Les Vierges noires

 

LEUR LÉGENDE, LEUR HISTOIRE

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Maurice VLOBERG

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

CE qualificatif de noir n’a, on le sait, rien de désobligeant pour Notre Dame : le langage iconographique l’emprunte à la dévotion du peuple, qui a baptisé ainsi des images vénérées. Il désigne toute une famille de Vierges, sculptées ou peintes, – celles-ci plus rares, – dont les parties chair, visage et mains, présentent cette coloration.

À quand remontent-elles ? Sont-elles de création chrétienne, ou une réminiscence de vieilles idoles ? Comment expliquer ce visage noir de la Mère et de l’Enfant ? A-t-il toujours été ainsi, ou fut-il noirci après coup ? Et pour quelles raisons ? Voilà le problème encore en débat. Essayons de voir clair sous les conjectures des érudits, dont, – c’est le cas d’employer ici l’expression, – les uns disent blanc, les autres disent noir.

 

 

1 – L’ORIGINE DES VIERGES NOIRES

 

Pour en savoir quelque chose, allons d’abord là où il semble qu’ait été leur berceau.

On les rencontre surtout en France, dans les provinces du Centre, Auvergne, Velay, Gévaudan, Rouergue, Quercy, Limousin. Au Xe siècle apparut en Auvergne un type de Vierge-reliquaire, dont un exemplaire précieux fut exécuté vers 946 pour l’évêque de Clermont, Étienne II, par un de ses clercs qui était orfèvre, un nommé Aleaume. Comme cet évêque était aussi abbé de Conques (Aveyron), on lui doit probablement la célèbre statue d’or de sainte Foy, qui, plus favorisée que la clermontoise, est venue jusqu’à nous.

Ces statues, où on logeait la cassette de reliques dans un creux du dos ou du socle, n’avaient pas encore émigré d’Auvergne au début du XIe siècle. Du moins on les ignorait au nord de la Loire, comme l’indique la surprise, la crainte révérencielle éprouvée à leur vue par Bernard, écolâtre de Chartres, qui fit un pèlerinage à Conques en 1013. Au XIIe siècle, les Vierges-reliquaires et d’autres du même type de majesté, statues en bois peint, marouflé ou plaqué de métal, se répandirent à travers l’Occident, France, Espagne, Pays-Bas, Allemagne, et jusque dans les pays scandinaves, où les Cisterciens les acclimatèrent.

Les plus anciennes des Vierges, dites Noires, ne sont pas toutes des Vierges-reliquaires, – comme Notre-Dame du Puy (disparue) et Notre-Dame de Roc Amadour, – mais toutes appartiennent au type de la Vierge assise en majesté avec l’Enfant. Furent-elles nombreuses, autrefois, dans le Massif Central ? Leur groupe est assez restreint aujourd’hui, une douzaine dans le Puy-de-Dôme, une dizaine dans le Cantal.

Mais pourquoi leur sombre visage, allant du noir d’ébène au brun clair ? Cette teinte est-elle naturelle, ou leur fut-elle donnée avec quelque intention mystique et symbolique ? On ne peut répondre que par des hypothèses. Les Vierges Noires gardent le secret de leur vieille histoire : aucun document certain ne spécifie et certifie leur couleur avant le XVIe siècle.

On peut penser d’abord à un noircissement naturel ou fortuit, dû à diverses causes : patine du temps sur une matière déjà foncée, bois ou pierre, – fumée de cierges brûlant sans arrêt, – calcination par incendie, – oxydation des couleurs, vernis tournant au noir, et autres altérations. En Belgique, la Vierge bruxelloise du XIIe siècle, chantée par Juste-Lipse, Notre-Dame de Hal, est d’une noirceur nitratée, résultant sans doute de l’oxydation d’une ancienne argenture. En France, Notre-Dame des Oliviers, à Murat (Cantal), aurait été noircie par un incendie en 1492. Les cas de ce genre restent exceptionnels.

