L’Église du silence torturée pour le Christ

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Richard WURMBRAND

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PROFIL BIOGRAPHIQUE

 

 

Le Révérend Richard Wurmbrand est un pasteur de l’Église Luthérienne qui a subi quatorze ans de prisons communistes et de tortures dans le pays où il vivait, la Roumanie. Parmi les écrivains roumains, il est l’un des plus connus du monde, et dans son pays peu de noms sont aussi respectés parmi les chrétiens que le sien.

En 1945, quand les communistes s’emparèrent de la Roumanie et s’efforcèrent de mettre les Églises au service de leur politique, Richard Wurmbrand entreprit aussitôt, auprès de son peuple asservi et des soldats russes d’occupation, un ministère « clandestin » efficace et énergique. Il fut arrêté en 1948. Plus tard, sa femme Sabine aussi. Celle-ci fut condamnée à trois ans de travaux forcés. Quant à lui, il passa d’abord trois ans en réclusion, sans voir personne sinon ses bourreaux. Après quoi il fut transféré dans une cellule commune pendant cinq années durant lesquelles la torture ne lui fut pas épargnée.

En raison de son importance internationale comme dirigeant chrétien, des diplomates des ambassades étrangères s’inquiétèrent de sa sécurité près du gouvernement communiste. Il leur fut répondu qu’il s’était enfui de Roumanie. Plus tard, des inspecteurs de la police secrète, qui se présentèrent comme des camarades de prison, vinrent raconter à sa femme qu’ils avaient assisté à son enterrement dans le cimetière des prisonniers. Sa famille et ses amis de l’extérieur reçurent avis de ne plus avoir à s’inquiéter de lui parce qu’il était mort.

Au bout de huit ans, il fut relâché et reprit bientôt son apostolat dans l’Église Clandestine. Deux ans plus tard, en 1959, il fut arrêté de nouveau et condamné à 25 ans de prison.

Une amnistie générale, en 1964, entraîna sa libération et il se remit encore à son ministère clandestin. Mais, comprenant qu’une troisième arrestation risquerait de lui être fatale, des chrétiens de Norvège négocièrent son départ de Roumanie avec les autorités communistes. Celles-ci commençaient à « vendre » leurs prisonniers politiques. Le « prix de base » était de 10 000 francs (1969). Richard Wurmbrand fut payé 30 000 francs.

En mai 1966, déposant comme témoin devant le Sous-Comité de Sûreté Intérieure du Sénat américain, il se déshabilla jusqu’à la ceinture pour montrer les 18 cicatrices profondes dont les tortures lui ont zébré le corps. Les journaux répandirent son histoire à travers le monde, en Amérique, en Europe, en Asie. Il fut averti en septembre 1966 que le parti communiste de Roumanie avait décidé de le faire assassiner. Ces menaces de mort ne l’ont pas réduit au silence. On l’a surnommé « la voix de l’Église Clandestine ». Les dirigeants chrétiens l’appellent « le martyr vivant » et « le Saint Paul du Rideau de fer ».

 

 

 

 

 

INTRODUCTION

 

 

 

POURQUOI J’ÉCRIS CE LIVRE

 

 

J’apporte à tous les chrétiens du monde libre un message de l’Église Clandestine de par-delà le Rideau de fer.

Cette Église, dont j’étais l’un des dirigeants, a décidé que je ferais tout mon possible pour rejoindre le monde libre et vous délivrer ce message pressant. Par un miracle extraordinaire qui va vous être raconté, j’ai pu survivre et l’atteindre, le monde libre. Dans ce livre, j’accomplis la mission dont m’a chargé la fidèle Église qui souffre dans les pays communistes.

Pour que ce message retienne votre pleine attention et vous presse d’agir, je donne d’abord mon témoignage : il vous expose le travail qu’accomplit l’Église Clandestine.

 

 

 

 

 

I

 

UN ATHÉE DÉCOUVRE LE CHRIST

 

 

 

JAI ÉTÉ élevé dans une famille sans religion. Orphelin de très bonne heure, privé de toute éducation religieuse, j’ai grandi dans l’amertume et la pauvreté pendant les années difficiles de la première guerre mondiale. Bref, à quatorze ans j’étais un athée déjà endurci, un sans-Dieu aussi convaincu que le sont aujourd’hui les communistes. Les livres que je lisais n’étaient certes pas de ceux qui pouvaient me donner la foi au Christ ou en un Dieu quelconque. C’étaient là des notions que je haïssais comme nuisibles à l’esprit humain. Et mon hostilité envers la religion croissait de plus en plus.

Mais, sans que j’y fusse absolument pour rien, car j’avais un détestable caractère, Dieu me faisait – je l’ai compris plus tard – la grâce d’être de ceux qu’Il choisit pour d’incompréhensibles raisons.

En dépit de mon athéisme, quelque chose d’inconscient m’attirait toujours vers les églises. Il m’était difficile de passer près d’un de ces édifices sans y entrer. Et pourtant je ne comprenais jamais rien à ce qui s’y passait. Les sermons que j’y entendais n’éveillaient aucun écho dans mon cœur. J’étais persuadé qu’il ne s’y trouvait pas de Dieu. Mais si je détestais la fausse notion de Dieu que j’avais dans l’esprit, j’aurais aimé être sûr qu’il existait quelque part, au centre de l’univers, un cœur aimant. Parce que j’avais été trop privé des joies de l’enfance et de l’adolescence, je désirais ardemment qu’un cœur plein d’amour battît aussi pour moi.

Convaincu de l’inexistence d’un Dieu d’amour, j’en souffrais. Un jour, au cours de ce conflit spirituel intime, j’entrai dans une église catholique. J’y vis quelques fidèles agenouillés et murmurants. La pensée me vint de m’agenouiller à côté d’eux, d’essayer d’entendre ce qu’ils disaient et de répéter leurs prières pour voir ce qui en résulterait. Ils priaient la Sainte Vierge. « Je vous salue, Marie, pleine de grâce. » Le regard fixé sur une statue de la Vierge Marie, je répétai ces mots, encore et encore. Hélas ! rien n’arriva. Et j’en fus profondément déçu.

Et puis, un autre jour, moi, l’athée endurci, je me mis à prier Dieu. Voici à peu près en quels termes : « Dieu, je suis sûr que tu n’existes pas. Si, par hasard, tu existes, ce que je nie, ce n’est pas mon devoir de croire en toi. C’est toi, au contraire, qui as le devoir de te révéler à moi. » L’athéisme ne me donnait pas la paix du cœur.

Tandis que je souffrais de ce tourment intérieur – je l’appris plus tard –, dans un village accroché aux montagnes de Roumanie un vieux charpentier priait ainsi de son côté : « Mon Dieu, je vous ai servi ici-bas et je voudrais bien en être récompensé sur la terre comme au ciel. J’aimerais que ma récompense fût de ne pas mourir avant d’avoir amené un juif au Christ, puisque Jésus était juif. Mais je suis pauvre, vieux et malade, il n’y a pas de juif dans mon village, et je ne peux pas m’en aller pour en chercher un. Amenez-moi donc vous-même un juif ici, et je ferai de mon mieux pour le gagner au Christ. »

Une force irrésistible me poussa vers ce village, où je n’avais absolument aucune raison d’aller. Il y en a 12 000 en Roumanie, et c’est à celui-là que je m’en fus. Apprenant que j’étais juif, le vieux charpentier se mit à me faire une cour à rendre jalouse une jolie fille. Parce qu’il voyait en moi la réponse à sa prière, il me donna une Bible à lire. Souvent déjà j’avais lu la Bible par simple intérêt culturel. Mais celle qu’il me donna était d’une au sorte. Il me le dit par la suite : pendant des heures lui et sa femme priaient pour ma conversion et celle de ma femme. Aussi, plutôt qu’en caractères d’imprimerie, sa Bible était écrite en flammes d’amour allumées par ses prières. À peine pouvais-je la lire ; je pleurais dessus en comparant ma triste existence à celle de Jésus, mon impureté à la pureté de Jésus, ma haine à l’amour de Jésus. Et Jésus m’accepta parmi les siens.

Peu après ma femme se convertit, elle aussi. Elle amena au Christ d’autres âmes qui, à leur tour, en entraînèrent d’autres et c’est ainsi que naquit en Roumanie une nouvelle communauté luthérienne.

Vint alors le temps des Nazis, et nous eûmes beaucoup à souffrir. En Roumanie le nazisme prit la forme d’une dictature entre les mains d’éléments orthodoxes extrémistes qui persécutèrent aussi bien les Protestants que les Juifs.

Dès avant ma préparation au ministère et mon ordination, j’étais en fait le dirigeant de l’Église que j’avais fondée. J’en étais donc le responsable. Plusieurs fois, ma femme et moi, tous fûmes arrêtés, battus, traînés devant les juges nazis. Pour lui éviter la mort, il nous fallut donner à mon fils Mihaï (Michel) un autre prénom sans consonance juive. Mais, pour grave qu’elle fût, la terreur nazie n’était qu’un avant-goût de ce qui devait nous arriver sous les communistes.

Cette époque nous fut pourtant avantageuse. Elle nous apprit que nous pouvions supporter d’être battus et qu’avec le secours de la grâce de Dieu l’esprit humain est capable de surmonter d’affreuses tortures. Elle nous apprit la technique de l’apostolat chrétien clandestin et nous prépara ainsi à des éventualités pires – et justement très proches.

 

 

MON MINISTÈRE AUPRÈS DES RUSSES

 

Poussé par le remords d’avoir vécu en athée, je désirais, depuis le premier jour de ma conversion, porter témoignage auprès des Russes. C’est un peuple qui, dès l’enfance, est plongé dans l’athéisme. Mon désir de l’atteindre allait être exaucé, et cela justement pendant l’occupation nazie, qui encombra la Roumanie de milliers de prisonniers de guerre russes parmi lesquels nous pûmes nous livrer à l’apostolat chrétien.

Travail dramatique mais passionnant. Je n’oublierai jamais ma première rencontre avec un de ces prisonniers. Il me dit qu’il était ingénieur. « Croyez-vous en Dieu ? » lui demandai-je. S’il m’avait répondu non, je n’en aurais pas été étonné ; chaque homme est bien libre de croire ou de ne pas croire. Mais il leva vers moi des yeux pleins de perplexité et dit : « Mes chefs ne m’ont pas donné l’ordre de croire. S’ils me le donnent, je croirai. »

Des larmes roulèrent sur mes joues, et je me sentis comme si mon cœur allait se briser en morceaux. J’avais donc devant moi un homme dont la volonté était annihilée, un homme qui avait perdu le plus riche présent de Dieu à l’humanité : la grâce de la personnalité. Le lavage de cerveau avait fait de lui un outil aux mains des communistes, prêt à croire ou à nier sur ordre. Il n’avait plus de pensée personnelle ; c’était le Russe typique fabriqué par toutes ces années de domination marxiste. Après le choc que me produisit cette constatation des résultats du communisme sur des êtres humains, je promis à Dieu de vouer ma vie à ces hommes-là, de manière à leur rendre leur personnalité et à leur insuffler la foi au Christ et à son Père.

Et pour les atteindre je n’eus pas besoin d’aller en Russie. Le 23 août 1944, un million d’hommes de l’armée russe pénétrèrent en Roumanie, où, peu après, les communistes prirent le pouvoir. Alors commença un cauchemar au regard de quoi les souffrances endurées sous les nazis allaient nous paraître légères.

À cette époque, en Roumanie, pour une population de 18 millions d’âmes, le parti communiste ne comptait guère que 10 000 adhérents. Mais Vichinsky, ministre des Affaires Étrangères de l’Union Soviétique, entra en coup de vent dans le bureau de notre roi Michel Ier, posa ses poings sur la table et ordonna : « Appelez des communistes au gouvernement. » Nos troupes et notre police furent désarmées et, malgré la haine générale qui les entourait, les communistes accédèrent par la force au pouvoir. Ce à quoi, d’ailleurs, les gouvernements américain et anglais n’eurent pas l’air de s’opposer.

Les hommes sont responsables devant Dieu non seulement de leurs péchés personnels, mais aussi de leurs péchés nationaux. De la tragique captivité de tant de peuples la responsabilité pèse sur les cœurs des chrétiens d’Amérique et d’Angleterre. Il importe que les Américains sachent bien qu’ils ont – inconsciemment parfois – aidé les Russes à nous imposer leur régime de terreur et d’assassinat. Il faut qu’ils réparent en aidant les peuples captifs à venir à la lumière du Christ.

 

 

L’AMOUR PARLE LE MÊME LANGAGE QUE LA SÉDUCTION

 

Une fois au pouvoir, les communistes usèrent envers l’Église d’habiles moyens de séduction. Le langage de l’amoureux est le même que celui du séducteur. Celui qui désire une fille pour la vie et celui qui la veut seulement pour une nuit et la rejettera le lendemain disent tous les deux : « Je t’aime. » Jésus nous a appris à distinguer le langage de l’amour de celui de la séduction et à reconnaître les loups sous les peaux de brebis qui les déguisent.

Des milliers de prêtres, de pasteurs et de desservants ne surent pas distinguer ces deux langages quand les communistes prirent le pouvoir. Sur l’ordre de ceux-ci, toutes les organisations chrétiennes se réunirent en congrès dans le Palais de notre Parlement. Il y avait là 4 000 prêtres, pasteurs et ministres de toutes dénominations. Et qui choisirent-ils comme Président d’honneur ? Ce Joseph Staline qui, au même moment, présidait le Congrès Mondial des sans-Dieu et exécutait en masse les chrétiens. L’un après l’autre, des évêques et des pasteurs se levèrent dans notre Parlement et déclarèrent que communisme et christianisme étaient fondamentalement apparentés et pouvaient coexister. L’un après l’autre ils firent l’éloge du communisme et se portèrent garants de la loyauté de l’Église envers le nouveau gouvernement.

J’étais là, et ma femme était assise à côté de moi. Soudain elle me dit :

– Debout, Richard ! Ils ont craché au visage du Christ. Lave cette honte !

– Si je le fais, tu perds ton mari, répondis-je.

– Je ne tiens pas à avoir un lâche pour époux, riposta-t-elle.

Alors je me levai et je pris la parole pour louer, non pas les assassins des chrétiens, mais le Christ-Dieu à qui, dis-je, est due d’abord notre fidélité. Les discours du Congrès étant diffusés, tout le pays put entendre le message du Christ proclamé du haut de la tribune du Parlement communiste. Il me fallut plus tard payer cette audace, mais cela en valait la peine.

Les dirigeants des Églises orthodoxes et protestantes rivalisaient dans la soumission au communisme. Un évêque orthodoxe fit broder la faucille et le marteau sur ses vêtements et demanda à ses prêtres de ne plus l’appeler « Votre Grâce » mais « Camarade Évêque ». Au Congrès Baptiste de Resita qui se tint sous le drapeau rouge – j’y étais –, l’hymne de l’Union Soviétique fut chanté par toute l’assistance debout. Le président proclama que Staline ne faisait qu’appliquer les Commandements de Dieu. « C’est, dit-il, un grand professeur d’Écriture Sainte. » Des prêtres, tels Patrascoiu et Rosiany, firent mieux encore : ils devinrent officiers de la police secrète. Rapp, évêque délégué de l’Église Luthérienne en Roumanie, se mit à enseigner, dans les séminaires de théologie, que Dieu s’est révélé trois fois : par Moïse d’abord, puis par Jésus, enfin par Staline, dont le message est très supérieur aux deux précédents.

Les vrais Baptistes, que j’aime beaucoup, n’étaient certes pas d’accord ; ils restaient fidèles au Christ et souffraient profondément. Mais leurs nouveaux dirigeants étaient nommés par les communistes, et non plus par eux, qui ne pouvaient plus que les subir. C’est d’ailleurs ce qui se passe encore aujourd’hui dans les hautes sphères religieuses.

Et bientôt, les renégats qui avaient abandonné le service du Christ pour celui du communisme dénoncèrent ceux de leurs frères qui ne se joignaient pas à eux.

Après la Révolution russe, les chrétiens de Russie avaient créé une Église Clandestine. L’arrivée au pouvoir du communisme et la trahison de nombreux dirigeants ecclésiastiques nous incitèrent à créer de même en Roumanie une Église Clandestine [1] fidèle à prêcher l’Évangile et à élever les enfants pour le Christ, car les communistes interdisaient cet apostolat, et l’Église officielle se taisait.

Avec d’autres, j’entrepris donc ce travail souterrain. La position sociale tout à fait respectable que j’occupais et qui n’avait rien de commun avec une tâche de ce genre me servait de couverture. J’étais le pasteur de la Mission Luthérienne norvégienne et je faisais partie de la représentation en Roumanie du Conseil Œcuménique des Églises. (Nous ne soupçonnions pas du tout là-bas que cette organisation collaborerait un jour avec les communistes ; à cette époque, en ce pays, elle ne s’occupait que d’assistance.) Grâce à ces deux titres, je me trouvais en excellente situation devant les autorités, lesquelles ne se doutaient nullement de mes activités secrètes, c’est-à-dire de mon double ministère : auprès du million de soldats russes d’une part, et des populations roumaines asservies, d’autre part.

 

 

LES RUSSES : UN PEUPLE AUX ÂMES ASSOIFFÉES

 

Prêcher l’Évangile à des Russes, c’est pour moi le ciel sur la terre. J’ai parlé à des gens de diverses nations, mais je n’ai jamais vu un peuple assoiffé de l’Évangile comme celui-là.

Un jour, un prêtre orthodoxe de mes amis me téléphona qu’un officier russe voulait me voir pour se confesser ; ne connaissant pas le russe et sachant que je le parlais, ce prêtre avait donné mon adresse. Le lendemain, l’officier vint chez moi. Il aimait Dieu, il le désirait, mais n’avait jamais ouvert une Bible, ni assisté à un office religieux (en Russie, très rares sont les églises), ni reçu d’éducation religieuse. Il aimait Dieu sans le connaître.

Je lui lus d’abord le Sermon sur la montagne et les paraboles. Il écouta attentivement puis se mit à danser de joie autour de la pièce en proclamant : « Comme c’est beau ! Comment ai-je pu vivre sans le connaître, ce Christ ? » C’était la première fois que je voyais quelqu’un pareillement ravi par Jésus.

Mais je commis une gaffe. Sans l’y avoir préparé, je lus à cet homme la Passion et la Crucifixion. Apprenant brusquement que le Christ a été flagellé, crucifié et mis à mort, il tomba dans un fauteuil et se mit à pleurer abondamment. Il venait d’entrevoir un Sauveur et ce Sauveur n’était plus.

En le regardant, j’eus honte de porter moi-même les titres de chrétien et de pasteur, et de m’être cru digne d’enseigner autrui. Jamais je n’avais, comme cet officier russe, partagé les souffrances du Christ. Il me semblait contempler Marie-Madeleine pleurant au pied de la Croix, et fidèle encore dans ses larmes à ce Jésus qui n’était plus qu’un cadavre dans un tombeau.

Je lus alors à l’officier le récit de la Résurrection. Il ne savait pas non plus que son Sauveur était sorti vivant du sépulcre. À cette nouvelle étonnante, il se tapa sur les genoux et proféra un juron tout à fait ordurier mais qui, je le crois, méritait assez le « sacré » par quoi il commençait. Après tout, cette grossièreté n’était-elle pas l’habituelle manière de parler de cet homme ? Redevenu joyeux, mon Russe s’écria : « Il est vivant ! Il est vivant ! » Et de nouveau bondissant d’allégresse, il se mit à danser autour de la chambre.

« Prions ! » lui dis-je. Il ne connaissait pas de prière, il ignorait nos phrases pieuses. Il tomba à genoux en même temps que moi et prononça ces mots : « Ô Dieu, quel chic type vous êtes ! Si j’étais vous et si vous étiez moi, jamais je ne vous aurais pardonné vos fautes. Mais vous, vous êtes vraiment un chic type. Je vous aime de tout mon cœur. »

À mon avis, tous les anges du ciel durent s’immobiliser et se demander ce qu’ils devaient penser de cette prière sublime sur les lèvres d’un officier russe. En tout cas, celui-ci venait d’être gagné au Christ.

Dans une boutique, un autre jour, je rencontrai deux autres Russes, un capitaine et une femmes officier, en train de marchander différents objets. Comme ils s’entendaient difficilement avec le commerçant qui ne comprenait pas leur langue, je m’offris à leur servir d’interprète, nous fîmes connaissance et je les invitai à déjeuner chez moi. Au début du repas, je leur dis : « Vous êtes ici dans une maison chrétienne où l’on a l’habitude de bénir la table. » Je dis une prière en russe. Ils posèrent fourchettes et couteaux et, se désintéressant de la nourriture, ils m’accablèrent de questions sur Dieu, le Christ et la Bible, dont ils ignoraient tout.

La conversation ne fut pas facile. Je leur racontai la parabole de l’homme qui possédait cent brebis et en avait perdu une. Ne la comprenant pas, ils me demandèrent : « Comment cet homme pouvait-il être propriétaire de cent brebis ? Il n’y avait donc pas de ferme collective communiste ? » Je leur dis ensuite que Jésus est Roi. Ils ripostèrent : « Tous les rois furent de mauvaises gens qui tyrannisaient les peuples. Jésus fut donc aussi un tyran. » Quand je leur eus raconté la parabole des ouvriers de la vigne, ils dirent : « C’est bien fait ! Ils ont eu raison de se révolter contre cet accapareur ; son vignoble devait appartenir à la collectivité. » Tout leur était nouveau. La naissance de Jésus leur inspira ce mot qui, dans la bouche d’un Occidental, eût été blasphème : « Marie était donc la femme de Dieu ? » Et cette discussion, comme beaucoup d’autres, m’apprit que pour prêcher l’Évangile aux Russes, il faut employer un langage entièrement renouvelé.

En Afrique centrale, les missionnaires éprouvent de grandes difficultés à traduire cette parole d’Isaïe : « Même si leurs péchés sont aussi rouges que l’écarlate, ils deviendront blancs comme la neige. » Personne n’y ayant jamais vu de neige, il n’y a pas de terme là-bas pour la désigner. Et l’on a dû traduire : « Vos péchés deviendront aussi blancs que le cœur de la noix de coco. » De même, pour le rendre intelligible aux Russes, il nous fallait traduire l’Évangile en langage marxiste. C’était là une besogne que nous n’aurions pu accomplir de nous-mêmes, mais que le Saint-Esprit réussit en se servant de nous.

Le capitaine et la femme officier se convertirent ce même jour. Et pour notre apostolat parmi les Russes leur aide nous fut ensuite très utile.

Nous imprimions en cachette pas mal de milliers d’Évangiles et d’autres textes chrétiens, et les soldats russes convertis nous aidèrent à passer en contrebande en Union Soviétique de nombreuses Bibles complètes ou abrégées. Nous usions aussi d’un autre moyen de diffusion. Beaucoup de ces soldats qui se battaient depuis tant d’années avaient laissé au pays des enfants qu’ils n’avaient pas revus de tout ce temps-là. (Les Russes aiment profondément leurs enfants.) Dans les rues et les parcs, mon fils Mihaï et d’autres gosses de moins de 10 ans, avec des Évangiles et d’autres textes plein leurs poches, s’approchaient des Russes. Ceux-ci, pensant à leurs enfants, caressaient les nôtres, leur parlaient gentiment, leur distribuaient bonbons ou chocolat, et les gosses en échange leur donnaient des Bibles et des Évangiles qu’ils acceptaient avec empressement. Ce qu’il nous était trop dangereux de tenter ouvertement, nos enfants le faisaient en toute sécurité ; ils se comportaient parmi les Russes en vrais « jeunes missionnaires ». Et les résultats étaient excellents. Nombreux furent les soldats qui reçurent ainsi l’Évangile quand il n’y avait pas moyen de le leur donner autrement.

 

 

PRÉDICATION DANS LES CANTONNEMENTS RUSSES

 

Nous ne nous contentions pas de ces contacts individuels. Nous pûmes tout aussi bien travailler en petites réunions de groupes.

Les Russes étaient grands amateurs de montres. Ils en volaient à tout le monde. Ils arrêtaient les passants dans les rues pour s’en faire donner. On rencontrait des soldats avec à chaque bras plusieurs bracelets-montres et des femmes officiers qui portaient un réveil en sautoir autour du cou. N’en ayant jamais vu jusqu’alors, ils n’en avaient jamais assez. Quand des Roumains désiraient se procurer une montre, ils n’avaient qu’à se rendre dans les baraquements de l’armée soviétique pour en acheter une, laquelle était souvent celle qui leur avait été volée. On voyait donc fréquemment des Roumains entrer dans les cantonnements russes. Et cela nous fournissait, à nous de l’Église Clandestine, d’excellents prétextes pour pénétrer chez les occupants.

Pour ma première tentative de prédication dans un baraquement russe, je saisis l’occasion d’une fête orthodoxe, celle de saint Pierre et saint Paul. Je prétextai le besoin d’acheter une montre. « Trop chère, celle-ci, dis-je, trop petite, celle-là ; trop grosse cette troisième. » Plusieurs soldats se rassemblèrent autour de moi et chacun m’offrait quelque chose à acheter. En riant, je dis : « Quelqu’un d’entre vous se nomme-t-il Pierre ou Paul ? » « Oui », s’écrièrent plusieurs. J’enchaînai : « Savez-vous qu’aujourd’hui l’Église Orthodoxe fête saint Pierre et saint Paul ? » Quelques-uns des plus âgés le savaient... « Savez-vous qui étaient saint Pierre et saint Paul ? » Ils l’ignoraient tous. Je me mis alors à parler des deux apôtres. L’un des plus vieux soldats m’interrompit.

« Vous n’êtes pas venus pour acheter une montre, mais pour nous parler de la foi. Eh bien ! Asseyez-vous et parlez. Mais gare ! Il faut se méfier chez nous. Les copains ici présents sont tous de braves garçons. Quand je vous toucherai le genou, vous parlerez de montres. Quand j’enlèverai ma main, vous pourrez reprendre votre discours. »

Et les hommes qui m’entouraient m’écoutèrent parler de Paul et de Pierre, et du Christ pour qui moururent ces deux apôtres. De temps en temps, quand un étranger suspect s’approchait, le vétéran me touchait le genou et je parlais montres ; quand l’étranger s’éloignait je reprenais ma prédication. Très souvent, je pus renouveler de ces visites-là, grâce à des soldats russes chrétiens, dont beaucoup de camarades trouvèrent ainsi le Christ. Et de cette façon des milliers d’Évangiles furent secrètement distribués. Cela valut à nombre de nos frères et sœurs de l’Église Clandestine d’être surpris et cruellement sanctionnés ; mais aucun ne trahit notre organisation.

Ce travail nous procura la joie de rencontrer des frères de l’Église Clandestine de Russie et de les entendre raconter leurs expériences. Dès l’abord, nous voyions en eux des ébauches de grands saints. Ils avaient traversé de longues années d’endoctrinement communiste. Plusieurs avaient suivi les cours des universités marxistes, mais, semblables au poisson d’eau douce transporté dans l’eau salée et dont la chair conserve son goût, ils avaient conservé leur âme claire et pure dans le Christ.

Quelles belles âmes que celle de ces Russes chrétiens ! « Nous le savons, disaient-ils, l’étoile frappée de la faucille et du marteau que nous portons sur nos casquettes est l’étoile de l’antéchrist. » Et ils ne cachaient pas leur chagrin. Leur aide nous fut très précieuse pour la diffusion de l’Évangile parmi les soldats soviétiques. Ils avaient, je peux l’affirmer, toutes les vertus chrétiennes, sauf une : la joie. Celle-ci, une conversion pouvait seule la leur donner, et elle disparaissait aussitôt. Cela m’étonnait beaucoup. Un jour j’en demandai la raison à un Baptiste.

– Comment se fait-il que vous ne connaissiez pas la joie ?

– Et comment pourrais-je être joyeux, me répondit-il, quand je dois cacher au pasteur même de mon église que je suis chrétien fervent, que je mène une vie de prière, que j’essaie de gagner des âmes ? Ce pasteur est un indicateur de la police secrète. Nous nous espionnons les uns les autres et ce sont les bergers qui trahissent le troupeau. La joie du salut est cachée tout au fond de notre cœur, mais la satisfaction qui transparaît sur vous à l’extérieur, nous ne pouvons plus la montrer. Le christianisme est devenu tragédie pour nous. Vous, chrétiens libres, quand vous gagnez une âme au Christ, vous augmentez d’un membre une Église qui vit dans la paix. Mais nous, quand cela nous arrive, nous savons que nous condamnons peut-être ce converti à la prison et que ses enfants risquent de devenir orphelins, car c’est le prix qu’il faut payer pour cette conquête. Et voilà ce qui ternit notre joie. »

Nous avons donc rencontré un type de chrétien entièrement nouveau : le chrétien de l’Église Clandestine. De là d’innombrables surprises.

