Votre Sainteté me pardonnera d’abréger, pour le reste, au terme d’un rapport déjà démesuré.

« La flamme du patriotisme que nous dédions à notre malheureuse nation est-elle jugée excessive ? Votre Sainteté discernera sans peine que le noble peuple dont nous sommes les fils ne peut être exposé plus longtemps presque sans défense à de nouvelles agressions, invasions et dévastations ; de lourds devoirs pèsent sur nous.

« Si, d’autre part, une confusion pouvait être faite sur notre nationalisme dit “intégral”, rien ne serait plus facile que de montrer qu’il est tempéré et réglé par toute l’histoire de France : il tend et il conclut à la Monarchie, c’est-à-dire à plus de raison, de conscience, de moralité et d’humanité dans l’État ; il rétablit cet équilibre de national et d’international qui est le propre des dynasties souveraines et de leurs mariages, surtout en pays catholiques ; enfin il s’incline avec un profond respect devant l’Église qu’il a cent fois appelée la seule Internationale qui tienne.

« Que le Saint-Père daigne, je le redis, m’excuser d’aborder ces griefs latéraux sens y insister, car tous s’évanouiraient d’eux-mêmes s’il était en mon pouvoir de placer sous les yeux de Votre Sainteté le fait, le simple fait que, dans la mesure de leurs forces, les hommes d’Action Française, incroyants compris, se sont, de tout temps, appliqués à accomplir la magnifique parole que le Saint-Père adressait l’autre jour aux tertiaires franciscains : empêcher le mal, procurer le bien. Une rumeur puissante, mais distincte, venue de France, attesterait cette double volonté présente chez nous ; mais la meilleure preuve tient à la fureur des haines farouches que nous ont vouées la Révolution et la Maçonnerie, aux rages que nous avons soulevées dans les assemblées des Pires, aux violences de toutes sortes que nous avons souffertes, depuis l’assassinat, la prison et les coups, jusqu’à ces violences morales qui sont plus cruelles peut-être, telles que la falsification de notre pensée qui nous impute des paroles jamais dites, des mots jamais écrits.

« À peine aurais-je qualité pour déposer aux pieds du Saint Père ce trésor de mérites, de travaux, de sang et de larmes. Cependant je suis un témoin : de ceux qui ont vu. J’ai vu l’un des plus nobles héros de la guerre, le Décius français foudroyé à ma place par une conspiration d’anarchistes et de policiers. J’ai vu un autre ancien combattant, père de famille, dont tout le tort était de travailler dans notre maison, frappé à mort dans les mêmes conditions deux fois criminelles. J’ai vu un bel enfant sacrifié dans le plus infâme des guet-apens, en haine de son père, ou plutôt des causes sacrées que ce père admirable avait toujours défendues. Les assassins sectaires ne s’acharnent pas sans raison. Leurs coups répétés nous désignent. Ainsi nos deuils se sont ajoutés à nos espérances. Mais ils nous ont trempés aussi. Il convient même d’ajouter que de telles couleurs confèrent aux paroles une gravité qui ne peut mentir.

« Très Saint Père, telles sont les valeurs morales dont s’inspire la magnifique armée qui marche avec nous pour empêcher le mal et procurer le bien par tous les moyens, légaux ou illégaux, mais non illégitimes, toujours chevaleresques, loyaux, généreux. Dans cette armée bien française, même les incroyants se font une haute idée de l’Église, ils élèvent au Siège romain des sentiments de piété et de gratitude naturelles et historiques, sociales et nationales : comment admettraient-ils qu’il soit possible de demander en vain justice à Votre Sainteté ?

« C’est dans ces sentiments, Très Saint Père, que j’ai l’honneur de me dire, avec le plus profond respect, de Votre Sainteté le très humble et dévoué serviteur.

« Charles MAURRAS. »

 

 

Cette lettre restera sans réponse.

Le 5 février, Maurras adressera au cardinal Gasparri, secrétaire d’État, la lettre recommandée suivante :

 

 

        « MONSEIGNEUR,

 

« J’avais reçu, dans la première quinzaine d’octobre, l’assurance que la lettre adressée par moi à S. S. le Pape Pie XI lui serait présentée dans la semaine suivante. Aucun accusé de réception ne m’est parvenu depuis plus de trois mois. Je serais très profondément obligé à V. E. de vouloir bien mettre sous les yeux de S. S. la copie ci-jointe de cette lettre.

« Daigne Votre Excellence agréer l’expression de mon profond respect. »

 

 

Une réponse dactylographiée arrivera de Rome le 10 février :

 

 

Dal Vaticano, 10 février 1927.

« MONSIEUR,

 

« Avec la lettre du 5 février courant j’ai reçu aussi la copie de celle du 12 octobre 1926.

« Comme cette lettre a été remise au Saint Père par N..., Sa Sainteté n’a pas douté que N... lui-même vous aurait donné l’assurance de la consigne des pages que vous lui aviez confiées.

« Du reste, comme vous pouviez facilement vous assurer par vous-même de cette transmission auprès de N., on n’a pas cru nécessaire de vous envoyer un accusé de réception à ce sujet. »

 

 

La signature autographe du cardinal suivait, sans aucune formule de politesse.

Le 16 février, Maurras répondra :

 

 

        « MONSEIGNEUR,

 

« Je savais que ma lettre du 12 octobre 1926 avait été remise en fait, mais l’accusé de réception sollicité et obtenu de Votre Excellence a l’avantage de me confirmer dans la pensée que je n’ai pas à attendre de réponse à cette lettre d’il y a quatre mois.

« Il est évidemment superflu que j’élève, à ce sujet, la moindre insistance auprès du Saint-Siège.

« Je n’en remercie pas moins Votre Excellence. Les usages de mon pays et ma déférence personnelle envers le Saint-Siège me font un devoir de ne pas omettre de vous adresser, Monseigneur, l’assurance de mon inaltérable respect. »

 

 

Cependant, à peine le Pape a-t-il félicité le cardinal Andrieu de son initiative que toute la presse des catholiques de gauche exulte et se livre sans pudeur à la curée la plus féroce. On voit les anciens condamnés de Pie X qui, en ce temps-là, colportaient un peu partout l’irrévérencieux jeu de mots attribué à Mgr Duchêne : « Le Pape gouverne la barque de Pierre avec une gaffe », et appelaient, d’après ce même prélat, l’encyclique Pascendi, l’encyclique Digitus in oculo, on les voit se muer soudain en ultramontains fanatiques. Jamais un Veuillot morigénant, un Montalembert ou un Dupanloup ne se révéla plus jaloux des prérogatives du Saint-Siège. Du plus profond de leur immanentisme, ils apportaient aux pieds du Souverain Pontife l’hommage d’une foi immaculée, et, animés d’une fureur sacrée, ne se lassaient pas de plonger leur fer soigneusement empoisonné dans les reins impurs des nouveaux Albigeois dénoncés par le Primat d’Aquitaine.

Mais tout de suite il est visible que ce n’est pas tant au naturalisme de Maurras qu’ils en ont qu’à sa redoutable influence antilibérale sur la jeunesse. Ils parlent, ils agissent comme si le blâme du Saint-Père n’avait été donné que pour les venger de la suspicion où ils avaient été tenus si longtemps après l’encyclique Pascendi et la Lettre sur le Sillon. Marc Sangnier sort enfin triomphant du fameux dilemme qu’il avait posé avant sa condamnation par Pie X : « Ou le christianisme social du Sillon ou la monarchie païenne de Maurras. » Comment un chrétien hésiterait-il maintenant ?

Malgré les précisions du Saint-Père et du cardinal Andrieu sur la « juste liberté politique », tout se passe comme si la bénédiction pontificale implorée l’été dernier à Bierville eût conféré aux démocrates chrétiens une investiture officielle, du moins quant au pacifisme international. Sans doute elle retentit encore aux oreilles, l’adhésion enthousiaste et sans réserve donnée le 1er janvier de cette année, à l’Élysée, au nom de tout le corps diplomatique, par le nonce Cerretti, à la mystification de Locarno et à la politique de Briand (la publication de la lettre du 20 juillet 1925 de Stresemann au Kronprinz dessillera plus tard les yeux des plus aveugles) : « Cette année, cette paix que nous désirons tous si ardemment n’est plus seulement une espérance. Un évènement que l’Histoire inscrira dans ses plus belles pages en tête, nous pouvons et nous devons le croire, d’un de ses plus beaux chapitres, vient, il y a quelques semaines à peine, de marquer la première réalisation de nos espoirs... C’est en France plus que partout ailleurs – et ce sera sa gloire, Monsieur le Président – que se sont trouvés les hommes de bonne volonté qui ont été les bons serviteurs de la paix, et il en est un entre tous auquel vont, en même temps qu’à vous, Monsieur le Président, nos sentiments unanimes d’admiration et de reconnaissance pour une tâche qui est, à plus d’un titre, la sienne propre. »

Mais moins de trois semaines auparavant, les catholiques d’Action française avaient pu lire, dans l’encyclique Quas primas ces paroles plus surnaturelles : « Dans la première encyclique qu’au début de notre Pontificat Nous adressions aux Évêques du monde entier, Nous recherchions la cause intime des calamités contre lesquelles, sous nos yeux, se débat, accablé, le genre humain. Or, il nous en souvient, nous proclamions ouvertement deux choses : l’une, que ce débordement de maux sur l’univers provenait de ce que la plupart des hommes avaient écarté Jésus-Christ et sa Loi très sainte des habitudes de leur vie individuelle aussi bien que de leur vie familiale et de leur vie publique, l’autre, que jamais ne pourrait luire une espérance fondée de paix durable entre les peuples tant que les individus et les nations refuseraient de reconnaître et de proclamer la Souveraineté de Notre Sauveur. »

Le Saint-Père faisait allusion à son encyclique Ubi arcano Dei où il disait : « En cet ordre d’idées (l’organisation de la paix) certains efforts ont bien été tentés jusqu’ici ; mais on le sait, ils n’ont abouti à rien ou presque rien, principalement sur les points où les divergences internationales sont plus vives... C’est qu’il n’est point d’institution humaine en mesure d’imposer à toutes les nations une sorte de code international, adapté à notre époque, analogue à celui qui régissait au Moyen Âge cette véritable Société des Nations qui s’appelait la Chrétienté. Elle aussi a vu commettre en fait beaucoup trop d’injustices, du moins la valeur sacrée du droit demeurait incontestée, règle sûre d’après laquelle les nations avaient à rendre leurs comptes ».

Les catholiques d’Action Française ne pouvaient croire que, par condescendance pour l’hypothèse, on voulut condamner en eux la thèse traditionnelle. Au surplus, cette appréciation faisait partie de la « juste liberté politique », car il leur était bien permis de prendre en considération la déclaration du F. Barcia, ancien grand maître du Grand Orient d’Espagne, au Convent de 1924, à son retour de Genève : « J’ai assisté au travail des Commissions. J’ai entendu Paul-Boncour, Jouhaux, Loucheur, Jouvenel ; tous les Français avaient le même esprit. À côté de moi il y avait des représentants de l’Amérique, des Francs-Maçons, et ils me disaient : « Sommes-nous dans une assemblée profane ou dans une assemblée maçonnique ? » Et cela est vrai, l’esprit de notre institution transformera le monde... Un jour viendra où la Maçonnerie sera fatalement la direction spirituelle de tous, et ce jour-là sera l’aube de cette paix universelle qui jusqu’à présent était une utopie, mais qui sera bientôt la réalité. »

Et ces catholiques se rappelaient les avertissements de Léon XIII dans son encyclique Humanum genus, lorsque ce grand pape déplorant le peu d’audience qu’avaient rencontrée les « prévoyantes et paternelles sollicitudes » de ses prédécesseurs », il déclarait : « Il en résulte que, dans l’espace d’un siècle et demi, la secte des francs-maçons a fait d’incroyables progrès. Employant à la fois l’audace et la ruse, elle a envahi tous les rangs de la hiérarchie sociale et commence à prendre, au sein des États modernes, une puissance qui équivaut presque à la souveraineté. De cette rapide et formidable extension sont précisément résultés pour l’Église pour l’autorité des Princes, pour le salut public, les maux que nos prédécesseurs avaient depuis longtemps prévus. On est venu à ce point qu’il y a lieu de concevoir pour l’avenir les craintes les plus sérieuses ; non, certes, en ce qui concerne 1’Église dont les solides fondements ne sauraient être ébranlés par les efforts des hommes, mais par rapport à la sécurité des États, au sein desquels sont devenues trop puissantes ou cette secte de la Franc-Maçonnerie ou d’autres associations similaires qui se font ses coopératrices et ses satellites. »

Ce qui semble donner raison aux catholiques d’Action Française, c’est que le Saint-Père, le 25 septembre, a déclaré aux pèlerins français du Tiers-Ordre franciscain qu’il a écrit sa lettre « poussé uniquement par la conscience de la responsabilité formidable, écrasante et consolante en même temps qu’il porte à toutes les âmes ». Certains lui supposent « on ne sait quelles mystérieuses pensées diplomatiques ou politiques. Il n’en est pas du tout ainsi. Le pape a fait cela comme il fait tout ce qui est du ressort de son ministère apostolique, dans le but exclusif d’accomplir son devoir qui est de procurer la gloire de Dieu, le salut des âmes, d’empêcher le mal et de procurer le bien, au-dessus de tout parti politique, la grande règle qu’il ne cesse de rappeler toujours à tous et qu’il tient le premier. »

Il ajoutait aussi que, contrairement à certains bruits, « la première chose que le Pape avait faite avec toute la conscience de sa responsabilité et même avec le risque d’arriver en retard », avait été « de s’informer, de bien s’éclairer et de ne prendre aucune résolution avant d’être sûr que dans son geste il n’y eut rien qui fut conforme à la vérité, à l’à-propos et à l’opportunité. »

Mais d’autre part, le cardinal Andrieu, dans sa réponse au Saint-Père du 7 septembre que reproduit l’Aquitaine du 27, tient à envenimer les blessures : l’Action Française n’est pas seulement une Ligue politique ; elle est encore une école..., elle a une doctrine ; elle s’en glorifie et c’est cette doctrine qui a été officiellement condamnée ; et loin d’adoucir les horribles accusations dont il a noirci les catholiques d’Action Française et d’apporter une explication à son démarquage du pamphlet belge, Son Éminence redouble de violence.

« Les dirigeants de l’Action Française se plaignent d’avoir été calomniés et ils se déclarent prêts à souscrire la profession de foi de Pie X : A-t-on le droit de se dire catholique quand on fait partie d’une école dont la doctrine est la négation radicale de toutes les vérités que le catholicisme enseigne ? Un pareil oubli des devoirs que le premier précepte du Décalogue nous impose relativement à la profession de foi s’appelait, au temps des martyrs, et il s’appelle encore, une apostasie. Le titre de croyant et celui de renégat ne peuvent se cumuler. Il faut donc choisir, et les membres de l’Action Française, dirigeants ou simples adhérents, ne reculeront pas devant le désaveu explicite des fausses doctrines de leur école si, comme je l’espère, ils ont gardé la notion du vrai catholicisme et un souvenir fidèle de son intransigeance, surtout en matière d’orthodoxie. »

À la lecture de cette semonce, dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle manque de mansuétude, les démocrates chrétiens jubilent et ils applaudissent à cette justification du premier précepte du Décalogue rappelé si opportunément par Son Éminence, car le sens en est clair : ce qui était permis sous Pie X ne l’est plus aujourd’hui. L’alliance des disciples de Joseph de Maistre et de ceux de Maurras pour restaurer l’ordre français n’est plus tolérée. Seule est agréée celle de la Démocratie chrétienne et de la Laïcité maçonnique. En vain, dans leurs adresses, les dirigeants et les étudiants ont distingué nettement leurs positions, ont dit qu’ils réprouvaient le naturalisme de Maurras ; en vain Maurras lui-même a confirmé qu’il ne demandait aux catholiques que d’être le plus orthodoxe possible. Son Éminence veut à toutes forces que ces catholiques d’Action Française soient des renégats et professent les abominations dont il les accuse ; il a lu dans leur conscience ; il sait qu’ils mentent.

