La beauté de la Très Sainte Vierge

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Maurice VLOBERG

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Marie fut-elle belle ? Poser la question semble déjà d’une singulière irrévérence, alors que la liturgie dit si souvent : Quam pulchra es !... Tota pulchra es !...

Mais si l’on a discuté beaucoup moins sa beauté physique que celle de son divin Fils, la raison n’en est pas qu’elle est mieux établie par des documents historiques et iconographiques : l’affirmative tire surtout sa force des preuves de doctrine et des motifs de sentiment. Voyons, pour cette fois, ce qu’il y a de valable et d’authentique dans les données de la tradition.

L’Évangile, ni aucun des Pères apostoliques ne parle de la beauté de la Mère de Dieu. Malgré les récits qui se colportèrent à la fin du IVe siècle, on ignorait tout document certain, comme l’assure saint Augustin († 430) dans un passage bien connu : « ... Nous ne connaissons pas le visage de la Vierge Marie... La foi étant sauve, il est loisible de dire que peut-être il était tel, ou peut-être autrement... »

Avant Augustin, saint Ambroise († 397), dans son Traité des Vierges adressé à sa sœur Marcelline, ne traçait qu’un portrait moral de la Vierge, « figure même de la vertu, figura probitatis ». Donc, au IVe siècle, on ne possédait aucune indication authentique sur les traits, la physionomie et l’extérieur de Marie. Et sans doute l’évêque d’Hippone comme l’évêque de Milan ignoraient-ils les Vierges de saint Luc et les Vierges Achéropites, c’est-à-dire célestes, « non faites de main d’homme ».

Mais, nous l’avons dit, des récits circulaient dans les milieux chrétiens. On en surprend l’écho dans certains Apocryphes, comme le Pseudo-Matthieu, décrivant la petite Marie parmi ses compagnes du Temple : « Son visage resplendissait comme la neige, et l’on pouvait à peine en soutenir l’éclat... Nulle n’était plus gracieuse dans la charité, plus pure dans la chasteté, plus parfaite en toute vertu. »

Une description, plus vivante et peut-être plus ancienne, se lit dans un apocryphe grec écrit entre les IIe et IVe siècles, sorte de roman chrétien qui rapporte un prétendu entretien sur la religion à la Cour des Sassanides. Les détails de ce texte ont dû servir au moins Épiphane (VIIIe- IXe siècle), – il ne faut pas le confondre avec saint Épiphane, évêque de Salamine, île le Chypre, au IVe siècle, – pour tracer dans sa Vie de la Théotokos un portrait poncif de la personne de la Vierge. Plus tard, au XIVe siècle, l’annaliste byzantin Nicéphore Calliste Xanthopoulos, faisait usage, à son tour, de la description donnée par le moine Épiphane. Bien que ce texte ait été souvent reproduit, transcrivons-le en partie :

 

« De taille moyenne, mais admirablement proportionnée, la Vierge Sainte avait le visage ovale, le teint comme du froment mûr, les cheveux blonds, les yeux vifs, la prunelle à peu près de la couleur de l’olive, les sourcils bien arqués et d’un beau noir, les mains longues et fines. En un mot tout en elle était grâce et beauté. »

 

Avant Nicéphore Calliste, saint Jean Damascène, au VIIIe siècle, esquissait aussi en quelques lignes la physionomie rayonnante de la Vierge :

 

« Comment me représenter, lui dit-il, ton imposante démarche, ton costume, la grâce de ton visage, ta sagesse de vieillard en un corps tout jeune ? Un vêtement convenable, sans luxe ni mollesse. Un pas grave, sans hâte ni abandon, un aspect sérieux mêlé de douceur souriante... »

 

Un document souvent produit, la Lettre du Pseudo-Aréopagite, est à reléguer parmi les Lettres apocryphes du même genre, qui connurent une telle faveur. L’auteur, imaginant une visite que Denis aurait faite à Marie, lui en fait adresser la relation à l’apôtre Paul :

 

« ... Lorsque, écrit-il, Jean, chef des évangélistes et des prophètes, m’eut introduit en présence de la divine Vierge, une splendeur merveilleuse m’environna de toutes parts et l’odeur des parfums les plus suaves pénétra tous mes sens. Mon esprit et mon cœur succombaient sous le poids d’une telle majesté. J’en atteste le Dieu, dont la présence remplissait la Vierge : si je n’avais été instruit par vos leçons, je l’aurais prise Elle-même pour la Divinité, car rien ne semble pouvoir surpasser cette gloire et cette félicité dont je fus l’indigne et bienheureux témoin... »

 

Par cette incise conditionnelle : « Si je n’avais été instruit... », l’auteur semble vouloir se défendre de verser dans des opinions qui furent hérétiques. La secte des Valentiniens professait que la Mère du Christ avait un corps céleste, impassible et immortel. Les Antidicomarianites – au dire de saint Épiphane (Haer. 36) – lui attribuaient une nature angélique, et une secte de chrétiens arabes, les Collyridiens, ou plutôt les Collyridiennes – car il s’agit surtout de femmes –, lui rendaient un culte d’adoration.