De même que beaucoup se croient chrétiens qui en réalité ne le sont pas, de même beaucoup de Russes se croient athées et en fait ne le sont pas.

J’ai eu devant moi un couple de Russes, tous deux sculpteurs. Quand je leur parlai de Dieu, ils me répondirent : « Non, Dieu n’existe pas. Nous sommes des bezboshniki – des sans-Dieu. Mais il nous est arrivé quelque chose qui vous intéresse et que nous allons vous raconter. Nous étions en train, – poursuivit l’homme, – de travailler à une statue de Staline quand un jour ma femme me dit :

– Mon cher mari, que penses-tu de notre pouce ? S’il ne s’opposait pas à nos doigts, si les doigts de nos mains étaient comme nos orteils, nous serions incapables de tenir marteau, maillet, outil, livre ou morceau de pain. Sans ce petit pouce, impossible serait la vie humaine. Alors, qui l’a inventé, ce pouce ? Nous avons tous deux appris dans les écoles marxistes que le ciel et la terre n’ont pas été créés par un Dieu, qu’ils existent par eux-mêmes, et nous le croyons. Mais ce Dieu qui n’a pas créé le ciel et la terre aurait-il seulement créé le pouce qu’il faudrait lui rendre grâce rien que pour cette petite invention. Nous honorons Edison, Bell et Stephenson parce qu’ils ont inventé l’ampoule électrique, le téléphone, le chemin de fer et autres merveilles. Alors, pourquoi pas l’inventeur du pouce ? Si Edison n’avait pas eu de pouce, il n’aurait rien inventé. Il est donc juste de remercier le Dieu qui a fabriqué ce doigt.

Comme il arrive souvent aux maris dont les épouses font preuve de bon sens, celui-ci se mit en colère : « Assez de sottises ! Tu as appris qu’il n’y a pas de Dieu. Enfonce-toi ça dans la tête une bonne fois pour toutes. Dans le ciel, il n’y a personne. »

– Voici quelque chose de plus étonnant encore, répliqua la femme. S’il y avait au ciel ce Dieu tout-puissant en qui nos ancêtres ont eu la stupidité de croire, il serait tout naturel que nous ayons un pouce ; car un créateur tout-puissant peut tout y faire, y compris ce doigt-là. Mais s’il n’y a personne au ciel, eh bien ! moi, je suis décidée à remercier ce créateur du pouce qui s’appelle personne.

Ce dit « Personne », tous deux se mirent à l’adorer. Peu à peu leur foi grandit et leur montra aussi en Lui le créateur des étoiles, des fleurs, des enfants, de toutes les beautés d’ici-bas. Ainsi, dans Athènes autrefois, saint Paul trouva-t-il des adorateurs d’un « Dieu inconnu ».

Comment définir la joie de ce couple lorsqu’il apprit de moi que sa foi était bien fondée, qu’en réalité il n’y a dans le ciel Personne au sens matériel de ce mot, que Dieu est un pur esprit [2] : esprit d’amour, de sagesse, de vérité, de force. Et que ce Dieu-Personne les aime d’un tel amour qu’il a envoyé son Fils unique se sacrifier pour eux sur la croix.

Voilà donc des gens qui croyaient en Dieu sans le savoir. Et j’ai eu le précieux privilège de les faire avancer d’un pas dans la connaissance de la rédemption et du salut.

Une fois, croisant dans une rue une femme officier russe, je m’approchai d’elle et lui dis en m’excusant :

– Je sais qu’il est impoli d’accoster une inconnue dans la rue, mais je suis pasteur et n’ai pas de mauvaise intention. Je voudrais vous parler du Christ.

– Vous l’aimez, le Christ ? me demanda-t-elle.

– Oui, de tout mon cœur.

Alors elle se jeta dans mes bras et m’embrassa plusieurs fois. Situation plutôt gênante pour un ecclésiastique. Je lui rendis quand même ses baisers dans l’espoir que les gens nous prendraient pour des parents.

– Moi aussi, j’aime le Christ ! s’écria-t-elle.

Je la conduisis chez nous. Là, je découvris avec étonnement qu’elle ignorait tout du Christ sauf le nom. Elle ignorait qu’il est le Sauveur et même ce que signifie le mot salut ; elle ignorait sa vie et sa mort, son enseignement, son ministère. Et pourtant elle L’aimait. Curieux cas psychologique : comment peut-on aimer quelqu’un dont on ne connaît que le nom ?

Cette question, je la lui posai. Elle m’expliqua :

– Enfant, j’ai appris à lire d’après des images : un âne pour A, une boule pour B, un chat pour C, et ainsi de suite. À l’école supérieure, on m’a appris que défendre la patrie communiste est un devoir sacré, on m’a enseigné la morale communiste. Mais à quoi cela ressemble-t-il, un devoir sacré, une règle morale ? Pour comprendre, il m’aurait fallu des images. Depuis j’ai appris que nos ancêtres possédaient des images pour tout ce qui est beau, digne et vrai dans la vie. Ma grand-mère s’inclinait toujours devant certaine image et elle me disait : « C’est le portrait de quelqu’un qui s’appelait Christos. J’aimais ce nom rien que pour lui-même. Il devint pour moi comme un être réel et il me suffisait de le prononcer pour me sentir toute joyeuse. »

En écoutant cette femme, je me rappelais ce mot de Paul dans son épître aux Philippiens : « Au nom de Jésus tout genou fléchira. » Il se peut que, pour un temps, l’antéchrist efface de ce monde la connaissance de la Loi divine. Mais il y a dans le seul nom du Christ une puissance qui suffira à mener à la Lumière.

Cette femme officier eut le bonheur de trouver le Christ chez nous, et maintenant Celui dont elle aimait le Nom vit en personne dans son cœur.

Toutes mes rencontres avec des Russes étaient pleines de poésie et profondément significatives.

Une de nos sœurs, qui distribuait des Évangiles, donna un jour mon adresse à un officier. Il entra un matin chez moi. C’était un lieutenant, bel homme de haute taille.

– En quoi puis-je vous être utile ? lui demandai-je.

– Je viens chercher la lumière, répondit-il.

Comme je commençais à lui lire certains passages des plus essentiels de l’Écriture, il posa sa main sur la mienne et dit :

– De grâce, je vous en supplie de tout mon cœur, ne me lancez pas sur un mauvais chemin. J’appartiens à un peuple que l’on maintient dans les ténèbres. Dites-moi, s’il vous plaît, si ce que vous lisez est la vraie Parole de Dieu.

Je le lui certifiai, il m’écouta pendant des heures et... accepta le Christ.

En matière de religion, les Russes ne sont ni légers, ni superficiels. Qu’ils la combattent ou la pratiquent, ils s’y donnent tout entiers. Aussi, en Russie, tout chrétien est-il un missionnaire avide de conquérir des âmes : en sorte qu’il n’y a pas au monde de pays aussi mûr pour un travail évangélique fructueux. Le peuple russe est le plus naturellement religieux de la terre, et la face du monde changerait si nous mettions assez d’ardeur à lui porter l’Évangile.

Je tiens pour tragique que cette terre de Russie et ses populations soient encore si privées de la Parole de Dieu, dont elles ont une telle faim, alors qu’il semble qu’elle ait été écrite d’un seul jet presque tout entière pour elles.

Dans un train, un officier russe s’était assis en face de moi. Je lui parlais du Christ depuis quelques minutes, quand tout à coup il m’interrompit par un flot d’arguments athées : des propos de Marx, Staline, Darwin, Voltaire et d’autres citations anti-bibliques coulaient de ses lèvres. Sans me laisser la possibilité de le contredire, il s’entêta à parler pendant plus d’une heure pour me convaincre de l’inexistence de Dieu. Quand il eut fini, je lui demandai simplement :

– S’il n’y a pas de Dieu, pourquoi priez-vous quand vous êtes dans la peine ?

Tel un voleur pris en flagrant délit, il répliqua.

– Qui vous a dit que je prie ?

Je ne lui permis pas d’esquiver.

– C’est moi qui vous ai questionné le premier. Je vous ai demandé pourquoi vous priez. Répondez-moi, s’il vous plaît.

– Au front, avoua-t-il en baissant la tête, quand les Allemands nous encerclaient, nous priions tous. Nous ne savions pas comment prier. Aussi nous disions : « Dieu et âme de ma mère. »

Voilà sûrement une excellente prière au regard de Celui qui sonde les cœurs !

Notre apostolat parmi les Russes a produit beaucoup de fruit.

Je me rappelle Piotr (Pierre). Nul ne sait en quelle prison soviétique il est mort. Qu’il était jeune ! Vingt ans peut-être. Venu en Roumanie avec son régiment, il se convertit au cours d’une réunion clandestine et me pria de le baptiser. Je lui demandai ensuite quel verset de la Bible l’avait impressionné au point de le pousser à venir au Christ. C’était – dans le chapitre 24 de saint Luc qu’il avait attentivement écouté – l’histoire de la rencontre de Jésus et des deux disciples sur la route d’Emmaüs. Quand, à la tombée du jour, les trois voyageurs atteignirent le village, Jésus fit comme s’il voulait continuer son chemin.

– Cette attitude m’étonna. Jésus désirait certainement demeurer avec ses disciples. Pourquoi donc leur dit-il qu’il ne voulait pas s’arrêter ? Parce que – j’ai pensé – il voulait s’assurer qu’il était vraiment désiré. Quand il vit qu’il serait le bienvenu, il entra plein de joie dans l’auberge avec ses compagnons. Or, les communistes sont au contraire impolis, c’est par effraction qu’ils pénètrent dans nos cœurs et nos cerveaux. Du matin jusqu’au fort de la nuit, ils nous obligent à les écouter ; par l’école, la radio, la presse, les affiches, les films, les meetings athées, où que vous vous trouviez, que cela vous plaise ou non, perpétuellement vous entendez leur propagande athée. Jésus, lui, respecte notre liberté. Il frappe gentiment à notre porte. C’est par sa politesse qu’Il m’a conquis.

Ce contraste absolu entre le communisme et Jésus avait convaincu Piotr. Et ce Russe n’était pas le seul qu’impressionnait ce trait du caractère de Jésus – auquel moi, pasteur, je n’avais jamais encore pensé, je l’avoue.

Après sa conversion, Piotr risqua maintes fois sa liberté et sa vie pour introduire en fraude des textes chrétiens et des secours matériels pour l’Église Clandestine, de Roumanie et de Russie. À la fin, il fut pris. Je sais qu’en 1959 il était toujours en prison. Est-il mort depuis ? Est-il déjà au ciel ou continue-t-il sur terre le bon combat ? Je l’ignore. Dieu le sait.

Comme lui, beaucoup d’autres ne se sont pas contentés de se convertir. Nous ne devons jamais nous arrêter dans la conquête des âmes au Christ ; chaque âme gagnée doit à son tour en gagner d’autres. Et les Russes convertis se faisaient les missionnaires de notre Église Clandestine. Infatigables et pleins d’audace pour le Christ, ils trouvaient toujours insuffisant ce qu’ils pouvaient faire en faveur de Celui qui est mort pour eux.

 

 

NOTRE MINISTÈRE CACHÉ DANS UNE NATION ESCLAVE

 

Une autre de nos activités secrètes : l’apostolat missionnaire près des Roumains eux-mêmes.

Bientôt les communistes mirent bas leurs masques. Après avoir d’abord essayé de la séduction pour se concilier les dirigeants de l’Église, ils se servirent de la terreur. Les arrestations se comptaient par milliers. Gagner une âme au Christ nous devint alors aussi dangereux que ce l’était depuis longtemps en Russie.

Et ce fut mon tour. Je rejoignis en prison des âmes que Dieu m’avait fait la grâce d’amener au Christ. Dans ma cellule se trouvait un père de six enfants emprisonné pour sa foi. Sa femme et ses petits étaient privés de tout. Peut-être ne les reverrait-il plus. Je lui demandai :

– Ne m’en voulez-vous pas de vous avoir amené au Christ et d’être ainsi la cause de tant de misère pour les vôtres ?

Il me répondit :

– Je n’ai pas de mots pour vous remercier de m’avoir conduit à notre Sauveur bien-aimé. Je ne voudrais pas qu’il en fût autrement.

On conçoit que, dans ces conditions, la terreur ne facilitait pas notre prédication. Nous réussîmes à imprimer plusieurs brochures chrétiennes et à les faire passer à travers la sévère censure des communistes. On y voyait sur la première page un portrait de Karl Marx, avec, pour titre : « La Religion est l’opium du peuple », ou quelque chose d’analogue. Le censeur en concluait qu’il s’agissait de publications communistes et appliquait son tampon. Les premières pages étaient faites d’extraits de Marx, de Lénine et de Staline – à la grande satisfaction dudit censeur – mais la suite contenait le message chrétien.

Clandestine, notre Église ne l’est que partiellement. Comme un iceberg, elle se laisse voir en partie. Nous fréquentions les manifestations communistes et nous y distribuions nos « brochures ». À la vue du portrait de Marx, les assistants se disputaient pour les acheter. Quand ils arrivaient à la page 10 et s’apercevaient que la suite parlait de Dieu et de Jésus, nous étions déjà loin.

Oui, certes, les nouvelles conditions de vie nous rendaient très difficile l’apostolat auprès de nos compatriotes roumains. Les oppresseurs communistes prenaient tout à tous ; le fermier se voyait enlever champs et bétail ; le tailleur ou le barbier leur boutique. Et les possédants n’étaient pas les seuls expropriés ; les pauvres eux aussi souffraient beaucoup. Chaque famille, ou presque, avait un de ses membres en prison, et la misère était grande. Certains demandaient : « Comment un Dieu d’amour peut-il permettre le triomphe du mal ? » Mais, en ce Vendredi Saint où, mourant sur sa croix, Jésus s’écria : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? », les premiers apôtres non plus ne pensaient pas qu’il serait facile de prêcher le Christ.

Le travail se faisait quand même, et cela prouve que c’est celui de Dieu, non le nôtre. À de tels problèmes, la Foi chrétienne trouve toujours une solution. C’est ce que Jésus nous a enseigné à propos du pauvre Lazare – aussi persécuté que nous l’étions – ce pauvre Lazare gisant sur son grabat, mourant de faim et dont les chiens léchaient les plaies, mais qu’à la fin les Anges transportèrent dans le sein d’Abraham.

 

 

COMMENT L’ÉGLISE CLANDESTINE TRAVAILLAIT EN PARTIE À CIEL OUVERT

 

Elle se rassemblait partout où c’était possible : appartements, forêts, sous-sols. Et là, souvent, elle préparait son « travail de surface ». Nous avions imaginé un plan de prédication dans les rues ; il devint trop risqué sous l’occupation communiste, mais il nous avait permis d’atteindre bien des âmes que nous n’aurions pu toucher autrement. Ma femme s’y montrait très habile. Quelques chrétiens se rassemblaient au coin d’une rue et se mettaient à chanter. La foule s’assemblait autour d’eux pour les écouter et ma femme délivrait son message. Nous faisions place nette avant l’irruption de la police.

Un après-midi, tandis que j’étais occupé ailleurs, elle prit la parole devant des milliers d’ouvriers, à l’entrée de la grande usine Malaxa, à Bucarest. Elle parla de Dieu et du salut. Le lendemain, de nombreux ouvriers de cette usine se révoltaient contre les injustices communistes. Beaucoup furent tués ; notre message leur était parvenu à temps.

Nous étions membres d’une Église Clandestine, mais comme Jean-Baptiste, nous parlions ouvertement du Christ devant les serviteurs et les maîtres.

Une fois, sur les marches d’un bâtiment officiel, deux de nos frères chrétiens montèrent jusqu’à notre premier ministre, Gheorgiu Dèj. Pendant le peu de temps dont ils disposèrent, ils lui parlèrent en témoins du Christ et le pressèrent de regretter ses péchés et ses persécutions. Il les fit jeter en prison pour cet audacieux témoignage. Des années plus tard, Gheorgiu Dèj tomba malade ; alors la graine évangélique qu’ils avaient semée en lui et pour laquelle ils avaient tant souffert porta son fruit. À l’heure où il en sentait le besoin, le premier ministre se rappela les mots qui lui avaient été dits et qui, selon l’expression biblique, avaient été « rapides, puissants, et plus pénétrants qu’un glaive à deux tranchants ». Tranchée la dure enveloppe de son cœur, il donna son âme au Christ. Il confessa ses péchés, accepta le Sauveur, et commença à le servir dans sa maladie. Peu après, il mourut, mais ce fut pour aller au Rédempteur qu’il venait de trouver parce que deux chrétiens avaient bien voulu en payer le prix, deux de ces courageux chrétiens exemplaires des pays communistes d’aujourd’hui.

Ainsi l’Église Clandestine ne se dépensait pas seulement en réunions et activités secrètes ; hardiment, ouvertement, elle proclamait l’Évangile dans les rues communistes et près des puissants du jour. Nous étions prêts à en payer le prix. Et l’Église Clandestine l’est encore.

La police secrète nous persécutait avec acharnement, parce qu’elle reconnaissait en notre Église la seule résistance efficace, cette résistance spirituelle qui, laissée libre, eût sapé la puissance des sans-Dieu. Elle voyait là, comme seul le démon sait voir, la menace la plus directe contre elle. Elle savait que celui qui croit au Christ ne sera jamais un sujet aveugle et docile, qu’on peut emprisonner les corps mais qu’on n’emprisonne pas la foi en Dieu. Et c’est pourquoi elle nous combattait très durement.

Néanmoins, dans le personnel policier et même au sein des gouvernements communistes, nous avions des sympathisants et des fidèles. Nos chrétiens avaient reçu de nous le conseil d’entrer dans la police secrète, d’en porter l’uniforme détesté et méprisé, afin de pouvoir nous révéler ses projets. Plusieurs s’y risquèrent, en prenant grand soin de dissimuler leur foi. Il est extrêmement pénible d’avoir à supporter le dédain de sa famille et de ses amis sans révéler la mission qui impose le port de l’uniforme communiste. Ceux-là le supportèrent, tant était profond leur amour du Christ.

Quand je fus arrêté dans une rue puis maintenu des années durant au secret le plus strict, un médecin chrétien demanda un emploi dans la police afin de pouvoir s’informer de ma situation. Ses attributions lui donnaient, avec l’accès aux cellules de tous les prisonniers, l’espoir de me retrouver. Le croyant passé aux communistes, tous ses amis s’éloignèrent de lui. Se promener sous l’uniforme des bourreaux, n’est-ce pas offrir au Christ un sacrifice plus méritoire que de porter l’uniforme des prisonniers ?

Il me découvrit dans une cellule basse et ténébreuse et fit savoir que j’étais vivant. C’est le premier ami que je revis pendant mon premier séjour de huit ans et demi en prison. Sachant grâce à lui que je vivais encore, les chrétiens réclamèrent ma libération, quand les prisonniers furent relâchés en 1956 à l’occasion de l’entrevue Eisenhower-Khrouchtchev. Je redevins libre pour quelque temps. Sans ce médecin chrétien, je serais toujours sous les verrous, sinon dans la tombe.

Ces fidèles de l’Église Clandestine affiliés à la police nous furent souvent d’un grand secours en nous signalant ce qui nous menaçait. Aujourd’hui encore des policiers chrétiens protègent les fidèles et les avertissent des dangers qui planent sur eux. Quelques-uns occupent de hautes situations dans les milieux communistes ; ils y conservent leur foi au Christ et leur aide nous est précieuse. Publiquement, un jour dans le ciel ils acclameront ce Christ qu’ils servent aujourd’hui secrètement.

Néanmoins beaucoup de nos frères ont été dénoncés et jetés en prison, car nous avons aussi nos Judas. À force de coups, de drogue, de menaces et de chantage, les communistes s’acharnent à trouver des dénonciateurs parmi les religieux et les laïcs.

 

 

 

 

 

II

 

POUR LE NOM DU CHRIST

 

 

 

JAI EXERCÉ ce ministère à la fois officiel et clandestin jusqu’au 29 février 1948. Ce jour-là était un dimanche, un beau dimanche. Je me rendais à l’église quand la police secrète m’enleva en pleine rue.

Bien des fois je m’étais demandé ce que signifie l’expression « ravisseur d’hommes » qu’on trouve en plusieurs endroits dans la Bible. Le communisme nous l’a appris. Nombreux furent à l’époque ceux qu’on enlevait comme je le fus ce jour-là. Un fourgon de la police stoppa devant moi, quatre hommes en bondirent et me poussèrent dedans. J’étais retiré de la circulation, et pendant plus de huit ans personne ne sut si j’étais mort ou vivant. Des policiers qui se présentaient comme prisonniers libérés vinrent rendre visite à ma femme et lui racontèrent qu’ils avaient assisté à mon enterrement. Elle en eut le cœur déchiré.

À la même époque furent emprisonnés des milliers de fidèles de toutes les confessions, et non seulement des ecclésiastiques, mais aussi de simples paysans, de jeunes garçons, des jeunes filles qui ne cachaient pas leur foi. Les prisons étaient bondées, et prison, en Roumanie comme dans tous les pays communistes, signifiait torture.

Parfois celles-ci étaient atroces. Je préfère ne pas trop parler de celles que j’ai endurées ; quand je m’y laisse aller, je n’en dors pas de la nuit suivante. C’est trop douloureux. Dans un autre livre, intitulé Mes Prisons avec Dieu, j’ai raconté avec beaucoup de détails toutes les épreuves que nous avons vécues au fond des geôles en compagnie de Dieu.

 

 

INDICIBLES TORTURES

 

Un pasteur nommé Florescu était brûlé au moyen de tisonniers et de lames portés au rouge, puis sauvagement battu. Après quoi des rats affamés étaient introduits dans sa cellule à travers un gros tuyau. Au lieu de dormir il devait se défendre sans trêve contre leurs assauts. Cela dura quinze jours et quinze nuits. Les communistes voulaient le forcer à dénoncer ses frères, il résistait sans faiblir. À la fin, ils amenèrent son fils âgé de 14 ans et le fouettèrent devant lui jusqu’à ce qu’il acceptât de parler. Quand ce spectacle lui devint intolérable, le père cria à son enfant : « Alexandre, je vais leur dire ce qu’ils désirent, je ne peux plus supporter qu’ils te battent davantage. » Et son fils répondit : « Non, papa. Ne me fais pas l’injure de me donner un traître pour père. Tiens bon ! S’ils me tuent, je mourrai en disant : Pour Jésus et pour ma patrie. »

Furieux, les communistes battirent à mort le jeune garçon dont le sang giclait sur les murs de la cellule et qui mourut en priant. Notre cher confrère Florescu ne fut plus jamais le même homme ensuite.

On nous mettait aux poignets des menottes bardées de pointes acérées. Quand nous restions tout à fait immobiles, celles-ci ne nous déchiraient pas. Mais comme il faisait très froid dans nos cellules nous frissonnions souvent et les pointes nous lacéraient les poignets.

Des chrétiens étaient suspendus à des cordes et si cruellement battus que leurs corps se balançaient sous les coups comme des pendules. D’autres étaient enfermés dans des glacières, « chambres frigorifiques » si froides que l’intérieur en était tapissé de glace. J’y fus enfermé moi-même, très légèrement vêtu. Par le judas les médecins de la prison venaient surveiller les patients ; aux premiers symptômes de la mort par le froid, ils appelaient et des gardes accouraient pour nous sortir et nous réchauffer. À peu près revigorés, nous étions rejetés dans la glacière pour regeler – encore et encore – dégelés dehors puis regelés dedans jusqu’à l’approche de la mort, puis redégelés, et cela interminablement. Il m’arrive aujourd’hui de ne pouvoir supporter qu’on ouvre un frigidaire devant moi.

D’autres fois on nous enfermait dans des caisses de bois à peine plus larges que nous, où le moindre mouvement nous était impossible. Des dizaines de pointes aiguës en garnissaient les parois. Tout allait bien quand nous ne bougions pas. Mais comment se tenir debout pendant des heures sans fléchir ? Quand sous l’effet de la fatigue nous vacillions ou même tout simplement quand un de nos muscles se contractait, ces abominables pointes nous entraient dans le corps.

Ce que les communistes ont infligé aux chrétiens passe l’entendement. J’ai vu de ces bourreaux remplir leur office le visage ravi, rayonnant de plaisir. Pendant qu’ils torturaient on les entendait hurler : « C’est nous le diable ! »

Nous luttions moins contre la chair et le sang que contre les principautés et les puissances du mal ; il était trop évident que le communisme procède non des hommes, mais du Démon. C’est une force spirituelle – une force diabolique – qui ne peut être domptée que par une force spirituelle supérieure, l’Esprit de Dieu.

J’ai souvent demandé à ces bourreaux : « Votre cœur est donc incapable de pitié ? » Ils me répondaient habituellement par ce mot de Lénine : « On ne fait pas d’omelette sans casser les œufs, on ne rabote pas du bois sans faire voler des copeaux. » Je ripostais : « Le morceau de bois raboté est insensible. Ici, vous avez à faire à des êtres humains. Chaque coup leur cause une douleur, et il y a des mères qui pleurent. » À quoi bon ? Ces gens-là sont des matérialistes. Pour eux il n’y a que matière, l’homme n’est pas plus que du bois ou de la coquille d’œuf, et cette idéologie les plonge jusqu’en d’incroyables abîmes de cruauté.

Inimaginable est la cruauté de l’athéisme. Quand un homme ne croit pas que les bons seront récompensés et les méchants punis, il n’y a pas de raison qu’il reste humain ; il n’y a pas de limites en lui pour le sombre empire du mal. Nous avons souvent entendu de ces bourreaux communistes affirmer : « Il n’y a pas de Dieu, ni, par conséquent, de punition pour le mal. Nous pouvons faire tout ce que nous voulons. » J’en ai même entendu un crier : « Ton Dieu en qui je ne crois pas, je le remercie de m’avoir laissé vivre jusqu’à cette heure où je peux exprimer tout le mal que j’ai dans le cœur. » Et cela tandis qu’il infligeait à des prisonniers des tortures d’une incroyable férocité.

Qu’un crocodile dévore un homme, cela me fait peine, mais je ne peux pas en blâmer le crocodile. C’est un crocodile, ce n’est pas un être moral. On ne peut rien reprocher non plus aux communistes : ils ont détruit en eux tout sens moral et se glorifient d’avoir un cœur inaccessible à la pitié.

Mais j’en ai tiré une leçon : puisqu’ils ne laissaient aucune place à Jésus dans leur cœur, je résolus de ne pas laisser dans le mien la moindre petite place à Satan.

J’ai témoigné devant le Sous-Comité du Sénat des États-Unis. J’y ai décrit des spectacles terrifiants, par exemple des chrétiens attachés à des croix pendant quatre jours et quatre nuits ; les croix étaient étendues par terre et des centaines de prisonniers étaient contraints de venir se soulager sur le visage et les corps des crucifiés. Puis les croix étaient dressées et les communistes hurlaient et ricanaient : « Regardez-le, votre Christ ! Regardez comme il est beau ! » J’ai raconté comment un prêtre, rendu presque fou par la torture, a été forcé de consacrer des excréments humains et de l’urine et d’en communier des chrétiens ; cela s’est passé dans la prison roumaine de Pitesti. J’ai demandé ensuite à ce prêtre pourquoi il n’avait pas préféré la mort à cette parodie : « De grâce, dit-il, ne me jugez pas, j’ai souffert plus que le Christ. » Toutes les descriptions de l’Enfer dans la Bible, tous les supplices de l’Enfer de Dante ne sont rien en comparaison des tortures infligées dans les prisons communistes.

Ce n’est là qu’un détail de ce qui s’est passé un dimanche, et beaucoup d’autres dimanches, dans la prison de Pitesti. On peut en raconter bien davantage. Le cœur me manquerait si je devais le faire ; c’est trop obscène et trop terrible pour que le papier le supporte. Et pourtant c’est ce qu’ont supporté nos frères dans le Christ et ce qu’ils supportent encore maintenant.