Les évêques s’efforcent de persuader à leurs diocésains que la parole du Pape est claire, mais ils n’entendent pas la clarté de la même façon ; et des divergences très graves se manifestent dans leur interprétation des documents pontificaux. Le Pape n’a pas prononcé une condamnation, disent les uns, mais a donné un simple avertissement. Un catholique peut donc appartenir à l’Action Française, à condition d’observer les recommandations du Saint-Père, comme ils l’ont promis. Non, disent les autres, il faut vous séparer radicalement de vos chefs quoiqu’il vous en calte.

Mais le 20 octobre, une lettre du cardinal Gasparri au cardinal-archevêque de Paris, informe Son Éminence au nom du Pape que Sa Sainteté a reçu l’adresse rédigée par la Fédération nationale des Étudiants d’Action Française (groupe de Paris) et qu’Elle a été particulièrement consolée des expressions d’attachement et de soumission, et plus encore des promesses que ces bons jeunes gens Lui ont faites. Sa confiance dans leur bonne volonté d’y conformer leur action et leur vie est aussi grande que la prédilection toute particulière que Son cœur paternel réserve à la jeunesse catholique, d’autant plus que, comme ils l’écrivent, ils « ont conscience des dangers... ». Mais à ce propos, le Saint-Père ne peut ne pas rappeler que quand il s’agit de dangers et surtout des dangers en matière de foi et de morale, la première règle à suivre est de s’en éloigner le plus possible. D’autre part, affirmer que l’on reçoit et que l’on accepte de l’Église seule les leçons pour tout ce qui concerne la foi et la morale, ne saurait paraître cohérent ni suffisant à sauvegarder l’une et l’autre quand on reste sous l’influence et sous les directions de dirigeants qui, par leurs écrits, ne se sont pas montrés des maîtres de la doctrine et de la morale chrétienne ; considération qui semble ne pas devoir être oubliée par tous ceux qui aspirent « vers un ordre social chrétien ». La sollicitude du Saint-Père a été précisément en dehors et au-dessus de toute considération politique, de rappeler à tous les catholiques et particulièrement à la jeunesse ce danger et cette incohérence. »

Les catholiques d’Action Française sont atrocement troublés. Le Pape, au nom de la foi et de la morale, veut-il vraiment interdire toute alliance politique avec Maurras alors que toute licence est donnée aux catholiques de gauche de s’allier aux maçons, aux protestants, et même aux positivistes du moment que ceux-ci ne sont pas d’Action Française ? (le dimanche 20 janvier 1924, dans la salle de la Démocratie, boulevard Raspail, une « Fête de l’Humanité » avait été donnée par l’Union Positiviste pour le culte de l’Humanité). Les démocrates chrétiens ne se gênent pas pour répandre que le Saint-Siège poursuit le dessein d’un nouveau ralliement non plus comme le premier de pur conseil et avec un pouvoir de fait mais de commandement et avec « les lois de la République », telles qu’elles ont été formulées et précisées dans l’ordre du jour radical de la reprise des relations avec le Vatican. Mais les catholiques monarchistes se refusent à croire qu’un Briand ait pu séduire à ce point le Saint-Siège ; pourtant des faits énormes ne cessent de les bouleverser ; un doute inexprimable les envahit. Si leurs adversaires disent vrai, qu’une encyclique le proclame aux quatre coins du monde, car le drame spirituel où ils sont engagés dépasse de beaucoup la vieille querelle maurrassienne dont les abbés Lugan et Pierre avaient déjà épuisé avant la guerre l’équivoque essentielle ; elle n’est en quelque sorte que l’épreuve au négatif où apparaît comme dans un bain révélateur, sous l’action des acides les plus virulents, la figure contradictoire d’une chrétienté qui n’a plus foi en elle-même.

Dans la Gazette Française, Bernanos jette ses appels pathétiques que la Vie Catholique s’empresse de dénoncer comme des cris de rébellion, incapable qu’elle est de reconnaître les accents d’un grand cœur. Ces fielleuses exégèses attirent au directeur de la feuille de délation la lettre suivante, du 23 octobre, qui exprime d’une manière émouvante le désarroi tragique de ces croyants.

« Monsieur, la Vie Catholique porte à la connaissance de ses lecteurs les passages répréhensibles de mes lettres à la Gazette, probablement pour en limiter le scandale. Cette conception de la publicité peut mener loin.

« Je n’ai ici et ne prétends user d’aucun droit. Je vous prie seulement de me permettre de remplir un devoir vis-à-vis des catholiques, en petit nombre, qui nous regardent souffrir sans rire d’aise et nous cracher dans les yeux.

« Parlons net : on affecte de nous croire blessés seulement dans notre attachement à Maurras. Ce n’est pas un sentiment, si sacré qu’on l’imagine, qui est atteint en nous ; c’est notre conscience.

« Il faut en finir, voulez-vous, avec les phrases empruntées à l’éloquence des séminaires. Nous ne sommes pas de bons jeunes gens auxquels on demande de rompre avec une petite amie. Pas tant de pommade sur une blessure qui met notre âme à nu ; le coup était dur, et il a été durement porté. Pour ne citer que ce seul exemple : un illustre religieux m’entretenait l’autre jour de telle petite ligueuse d’“Action Française” que le mal de Pott achèvera de tuer cet automne, et dont l’agonie a été si bien travaillée depuis des semaines, qu’elle n’ose plus se confesser ni communier. Puisse cette histoire être douce et rafraîchissante aux cannibales que notre malheur fait trépigner de joie.

« Je demande humblement qu’on nous délivre ou qu’on nous achève, voilà tout. En sacrifiant l’A. F. ou – ce qui revient au même – en laissant briser ses cadres et disperser ses troupes, nous croyons perdre la dernière chance de la patrie. Cela n’est rien encore. Notre pensée et notre action se trouvent si étroitement liées à une certaine critique de l’idéologie révolutionnaire, reprise et renouvelée par Maurras, qu’en la reniant nous ne pouvons nous renier à demi. Combien d’entre nous ont été amenés à l’Action Française, ou confirmé dans l’essentiel de sa doctrine, par des pères et des maîtres vénérés – un Clérissac pour Maritain, pour moi un Dom Besse ! Aujourd’hui M. Marc Sangnier semble, à Bierville, le confident de l’intime pensée pontificale, et c’est nous qui sommes les réfractaires.

« Un malheureux, ivre de servilisme, nous compare à l’abbé Loisy. En deux mots, comme en mille, si ce que nous nommions, avec le cardinal Sevin, la doctrine de l’ordre est une synthèse de toutes les hérésies, ainsi que l’affirme le cardinal Andrieu, toute notre vie est à refaire.

« Nous la referons. Nous demandons seulement qu’on veuille bien nous parler comme à des hommes. Sous prétexte de ménager des sensibilités, qu’on ne risque pas de blesser mortellement des consciences ! Le déchaînement d’une certaine presse est déjà quelque chose d’intolérable ; ce dévoiement de la haine finira par nous jeter dans le désespoir. Depuis que Pierre est Pierre, c’est à de tels moments que doit retentir la Parole vivante, à laquelle nous abandonnerons tout par avance. À de tels moments ou jamais. L’hérétique vit à l’aise dans l’équivoque et la fait durer le plus longtemps qu’il peut. Nous y étouffons, nous ! Est-ce un sacrilège d’implorer cette parole indubitable, comme voudraient le faire croire des flatteurs à gages ? S’il ne s’agit ici que de précautions à prendre, de questions d’opportunité ou de convenances, si nous n’avons à subir qu’une nouvelle épreuve analogue, ou comparable, à celle du ralliement, nos pères l’ont soufferte avec fierté, et nous n’aurons pas moins de fermeté, nous, leurs fils. Mais si notre doctrine – je dis notre – et qui n’emprunte à Maurras que sa partie critique – est hétérodoxe, qu’on la condamne ! Qui parle encore des préférences de nos cœurs ? Nous sommes prêts à les arracher, s’il faut, de nos poitrines et marcher dessus. Oui ou non, avons-nous été trompés sur le véritable esprit du catholicisme ? Nous demandons, nous implorons, nous voulons la vérité totale, au moins pour cette jeunesse qui a suivi ses aînés, promise d’ailleurs, et bientôt sans doute au même charnier solennel. La Vérité pour elle et pour nous. »

Mais de Rome arrivent d’étranges nouvelles.

Le 17 octobre a eu lieu à Saint-Pierre la béatification des 191 martyrs de la Révolution massacrés en 1792, aux Carmes, à Saint-Firmin et à l’Abbaye, pour avoir refusé le serment à la Constitution civile du clergé. Les fêtes n’ont pas eu la splendeur solennelle de celles qui célébrèrent Sainte Thérèse de Lisieux. Le Gouvernement français a gardé une réserve facile à comprendre envers les victimes des premières lois de laïcité. Mais les soixante diocèses dont ils sont la gloire ont délégué des représentants parmi lesquels il y a des descendants de ces bienheureux dont plusieurs portaient les plus vieux noms de France, comme Jean-Marie du Lau, archevêque d’Arles, François-Joseph de La Rochefoucauld, évêque de Saintes, Armand de Foucault de Pontbriand, vicaire général d’Arles, de la lignée du Père de Foucauld ; beaucoup de ces descendants appartiennent à l’Action Française ; le 18 octobre le Pape les a reçus au nombre de deux cents conduits par le cardinal Luçon et treize archevêques et évêques. Le 21 octobre l’Osservatore Romano nous donnera le compte rendu de la mystérieuse allocution que le Saint-Père a prononcée en cette circonstance :

« Le Saint-Père releva d’abord le caractère exceptionnel de cette audience. Toutes les audiences, sans doute, Lui étaient chères, puisqu’elles étaient toutes des rencontres des fils avec leur Père. Mais il n’était jamais arrivé au Saint-Père, jusqu’ici, de voir réunis autour de lui tant de parents de martyrs, qui avaient bien le droit de redire pour leur compte la grande parole des Saintes Écritures : “Filii sanctorum sumus. Nous sommes les fils des Saints...”

« Parler du martyre, c’est parler de l’héroïsme au plus haut degré, et cependant, le voilà devenu la chose de tous. Ces hauts prélats, archevêques, évêques, grands seigneurs, ont pu ennoblir encore leur noblesse – noblesse de la race, du rang, de l’élévation sociale – par le sang qu’ils ont répandu pour la cause de l’Église. Et, à côté d’eux, des prêtres, des religieux, des laïcs, des hommes de modeste origine, ont pu brûler toutes les étapes pour s’élever au rang le plus glorieux, par le geste le plus fastueux qui soit consenti à la pauvre nature humaine : le sacrifice de la vie à la vérité, à la dignité des âmes, à l’honneur de Dieu.... Mais surtout pour ce qui le concernait personnellement, le Saint-Père reconnaissait en ces Bienheureux « ses » martyrs à un titre tout spécial : ils avaient bien mérité de l’Église romaine, en donnant leur vie pour leur fidélité à la Papauté, qu’il représentait aujourd’hui, ou, pour mieux dire, au Pape tout court, car il n’y a qu’un Pape en réalité, depuis Saint Pierre jusqu’au dernier Pape. Placés dans cette alternative de mourir ou de désobéir aux ordres venus de Rome, ils avaient préféré mourir.

« ... Le Saint-Père ne voulait pas oublier quelle est la pensée de l’Église quand elle invite ses fils à se réjouir de la gloire des martyrs ; elle entend en recommander l’imitation...

« Il faut souvent un peu de l’esprit du martyre pour cette intégrité d’obéissance, indispensable à quiconque veut rester toujours et à tout prix un digne fils de Dieu, de l’Église, du Père Commun... L’obéissance, sans doute, est difficile, car en s’imposant directement à l’intelligence et à la volonté, elle atteint l’homme au point où il a le sentiment le plus ombrageux de sa dignité et de sa force. Aussi n’est-ce pas seulement pour obéir qu’est nécessaire ici l’esprit du martyre, il l’est encore à ceux qui demandent et qui doivent demander l’obéissance...

« ... Le Saint-Père rapporta ici une conversation qu’il avait eue avec un des généraux de la Grande Guerre ; celui-ci Lui avait dit la peine qu’il avait toujours éprouvée quand il lui avait fallu notifier à de jeunes soldats l’ordre de tenir à tout prix sous la mitraille qui les fauchait. Que de fois le Pontife avait dû agir d’une façon analogue ! Il l’avait fait, Il continuait à le faire pour le Mexique. Des nouvelles navrantes Lui en étaient parvenues ce matin même, il y avait quelques heures à peine. Des prêtres, des jeunes gens y sont morts pour la foi, nombre d’évêques ont été traînés en prison et maltraités. Cependant, les catholiques mexicains écrivaient au Pape qu’ils Lui restaient soumis plus que jamais. Il est réconfortant de voir résister d’une façon aussi superbe ceux à qui l’on a dit que le devoir est de résister, mais qu’il est dur de devoir donner des ordres pareils !

« ... Dans un autre ordre d’idées, continua le Pape, il se passait quelque chose de semblable dans le cher et noble pays de France. Le Pape avait dû prononcer certaines paroles graves qui demandaient (il le savait bien) de grands sacrifices, des sacrifices parmi les plus grands, des sacrifices d’intelligence et de volonté. Il avait été profondément réconforté par les promesses de généreuse obéissance qui Lui étaient venues d’une fervente jeunesse ; ce sacrifice était fort beau, et sa beauté récompensait bien largement le Pontife de la peine qu’Il avait soufferte en l’imposant... »

« ... C’était dire combien la joie du Saint-Père était profonde, mais aussi combien Il sentait le besoin de présenter à tous le splendide exemple que donnent les martyrs... »

Qu’était-ce à dire ? S’il se fût agi seulement d’abjurer une erreur doctrinale, le Pape aurait-il fait appel à un héroïsme si extraordinaire ? À supposer que ses fils d’Action Française eussent vraiment trempé de près ou de loin dans les abominations dont les accusait le cardinal Andrieu, il ne serait venu à l’esprit d’aucun d’eux de comparer l’abandon de leurs erreurs au martyre des saints de la Révolution et du Mexique. Le Pape leur demandait donc quelque chose de plus dur en insistant sur l’intégrité d’obéissance qu’Il exigeait d’eux ; « des sacrifices parmi les plus grands, des sacrifices d’intelligence et de volonté... »

Cependant, Mgr Marty, évêque de Montauban, qui revenait de Rome, annonçait à ses diocésains : « À l’occasion des grandes fêtes qui viennent d’être célébrées à Rome en faveur des martyrs français de la Révolution, le Souverain Pontife a déclaré, évidemment pour que cela fût redit, puisqu’il s’agit d’une direction générale à donner :

1° qu’on peut faire partie de la Ligue d’Action Française ;

2° qu’on peut être lecteur et abonné de l’Action Française ;

3° qu’on peut collaborer au journal l’Action Française.