Il est évident que les descriptions du moine Épiphane et de Nicéphore Calliste – qui indique jusqu’à la couleur du teint et des cheveux, jusqu’à l’ovale du visage et à la longueur des doigts – n’ont aucune base historique. Ces auteurs s’inspiraient des images du type traditionnel de la Théotokos, telle qu’ils la voyaient sur les mosaïques, les fresques, les miniatures. Leurs « portraits » de Marie sont de même veine que la description faite par Venance Fortunat (609) d’une Vierge représentée dans l’éclat et la richesse des snaltes. C’était déjà l’opinion de Baronius que le moine Épiphane avait, de même, sous les yeux ou en mémoire, une image de la Mère de Dieu, quand il en donnait la description physique.

En Occident, dès le XIIIe siècle, des mariologues se sont étendus avec complaisance sur le sujet et lui ont consacré des pages et des pages. Ils décrivent par le menu la beauté physique de la Vierge, chaque perfection de sa personne, taille et teint et traits. Ainsi Albert le Grand, en son Mariale 1, analyse avec autant de respect que d’admiration le Corps virginal : il avait la taille la plus appropriée à une femme ; le teint était couleur de neige et de rose, les yeux et les cheveux modérément noirs ; sa complexion sans défaut répondait à son tempérament eucratique, c’est-à-dire le plus parfait : « Il convenait, explique le grand Docteur, que la beauté appartînt à la très pure Vierge, pour son propre honneur d’abord, comme complément de perfection de sa nature et comme accroissement de grâce, car la beauté, si elle ne l’est que rarement, n’en est pas moins la digne compagne de la pudeur. » Saint Thomas se fera l’écho de l’enseignement du maître quand il donnera, pour critère de la beauté de Marie, ce principe sans réserve : « En la bienheureuse Vierge a dû apparaître tout ce qui constitue la suprême perfection. »

Renchérissant toujours plus, théologiens et mystiques attribuèrent au Corps de Marie des qualités extraordinaires. Il ne connut jamais la maladie, pensent Gerson, Cajetan, Suarez ; il exhalait les plus suaves odeurs, signe de sa pureté infinie, disent Denys le Chartreux et le jésuite Christophe de Véga, apportant à l’appui ce texte de l’Ecclésiastique (XXIV, 20) : « La suavité de mon parfum est comme celle du cinnamome, du baume aromatique et de la myrrhe choisie. » Selon Vega encore, le visage de Marie rayonnait d’un double éclat, l’un naturel, émanant de sa suréminente beauté, l’autre surnaturel, qui l’illuminait fréquemment.

Aussi cette beauté – racontaient les vieux prêcheurs des XVe et XVIe siècles – non seulement ne provoquait aucun désir des sens chez ceux qui l’admiraient, mais, par sa seule vue, foudroya tous les Sodomites d’Égypte, durant le séjour de la Sainte Famille en ce pays. Et les mêmes prédicateurs populaires assuraient naïvement que la beauté de Marie faisait paraître les plus jolies femmes comme des laiderons aux yeux de leurs maris !...

Trouvères et poètes, usant d’un même procédé littéraire, tracent, sans beaucoup d’imagination et d’art, des portraits vagues et impersonnels. Un trouvère berrichon du XIVe siècle, le curé Macé de la Charité-sur-Loire, s’applique à n’omettre aucune partie du visage :

 

            Une blanchor ert en son vis

            Tot aussi comme flor de lis,

            Et par de sus ot color fine

            Tot autresi comme rousine ;

            Les sorciz (sourcils) ot fins a devise (à souhait)

            Qu’une voye blanche devise ;

            Le nez par desez si tretiz (si bien fait)

            Qu’il n’ert trop grantz, ne trop petiz...