L’un des plus exemplaires des héros de la foi fut le pasteur Milan Haimovici. Les prisons étaient combles, les gardiens ne connaissaient pas nos noms. Ils appelaient donc : « Ceux qui ont été condamnés à 25 coups de fouet » – pour infraction à telle ou telle règle de la prison. Alors très souvent, le pasteur Milan Haimovici s’offrit aux coups à la place de quelqu’un d’autre. Ce qui lui valut de gagner la vénération des prisonniers non seulement pour lui-même, mais aussi pour le Christ dont il était le représentant.

Je n’en finirais pas non plus de raconter, en regard des abominations des communistes, les sacrifices des chrétiens. On n’entendait pas seulement parler des tortures, on connaissait aussi les actes d’héroïsme, et ces exemples héroïques donnés par les prisonniers étaient d’un grand réconfort pour leurs frères encore libres.

Une de nos messagères de l’Église Clandestine, une jeune fille, distribuait des Évangiles en cachette et parlait du Christ aux enfants. Avertis, les communistes décidèrent de l’arrêter. Mais pour que ce fût plus cruel, ils retardèrent l’arrestation jusqu’au jour où la jeune fille devait se marier. Elle venait de revêtir sa robe de noce. Quel merveilleux jour de bonheur dans la vie d’une fille ! Tout à coup la porte s’ouvrit avec fracas et la police secrète fit irruption.

Reconnaissant les policiers, la fiancée tendit les bras et offrit ses poignets aux menottes qui se refermèrent brutalement. Alors elle regarda son fiancé : « Je remercie Dieu de m’avoir offert ce joyau pour le jour de mes noces. Je le remercie de m’avoir jugée digne de souffrir pour Lui. » Elle fut emmenée, tandis que son fiancé et les chrétiens présents fondaient en larmes. Ils ne savaient que trop ce qui attendait les jeunes chrétiennes tombées aux mains des gardes communistes. Cinq ans plus tard elle fut relâchée : c’était une femme anéantie, brisée, plus vieille de 30 ans. Son fiancé l’avait attendue. « C’était bien, dit-elle, le moins que je pouvais faire pour mon Christ. »

Qu’ils sont beaux, les chrétiens de l’Église Clandestine !

 

 

COMMENT ON LAVE LES CERVEAUX

 

Les Occidentaux ont probablement, pendant la guerre de Corée et maintenant du Vietnam, entendu parler du lavage de cerveau. Je suis moi-même passé par là, c’est la torture la plus horrible.

Pendant des années nous avons dû rester assis dix-sept heures par jour à entendre :

« Le communisme est bon ! Le communisme est bon ! Le communisme est bon ! Le communisme est bon !

« Le christianisme est stupide ! Le christianisme est stupide ! Le christianisme est stupide !

« Renoncez-y ! Renoncez-y ! Renoncez-y ! »

Dix-sept heures chaque jour, pendant des semaines, des mois, des années.

Plusieurs chrétiens m’ont demandé comment nous avons pu résister au lavage de cerveau. Il n’y a qu’une méthode : le lavage du cœur. Si votre cœur est purifié par l’amour de Jésus, s’il aime le Christ, vous résisterez à toutes les tortures. Que ne ferait pas une fiancée aimante pour son fiancé bien-aimé ? Que ne ferait pas une mère pour son enfant ? Si vous aimez Jésus comme Marie l’aima petit enfant dans ses bras, si vous aimez Jésus comme une fiancée son fiancé, alors vous pouvez supporter ces supplices.

Dieu ne nous jugera pas à la mesure de ce que nous aurons enduré, mais à la mesure de notre amour. Je témoigne ici en faveur de nos chrétiens. J’affirme que dans les prisons communistes, ils ont aimé Dieu et le prochain.

Tortures et brutalités n’avaient jamais de cesse. Quand j’avais perdu connaissance ou que j’étais trop hébété pour laisser quelque espoir d’aveu aux bourreaux, j’étais ramené dans ma cellule. Là, privé de soins, à moitié mort, on me laissait m’étendre de manière à reprendre assez de vigueur pour être travaillé de nouveau. Beaucoup sont morts à ce régime-là mais, je ne sais pourquoi, la force de recommencer m’a toujours été rendue. Au cours des années que j’ai passées en diverses prisons, les bourreaux m’ont brisé quatre vertèbres dorsales et bien d’autres os. Je leur dois d’avoir sur le corps les cicatrices d’une douzaine d’entailles et de dix-huit brûlures creusées dans ma chair.

Quand à Oslo les médecins les virent, ainsi que sur mes poumons les cicatrices d’une tuberculose contractée là-bas, ils déclarèrent miraculeux que je fusse encore en vie. D’après leur expérience de praticiens, j’aurais dû être mort depuis longtemps. Je le sais bien, que c’est un miracle. Notre Dieu est le Dieu des miracles.

Et je crois que s’il a fait celui-là, c’est afin qu’on puisse entendre ma voix plaider pour l’Église Clandestine d’au-delà du Rideau de fer. S’il m’a permis de revenir vivant, c’est pour que je crie à haute voix le message qui vient de vous, ô mes frères souffrants et fidèles.

 

 

COURTE LIBERTÉ – NOUVELLE ARRESTATION

 

1956. J’étais en prison depuis huit ans et demi. J’avais terriblement maigri, j’étais couvert de vilains ulcères. J’avais été brutalement battu et frappé à coups de pied, affamé, écrasé, interrogé jusqu’à la nausée, menacé, humilié. Rien n’avait produit les résultats qu’attendaient mes geôliers. Découragés, ils commençaient à me négliger ; par ailleurs leur parvenaient des protestations contre mon emprisonnement.

Je fus autorisé à retourner à mes anciennes fonctions pour une semaine, pas plus. Je prêchai deux fois. Puis les communistes me convoquèrent et m’interdirent toute prédication ainsi que tout autre ministère religieux. Qu’avais-je bien pu dire ? J’avais donné à mes paroissiens ce conseil : « De la patience, encore de la patience, toujours de la patience ! »

– Cela signifie, me cria le policier, que vous leur conseillez d’attendre que les Américains viennent les libérer.

J’avais dit aussi que la roue tourne, que les jours se suivent et ne se ressemblent pas. Et l’Inspecteur hurlait :

– C’est leur dire que les communistes ne feront pas toujours la loi. Autant de mensonges contre-révolutionnaires.

Ainsi prit fin mon ministère public.

Peut-être les autorités avaient-elles supposé que je n’oserais pas les défier ni retourner à l’évangélisation clandestine ? En ce cas, elles s’étaient trompées. Je me remis à cette tâche et ma famille me seconda.

De nouveau, allant et venant comme une ombre sous la protection d’hommes de confiance, je portai témoignage devant des fidèles secrètement rassemblés. Cette fois-ci mes cicatrices confirmaient la vérité de mon message sur la nocivité de l’athéisme, encourageaient les âmes défaillantes à croire en Dieu et à se montrer vaillantes. Je dirigeais un centre secret d’évangélistes qui s’entraidaient pour la diffusion de l’Évangile sous les yeux des communistes providentiellement aveuglés. Après tout, si un homme est assez aveugle pour ne pas voir la main de Dieu en action, peut-être ne verra-t-il pas non plus celle d’un évangéliste ?

Finalement, l’intérêt que prenait la police à mes activités et à mes alentours lui fut profitable. Je fus de nouveau pris sur le fait et de nouveau mis en prison ! Pourquoi n’y mirent-ils pas en même temps ma famille ? Je ne sais. Peut-être en raison de ma notoriété. J’avais connu huit ans et demi de captivité, puis trois ans d’une liberté relative. Je retournais en prison pour plus de cinq ans et demi.

Et ce deuxième stage fut en bien des cas pire que le premier. Je savais très bien ce qui m’attendait. Ma condition physique devint aussitôt à très mauvaise. Mais nous poursuivîmes le travail secret de l’Église Clandestine dans le secret des prisons communistes.

 

 

UN COMPROMIS. NOUS PRÊCHONS, ILS NOUS BATTENT

 

Défense stricte nous était faite de prêcher aux autres prisonniers. Il était stipulé que quiconque était pris à le faire recevait une sévère correction. Quelques-uns d’entre nous décidèrent de payer le prix du privilège de prêcher. Nous acceptâmes les conditions. Nous prêchions, et ils nous battaient. Et tout le monde fut satisfait : nous de prêcher, eux de nous battre.

Une scène que j’ai vue plusieurs fois me revient en mémoire. Un de nos confrères était en train de prêcher devant d’autres prisonniers quand soudain les gardiens entrèrent, l’arrêtèrent au milieu d’une phrase, le saisirent et l’entraînèrent vers la « salle de correction ». Après une « correction » qui nous parut ne devoir jamais finir, ils le ramenèrent enfin et le jetèrent exténué et sanglant sur le sol de la cellule. Peu à peu, le malheureux redressa son corps rompu, puis il rajusta péniblement son vêtement, et dit : « Où en étais-je, frères, quand ils m’ont interrompu ? » Et terminant la phrase restée en suspens, il poursuivit sa leçon sur l’Évangile.

Que de belles choses j’ai vues !

Il arrivait que les prédicateurs fussent des laïcs. Des hommes très simples qu’inspirait le Saint-Esprit prêchaient souvent de manière remarquable. Leur cœur palpitait dans leurs mots, car prêcher en face de pareils risques n’est pas chose à prendre à la légère ; les gardes pouvaient survenir, saisir l’orateur, le rouer de coups et le laisser pour mort.

Dans la prison de Gherla, un chrétien nommé Grécu fut condamné à être battu à mort. La torture dura plusieurs semaines. L’opération fut menée lentement : un coup de matraque de caoutchouc sur la plante de chaque pied, puis une pause de quelques minutes, puis un second coup et ainsi de suite. Après quoi, martelage des testicules. Un médecin lui faisait alors une piqûre, il reprenait ses sens, était gratifié d’une excellente nourriture qui lui rendait des forces. Et la même torture recommença jusqu’à ce qu’il expirât sous ces coups lentement répétés. L’un de ses bourreaux était un nommé Reck, membre du Comité central du Parti Communiste.

Ce Reck aimait répéter ces mots que les communistes redisaient souvent aux chrétiens : « Vous le voyez, Dieu c’est moi. J’ai sur vous pouvoir de vie et de mort. Celui qui est dans votre ciel ne peut décider de vous conserver la vie. Tout dépend de moi. Si je le veux, vous vivrez. Si je le veux, vous êtes morts. C’est moi qui suis Dieu. »

Dans l’atroce situation où il se trouvait, notre frère Grécu fit un jour à Reck une très intéressante réponse que Reck lui-même m’a rapportée plus tard : « Vous ne savez pas quel mot profond vous venez de dire. Oui, vous êtes un Dieu. Toute chenille est en réalité un papillon, si elle se développe normalement. Vous n’avez pas été créé pour être un bourreau, un tueur, mais pour devenir semblable à Dieu. Jésus a dit aux Juifs de son temps : “Vous êtes des dieux.” La vie du Dieu unique bat dans votre cœur. Beaucoup de ceux qui comme vous étaient des persécuteurs, par exemple l’apôtre Paul, ont découvert à un certain moment qu’il est honteux pour un homme de commettre des atrocités, qu’ils pouvaient accomplir de bien plus beaux exploits. Et ils sont devenus participants de la nature divine. Croyez-moi, Monsieur Reck, votre vraie évocation est d’être un dieu, image de Dieu, pas un bourreau. »

Reck ne prêta guère alors d’attention aux paroles de sa victime, pas plus que Saul de Tarse au magnifique témoignage de saint Étienne que l’on exécutait en sa présence. Mais elles lui travaillèrent le cœur. Et plus tard Reck comprit quelle était sa vraie vocation.

 

Des tortures infligées par les bouchers communistes émane une grande leçon : l’âme est maîtresse du corps. Souvent au milieu des tourments la douleur que nous ressentions nous paraissait quelque chose d’étranger qui se passait très loin de notre âme perdue dans la gloire du Christ présent en nous.

Nous touchions une tranche de pain par semaine et une soupe infecte chaque jour. Nous décidâmes d’en tirer une « dîme » : toutes les dix semaines, nous donnions notre tranche de pain à un frère plus faible, à titre de « dîme » au Seigneur.

Un chrétien avait été condamné à mort. Avant l’exécution, il fut autorisé à voir sa femme. Ses derniers mots furent ceux-ci :

– Sache que je meurs dans l’amour de ceux qui me tuent. Ils ne savent pas ce qu’ils font, et la dernière chose que je te demande est de les aimer aussi. Qu’il ne te reste au cœur aucune amertume envers ceux qui tuent l’homme que tu aimes ! Nous nous retrouverons au ciel.

Ces paroles émurent profondément l’officier de la police secrète qui assistait à l’entrevue des deux époux ; il me les rapporta plus tard dans la prison, où il fut jeté, lui aussi, parce qu’il s’était fait chrétien.

Dans les geôles de Tirgu-Ocna se trouvait un tout jeune prisonnier nommé Matchevici. Il y était entré à l’âge de 18 ans. Les tortures l’avaient rendu tuberculeux. Sa famille apprit par hasard qu’il était gravement malade et lui envoya une centaine d’ampoules de streptomycine, ce qui pouvait, sinon lui redonner la santé, du moins différer de beaucoup sa mort. Le commissaire politique de la prison le convoqua, lui montra le paquet et lui dit :

– Voici des médicaments qui peuvent te sauver la vie mais tu n’es pas autorisé à recevoir des colis de ta famille. Personnellement, je serais heureux de t’aider. Tu es jeune, je ne tiens pas à ce que tu meures en prison. Aide-moi à te venir en aide. Renseigne-moi sur tes camarades de cellule et cela me permettra de me justifier devant mes supérieurs quand ils me reprocheront de t’avoir transmis ce colis.

Sans hésiter, Matchevici répondit :

– Vivre pour avoir la honte de voir la tête d’un traître quand je me regarderai dans une glace, non, je ne veux pas. Je n’accepte pas vos conditions, je préfère mourir.

L’officier lui serra la main et lui dit :

– Je te félicite, je n’attendais pas une autre réponse de ta part. Alors je vais te proposer autre chose. Quelques-uns des prisonniers sont devenus nos indicateurs ; ils se proclament communistes et vous dénoncent. Nous n’avons pas confiance en ce double jeu et nous aimerions savoir dans quelle mesure ils sont sincères. Ces gens qui vous trahissent et vous font beaucoup de mal en nous rapportant vos conversations et vos agissements, je suppose que vous ne tenez pas à les avoir pour camarades. Eh bien ! renseigne-moi sur ces traîtres et tu auras la vie sauve.

Sans plus d’hésitation Matchevici répondit :

– Le Christ, dont je suis le disciple, nous a enseigné d’aimer même nos ennemis. Ces hommes qui nous trahissent nous font en effet beaucoup de mal, mais je ne dois pas rendre le mal pour le mal. Je ne peux donc pas vous donner de renseignements sur eux. J’ai pitié d’eux, je prie pour eux, mais je ne veux pas me faire complice des communistes.

Matchevici nous revint après cette entrevue avec le commissaire politique et mourut dans la cellule où je me trouvais. Je l’ai vu mourir, il priait. La charité l’avait emporté en lui sur le désir si naturel de vivre.

Pour entendre un concert, un pauvre, s’il est grand amateur de musique, donnera jusqu’à son dernier sou. Le voilà démuni, mais il n’a pas le sentiment d’être frustré : il a entendu des merveilles. Je ne me sens pas frustré, moi non plus, des longues années que j’ai passées en prison ; j’y ai vu tant de merveilles. Parmi beaucoup de gens insignifiants, j’y ai trouvé de grands saints, héros de la foi au même degré que les chrétiens des premiers siècles. C’est avec joie qu’ils acceptaient de mourir pour le Christ. Leur splendeur spirituelle ne se pourra jamais décrire.

Ces faits que je raconte ici n’ont rien d’exceptionnel. Les réalités surnaturelles sont devenues naturelles pour les chrétiens de l’Église Clandestine ; cette Église est revenue à l’amour qui fait l’objet du premier commandement.

J’aimais profondément le Christ avant d’être arrêté. À présent, après avoir contemplé en prison son « Épouse » – son corps mystique – je puis dire que j’aime autant que le Christ l’Église Clandestine, parce que j’ai vu sa beauté, son esprit de sacrifice.

 

 

CE QUI EST ARRIVÉ À MA FEMME ET À MON FILS

 

Séparé de ma femme, j’ignorais ce qu’elle était devenue. C’est seulement après bien des années de prison que j’appris qu’elle avait été emprisonnée, elle aussi. Les femmes chrétiennes avaient beaucoup plus à souffrir que les hommes. Elle a vu des filles violées par leurs brutes de gardiens, entendu des plaisanteries, des obscénités affreuses. Les femmes étaient obligées de travailler durement à la construction d’un canal, et devaient fournir la même somme de travail que les hommes. En plein hiver, elles pelletaient la terre sous la surveillance de prostituées acharnées à tourmenter les fidèles. Pour vivre, ma femme dut mâcher de l’herbe, comme le bétail. Des prisonnières affamées dévorèrent des rats et des serpents. Le dimanche, un des amusements des gardiens consistait à jeter des femmes dans le Danube ; ils les repêchaient, riaient et se moquaient de leurs corps ruisselants, puis les rejetaient à l’eau et les repêchaient. Ma femme a connu ces baignades dans le Danube.

Quant à mon fils, il erra dans les rues lorsque ses parents lui eurent été enlevés. Élevé religieusement dès sa petite enfance, Mihaï s’intéressait beaucoup aux choses de la foi. À partir de 9 ans, quand il fut séparé de nous, sa vie chrétienne traversa une période de crise. Il devint amer et mit en question sa religion. Des problèmes qu’ignorent habituellement les enfants de cet âge se posèrent alors à lui. Il lui fallait chercher les moyens de vivre.

C’était un crime que d’aider les familles des martyrs chrétiens. Deux femmes qui venaient en aide à Michaï furent arrêtées et battues à tel point qu’elles en sont restées boiteuses – il y a 15 ans de cela. Une dame qui se risqua à le loger chez elle fut condamnée à 8 ans de prison pour crime d’assistance aux familles des prisonniers ; elle eut les dents cassées à coups de pied, les os brisés. Elle ne pourra plus jamais travailler ; la voilà, elle aussi, estropiée pour la vie.

 

 

MIHAÏ, CROIS EN JÉSUS

 

À 11 ans, mon fils commença à gagner sa vie comme ouvrier. Sa foi avait chancelé dans le malheur. Mais il eut la permission d’aller voir sa mère emprisonnée depuis deux ans. Et il la vit derrière les barreaux de fer de la prison communiste. Elle était hâve, sale, avec des mains calleuses, et portait le sordide uniforme des prisonnières. Il la reconnut à peine. Les premiers mots qu’elle lui dit furent : « Mihaï, crois en Jésus. » Pris d’une fureur sauvage, les gardiens l’éloignèrent brutalement de son fils et l’emmenèrent. À cette vue, Mihaï fondit en larmes et cette minute fut celle de sa conversion. Il comprit que si de pareilles souffrances n’empêchent pas d’aimer le Christ, c’est qu’il est sûrement le véritable Sauveur. Mihaï a dit plus tard : « Si le christianisme ne disposait pas d’autres arguments que la foi de ma mère, cela me suffirait. » Ce jour-là, il s’était donné entièrement au Christ.

L’école fut pour lui une lutte continuelle pour l’existence. Il était bon élève et reçut en récompense le foulard rouge, signe de l’appartenance aux Jeunes Pionniers Communistes. « Jamais, dit-il, je ne porterai le foulard de ceux qui ont mis en prison mon père et ma mère. » Cela lui valut d’être renvoyé. Après avoir perdu une année scolaire, il entra dans une autre école en cachant qu’il était le fils d’un prisonnier chrétien. Peu après il eut pour devoir une dissertation sur la Bible. Il y écrivit : « Les arguments antibibliques sont faibles et les citations données sont fausses. Le professeur n’a certainement pas lu la Bible ; elle est d’accord avec la science. » Et de nouveau il fut renvoyé. Cette fois il allait perdre deux années scolaires.

À la fin, il fut autorisé à faire ses études dans un Séminaire. Là on lui enseigna la « théologie marxiste ». Tout y était exposé conformément aux directives de Karl Marx. Mihaï protesta publiquement en classe, d’autres étudiants se joignirent à lui. Résultat : il fut mis à la porte et ne put poursuivre ses études théologiques.

Un jour, à l’école, un professeur débitait un discours athée ; mon fils se leva, osa contredire le maître et lui dire qu’il assumait une très grave responsabilité en égarant tant de jeunes esprits. Toute la classe se rangea de son côté. Il suffisait donc qu’un seul eût le courage de protester et tous les autres l’appuyaient.

Pour continuer ses études, Mihaï devait absolument cacher qu’il était le fils de Wurmbrand, le chrétien prisonnier. Mais souvent c’était découvert et la scène habituelle se reproduisait : Mihaï était appelé chez le directeur de l’école et renvoyé.

Il souffrit aussi de la faim. Dans les pays communistes les familles des prisonniers chrétiens sont rationnées à mort et c’est un grand crime que de leur venir en aide. Je ne vais en donner qu’un exemple dont j’ai été personnellement témoin.

Un de nos frères fut jeté en prison pour son activité dans l’Église Clandestine. Il laissait une femme et six enfants. Ses filles aînées, 17 et 19 ans, ne purent trouver de travail, car c’est l’État qui, dans les pays communistes, fournit les emplois et il en exclut les enfants des « criminels » chrétiens. Ne jugez pas, je vous prie, cette histoire vraie d’après les règles de la morale. Tenez-vous-en aux faits. Les deux filles de ce martyr chrétien, chrétiennes elles-mêmes, en furent réduites à se prostituer pour secourir leur mère tombée malade et leurs jeunes frères. Quand il l’apprit, le plus jeune de ceux-ci, 14 ans, devint fou et dut être interné. Lorsque le père eut été remis en liberté quelques années plus tard, sa seule prière fut : « Mon Dieu, je ne peux supporter ça. Renvoyez-moi en prison ! » Il fut exaucé : le voilà de nouveau sous les verrous pour le crime d’avoir rendu témoignage au Christ devant ses enfants. Ses filles ne se prostituent plus, elles ont trouvé un emploi : elles ont accepté les propositions de la police secrète et se sont faites indicatrices. Filles d’un martyr chrétien, elles sont bien reçues partout, elles écoutent puis rapportent aux policiers ce qu’elles ont entendu. C’est immoral, bien sûr, c’est honteux, mais ne vous récriez pas ; demandez-vous plutôt s’il n’y a pas aussi de votre faute en de pareils drames et si des familles chrétiennes ne sont pas dans la détresse parce que vous ne les aidez pas, vous qui êtes libres.

 

 

 

 

 

III

 

LIBÉRATION

 

 

 

JAI passé 14 ans en prison. Durant tout ce temps je n’ai pas vu une Bible ni un autre livre. Je ne savais plus écrire. La faim, l’hébétement, les tortures m’avaient fait oublier l’Écriture Sainte. Mais le jour même du quatorzième anniversaire de mon entrée en prison, du fond de l’oubli me revint à l’esprit ce verset : « Jacob travailla quatorze ans pour Rachel et le temps lui sembla court parce qu’il l’aimait. »

Très peu après, à la faveur d’une amnistie générale due en grande partie à l’influence de l’opinion publique américaine, je fus relâché.

Je retrouvai ma femme. Elle m’avait fidèlement attendu. Dans une extrême pauvreté – car dès que quelqu’un est arrêté, on lui enlève tout –, nous commençâmes une vie nouvelle.

Les prêtres et les pasteurs libérés pouvaient être chargés de petites paroisses. On m’en donna une dans la ville d’Orsova. Le Département communiste des cultes me fit savoir qu’elle comptait 35 fidèles et m’avertit qu’il ne devrait jamais y en avoir un trente-sixième. Il me commanda aussi de lui servir d’agent, de renseigner la police sur ces 35 fidèles et de n’avoir aucun contact avec la jeunesse. C’est ainsi que les communistes se servent des églises comme « d’instruments de contrôle ».

Je savais que si je prêchais, les auditeurs ne me manqueraient pas. Je ne tentai donc même pas de commencer un sermon dans l’église officielle. Je me remis au travail de l’Église Clandestine, partageant toutes les consolations et tous les dangers de ce ministère.

Tandis que j’étais en prison, Dieu avait agi de manière extraordinaire. Notre Église n’avait pas été oubliée et n’était plus abandonnée. Des chrétiens d’Amérique et d’ailleurs, avaient commencé à nous aider et à prier pour nous.

Un après-midi que je prenais un peu de repos chez un confrère en province, celui-ci me réveilla et me dit : « Des frères étrangers sont venus nous voir. » Il y avait donc dans l’Ouest des chrétiens qui ne nous avaient pas oubliés ni abandonnés. En effet, de simples fidèles y avaient monté une organisation secrète d’assistance aux familles des martyrs, de diffusion de textes chrétiens et de distribution de secours.

Dans la chambre voisine je trouvai six frères venus dans cette intention. Nous parlâmes beaucoup et longtemps. Ils avaient entendu dire qu’en cette maison se trouvait quelqu’un qui avait passé quatorze ans en prison et ils désiraient le voir.

– C’est moi, leur dis-je.

– Nous nous attendions, répondirent-ils, à rencontrer quelqu’un de triste et vous êtes tout joyeux. Ce ne peut donc être vous.

Je leur certifiai que j’étais bien le prisonnier en question et que ma joie provenait de leur présence, parce que celle-ci me prouvait que nous n’étions plus abandonnés.

Une aide empressée et régulière commençait à parvenir à l’Église Clandestine. Par des canaux secrets, nous arrivèrent beaucoup de Bibles et des textes chrétiens, de même que des secours pour les familles de nos martyrs. Ainsi soutenus, nous pouvions travailler beaucoup mieux. Non seulement parce qu’on nous apportait la Parole de Dieu, mais parce que nous avions la preuve que nous étions aimés, et ces entretiens avec des étrangers nous étaient d’un grand réconfort.

« Personne ne vous aime plus ! Personne ne vous aime plus ! Personne ne vous aime plus ! » nous avait-on rabâché pendant des années de lavage de cerveau. Et voilà que des chrétiens d’Amérique et d’Angleterre risquaient leur vie pour nous montrer qu’ils nous aimaient. Sur nos conseils, ils perfectionnèrent la technique de leur activité secrète. Ils réussissaient même à se glisser dans des maisons cernées par la police sans qu’elle les vît entrer.

Un chrétien anglais ou américain qui s’ébat librement dans la Bible ne peut apprécier la valeur qu’avaient pour nous les Bibles ainsi distribuées. Ni ma famille, ni moi, ni d’autres pasteurs et martyrs clandestins des pays communistes n’auraient survécu sans l’aide matérielle reçue des chrétiens étrangers. De par mon expérience personnelle, je peux témoigner de l’importance croissante qu’a eue pour nous le secours matériel et moral qui nous vint de la Mission Européenne Chrétienne d’Angleterre. Nous considérions ses émissaires comme des anges venus du ciel.

En raison de la reprise de notre ministère dans l’Église Clandestine, je fus en très grave danger d’être arrêté une fois encore. Mais à cette époque, deux organisations chrétiennes – la Mission Norvégienne pour les Juifs et l’Alliance Hébraïque Chrétienne – versèrent pour moi une rançon de 30 000 francs, et je pus alors quitter la Roumanie.

 

 

POURQUOI J’AI QUITTÉ LA ROUMANIE COMMUNISTE

 

Je ne l’aurais pas fait – en dépit du danger – si les dirigeants de l’Église Clandestine ne m’avaient ordonné de saisir cette occasion de sortir du pays pour être leur « voix » dans le monde libre. Ils désiraient qu’en leur nom je vous parle, à vous, Occidentaux, de leurs souffrances et de leurs besoins. Me voici donc en Occident, mais mon cœur est resté là-bas. Si je n’avais pas compris qu’il est de la plus pressante nécessité que vous entendiez parler des tourments et de l’héroïque apostolat de l’Église Clandestine, jamais je n’aurais quitté la Roumanie.

Telle est ma mission. Mais avant mon départ, je fus convoqué deux fois à la police secrète. Mon interlocuteur m’apprit qu’on avait reçu l’argent de ma rançon (la Roumanie vend ainsi ses citoyens en raison de la crise économique où l’a plongée le communisme).