Il ajoutait qu’au Vatican un très haut personnage particulièrement autorisé lui avait affirmé « qu’on n’avait pas condamné l’Action Française, qu’on l’avait seulement avertie. »

À cette déclaration les démocrates chrétiens ont blêmi de fureur comme si leur proie allait leur échapper. La Libre Belgique a reçu cette information de Paris : aussitôt elle la communique à ses lecteurs et la fait suivre de commentaires insolents de son correspondant anonyme qu’il nous faut encore citer car ils donnent le ton de la polémique :

« Nous avons demandé à la Nonciature à Paris une confirmation de cette déclaration attribuée au Souverain Pontife. Il nous a été répondu : Mgr Marty a dû être victime d’un mauvais plaisant. C’est justement à l’occasion des fêtes célébrées en l’honneur des martyrs français que le Pape, en parlant, soit en public, soit en privé, avec les personnalités françaises venues à Rome a confirmé, de la façon la plus nette, les jugements formulés et édictés par Lui sur l’Action Française. Le jour où celle-ci aura cessé d’avoir à sa tête un chef qui voit dans le Christ l’ennemi de la civilisation, de la société et de l’État comme M. Maurras les conçoit, le Souverain Pontife pourra admettre qu’on reste dans ses rangs et qu’on collabore à son œuvre. »

La haine a forcé les démocrates à jeter le masque. Il ne s’agit plus des « dirigeants de l’Action Française » comme dans la lettre du Cardinal Andrieu, il s’agit du seul Maurras dont ils ont juré de ruiner l’œuvre de restauration nationale en l’isolant de toutes ses amitiés catholiques. L’Ouest-Éclair, de l’équivoque abbé Trochu, n’a pas manqué de reproduire, comme elle l’avait fait pour le pamphlet de Passelecq, l’information de la Libre Belgique.

Mgr Marty a répondu à ce journal :

 

 

        « MONSIEUR LE RÉDACTEUR,

 

« Dans un récent numéro de votre journal, vous avez publié une “mise au point” ! ! ! que j’ai connu par l’Ouest-Éclair, votre frère jumeau de Rennes. Tous ceux qui auront lu cette prétendue mise au point pourraient croire, si je ne les en dissuadais sans retard, que j’ai légèrement attribué au Souverain Pontife les graves déclarations que Sa Sainteté a daigné faire récemment au sujet de l’Action Française.

« J’avais cependant pris soin d’observer que j’étais renseigné par une voie qui ne permet aucun doute. Cela n’a suffi à convaincre ni votre journal ni celui de Rennes qui vous emprunte l’affirmation étrange, venue, paraît-il, de la Nonciature de Paris.

« Vous apprendrez certainement avec plaisir, pour en informer vos lecteurs en toute diligence, que j’ai suffisamment compris la gravité de mes affirmations, malgré mes soixante-dix-sept ans commencés, pour ne pas les écrire à la légère.

« Tout ce que j’ai dit, je le maintiens d’autant plus allègrement que j’ai reçu des certitudes nouvelles.

« Le Souverain Pontife a daigné déclarer : qu’on peut faire partie de la Ligue d’Action Française, qu’on peut être lecteur et abonné du journal l’Action Française ; qu’on peut collaborer au journal l’Action Française.

« Il y a cependant un mauvais plaisant dans l’affaire, à vous en croire. Où donc le chercher ? Pas de mon côté. Vous n’y trouveriez que des personnages éminents par leur vertu, leur science et leur haute situation dans la hiérarchie ecclésiastique.

« Vous ne le trouveriez pas non plus, quoique vous en disiez, à la Nonciature de Paris, à moins que, peut-être, ce fût chez le concierge. La Nonciature ne parle pas inconsidérément comme : on le fait chez vous, d’un vieil évêque français.

« Je laisse à vos lecteurs le soin de trouver le mauvais plaisant là où il est.

« Les deux derniers paragraphes de votre mise au point les dirigeront, par leur caractère évidemment tendancieux, dans leur loyale recherche.

« Croyez, Monsieur le rédacteur, que je vous désire l’amour sincère de la vérité en vous bénissant.

 

Signé : P.-E. MARTY,

Évêque de Montauban.

 

Deux mois plus tard, le Révérend Père de La Brière remettait à Bernard de Vesins le récit d’une audience que Pie XI lui avait accordée le 1er novembre et qui relatait les propos suivants du Pape sur l’Affaire. « Des évêques et d’autres personnes respectables Nous avaient même demandé en cette matière jusqu’à une condamnation. Nous n’avons pas cru devoir le faire. La question est complexe. Le motif de condamnabilité n’était pas facile à caractériser. »

« Ainsi donc, rapporte Bernard de Vesins, deux mois après l’apparition de la lettre du cardinal Andrieu et tout près de deux mois après l’approbation donnée aux accusations formelles qu’il avait présentées contre l’Action Française, le Saint-Père trouvait que le motif – non pas même de condamnation – mais de condamnabilité, n’était pas facile à préciser. »

Cependant à la fin du même mois, comme le Président de la Ligue demandait à Son Éminence le Cardinal-Archevêque de Paris et aux Supérieurs ou Provinciaux des bénédictins, des dominicains, des jésuites et des rédemptoristes que « des théologiens, séculiers ou réguliers, fussent autorisés à venir exposer à l’Institut d’Action Française la doctrine catholique sur les points qui paraîtraient à ces théologiens particulièrement utiles à développer pour éclairer nos adhérents, surtout les jeunes, et les prémunir ainsi contre les dangers que le Souverain Pontife avaient signalés », le cardinal Dubois répondait dans la huitaine : « J’ai bien examiné la question que vous avez bien voulu me poser. Les derniers documents publiés par l’Osservatore Romano ne me permettent pas d’envisager comme pratique la solution par vous indiquée. D’ailleurs l’affaire est d’ordre trop général pour qu’elle puisse être tranchée définitivement par l’autorité diocésaine de Paris. » Dans les premiers jours de décembre une note de la Nonciature aux archevêques de France annoncera : « Sa Sainteté ne trouve pas opportune que les révérendissimes ordinaires accordent aux différents groupements d’Action Française constitués dans les diocèses de France des aumôniers chargés de veiller sur la doctrine et la morale de ces groupements. » La principale raison évoquée était le danger d’une regrettable confusion entre la religion et la politique.

On devine avec quels trépignements de plaisir ces refus sont accueillis dans la Croix, la Vie Catholique, l’Ouest-Éclair, la Jeune République, cependant que l’Osservatore Romano, de son côté, continue de jeter pieusement du sel sur les blessures à vif. Comme il est l’organe officieux du Vatican, les adversaires de l’Action Française confèrent à ses sentences le caractère de l’infaillibilité. On commence à parler de l’autorité du Pape dans les questions mixtes. Sans doute c’est au nom de la foi et des mœurs que la doctrine de Maurras est condamnée, mais cette doctrine est politique, donc la politique de l’Action Française est condamnée et avec elle tout le mouvement.

Devant une offensive aussi implacable, l’Action Française finit par perdre patience et comme l’exégèse de ses adversaires jamais dénoncée ouvertement par l’autorité, mais au contraire encouragée en sous-main, l’incite à penser que les motifs religieux allégués par le Pape ne sont invoqués que pour justifier des fins politiques, (en l’espèce l’élimination d’un adversaire puissant qui gêne les tractations d’un Briand avec lequel le Saint-Siège juge opportun de lier partie pour amener la paix de l’Europe), avec sa violence habituelle, elle dénonce dans les attaques de l’Osservatore Romano une inspiration germanophile et révèle à ses lecteurs des bruits qui courent sous le manteau : elle serait la rançon d’un pacte secret conclu par l’entremise du moderniste Canet, éminence grise des affaires religieuses au Quai d’Orsay. À l’avènement du Cartel, le Gouvernement d’Herriot avait décrété le 24 octobre 1924 la suppression de l’ambassade au Vatican, réclamée l’année précédente par la Grande Loge de France ; sur une intervention de Briand, la mesure a été suspendue. Mais donnant donnant, l’Action Française aurait fait les frais du marché. « Politique et non religion que tout cela, écrivent-ils ; nous ne sommes pas disposés à rien céder de nos libertés. Nous n’avons pas envie de devenir des ilotes ni de laisser réduire les Français catholiques à l’état des catholiques mexicains. Nous réclamons le droit de trouver bons les arguments politiques de Maurras comme les démonstrations astronomiques de Galilée. Ces vérités d’ordre naturel expérimental s’imposent à nous et personne ne peut rien contre elles. »

Les voici enfin sur le terrain soigneusement miné où leurs adversaires avaient tout fait pour les attirer. Ils ne peuvent plus revendiquer leur juste liberté politique, puisque d’eux-mêmes ils déclarent que c’est à leur politique qu’on en veut. Ils sont perdus. Maintenant les Gay et les Trochu jubilent. L’indignation intégriste de ces courtiers suspects ne connaît plus de bornes. Ils l’avaient bien dit ! Ces nationalistes sont des gallicans ; leur révolte était à prévoir. Les malheureux ! c’est au nom de la foi et de la morale que le Pape les condamne et ils prêtent injurieusement au Pape des intentions politiques ! Aveuglés qu’ils sont par leur propre passion, leur châtiment ne peut plus tarder ! Évidemment.

Alors, le 20 décembre 1926, dans son allocution consistoriale, le Pape prononce les paroles suprêmes que les conjurés attendaient impatiemment :

« Des terres éloignées du Mexique, passons par la pensée à la proche France pour déclarer de nouveau notre sentiment sur le grave état qui, nous le savons, inquiète beaucoup les esprits, concernant le parti politique ou l’école qu’on nomme l’Action Française et aussi les œuvres et le journal qui en dépendent. De nouveau, disons-nous, puisque déjà, plus d’une fois, Nous avons dit, et sans ambages, ce que Nous en pensions.

« Nous vous en parlons pour deux raisons. D’une part, Votre solennelle assemblée, Vénérables Frères, sur laquelle l’univers catholique a les yeux, Nous fournit une occasion importante et illustre, d’autant plus que les paroles que Nous allons prononcer peuvent avoir leur opportunité et leur utilité hors de France. D’autre part, il nous faut répondre aux vœux et à l’attente de ceux qui, dans des lettres où respire une sincère piété avec l’amour du vrai et du juste, nous ont demandé de les libérer de l’hésitation.

« En tout cela, s’il ne Nous a pas été possible de rester sans amertume et chagrin, le Dieu très miséricordieux Nous a accordé de non médiocres consolations, et, pour obéir à un devoir et comme à une douce nécessité, Nous nous sommes hâtés de Lui en exprimer Notre reconnaissance par cet endroit des Psaumes : “À proportion de la multitude de mes douleurs, vos consolations répandues dans mon cœur ont réjoui mon âme.” De ce que, par l’intervention de votre autorité, Nous avons accompli un acte très attendu et moins opportun encore que nécessaire, des laïcs excellents, des membres de l’un et l’autre clergé, de vénérables évêques et pasteurs des âmes, Nous en ont rendu grâce ; qu’ils reçoivent donc le particulier témoignage de Notre bienveillance, eux, et en même temps tous ceux qui, manifestant leur foi, par leurs actes, ont, avec obéissance et affection, ou bien reçu nos paroles comme du Vicaire de Jésus-Christ, ou bien les ont répandues, dans un cercle étroit ou vaste, soit de vive voix, soit par écrit ou bien les ont interprétées sincèrement et fidèlement et, chaque fois qu’il a fallu, les ont défendues avec courage. Quant à ceux qui insistent pour que nous parlions avec le plus de clarté et de précision sur la question soulevée, Nous voulons qu’ils se remettent dans l’esprit que, en matière de conduite, on ne saurait toujours établir une règle absolue et nette, valable pour tous les cas. En outre, Nos écrits et Nos paroles antérieures (et, en France, pays que ces discours et écrits concernent, personne ne les ignore plus) contiennent, ou formels ou faciles à induire, les préceptes et principes suffisants pour régler le jugement et la conduite. Nous ajoutons, s’il est quelques personnes à l’esprit desquelles il faille porter une lumière encore plus vive, qu’il n’est pas permis aux catholiques, en aucune manière, d’adhérer aux entreprises et en quelque sorte à l’école qui mettent les intérêts des partis au-dessus de la religion et font servir celle-ci à ceux-là ; qu’il ne leur est pas permis de s’exposer ou d’exposer autrui, les jeunes gens surtout, à des influences ou doctrines dangereuses tant pour la foi et la morale que pour la formation catholique de la jeunesse. Ainsi (pour n’omettre nulle des questions ou demandes qui Nous ont été adressées), il n’est pas permis aux catholiques de soutenir, d’encourager et de lire des journaux publiés par des hommes dont les écrits, s’écartant de notre dogme et de notre morale, ne peuvent pas échapper à la désapprobation, et qui même, souvent, dans des articles, comptes rendus, annonces, proposent à leurs lecteurs, surtout adolescents ou jeunes gens, des choses où ils trouveraient plus d’une cause de détriment spirituel.

« ... Il est superflu d’ajouter, mais Nous l’ajoutons cependant, “d’abondance de cœur”, comme on a coutume de dire, que Nous n’avons été ni ne sommes poussés à parler ni par des préjugés ou par zèle de parti, ni par des considérations humaines, ni par une ignorance ou une insuffisante estime des services qu’ont rendus à l’Église, et plus encore à la Cité, soit tel ou tel particulier, soit tel groupe ou telle école, mais seulement et uniquement par la charge religieuse que Nous avons assumée, par la conscience du devoir qui Nous lie et qui est de sauvegarder l’honneur du Roi divin, le salut des âmes, le bien de la religion et la prospérité de la France catholique elle-même. »

Ainsi « le parti politique qu’on nomme l’Action Française » était condamné dans ses livres, ses œuvres, ses membres, non pas par zèle de parti ou des considérations humaines ni même par une ignorance ou une insuffisante estime des services rendus à l’Église ou à la Cité, mais seulement et uniquement par la charge religieuse, la conscience du devoir, l’honneur du Roi divin... Il n’y avait pas d’échappatoire possible. L’holocauste demandé mystérieusement lors de la réception des pèlerins français venus pour la béatification de leurs martyrs de septembre était ordonné dans toute sa rigueur ; à savoir la rupture d’une alliance politique qui ruinait, dans l’esprit des victimes, vingt-cinq ans de reconstruction nationale. Aucune mesure analogue n’était prise contre le catholique libéral ou démocrate ; seul, le catholique monarchiste était choisi comme hostie expiatoire d’une incrédulité avec laquelle ses coreligionnaires de gauche composaient bien plus gravement partout où ils la rencontraient ailleurs que chez Maurras. C’était bien « le martyre de l’intelligence et de la volonté » qui leur était demandé, car ils ne pouvaient comprendre par leur seule intelligence ou leur seule volonté une telle exclusive où la sainteté seule pouvait imposer le silence aux mouvements de la nature.

Et ils étaient partagés.