 

À propos du nez de Marie, indiquons qu’il est l’objet d’une particulière louange dans un curieux ouvrage du jésuite Théophile Raynaud, son Laus brevitatis, où il passe en revue nombre de nez célèbres : celui de la Vierge – comme l’a représenté saint Luc – était long et aquilin, ce qui est, dit l’auteur, une marque de dignité, et comme Jésus ressemblait parfaitement à sa Mère, il avait aussi le nez long.

L’auteur anonyme d’une Dévote Exposition de l’Ave Maria (vers 1490) reprend et traduit en savoureux français du XVe siècle les explications fournies par Albert le Grand en son Mariale :

 

« Comme dit maître Albert en son livre, et Anthoine (Antonin) de Florence en la quarte partie de sa Somme, toute beauté, qui jamais fut et peult estre en creature, estoit en Marie. Elle estoit parfaicte en lineation et proportion de membres, sans deffault aucun : sa face avait couleur de blanc et rouge, comme roses vermeilles meslées avec les blanches. Elle estoit de poil et cheveux noirs, et si avoit les yeulx noirs, que prouve Albert car il appartient à eucratique et tres bien complexioné qui soit noir de poil, – combien que Galian soit d’opinion contraire et dit que le corps eucratique et tres parfaict soit roux de poil. Que Marie fut noire, il est tesmoigné es Cantiques ou Marie dit : Nigra sum sed formosa, filia Iherusalem... »

 

Ce Nigra sum aura fait couler beaucoup d’encre. Il a servi pour expliquer l’origine des fameuses Vierges Noires. On le cite surtout au compte de l’opinion qui est la plus probable, selon laquelle Marie, du type sémite le plus pur, avait une beauté de brune.

La question de savoir si la Vierge, comme son Fils, fut d’une beauté brune ou d’une beauté blonde est toujours en débat. Comme aucun témoignage historique ne peut le résoudre, la porte reste ouverte à toutes les hypothèses. Pourquoi une nouvelle théorie n’affirmerait-elle pas que la Vierge était auburn ?...

Le romancier Pierre Louÿs, lui, en tenait pour la blondeur, arguant que les Galiléens étaient un rameau de la race celtique. « De Gall, écrit-il, le nom de la race, les Romains avaient fait Galli, les coqs, les hommes à la crête de cheveux rouges ; les Grecs disaient Galatai, les « laiteux », les hommes à la peau couleur de lait... J’ajouterai que les trois Galiléens les plus célèbres, Jésus, la Vierge Marie et Marie-Madeleine ont, par tradition, les cheveux blonds comme les Galates, non pas noirs comme les Juifs... (Lettre, non datée, à Georges Montorgueil).

Sans chercher si quelque prévention raciale ne pointe pas dans cette opinion de l’écrivain, rappelons que les prophéties messianiques et la double généalogie du Christ dans l’Évangile prouvent que Jésus et sa Mère furent de souche sémite et non aryenne. On peut cependant admettre que tous deux purent tenir une beauté blonde de leur ancêtre David, dont la Bible dit : « Il était blond, avec de beaux yeux et une belle figure » (Ier Livre de Samuel, XVI, 12). Et, sans accorder plus d’importance qu’il ne convient à cet indice, remarquons que les reliques des Cheveux de la Vierge, vénérées dans nombre d’églises au Moyen Âge, sont d’un blond cendré. La bouclette de cheveux, dans le reliquaire en forme de fleur de lis que tient la splendide Vierge en vermeil, donnée, en 1339, par la reine Jeanne d’Évreux à l’Abbaye de Saint-Denis (Louvre, Gal. d’Apollon), –cette bouclette est d’un blond doré. Pour en avoir vu de semblable nuance dans le trésor des reliques de la cathédrale de Rouen, un archidiacre de cette métropole au XIIIe siècle, Richard de Saint-Laurent, trouvait d’autant plus justifiée sa comparaison de la Vierge avec la renoncule « qui a des cheveux couleur d’or ».

... Brune ou blonde, vous êtes, ô Notre Dame, – comme vous le disait saint Anselme avec toute sa fervente conviction, –« vous êtes la seule aimable à contempler, la seule délectable à aimer, la seule entièrement digne de nos extases ».

 

 

 

Maurice VLOBERG.

 

Paru dans la revue Marie

en septembre-octobre 1949.

 

 

 

 

 



1 Sur le texte cité, voir M. M. Desmarais, Saint Albert le Grand, Docteur de la Médiation mariale, Ottawa, 1935, p. 29-31.

 

 

 

 

 

 

 

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