Suivant l’opinion qui prévaut, le noircissement fut très souvent, sinon presque toujours, intentionnel. Mais les critiques ne s’accordent pas sur l’intention elle-même. Louis Bréhier donne cette explication à la fois psychologique et technique : on aura voulu faire plus vénérables les statues, en leur donnant le visage noir des saintes icones, dont beaucoup passaient pour miraculeuses. On a la preuve de cette imitation dans des fresques d’église, des tableaux et même des sculptures. Une icone syrienne a pu servir de modèle à la Visitation de Roc Amadour, peinte à même sur le rocher, et remarquable par les visages noirs et le type nettement oriental de Marie et d’Élisabeth. À Clermont, dans l’église Notre-Dame du Port, on vénère une statuette de Vierge Noire, dont le type diffère entièrement du type de majesté des Vierges romanes, et reproduit en ronde-bosse le thème byzantin de la Glycophilousa, la Vierge de tendresse. C’est exactement le type de Notre-Dame de Grâce, à Cambrai, une icone peinte sur bois de cèdre, où la Vierge au visage noir se détache sur fond d’or ; apportée à Cambrai en 1440, on en fit des copies, notamment pour Philippe le Bon, duc de Bourgogne.

Il ne manque pas d’indices qui corroborent la thèse du noircissement volontaire. La fameuse Notre-Dame du Puy avait, ainsi que son Enfant, le visage noir au XVIIIe siècle, comme le montre une taille-douce illustrant l’ouvrage de Faujas de Saint-Fond sur les volcans d’Auvergne (1776). Or, des gravures du XVIe siècle les présentent avec un visage clair. Le témoignage est peut-être plus probant d’une réplique en pierre peinte, de la fin du XVe siècle, de cette même Notre-Dame du Puy : les visages sont clairs ; comment croire que le sculpteur eût osé de sa propre initiative en changer la couleur, si la Notre-Dame vellave avait été noire à son époque ? Cette statue intéressante, – dont le socle timbré de l’écu de France indiquerait un don du roi Louis XI, lors de son pèlerinage au Puy en 1476, – se trouve aujourd’hui au Metropolitan Museum de New York.

Passons à une autre Vierge Noire réputée, Notre-Dame de Liesse. Le plus ancien texte de sa légende, rédigé vers 1490, ne mentionne pas la couleur noire du visage. Quand la princesse sarrasine Ismérie s’extasie devant la statuette, apportée par les anges dans le cachot des trois chevaliers, elle dit seulement : « Ô vive ymage, que tu es belle ! Certes, je crois fermement que la Dame pour qui tu as esté faicte, est encore plus belle que tu n’es... Certes, voicy visage moult plaisant et doulx à regarder... 1 »

Dijon vénère toujours Notre-Dame de Bon Espoir, qui délivra la ville assiégée par les Suisses en 1513. Elle a le visage noir. Or, dans un procès en hérésie, jugé à Dijon en 1591, on reprochait à l’inculpé d’avoir révélé que la statue avait cette teinte, parce qu’on la frottait d’huile périodiquement.

D’après l’archéologue allemand Paul von Therstappsen, les Vierges Noires de Cologne et d’Altotting, près de Salzbourg, auraient été noircies au XVIIIe siècle. Le procédé du décapage a fait la preuve d’une retouche du pinceau sur d’autres statues. Ainsi a-t-il été con‑

 

1. Cte de Hennezel d’Ormois, Notre-Dame de Liesse. La légende d’après le plus ancien texte connu, s. l., 1934, p. 53. – Cet ouvrage important n’est pas mentionné dans leurs bibliographies par Mme Durand-Lefebvre et E. Faillens.

 

 

cluant pour l’une des plus belles Vierges auvergnates, Notre-Dame de Montvianeix (coll. Guérin) : sous le repeint noirâtre du visage, on retrouva sa couleur naturelle de chair, un ton rose délicat. Cette statue date de la seconde moitié du XIIe siècle.

L. Bréhier, on l’a dit, attribue le noircissement intentionnel des statues au désir d’imiter les saintes icones byzantines ou gréco-slaves. On peut l’expliquer encore autrement. Les traditions relatives à quelques-unes des Vierges Noires les plus vénérées, les font venir d’Orient à l’époque des Croisades. La légende d’origine de Notre-Dame du Puy précisait même qu’elle avait été sculptée en Égypte par le prophète Jérémie. En Égypte également, les anges avaient façonné la petite Notre-Dame de Liesse. N’a-t-on pas voulu rappeler ces provenances légendaires, en noircissant ou en brunissant « à l’égyptienne » le visage de ces Vierges ?