Les uns soutenaient que toute l’affaire ayant été amorcée par la lettre du Cardinal Andrieu qui avançait, et de seconde main, des accusations manifestement erronées, la condamnation du Pape, abusé malgré lui, circonvenu par toute une cabale, ne portait pas. Ils s’étaient humblement soumis à toutes les censures, à toutes les surveillances de l’autorité religieuse ; on avait rejeté toutes leurs demandes. Comme l’avait dit à l’un d’eux avec sa rude et bonne franchise un éminent dominicain : « Ils veulent votre peau, ils l’auront ! » Leur devoir était de résister. – Non, pensaient les autres, nous ne pouvons pas dire au Saint-Père : « Vous vous trompez, nous ne courons aucun danger. Vous n’avez cédé en nous condamnant qu’à des motifs politiques que vous n’osez pas avouer. » On ne peut pas dire cela à son Père. Seul, Il est juge de l’opportunité. Pie X, Benoît XV n’ont pas estimé la condamnation opportune. Pie XI déclare solennellement, au nom de sa charge apostolique qu’il la trouve opportune aujourd’hui, il ne nous reste plus qu’à nous incliner. Sans doute il n’est infaillible que dans un enseignement ex cathedra en matière de foi et de mœurs, mais en tout ce qu’il ordonne d’autre part comme chef de l’Église et gardien de la foi, de la morale et de la discipline, il a le droit d’être obéi, la raison de cette obéissance ne découlant pas de son infaillibilité mais de son autorité, et cette autorité, il la possède toujours quand il commande au nom de la foi ou de la discipline. – Mais si l’ordre est injuste ? Saint Basile n’a-t-il pas été soupçonné d’hérésie par saint Damase ? Saint Alphonse de Liguori n’a-t-il pas été retranché de sa Congrégation par Pie VI sur la foi de calomnies, et les Jésuites n’ont-ils pas été contraints de dissoudre leur Ordre par la bulle Dominus ac redemptor, pour les motifs les plus graves comme, par exemple, celui de favoriser dans leurs missions les rites idolâtres ? Clément XIV, lui aussi, déclarait ne décréter la suppression de leur Compagnie qu’« après un mûr examen, de consciente certaine et dans la plénitude de la puissance apostolique ». « Nous lui ôtons, disait la terrible sentence, et abrogeons tous et chacun de ses offices, ministères et administrations, maisons, écoles, collèges et habitations quelconques, dans toute province, royaume et états que ce soit et qui lui appartienne, à quelque titre que ce soit ; nous supprimons tous les statuts, usages, coutumes, décrets, constitutions, même fortifiées par serment, confirmations apostoliques ou autrement, etc. » – Les Jésuites ont obéi. Le Général de l’Ordre, le Père Ricci et ses assistants enfermés sur l’ordre du Pape dans les prisons du château Saint-Ange n’ont proféré aucune plainte. – Mais l’Archevêque de Paris, Christophe de Beaumont, refusa de publier le Bref en arguant qu’il n’était autre chose qu’« un jugement isolé et particulier », « extorqué plutôt qu’obtenu », « pernicieux, peu honorable à la tiare et préjudiciable à la gloire de l’Église, à l’accroissement et à la conservation de la foi orthodoxe ». – On pourrait reprocher à ce saint prélat un certain gallicanisme... – Mais l’Histoire de l’Église de l’abbé Darras, continuée pour cette époque par Mgr Fèvre, membre de l’Académie Tibérine, Vicaire Général honoraire, Protonotaire apostolique (Éditions Vivès, 1886, tome 39), ouvrage classique dans les Séminaires, cite sa lettre avec éloge et la fait précéder de ce jugement : « L’Archevêque était un homme que les menaces n’intimidaient pas. » Lisez le récit de toute l’affaire ; il est édifiant. – Peut-être, mais encore une fois, les Jésuites ont obéi aux ordres du Pape. – C’était des religieux ; nous, laïcs, qui avons des devoirs d’état et des grâces particulières pour les remplir, nous ne pouvons consentir à une erreur d’appréciation pour éviter un mal plus grand parce que d’abord cela ne nous est pas demandé clairement et qu’ensuite un mal très grand résulterait de notre soumission, et cela, au détriment de notre patrie menacée que nous mettons au-dessus, non de la vérité, mais d’une erreur judiciaire qui relève du sens commun. – Mais l’obéissance aux décisions d’ordre pratique, doctrinales et disciplinaires, ne nous interdit pas de continuer de nouvelles études, de nouvelles recherches, de nouvelles démarches qui, apportant des arguments nouveaux, pourront, peut-être, provoquer une autre décision en sens inverse. Ce qui était déclaré non sûr en de telles circonstances pourra devenir sûr étant donné de nouvelles circonstances. Il ne nous est pas défendu de penser, même en nous soumettant, que des abus peuvent parfois s’introduire dans l’exercice disciplinaire de l’autorité, que des erreurs d’appréciation sont parfois possibles. Sur son lit de mort le Père Ricci déclara dans la longue protestation qu’il tint à formuler : « Je déclare et proteste que la Compagnie de Jésus éteinte n’a donné aucun sujet à sa suppression. Je le déclare et proteste avec la certitude que peut avoir moralement un Supérieur bien informé de ce qui se passe dans son Ordre. » Quoique vocifèrent nos modernistes devenus subitement papolâtres (autre hérésie), Pierre ne commande qu’à des hommes libres. Obéissance n’est pas servilité. Dès 1775 Pie VI songera à réviser le procès des Jésuites et le Cardinal Antonelli consulté dira du Bref de Clément XIV : « Ce Bref a causé un scandale si grand et si général dans l’Église qu’il n’y a guère que les impies, les hérétiques, les mauvais catholiques et les libertins qui en aient triomphé. » Pie VII rétablira la Compagnie en déclarant que « placé dans la nacelle de Pierre, il se croirait coupable devant Dieu d’une faute très grave s’il rejetait les rameurs vigoureux et expérimentés qui s’offrent à lui ». Ainsi en est-il du retour des choses humaines, même dans l’Église. Mais, à moins de bouleverser la Constitution de l’Église, il faut reconnaître que l’autorité reste l’autorité, que ses décisions doivent être observées dans le sens même où elles sont portées, que les fidèles n’ont pas juger des « erreurs » du Chef et que toute désobéissance apporterait à l’Église un trouble plus grave que l’obéissance à un ordre supposé peu fondé.

Ceux qui pensaient ainsi quittèrent leurs frères d’armes, le cœur déchiré, après un combat terrible entre leur foi et leur honneur auquel Corneille n’avait point songé.

« L’obéissance sans doute est difficile, avait dit le Pape aux descendants des martyrs de septembre, car en s’imposant directement à l’intelligence et à la volonté elle atteint l’homme au point où il a le sentiment le plus ombrageux de sa dignité. »

L’Action Française publia l’allocution consistoriale qui la condamnait mais la fit suivre d’un article intitulé Non Possumus, où, pour les raisons que nous exposons plus haut, elle choisissait la résistance ouverte : « L’autorité ecclésiastique veut supprimer notre mouvement politique ; elle demande notre mort. C’est même à nous qu’elle la demande. Cependant l’Action Française n’est pas un journal catholique. Elle n’a pas été fondée par une autorité spécifiquement catholique quelconque ; elle s’est fondée toute seule. Elle n’a jamais sollicité ni reçu aucun mandat. Elle a ses responsabilités propres et aussi ses devoirs vis-à-vis des centaines de milliers de Français qui l’ont suivie et qui la suivent... À tous elle ne peut que redire aujourd’hui : Courage ! Si vous voulez toujours ce qui vous a unis à nous, ce n’est pas de notre côté que vous trouverez la moindre faiblesse. L’Action Française continue. Personne n’a le droit de lui demander de changer ni son but national, ni sa méthode légitime, ni ses chefs. Personne ne l’obtiendra. »

Ce ton d’égal à égal, l’insolence même de l’allusion du titre latin Non possumus que seule pouvait excuser l’exaspération d’une polémique atroce, n’étaient pas défendables pour un catholique respectueux de l’autorité pontificale, et ce défi désespéré ne pouvait qu’enivrer de délices les démocrates chrétiens, car un refus aussi violemment affiché faisait sauter les derniers ponts.

L’effet ne tarda pas. Huit jours après, un décret du Saint Office promulguait la condamnation officielle à la date du 29 décembre. Par un raffinement dans la rigueur, c’était l’ancien décret du 29 janvier 1914 réservé par Pie X qui apprenait à la chrétienté la condamnation du Chemin de Paradis, d’Anthinéa, des Amants de Venise, de Trois idées politiques, de l’Avenir de l’Intelligence. Pie XI, à la date du 29 décembre 1926, ne faisait que confirmer cette sanction, qu’en faveur des circonstances seulement, ses deux prédécesseurs avaient différée. « De plus, ajoutait le Décret, en raison des articles écrits et publiés, ces jours derniers, surtout par le journal du même nom, l’Action Française, et, nommément, par Charles Maurras et par Léon Daudet, articles que tout homme sensé est obligé de reconnaître écrits contre le Siège apostolique et le Pontife romain lui-même, Sa Sainteté a confirmé la condamnation portée par son prédécesseur et l’a étendue au susdit quotidien, l’Action Française, tel qu’il est publié aujourd’hui, de telle sorte que ce journal doit être tenu comme prohibé et condamné et doit être inscrit à l’index des livres prohibés, sans préjudice à l’avenir d’enquêtes et condamnations pour les ouvrages de l’un et de l’autre écrivains. »

Dans une lettre de Pie XI au cardinal Andrieu que Sa Sainteté écrivait à Son Éminence pour lui témoigner combien Elle appréciait la fidèle et généreuse coopération qu’Elle lui prêtait depuis quelques mois, Elle se réjouissait de l’informer la première « d’un décret touchant la grave question de l’Action Française ». « Vous aviez un certain droit à cette prémice parce que, parmi vos vénérables confrères de l’épiscopat français, vous avez été le premier à soulever la question et le premier aussi à porter les conséquences d’une telle initiative, toujours avec Nous, dès que Votre cause est devenue la Nôtre, c’est-à-dire dès la toute première heure. »

« Comme vous allez voir, le décret a une importance assez grande, ne serait-ce que parce qu’il détruit d’un seul coup la légende qu’on a tissée, en bonne foi, comme nous aimons à le croire, autour de Notre Vénéré prédécesseur Pie X de sainte mémoire. Comme vous voyez, non seulement il en résulte que ni vous, ni Nous, ni Nos coopérateurs et exécuteurs n’avons été les premiers à Nous saisir de ladite question, mais il en résulte aussi que Nous avons fini là où Pie X a commencé.

« Il est de toute évidence que Nous aurions employé de tous autres procédés si les documents que Nous publions avaient été à notre connaissance ; mais ce n’est qu’après le jour du consistoire que Nous les avons eus entre Nos mains. Sans doute il Nous était très pénible de voir opposer (comme on l’a si souvent fait plus ou moins ouvertement) le nom et la prétendue conduite de notre vénéré prédécesseur à notre nom et à notre conduite vis-à-vis de l’Action Française ; nous avions le profond sentiment, dites le pressentiment, qu’une telle opposition ne répondait pas au vrai, pour ne pas dire autre chose, Pie X était trop antimoderniste pour ne pas condamner cette particulière espèce de modernisme politique, doctrinaire et pratique, auxquels Nous avions affaire, mais les documents positifs nous manquaient, ils nous ont manqué jusqu’à la toute dernière heure, et ce n’est qu’après des recherches réitérées, faites suivant des indications que nous suggéraient les habitudes d’une vie passée en grande partie au milieu des livres et des documents, qu’on les a finalement retrouvés. »

Et le Pape aimait à voir dans le retard de cette découverte non seulement une permission, mais une disposition providentielle dans le double but, d’un côté de l’engager à étudier toute la grave question personnellement et pour Son compte et de l’autre côté de faire... ut revelentur ex muftis cordibus cogitationes... D’après cette révélation des cœurs « beaucoup de bons catholiques ont vu et compris à qui et à quel esprit ils s’étaient confiés en pleine bonne foi ». Et il espérait qu’en découvrant ces choses, à cette heure, « une telle continuité du jugement suprême de cette Église qui est la colonne de vérité tranquilliserait les âmes et ramènerait partout la paix. »

Hélas, l’équivoque ne devait que grandir et le trouble que s’aggraver.

Comme pour donner corps aux interprétations de l’Action Française concernant la pensée pontificale, Mgr Maglione, qui avait succédé comme nonce à Mgr Cerretti, faisait à son tour à l’Élysée, le 1er janvier, à la réception du Corps diplomatique, un panégyrique enthousiaste de la politique de Briand. Le représentant du Saint-Siège tenait à louer tout spécialement notre Ministre des Affaires étrangères dont « les Paroles si éloquentes et si profondément senties avaient exprimé à Genève l’aspiration des peuples vers ce rapprochement et cette fraternité spirituelle qui les mettront en mesure de panser leurs blessures et qui les achemineront par une inclination toute pacifique vers des progrès moraux, économiques et sociaux toujours plus grands ». Dans ce langage étrangement laïcisé de la part d’un prélat de la Sainte Église, le Nonce faisait allusion à la fameuse allocution de bienvenue adressée par Briand à Stresemann, lors de l’entrée des Allemands à la Société des Nations, discours où la royauté du Christ reconnue par Pie XI dans son encyclique Quas primas comme indispensable à la Paix des peuples était remplacée par un Droit humanitaire sans autre garantie de sécurité que l’illusoire bonté naturelle de l’Homme promulguée par Jean-Jacques.

Combien il est facile alors aux démocrates chrétiens de donner à ce langage tout nouveau un sens favorable à leurs chimères ! Ne doit-on pas voir là un appel à la réconciliation entre le laïcisme tel que l’incarnent des maçons comme Stresemann et Briand et le Christianisme ? N’est-ce pas enfin l’interdiction levée sur cette implacable 80e proposition condamnée par le Syllabus : « Le Pontife romain peut et doit se réconcilier et composer avec le progrès, le libéralisme et la civilisation moderne » ? En vain la nonciature dément quelques jours après toutes les déductions que la presse tire du discours à l’Élysée. Les journaux démocrates parlent, agissent, écrivent, comme si c’était bien là les intentions secrètes du Vatican.

La Vie Catholique, leur organe le plus venimeux, concède dans son numéro du 12 février 1927 que « la position politique de l’Action Française en tant que monarchiste n’est pas en cause », mais insinue aussitôt « qu’elle ne correspond pas aux idées que l’on peut avoir à Rome sur ces matières, peut-être », et en première page, sous ce titre « La Politique Pontificale », elle précise par la plume de M. François Veuillot que Pie XI a bien sa politique et qui est « la paix du Christ par le règne du Christ », « que tout, dans les actes, les documents et les instructions de Sa Sainteté, depuis l’encyclique Ubi Arcano Dei jusqu’au discours du Nonce à l’Élysée et à la condamnation de l’Action Française s’inspire de cette politique. »

Mais ce qui est le plus troublant, c’est de voir les pires ennemis de l’Église accueillir la sentence tombée des lèvres du Souverain Pontife avec une joie cynique et comme si elle devait avancer le succès de leurs desseins. Eux qui écumaient de fureur sarcastique au seul nom du Syllabus ou de l’Encyclique Pascendi, applaudissent à tout rompre au décret du Saint Office et l’on peut lire, dans le journal ouvertement maçonnique La Volonté, un éloge du Pape, dans le jargon spécial des Loges, où Pie XI est qualifié d’« homme au sens pratique immédiat et au réalisme implacable du savant chez qui la mystique est nettement délimitée. »

Un article plus révélateur encore paru dans l’Europe Nouvelle ne devait pas contribuer davantage à apaiser les consciences toujours désorientées. Cette revue publiera le 8 octobre 1927 une lettre adressée par son correspondant Mgr Pucci, prélat de Sa Sainteté, chanoine de Sainte-Marie in Transtevere et vicaire-curé perpétuel de la basilique, ancien minutante à la secrétairerie du Sacré Collège ; elle était écrite pour informer de bonne source le public sur les démissions retentissantes du cardinal Billot et du R. Père Le Floch, amis personnels de Pie X et que l’on savait demeurés sympathiques à l’Action Française.