– Partez pour l’Ouest, me dit-il. Prêchez-y le Christ autant qu’il vous plaira, mais ne parlez pas de nous. Pas un mot contre nous ! Sinon, voici, très franchement ce qui vous arrivera. D’abord moyennant 6 000 francs, nous pouvons trouver un tueur qui vous liquidera, ou bien nous vous kidnapperons. (J’avais partagé la même cellule avec l’évêque orthodoxe Vasile Leul, qui fut kidnappé en Autriche et transporté en Roumanie où on lui brisa tous les ongles. D’autres de mes compagnons avaient été élevés à Berlin, et récemment encore des Roumains l’ont été en Italie et à Paris). Le policier ajouta : « Nous pouvons aussi vous détruire moralement en répandant sur votre compte des histoires de femmes ou de vol ou de quelque péché de jeunesse. Il est très facile de berner et de tromper les Occidentaux, surtout les Américains. »

Après ces menaces, ils me laissèrent partir vers l’Ouest, sûrs du lavage de cerveau que j’avais subi. Ils sont nombreux maintenant en Occident ceux qui sont passés par les mêmes tribulations que moi mais ils gardent le silence. Quelques-uns même vantent le communisme, dont ils connaissent pourtant très bien les cruautés. Aussi les communistes pensaient-ils que je serais muet, moi aussi.

Bref, en décembre 1956, ma famille et moi nous sortîmes de Roumanie. Mon dernier geste avant notre départ fut d’aller sur la tombe du colonel qui avait ordonné mon arrestation et à qui je devais mes années de torture. J’y déposai une fleur. Ce faisant, je me suis consacré à porter les joies qui m’étaient venues du Christ aux communistes qui sont si dépourvus spirituellement.

Je hais le système communiste, mais j’aime les hommes ; je déteste le péché, mais j’aime le pécheur. De tout mon cœur j’aime les communistes. Ils peuvent tuer les chrétiens, non l’amour que les chrétiens ont pour ceux-là mêmes qui les tuent. Je ne conserve pas la plus légère amertume, le moindre ressentiment envers les communistes et mes bourreaux.

 

 

 

 

 

IV

 

LA CHARITÉ DU CHRIST NOUS PRESSE

 

 

 

UNE légende juive raconte que lorsque les Juifs sortirent d’Égypte après que la Mer Rouge se fût refermée sur les Égyptiens, les Anges joignirent leurs chants de triomphe à ceux des Israélites. Et Dieu dit aux anges : « Les Juifs sont des hommes, ils peuvent donc se réjouir de leur délivrance. Mais de vous j’attendais plus d’intelligence. N’ai-je pas aussi créé les Égyptiens ? Est-ce que je ne les aime pas, eux aussi ? Comment ne sentez-vous pas le chagrin que me cause leur malheureux sort ? »

Quand Josué arriva devant Jéricho, il leva les yeux et vit un homme qui lui faisait face, une épée nue à la main. Il s’approcha de cet homme et dit : « Es-tu pour nous ou pour nos ennemis ? » (Josué 5, 13). Si cet inconnu n’avait été qu’un homme, il eût répondu : « Je suis pour vous » ou bien « Je suis pour vos ennemis » ou encore « Je suis neutre. » C’étaient là les seules réponses humaines possible. Mais cet être venait d’un autre monde et c’est pourquoi, à la question de Josué, il donna une réponse inattendue et difficile à comprendre. « Non », dit-il. Que signifie ce non ?

Cet être venait d’un monde où l’on n’est ni pour ni contre, ou tout et tous sont compris, considérés avec pitié et compassion, aimés avec ardeur.

Au niveau humain, le communisme doit absolument être combattu, et par conséquent les communistes aussi puisqu’ils sont les suppôts de cette cruelle et sauvage idéologie. Mais les chrétiens sont plus que des hommes ; enfants de Dieu, ils participent de la nature divine. C’est pourquoi les tortures endurées dans les geôles communistes ne m’ont pas inspiré la haine des communistes. Ceux-ci sont des créatures de Dieu. Comment les haïrais-je ? Je ne peux pas non plus être leur ami. Amitié, cela veut dire une seule âme en deux cœurs. Je ne fais pas âme unique avec les communistes. Ils exècrent l’idée de Dieu, j’aime Dieu.

Si l’on me demandait : « Êtes-vous pour ou contre les communistes ? » ma réponse serait complexe. Il n’y a pas pour l’humanité menace plus grave que le communisme ; j’en suis l’adversaire résolu et je le combattrai jusqu’à ce qu’il soit abattu. Mais, en esprit, je suis assis aux côtés de Jésus dans les régions célestes, dans ce monde du « non » où, en dépit de leurs crimes, les communistes sont compris et aimés, où des êtres angéliques s’efforcent d’aider chaque homme à atteindre le but de sa vie qui est de ressembler au Christ. Mon objectif est donc de répandre l’Évangile parmi les communistes et de leur apporter la bonne nouvelle de la vie éternelle.

Le Christ, mon Seigneur, aime les communistes. N’a-t-il pas dit lui-même qu’il aime tous les hommes et qu’il préférerait quitter les 99 brebis qui le suivent plutôt que d’en laisser une seule se perdre loin de lui. En son nom, les Apôtres et tous les grands Docteurs du christianisme ont enseigné cet amour universel. Saint Macaire a dit : « Celui qui aime passionnément tous les hommes, mais assure qu’il en est un, un seul, qu’il ne peut aimer, celui-là n’est plus chrétien car sa charité n’est pas universelle. » Saint Augustin enseigne : « Si toute l’humanité avait été composée de justes, à l’exception d’un seul pécheur, le Christ serait quand même venu subir la même Passion pour ce seul homme, tant il aime chaque personne. » L’enseignement chrétien est clair. Les communistes sont des hommes et le Christ les aime. Ainsi se comporte quiconque possède l’esprit du Christ. Nous aimons le pécheur tout en haïssant le péché.

Mesurons à l’amour du Christ pour les communistes l’amour que nous avons nous-mêmes pour eux.

Dans les prisons, j’ai vu des hommes, portant aux pieds 25 kilos de chaînes, torturés au moyen de tisonniers rougis au feu ; on leur versait dans la gorge de pleines cuillers de sel puis on les laissait sans une goutte d’eau ; d’autres étaient affamés, roués de coups ; d’autres mouraient de froid ; tous priaient avec ferveur, pour les communistes. C’est inexplicable, humainement ! C’était dans nos cœurs la semence de l’amour du Christ.

Il arrivait que certains de nos bourreaux fussent, eux aussi, jetés en prison. Sous le régime communiste, partisans, et même cadres sont aussi souvent emprisonnés que les opposants. Victimes et bourreaux se retrouvaient dans la même cellule. Pleins de haine, les non-chrétiens battaient ceux qui auparavant leur servaient d’inquisiteurs ; par contre, les chrétiens prenaient la défense de ces traîtres, malgré le risque d’être battus eux aussi et accusés de complaisance envers le communisme. J’ai vu des chrétiens donner leur tranche de pain (à l’époque où nous n’en touchions qu’une par semaine) et des remèdes qui pouvaient leur sauver la vie à un bourreau communiste malade devenu leur compagnon de prison.

Voici quels furent les derniers mots de Iuliu Maniu, un chrétien qui avait été premier ministre de Roumanie et qui mourut en prison : « Si les communistes sont renversés chez nous, le devoir le plus sacré de chaque chrétien sera de descendre dans la rue pour les défendre, au risque de sa propre vie, contre la juste fureur des foules qu’ils ont tyrannisées. »

Dans les jours qui avaient suivi ma conversion, j’avais eu le sentiment que je ne vivrais pas longtemps. Quand je marchais dans les rues, chaque femme et chaque homme que je rencontrais me faisait souffrir physiquement. On aurait dit qu’un couteau me frappait au cœur, tant me poignait l’inquiétude de leur salut. Quand un membre de notre congrégation commettait une faute, j’en pleurais pendant des heures. Le même désir du salut de toutes les âmes me reste au cœur et les communistes n’en sont pas exclus.

Même isolés dans une cellule, nous ne pouvions plus prier comme auparavant. Nous étions inimaginablement affamés, aussi faibles que des squelettes ; on nous avait hébétés jusqu’à nous faire devenir idiots. L’Oraison Dominicale était beaucoup trop longue pour nous, nous ne pouvions plus nous recueillir assez pour la réciter. Ma seule prière, et je la répétais sans cesse, c’était : « Jésus, je t’aime. »

Et puis un jour – ô jour de lumière ! – Jésus me répondit : « Tu m’aimes ? À mon tour de te montrer mon amour. » Et soudain je sentis au cœur une flamme aussi brûlante que les éruptions de la couronne solaire. Les disciples d’Emmaüs ont raconté que leur cœur brûlait en eux tandis que Jésus leur parlait. De même en était-il du mien. J’ai connu l’amour de Celui qui est mort en croix pour nous tous. Pareil amour ne peut faire exception des communistes, quelque graves que soient leurs péchés.

Ils ont commis, ils commettent encore des horreurs, mais « l’abondance des eaux ne peut éteindre l’amour, ni les marées le submerger. L’amour est fort comme la mort. La jalousie est aussi cruelle que la tombe. » De même que la tombe exige tout – riches et pauvres, jeunes et vieux, hommes de toutes races, nations et convictions politiques, saints et criminels – de même la charité embrasse tous les hommes. Le Christ, qui est la Charité incarnée, n’aura de cesse qu’il n’ait aussi conquis les communistes.

Un pasteur venait d’être jeté dans ma cellule. Il était à moitié mort, le sang lui coulait du visage et du corps, tant il avait été atrocement battu. Nous le lavâmes. Quelques prisonniers se mirent à maudire les communistes. Il gémit : « Ne maudissez pas, s’il vous plaît ! Taisez-vous. Je désire prier pour eux. »

 

 

COMMENT ON PEUT ÊTRE JOYEUX, MÊME EN PRISON

 

Quand je repense à mes quatorze années de prison, j’y retrouve quelques moments de bon temps. Les autres prisonniers et des gardiens eux-mêmes s’étonnaient de la joie des chrétiens en de si terribles circonstances. Nous ne pouvions nous empêcher de chanter, malgré les sanctions prévues. Les rossignols se tairaient-ils s’ils savaient que leur chant les condamne à mort ? Des chrétiens dansaient de joie en prison. Dans cette extrémité, d’où pouvait donc provenir leur allégresse ?

 

J’ai souvent médité sous les verrous cette parole de Jésus à ses disciples : « Heureux les yeux qui voient ce que vous voyez. » Les disciples revenaient alors d’une tournée en Palestine, au cours de laquelle ils avaient vu des horreurs. La Palestine était occupée ; partout y régnait l’affreuse misère d’un peuple tyrannisé. Maladies, famine, ulcères, accablement, voilà ce qu’avaient rencontré les disciples. Les maisons où ils étaient entrés retentissaient de sanglots de mères et d’épouses, celles des patriotes emmenés dans les prisons. Ah ! certes, ce n’était pas beau à voir. Et pourtant Jésus disait : « Heureux les yeux qui voient ce que vous voyez ! » Pourquoi ? Parce qu’ils n’avaient pas vu seulement le malheur. Ils avaient vu aussi le Sauveur universel, le Maître de la béatitude finale, le But que doit atteindre l’humanité. Pour la première fois, des larves disgraciées, de ces chenilles qui rampent sur les feuilles, comprenaient qu’après cette misérable existence vient une vie aussi belle que celle du magnifique papillon multicolore qui vole de fleur en fleur.

Ce bonheur était aussi le nôtre. Autour de moi gisaient des Jobs, quelques-uns plus affligés que ne le fut Job lui-même. Mais je connaissais la fin de l’histoire de Job, je savais qu’il lui a été rendu deux fois plus que ce qu’il possédait auparavant. Autour de moi se trouvaient de pauvres Lazares, faméliques et couverts d’ulcères suintants ; mais je savais que les anges les emporteraient tous dans le sein d’Abraham. Je les voyais tels qu’ils seraient dans cet au-delà. Par-delà le martyr étendu près de moi dans la boue et la sanie, j’entrevoyais le saint glorieusement nimbé du lendemain.

 

À regarder ainsi les hommes – non tels qu’ils sont, mais tels qu’ils seront –, je pouvais aussi, en des persécuteurs pareils à Saül de Tarse, entrevoir le futur saint Paul. Et quelques-uns le sont devenus. Des officiers de la police secrète devant qui nous avions rendu témoignage se sont convertis et se montrèrent ensuite très heureux de souffrir en prison parce qu’ils avaient trouvé le Christ. Dans les gardiens qui nous rouaient de coups, nous voyions la figure de ce geôlier de Philippes qui fouetta saint Paul et se convertit ensuite ; nous rêvions qu’ils allaient bientôt nous demander : « Que dois-je faire pour être sauvé ? » Et ceux qui riaient lorsque des chrétiens barbouillés d’excréments étaient attachés à des croix n’étaient-ils pas ces gens du Golgotha qui bientôt allaient se frapper la poitrine dans la crainte d’avoir péché ?

C’est en prison que nous est venu l’espoir de sauver les communistes ; c’est là que s’est développé le sens de notre responsabilité à leur égard ; c’est lorsqu’ils nous torturaient que nous avons appris à les aimer.

Une grande partie de ma famille a été assassinée. Or c’est dans ma maison que le meurtrier s’est converti. C’était bien l’endroit qui convenait le mieux. Et c’est aussi dans les prisons des communistes qu’est née l’idée d’une mission chrétienne auprès des communistes.

Nous voyons les choses autrement que les fourmis et Dieu les voit autrement que nous. Du point de vue humain, être attaché à des croix et couvert d’excréments constitue une chose horrible. Cependant la Bible appelle « afflictions légères » les souffrances des martyrs. Quatorze ans de prison, cela nous paraît long. Cependant la Bible dit : « Ce n’est qu’un moment à passer qui nous mérite une immense somme de gloire. » Cela nous donne le droit de supposer que les furieuses violences des communistes, qui nous semblent inexcusables et contre quoi nous devons nous élever de toutes nos forces, sont moins graves aux yeux de Dieu qu’aux nôtres. Devant Dieu, pour qui mille ans sont comme un jour, peut-être leur tyrannie, vieille d’un demi-siècle, n’est-elle qu’un simple moment d’aberration ? Ils peuvent encore être sauvés.

La Jérusalem céleste est une mère, elle aime comme une mère. Les portes du ciel ne sont pas fermées, la lumière n’est pas éteinte pour les communistes. Comme tout autre ils peuvent se convertir. Et nous avons le devoir de les appeler à la pénitence.

Seul l’amour les transformera, un amour qu’il ne faut pas confondre avec cette complaisance envers le communisme à laquelle se laissent aller beaucoup d’autorités ecclésiastiques. La haine aveugle. Hitler était un anticommuniste, mais haineux : c’est pourquoi, au lieu de faire leur conquête, il a aidé les communistes à se soumettre le tiers du monde.

L’amour était en prison la base de notre apostolat missionnaire auprès des communistes. Nous pensions surtout à leurs chefs. Certains directeurs de missions paraissent avoir étudié fort peu l’histoire de l’Église. Comment la Norvège a-t-elle été gagnée au Christ ? Par la conversion de son roi Olaf. La Russie a accepté l’Évangile quand son roi Vladimir se fut converti, la Hongrie lorsque fut gagné son roi saint Étienne. De même la Pologne. En Afrique la conversion du chef entraînait toute la tribu. Les missions que nous organisons s’adressent aux hommes du rang, qui peuvent certes devenir d’excellents chrétiens, mais dont l’influence très réduite est incapable de modifier l’état de choses.

Ce sont les chefs qu’il faut gagner, les personnalités politiques, économiques, scientifiques, artistiques. Ce sont elles qui manœuvrent les esprits, qui modèlent les âmes des hommes. En les gagnant, nous gagnons le peuple qu’elles dirigent et influencent.

Du point de vue missionnaire, le communisme présente un avantage que n’offrent pas les autres systèmes sociaux : il est plus centralisé. Si le président des États-Unis se faisait Mormon, cela n’entraînerait pas l’Amérique dans le mormonisme. Par contre, si Mao Tsé-toung – ou Brejnev, ou Ceaucescu – se convertissaient au christianisme, leurs peuples tout entiers seraient pris, tant est puissante sur eux l’emprise des dirigeants.

Mais peut-on convertir un dirigeant communiste ? Oui, parce qu’il est aussi malheureux et menacé que ses victimes. Presque tous les leaders soviétiques russes ont fini en prison ou exécutés par leurs propres compagnons. De même en Chine. Des Ministres de l’Intérieur eux-mêmes, tels Yagoda, Yezou, Beria, qui semblaient tenir solidement le pouvoir entre leurs mains, ont fini comme de simples contre-révolutionnaires : une balle dans la nuque et tout fut dit. Récemment Shelepin, ministre de l’Intérieur de l’U.R.S.S., et Rankovitch, ministre yougoslave de l’Intérieur, ont été limogés comme des guenilles malpropres.

 

 

COMMENT ATTAQUER SPIRITUELLEMENT LE COMMUNISME

 

Le régime communiste ne rend personne heureux, pas même ses profiteurs. Toutes les nuits, ceux-ci tremblent dans l’attente du fourgon de police qui viendra les enlever parce que le parti a changé de ligne. J’ai personnellement connu beaucoup de leaders communistes. Ce sont des hommes terriblement inquiets. Jésus seul leur donnera le repos.

Gagner au Christ des chefs communistes, ce serait sauver le monde de la destruction nucléaire et sauver l’humanité de la famine qu’entraîne l’affectation des ressources à des armements coûteux ; ce serait la fin de la tension internationale. Cela comblerait de joie le Christ et les anges, et ce serait le triomphe de l’Église. Toutes les terres que les missionnaires labourent avec tant de peine, la Nouvelle Guinée par exemple ou Madagascar, suivront aussitôt si les chefs communistes sont gagnés, parce que la conversion de ceux-ci donnera au christianisme une impulsion nouvelle.

Des communistes convertis, j’en ai connu personnellement, et moi-même, dans ma jeunesse, j’étais un athée militant. J’affirme que les athées et les communistes convertis aiment beaucoup le Christ parce qu’ils ont beaucoup péché.

L’apostolat missionnaire a besoin d’être pensé stratégiquement. Du point de vue du salut toutes les âmes se valent, mais non pas du point de vue de la stratégie missionnaire. Il est plus important de conquérir un homme de grande influence, qui en conquerra d’autres à son tour, que d’endoctriner un sauvage dans la jungle pour assurer son salut personnel. C’est pourquoi Jésus a voulu achever son ministère non pas dans une quelconque bourgade, mais à Jérusalem, quartier général spirituel du monde. Et c’est pour la même raison que Paul a tant désiré se rendre à Rome.

« La postérité de la Femme écrasera la tête du serpent », dit la Bible. Et nous, nous chatouillons le ventre du serpent. Il s’en moque. Sa tête se trouve quelque part entre Moscou et Pékin, non pas à Tunis ou à Madagascar. C’est le monde communiste qui doit être l’objectif principal des chefs de l’Église, des directeurs de missions et de tous les chrétiens attentifs.

Abandonnons le ministère routinier : « Maudit celui qui fait mollement le travail de Yahvé » (Jer 48, 10). Contre le communisme, la bataille spirituelle doit être menée de front. C’est l’offensive qui gagne les guerres, non la défensive. Jusqu’à présent l’Église s’est tenue sur la défensive en face du communisme et elle a perdu au bénéfice de celui-ci les peuples l’un après l’autre. Il faut changer cela tout de suite, et totalement. Il est dit dans un psaume que Dieu casse en deux les barres de fer ; le Rideau de fer n’est donc pour lui qu’un fétu.

La primitive Église travaillait dans le secret et l’illégalité ; elle a triomphé. Apprenons à travailler de la même manière. Avant l’avènement du communisme, je n’avais pas compris pourquoi tant de personnages du Nouveau Testament ont été dotés de surnoms : Siméon fut appelé le Noir, Jean fut appelé Marc, et ce fut le cas de bien d’autres. Pour notre apostolat en pays communiste, servons-nous, nous aussi, de pseudonymes. Je n’avais pas compris pourquoi, lorsqu’il envoya préparer son dernier repas, Jésus ne précisa pas d’adresse et se contenta de dire : « Allez dans la ville, vous rencontrerez un homme portant une cruche d’eau. » Pour le travail de l’Église Clandestine, utilisons, nous aussi, des signes secrets de reconnaissance. Si nous adoptons ces façons d’agir – ce sera d’ailleurs revenir aux méthodes des premiers chrétiens – nous travaillerons efficacement pour le Christ dans les pays communistes.

Or, quand j’ai rencontré tels ou tels chefs de l’Église en Occident, au lieu de cette charité envers les communistes qui aurait abouti depuis longtemps à l’organisation de l’apostolat missionnaire derrière le Rideau de fer, qu’ai-je trouvé ? La politique de la complaisance envers les communistes. Je n’ai pas trouvé la compassion du Bon Samaritain en faveur des âmes égarées de la maison de Karl Marx.

Ce qui fait le vrai croyant, ce n’est pas le credo qu’il récite, c’est la foi dans les réalités pour lesquelles il est prêt à mourir.

Les chrétiens de l’Église Clandestine ont prouvé qu’ils sont prêts à mourir pour leur foi. L’apostolat que je continue d’exercer peut me valoir un nouvel emprisonnement en pays communiste, de nouvelles tortures et la mort, parce que je dirige une Mission Secrète détachée derrière le Rideau de fer, et que j’en prends sur moi tous les risques. Ce que j’écris, je le crois.

J’ai le droit de demander : « Les chefs de l’Église de l’Ouest qui font amitié avec le communisme sont-ils prêts à mourir pour cette foi-là ? Qui les empêche de quitter leurs hautes situations de l’Ouest pour devenir à l’Est des pasteurs officiels et collaborer – sur le tas – avec les communistes ? » Eh bien ! Aucun chef d’Église en Occident n’a encore donné cette preuve de foi.

Le langage humain est né du besoin des hommes de se comprendre l’un l’autre pour la chasse, la pêche, la production des objets nécessaires à la vie et pour exprimer leurs sentiments réciproques. Il n’existe pas de mots humains pour exprimer les mystères de Dieu et les altitudes de la vie spirituelle. Il n’en existe pas non plus pour décrire les profondeurs de la cruauté diabolique. Pouvez-vous trouver des mots capables de définir ce que ressent un homme que les Nazis vont jeter dans un four crématoire ou qui y voit jeter son fils ? Il est donc vain d’essayer de décrire ce que des chrétiens ont souffert et souffrent encore sous les communistes.

Je me suis trouvé en prison avec Lucretiu Patrascanu, l’homme qui a amené le communisme au pouvoir en Roumanie, ce dont ses compères l’avaient récompensé en le fourrant sous les verrous. Il n’avait pas perdu la raison et cependant ils l’internèrent dans un asile de fous, jusqu’à ce qu’il devînt fou lui-même. Ils infligèrent le même sort à Anna Pauker, leur ex-secrétaire d’État. Et ce genre de traitement est souvent appliqué aussi à des chrétiens qui subissent électrochocs et camisole de force.

Ce qui se passe dans les rues de Chine fait horreur au monde. À la vue de tous, libre cours y est donné aux Gardes Rouges terroristes. Essayez d’imaginer ce qui peut arriver aux chrétiens dans ces geôles chinoises où personne ne va voir. Aux dernières nouvelles, un écrivain évangéliste chinois, ainsi que d’autres chrétiens qui refusaient d’apostasier, ont eu les deux oreilles, la langue et les jambes coupées.

Mais les communistes commettent un crime pire encore que de torturer les corps et de tuer. Ils faussent désespérément les pensées des hommes, pervertissent la jeunesse et l’enfance. Ils ont placé des agents à eux à des postes de direction dans l’Église pour dévoyer les chrétiens et détruire les temples. Ils apprennent aux jeunes non seulement qu’il ne faut pas croire à Dieu et au Christ, mais aussi qu’il faut haïr ces Noms.

Par quels mots pourrions-nous exprimer le drame des chrétiens qui, rentrant chez eux après des années de prison, se voient traités avec mépris par leurs enfants devenus en leur absence des athées militants ?

Ce livre est écrit moins avec de l’encre qu’avec le sang jailli des cœurs transpercés.

Néanmoins, de même qu’au temps de Daniel les trois jeunes hommes sortirent de la fournaise sans avoir souffert du feu, de même les chrétiens sortis des prisons communistes ne conservent pas de ressentiment contre leurs bourreaux.

Une fleur, si vous l’écrasez sous vos pieds, se venge en vous donnant son parfum. Ainsi nos martyrs, en échange des tortures, donnent de l’amour. Nous avons amené au Christ beaucoup de nos gardiens. Et un seul désir nous domine : donner aux communistes ce que nous avons de meilleur ; le salut qui vient de Notre Seigneur Jésus-Christ.

Je n’ai pas eu, comme tant de nos frères, le privilège de mourir en prison de la mort des martyrs. J’ai été libéré, j’ai même pu sortir de Roumanie pour venir en Occident. Et qu’ai-je trouvé encore en Occident, chez beaucoup de chefs de l’Église ? Le sentiment contraire de celui qui prédomine dans l’Église Clandestine par-delà les rideaux de fer et de bambou. La preuve en est qu’ils ne font rien pour sauver ceux qui se trouvent en pays communistes. Ils ont des missions pour les Juifs, des missions pour les musulmans, des missions pour les bouddhistes ; ils en ont même pour persuader les chrétiens de passer d’une confession à une autre. Mais ils n’ont pas de missions pour les communistes. C’est donc qu’ils ne les aiment pas. S’il en était autrement, ils auraient créé depuis longtemps ces missions-là, tout comme Carey pour l’amour des Hindous, ou Hudson Taylor pour l’amour des Chinois, ont créé leurs missions en Chine et aux Indes.

Encore n’est-ce pas assez dire. Non seulement ils n’aiment pas les communistes et ne font rien pour les gagner au Christ, mais, par complaisance, par négligence, et dans certains cas, par volonté délibérée de complicité, plusieurs chefs des Églises d’Occident confirment les communistes dans l’infidélité. Ils les aident à s’introduire dans les églises de l’Ouest, à prendre la direction dans toutes les églises du monde. Et par eux les chrétiens deviennent inattentifs aux dangers du communisme.

N’aimant pas les communistes, ne se souciant pas de les gagner au Christ (ils prétextent que ce n’est pas permis – comme si les premiers chrétiens avaient attendu de Néron la permission de prêcher l’Évangile !), ils n’aiment pas non plus leur propre troupeau. Si, en effet, les communistes ne sont pas conquis au Christ, ils conquerront l’Ouest et y déracineront aussi le christianisme.

 

 

LES LEÇONS DE L’HISTOIRE SONT IGNORÉES

 

Dans les premiers siècles de l’ère chrétienne, il y avait en Afrique du Nord une chrétienté florissante. Saint Augustin et Saint Cyprien en sont sortis, et Saint Athanase et Tertullien. Elle ne négligea qu’un seul devoir : convertir les musulmans lorsque cette nouvelle religion se répandit à partir du VIIe siècle. Résultat : les musulmans envahirent l’Afrique du nord et en extirpèrent le christianisme pour des centaines d’années.

Écoutons donc les leçons de l’Histoire !

Au temps de la Réforme, les intérêts religieux de Hus, Luther et Calvin coïncidèrent avec ceux des princes européens désireux d’être indépendants par rapport au Pape. De même aujourd’hui les intérêts de l’Église Clandestine dans la diffusion de l’Évangile à la fois aux communistes et à leurs victimes coïncident avec l’intérêt vital de tous les peuples libres, s’ils veulent continuer de vivre en liberté.

Il n’existe pas de puissance politique capable de renverser le communisme. Celui-ci dispose de l’énergie nucléaire ; l’attaquer militairement entraînerait une guerre mondiale qui ferait des centaines de millions de morts. En outre, beaucoup de dirigeants occidentaux sont atteints par le lavage de cerveau et n’ont même pas le désir de neutraliser les chefs communistes. Ils l’ont assez souvent proclamé. Ils désirent que le goût de la drogue, le gangstérisme, le cancer et la tuberculose disparaissent, mais pas le communisme, lequel a pourtant exigé plus de victimes que tous ces fléaux ensemble.