La raison la plus courante, que l’on donne du noircissement exécuté après coup, relève de l’exégèse. Il aurait eu une signification symbolique, et illustrerait un verset du Cantique que la liturgie applique à la Vierge. La Sulamite – si c’est elle l’héroïne de l’épithalame – déclare qu’elle a une beauté noire : Nigra sum sed formosa, sicut tabernacula Cedar, sicut pelles Salomonis (Cant. I, 4). Comparaison qu’il nous est difficile de saisir au juste, ne sachant quelle était la couleur de ces tentes de Cédar – celles sans doute de tribus nomades – et de ces fourrures ou peaux de tentes dont usait Salomon. Quoi qu’il en soit de cette métaphore, son interprétation plastique a pu séduire et elle expliquerait, en certains cas, le noircissement. A-t-on voulu dire davantage et souligner le type ethnique de Marie ? L’exagération eût été par trop naïve : les clercs, qui faisaient noircir les visages de Vierges, savaient bien que les Juives ne sont pas des négresses, et que, pour être basanés, les Sémites sont de race blanche.

Résumons. L’origine des Vierges Noires reste une énigme. Sur la cause de leur noircissement, aucun manuel d’imagier ne renseigne, aucun texte ancien, vraiment valable, ne l’explique. L’hypothèse la plus plausible est qu’il a été presque toujours, pour diverses raisons, intentionnel, et que la pratique a dû en être instaurée à la fin du moyen âge, XVe-XVIe siècles.

Mais des auteurs avancent une autre théorie qu’il nous faut maintenant examiner.

 

 

I – LE CULTE DES VIERGES NOIRES

 

Les Vierges Noires peuvent se demander pourquoi on les importune ainsi aujourd’hui, pourquoi, après des siècles, on trouble le silence de leurs chapelles perdues. Elles attirent, certes, notre curiosité, mais elles n’auraient pas tenu la vedette, sans les doctrinaires de l’évolutionnisme des religions, qui s’en servirent pour étayer leurs systèmes.

Certains prétendent qu’elles ont succédé à Isis et aux grandes déesses, dont la couleur rappelait la nuit, l’Érèbe et les Enfers : Artémis d’Éphèse, Hécate, Déméter et Perséphone, Tanit carthaginoise, etc. La diffusion de leurs cultes en Gaule aurait suivi la grande voie des vallées du Rhône et du Rhin, et, comme il y a des Chemins de Saint-Jacques, il y aurait eu des Marienstrassen, jalonnées par des temples et des fontaines saintes où la Vierge se serait substituée aux noires divinités païennes.

Cela tourne à l’obsession chez les tenants de la migration des symboles. Ils parcourent les vieux Olympes pour y dénicher les modèles des types iconographiques chrétiens. Pour Goblet d’Alviella, nos Madones habillées copient Tanit-Astarté, et notre Sedas Sapientiæ romane serait une réplique d’Isis portant Horus. Pour Guidoz, la déesse assyrienne Istar a trouvé sa remplaçante dans la Notre-Dame des Sept Douleurs.

Pour être d’un tout autre esprit, soucieux d’orthodoxie, Mme Durand-Lefebvre (1937) et E. Sailles (1945) aboutissent à la même conclusion, après une longue exploration dans le domaine folklorique : on a christianisé Isis et les Mères, divinités de la terre et de la fécondité. Leur culte aurait survécu obscurément aux mêmes lieux, sous les mêmes apparences des Notre-Dames Noires. C’est supposer ce qui reste toujours à montrer, le « passé préchrétien » de ces Vierges. Pour en être sûr, il ne suffit pas d’une abondance d’analogies, il faudrait des documents certains que l’histoire refuse. Comme le constate E. Saillens lui-même (op. cit. p. 11), avant le XVIe siècle, « aucun chroniqueur pour nous dire : “Dans telle église, il y avait, à telle date, Vierge ayant tel aspect.” » L’argument négatif a donc ici toute sa force : quinze siècles de silence sur une survivance, c’est un peu trop pour qu’on l’admette sans sourciller.

Malgré la pureté d’intention et le luxe d’érudition, la tendance demeure suspecte qui cherche à découvrir dans le christianisme une certaine continuité des fêtes et rites païens. À plus forte raison, quand la thèse est insidieuse et veut faire brèche à la religion du On ne nie pas des ressemblances, des rencontres du hasard. Par exemple, le mythe d’Isis, – tel que Plutarque que l’expose en un curieux traité, – présente un certain parallélisme avec le dogme catholique touchant la Vierge Marie : ici et là, caractères et rôles analogues des protagonistes, une Vierge Mère, un Enfant divin, associés dans la lutte contre le génie du mal. Mais la fable isiaque, – comme d’autres pareilles dans les diverses théogonies, – n’est que l’écho du drame joué à l’aube des temps : « Jahvé dit au Serpent : “J’établirai une inimitié entre toi et la Femme, entre ta postérité et sa postérité : elle te visera à la tête et tu la viseras au talon” (Genèse III, 15). Faire du mystère chrétien un plagiat des mystères païens, c’est renverser l’ordre des valeurs et des réalités, c’est, – qu’on nous passe l’expression, – “mettre la charrue avant les bœufs”. Rien d’essentiellement commun entre la vérité et l’erreur. Ainsi au IIe siècle – et peut-être déjà à des précurseurs de nos évolutionnistes modernes, – Tertullien le faisait entendre avec sa vigueur coutumière :