En septembre 1926, après lecture de l’adresse des membres catholiques directeurs de l’Action Française au cardinal Andrieu, le cardinal Billot avait envoyé à Léon Daudet une carte ainsi conçue : « Le cardinal Billot présente à M. Léon Daudet ainsi qu’à tous les cosignataires de l’adresse à S. Éminence le cardinal Andrieu l’hommage de son profond respect en même temps que ses plus chaudes félicitations pour la superbe réponse, si digne, si bien fondée en raison, si fortement appuyée par la courageuse profession de foi catholique intégrale qui, nous l’espérons, fera qu’avec l’aide de Dieu l’A. F. sortira de la crise actuelle plus que jamais estimée des bons et redoutée des méchants. » Cette carte publiée par le Paysan du Sud-Ouest fit le tour de la presse.

Le 5 décembre suivant, l’Osservatore Romano publiait cette note : « Nous sommes autorisés à déclarer : 1° que la carte n’était pas destinée à la publicité et ne fut publiée que par une blâmable indiscrétion ; 2° que l’Éminentissime auteur regrette vivement les impressions fâcheuses que la carte a pu produire et a présenté au Saint-Père l’expression de son regret, en entendant que la carte doit être tenue pour nulle et non avenue. »

Le 19 septembre 1927, la nouvelle de la démission du cardinal éclatait comme un coup de tonnerre. Retiré depuis plusieurs mois au noviciat de son ordre à Galloro près de Rome, le cardinal Billot était redevenu le Père Billot.

Mgr Pucci raconte que cette démission datait de juillet ; des pourparlers indirects avaient été échangés avec le Saint-Siège par l’entremise du Père Ledochovsky, supérieur général que le cardinal avait prié de s’occuper de l’affaire. Quand tout fut arrangé, le cardinal écrivit au Pape qu’il était à sa disposition pour le moment où Sa Sainteté voudrait le mander. Au sacre de Pie XI, le cardinal Bisleti, premier diacre, étant malade, c’était lui qui l’avait remplacé dans le rite solennel du Couronnement qui est la prérogative du cardinal, chef de l’ordre des diacres. « On le vit alors à la fin de la cérémonie au centre de la basilique Saint-Pierre, prendre la tiare, l’élever sur la tête d’Achille Ratti et l’y poser en prononçant la formule dans laquelle semble condensée toute la majesté du Pontificat romain : “Reçois la tiare ornée de trois couronnes et sache que tu es le Père des princes et des rois, le Pasteur de l’Univers, le Vicaire sur la terre de Notre Sauveur Jésus-Christ à qui sont dus l’honneur et la gloire dans les siècles des siècles...” »

L’entretien suprême eut lieu le 30 septembre au soir et fut « très cordial et très affectueux ». « À la fin de la conversation, le Pape, en prenant congé du cardinal désormais redevenu le Père Billot, se recommanda chaleureusement à ses prières et lui donna une image de la Sainte Vierge en émail, le seul souvenir de son ancienne dignité que l’ex-cardinal ait emporté dans sa retraite.

« Le lendemain, le Père Ledochovsky lui-même accompagnait en automobile le Père Billot jusqu’à Galloro et au moment où celui-ci descendait de voiture, lui prit la main par surprise et la baisa. Ce fut le dernier hommage à son ancienne dignité que l’ex-cardinal ait reçu avant de reprendre sa place comme simple religieux parmi ses frères de la Compagnie de Jésus. »

« Le P. Billot, du reste, explique Mgr Pucci, s’était toujours trouvé assez mal à l’aise sous la pourpre romaine. Il y fut appelé par Pie X en 1911, quand la lutte contre le modernisme avait à peine dépassé la phase la plus aiguë... Le P. Billot, qui était peut-être le maître le plus renommé de la théologie traditionnelle, a contribué largement par ses études et ses travaux à cette œuvre imposante de réorganisation doctrinale qui a été le caractère le plus saillant du pontificat de Pie X. En ce qui concerne le côté religieux de la question politique en France, il fut toujours un des adversaires de la réconciliation entre la République laïque et le Saint-Siège, du rétablissement des relations diplomatiques entre Paris et Rome, de l’approbation des associations diocésaines. »

« Y a-t-il une connexion entre la démission du cardinal Billot et l’attitude de Pie XI envers l’A.F., se demande Mgr Pucci ? Et faisant allusion à la carte envoyée à Léon Daudet et à la note parue à l’Osservatore Romano, il opine ainsi : « Il est donc possible que toutes ces circonstances aient fortifié l’aversion du Cardinal Billot pour les pompes de la pourpre romaine et aient donné pour ainsi dire le dernier coup de pouce à son idée de démissionner en la transformant en résolution irrévocable... Mais on doit absolument exclure des intentions du cardinal la volonté de donner à sa démission le sens d’une protestation contre l’attitude adoptée par le Pape à l’égard de l’A.F. Une telle Volonté serait trop en opposition avec la profonde piété et le dévouement au Saint-Siège qui furent toujours les deux traits saillants de la figure du cardinal. Elle serait trop en contradiction avec la manière dont le Pape et le cardinal se sont séparés pour qu’elle puisse être admise même un seul instant. Mais il se peut que dans l’état psychologique du cardinal cette regrettable affaire de l’A.F. ait eu sa part d’influence. Il se petit que l’épisode de la carte publiée et désavouée dans l’organe officiel du Vatican ait confirmé le cardinal dans l’opinion qu’il n’était pas fait pour prendre part au gouvernement supérieur de l’Église. »

Cependant Mgr Pucci émet l’hypothèse que « en ce qui concerne la forme de l’action énergique déployée depuis un an par le Saint-Siège pour combattre l’A.F. non pas en tant que parti politique mais en tant qu’école philosophique, le Cardinal Billot eut peut-être préféré une autre méthode moins rapide et moins directe ».

En effet, après la mort du R. P. Billot on devait publier une lettre de lui écrite à un de ses anciens élèves, le 12 janvier 1927, qui ne laisse aucun doute à cet égard :

 

« ... Je n’ai pas la force de vous en dire davantage, tant je suis abattu, accablé, consterné de tout ce qui s’est passé depuis le honteux réquisitoire de Bordeaux jusqu’au coup stupéfiant de ces jours derniers. Oh ! qu’il est dur de constater que durant cet interminable procès si piteusement emmanché et si gauchement mené, la raison, l’équité, le bon sens, la mesure, la dignité ont été constamment du côté des accusés, tandis que du côté du juge et de ses assesseurs... je n’ose pas le dire. Qu’il est douloureux d’avoir devant les yeux le cas de conscience affreux auquel on a réduit les catholiques... qui ont travaillé et souffert pour l’Église, qui dépensaient à son service tout ce qu’ils avaient de forces, d’énergies et d’activité ! Mais combien peut-être plus douloureux encore de songer au nombre de jeunes gens dont on aura fauché pour toujours la bonne volonté, qu’on aura profondément scandalisés et induits en graves tentations contre la foi pour faire d’eux des anticléricaux déclarés, de bons et généreux chrétiens qu’ils étaient ! De toutes parts il nous arrive des cris de détresse, et l’on ne sait que répondre, car tout se passe en haut lieu en dehors de toute consultation, de toute explication aussi, hormis celles qu’on a pu lire dans l’Osservatore Romano. HORA ET POTESTAS TENEBRARUM !

« Mais Dieu a son heure, il viendra au secours de son Église. Et nous, hâtons le moment de sa miséricordieuse intervention par nos pénitences et nos prières. »

.   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .  

Infimus in Christo servus. L. B.

 

Cette lettre était écrite treize jours après la condamnation du Saint-Office. Ce qui ne veut pas dire que le R. P. Billot, tout en souffrant dans son cœur de ce que Mgr Pucci appelle « la forme de l’action énergique déployée par le Saint-Siège », entendit pour cela qu’on put s’opposer à l’autorité de Pierre autrement que par « la pénitence et la prière », ainsi qu’il le recommandait à son ancien élève, car le 2 mars 1928, il écrira au R. P. Henri du Passage :

 

« ... Depuis le commencement de la douloureuse crise que nous traversons, j’ai toujours répondu, soit de vive voix, soit par écrit, à tous ceux qui me consultaient sur la ligne de conduite à tenir, qu’il leur fallait non seulement repousser avec soin tout ce qui aurait un semblant d’insoumission ou de révolte, mais encore faire le sacrifice de leurs idées particulières pour se conformer aux ordres du Souverain Pontife. Pour ma part personnelle, je me suis, tout le premier, tenu à cette règle.

« Si donc il est permis à un simple religieux qui a toujours eu un amour ardent pour la Sainte Église et pour son pays, de former un vœu au regard de la situation présente, c’est que tous, même au prix des plus douloureux sacrifices, finissent par se soumettre au Père Commun des fidèles ; car en dehors de là, on ne peut que s’égarer, s’engager dans une voie des plus périlleuses et par là même compromettre gravement son salut éternel... »

C’est là l’opinion traditionnelle de tous les théologiens. Prétendre, comme on l’a fait, que cette lettre ait été imposée au R. P. Billot et qu’il ne pensait pas ce qu’il écrivait, c’est faire injure à son caractère. Tout crie la vérité dans cette lettre et le vœu qu’elle formule n’infirme en rien les sentiments personnels que nous livrait la lettre précédente du 12 janvier 1927 ; elle précise au contraire de quel esprit surnaturel le Père Billot entendait que les fidèles supportassent cette rigueur qui les contraignait à se séparer de leurs alliés politiques.

La démission du R. P. Le Floch, nous apprend ensuite Mgr Pucci, a précédé celle du Cardinal ; elle aurait eu lieu fin juin, à la suite de la visite apostolique de l’abbé bénédictin de Saint-Paul- hors-les-Murs, Dom Hildephonse Schuster.

« Nous ne connaissons pas en détails les résultats de la visite apostolique, mais il est certain que, dès ce moment, la position du P. Le Floch parut très ébranlée. Le Supérieur quittait Rome vers le 20 juillet, démissionnaire ou démissionné, on ne saurait le dire avec une absolue précision. Du reste, en toute cette affaire, il n’y a rien qui puisse jeter une ombre sur les qualités personnelles ou porter atteinte à la dignité sacerdotale du P. Le Floch qui, pendant vingt-trois ans, a dirigé avec tant de zèle le Séminaire français de Rome. Peut-être sa position même de supérieur de cet établissement a-t-elle pesé pour déterminer sa retraite, plus que la valeur intrinsèque de ses aptitudes. S’il y a une charge délicate qui exige le maximum de prudence, de discrétion, de savoir-faire, outre naturellement les qualités morales et intellectuelles nécessaires à tout ecclésiastique qui est appelé à s’occuper de l’éducation du clergé, c’est bien celle d’un supérieur d’un Institut d’où doit sortir – et d’où sort – la fine fleur du clergé français... Or, surtout, en ce moment où – l’on ne saurait le dissimuler – un changement radical s’opère dans certaines attitudes du clergé et des catholiques français par rapport à la politique, on a jugé que le P. Le Floch ne semblait pas l’homme le mieux indiqué et le plus adapté non seulement pour se conformer aux nouvelles directives, mais pour en enseigner et diriger l’application. »

Une lettre du P. Le Floch à M. Lucien Corpechot, parue six mois auparavant dans le Figaro du 4 avril 1927, ne laissait plus de doute, en effet, sur les sentiments du P. Le Floch :

« J’ai donné ma démission pour les mêmes raisons que le cardinal Billot. On n’a pu trouver de moi ni une parole ni un acte, ni un écrit, mais on m’a supposé sympathisant du côté monarchique et A.F. J’avais contre moi depuis longtemps le cardinal Cerretti, d’abord nonce Cerretti. Il ne me trouvait pas à la page. Et de fait nous luttions contre le libéralisme, le laïcisme, les principes de la Révolution, au point de vue doctrinal. Or, il s’est rencontré que l’A. F. luttait contre ces mêmes fléaux, mais au point de vue politique. Le cardinal Cerretti n’a pas su faire cette distinction, et c’est le fond de la question.

« L’imagination, la jalousie, la méchanceté, se sont mises à chercher des motifs à mon éloignement de Rome. Et voici ce qu’elles ont répandu dans toute la France, principalement dans le clergé : comme consulteur de la suprême congrégation du Saint-Office, j’avais droit de demander les documents relatifs à l’Affaire Maurras sous le pape Pie X. Ces documents je les aurais gardés très longtemps pour les soustraire au Pape qui les cherchait en vain. Or un jour, le Pape appelle son camérier à 4 heures du matin, car il avait eu un songe providentiel ! Il lui commande de prendre deux gardes suisses et deux gardes nobles, de se rendre au Séminaire Français pour sommer le Père Le Floch de rendre les documents. Et il fallut le sommer trois fois.

« Inutile de vous dire que tout cela est inventé dans tous les détails. Mais cela court les presbytères, les évêchés et même les châteaux.

« Un évêque aussi, l’Évêque d’Oran, dans un entretien à son clergé contre l’A.F., a eu l’impertinence ingénue de faire écho à cette légende absurde. Tant que ce ne sont que des crétins qui disent ces choses, on hausse les épaules. Mais devant ce dernier incident je ne pouvais plus me taire. J’ai saisi l’occasion de la publication de cela dans un petit journal suisse pour lui envoyer un démenti.

« L’Évêque d’Oran devrait évidemment rétracter. Le fera-t-il ? Je n’en sais rien.

« Je vous donne tous ces détails pour que si vous écrivez un mot sur cette affaire vous ayez ce qui est utile.

« L’ensemble de cette affaire de ma démission est plus une affaire de doctrine, d’antilibéralisme qu’une question d’A.F. Ce sont nos idées antilibérales qui ne plaisent pas au nonce Cerretti. Déjà à Paris, il m’accusait d’influer contre lui et ses idées sur les évêques et même sur la curie romaine.

« Quand M. Herriot attaqua le Séminaire Français à la Chambre à propos des conférences de notre Académie libre de théologie, le Nonce Cerretti s’est montré très satisfait et ce ne fut pas de notre côté, mais du côté de M. Herriot.

« Si vous vouliez vous documenter encore, vous trouverez dans le Temps du 4 novembre un article d’un correspondant romain qui est assez exact dans la première partie ; mais à la fin, quand il dit que l’enquête que j’avais demandée me fut défavorable, il se trompe.

« Pardon de tout cela. Merci de ce que vous pourrez faire. En somme il s’agit d’anéantir cette puissance de mensonge qui s’exerce lamentablement. Voyez si vous pourrez tirer quelque chose de là. Il faudrait qu’on puisse cingler cette odieuse manie, et un grand journal, qui publierait un article sur le fond rendrait vraiment service, même à Rome. »

Mais nous ne pouvons quitter notre cher Mgr Pucci, car il a encore à nous révéler bien des choses.