L’écrivain soviétique Ilya Ehrenbourg dit que si Staline n’avait rien fait d’autre toute sa vie que d’écrire le nom de ses victimes, il n’aurait pas vécu assez longtemps pour en dresser la liste. Au XXe Congrès du Parti communiste, Khrouchtchev a affirmé : « Staline a liquidé des milliers d’honnêtes et innocents communistes... Sur 139 membres et candidats du Comité Central élus au XVIIe congrès, 98, soit 70 pour cent, ont été ensuite arrêtés et, exécutés. »

Imaginez maintenant ce que Staline a pu faire aux chrétiens ! Mais s’il a désavoué son prédécesseur, Khrouchtchev a continué de marcher sur ses traces. Depuis 1959 la moitié des églises encore ouvertes en Russie Soviétique ont été fermées.

En Chine déferle une nouvelle vague de barbarie pire que celle de la période stalinienne. Il n’y a plus du tout là-bas de liberté ni de vie pour l’Église. En Russie et en d’autres pays se produisent de nouvelles arrestations (nous venons justement d’apprendre qu’en Russie les chrétiens sont arrêtés en masse).

Par la terreur et le mensonge, en des pays qui comptent un milliard d’habitants, la jeune génération est élevée dans la haine de tout ce qui est occidental, et particulièrement la chrétienté.

Il n’est pas rare de voir en Russie des autorités locales s’installer devant l’église pour guetter les enfants. Ceux qui sont pris en train d’y aller sont giflés et repoussés. Les futurs destructeurs de la chrétienté occidentale sont soigneusement et systématiquement préparés.

Une seule force peut abattre le communisme. C’est celle qui a permis aux États chrétiens de remplacer la Rome païenne, la force qui, des Barbares Teutons et Vikings, a fait des chrétiens, la force qui a renversé la sanglante Inquisition. C’est la puissance de l’Évangile et c’est celle que représente l’Église Clandestine dans tous les pays communistes.

Soutenir cette Église et l’aider n’est pas seulement affaire de sympathie pour les frères persécutés. C’est une question de vie ou de mort pour votre patrie et vos églises. Soutenir l’Église Clandestine n’est pas seulement de l’intérêt des chrétiens libres, ce devrait être aussi la politique des gouvernements du monde libre.

Elle a déjà ramené au Christ des dirigeants communistes. Le premier ministre de Roumanie Gheorgiu Dej est mort converti après avoir confessé ses péchés. Derrière le Rideau de fer, certains gouvernants sont secrètement chrétiens. Cela peut se développer. Alors il sera possible d’espérer un changement dans la politique de plusieurs gouvernements communistes – et non pas des modifications comme il s’en est produit chez Tito et Gomulka, sous lesquels le même parti athée a continué d’exercer sa cruelle dictature – mais un changement réel qui tendra vers le christianisme et la liberté.

Actuellement d’exceptionnelles occasions se présentent. Souvent aussi sincères dans leurs croyances que les chrétiens dans leur foi, les communistes traversent une crise grave. Ils avaient réellement cru que le communisme créerait la fraternité entre les nations et ils voient qu’au contraire leurs pays se disputent comme des chiens. Ils avaient réellement cru que le communisme créerait un paradis terrestre qu’ils opposeraient à ce qu’ils appelaient l’illusoire paradis du ciel. Et maintenant leurs peuples sont affamés, ils sont obligés d’importer de la nourriture achetée aux pays capitalistes. Ils avaient foi en leurs chefs ; et ils ont lu dans leurs propres journaux que Staline a ordonné des exécutions massives et que Khrouchtchev est un idiot. De même pour leurs héros nationaux, Rakosi, Gero, Anna Pauker, Rancovici, et autres. Ils ne croient plus à l’infaillibilité de leurs chefs ; les voilà pareils à ce que seraient des catholiques sans Pape.

Le vide s’est fait dans leurs cœurs, et seul le Christ peut le combler. Par nature le cœur humain cherche Dieu. Chaque homme ressent ce vide spirituel tant que le Christ ne l’a pas rempli. Cela vaut également pour les communistes. Il y a dans l’Évangile une puissance d’amour qui peut les attirer, eux aussi. C’est arrivé, je l’ai vu. Je sais donc que c’est possible.

Des chrétiens tournés en dérision et torturés ont pardonné et oublié ce qui leur a été infligé, à eux et à leurs familles. Ils font de leur mieux pour aider les communistes à traverser la crise et à trouver la voie qui mène au Christ. Pour cela, ils ont besoin de votre secours.

Et pas seulement pour cela. La charité chrétienne embrasse tous les hommes et tous les peuples. Chez des chrétiens, la partialité ne doit pas exister. Jésus a dit que Dieu fait luire son soleil pour les méchants comme pour les bons. Ainsi fait la vraie charité chrétienne.

Les dirigeants chrétiens de l’Ouest qui manifestent de l’amitié pour les communistes se justifient en invoquant l’enseignement de Jésus : « Et moi je vous dis : aimez vos ennemis. » Mais jamais Jésus n’a enseigné que, pour aimer nos ennemis, nous devons oublier nos frères. Ils manifestent leur charité en invitant à leur table des gens dont les mains dégouttent de sang chrétien, mais ils ne leur servent pas la bonne nouvelle du Christ. Et ils oublient ceux que les communistes persécutent. Ces frères persécutés, ils ne les aiment pas.

Au cours de ces sept dernières années, les Églises évangéliques et catholiques de l’Allemagne de l’Ouest ont donné 620 millions de francs pour les sous-alimentés. Les chrétiens d’Amérique donnent même davantage. Beaucoup de peuples souffrent de la faim, mais je ne crois pas qu’il y ait plus affamés que les martyrs chrétiens, ni que personne ait droit davantage aux secours des chrétientés libres. Si les Églises allemandes, anglaises, américaines, françaises récoltent à ce titre tant d’argent, ces secours doivent aller, certes, à tous ceux qui sont dans le besoin, mais d’abord et en premier lieu aux martyrs chrétiens et à leurs familles.

Est-ce là ce qui se passe à présent ?

J’ai été délivré contre rançon versée par des organisations chrétiennes, cela prouve qu’il est possible de racheter des chrétiens. J’en reste pourtant le seul exemple. N’en peut-on conclure qu’en certains cas les organisations chrétiennes de l’Ouest commettent la faute de négliger leur devoir ?

Les premiers chrétiens se demandaient si l’Église nouvelle n’avait été instituée que pour les Juifs ou si elle devait aussi accepter les Gentils. Cette question a reçu sa juste réponse. Sous une autre forme, le même problème s’est posé de nouveau au XXe siècle. Le christianisme n’est pas seulement pour l’Ouest. Le Christ n’est pas propriété exclusive de l’Amérique, de la France ou des autres pays démocratiques. Sur sa croix, l’une de ses mains se tendait vers l’ouest, l’autre vers l’est. Il voulait être le roi non seulement des Juifs, mais aussi des Gentils, le roi des communistes tout autant que du monde occidental : « Allez ! Enseignez toutes les nations, a-t-il ordonné, et prêchez l’Évangile à toute créature. »

Son sang a été versé pour tous les hommes et tous doivent entendre l’Évangile et croire.

Ce qui encourage à le prêcher dans les pays communistes, c’est que là-bas les convertis brûlent de charité et de zèle. Je n’ai jamais rencontré de chrétien tiède chez les Russes. D’anciens Jeunes Communistes peuvent devenir des disciples exceptionnels du Christ.

De même qu’il aime tous les pécheurs et désire les guérir de leurs péchés, le Christ aime les communistes et désire les guérir du communisme. Voilà la seule attitude qui convienne et pourtant quelques Églises en adoptent une autre opposée : la complaisance envers le communisme. C’est favoriser le péché, aider au triomphe du communisme et faire obstacle autant au salut des communistes qu’à celui de leurs victimes.

 

 

CE QUE J’AI DÉCOUVERT APRÈS MA LIBÉRATION

 

Quand, sorti de prison, j’eus retrouvé ma femme, elle me demanda mes intentions pour l’avenir. Je lui répondis :

– Mon idéal serait la vie spirituelle des ermites.

– J’ai eu la même pensée, dit-elle.

Dans ma jeunesse, j’avais un tempérament fougueux. Mais la prison, et spécialement mes années de solitude en cellule, ont fait de moi un homme de méditation, un contemplatif. Toutes les tempêtes de mon cœur s’étaient apaisées. Je ne m’inquiétais plus du communisme, je n’y prêtais même pas attention. J’étais dans les bras de l’Époux céleste. Je priais pour ceux qui me faisaient du mal et m’efforçais de les aimer de tout mon cœur. Il me restait vraiment fort peu d’espoir d’être délivré, mais quand de temps en temps il m’en venait une lueur et que je me demandais ce que je ferais en ces cas-là, je rêvais toujours de me retirer quelque part pour y vivre la douce union avec le céleste Époux.

Dieu est « la Vérité ». La Bible est « la vérité sur la Vérité ». La théologie est « la vérité sur la vérité à propos de la vérité ». Le peuple chrétien se noie dans toutes ces vérités concernant la Vérité et en conséquence ne possède pas « la Vérité ». Mourant de faim, roués de coups, hébétés, nous avions oublié la théologie et la Bible, les « vérités sur la Vérité... » et en conséquence nous vivions dans « la Vérité ». Il est écrit : « Le Fils de l’Homme viendra à l’heure où vous n’y penserez point et vous en ignorez le jour. » Nous n’y pensions plus. Aux heures les plus sombres de nos souffrances le Seigneur vint à nous, et les parois de la prison étincelèrent comme des diamants, et la lumière emplit les cellules. Quelque part, bien loin au-dessous de nous, les bourreaux étaient relégués dans le domaine du corps ; l’âme, elle, se réjouissait dans le Seigneur. Cette joie, nous ne l’aurions pas cédée pour tous les palais des rois.

Se battre contre quelqu’un ou quelque chose ? Rien n’était plus loin de mon esprit. Je ne désirais mener aucune guerre, même juste. Mon désir était de devenir pour le Christ un temple vivant. Et c’est dans l’espoir de vivre de tranquilles années de contemplation que je sortis de prison.

Mais, dès le lendemain de ma délivrance, je butai contre des aspects du communisme plus affreux que ne m’avaient paru toutes les tortures de la prison. L’un après l’autre, je rencontrai de grands prédicateurs et pasteurs de différentes Églises, et même des évêques : ils m’avouaient simplement qu’à leur grand regret ils servaient d’indicateurs à la police secrète contre leurs propres ouailles. « Accepteriez-vous, leur demandais-je, de lâcher cette besogne au risque d’être vous-mêmes emprisonnés ? » Tous me répondirent non. Ce qui les en empêchait, expliquaient-ils, ce n’était pas qu’ils craignaient pour eux-mêmes. Et ils me parlaient de mutations dans les Églises, d’évènements survenus depuis mon arrestation, en sorte que leur refus d’informer la police pouvait entraîner la fermeture d’un temple.

Le gouvernement a installé dans chaque ville un contrôleur des cultes, agent de la police secrète communiste. Ce personnage a le droit de convoquer n’importe quel prêtre ou pasteur quand il le veut et de lui demander qui est allé à l’église, qui fréquente la communion, qui fait preuve de zèle religieux et apostolique, ce que les gens ont avoué en confession, etc. Le ministre qui ne répond pas est limogé et remplacé par un autre, qui peut-être sera plus bavard que son prédécesseur. Partout où le gouvernement ne peut installer ce contrôleur (ce qui est rare), l’église est fermée, tout simplement.

Beaucoup d’ecclésiastiques renseignaient la police secrète ; les uns hésitaient, essayaient de cacher certaines choses ; d’autres en avaient pris l’habitude et leurs consciences s’étaient endurcies ; d’autres encore y avaient pris goût et racontaient plus qu’il ne leur était demandé.

J’ai entendu en confession des enfants de martyrs chrétiens : sous peine d’abandonner leurs études, ils avaient été contraints de donner des renseignements sur les familles amies qui les recevaient.

Je me suis rendu à un Congrès Baptiste, lequel était rassemblé sous le signe du Drapeau Rouge. Les communistes y venaient de désigner les personnalités qui seraient élues à la direction des Églises. Je savais que les ministres chargés des Églises légales étaient des hommes imposés par le Parti. Mais je me suis alors rendu compte que j’avais devant les yeux ce que Jésus a appelé « l’abomination de la désolation installée dans le Saint des Saints ».

Il y a toujours eu de bons et de mauvais pasteurs et prédicateurs. Mais pour la première fois dans l’histoire de l’Église, on voit le Comité central d’un parti athée, qui a crié sur les toits sa volonté de déraciner la religion, désigner les recteurs des églises. Et cela, dans quel dessein ? Assurément, c’est pour qu’ils l’aident dans son travail de destruction.

Lénine a écrit : « Toute idée religieuse, toute idée de Dieu, et même toute sympathie pour l’idée de Dieu est une abjection inqualifiable de l’espèce la plus dangereuse, la contagion la plus abominable. Il y a, et de loin, beaucoup moins de danger dans des millions de péchés, d’actions immondes, d’actes de violence et de maladies contagieuses que dans la subtile idée spirituelle d’un Dieu. »

Tous les partis communistes des pays soviétiques sont léninistes. Pour eux la religion est plus néfaste que le cancer, la tuberculose et la syphilis. Et ce sont eux qui nomment les chefs religieux ! Et c’est avec eux que collaborent et transigent plus ou moins les dirigeants de l’Église légale !

J’ai vu des enfants et des jeunes empoisonnés par l’athéisme parce que les autorités religieuses légales sont dans l’impossibilité absolue de s’y opposer. À Bucarest vous ne trouverez dans aucune église un patronage de jeunes ou une école du dimanche. Les enfants des chrétiens sont élevés à l’école de la haine.

C’est en voyant tout cela que je me suis mis à détester le communisme plus que je ne l’avais détesté sous la torture. Je le déteste, non pas à cause de ce qu’il m’a fait subir, mais pour le tort qu’il fait à la gloire de Dieu, au Nom de Jésus, et aux âmes des centaines de millions d’hommes qui vivent sous sa domination.

De tous les coins du pays, des paysans venaient me voir et me raconter les méfaits de la collectivisation. Sur ce qui était autrefois leurs champs et leurs vignes, ils vivaient à présent comme des esclaves affamés. Ils manquaient de pain, et leurs enfants de lait et de fruits, et cela dans un pays où la nature est aussi généreuse que dans l’antique Chanaan. Des frères m’ont avoué que le régime communiste les acculait au vol et au mensonge. Pour manger, il leur fallait dérober ce qui autrefois était à eux et maintenant appartenait à la collectivité ; après quoi, pour dissimuler leurs larcins, ils se voyaient obligés de mentir. Des ouvriers m’ont parlé de la terreur qui règne dans les usines, où les travailleurs sont exploités suivant des normes de travail dont n’oseraient même pas rêver les capitalistes. Et le droit de grève ne leur est pas reconnu.

Quant aux intellectuels, en dépit de leurs convictions intimes, ils sont obligés d’enseigner l’inexistence de Dieu.

La vie et la pensée, sur un tiers de la terre, sont bouleversées et détruites.

Des jeunes filles sont venues se plaindre parce que l’organisation de la Jeunesse Communiste les avait convoquées, blâmées et menacées. Quelle faute avaient-elles donc commise ? Elles avaient embrassé un garçon chrétien. Et le Comité leur en nomma un autre qu’elles auraient le droit d’embrasser.

Bref, tout me paraissait désespérément faux et laid.

Et puis, j’ai retrouvé des militants de l’Église Clandestine, d’anciens compagnons ; certains n’avaient pas été arrêtés, d’autres avaient repris le combat après leur sortie de prison. Ils me demandèrent de me joindre à eux. J’ai assisté à leurs réunions secrètes au cours desquelles ils chantaient des cantiques qu’ils lisaient sur des feuilles copiées à la main.

Je me suis rappelé le grand saint Antoine. Depuis 30 ans, retiré du monde, il vivait dans le désert et passait son existence à jeûner et à prier, quand il entendit parler de la dispute entre saint Athanase et Arius à propos de la divinité du Christ. Il abandonna la vie contemplative et se rendit à Alexandrie pour aider au triomphe de la vérité.

Je résolus de faire ce qui est le devoir de tout chrétien : suivre l’exemple du Christ, imiter l’Apôtre Paul et les grands saints, abandonner l’idée de la retraite et reprendre la lutte.

Mais quel genre de lutte ?

En prison, les chrétiens ne cessaient de prier pour leurs ennemis et de donner à ceux-ci un magnifique témoignage. Notre vœu le plus ardent était que nos bourreaux fussent sauvés, et quand cela se produisait nous en ressentions une vive joie. Mais j’exécrais l’odieux système communiste et désirais me porter en renfort de l’Église Clandestine, la seule force qui puisse renverser cette cruelle tyrannie par la puissance de l’Évangile.

Je n’envisageais pas seulement la Roumanie, je pensais à tout le monde communiste.

Or, qu’ai-je trouvé en Occident ? beaucoup d’indifférence. Partout, dans le monde, des gens de lettres ont protesté quand deux écrivains communistes – Siniavski et Daniel – ont été condamnés à la prison par leurs propres camarades. Et les Églises ne protestent pas quand des chrétiens sont jetés en prison pour leur foi.

Qui s’inquiète du frère Kuzyck, condamné pour le crime d’avoir distribué du « poison », c’est-à-dire des publications chrétiennes, par exemple les livres de dévotion de Torrey ou des abrégés de la Bible ? Du frère Prokofiev, condamné pour distribution de sermons manuscrits ? Du Juif chrétien Grunwald condamné pour des crimes analogues et dont le fils est emprisonné à vie ? Je sais trop ce que j’ai souffert quand j’ai été séparé de mon fils Mihaï pour ne pas souffrir avec Grunwald, Ivanenko, Granny Shevchuk, Taysia Tkachencho, Ekaterina Vekazina, Georgi Vekazin, les époux Pilat en Lettonie, et tant d’autres, dont les noms sont ceux de saints et de héros de la foi en notre XXe siècle. Je m’agenouille pour baiser leurs chaînes, comme les premiers chrétiens celles de leurs frères qui partaient pour les arènes où les attendaient les bêtes féroces.

Mais ils n’intéressent pas tels et tels chefs des Églises de l’Occident. Les noms de ces martyrs ne figurent pas sur leurs livres de prières. Tandis qu’on les torturait et condamnait à mort, certains chefs de l’Église Baptiste Russe et de l’Église orthodoxe – qui les avaient dénoncés et livrés – étaient reçus en grande pompe à New Delhi, à Genève et dans d’autres Conférences internationales, où ils affirmaient à qui voulait les entendre que la liberté religieuse est totale en Russie. Un secrétaire du Conseil Œcuménique des Églises a même embrassé l’archevêque bolchevick Nicodème qui lui en donnait l’assurance ; après quoi ils banquetèrent ensemble au nom prestigieux de ce Conseil Œcuménique, cependant qu’au nom de Jésus-Christ les saints, dans leurs prisons, « se régalaient » de choux farcis d’intestins non lavés – comme ceux que j’ai dû avaler moi-même.

Cela ne pouvait durer. L’Église Clandestine décida que je quitterais le pays à la première occasion pour aller vous raconter ce qui se passe, à vous, chrétiens. Et moi, sans cesser d’aimer les communistes, j’ai décidé de dénoncer le communisme. Car je suis convaincu que, si on ne le dénonce pas, on ne prêche pas le véritable Évangile.

« Prêchez le pur Évangile », me recommandent certains. Cela me rappelle que la police secrète communiste m’a demandé, elle aussi, de parler du Christ mais sans faire aucune allusion au communisme. Se peut-il que le même esprit anime les agents de cette police, et les tenants de ce qui est appelé – par eux-mêmes – « le pur Évangile » ?

Qu’est-ce donc, ce « pur Évangile » ? Je n’en sais rien. Était-elle pure, la prédication de Saint Jean Baptiste ? Il ne disait pas seulement « Faites pénitence, car le Royaume de Dieu est proche », il disait aussi : « Toi, roi Hérode, tu es coupable. » Et parce qu’il ne s’était pas contenté d’enseigner à moitié, il fut décapité. Jésus ne s’est pas contenté de prononcer le « pur » Sermon sur la Montagne, il a aussi prononcé ce que certains chefs actuels de l’Église qualifieraient de « sermon négatif » : Malheur à vous, Scribes et Pharisiens hypocrites... génération de vipères. » C’est pour ce prêche « impur » qu’il a été crucifié, car les Pharisiens ne se seraient pas tellement révoltés contre le Sermon sur la Montagne.

Il faut appeler le péché par son nom. Dans le monde actuel, le péché le plus dangereux est le communisme. Tout Évangile qui ne le stigmatise pas n’est pas le pur Évangile. Au risque de la liberté et de la vie, l’Église Clandestine le stigmatise ! Allons-nous garder le silence, à l’Ouest ?

Je me suis résolu à dénoncer le communisme, non pas à la manière de ceux qu’on nomme d’ordinaire « anti-communistes ». Hitler était de ceux-ci et n’en fut pas moins un tyran. Nous, qui haïssons les péchés, nous aimons le pécheur.

 

 

POURQUOI JE SOUFFRE EN OCCIDENT

 

Je souffre à l’Ouest plus que je n’ai souffert dans les pays communistes.

Et d’abord, et avant tout, parce que je soupire après les indicibles beautés de l’Église Clandestine, cette Église si conforme à l’antique conseil latin : « Nudi nudum Christum sequi » (suivre nus le Christ nu).

Dans le camp communiste, le Fils de l’Homme et les siens ne trouvent nulle part de quoi reposer leur tête. Là-bas les chrétiens ne peuvent se bâtir de maisons. À quoi bon ? On les leur confisquerait dès leur première arrestation. La seule possession d’une maison neuve fournirait contre eux un grave chef d’accusation, car les communistes voudraient se l’approprier. Là-bas vous ne prenez pas le temps d’ensevelir votre père ou de dire adieu aux vôtres avant de suivre le Christ. Qui est votre père, votre frère, votre sœur ? Vous êtes, à cet égard, semblables à Jésus. Votre mère et votre frère sont ceux qui font la volonté de Dieu. Quant aux liens naturels, peuvent-ils encore compter lorsqu’il arrive si souvent que la fiancée dénonce son futur, les enfants leurs parents, les épouses leurs maris ? De plus en plus seule subsiste la fidélité spirituelle.

L’Église Clandestine est pauvre et souffrante, mais elle ne compte pas de tièdes.

Un office religieux y est ce qu’il était voilà dix-neuf cents ans dans la primitive Église. Le prédicateur ne connaît qu’une théologie sommaire. Tout comme Pierre, il ignore l’homélie ; n’importe lequel de nos professeurs de théologie aurait donné une mauvaise note au Prince des Apôtres pour son sermon du jour de la Pentecôte. On connaît peu les versets de la Bible dans les pays communistes, parce qu’on y manque de Bibles. En outre, il est plus que probable que les prédicateurs sont restés en prison sans Bible pendant des années.

Professent-ils leur foi en un Père ? Leur profession de foi est pleine de sens, parce qu’elle cache un drame. Chaque jour, en prison ils ont demandé du pain au Père tout-puissant, et ils ont reçu du chou farci d’immondices : ils croient pourtant que Dieu est un Père tout-puissant. En cela, ils sont pareils à Job, qui a dit : « Je croirais en Dieu même si Dieu me menaçait de mort. » Ils sont pareils à Jésus qui appelait « mon Père » ce Dieu qui paraissait l’abandonner sur la Croix.

Celui qui a connu la splendeur spirituelle de l’Église Clandestine ne peut plus se contenter du vide de certaines Églises de l’Occident. Je souffre à l’Ouest plus que je n’ai souffert dans les geôles communistes, parce que je vois maintenant de mes yeux agoniser la civilisation occidentale.

Dans le Déclin de l’Occident, Oswald Spengler a écrit : « Vous êtes à l’agonie. Je discerne en vous tous les symptômes de la décadence. Votre abondance et votre pénurie, votre capitalisme et votre socialisme, vos guerres et vos révolutions, votre athéisme et votre pessimisme et votre cynisme, votre immoralité, vos divorces, votre contrôle des naissances, tout ce qui en bas vous couvre de sang et injecte en haut la mort dans vos cerveaux, tout cela, je peux vous prouver que ce sont les signes caractéristiques des époques qui ont vu s’écrouler les États de l’Antiquité, Alexandrie et la Grèce, et Rome la névrosée. »

Cela fut écrit en 1926. Depuis lors, la démocratie et la civilisation sont déjà mortes dans la moitié de l’Europe et jusque dans la lointaine Cuba. Le reste de l’Occident dort.

Mais il reste une force qui ne s’endort pas, celle des communistes. Tandis qu’à l’Est ils ont perdu leurs illusions, à l’Ouest le communisme est demeuré virulent. Ses partisans de l’Ouest ne croient tout simplement pas à ces comptes-rendus fâcheux de cruautés, de misère et de persécution dans les pays communistes. Poussés par un zèle infatigable, ils vont propageant partout leur foi, dans les salons des riches, dans les cercles intellectuels, les collèges, les quartiers pauvres et les églises. Nous autres, chrétiens, le plus souvent nous n’engageons qu’à moitié notre cœur au service de la pleine vérité. Eux, ils sont toujours de plein cœur au service du mensonge.

Et pendant ce temps les théologiens de l’Ouest discutent de vétilles. Cela me rappelle qu’en 1493, tandis que les armées de Mahomet II assiégeaient Constantinople et qu’il allait se décider pour des siècles si les Balkans seraient placés sous domination chrétienne ou musulmane, un concile ecclésiastique local, réuni dans la ville attaquée, discutait des problèmes que voici : « De quelle couleur étaient les yeux de la Vierge ? Quel est le sexe des Anges ? Qu’arrive-t-il lorsqu’une mouche tombe dans l’eau bénite ? la mouche est-elle bénite, ou l’eau polluée ? » Ce n’est peut-être là qu’une légende [3]. Mais examinez attentivement les périodiques d’Église d’aujourd’hui, et vous découvrirez que les questions qu’on y agite sont analogues à celles-là. Presque jamais la menace communiste et les souffrances de l’Église Clandestine n’y sont mentionnées.

Interminables sont les discussions qui portent sur des matières de théologie et de rituels ou sur des détails secondaires.

Un jour, dans un salon, au cours d’une réception, quelqu’un demanda : « Si vous vous trouviez sur un navire en perdition et que vous puissiez gagner une île perdue en emportant avec vous un livre, un seul, de la bibliothèque du bateau, quel livre choisiriez-vous ? » La Bible, dit l’un. Shakespeare, dit un autre. Un écrivain donna la bonne réponse : « Je choisirais un livre qui m’apprendrait comment construire un bateau et retourner au port. Là je pourrais lire tout ce qui me plairait. »

Il est plus important pour toutes les confessions et toutes les théologies de conserver la liberté et de la regretter quand on l’a perdue à cause des persécutions communistes, que d’insister sur telle ou telle opinion théologique.

« La vérité vous délivrera », a dit Jésus. Il est aussi vrai de dire : « La liberté, la liberté seule, vous donnera la vérité. » Et au lieu de nous quereller à propos d’insignifiances, nous ferions mieux de nous unir dans le combat pour la liberté contre la tyrannie du communisme.

Je souffre aussi parce que je partage les tourments de l’Église située derrière le Rideau de fer. Moi qui ai passé pas ces tourments, je peux me les représenter.

En juin 1966 les journaux soviétiques Izvestia et Derevenskaia Jizn accusèrent les Baptistes russes d’enseigner que des enfants doivent être immolés en expiation des péchés. C’est la vieille accusation de meurtre rituel qui fut longtemps lancée contre les Juifs. Mais je sais ce qu’elle signifie. J’ai eu dans ma prison en 1953, à Cluj en Roumanie, un compagnon nommé Lazarovici, condamné pour l’assassinat d’une jeune fille. Il n’avait que trente ans, mais une seule nuit de tortures avait suffi pour que ses cheveux devinssent blancs. On eût dit un vieillard. Il n’avait plus d’ongles ; on les lui avait arrachés un à un pour lui faire avouer ce crime qu’il n’avait pas commis. Au bout d’un an de supplices, son innocence fut reconnue et il fut relâché. Que lui importait désormais la liberté ? C’était un homme à jamais anéanti.

D’autres peuvent lire ces articles et rire de la stupidité des accusations lancées contre les Baptistes par la Presse soviétique : je sais, moi, ce qu’elles signifient pour les accusés.

Il est horriblement douloureux de se trouver en Occident et d’y avoir constamment de pareilles images devant les yeux.