“Arrière, toutes ces images grossières et corrompues ! Arrière, toutes ces indignes supercheries d’Isis, de Cérès et de Mithra ! Le rayon de Dieu, Fils de l’éternité, est enfin descendu, s’est reposé sur un front virginal, et le grand mystère du genre humain s’est accompli. Nous adorons un Homme-Dieu, nous vénérons une Vierge-Mère.” »

Pour en revenir au culte des Vierges Noires, leur filiation païenne est loin d’être démontrée. D’autant moins, que les rapprochements sont souvent arbitraires. On ignore, redisons-le, si les Vierges Noires ont toujours été de cette couleur depuis leur origine. En supposant qu’elles le furent, cela prouverait-il un démarquage des divinités païennes, parce qu’on a trouvé des vestiges de temples romains ou d’autels gaulois aux lieux où l’on vénère ces Vierges aujourd’hui ? Si le principe était juste, les faits devraient le vérifier, sinon de façon constante, du moins là où il s’imposerait davantage. La Bretagne, qui garde de telles attaches à son atavisme celtique et au culte des fontaines, n’a jamais vu noires ses trois plus grandes Notre-Dame, celles du Folgoët, du Rumeugol et du Roncier à Josselin ; bien plus, les deux ou trois Vierges Noires que l’on cite dans cette province étaient récentes ou émigrées d’ailleurs.

On a pu dresser la carte de la diffusion du culte des Vierges Noires, car la plupart ont été inventoriées. Pour la France, leur nombre s’élevait jadis à 205 environ, dont 190 existaient au XVIe siècle. Pour l’étranger, le total approximatif est de 70 statues ou peintures. Beaucoup doivent leur renom à la célébrité du pèlerinage ou sanctuaire où on les honorait. Citons : en France, Le Puy, Chartres, Roc Amadour, Liesse ; en Belgique, Hal Montaigu (Sichem), Walcourt ; en Espagne, Montserrat, Saragosse (Notre-Dame del Pilar), Guadaluppe ; en Italie, Lorette ; en Pologne, Czestochowa et Vilno (Notre-Dame d’Ostrobrama, une icone comme Notre-Dame de Czestochowa) ; en Allemagne, Altolting et Kevelaer ; en Suisse, Einsiedeln (Notre-Dame des Ermites).

C’est donc en France, et spécialement dans le Massif Central, que les Vierges Noires ont trouvé leur terre d’élection. Parmi la douzaine que compte le Puy-de-Dôme, les plus visitées sont à Marsat, – vieux sanctuaire où Grégoire de Tours (VIe s.) fut témoin de miracles, – à Orcival, à Clermont-Ferrand (Notre-Dame du Port), à Vassivière, au pied du Saney. Dans le Cantal, citons : Notre-Dame des Miracles à Mauriac, – statue d’un bois très noir portée sur une tour d’ivoire ; Notre-Dame des Oliviers à Murat, –qu’on habille de vert en sa fête de la Chandeleur ; Notre-Dame de Laurie, près de Massiac ; Notre-Dame de Vauclair, près de Moulompize. À l’exception de cette dernière, toutes ces Vierges Noires d’Auvergne ont reçu les honneurs du couronnement.

On ignore, nous l’avons dit, si la Suzeraine du Velay, Notre-Dame du Puy, apparaissait Noire aux multitudes qui, durant le moyen âge, affluèrent à son fameux Pardon, célébré chaque fois que le mystère de l’Incarnation coïncidait avec celui de la Passion, autrement dit quand le vendredi saint tombait le 25 mars. Lui donna-t-on plus tard un teint très basané, sous l’influence de la légende invraisemblable qui la faisait tailler dans un bloc de cyprès par le prophète Jérémie, alors exilé chez les Égyptiens ? Suivant une tradition plus acceptable, saint Louis l’aurait rapportée de sa Croisade et offerte à l’insigne « Église Angélique », ainsi nommée parce que les anges avaient procédé eux-mêmes à la dédicace du sanctuaire du Mont Anis. De l’ancienne statue, brûlée en 1793, il reste des dessins qui la montrent d’une noirceur impressionnante, mais ils ne sont pas antérieurs au XVIe siècle. D’autres Vierges Noires du Velay ne sont sans doute que des répliques de Notre-Dame du Puy.