« Qu’il nous soit permis de signaler un étrange préjugé qu’acceptent plus ou moins explicitement beaucoup de ceux qui sont enclins à critiquer l’attitude du Vatican dans cette question... On prétend que le Pape, en frappant l’A.F. en France, prend une sorte de revanche sur la condition où il se trouve de ne pouvoir combattre à fond le fascisme en Italie.

« Cette façon d’envisager les choses est très grossière et très superficielle. La diversité d’attitude du Pape vis-à-vis de la situation politique en Italie et de la situation politique en France n’est qu’apparente. En réalité cette diversité apparente est la confirmation la plus éloquente de la cohérence des principes dont le Saint-Siège s’inspire dans tous les États et en face des situations politiques les plus différentes ces principes sont : la reconnaissance du pouvoir qui, de fait, gouverne le pays et le loyalisme envers ce pouvoir, par conséquent la volonté absolue que l’Action religieuse catholique soit nettement en dehors et au-dessus de l’action politique.

« Or en France le pouvoir établi est la République et le mouvement monarchique fait figure d’un prétendant qui tâche de renverser le régime existant. D’où s’ensuit la nécessité, non pour les catholiques pris individuellement qui, tous et chacun, sont maîtres d’avoir leurs préférences politiques personnelles en se conformant toutefois aux prescriptions générales de la morale sociale chrétienne, mais pour les catholiques pris collectivement en tant que collectivité agissante dans la vie politique, de ne pas se solidariser avec ce mouvement. En Italie, au contraire – bien que l’avènement du fascisme n’ait pas changé la constitution du pays ni la forme monarchique du pouvoir – le régime parlementaire, au sens démocratique du mot, est dépassé pour faire place à une nouvelle forme de régime, n’ayant pas de précédents historiques, et qui s’appelle tout court « régime fasciste ». En face de ce régime, le parti populaire auquel les catholiques avaient adhéré avant le fascisme ne pouvait être qu’un parti d’opposition dont le seul but était de renverser le pouvoir fasciste. D’où la nécessité pour les catholiques italiens, en tant que tels, de se séparer de ce parti et de briser les liens qui les y attachait.

« En résumé : en France pouvoir de gauche, parti d’opposition de droite. Le Pape dit : Les catholiques doivent adhérer au pouvoir établi. Conséquences : nécessité pour les catholiques comme tels de sortir du parti de droite. En Italie, pouvoir de droite, parti d’opposition de gauche. Le Pape dit : les catholiques doivent adhérer au pouvoir établi. Conséquences : nécessité pour les catholiques comme tels de sortir du parti de gauche. »

On pourrait faire observer à Mgr Pucci que, ni à l’Action Française, ni ailleurs, les catholiques n’ont adhéré à un mouvement politique quelconque, en tant que catholiques, mais seulement en tant que citoyens et au nom de cette « juste liberté politique » reconnue jusqu’ici par le Saint-Siège et que cette distinction entre catholiques pris individuellement et catholiques pris collectivement, a bien l’air de n’être là que pour brouiller les cartes, comme si ces « nouvelles directives » dont nous parle Mgr Pucci avaient intérêt à confondre le respect dû en tout temps au pouvoir établi et un certain opportunisme dont les résultats jusqu’à présent, tout au moins en France, ne semblent guère avoir avancé la Paix du Christ.

Par ailleurs, un catholique n’a pu qu’être douloureusement déconcerté lorsqu’il a vu en 1931 que cet opportunisme si impérieusement exigé en certaines circonstances cessait soudain de l’être à l’occasion des élections espagnoles. Bien que la Monarchie fût alors le pouvoir établi et que, par conséquent, les catholiques eussent dû, selon ces nouvelles directives, être tenus de le soutenir, on vit non seulement les fidèles, mais le clergé en masse voter contre lui pour la République et renforcer la Maçonnerie dans son plan insurrectionnel. Les articles de la Croix, de l’Osservatore Romano, constatèrent cette hostilité sans le moindre blâme et le Roi n’avait pas encore franchi la frontière qu’une dépêche du Vatican s’empressait d’approuver le nouveau gouvernement populaire. Dans un article des Études du 5 mai 1931, le R. P. Lhande, sans songer un seul instant à mettre en cause la responsabilité des catholiques espagnols qui livraient ainsi leur pays à la Maçonnerie, préférait en rejeter la faute sur la dictature de Primo de Rivera et il écrivait avec sérénité : « Certes les hommes que la République espagnole a amenés, du premier coup, au pouvoir, ne répondent pas, nous en convenons, à l’idéal de ceux qui rêveraient de voir se perpétuer, sous un régime démocratique, tous les privilèges dont jouissait l’Église catholique sous l’Ancien Régime. Dès leur avènement, ils ont déclaré leur volonté de séparer l’État de l’Église et de donner à tous les cultes une égale liberté... Mais, malgré tout, n’est-il pas possible de concevoir, sans aucun détriment pour la conscience et pour l’honneur, une entente, même immédiate sur les bases de la liberté et d’une certaine égalité, avec les pouvoirs actuellement constitués... M. Alcala Zamora, président du Conseil, est un catholique pratiquant, M. Miguel Maura, fils du grand leader conservateur, l’est aussi. D’autres ministres que nous ne nommerons pas ont, en dépit de leurs étiquettes, le sens de la mesure, de la sagesse et de l’ordre. Que si nous rencontrons dans la liste ministérielle quatre ou cinq francs-maçons notoires, est-il permis de penser qu’ils se rallieront à la politique d’union et de sagesse qu’imposent les évènements ? » Et le Révérend Père recommandait « une adhésion loyale au régime actuel », persuadé du triomphe des éléments modérés dans l’élaboration d’un nouveau concordat. « Toute violence de parti pris, conseillait-il, toute imprudence même aurait pour conséquence immédiate de compromettre gravement cette nouvelle entente avec le Vatican. »

Il n’y eut ni violence de parti pris, ni imprudence, mais l’encre de l’article venait à peine de sécher que les couvents étaient pillés et incendiés, les églises profanées, la laïcité intégrale de l’État proclamée, tout concordat repoussé, les Jésuites expulsés, cependant que toutes ces belles choses se passaient sous l’œil indulgent de M. Alcala Zamora, catholique pratiquant, nommé à l’unanimité président de la République laïque...

 

                                      Ces choses-là sont rudes,

        Il faut pour les comprendre avoir lu les Études...

 

C’est qu’une République démocratique est une bête bien moins innocente que ne l’imagine un bon père Lhande devant son microphone. Il n’aurait eu pourtant qu’à ouvrir les livres des docteurs et des prophètes de cette nouvelle religion – car c’en est une – pour savoir ce qu’elle porte dans ses flancs. Un de ses pontifes les plus puissants dont le rôle international pendant la guerre fut parmi les tout premiers, le F.˙. Massaryck, président de la République Tchécoslovaque, a écrit dans son livre la Résurrection d’un État, à la page 435, au chapitre Démocratie et Humanité (Plon, 1930), ces lignes révélatrices :

« L’État Démocratique est un État nouveau. Les théoriciens l’ont défini et caractérisé de toutes sortes de façons : on le nomme constitutionnel, légal, bureaucratique, économique, culturel ; toutes ces définitions ont quelque chose de juste, mais ce qui fait que l’État démocratique est nouveau, c’est que ses fins et son organisation procèdent d’une nouvelle conception du monde, d’une conception non théocratique. Voilà la nouveauté. L’État moderne a pris les fonctions de la théocratie, surtout de l’Église, et c’est par là qu’il est un État nouveau. L’État d’autrefois ne s’occupait ni de l’école, ni de la culture des esprits ; toute l’éducation de la société était dirigée et donnée par l’Église : au contraire l’État nouveau a, pas à pas, pris la charge de tout l’enseignement. Comme la Réforme, l’humanisme et la Renaissance avaient fait naître une morale et une moralité nouvelles, laïques, l’État a repris à l’Église aussi la CHARITÉ pour la transformer en législation sociale. En face de l’État moderne, l’État d’autrefois était fort peu de chose ; je dirais volontiers qu’il ne pensait pas ; l’Église pensait pour lui. Si, sous la théocratie, la Philosophie (scholastique) était ancilla theologiæ, le vieil État médiéval était servus ecclesiæ. En se laïcisant l’État a dû commencer à penser. Il s’est chargé des fonctions de l’Église, il les a étendues et multipliées. C’est pour cela qu’il est un État nouveau et démocratique. »

 

Que celui qui peut comprendre, comprenne.

 

 

 

 

 

 

VI

 

 

MÈRE, GARDEZ-VOUS À GAUCHE

 

 

Le Sillon convoie le socialisme, l’œil

fixé sur une chimère... Il ne forme plus

 dorénavant qu’un misérable affluent du

 grand mouvement d’apostasie organisé

dans tous les pays, pour l’établissement

d’une Église universelle qui n’aura ni

dogmes ni hiérarchie...

 

(PIE X, Lettre Notre charge apostolique.)

 

Personne n’a joué son rôle,

Personne ne sera sauvé.

 

(Chateaubriand, Mémoires

d’outre‑tombe, t. VII, p. 292.)

 

 

Nous savons maintenant ce qu’est la Révolution. « C’est un drame, dit très bien Cochin, où l’homme personnel et moral est peu à peu éliminé par l’homme socialisé, lequel ne sera plus à la fin qu’un chiffre, un figurant abstrait. » Parodie démoniaque du message évangélique de la fraternité, elle est aujourd’hui comme elle était hier, comme elle sera demain. « N’imaginons pas que ce soit du passé, dit encore Cochin ; le rêve ne s’est pas évanoui, l’idée chemine toujours : Rousseau a divinisé le peuple ; M. Durkheim a socialisé Dieu : Dieu, pur symbole du social, le social, seule réalité. » Nous savons maintenant que le Peuple dont on parle comme de l’émanation même de la Toute-Puissance divine et dont Michelet et Hugo ont chanté les colères inspirées, le Peuple n’est pas l’ensemble d’une nation ainsi que le croient toujours les profanes, mais une minorité d’initiés liés par le secret, ce qu’Augustin Cochin appelle le petit peuple des sociétés de pensée, à savoir le Jacobin en 93, le libéral sous la Restauration et la Monarchie de Juillet, le républicain sous le second Empire, le radical il y a cinquante ans, aujourd’hui le radical-socialiste, demain le socialiste, après-demain peut-être le communiste, car on ne fait pas sa part à la Révolution et elle entraîne toujours ses croyants avec une logique implacable. « Pas d’ennemis à gauche » correspond au « Hors de l’Église point de salut » du dogme catholique.

« Il faut mériter d’être républicain », disait sévèrement le F.˙. Boret à Tardieu dans la mémorable séance du 4 Décembre 1930. Au moment où se révèle une crise économique des plus graves, où le nationalisme allemand s’organise menaçant, les princes des prêtres et les anciens du Peuple oublient tout pour jeter le cri d’alarme : « Le laïcisme est en péril ! » Véritables assises du Tribunal révolutionnaire que ce sénat où le ministre de l’optimisme figure au banc des accusés ! Il a quitté le port avantageux qu’il étalait à la Chambre ; il sait que le grand Sanhédrin de la République une et indivisible a décrété sa mise hors la loi comme hérésiarque. Déjà, dans le langage rituel des excommunications maçonniques, l’accusateur public, en l’espèce le F.˙. Héry, prononce le réquisitoire. Après des critiques de pure forme sur la politique générale, il articule le grief essentiel : le ci-devant Tardieu a nommé des préfets qui ne sont pas de la stricte observance et a fait entrer des profanes dans le saint des saints ; il a commis le monstrueux sacrilège de partager quelques miettes du gâteau sacré avec trois infâmes cléricaux que nulle protestation de laïcisme n’a pu, ne peut, ne pourra jamais laver de leur tare originelle. N’ont-ils pas fait attribuer des subventions à des patronages religieux ? Bien plus, deux d’entre eux n’adhéraient-ils pas à une association qui a osé traiter Ferry de « promoteur exécrable de l’Enseignement laïque » ? À ces révélations, les princes des prêtres et les anciens du peuple ont déchiré leurs robes et crié anathème à l’impie qui a laissé souiller le Temple et blasphémer le Baphomet. En vain, à cette brutale offensive, le malin Tardieu a tenté de dérober le fer et feint de ne pas prendre au sérieux ce procès théologique. Espérant s’en tirer encore un coup avec une profession de foi laïque toute verbale, il a vite ramené le débat sur sa politique générale ; mais il ne sent plus l’atmosphère de confiance qu’il aime tant à créer autour de lui ; alors, au lieu de foncer sur l’adversaire, il se retranche timidement sur des positions précaires et déjà entamées par l’ennemi ; ainsi pour expliquer son pacte contradictoire avec Briand, il avoue que la partie était déjà engagée quand il a pris le pouvoir. « Il fallait opter, déclare-t-il, entre le renversement d’une politique ou sa continuation. » Il a préféré continuer. C’est tout. « J’ai fait de mon mieux », s’excuse-t-il, comme un écolier pris en faute et il tombe par terre au milieu de son optimisme, de son plan d’équipement, de sa prospérité et de ses discours aux commerçants et aux industriels.

Cet exemple, entre mille, nous montre que la mystique du parti prime toujours, tôt ou tard, en démocratie, les intérêts nationaux et que la machine des assemblées brise les meilleurs ministres quand le salut maçonnique est en jeu. Tout récemment, nous avons vu la même mise hors la loi décrétée contre le cabinet Laval par le même Sénat, parce que la suppression du second tour de scrutin soutenue par le ministère risquait, aux prochaines élections, de porter un coup fatal au Cartel des Gauches. Tardieu est revenu sans doute avec Laval, après mille ruses de guerre et aussi grâce à la trop impatiente avidité des maçons du Sénat non moins qu’à la maladresse de Painlevé ; mais la réforme électorale a été abandonnée par le ministère ; grâce à l’incohérence du ballottage, radicaux et socialistes ont pu s’unir au dernier tour pour écraser les modérés.

Ces portefeuilles de ministre que nos fantoches se renvoient de droite à gauche et de gauche à droite, comme des volants de raquette, c’est la parade avec la grosse caisse et le cornet à piston, le singe qui frappe des cymbales et le pitre enfariné qui gesticule avec ses longues manches pendantes ; rien n’y manque. Mais, n’attachons pas plus d’importance qu’il ne convient à l’un de ces intermèdes comiques comme nous en avons tant vus ; bientôt, le rideau va se lever sur le cinquième acte du véritable drame, fort bien composé, ma foi, par le plus habile des régisseurs. La pièce s’appelle la Mort d’un peuple ; le plus tragique, c’est que nous y sommes tous acteurs, sans le savoir, la plupart du temps, et que nous y servons, comme des somnambules, les ténébreux desseins des meneurs du jeu... Ah ! qui nous réveillera !

Les naïfs raisonnent toujours comme si les majorités étaient immuables. Or, les majorités ne sont pas des abstractions ; elle se composent d’hommes en chair et en os soumis à toutes les tentations. Le sérieux avec lequel s’indignent les journaux modérés contre ce qu’ils appellent la tyrannie des partis est vraiment d’une ironie amère. Sommes-nous en démocratie, oui ou non ?