Où se trouve à présent l’archevêque Yermogène, de Kaluga (URSS), et les sept autres évêques qui ont protesté contre les inconditionnels de la collaboration avec le Régime Soviétique, tels le Patriarche Alexis et l’archevêque Nicodème, simples instruments manipulés par les communistes ? Si je n’avais vu mourir près de moi les évêques roumains protestataires, le sort de ces deux pieux pontifes dont je parle m’inquiéterait beaucoup moins.

Les prêtres Nicolas Eschliman et Gleb Yakunin ont été sanctionnés par le Patriarche pour avoir demandé la liberté religieuse en faveur de l’Église. L’Ouest connaît bien cette affaire. Mais je me suis trouvé en prison avec le Père Jean de Wladimireshti (Roumanie) à qui la même chose était arrivée. Apparemment il n’avait été frappé que d’une sanction ecclésiastique ; seulement les chefs de notre Église légale, comme tous leurs confrères des pays communistes, travaillent la main dans la main de la police secrète, et ceux qu’ils sanctionnent tombent sous les coups plus efficaces des prisons : tortures, fouets, narcotiques.

Je tremble à la pensée de ce que souffrent les persécutés dans le camp communiste. Je tremble à la pensée de l’éternité qui attend leurs bourreaux. Je tremble pour les chrétiens de l’Ouest qui ne secourent pas leurs frères persécutés.

Oui ! L’intime désir de mon cœur serait de m’occuper de l’entretien de mon propre jardin et de n’être pas mêlé à cette lutte gigantesque. J’aimerais tant jouir quelque part de la tranquillité et du repos. Hélas ! c’est impossible. Le communisme est à nos portes. Quand ses troupes envahirent le Tibet, c’en fut fini là-bas de ne s’intéresser qu’à la pure spiritualité. C’en fut fini tout autant, dans mon pays, pour tous ceux qui ne voulaient pas voir la réalité. Les Églises furent fermées, les monastères dispersés, il n’en resta que ce qui était indispensable pour faire illusion aux étrangers. Le tranquille repos dont je rêve me préserverait certes de la réalité, mais elle mettrait mon âme en grand danger.

Cette lutte, si périlleuse pour ma personne, c’est pourtant mon devoir d’y prendre part. Si je disparais, soyez sûrs que ce sont les communistes qui m’auront enlevé. Ils m’ont arrêté dans une rue en 1948 et mis en prison sous un faux nom. Anna Pauker, qui était notre Secrétaire d’État, dit alors à l’ambassadeur de Suède, Patrick von Reuterswaerde : « En ce moment même, Wurmbrand flâne dans les rues de Copenhague. » Et cependant le ministre suédois avait en poche une lettre que j’avais réussi à faire sortir en fraude de prison ; il sut ainsi qu’on venait de lui mentir. Cela peut se reproduire. Si je suis assassiné, ce sera par un tueur aux gages des communistes ; eux seuls ont une raison de me tuer. Si vous entendez des bruits m’accusant de dépravation, de vol, d’homosexualité, d’adultère, d’incompatibilité politique, de mensonge ou autres gentillesses de même genre, ne cherchez pas les responsables : c’est la police secrète qui mettra à exécution sa menace : « Nous vous détruirons moralement. »

Je tiens de bonne source que les communistes ont décidé de me tuer après ma déposition devant le Sénat des États-Unis. Ils vont donc attenter soit à ma vie soit à ma réputation. Ils essaieront de me faire chanter en menaçant de terroriser mes amis de Roumanie. Leurs moyens sont puissants.

Mais je ne peux pas me taire. Et vous avez, vous, le devoir de prendre au sérieux ce que je dis. Même si vous pensez que ce que j’ai souffert m’a donné la manie de la persécution, demandez-vous combien il faut que le communisme soit terrible pour que ses sujets soient atteints d’un pareil complexe, et combien il faut le craindre puisque des Allemands de l’Est vont jusqu’à cacher leurs enfants dans des bulldozers pour traverser les barbelés au risque d’être tués avec eux.

L’Occident dort. Il faut le réveiller.

 

 

*

 

 

Les hommes qui souffrent cherchent un bouc émissaire qu’ils chargeront de leurs fautes. S’ils en trouvent un, leur fardeau sera beaucoup plus léger. Je ne peux m’y résoudre.

Je ne placerai pas le fardeau sur les épaules des chefs religieux de l’Ouest qui pactisent avec le communisme. Le mal ne vient pas d’eux. Il est bien plus ancien ; ils sont eux-mêmes ses victimes. Ils n’ont pas créé le gâchis dans l’Église ; ils l’y ont trouvé.

Depuis que je suis en Occident, j’ai visité beaucoup de séminaires de théologie. J’y ai entendu des cours sur l’histoire des cloches et de la musique liturgique, sur des règles canoniques depuis longtemps périmées ou sur une discipline ecclésiastique qui n’a plus de raison d’être. J’ai vu des étudiants en théologie en train d’apprendre que dans la Bible l’histoire de la création n’est pas vraie, qu’il n’y a pas eu d’Adam, ni de Déluge, ni de miracles de Moïse ; que les prophéties ont été écrites après coup ; que la Conception virginale est un mythe, tout comme la Résurrection de Jésus ; que les ossements du Christ sont quelque part dans un tombeau ; que les Épîtres ne sont pas authentiques ; que la Révélation est l’œuvre d’un fou... mais que la Bible est tout de même le Saint Livre (cela nous laisse un livre saint dans lequel sont allégués plus de mensonges que dans un journal communiste).

Voilà ce que les chefs actuels de l’Église ont appris dans les séminaires. Voilà l’ambiance dans laquelle ils vivent. Pourquoi auraient-ils foi en un Maître sur lequel on leur a conté de si étranges histoires ? Pourquoi ces chefs de l’Église croiraient-ils à une Église où l’on peut en toute liberté enseigner que Dieu est  mort ?

L’Église officielle qu’ils dirigent n’est pas l’Épouse du Christ, c’est une Église dont beaucoup de membres ont livré le Christ et lorsqu’ils rencontrent quelqu’un de l’Église Clandestine, souffrante et martyre, ils le regardent comme un être d’une espèce inconnue.

Et puis, il n’est pas juste de ne juger les hommes que sur une partie de leur comportement. En le faisant, nous serions pareils aux Pharisiens qui reprochaient à Jésus de ne pas respecter les règles du sabbat. Cela leur cachait ce qu’il pouvait avoir d’aimable, même leurs propres yeux.

Les chefs religieux coupables de pactiser avec le communisme peuvent être sincères et droits en beaucoup de points. Et même ils peuvent revenir de l’erreur qu’ils commettent.

J’ai rencontré un jour en Roumanie un métropolite orthodoxe. C’était un agent communiste qui dénonçait ses propres brebis. Je lui pris la main et lui racontai la parabole de l’Enfant prodigue. Nous étions dans son jardin, le soir tombait. Je conclus : « Voyez avec quel amour Dieu accueille le pécheur qui revient à Lui. Il accueille avec la même joie l’évêque qui se repent. » Et je me mis à chanter des cantiques chrétiens. Ce pécheur s’est converti.

Je me suis trouvé en prison dans la même cellule qu’un prêtre orthodoxe qui écrivait des sermons athées dans l’espoir qu’il gagnerait ainsi sa liberté. Je lui parlai. Au risque de ne jamais sortir de prison, il déchira ce qu’il venait d’écrire.

Non, pour alléger le fardeau qui pèse sur mon cœur, je ne veux faire de personne un bouc émissaire.

 

 

*

 

 

Autre souffrance, encore. Mes amis les plus intimes eux-mêmes ne me comprennent pas. Certains m’accusent de rigorisme et de ressentiment contre les communistes, et je sais bien que ce n’est pas vrai.

L’écrivain mosaïque Claude Montefiore a dit que l’attitude de Jésus envers les Scribes et les Pharisiens, la condamnation publique qu’il a portée contre eux, sont contraires à son commandement d’aimer nos ennemis et de bénir ceux qui nous maudissent. Et le Dr. W. R. Matthews, qui a récemment pris sa retraite comme Doyen de Saint-Paul de Londres, conclut qu’en effet il y avait là incohérence et contradiction provenant de ce que Jésus n’était pas un intellectuel.

L’idée que Montefiore se faisait de Jésus était fausse. Ces Pharisiens qu’il stigmatisait publiquement, Jésus les aimait. À son exemple, tout en les dénonçant, j’aime les communistes et ceux qui sont leurs instruments dans l’Église.

Constamment je m’entends dire : « Ne pensez plus aux communistes ! Consacrez-vous aux choses spirituelles ! » Un chrétien qui a été persécuté par les nazis m’a dit : « Je vous donne entièrement raison quand vous témoignez pour le Christ. Mais abstenez-vous du moindre mot contre le communisme. » Je lui ai répondu : « Les chrétiens qui combattaient Hitler en Allemagne avaient-ils tort ? Devait-on leur imposer de parler seulement de la Bible et de ne rien dire contre le tyran ? » Il riposta : « Hitler a exterminé six millions de Juifs. C’était un devoir de s’élever contre lui. » À quoi je rétorquai : « Le communisme a exterminé trente millions de Russes et des millions de Chinois et d’autres. Il a aussi massacré des Juifs. Faut-il donc ne protester que lorsque les victimes sont juives, pas lorsqu’elles sont Russes ? » « C’est tout à fait différent », conclut mon interlocuteur, et c’est tout ce qu’il me donna en fait d’explication.

J’ai été roué de coups par la police sous Hitler et sous les communistes et je n’y vois pas de différence. Dans les deux cas, j’ai tout autant souffert.

Certes, le communisme n’est pas la seule sorte de péché contre lequel la chrétienté doive lutter ; il y en a beaucoup d’autres et nous ne sommes pas obsédés par ce seul problème. Mais pour le moment la chrétienté n’a pas d’ennemi plus puissant ni plus dangereux. Il faut s’unir contre lui. Le redirai-je ? L’homme a pour fin de devenir semblable à Dieu, et l’objectif essentiel des communistes est de l’en empêcher. Ils croient qu’après la mort l’homme se transforme en sels et en minéraux. Aussi ramènent-ils toute son existence au niveau de la matière.

Ils ne connaissent que les masses. Ils font leur cette parole que le Nouveau Testament met dans la bouche du démon auquel on vient de demander son nom : « Je m’appelle légion. » La personnalité – le plus précieux cadeau que Dieu ait fait à l’humanité  – ils veulent l’écraser. Ils ont emprisonné un homme parce qu’il lisait un livre d’Alfred Adler intitulé Psychologie de l’individu ; et les officiers de la police secrète qui l’arrêtèrent criaient : « L’individu ! Toujours l’individu ! Jamais la collectivité ! »

Le Christ désire que nous soyons des personnes humaines. Il n’existe donc pas de compromis possible entre les communistes et nous. Ils le savent bien. Leur magazine Nauka i Religia (Science et Religion) écrit : « Religion et communisme sont incompatibles. Celui-ci est l’ennemi de celle-là. Le contenu du programme du Parti communiste est un coup mortel assené à la religion... Il a pour but de créer une société athée dans laquelle le peuple sera débarrassé à jamais de toute contrainte religieuse. »

Vous demandez-vous si le christianisme et le communisme ne pourraient pas coexister ? Eh bien ! voilà la réponse des communistes : « Le communisme est un coup mortel assené à la religion. »

 

 

 

 

 

V

 

L’ÉGLISE DU SILENCE

 

 

 

JE VAIS maintenant reparler de l’Église Clandestine.

Elle travaille dans des conditions extrêmement difficiles. Dans tous les pays communistes, l’athéisme est religion d’État. Ils laissent plus ou moins de liberté aux vieilles gens attachés à leurs pratiques héréditaires, mais les enfants et la jeunesse ne doivent pas croire. Tout – radio, télévision, théâtre, presse, édition – a pour objectif l’anéantissement de la foi en Dieu.

L’Église Clandestine n’a que de très faibles moyens à opposer aux forces énormes de l’État totalitaire. Ses ministres en Russie n’ont pas reçu de formation théologique ; ce sont des pasteurs qui n’ont jamais lu entièrement la Bible.

Un exemple vous montrera comment beaucoup d’entre eux ont été ordonnés. Nous avions fait la connaissance d’un jeune pasteur clandestin russe. « Qui vous a ordonné ? » lui demandai-je. Il me répondit : « Il n’y avait plus d’évêque fidèle et l’évêque légal ne voulait ordonner personne sans l’accord préalable du Parti Communiste. Nous étions dix jeunes chrétiens. Nous nous sommes rendus sur la tombe d’un évêque martyr. Deux d’entre nous ont posé leurs mains sur la pierre tombale. Les autres ont formé le cercle et nous avons demandé au Saint-Esprit de nous ordonner. Et nous sommes sûrs de l’avoir été par les mains transpercées de Jésus. »

Je tiens l’ordination de ce jeune chrétien pour valide devant Dieu. Eh bien ! Ce sont des pasteurs ainsi ordonnés, sans formation théologique et souvent fort ignorants de la Bible, qui continuent là-bas le ministère du Christ.

Telle était l’Église des premiers siècles. De quels séminaires sont sortis les hommes qui ont mis le monde sens dessus dessous en lui apportant le Christ ? Savaient-ils seulement tous lire ? Et d’où leur seraient venues les Bibles ? Dieu leur parlait directement.

Nous, de l’Église Clandestine, nous ne disposons pas de cathédrales. Mais existe-t-il cathédrale plus belle que la voûte du ciel vers laquelle se levaient nos regards quand nous nous rassemblions en cachette dans les forêts ? Le gazouillis des oiseaux nous tenait lieu d’orgues. Le parfum des fleurs était notre encens. Et le misérable vêtement des martyrs récemment sortis des prisons nous paraissait plus poignant que les ornements sacerdotaux. En fait de luminaire, nous avions la lune et les étoiles. Et les acolytes qui nous les allumaient, c’étaient les Anges.

Jamais je ne pourrai décrire ta splendeur de cette Église.

Souvent, à l’issue d’un de ces services clandestins, des chrétiens sont arrêtés et envoyés en prison. Là ils portent leurs chaînes avec autant de joie qu’une fiancée le bijou offert par son bien-aimé. En prison, la tempête s’apaise. Les baisers que vous recevez sont ceux du Christ, Il vous serre dans ses bras, et vous ne céderiez pas votre place pour un trône de roi. Je n’ai vraiment trouvé la joie chrétienne que dans la Bible, l’Église Clandestine et la prison.

L’Église Clandestine est opprimée, mais elle a aussi pas mal d’amis, même dans la police secrète, même parmi les gouvernants, et parfois ces croyants insoupçonnés se font ses protecteurs. Récemment des journaux se sont plaints du nombre croissant des « sans-dieu apparents ». Ceux-ci, expliquaient-ils, sont les innombrables fonctionnaires masculins et féminins placés aux divers échelons de l’administration communiste – dans les services d’État, les départements de la propagande et partout – qui, extérieurement, agissent en communistes mais en réalité sont des croyants masqués et des membres de l’Église Clandestine.

La presse soviétique a raconté l’histoire d’une jeune femme employée au département de la propagande communiste. Après le travail elle rentrait chez elle et y retrouvait son mari revenu lui aussi. Tous deux après dîner rejoignaient un groupe de jeunes voisins pour des réunions d’études bibliques et de prières. Voilà ce qui se passe dans le monde communiste. Ces « sans-dieu apparents », il y en a des dizaines de milliers. Ils trouvent plus sage de ne pas assister aux comédies d’Église légale où ils seraient épiés et n’entendraient qu’un Évangile déformé, de conserver les emplois d’autorité et de responsabilité qu’ils occupent, et là, tranquillement et efficacement, de témoigner pour le Christ.

La fidèle Église Clandestine compte dans ces emplois-là des milliers de membres qui se réunissent en cachette dans des caves, des mansardes, des appartements.

En Russie personne ne se rappelle plus les arguments pour ou contre le baptême des enfants ou des adultes, pour ou contre l’infaillibilité du Pape. On n’y trouve pas de pré- ou de post-millénaristes. Faute de pouvoir interpréter les prophéties, on ne s’y querelle pas à leur sujet. Mais j’y ai été souvent très étonné de l’aptitude des chrétiens à démontrer aux athées l’existence de Dieu.

Leurs réponses sont simples. « Si vous étiez invités à un banquet où l’on vous servirait toutes sortes de mets excellents, croiriez-vous que personne ne les a fait cuire ? Eh bien ! La nature est un banquet qui nous est offert. Tomates, pêches, pommes, lait, miel, qui a préparé tout cela pour les hommes ? La nature est aveugle. Si vous ne croyez pas en Dieu, comment expliquez-vous qu’une nature aveugle ait réussi à nous confectionner, en si grande abondance et diversité, juste ce dont nous avons besoin ? »

Ils sont capables de prouver qu’il y a une vie éternelle. J’ai entendu l’un d’entre eux plaider devant un athée en ces termes : « Supposez que vous puissiez parler avec un embryon et que vous lui disiez que la vie embryonnaire est brève et sera suivie d’une autre vie véritable et longue. Que vous répondra-t-il ? Tout justement ce que vous, les athées, vous nous répondez quand nous parlons du ciel et de l’enfer. Il vous dira qu’il n’y a qu’une vie, celle qu’on mène dans les entrailles de sa mère, et que tout le reste n’est que superstition. Mais si l’embryon pouvait raisonner, il se dirait à lui-même : “Voilà qu’il me vient des bras ! Je n’en ai nullement besoin. Je ne peux même pas les étendre. Pourquoi me viennent-ils ? Probablement en prévision d’un stade futur de mon existence pendant lequel j’aurai besoin d’eux. Des jambes me poussent aussi, et je suis obligé de les tenir repliées contre ma poitrine. Pourquoi ces jambes ? Probablement parce que je vais avoir à vivre dans un autre monde où je devrai marcher. Des yeux aussi ? Dans ces épaisses ténèbres où ils ne me servent à rien ? Pourquoi ? Probablement parce que je vais passer dans un univers de lumière et de couleurs.” Bref, si l’embryon pouvait réfléchir sur son développement, il comprendrait qu’il existe une vie hors des entrailles maternelles, une vie qu’il ne connaît pas encore. C’est la même chose pour nous. Aussi longtemps que nous avons la jeunesse, nous avons la force et nous ne savons pas en user convenablement ; puis quand, avec les années, nous avons grandi en science et en sagesse, le corbillard vient nous prendre pour nous mener au tombeau. Pourquoi donc avions-nous grandi en science et en sagesse puisque cela ne nous sert plus à rien ? Pourquoi des bras, des jambes, des yeux viennent-ils à l’embryon ? C’était en prévision de ce qui allait suivre. Et nous, si nous grandissons en science et en sagesse, en expérience, en connaissances, c’est en prévision de ce qui doit suivre. Elles nous préparent à servir à un niveau plus élevé qui suit la mort. »

La doctrine officielle communiste nie que Jésus ait existé. À cela les ouvriers de l’Église clandestine ont beau jeu de répondre : « Quel journal avez-vous en poche ? La Pravda d’aujourd’hui, ou d’hier ? Laissez-moi voir. Ah ! 14 janvier 1964. Pourquoi 1964 ? 1964 à partir de quoi ? À partir d’un UN qui n’a pas existé ou n’a joué aucun rôle ? Vous dites que ce Premier n’a jamais vécu et pourtant vous comptez les années à partir de sa naissance. Le temps existait avant lui. Mais quand il est venu, il a semblé à l’humanité que tout ce qui s’était passé auparavant ne comptait pas et que le temps réel commençait avec Lui. Votre journal communiste lui-même prouve que Jésus n’est pas un être fictif. »

Les pasteurs de l’Ouest affirment généralement que leurs fidèles sont convaincus des principales vérités chrétiennes alors qu’eux-mêmes ne le sont pas. Il est rare qu’on les entende prononcer un sermon qui prouve le bien-fondé de notre foi. Par contre, derrière le Rideau de fer, des hommes qui n’ont jamais appris à le faire donnent à leurs convertis des bases doctrinales très solides.

Il n’y a pas de ligne de démarcation précise qui permette de dire où finit l’Église clandestine – principale position de résistance du christianisme – et où commence l’Église officielle. Toutes deux s’entremêlent. Beaucoup de pasteurs des églises légales poursuivent parallèlement un ministère secret qui outrepasse largement les limites fixées par les communistes.

L’Église légale, celle de la collaboration avec le communisme, a déjà une longue histoire. Elle a commencé aussitôt après la Révolution socialiste russe sous le nom de « Église vivante » et sous la direction d’un prêtre nommé Serge. À cette époque, elle proclamait publiquement à Moscou : « Notre objectif n’est pas de rebâtir l’Église, mais de l’abolir afin de déraciner toute religion. » Beau programme pour une Église !

Et chaque pays communisé a eu son Serge. En Hongrie, parmi les catholiques, ce fut le P. Balogh qui, avec quelques ministres protestants, aida les communistes à s’emparer de l’État. En Roumanie, c’est avec le soutien du prêtre orthodoxe Burducea, ancien fasciste, qu’ils prirent le pouvoir ; ses fautes d’autrefois l’avaient obligé à se livrer aux Rouges et il devint plus rouge encore que ses nouveaux maîtres ; lors de l’installation du gouvernement communiste, il se trouvait aux côtés du Secrétaire d’État Vychinski, et manifesta son approbation en souriant quand celui-ci déclara : « Ce gouvernement établira le Paradis sur terre et vous n’aurez plus à vous préoccuper d’un Paradis céleste. »

Quant à l’archevêque russe Nicodème, il est bien connu que c’est un indicateur. Le commandant Deriabin, ex-membre de la police secrète soviétique, a certifié que ce Nicodème était de ses agents.

Presque toutes les confessions se trouvent dans la même situation. L’Église Baptiste roumaine s’est vu imposer par la force ses dirigeants actuels, qui dénoncent les chrétiens fidèles, comme le font les dirigeants des Baptistes de Russie. Le président des Adventistes roumains m’a dit à moi-même qu’il avait servi d’informateur à la police secrète dès le premier jour de la prise du pouvoir par les communistes.

Ceux-ci ont fermé beaucoup d’églises, mais pas toutes. Ils ont eu l’astuce d’en laisser ouvertes quelques-unes, églises piégées qui leur servent de fenêtres pour observer, contrôler et éventuellement détruire chrétiens et christianisme. Mieux valait, pensaient-ils, conserver la structure de l’Église afin d’en faire, en même temps qu’un instrument de surveillance, un moyen de tromper les touristes étrangers. On m’en a offert une à moi-même, à condition que moi, le pasteur, je dénonce mes fidèles. Il me semble qu’accoutumés à voir tout en blanc ou noir, les Occidentaux ne comprennent rien à ce double jeu. Mais l’Église Clandestine n’acceptera jamais ces « Églises-pièges », chaires de remplacement d’où un faux évangile est « prêché à toute créature », y compris la jeunesse.

Néanmoins, en dépit de la trahison de beaucoup de leurs recteurs, il se trouve dans les églises d’État une réelle vie spirituelle. (J’ai l’impression que la situation est analogue dans beaucoup de celles de l’Ouest.) Quelquefois les communautés restent fidèles, non pas à cause, mais en dépit de leurs chefs.

La liturgie orthodoxe est demeurée inchangée et nourrit les cœurs des siens, malgré les flatteries adressées aux communistes dans les sermons. Luthériens, Presbytériens et autres Protestants continuent à chanter les mêmes psaumes, et les prêches des indicateurs eux-mêmes ne peuvent pas ne pas contenir quelque chose de la Sainte Écriture. En sorte que des gens se convertissent grâce à des hommes qu’ils considèrent d’avance comme des traîtres, bien qu’ils sachent que leur conversion sera signalée à la police et qu’ils auront à cacher leur foi à ceux-là mêmes qui la leur auront donnée... par un sermon corrompu. C’est là le grand miracle de Dieu à propos de quoi il est écrit en langage symbolique dans le Lévitique (11, 37) : « Si quelque chose tombe d’un cadavre (lequel, d’après la loi mosaïque, est impur) sur une semence qui doit être semée, cette semence sera pure. »

L’honnêteté nous oblige toutefois à reconnaître que les dirigeants de l’Église légale, même parmi les hautes autorités, ne sont pas tous agents des communistes. Il y a dans les charges ecclésiastiques officielles les plus importantes des membres de l’Église Clandestine, choisis bien entendu parmi ceux qui ne sont pas obligés de se cacher. Et ils prennent garde à ce que le christianisme, loin de s’affadir, reste une foi militante. Quand la police secrète alla fermer le monastère de Vladimireshti, en Roumanie, elle passa un mauvais quart d’heure, ainsi qu’en beaucoup d’endroits de Russie : plusieurs communistes payèrent de leur vie le crime d’essayer d’interdire la religion.

Mais les églises légales deviennent de plus en plus rares. Je serais bien étonné qu’il y en eût encore cinq ou six mille dans toute l’Union Soviétique (pour une population à peu près aussi nombreuse, les États-Unis en comptent quelque 300 000). Et ce ne sont pas des églises comme nous nous les figurons, ce sont le plus souvent des réduits étroits. Les visiteurs étrangers auxquels on montre à Moscou une église pleine – c’est le seul temple protestant de cette ville – en déduisent que la liberté religieuse règne là-bas. Les églises débordent, racontent-ils joyeusement à leur retour. Ils ne voient pas ce qu’il y a de tragique dans la survie d’une seule église protestante pour sept millions d’âmes. Et ces réduits-églises, les distances n’en permettent l’accès qu’à huit pour cent de la population russe. Ce sont donc des multitudes qu’il faut abandonner, ou bien atteindre par des méthodes clandestines d’évangélisation. Il n’y a pas d’autre choix.

Plus le communisme progresse dans un pays, plus l’Église y est obligée de se cacher. Et les organisations antireligieuses viennent tenir leurs meetings dans les églises légales fermées.

 

 

COMMENT UNE LITTÉRATURE ATHÉE ALIMENTE L’ÉGLISE CLANDESTINE

 

À la manière d’Élie ravitaillé par un corbeau, l’Église Clandestine est « alimentée » par les athées, en raison même de l’habileté et du zèle que ceux-ci déploient pour critiquer et ridiculiser les versets de la Bible.

Ils ont publié des livres intitulés La Bible comique et la Bible pour croyants et incroyants, dans lesquels étaient cités nombre de passages bibliques dont ils voulaient prouver la stupidité. Quelle aubaine pour nous ! Cette critique était si bête que personne ne la prenait au sérieux. Par contre, ces livres, tirés à des millions d’exemplaires, étaient remplis de citations qui restaient inexprimablement belles malgré tous les efforts des communistes pour les tourner en ridicule. Jadis, les « hérétiques » condamnés par l’Inquisition et conduits en procession à la potence étaient vêtus de toutes sortes d’habits dérisoires peints de flammes infernales et de démons. Et pourtant quels saints, ces hérétiques ! Ainsi en va-t-il des vérités de la Bible, même citées par le Diable.

Des milliers de lettres demandant qu’on réimprime ces livres athées parvinrent à la maison d’édition communiste. Elle s’en réjouit vivement et ne comprit pas que ce courrier lui était adressé par l’Église Clandestine, laquelle n’avait que ce moyen de se procurer les Saintes Écritures.

Nous savions très bien aussi profiter des meetings athées. Au cours de l’un d’eux, un professeur communiste démontrait que Jésus ne fut pas autre chose qu’un magicien. Il avait devant lui un pichet d’eau. Il y versa une poudre et l’eau devint rouge. « Voilà tout le miracle, expliqua-t-il. Jésus avait caché dans ses manches une poudre comme celle-ci ; il prétendit ensuite qu’il avait fait le miracle de changer l’eau en vin. Hé bien ! regardez ! Je vais, moi, faire mieux encore que lui : je vais changer le vin en eau. » Et il versa une autre pincée de poudre dans le liquide qui vira en blanc, puis redevint rouge avec une autre pincée, etc. Un chrétien se leva et dit :

– Ce que vous venez de faire nous a beaucoup intéressés, camarade professeur. Nous ne vous demanderons qu’un petit détail supplémentaire : buvez un peu de votre vin.

– Impossible, dit le professeur. Cette poudre est un poison.

– Voilà, constata le chrétien, ce qui fait la différence entre Jésus et vous. Lui, avec son vin, nous a versé deux mille ans d’allégresse, et vous, avec le vôtre, vous nous empoisonnez.

Ce chrétien fut jeté en prison. Mais l’incident, largement répandu, fortifia la foi.

Nous sommes de frêles petits David. Mais nous sommes plus forts que le Goliath de l’athéisme, parce que Dieu est avec nous. C’est nous qui possédons la Vérité.