Nous ne pouvons que mentionner la Roussillon, la Cerdagne, la Provence, où les Vierges Noires sont aussi assez nombreuses. Dans le Nord, Notre-Dame des Liesses semble bien, comme Notre-Dame du Puy, n’avoir pas montré aux pèlerins un visage noir avant le XVIe siècle, ainsi que le donne à croire le texte de 1490 déjà cité. On sait tout au plus que l’antique statue était d’un bois de couleur foncée ; en 1793, un « citoyen » la brûla dans son four de boulanger.

Quelques-unes de ces Vierges ont, ou avaient, pour vocable courant le nom de leur couleur : telles, Notre-Dame la Noire, ou la Vieille, à Périgueux (disparue) ; Notre-Dame la Nègre, ou des Sables, à Montpellier ; Notre-Dame la Négrette, à Espalion ; la Sainte-Brune, à Rochefort-du-Gard ; Notre-Dame la Brune ou la Brunette, à Tournus (vierge dorée en 1860), à Avignon, à Malancène (Vaucluse), à Auxerre, etc.

La vétusté, la taille rude, l’ébauche informe des corps, bref le manque d’attrait de beaucoup de ces Vierges à l’Enfant vieillot incitèrent la dévotion à les parer au moins de somptueux ornements, à les habiller comme des infantes, suivant le goût espagnol ; leur vestiaire fut, et est toujours, pour les survivantes, abondamment garni de robes et de manteaux de prix, de voiles aux fines dentelles. En Cerdagne, en Roussillon et ailleurs, le parement change avec la saison liturgique : robe de satin blanc lamé d’or pour les solennités ; robe de satin violet pour l’Avent et le Carême ; robe de moire noire pour la Semaine Sainte ; robe de damas ou de brocart pour le jour de Pâques. Comme, chez ces Vierges habillées, la coupe sommaire du manteau offre une silhouette pyramidale ; Goblet d’Alviella voyait là une survivance du type triangulaire de la déesse phénicienne Tanit-Astarté. Il y a pourtant une différence notable : l’image phénicienne a la forme d’un cône ansé à petits bras horizontaux ; or chacun sait que les bras de nos Vierges habillées sont au contraire régulièrement dissimulés sous la robe et le manteau d’apparat. Si donc ressemblance il y a, elle est toute fortuite : pour nos Madones, on avait recours à un parement de face, non serré à la taille, permettant de l’étaler avec tous ses orfrois et ses pierreries, d’où cette coupe tronconique de l’habit.

Anatole France les aimait ainsi. « J’ai toujours eu, – écrit-il dans Pierre Nozière, – beaucoup de goût pour les Vierges Noires, qui sont toutes fort anciennes. (?) Elles ont toutes un manteau en forme d’abat-jour, elles sont évasées et courtes : cela tient à ce qu’elles sont assises et qu’on les habille comme si elles étaient debout. Il y a là un mépris touchant de la forme humaine. »

Le plus touchant, à notre avis, c’est la flamme des cierges qui enfument toujours davantage la Vierge Noire, c’est la confiance qui les allume devant son visage sévère, dans l’espoir qu’il répondra par un sourire.

 

 

 

Maurice VLOBERG.

 

Paru dans la revue Marie

en septembre-octobre 1955.

 

 

 

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

On trouvera l’essentiel dans les articles et ouvrages suivants :

L. BRÉHIER. À propos de l’origine des Vierges Noires. Communication à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Compte-rendu de cette Académie, 1935, pp. 379-386. – Étude reprise par l’auteur : Les Vierges Noires, dans les Églises de France, juillet-août 1935.

M. DURAND-LEFEBVRE, Étude sur l’origine des Vierges Noires. Paris, 1937.

E. SAILLENS, Nos Vierges Noires. Leurs origines. Paris, 1945.

Pour la question des « Vierges habillées », voir Revue de l’Art Chrétien, 1892, p. 504 ; 1893, p. 256 ; 1894, p. 431.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

www.biblisem.net