Or, la démocratie est essentiellement le régime des partis ; jamais la majorité nominale ne gouverne parce qu’elle a vite fait de se désagréger sous l’attraction des partis extrêmes qui l’intimident et lui dictent leur loi, ouvertement ou en sous-main, selon les circonstances. Le Club des Cordeliers, celui des Jacobins s’appellent aujourd’hui le Comité de la rue de Valois, la Loge de la rue Cadet ; c’est toute la différence...

Ce qui condamnera toujours les modérés à une perpétuelle duperie dans un gouvernement démocratique, c’est qu’ils n’osent ou ne peuvent avoir une doctrine propre ; ils se croient très fins en empruntant à la Révolution son vocabulaire et en l’habillant d’un uniforme de gardien de la paix. Mais il ne suffit pas d’enlever l’étiquette Démocratie ou Laïcité sur la bouteille de vitriol jacobin et de la coller sur un flacon d’orgeat pour ôter à ces mots leur virulence spécifique. Les Docteurs de la Loi crient à la fraude et ils n’ont pas tort. Alors les modérés ajoutent, résignés, toujours plus de vitriol à leur orgeat, mais la couleur ne sera jamais celle du pur vitriol ; il y aura toujours cette indélébile blancheur initiale. Pour la faire oublier, ils sont prêts à toutes les concessions, c’est ce qu’ils appellent la politique du moindre mal. Mais c’est ainsi que le Monstre Social, dans un immense bâillement, continue d’engloutir les pauvres modérés entre ses mâchoires gluantes...

On songe au dernier chant de l’Enfer lorsque Dante évoque, pris dans la glace jusqu’au poitrail, l’Empereur du Royaume douloureux qui mâche sans fin dans sa triple gueule d’où coule une bave sanglante Judas, Brutus et Cassius, tandis que continue de retentir toujours, dans l’air gelé, la réponse implacable de l’Ange noir au pourquoi de ses victimes : – Tu ne savais donc pas que j’étais logicien ?

 

 

L’année dernière on pouvait lire sur la bande du curieux livre du libéral M. Siegfried, Tableau des Partis en France, cette épigraphe singulière de Goethe qui nous jeta dans un abîme de songe :

« L’enfer aussi a ses lois. »

 

 

Mais est-il normal que les catholiques se résignent de si bon cœur à s’adapter aux lois de l’enfer ? « Il s’agit bien moins désormais, écrivait Augustin Cochin à Édouard Le Roy, de la guerre entre l’autorité et la liberté, entre la foi et la raison, que d’une lutte entre deux autorités, deux dieux : le Christ et la Société. J’entends la seule rationnelle et parfaite : la Démocratie directe ».

Une barbarie bien plus redoutable que celle des premières invasions s’empare lentement de nos cités, car les Francs, les Burgondes et les Normands n’exigeaient des Gallo-Romains que des terres où ils pussent s’établir et ils finissaient par se fondre tous dans l’ensemble du pays. Mais les nouveaux barbares convoitent bien plus que des champs et des maisons, ils annexent nos âmes, en chassent nos dieux tutélaires et installent à leur place le culte de leurs grossières idoles. Ce « flot montant de la barbarie » dont parlait Renan est bien plus comparable à la marée de l’Islam qu’à la ruée germanique. Comme les sectaires du Croissant, les séides du Progrès laïque et obligatoire disent aux Chrétiens : « Crois ou meurs. » Une doctrine sociale s’impose par la force, hors de laquelle il n’y a point de salut, une doctrine d’État qui, par son enseignement, est en train de vider insensiblement l’Occident de ses traditions et de ses vertus, strictement de toute sa mémoire héréditaire.

Il y a sous les tropiques des maisons qui paraissent solides, bien que, lentement mais sûrement, des termites soient en train d’en ronger toute la structure interne. Un jour leurs habitants s’assoient sur des chaises et les chaises tombent en poussière ; ils s’appuient aux murs et les murs s’écroulent. Ainsi en est-il de notre civilisation dont nous sommes si fiers. Renan a dit depuis longtemps que nous ne vivions que du parfum d’un vase vide. Renan parlait du christianisme, mais comme le christianisme lui-même était la respiration même de notre âme depuis plus de mille ans qu’il nous avait enfantés à la vie, avec lui nos vertus naturelles commencent aussi à s’évaporer.

Il paraît, en effet, que nous devons cesser de préférer notre patrie pour devenir européens ; le bien de l’humanité l’exige. Croire à la vocation particulière de sa race, être fidèle à son passé, nous disent de pesants livres et des articles oraculaires, ce serait arrêter l’essor des grandes collectivités vers un paradis de dynamos et de bielles où l’odeur du gaz carburant et des huiles de graissage remplacera les baumes de l’Arbre de vie. Peut-être, cependant, est-ce précisément notre vocation sur la terre, à nous chrétiens, de protester contre cette mécanisation de l’homme et de témoigner qu’il ne nous sert à rien de dominer toutes ces forces matérielles si nous venons à perdre notre raison de vivre ici-bas...

Une sorte de torpeur pèse sur la nation. En vain, les bonnets carrés se livrent à de longues dissertations sur les savants dosages qu’il convient de faire entre l’autorité et la liberté, les rapports de l’exécutif et du législatif, alors que la notion même du pouvoir est corrompue.

Il s’agit bien plus encore, en effet, que d’une crise politique : la nature même de l’homme est en question, son origine et sa fin. Le problème est d’ordre religieux et on ne l’éludera pas dans un compromis mensonger. Deux mystiques s’affrontent, irréductibles. Nous touchons à la fin de l’équivoque qui dure depuis cent cinquante ans.

Aussi longtemps que les modérés ne comprendront pas que la République démocratique et sociale est une religion qui a ses dogmes, ses prêtres, ses fidèles, son initiation et ses excommunications, ils ne sortiront pas de leur esclavage, parce qu’ils auront beau faire des professions de foi où les mots de démocratique et de social seront abondamment prodigués, comme ils ne peuvent donner à ces mots le même sens que leurs adversaires, ils seront toujours regardés comme des mécréants. « La République aussi est une croyance », rappelait Viviani à un député catholique. Nul ne peut l’ignorer, sous prétexte de réalisme, et Tardieu s’est vu reprocher par le Sénat son matérialisme.

Lorsque Cochin tomba le 8 juillet 1916 au pied du Calvaire mutilé de Hardecourt (« Vois comme ils l’ont abîmé ! » avait-il dit auparavant à l’un de ses hommes), son ordonnance accourut auprès de lui, reçut ses dernières volontés et récita la prière à haute voix avec lui. Quand elle fut achevée, Augustin Cochin lui dit : « À présent laisse-moi penser. »

 

 

C’est un fait historique que sur les ruines de la chrétienté, sapée d’abord par le protestantisme, ensuite par le philosophisme, s’est élevée progressivement (cela s’est justement appelé le progrès des lumières) une croyance en une humanité infaillible et autonome, ne recevant de lois que d’elle-même et, en théorie, n’obéissant qu’à elle-même, littéralement la religion de l’homme mis à la place de Dieu et se faisant adorer comme s’il était Dieu, apostasie suprême annoncée pour les derniers temps, au début de la deuxième Épître aux Thessaloniciens et que rappelait Pie X dans sa première Encyclique où passait un frisson tragique. La Charte de cette rébellion se trouve dans le Contrat Social de Jean-Jacques dont le froid délire a inspiré toutes les constitutions modernes.

Jamais, jusque-là, on n’avait songé à retirer à Dieu son autorité, sa justice et sa bonté pour en faire les attributs originels de l’humanité. Toujours les cités, depuis l’antiquité la plus reculée et chez les peuplades les plus sauvages, s’étaient mises sous la protection des dieux. Qu’un être éphémère, soumis à toutes les faiblesses et à la pire, celle qui les résume toutes, la mort, se prétendit le maître du monde, par droit personnel, c’était mille fois plus incompréhensible que le mystère de l’Incarnation, et il fallait toutes les fumées de l’orgueil et aussi une certaine séduction ténébreuse, plus puissante et plus cachée, pour l’accepter sans éclater d’un rire méprisant. Il y avait, à la racine, une contradiction formidable un peuple proclamé souverain absolu, devait obéir sans réserve à ses délégués, c’est-à-dire aux exécuteurs de ses propres volontés. Naturellement les exécuteurs devaient manquer d’autorité et le souverain de soumission. Mais les sectateurs de la nouvelle religion s’en tirèrent par la bande et, dans la confusion des partis, surent imposer par le fer et par le feu, le mythe d’une humanité abstraite, engendrée soi-disant par une urne sacramentelle où l’on glissait de petits carrés de papiers. Cette humanité, évidemment, n’avait rien de commun avec l’ensemble des hommes en chair et en os que l’étude des lois physiques et morales, le témoignage de l’histoire, nous révèlent ; elle avait beau appeler son despotisme la volonté générale et l’incarner dans la Loi, autre divinité féroce, pire que le fatum antique, elle n’était que la tyrannie secrète d’une minorité qui, seule, savait, l’ayant inventée, manœuvrer les ficelles de la nouvelle société sans Dieu ni maître qui remplaçait la chrétienté.

Ce qu’on a appelé les conquêtes de la Révolution n’est en réalité qu’un dogme implacable, affermé par un parti à l’exclusion de tous les autres. « Le suffrage universel, c’est nous », peut-on lire sur le socle de la statue de Gambetta, au Carrousel. Ce parti, impitoyable même pour ses propres membres lorsqu’ils hésitent ou louvoient dans l’œuvre destructrice que postule le Credo de la Révolution, ce parti a su étendre ses conquêtes avec une admirable méthode, tantôt souterrainement, comme sous le Premier Empire, tantôt combinant l’infiltration et la démonstration violente comme sous la Restauration, la Monarchie de juillet, la République de 1848, puis reprenant son intrigue cachée sous le Deuxième Empire, et dévoilant enfin franchement son jeu sous la Troisième République. On peut dire qu’il ne compte que des victoires, usant tous les gouvernements, les pliant à ses volontés ou les brisant quand ils résistent, précisant et renforçant ses dogmes, de Rousseau à Durkheim et à Bourgeois, les incarnant par étapes savantes dans les institutions et les lois, les décrétant intangibles et finissant par le faire croire à ses adversaires. Comme autrefois dans le culte mosaïque, Dieu s’appelait Iaveh, Adonaï, Élohim, Sabbaoth, noms divers d’une même divinité, ainsi maintenant cette intangible Volonté générale, révélée au monde par un demi-fou, comme l’émanation sacrée d’une humanité autonome qui n’a plus de comptes à rendre à personne qu’à elle-même, cette Volonté générale s’appelle Démocratie, Progrès, Révolution, République, Humanité, Laïcité, mais c’est toujours la même Puissance qui ne souffre aucun partage, gardée jalousement par ses prêtres et ses docteurs.

« Nous sommes chargés, proclamait Viviani, le 15 janvier 1901, à la Chambre, lors de la loi sur les associations, nous sommes chargés de préserver de toute atteinte le patrimoine de la Révolution. Nous nous présentons ici, portant en nos mains, outre les traditions républicaines, ces traditions françaises attestées par des siècles de combat où, peu à peu, l’esprit laïque s’est dérobé aux étreintes de la société religieuse... Nous ne sommes pas seulement face à face avec les Congrégations, nous sommes face à face avec l’Église catholique... La vérité, c’est que se rencontrent ici, selon la belle expression de M. de Mun, en 1878, la société fondée sur la volonté de l’homme et la société fondée sur la volonté de Dieu. »

Viviani faisait allusion à l’admirable doctrine sociale que La Tour du Pin avait élaborée en collaboration avec son ami, Albert de Mun, au lendemain de la Commune, sous le nom d’Œuvre des Cercles. Avec une lucidité vengeresse, le maître incomparable des Jalons de route avait montré comment l’individualisme révolutionnaire, en brisant les associations corporatives, était responsable de la « misère imméritée » des foules ouvrières, livrées sans défense au machinisme industriel qu’exploitait une bourgeoisie nourrie du « laissez faire, laissez passer » de Voltaire et des physiocrates. Il se proposait par l’association de refaire un ordre social chrétien qui, seul, eut pu réagir contre l’avilissante servitude à laquelle un État omnipotent prétendait contraindre haineusement toutes les consciences, sous prétexte de liberté, d’égalité et de fraternité. Ce fécond réveil contre-révolutionnaire fut soudain étouffé avec son initiateur : c’est une histoire encore obscure, mais qu’il conviendra un jour d’éclaircir afin de rendre à chacun ce qui lui est dû.

Tout ce qu’on peut dire, c’est que la consigne courut dans le parti catholique qu’on devait cesser le feu et chercher à s’entendre avec l’adversaire. Un esprit nouveau soufflait, disait-on. Plus de luttes doctrinales ; il suffisait de demander la liberté qui serait sûrement accordée. La liberté ! comme s’il pouvait s’agir de cela ! C’était une question de force entre deux doctrines irréconciliables et on ne pouvait traiter qu’une fois vainqueurs, comme avaient fait un O’Connell en Irlande, un Windthorst en Allemagne, comme les Évêques belges lors de la loi sur l’Enseignement.

Or, sous prétexte de se rallier au gouvernement établi, les instigateurs du mouvement ne furent pas longs à épouser aussi, implicitement ou explicitement, ses doctrines. Partis pour christianiser la démocratie telle que Jean-Jacques l’avait révélée dans son Contrat social, ils n’aboutirent qu’à démocratiser leur christianisme, tâche difficile, semée de pièges, parce qu’elle nécessite à chaque pas, des distinctions subtiles sur les différents sens que les théologiens permettent de donner au mot de démocratie.

Pendant ce temps la Démocratie, la vraie, l’orthodoxe, exigeait toujours plus de gages.

Les décrets d’expulsion contre les congrégations, la laïcité de l’enseignement, répondirent immédiatement à notre politique de ralliement. Comme esprit nouveau, ce fut réussi. On raconte que Léon XIII, accablé de tristesse devant une telle perfidie, aurait laissé échapper cette plainte déçue : « Ils m’ont trompé ! » En vain, les conciliateurs laïcisaient le plus qu’ils pouvaient leur vocabulaire, employant le mot de social à propos de tout. On apprit alors que jusqu’aux environs de 1890, l’Église n’avait pas été assez sociale, qu’elle avait laissé les gouvernements monarchiques (dernières survivances comme l’on sait du despotisme païen) exploiter le peuple par faiblesse, mais qu’heureusement la Révolution était venue réveiller sur la terre, avec l’échafaud, la loi du maximum, la destruction des corporations, la négation de la famille et le libéralisme économique, l’authentique ferment évangélique. On pourrait désormais faire la paix avec le progrès moderne contrairement à ce qu’en avait pensé le Syllabus : on l’aurait faite avec Satan lui-même tant l’amour embrasait les cœurs. Bientôt il n’y aurait plus qu’un seul troupeau de boucs et de brebis qui nommerait son pasteur à la majorité des voix. Telle serait la république démocratique du Christ. Ils ne se doutaient pas, les malheureux, que dans leur peur de passer pour des partisans du trône et de l’autel, ils faisaient exactement ce qu’ils reprochaient au clergé de la Restauration, en flagornant bassement le pouvoir, avec cette seule différence que la monarchie, au moins, n’avait pas renié ses sources chrétiennes, tandis que l’alliance du bonnet rouge et de l’autel entraînait à des capitulations plus humiliantes. Loin de remédier au mal, ils l’ont aggravé, en apportant leur adhésion timide ou turbulente à une mystique essentiellement destructrice de tout l’ordre chrétien. Aujourd’hui, il n’y a plus de politique catholique ; il n’y a, selon les tempéraments, qu’un socialisme incomplet ou un opportunisme profitable.