Un orateur communiste donnait un jour dans une usine une conférence sur l’athéisme. Tous les ouvriers avaient reçu l’ordre d’y assister et parmi eux se trouvaient beaucoup de chrétiens. Tranquillement assis, ils écoutèrent les arguments avancés contre Dieu et la stupidité de la foi au Christ. Le conférencier s’efforçait de démontrer qu’il n’y a pas de monde spirituel, ni de Dieu ; ni de Christ, ni d’au-delà et que l’homme n’est que matière sans âme. « Il n’y a que matière, répétait-il, seule la matière existe. » Un chrétien se leva et demanda la parole. Elle lui fut accordée. Il saisit alors sa chaise pliante, la leva, la jeta à terre et resta immobile un moment à la regarder. Après quoi il alla gifler le conférencier. Celui-ci fut pris d’une violente colère. Le visage rouge d’indignation, hurlant des obscénités, il appela ses camarades communistes pour faire arrêter l’audacieux.

– Comment as-tu osé me souffleter ? Et pourquoi ?

– Vous venez de nous prouver vous-même, répliqua le chrétien, que vous êtes un menteur. Vous nous avez dit : tout est matière, rien que matière. J’ai pris une chaise et je l’ai jetée par terre. Elle est vraiment matière, elle ne s’est pas mise en colère, elle n’est rien que matière et la matière ne peut pas devenir folle de colère. Mais vous, quand je vous ai giflé, vous n’avez pas réagi comme la chaise ; au contraire, la colère vous a rendu furieux. J’en conclus, camarade professeur, que vous avez tort. L’homme n’est pas seulement matière. Nous sommes des êtres spirituels. »

Par d’innombrables procédés de ce genre, de simples chrétiens de l’Église Clandestine réfutent les argumentations des athées.

Un jour, en prison, le commissaire politique me demanda : « Combien de temps encore tiendrez-vous à votre stupide religion ? » Je lui répondis : « J’ai vu de nombreux athées regretter sur leur lit de mort d’avoir été des sans-Dieu et appeler le Christ à leur aide. Pouvez-vous imaginer qu’à l’approche de la mort un chrétien regrette d’avoir été chrétien et demande à Marx et Lénine de le débarrasser de sa foi ? » L’officier se mit à rire : « Voilà une réponse ingénieuse », dit-il. Je poursuivis : « Quand un ingénieur a construit un pont, si un chat passe dessus cela ne prouve pas que le pont est solide. Il y faut le passage d’un train. Que vous soyez athée quand tout va bien, cela ne prouve pas l’excellence de l’athéisme ; il ne vous sera pas d’un grand secours dans les moments de crise grave. » Et je lui prouvai, d’après les œuvres de Lénine, que, même après être devenu premier ministre de l’Union Soviétique, Lénine priait quand les choses tournaient mal.

Nous sommes sans inquiétude, nous pouvons attendre en toute tranquillité la suite des évènements. Ce sont les communistes qui sont inquiets. Et, en multipliant leurs campagnes antireligieuses, ils illustrent ce mot de Jésus à saint Augustin : « Votre cœur est inquiet jusqu’à ce qu’il se repose en Moi. »

 

 

POURQUOI L’ON PEUT CONVERTIR MÊME LES COMMUNISTES

 

Si vous l’aidez, vous, chrétiens libres, l’Église Clandestine pourra conquérir les cœurs des communistes et changer la face du monde. Elle le pourra parce qu’il est contre nature d’être communiste. Le chien tient à son os. Et le cœur des communistes se révolte contre le rôle qu’on leur fait jouer et les absurdités qu’on les oblige à croire.

Certains nous affirmaient-ils que tout est matière, que nous ne sommes qu’une poignée d’ingrédients chimiques agglomérés d’une certaine façon et qu’après la mort nous redevenons sels et minéraux ? Il suffisait de leur demander : « Comment se fait-il alors qu’en tant de pays des communistes aient donné leur vie pour leur idéal ? Une poignée de produits chimiques peut-elle avoir un idéal ? Des minéraux peuvent-ils se sacrifier volontairement pour le bien d’autrui ? » À ces questions, ils se voyaient incapables de répondre.

Et la brutalité ? Les hommes n’ont pas été créés brutes et ne peuvent supporter longtemps d’être des brutes. On l’a bien vu lors de la défaite des nazis : certains se sont donné la mort, tandis que d’autres se repentaient et confessaient leurs crimes.

Significatif est le niveau très élevé de l’ivrognerie dans les pays communistes. Elle provient du désir de s’échapper vers une vie plus libre que le communisme rend impossible. Le Russe moyen est profond, doué de beaucoup de cœur et généreux. Ne trouvant pas dans le communisme, qui est une ombre superficielle, la vie profonde qu’il recherche, il la demande à l’alcool. L’alcoolisme exprime son horreur de l’existence brutale et décevante qu’on l’oblige à vivre. Il demande à l’alcool de lui prêter un moment ce qu’il posséderait s’il était libre.

Une fois, à Bucarest, pendant l’occupation russe, je ressentis l’irrésistible désir d’entrer dans une taverne. Je demandai à ma femme de m’accompagner. Quand nous entrâmes, un capitaine russe, revolver en main, exigeait un verre de plus qu’on lui refusait parce qu’il était déjà ivre. Une peur panique étreignait les clients. Connaissant le patron, je lui demandai de servir ce capitaine et lui promis de m’asseoir près de celui-ci pour veiller à ce qu’il se tînt tranquille. L’une après l’autre des bouteilles de vin nous arrivèrent. Il y avait trois verres sur notre table. Le capitaine les remplit poliment... mais les but tous les trois. Ni ma femme ni moi n’en eûmes une goutte. Malgré l’ivresse très avancée, le capitaine n’avait pas perdu sa lucidité. Je me mis à lui parler du Christ. Il m’écouta avec une attention que je n’espérais pas. À la fin, il me dit :

– Vous venez de me raconter qui vous êtes ; à mon tour de vous révéler qui je suis. Je suis un prêtre orthodoxe qui fut des premiers à renier sa foi quand commença la grande persécution sous Staline. Je m’en fus alors de village en village donner des conférences où je niais l’existence de Dieu. Je disais : « J’ai été prêtre, c’est-à-dire que je vous ai menti et trompés. Tous les prêtres sont des menteurs. » Mon zèle fut très apprécié. Je fus nommé officier dans la police secrète. Dieu m’a puni ; ma punition est d’avoir avec cette main-là tué des chrétiens, après les avoir torturés. Et maintenant, je bois pour pouvoir oublier ce que j’ai fait. Hélas ! je n’oublie pas.

Nombreux sont les communistes qui se donnent la mort. Par exemple les grands poètes Essenine et Maïakovski, et le grand écrivain Fadeïev. Celui-ci venait de terminer un roman intitulé Le bonheur, dans lequel il expliquait que le bonheur consiste à travailler pour le communisme. Il en était lui-même tellement heureux qu’il se tua ; son âme ne pouvait plus supporter une existence aussi écrasante. Joffé, Tomkin, qui avaient été sous les tsars des leaders communistes militants, ne purent pas non plus supporter le spectacle de la réalité communiste : tous deux finirent par le suicide.

Les communistes, même leurs grands chefs, ne connaissent pas le bonheur. Staline était très malheureux ! Après avoir exécuté presque tous ses anciens compagnons, il vécut constamment dans la crainte du poison ou de l’assassinat. Il disposait de huit chambres à coucher qui pouvaient être closes aussi hermétiquement que des coffres-forts dans une banque. Personne ne savait dans laquelle il s’enfermerait la nuit suivante. Il ne mangeait pas si le cuisinier ne goûtait d’abord devant lui le plat présenté. Non, le communisme ne rend personne heureux, pas même ses dictateurs. En l’abattant, nous délivrerons non seulement ses victimes, mais aussi les communistes eux-mêmes. Ils ont besoin du Christ : c’est leur besoin le plus profond. L’Église Clandestine travaille à le satisfaire. Aidez-la !

 

 

*

 

 

Le trait caractéristique de l’Église Clandestine est l’ardeur de sa foi.

Dans son ouvrage sur Les Catacombes de Dieu un pasteur, qui se cache sous le pseudonyme de « Georges », rapporte l’incident que voici. Un capitaine de l’armée russe en Hongrie vint demander à un pasteur un entretien seul à seul. C’était un garçon jeune et fier, très conscient de sa qualité de vainqueur. Lorsque la porte se fut refermée sur la chambre où ils n’étaient que tous les deux, il montra d’un signe de tête le crucifix accroché au mur.

– Vous savez que c’est un mensonge, dit-il au pasteur. C’est un truc d’illusionniste dont vous, les prêtres, vous vous servez pour abuser les pauvres gens afin que les riches les maintiennent plus facilement dans l’ignorance. Allez ! nous sommes seuls. Avouez : vous n’avez jamais cru que Jésus-Christ était le Fils de Dieu.

– Mais si ! dit en souriant le pasteur. Mais si ! malheureux jeune homme, bien sûr que je le crois. C’est la vérité.

– Ne vous amusez pas à ça avec moi, hurla le capitaine. Assez plaisanté. Je parle sérieusement.

Ce disant, il dégaina son revolver, colla le bout du canon contre la poitrine de son interlocuteur.

– Avouez que vous mentez, ou je fais feu.

– Je ne peux pas avouer cela, dit le ministre. Notre-Seigneur est vraiment et réellement le Fils de Dieu.

Ô surprise ! Le capitaine jeta son arme à terre et embrassa le pasteur. Des larmes lui coulaient des yeux.

– C’est donc vrai ! s’écria-t-il, c’est donc bien vrai ! Je le crois, moi aussi, mais j’ai voulu m’assurer par moi-même qu’il y a des hommes prêts à mourir pour cette vérité. Oh ! merci ! Vous me confirmez dans la foi. Je peux, moi aussi, maintenant, mourir pour le Christ. Vous venez de me montrer comment on fait.

J’ai connu d’autres cas semblables. Au temps où les Russes occupaient la Roumanie, deux de leurs soldats entrèrent dans une église, le fusil à la main et crièrent :

– Nous ne voulons pas de votre foi. Reniez-la tout de suite. Ceux qui refuseront, nous les abattrons sur-le-champ. Les autres, rangez-vous à droite.

Quelques fidèles passèrent à droite ; ordre leur fut donné de sortir de l’église et de rentrer chez eux. Pour sauver leur vie, ils s’enfuirent. Après leur départ, les soldats embrassèrent ceux qui étaient restés et dirent :

– Nous aussi, nous sommes des chrétiens. Nous désirions nous trouver entre amis, et nous n’en voulons pas d’autres que des gens pour qui la vérité mérite que l’on meure pour elle.

Voilà les hommes qui combattent pour l’Évangile dans nos pays. Et pas seulement pour l’Évangile, mais aussi pour la liberté.

À l’Ouest, beaucoup de chrétiens passent une partie de leur temps chez eux à écouter de la musique. Chez nous aussi on peut en entendre, mais son bruit couvre des conversations sur l’Évangile et sur le travail de l’Église clandestine, de manière que les voisins ne surprennent rien de ce qui se dit et n’en puissent informer la police secrète.

Qu’ils sont heureux là-bas quand, trop rarement, l’occasion leur est donnée de rencontrer de vrais chrétiens venus de l’Occident !

Qu’importe l’homme qui écrit ces lignes ! Il est la voix de ceux qui sont sans voix, de ceux qui sont muselés et dont personne à l’Ouest ne s’inquiète. En leur nom, je vous conjure d’être très sérieusement attentifs aux problèmes de la foi et de la chrétienté. En leur nom, je réclame vos prières et votre aide matérielle pour les fidèles de l’Église clandestine persécutés dans les pays communistes.

 

 

*

 

 

Nous les conquerrons certainement, les communistes. J’ai dit pourquoi. D’abord et avant tout parce que Dieu est avec nous ; ensuite parce que notre message correspond aux besoins les plus profonds de leurs cœurs.

Plusieurs d’entre eux, qui sont passés par les prisons nazies, m’ont avoué qu’ils avaient prié pendant les heures difficiles. J’ai même vu de leurs officiers mourir en murmurant : « Jésus, Jésus. »

Nous les conquerrons aussi parce que nous avons pour nous tout l’héritage culturel de notre peuple. Les Russes peuvent interdire les publications chrétiennes d’aujourd’hui ; il reste les œuvres de Tolstoï et de Dostoïevski, et leurs lecteurs y trouvent la lumière du Christ. De même les Allemands de l’Est dans Goethe, les Polonais dans Sienkiewicz, etc. Le plus grand écrivain roumain est Sadoveanu : les communistes ont publié sa Vie des Saints sous le titre la Légende des saints, mais sous ce titre différent subsistent les exemples qui poussent à imiter les saints.

Ils ne peuvent pas exclure de l’Histoire de l’Art des reproductions de Raphaël, de Léonard de Vinci, de Michel-Ange. Et ces images parlent du Christ.

Quand j’invoque Jésus devant un communiste, j’ai comme allié et appui le besoin le plus profond de son cœur. Pour cet homme, le plus difficile n’est pas de répondre à mes arguments, c’est de faire taire la voix de sa propre conscience, laquelle me donne raison.

J’ai connu des professeurs de marxisme qui avant leurs cours d’athéisme, priaient Dieu de leur venir en aide. J’ai connu des communistes qui allaient très loin à nos réunions secrètes. Quand ils étaient repérés, ils mentaient et protestaient qu’il ne s’agissait pas d’une réunion de l’Église clandestine ; puis, en pleurant, ils regrettaient de n’avoir pas eu le courage de confesser la foi qui les y avait conduits. Ce sont des hommes, eux aussi.

 

Dès que la foi a touché un individu – fût-elle rudimentaire – elle se développe et progresse en lui. Et nous, de l’Église clandestine, nous sommes sûrs qu’elle aura la victoire, parce que nous l’avons vue multiplier ses conquêtes.

Le Christ aime les communistes. Il est possible, et c’est un devoir, de les amener à Lui. Cela ne se fera au-delà du Rideau de fer que par l’Église Clandestine. Quiconque, par conséquent, veut satisfaire le désir du Cœur de Jésus – qui est de sauver toutes les âmes – doit soutenir cette Église dans ses efforts. « Enseignez toutes les nations », a ordonné Jésus. Il n’a pas dit de s’arrêter devant le Rideau de fer. La foi en Dieu et cet ordre souverain nous imposent l’obligation de le franchir pour atteindre ne serait-ce qu’un homme sur trois de ceux qu’asservit le communisme.

Et cela, nous pouvons déjà le faire ici, en secondant l’effort de l’Église Clandestine.

 

 

LES TROIS CENTRES VITAUX DE L’ÉGLISE CLANDESTINE

 

1o - Pasteurs et desservants chassés par les communistes

 

Ils sont des milliers qui ont été éloignés de leur troupeau parce qu’ils ont refusé de transiger sur l’Évangile. Beaucoup d’entre eux ont enduré des années de prison et de torture. Relâchés, ils ont aussitôt repris du service dans le ministère secret de l’Église Clandestine. Leurs églises sont fermées par les communistes ou bien ils ont été remplacés par d’autres desservants plus « coopérateurs », mais ils se livrent à un apostolat plus efficace dans des granges, des greniers, des caves, des champs de foin la nuit, dans toutes les « caches » où se rassemblent les fidèles. Ils sont des « martyrs vivants » qui ne céderont jamais à la crainte de nouvelles arrestations et de nouvelles tortures.

 

2o - L’Église des laïcs

 

C’est l’immense armée des hommes et des femmes qui se dévouent pour la foi. Il faut d’abord bien comprendre qu’en Russie et en Chine il n’y a plus de chrétiens purement nominaux, tièdes et somnolents ; le prix à payer y est beaucoup trop élevé. Il faut ensuite se rappeler que les persécutions ont toujours produit des chrétiens meilleurs, des chrétiens qui n’ont pas peur de témoigner, des conquérants d’âmes. La persécution communiste a chauffé les nôtres à blanc ; elle en a fait des apôtres d’un zèle ardent, dont on voit rarement l’égal dans les pays libres, et qui ne comprennent pas que l’on puisse être chrétien sans brûler du désir de gagner toutes les âmes que l’on rencontre.

L’Étoile Rouge (qui est le journal de l’Armée russe) s’est moquée des Russes chrétiens en ces termes : « Les adorateurs du Christ aiment planter sur n’importe qui leurs griffes de gloutons. » C’est avouer que par l’éclat de leur vie ils se gagnent l’estime et le respect dans leurs villages et leurs alentours. Dans chaque localité, dans chaque ville, c’est eux que l’on recherche de préférence, et on les aime. Une femme est-elle trop malade pour s’occuper de ses enfants ? Une mère chrétienne vient prendre soin d’eux. Un homme est-il incapable de scier son bois ? Un chrétien le fait pour lui. Ils « vivent » leur christianisme. Aussi, lorsqu’ils se mettent à témoigner pour le Christ, on les écoute et on les croit parce qu’on voit le Christ vivre en eux. Depuis que, seuls, les pasteurs autorisés par l’État peuvent prêcher dans les églises, des millions de chrétiens fervents et généreux gagnent des âmes dans tous les coins du monde communiste, en prenant la parole ou en exerçant la charité sur les marchés, autour des pompes de village, et partout où l’occasion s’en présente. Ouvrez les journaux communistes. Vous y verrez que des bouchers chrétiens glissent des tracts évangéliques dans les papiers qui enveloppent la viande remise au client. Vous y verrez que des chrétiens occupant des emplois d’autorité dans les imprimeries communistes reviennent furtivement tard dans la nuit, mettent des presses en marche, tirent des milliers de textes chrétiens et repartent avant le lever du jour. Vous y verrez qu’à Moscou des enfants chrétiens ont reçu des Évangiles provenant de « source inconnue », en ont copié des passages à la main, et les ont glissés dans les poches des pardessus que leurs maîtres suspendaient dans les placards de l’école. Dans tous les pays communistes un immense corps de laïcs, hommes et femmes, constitue déjà une force missionnaire puissante, efficace et qui conquiert les âmes.

Des missionnaires revenus de Cuba ont déclaré qu’une « église laïque » est entrée en action là-bas depuis que les pasteurs fidèles sont emprisonnés, ou persécutés, ou remplacés par des « desservants » communistes.

Ces millions de laïcs croyants, sincères, fervents, zélés, les communistes espéraient bien que la persécution les détruirait. Au contraire, ils sont sortis de la fournaise purifiés et trempés.

 

3o - Pasteurs et desservants officiels qui refusent d’être bridés et de se taire

 

Le troisième centre vital de l’Église Clandestine est constitué par le vaste corps des pasteurs qui restent fidèles dans les églises légales, mais y sont contrôlés et muselés. L’Église Clandestine n’est pas sans communication avec l’autre. Dans plusieurs pays communistes, Yougoslavie, Pologne, Hongrie, nombreux sont les membres du clergé officiel qui exercent un ministère parallèle secret. En certaines régions, les rapports sont étroits entre eux et les clandestins. Ils ont interdiction de parler du Christ en dehors de leur réduit-église, de rassembler les enfants et les jeunes, et la peur détourne d’eux les non-chrétiens. Ils ont interdiction d’aller chez leurs fidèles prier pour les malades. Bloqués de tous côtés par les règlements communistes qui font de la « liberté religieuse » une fumisterie, leur ministère officiel n’a plus de sens. Alors, très souvent, ils risquent courageusement leur liberté pour se livrer en cachette à un ministère qui déborde amplement les limites imposées par les communistes : apostolat auprès des enfants et des jeunes, prédications dans les demeures privées et les caves, contrebande de textes chrétiens destinés aux âmes affamées, tout cela comme s’ils ignoraient les interdictions officielles, auxquelles en apparence ils obéissent docilement tout en faisant bon marché de leur vie pour répandre secrètement la Parole de Dieu. En Russie dernièrement, beaucoup ont été surpris, arrêtés et condamnés à plusieurs années de prison.

Anciens pasteurs chassés et persécutés, laïcs, pasteurs officiels dévoués au ministère secret, voilà donc les militants de l’Église clandestine. Et cette Église persévérera jusqu’à la défaite du communisme. Ici ou là, tel groupe est plus actif que les deux autres, mais tous trois courent le même risque pour le service du Christ.

Au retour d’un voyage dans les pays communistes, un homme, qui passe souvent le Rideau de fer et s’intéresse aux questions religieuses, a écrit qu’il n’a jamais rencontré l’Église clandestine. C’est comme si, revenant d’une visite aux primitifs de l’Afrique centrale, un voyageur disait : « J’ai enquêté sérieusement. J’ai demandé à tous s’ils parlent en prose. Tous m’ont répondu non. » La vérité est que ces gens ne savent pas que, lorsqu’ils parlent, ils « font de la prose ».

Les chrétiens des premières décennies ne savaient pas non plus qu’ils étaient chrétiens. Si vous les aviez questionnés sur leur religion, ils vous auraient répondu qu’ils étaient Juifs, Israélites, partisans du Messie Jésus, frères, saints, enfants de Dieu. Le nom de chrétiens leur a été donné par d’autres bien plus tard, et pour la première fois à Antioche.

Aucun de ceux qui suivaient Luther ne savait qu’il était luthérien, et Luther lui-même protestait avec énergie contre cette dénomination.

Le nom d’Église Clandestine nous est venu des communistes, et aussi des Occidentaux qui, curieux de la situation religieuse à l’Est, pressentaient qu’une organisation secrète s’y était formée spontanément. Quant à eux, les membres de cette Église se dénomment eux-mêmes chrétiens, croyants, enfants de Dieu. Mais ils poursuivent un travail clandestin, ils se rencontrent à l’écart, ils répandent l’Évangile dans des réunions tenues en cachette, où se trouvent parfois des étrangers qui diront n’avoir pas vu l’Église clandestine. Ainsi ce qualificatif, qui lui convient tout à fait, a été donné à notre Église tant par des ennemis que par des admirateurs étrangers de son organisation secrète.

Vous pouvez voyager pendant des années en Occident sans jamais rencontrer un espion soviétique avoué. En faut-il conclure qu’il n’y a pas d’espions soviétiques à l’Ouest ? Non, mais qu’ils ne sont pas assez sots pour se livrer à la curiosité des voyageurs.

On trouvera dans le chapitre qui suit des extraits de la Presse Soviétique prouvant l’existence et l’importance grandissante de la vaillante Église Clandestine.

 

 

 

 

 

VI

 

L’ICEBERG

 

 

 

JE vous ai parlé par expérience personnelle de la diffusion secrète du message du Christ dans l’Armée Russe et en Roumanie communiste.

Je vous ai appelés à l’aide pour que le Christ soit prêché aux communistes et aux peuples qu’ils oppriment. Cette prétention est-elle « chimérique » et « irréalisable » ? Est-il au contraire possible de la réaliser ?

Existe-t-il en ce moment une Église clandestine en Russie et dans d’autres pays ? L’apostolat est-il encore possible actuellement là-bas ?

À toutes ces questions je peux répondre par d’excellentes nouvelles.

Les communistes sont en train de célébrer le cinquantenaire [4] de leur prise de pouvoir. Mais cette victoire est une défaite. Le vainqueur, c’est le christianisme. La presse russe, que notre organisation scrute soigneusement, abonde en informations sur l’Église clandestine. Celle-ci est devenue si puissante qu’elle travaille assez ouvertement pour effrayer les communistes. Et d’autres informations provenant d’autres sources confirment les comptes-rendus des journaux soviétiques.

Rappelez-vous : l’Église Clandestine ressemble à un iceberg. La masse la plus importante est immergée, mais une petite partie est visible au-dessus de la surface.

Dans les pages qui suivent, je donne un résumé très sommaire des nouvelles les plus significatives.

 

 

LE SOMMET DE L’ICEBERG

 

Le 7 novembre 1966, à Suhumi (Caucase), l’Église clandestine tint une grande réunion publique. Beaucoup de croyants étaient venus de diverses autres villes pour y participer. Après l’appel à la repentance, quarante-sept jeunes acceptèrent le Christ et furent aussitôt baptisés dans la Mer Noire, comme cela se faisait aux premiers temps de l’Église.

Ils n’avaient pas reçu de formation religieuse préalable. Après 50 ans de dictature communiste, privés de Bibles et de tout autre livre chrétien, dépourvus de séminaires, comment les pasteurs pourraient-ils être des théologiens consommés ? Le diacre Philippe ne l’était pas davantage ; et cependant lorsque l’eunuque, avec lequel il avait peut-être parlé une heure seulement, lui demanda : « Voici de l’eau, qu’est-ce qui t’empêche de me baptiser ? » Philippe répondit : « Si tu crois de tout ton cœur, tu peux l’être. » Ils descendirent aussitôt dans l’eau et le converti fut baptisé (Actes des Apôtres, 8, 36-38).

L’eau ne manque pas dans la Mer Noire et l’Église clandestine a repris les pratiques des temps bibliques.

Utchitelskaia Gazeta (Le Journal de l’Enseignant) du 23 août 1967 rapporte qu’à Rostov-sur-le-Don des Baptistes – qui refusent de déclarer leur organisation conformément aux lois impies et d’obéir à leurs pseudo-leaders appointés par les communistes – avaient organisé une démonstration dans les rues. C’était un premier mai. De même que Jésus opérait des miracles le jour du Sabbat pour défier ses adversaires pharisiens, de même l’Église clandestine choisit les jours de fêtes communistes pour défier les lois communistes. Le premier mai est le plus important de ces jours-là, celui des plus grandes manifestations officielles, à quoi tout le monde reçoit l’ordre d’assister. Et cette fois, la deuxième puissance de Russie – l’Église Clandestine – se déploya elle aussi dans les rue de Rostov.

Cinq cents croyants étaient venus. Le seul amour du Christ les y avait poussés. Ils savaient qu’ils risquaient leur liberté, ils savaient que la prison, ses privations et ses tortures les attendaient.

En Russie tous les croyants connaissent le « Manifeste secret » imprimé à Barnault par les Chrétiens Évangéliques. Il raconte comment madame Hmara, du village de Kulunda, a appris la mort en prison de son mari, qui la laissait veuve avec quatre jeunes enfants. Quand elle reçut la dépouille, elle put remarquer sur les poignets les traces des menottes ; les mains, les doigts, la plante des pieds étaient affreusement brûlés ; l’abdomen montrait des cicatrices de coups de couteau. Un œdème gonflait le pied droit. Les deux pieds présentaient des traces de coups. Tout le corps était zébré de plaies provenant de cruelles flagellations.

Tous les chrétiens présents à cette manifestation de Rostov se savaient menacés du même sort. Et pourtant, ils étaient venus. Car ils savaient aussi que ce martyr, qui avait donné sa vie pour Dieu trois mois seulement après sa conversion, avait été enterré en présence d’une grande foule de croyants qui portaient des banderoles où l’on pouvait lire :

« Ma vie c’est le Christ et mourir m’est un gain. »

« Ne craignez pas ceux qui peuvent tuer le corps mais ne peuvent tuer l’âme. »

« Et je vis sur l’autel ceux qui sont morts pour la Parole de Dieu. »

C’est l’exemple de ce martyr qui enthousiasmait les Croyants à Rostov-sur-le-Don. Ils s’étaient rassemblés dans les rues autour d’une petite maison. Il y en avait partout, jusque sur les toits voisins et dans les arbres, comme Zachée autrefois. Quatre-vingts personnes se convertirent, surtout des jeunes, dont 33 étaient d’anciens Komsomols (membres de l’organisation de la Jeunesse Communiste). Les Croyants traversèrent ensuite toute la ville en direction du Don, où les convertis furent baptisés.

Bientôt survinrent des autos pleines de policiers communistes qui les acculèrent au fleuve dans l’intention de se saisir de ceux des frères qui administraient les baptêmes. (Impossible d’arrêter 500 personnes à la fois.) Aussitôt les croyants s’agenouillèrent et adressèrent à Dieu une fervente prière qui le suppliait de défendre son peuple et de permettre d’achever la cérémonie. Après quoi, frères et sœurs, épaule contre épaule, entourèrent leurs ministres dans l’espoir vain d’empêcher leur arrestation. La situation était dramatique.