Étudier et propager l’Encyclique Rerum Novarum, c’était fort bien, mais cela n’obligeait pas de dédaigner l’Encyclique Humanum Genus sur la secte des francs-maçons et Diuturnum illud sur l’origine du pouvoir civil, toutes deux incomparables, du même grand pape. Ils y auraient vu que les dogmes démocratiques auxquels ils prétendaient se rallier « sont en un si complet et si manifeste désaccord avec la raison qu’il ne se peut imaginer rien de plus pervers ». Or, pouvons-nous reconnaître ce que l’Église, par la voix de son chef, trouve pervers ? Tel était le problème que posait, il y a cinquante ans, à l’origine du ralliement, un Pape non suspect d’intransigeance mais qui ne craignait pas de déclarer : « Les princes dont la volonté est en opposition avec la volonté et les lois de Dieu, dépassent en cela les limites de leur pouvoir et renversent l’ordre de la justice ; dès lors, leur autorité perd sa force, car ou il n’y a plus de justice, il n’y a plus d’autorité. »

C’est ce que les catholiques français n’auraient jamais dû cesser de témoigner au lieu de se réfugier dans un précaire droit commun qui ne pouvait rien sauver.

Mais aujourd’hui, à cause de leur silence complice, les notions du juste et de l’injuste sont tellement brouillées qu’il est humainement impossible d’en sortir. Aucune issue légale, en tout cas, la loi même étant manifestement viciée dans son essence, puisqu’il est entendu qu’elle n’émane que de l’homme. Or, la loi n’appartient qu’à Dieu. Quand l’homme s’en empare, elle se retourne contre lui et le dévore. C’est ce que nous voyons aujourd’hui.

Les catholiques français ont manqué au monde. C’est pourquoi leur responsabilité sera lourde dans l’histoire politique de ces cinquante dernières années.

 

 

 

 

APERÇU

DES PRINCIPAUX OUVRAGES CONSULTÉS

 

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PRINCE SIXTE DE BOURBON : L’Offre de Paix séparée de l’Autriche (5 déc. 1916-12 octobre 1917), avec deux lettres autographes de l’empereur Charles et une note autographe du Comte Czernin. Plon, éd., 1920.

COMTE DE FELS : L’Entente et le Problème autrichien (Grasset, 1918).

JÉRÔME TROUD : Les gestes d’un empereur. 1. Ce que Charles Ier a fait pour la paix (Revue hebdomadaire, 19 septembre 1931).

ERNEST RENAULD : Histoire Populaire de la Guerre (1914-1919), Tolra, éditeur, 1921).

J.-M. BOURGET : Les origines de la Victoire ; histoire raisonnée de la guerre mondiale (La Renaissance du Livre).

J. DE PIERREFEU : G. Q. G. Sect. I, 2 vol.

EMIL LUDWIG : Juillet 1914 (Payot, 1929).

T. C. MASARYK, président de la République Tchécoslovaque : La Résurrection d’un État, souvenirs et réflexions, 1914-1918, traduit du tchèque par Fuscieu Dominois. Paris, librairie Plon (1930).

PIERRE CHASLES : La vie de Lénine (Plon, 1926).

CHARLES MAURRAS : Le Pape Benoît XV et la guerre (Téqui, 1921).

PUBLICATIONS du Comité Catholique de Propagande française à l’étranger (Bloud et Gay, éd.).

a) L’Allemagne et les Alliés devant la conscience chrétienne, par Mgr Baudrillart, Mgr Chapon, MM. de Lanzac, Laborie, Denys Cochin, R. P. Janvier, Mgr Batiffol, baron d’Anthouar d’Edmond Bloud. De ce dernier, sous ce titre : le Nouveau Centre et le Catholicisme : à noter un réquisitoire très sévère contre le Centre catholique allemand qui est accusé de faire primer la force sur le droit et de manquer à tous ses devoirs catholiques ; l’auteur rappelle la parole attristée de Pie X à l’accueil qui avait été fait en Allemagne à son Encyclique contre le modernisme : De gentibus non est vir mecum. « Dans ces peuples, personne n’est avec moi. » « Ils ont placé, conclut l’éditeur de la rue Garancière, dans l’Empereur luthérien toute l’espérance de leur avenir, et c’est d’un nouveau crime, commis par lui à leur profit, qu’ils attendent le salut du catholique allemand... Mais dans l’instant même où ils conçoivent seulement cette pensée, ne cessent-ils point d’être des catholiques ? Et s’ils ont pu la concevoir, n’est-ce point parce que depuis trop longtemps ils ne pensent ni n’agissent plus EN CATHOLIQUES (souligné dans le texte.) »

b) La France, les Catholiques et la Guerre, par Mgr Baudrillart.

c) La guerre allemande et le Catholicisme, avec une lettre de S. E. le cardinal Amette, par le chanoine Gaudeau, Georges Goyau, François Veuillot, le chanoine Couget, le chanoine Ardant, Mgr Baudrillart.

d) Le Protestantisme allemand (Luther-Kant-Nietzsche), par l’abbé J. Paquier.

e) Une campagne française, par Mgr Baudrillart.

f) Guerres de religions, par Frédéric Masson, de l’Académie française.

g) Prisonnier civil, par Dominique de Lagardette.

h) Lettres aux Neutres sur l’Union sacrée, par Georges Hoog.

i) L’éveil de l’âme française devant l’Appel aux Armes, par les abbés Ardant, Desgranges et Thellier de Poncheville.

j) Le supplice de Louvain, faits et documents, par Raoul Narsy.

k) La teutonisation de la Belgique, par Fernand Passelecq.

Congrès des Maçonneries alliées et neutres, tenu les 28, 29 et 30 juin 1917, brochure de 50 pages éditée sous les auspices du Grand Orient de France et de la Grande Loge de France par les soins de l’Imprimerie nouvelle (Association ouvrière), 11, rue Cadet, A. Maugeot, directeur.

E. MALYNSKI : Le Peuple-Roi.

La veillée des armes.

La grande guerre sociale.

La Démocratie victorieuse (à la librairie Cervantès).

J. MARQUÈS-RIVIÈRE : La Trahison spirituelle de la Franc-Maçonnerie (éd. des Portiques).

La Paix des peuples, revue internationale de l’Organisation politique et économique du monde. 25 février 1919.

MALAPARTE : Tactique du Coup d’État (Grasset, éd.).

FRANÇOIS VERMALE : Notes sur Joseph de Maistre inconnu (Perrin, Chambéry, 1921).

LÉON DE PONCINS : Les forces secrètes de la Révolution (éditions Bossard).

LÉON DE PONCINS : Refusé par la Presse (Librairie de la Revue française).

G. MARTIN : La Franc-Maçonnerie française et la préparation de la Révolution. Paris, Presses universitaires de France, 1926.

G. MARTIN : Manuel d’histoire de la Franc-Maçonnerie. Presses universitaires de France, 1930.

AUGUSTIN COCHIN : Les Sociétés de Pensée et la Démocratie (Plon, éd.).

AUGUSTIN COCHIN : La Révolution et la Libre Pensée (Plon, éd.).

AUGUSTIN COCHIN : L’histoire des sociétés de Pensée en Bretagne. 2 vol. (Plon, éd.).

ANTOINE DE MEAUX : Augustin Cochin et la genèse de la Révolution (Le Roseau d’or, Plon, éd.).

AUGUSTE CAVALIER : Les Rouges-Chrétiens (éd. Bossard).

GEORGES DEHERME : Démocratie et sociocratie (éd. Prométhée, Paris).

DANIEL HALÉVY : Décadence de la Liberté (Grasset, éd.),

ROBERT HAVARD DE LA MONTAGNE : Étude sur le ralliement (Librairie de l’Action française).

VICTOR MARGUERITTE : Aristide Briand (Flammarion, éd.).

J. S. DE GIVET : Aristide Briand (Nouvelle librairie française).

CHARLES MAURRAS : Casier judiciaire d’Aristide Briand (éditions du Capitole).

Abbé EMMANUEL BARBIER : Les infiltrations maçonniques dans l’Église avec plusieurs approbations épiscopales. Desclée, de Brouwer, 1910.

Abbé ROUL : L’Église catholique et le Droit Commun, bureaux de la Ligue apostolique, librairie Casterman, 1931.

Abbé ROUSSEL : Libéralisme et Catholicisme, rapports présentés à la « Semaine Catholique » en février 1926, sous les auspices de la Ligue Apostolique, pour le retour des nations à l’ordre social chrétien. (Aux bureaux de la Ligue, 88 bis, boulevard de la Tour-Maubourg.)

MARYA RYGIER : La Franc-Maçonnerie italienne devant la guerre et devant le fascisme, préface de Lucien le Foyer, ancien député de Paris, ouvrage récompensé par la Loge : LE PORTIQUE, 1929, librairie Maç.˙. V. Gloton.

GUSTAVE BORD : La Franc-Maçonnerie en France des origines à 1815 (Nouvelle librairie Nationale, 1908).

Docteur CORBIER : Symboles initiatiques et mystères chrétiens, avec une préface d’André Lebey. Paris, librairie maç.˙. Gloton, 1929.

ANDRÉ LEBEY, grand orateur du Grand Collège des Rites, suprême conseil du Grand Orient de France et CAMILLE SAVOIRE, grand Commandeur : Les Ateliers supérieurs du Grand Orient de France : Histoire, Doctrine. L. Clerc, imprimeur, 4 bis, rue Nobel, Paris, 8e, 1924.

Convent international de 1927 (27, 28 et 29 décembre), tenu à Paris, compte-rendu édité par l’Association maçonnique internationale, Paris, imprimerie nouvelle (Association ouvrière), 11, rue Cadet (1928).

Les Annales Maçonniques universelles, revue bimestrielle publiée sous la direction de Édouard E. Plantagenet, et sous les auspices du Groupe d’Études et de Recherches Maç.˙. de la Ligue internationale de Francs-Maçons. No de mai-juin 1931. Le Problème de l’Unité de la Maçonnerie en France, par Charles Riaudey. – Tous autour de la Table ronde, par Charles Curchod, vén.˙. de la Loge le Progrès, Orient de Lausanne « De l’Orient à l’Occident et du Midi au septentrion, écrit ce maçon, le monde a besoin de confiance profonde pour créer la base inébranlable d’une justice internationale, connaissant obligatoirement de tous litiges entre les peuples et pour donner à un organe international la force financière et militaire capable de faire régner la paix entre les Nations comme entre les « classes sociales... » En ce qui concerne le premier de ces problèmes, l’élaboration d’un droit international écrit, public et privé, constituerait un puissant élément de confiance, tout en aidant à la solution de nombreux problèmes juridiques particuliers. Quant au second, il s’agit d’une transformation constitutionnelle de la Société des Nations, indépendante de toute révision des traités. Dans ce domaine une œuvre magistrale est le livre d’Oscar Newfang, les États-Unis du monde, EXTRÊMEMENT SUGGESTIF POUR TOUT CE QUI CONCERNE LA SOCIÉTÉ DES NATIONS.

Le « groupe des juristes » de la Ligue est tout désigné pour, avec les FF.˙. de la « Table ronde », élaborer ces textes et l’exposé des motifs qui les accompagnera. Ils pourraient ensuite être publiés dans les périodiques maç.˙. et communiqués aux organes profanes compétents : Cour permanente de La Haye, Institut de droit international, Académie diplomatique internationale, Académie interparlementaire, Union internationale des Associations pour la Société des Nations, par nos FF.˙. juristes en rapport avec ces institutions. Assez rapidement, l’opinion maçonnique mondiale serait au courant de ces travaux, s’y intéresserait et les ferait connaître et apprécier dans les milieux profanes plus étendus... Et c’est ainsi que s’éclairciront les idées, que s’épureront les sentiments et que pourra naître cette confiance profonde et nécessaire qui seule peut engendrer une bonne volonté universelle et durable. Éditions « La Paix », 20, rue Laugier. Imprimerie nouvelle, 11, rue Cadet.

Les Annales maçonniques universelles : No de décembre 1931. Les Huit points de l’Orthodoxie maçonnique, d’après la grande Loge unie d’Angleterre, par le F.˙. S. J. Carter de New-York.

Mgr DELASSUS : La Conjuration antichrétienne. 3 volumes, Desclée, 1910,

N. DESCHAMPS : Les Sociétés secrètes, avec une introduction de Claudio Jannet. Seguin et Oudin, 1881.

Les Actes pontificaux cités dans l’Encyclique du SYLLABUS du 8 décembre 1864, suivis de divers autres documents, recueil dédié à Mgr le Nonce apostolique en France. (Poussielgue, 1865).

Lettres Apostoliques de S. S. Léon XIII, t. I (Maison de la Bonne Presse).

Lettres apostoliques de S. S. Pie X (Maison de la Bonne Presse).

A. NOVELLI : Pie XI (Achille Ratti), ouvrage traduit de l’italien par l’abbé Robert Jacquin. 67 illustrations. Lettre-Préface de S. E. le cardinal Dubois (maison de la Bonne-Presse, 1928).

MAURICE BARRÈS : La Grande Pitié des Églises de France (Émile-Paul, 1914).

BOSSUET : L’Apocalypse, avec une explication. Œuvres complètes, t. II et III, édition Lachat, librairie Vivès, 1863.

Jusqu’au sang, récits et documents sur la persécution mexicaine, avec une lettre de Mgr J. M. Gonzalez y Valencia, archevêque de Durango. (Aux éditions de la Jeunesse catholique, Louvain), 1928.

A. BARQUIN et G. HOYOIS : La tragédie mexicaine : Sous l’ombre d’Obrégon, Edit. Rex. Louvain, 1929.

Abbé DARRAS : Histoire de l’Église, continuée par Mgr Fèvre, t. XXXIX, librairie Vivès, 1886.

JACQUES MARITAIN : Une opinion sur Charles Maurras et le devoir des Catholiques (Plon, 1926), où l’on trouve cet émouvant témoignage à la page 54 : « Je dois à la vérité d’ajouter qu’en fait quelques-uns des cœurs les plus généreusement surnaturels que j’aie connus, étaient parmi les plus fervents disciples politiques de Maurras. »

JACQUES MARITAIN : Primauté du Spirituel (Le Roseau d’or, Plon, Ed., 1927).

L’Action française et le Vatican, préface de Charles Maurras et Léon Daudet, Flammarion, éd., 1927.

Pourquoi Rome a parlé, par les PP. Doncœur, Bernadot, Lajeunie, les abbés Lallemant et Maquart, Jacques Maritain (éd. Spes, 1928).

Clairvoyance de Rome, par les mêmes (Ed. Spes, 1928).

 

À cette liste, forcément incomplète, il convient d’ajouter la collection extrêmement précieuse de la Documentation Catholique, éditée par la Bonne Presse, des années 1919 à 1927.

 

 

Robert VALLERY-RADOT, Le temps de la colère, 1932.

 

 

 

 



[1] Cité par les Neue Nachrichten 1917, n° 206.

[2] Cité par Polzer Hoditz dans son livre Kaiser Karl, Wien, 1929, p. 302 et 355.

 

 

 

 

 

 

 

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