Uchitelskaia Gazeta rapporte que l’Organisation Baptiste « illégale » dispose à Rostov d’une imprimerie clandestine (en Russie le mot Baptiste inclut aussi bien les Évangéliques que les Pentecôtistes). Des publications en sortent qui appellent la jeunesse à se dresser en faveur de la foi. L’une d’elles demande aux parents – et je trouve cela excellent – « d’emmener leurs enfants aux enterrements pour leur apprendre à ne pas s’attrister à propos de choses qui passent ». Elle leur demande aussi de procurer à leurs enfants une éducation chrétienne comme antidote contre l’athéisme qui les empoisonne dans les écoles communistes. Et l’article se termine ainsi : « Pourquoi les enseignants se mêlent-ils si timidement de la vie des familles où les enfants sont rendus idiots (par la religion) ? »

Le même « Journal de l’Enseignant » a raconté ce qui est arrivé lors du jugement des frères qui avaient administré des baptêmes en cachette. « Devant le tribunal, des jeunes croyants appelés comme témoins montrèrent insolence et dédain. Leur attitude était une hostilité fanatique. De jeunes femmes, témoins elles aussi, regardaient les défenseurs avec admiration et le public athée avec réprobation. »

Les membres de l’Église Clandestine ont bravé les coups et la prison pour aller réclamer, devant le Quartier Général du Parti Communiste en Russie, une plus large liberté.

Nous possédons un Document confidentiel provenant du Comité des Églises Baptistes et Évangéliques « illégales » de l’Union Soviétique. Ce Comité s’oppose à « l’Union Baptiste » contrôlée par les communistes et que dirige le traître Karev, lequel, dans Sputnik de Londres (no 7 de 1968), vante l’humanité des massacreurs de chrétiens et exalte la « liberté » régnante. Ce document a été passé à l’Ouest par des cheminements secrets. Il raconte une autre héroïque manifestation, à Moscou cette fois. J’en extrais ce qui suit.

« Communiqué urgent. Très chers frères et sœurs, bénédictions et paix de la part de Dieu, notre Père, et de Notre Seigneur Jésus-Christ. Nous nous empressons de vous faire savoir que les délégués des Chrétiens Évangéliques Baptistes, au nombre de cinq cents, venus à Moscou le 16 mai 1966 pour rencontrer les Organes du Pouvoir Central, se sont présentés devant le siège du Comité Central du Parti Communiste de l’U.R.S.S. pour demander d’être reçus et entendus. Nous étions porteurs d’une pétition adressée au Secrétaire Général, Brejnev. »

Le document explique que ces 500 délégués se tinrent toute la journée devant l’immeuble. C’était la première manifestation publique anticommuniste à Moscou, et elle était le fait d’une délégation de l’Église Clandestine. À la fin du jour, ils firent transmettre à Brejnev une seconde pétition dans laquelle ils se plaignaient du fait qu’un certain « camarade » Stroganov avait refusé la première et les avait menacés.

Toute la nuit, en dépit des cars qu’on faisait circuler pour les arroser de boue et d’ordures, sans parler des insultes, et malgré la pluie, ils demeurèrent devant le siège du Parti. Le lendemain matin, on leur proposa d’entrer dans un autre immeuble où les recevraient des sous-ordres ; mais « sachant que les croyants reçus par les autorités ont été souvent battus à l’entrée des immeubles où il n’y avait pas de témoins, la délégation refusa unanimement et continua d’attendre que Brejnev la reçût ».

Enfin, l’inévitable se produisit. À 13 h 45 vingt-huit fourgons automobiles arrivèrent et la vengeance se déchaîna. « Nous formions le cercle et, la main dans la main, nous chantions le cantique Les plus beaux jours de notre vie sont les jours où nous porterons la croix. Les policiers se mirent à nous bourrer de coups sans distinction de jeunes ou de vieux. Ils empoignaient les gens l’un après l’autre, les frappaient sur le visage et le crâne, les renversaient sur l’asphalte et les traînaient par les cheveux vers les autobus. Ceux qui résistaient étaient passés à tabac jusqu’à l’évanouissement. Quand les véhicules furent pleins, les croyants furent emmenés vers une destination inconnue. Ils chantaient et nous entendions les chants de nos frères et de nos sœurs s’élever des fourgons de la police secrète. Tout cela s’est passé en présence d’une foule de spectateurs. »

Mais voici plus beau encore. Après l’arrestation de ces 500 délégués, qui furent certainement torturés ensuite, Frère G. Vins et un autre membre du Comité « illégal », Horev (vrais bergers du troupeau du Christ) eurent le courage d’aller au Comité Central du Parti Communiste – exactement comme après l’arrestation de saint Jean-Baptiste Jésus commença sa prédication publique au même endroit et dans les mêmes termes pour lesquels Jean souffrait : « Repentez-vous car le Royaume de Dieu est proche. » Vins et Horev demandèrent où se trouvaient les délégués arrêtés et réclamèrent leur libération. Et ces deux frères courageux disparurent, eux aussi, tout simplement. On devait apprendre plus tard qu’ils étaient enfermés à la prison Lefortovskaia.

Avaient-ils peur, ces chrétiens de l’Église Clandestine ? Mais non, puisque aussitôt d’autres risquèrent de nouveau leur liberté en publiant le document que j’ai sous les yeux et qui raconte cette histoire, à quoi il ajoute : « À ceux-là, la grâce a été donnée non seulement de croire au Christ, mais encore de souffrir pour Lui » (Épître aux Philippiens 1, 29). Puis cette exhortation aux frères : « Que personne ne se laisse ébranler par ces tribulations, auxquelles, vous le savez, nous sommes destinés » (Thessal. 3, 3). Et aussi l’Épître aux Hébreux (12, 2) qui invite les croyants à avoir « les yeux fixés sur Jésus, l’auteur et le réalisateur de la foi, qui, au lieu de la joie qui lui était proposée, a supporté la croix dont il a méprisé l’infamie ».

À Rostov, à Moscou, l’Église Clandestine s’est opposée ouvertement à l’empoisonnement de la jeunesse par l’athéisme. Partout en Russie elle combat le poison communiste ainsi que les traîtres qui dirigent l’Église légale ; à propos de ceux-ci elle écrit, dans ce document confidentiel : « De nos jours c’est Satan qui commande et “l’Église” accepte toutes les décisions contraires aux commandements de Dieu » (Cité dans Pravda Ukraini du 4 octobre 1966).

Pravda Vostoka a publié le procès des chrétiens Alexei Neverov, Boris Germashov et Axen Zubov qui organisaient des réunions pour écouter les émissions évangéliques d’Amérique dont ils prenaient des copies qu’ils faisaient circuler. Ils étaient également accusés d’avoir organisé des rencontres évangéliques secrètes sous forme d’excursions et de réunions artistiques. Voilà le travail de l’Église Clandestine, à la manière même de l’Église primitive dans les catacombes de Rome.

Sovietskaia Moldavia du 15 septembre 1966 se plaint de ce que l’Église Clandestine produise des fac-similés de brochures. Ses membres, écrit-elle, se rassemblent sur les places publiques en contravention avec la loi et s’en vont de place en place témoigner pour le Christ. Le même journal rapporte que, dans un train entre Reni et Chishinan, trois jeunes gens et quatre filles ont chanté l’hymne chrétien : « Vouons notre jeunesse au Christ. » Et le reporter avoue qu’il est révolté d’entendre des croyants prêcher dans les rues, les gares, les trains, les autobus et même les établissements de l’État. Encore une fois, voilà le travail de l’Église Clandestine en Russie.

Quand le tribunal annonça la condamnation de ces accusés pour crime d’avoir chanté des hymnes chrétiens en public, les condamnés tombèrent à genoux et dirent : « Nous nous remettons entre les mains de Dieu. Merci à Toi, Seigneur, parce que tu nous a accordé de souffrir pour notre foi. » Puis les assistants, entraînés par le « fanatique » Madan, chantèrent devant la cour l’hymne pour lequel leurs frères venaient justement d’être condamnés à la prison et à la torture.

Pour le premier Mai, les chrétiens des villages de Copceag et de Zaharovska, faute d’églises, ont organisé un service divin dans la forêt. Ils organisent aussi des réunions sous prétexte de célébrer un anniversaire. Beaucoup de familles qui comptent quatre ou cinq membres prétextent ainsi jusqu’à 25 anniversaires par an pour tenir des réunions secrètes.

Ni prison ni tortures n’effraient les fidèles de l’Église Clandestine. Comme dans la primitive Église, la persécution ne fait qu’aviver leur zèle.

Pravda Ukraini, du 4 octobre 1966, parlant de Prokofiev – un des dirigeants de l’Église Clandestine Russe –, précisait qu’il avait été déjà trois fois en prison, mais qu’aussitôt relâché il recommence à organiser en secret des Écoles du dimanche. Pour le moment, il est de nouveau arrêté. Il a écrit dans une adresse confidentielle : « En se soumettant aux lois humaines (c’est-à-dire aux lois communistes), l’Église légale s’est privée elle-même des bénédictions de Dieu. »

Et ne vous figurez pas, quand vous entendez parler de la condamnation d’un chrétien russe, que sa prison ressemble à celles de l’Ouest. Là-bas prison signifie faim, torture et lavage de cerveau.

Nauka i Religia (Science et Religion), dans son numéro 9 de 1966, rapporte que les chrétiens diffusent des passages de l’Évangile sous des couvertures d’Ogoniok, périodique du genre de Paris-Match. Ils éditent des livres dont la couverture porte « Anna Karénine, roman par Léon Tolstoï », alors qu’à l’intérieur se trouve une reproduction de la Bible.

Ils chantent sur l’air de l’Internationale des chants dont les paroles glorifient le Christ (Kazakstanskaia Pravda, 30 juin 1966).

Dans une lettre confidentielle rendue publique à Kulunda (Sibérie) les chrétiens expliquent que la direction officielle des « Baptistes » détruit l’Église, et ce qu’elle compte de vrais serviteurs dans le monde, de la même façon que les grands-prêtres, les scribes et les Pharisiens ont traduit Jésus devant Pilate. Mais la fidèle Église Clandestine poursuit sa tâche, l’Épouse du Christ continue de servir son Époux. Et ce sont les communistes eux-mêmes qui me donnent raison quand j’affirme que cette Église les gagne au Christ. Oui, ils peuvent Lui être gagnés.

Bakinskii Rabochi (Le Travailleur de Bakou) du 27 avril 1966 reproduit une lettre de Tania Chiugunova (membre de la Ligue des Jeunesses Communistes) qui venait de se convertir, lettre saisie par les autorités communistes :

« Chère tante Nadia, je te souhaite les bénédictions de notre bien-aimé Seigneur. Tante Nadia, je crois que tu comprends sa parole : Aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent, faites du bien à ceux qui vous haïssent et priez pour ceux qui vous font du mal. »

Quand cette lettre eut été interceptée, Peter Serebrennikov, le pasteur qui avait amené au Christ sa signataire et beaucoup d’autres jeunes communistes, fut condamné à la prison. Le journal cite cet extrait de l’un de ses sermons : « Nous devons croire en notre Sauveur tout comme les premiers chrétiens. Pour nous la loi principale c’est la Bible. Nous n’en voulons pas connaître d’autre. Notre devoir est de nous efforcer de délivrer les hommes du péché, surtout les jeunes. » Quand il lui fut rappelé que la loi soviétique interdit de parler du Christ à la jeunesse, il répéta : « Notre seule loi est la Bible » – réponse qui convient tout à fait dans un pays gouverné par une cruelle dictature athée.

Puis le journal communiste décrit une scène qu’il qualifie de « sauvage ». « Jeunes gens et jeunes filles chantent des cantiques spirituels. Ils reçoivent le baptême rituel et pratiquent le malfaisant et hypocrite enseignement de l’amour envers l’ennemi. »

Bakinskii Rabochi reconnaît que beaucoup de jeunes des deux sexes, membres de la Ligue des Jeunesses Communistes, sont en réalité des chrétiens. Et l’article se termine par ces mots : « Faut-il que l’école communiste soit faible, ennuyeuse et dépourvue d’attrait... pour que les pasteurs lui enlèvent si facilement ses élèves sous le nez des professeurs indifférents. »

Kazakstanskaia Pravda du 30 juin 1966 découvre avec horreur que le meilleur élève dans la meilleure catégorie est un enfant chrétien.

Kirgizkaia Pravda du 17 janvier 1966 cite un imprimé chrétien clandestin adressé aux mères de famille : « Unissons nos efforts et nos prières pour que la vie de nos enfants soit vouée à Dieu dès le berceau... Gardons nos enfants de l’influence du monde. » Ces efforts sont couronnés de succès, témoin la presse communiste. Le christianisme progresse dans la jeunesse.

Un journal de Tcheliabinsk, en Russie, explique comment une jeune fille nommée Nina, membre des Jeunesses Communistes, est devenue chrétienne : en participant à une assemblée clandestine de chrétiens.

Sovietskaia Justitia dans son numéro 9 de 1966 décrit l’une de ces assemblées : « Elle se tint à minuit. En cachette, se méfiant même de leur ombre, des hommes arrivaient de différentes directions. Les frères remplirent la pièce étroite et basse de plafond. Ils étaient si nombreux qu’ils n’avaient pas la place de s’agenouiller. Par manque d’air, la lumière de la pauvre lampe à gaz s’éteignit. La sueur coulait sur les visages. Dans la rue, l’un des serviteurs du Seigneur faisait le guet par crainte des policiers. » C’est dans une assemblée comme celle-là que Nina dit avoir été reçue à bras ouverts et entourée de cordialité et d’attentions. « Ils avaient, comme moi maintenant, une foi vive et enthousiasmante – la foi en Dieu – Dieu nous prend sous sa protection. Que les Komsomols qui me connaissent passent aujourd’hui près de moi sans me saluer, qu’ils me regardent avec mépris et me jettent comme un soufflet le nom de “Baptiste”, que m’importe ! Je n’ai pas besoin d’eux ! »

Et, comme elle, beaucoup d’autres jeunes communistes ont pris la résolution de servir le Christ jusqu’au bout.

Kazakstanskaia Gazeta du 18 août 1967 rend compte du procès des chrétiens Klassen, Bondar et Teleghin. Elle ne dit pas la condamnation, mais elle proclame leur crime : ils prêchaient le Christ à des enfants.

Sovietskaia Kirghizia du 15 juin 1967 se lamente parce que les chrétiens « s’attirent eux-mêmes l’application de mesures administratives ». C’est pourquoi, continuellement provoquées par ces obstinés chrétiens qui n’aiment pas rester libres, les innocentes autorités communistes venaient d’en arrêter un autre groupe. Leur crime : ils avaient une presse à imprimer illégale qui leur servait à tirer des textes chrétiens.

D’après la Pravda du 21 février 1968, on a découvert que des milliers de femmes et de filles portent des ceintures et des rubans sur lesquels sont imprimés des versets bibliques et des prières. Après enquête, les autorités ont appris que l’homme qui a lancé cette nouvelle mode – je la recommande à l’Occident – est tout simplement un chrétien membre de la police communiste, Frère Stasiuk, de Limberta, dont le journal annonce l’arrestation.

Les réponses des chrétiens de l’Église Clandestine à leurs juges communistes sont d’inspiration divine. À un juge qui lui demandait : « Pourquoi attirez-vous les gens à votre secte interdite ? » une chrétienne répondit : « Notre but est d’attirer au Christ le monde entier. »

Pendant un autre procès, à un juge qui lui objectait en ricanant : « Votre religion est antiscientifique », l’accusée, une étudiante, riposta : « Êtes-vous plus savant qu’Einstein ou que Newton ? C’étaient des croyants. Notre univers porte le nom d’Einstein ; j’ai appris à l’École Supérieure qu’on le nomme l’univers einsteinien. Eh bien, Einstein a écrit : “Si nous purifions le judaïsme des Prophètes et le christianisme enseigné par Jésus de tout ce qui est venu ensuite, en particulier le cléricalisme, nous avons une religion capable de préserver le monde de tous les malaises sociaux. Tout homme a le devoir sacré de faire de son mieux pour le triomphe de cette religion.” Rappelez-vous aussi notre grand biologiste Pavlov, dont nos livres nous disent qu’il était chrétien. Et Marx lui-même, dans la préface de son Capital, écrit : “Le christianisme, avec son culte de l’être humain abstrait, est la religion la plus indiquée.” Eh bien, le péché avait détérioré mon caractère. C’est Marx qui m’a appris que la religion chrétienne est la plus indiquée. Comment vous, des marxistes, pouvez-vous me juger pour cela ? »

Le juge en resta bouche close, et l’on comprend pourquoi.

À cette même accusation de pratiquer une religion antiscientifique, un chrétien répondit devant le tribunal : « Je suis sûr, Monsieur le Juge, que vous n’êtes pas aussi savant que Simpson, l’inventeur du chloroforme et de beaucoup d’autres remèdes. Quelqu’un lui demanda un jour ce qu’il considérait comme sa plus grande découverte. Simpson répondit : “Ce n’est pas le chloroforme. Ma trouvaille la plus importante, c’est d’avoir découvert que je suis pécheur et que la grâce de Dieu peut me sauver.” »

Le sacrifice de la vie, le renoncement à soi-même, le sang que ses membres sont prêts à verser pour la foi, voilà les principaux arguments de l’Église Clandestine en faveur du christianisme. Elle constitue ce que le célèbre missionnaire d’Afrique, Albert Schweitzer, a appelé « la compagnie sacrée de ceux qui sont marqués par la douleur », la compagnie à laquelle appartient Jésus, l’Homme des Douleurs. Le lien d’amour qui l’unit à son Sauveur lie aussi ses membres l’un à l’autre. Personne au monde ne peut les vaincre.

Dans une lettre passée en fraude, l’Église Clandestine a écrit : « Nous prions pour devenir non pas de meilleurs chrétiens, mais le seul genre de chrétiens que Dieu veut que nous soyons : des chrétiens semblables au Christ, c’est-à-dire des chrétiens qui portent la croix de bon cœur pour la gloire de Dieu. »

Appliquant la prudence des serpents à la pratique des enseignements de Jésus, les chrétiens refusent obstinément de révéler les noms de leurs dirigeants quand on les questionne à part ou devant un tribunal.

Pravda Vostoka (la Vérité de l’Est) du 15 janvier 1966 raconte que l’accusée Marie Sevciuk, interrogée sur celui qui l’avait amenée au Christ, répondit : « C’est Dieu qui m’a attirée parmi les siens. » Une autre, à cette question : « Qui est votre chef ? » répondit : « Notre chef ne se trouve pas parmi les hommes. »

« Qui vous a dit de quitter les Pionniers et d’abandonner le port du foulard rouge ? » demandait-on à des enfants. « Personne, répondirent-ils. Nous l’avons fait de notre plein gré. »

Si l’on voit en certains endroits percer la pointe de « l’iceberg », en d’autres les chrétiens baptisent eux-mêmes afin d’éviter l’arrestation de leur clergé. En divers lieux où les baptêmes se font dans une rivière, celui qui baptise et celui qui est baptisé se masquent tous les deux, de manière que personne ne puisse les reconnaître sur une photographie.

Uchitelskaia Gazeta du 30 janvier 1964 parle d’une conférence athée donnée dans le village de Voronin, district de Volcesino-Korskii. Dès la fin de la conférence « les croyants lancèrent publiquement des questions qui étaient autant d’attaques contre l’enseignement athée » et le conférencier n’y put répondre. « Où donc, demandèrent-ils, les communistes ont-ils pris les principes que vous proclamez – mais auxquels vous n’obéissez pas – tels que « Ne volez pas ! Ne tuez pas ! » Et ils prouvèrent à l’orateur que chacun de ces principes était pris dans cette Bible que les communistes combattent. Le conférencier demeura confondu et la séance se termina en victoire pour les croyants.

 

 

LA PERSÉCUTION DE L’ÉGLISE CLANDESTINE S’AGGRAVE

 

Ses membres souffrent aujourd’hui plus que jamais. En Russie, toutes les religions sont persécutées. C’est un crève-cœur pour les chrétiens de savoir que les Juifs sont opprimés dans les pays communistes. Mais la cible préférée des persécuteurs est l’Église Clandestine. Par vagues successives, les arrestations en masse et les procès emplissent les colonnes de la Presse Soviétique. À tel endroit, 83 chrétiens ont été internés dans un asile d’aliénés : quelques jours plus tard 24 étaient morts. De quoi ? De cette maladie : « Une prière prolongée. » Depuis quand une longue prière est-elle mortelle ? Imaginez donc ce que ces priants ont eu à supporter !

La pire souffrance infligée aux chrétiens, la voici : si l’on découvre qu’ils enseignent le Christ à leurs enfants, ceux-ci leur sont enlevés pour la vie, et ils n’ont pas le droit de leur rendre visite.

L’Union Soviétique a signé la Déclaration des Nations Unies « condamnant la discrimination dans le domaine de l’éducation » et qui stipule : « Les parents ont le droit d’assurer à leurs enfants une éducation morale et religieuse conforme à leurs propres convictions. » Dans son article cité plus haut, le traître Karev, chef de l’Église Baptiste légale, affirme que ce droit est une réalité en Russie – et il y a des dupes pour le croire ! Écoutez maintenant ce que raconte la Presse Soviétique.

Ouvrons Sovietskaia Russia du 4 juin 1963. Nous y lisons qu’une Baptiste nommée Makrinkowa s’est vu enlever ses six enfants parce qu’elle leur enseignait la foi chrétienne et leur défendait de porter le foulard des Pionniers. En entendant la sentence, elle s’est contentée de dire : « Je souffre pour la foi. » Elle a été en outre condamnée à payer la pension des enfants qu’on lui a arrachés et qui sont maintenant empoisonnés par l’athéisme. Mères chrétiennes, pensez à la douleur de cette mère !

D’après Uchitelskaia Gazeta la même chose est arrivée à Ignace Mullin et à sa femme. Le juge leur demanda de renier leur foi. « Choisissez, leur dit-il, entre votre Dieu et votre fille. Choisissez-vous Dieu ? » Réponse du père : « Je ne renierai pas ma foi. »

« Toutes choses tournent au bien... » a dit saint Paul. J’ai vu de ces enfants, qui avaient été élevés chrétiennement, puis enlevés à leurs parents et placés dans des écoles communistes. Mais, au lieu d’être pourris par l’athéisme, ils répandaient parmi leurs camarades la foi qu’on leur avait apprise à la maison.

La Bible dit que celui qui aime ses enfants plus que Jésus n’est pas digne de Jésus. Derrière le Rideau de fer ces mots prennent leur pleine signification.

Essayez de vivre une semaine sans voir vos enfants. Vous saurez ce que souffrent nos frères en Russie.

Aujourd’hui encore on continue d’y dépouiller les chrétiens de leurs droits de parents. Les exemples les plus récents, donnés par la Presse Soviétique elle-même, concernent Madame Sitsh – qui, d’après la Znania Iunosti du 29 mars 1967 s’est vu enlever son fils Vsetsheslav parce qu’elle l’élevait dans la crainte du Seigneur – et Madame Zabavina, de Kabarovsk – que, d’après Sovietskaia Russia du 13 janvier 1968, l’on a séparée de sa petite-fille orpheline, Tania, parce qu’elle lui avait donné une « éducation dénaturée », c’est-à-dire chrétienne.

Il serait injuste de parler seulement de l’Église clandestine protestante.

Les chrétiens orthodoxes russes sont complètement transformés. Des millions d’entre eux ont passé par la prison. Là, plus d’étoles, ni de crucifix, ni de saintes images, ni d’encens, ni de cierges. Plus de prêtres ordonnés au service des prisonniers laïcs. Les prêtres n’avaient plus ni chapes, ni pain de froment, ni vin pour la consécration, ni saintes huiles, ni missels. Et ils découvrirent ce qu’ils pouvaient obtenir de ce dépouillement total : l’accès direct à Dieu par la prière. Ils prièrent et Dieu leur infusa son Esprit. Un authentique renouveau spirituel, tout à fait semblable au christianisme primitif, se produit en Russie parmi les Orthodoxes.

Il en va de même dans tous les pays satellites où existe une Église clandestine orthodoxe, laquelle est en réalité évangélique, revenue aux sources et très étroitement unie à Dieu, bien qu’elle ne conserve, par la force de l’habitude, que quelques éléments seulement du rite orthodoxe. Elle aussi, elle a donné de magnifiques martyrs. Encore une fois, qui peut dire où se trouve à présent le vieil archevêque de Kaluga, Yermogène ? Il avait osé protester contre la trahison qu’est la collaboration du Patriarche avec le gouvernement communiste des sans-Dieu.

Cinquante années de gouvernement communiste ! Et la presse russe est pleine des succès de l’Église Clandestine. Celle-ci a passé en Russie par d’indicibles épreuves, mais elle est demeurée fidèle... et elle progresse.

Nous, en Roumanie, par notre travail caché nous avons jeté la semence dans l’Armée Russe. D’autres ont semé en Russie même et dans les gays envahis par les Soviétiques. La semence a poussé son fruit.

Le monde communiste peut être gagné au Christ, les communistes peuvent devenir chrétiens. Et aussi ceux qu’ils oppriment. Il suffit que vous vouliez les aider. La preuve que j’ai raison, c’est qu’en Union Soviétique, en Chine, et dans tous les pays totalitaires, l’Église clandestine est florissante.

Pour vous montrer la beauté de nos compagnons chrétiens en de si terribles circonstances, je vous cite ci-après quelques lettres venues de Russie, les dernières qui aient pu sortir des prisons russes.

 

 

UNE JEUNE COMMUNISTE, VARIA, TROUVE LE CHRIST, TÉMOIGNE, EST CONDAMNÉE AUX TRAVAUX FORCÉS.

 

Les trois premières lettres sont de Maria, une jeune chrétienne qui a conduit Varia au Christ.

 

Première lettre

 

... Je vis toujours ici. On m’aime bien. J’ai même pour amie une fille qui est de la cellule des Komsomols (Ligue des Jeunesses Communistes). Elle m’a dit : « Je ne comprends pas quel être vous êtes. Ici beaucoup vous insultent et vous blessent et pourtant vous les aimez tous. » J’ai répondu que Dieu nous a enseigné d’aimer non seulement nos amis, mais aussi nos ennemis. Auparavant, cette fille m’avait beaucoup maltraitée, mais je priais spécialement pour elle. Comme elle me demandait si je pouvais l’aimer elle aussi, je l’ai embrassée et nous nous sommes mises à pleurer. À présent nous prions ensemble.

S’il vous plaît, priez pour elle ! Elle s’appelle Varia.

Quand vous entendez des gens renier Dieu à haute voix, vous croyez que c’est vrai, mais l’expérience montre que beaucoup d’entre eux, tout en maudissant Dieu du bout des lèvres, en ont le vif désir au cœur. Et ces cœurs, vous les entendez gémir. Ces gens-là ont soif de quelque chose, et couvrent le vide intérieur du masque de l’impiété. Votre Sœur dans le Christ, Maria.

 

Deuxième lettre

 

Dans ma lettre précédente je vous parlais d’une fille athée, Varia. Je m’empresse aujourd’hui, mes chers amis, de vous dire notre grande joie. Varia a accepté le Christ, le reconnaît comme son Sauveur et en témoigne ouvertement devant tous.

Quand la foi au Christ lui a fait connaître la joie du salut, en même temps elle s’est sentie très malheureuse, parce qu’elle a milité autrefois contre l’existence de Dieu. Maintenant, elle est bien décidée à expier cette faute.

Nous sommes allées, avec Varia, à une réunion des sans-Dieu. Je l’avais avertie de se tenir sur la réserve, mais ce fut inutile. Quand elle s’y rendit, je l’accompagnai pour voir ce qui allait arriver. Après le chant de l’hymne communiste auquel elle n’avait pas participé, Varia demanda la parole. Son tour venu, elle alla se placer face à l’assistance. Courageusement et avec beaucoup d’émotion, elle témoigna du Christ son Sauveur et demanda pardon à ses anciens camarades d’avoir jusqu’à présent tenu fermés les yeux de son esprit, de n’avoir pas vu qu’elle allait à sa perdition et qu’elle y en entraînait d’autres. Elle les conjura tous de quitter le chemin du péché et de venir au Christ.

Le silence était complet, personne n’interrompit Varia. Quand elle eut fini de parler, elle chanta de sa voix splendide l’hymne chrétien : « Je n’ai pas honte de proclamer le Christ qui est mort pour nous, de défendre ses commandements et la puissance de sa croix. »

Après... Eh bien, après, ils ont emmené Varia. Nous sommes le 9 mai aujourd’hui, et nous sommes sans nouvelles d’elle. Mais Dieu est assez puissant pour la sauver. Priez !

Votre Maria !

 

Troisième lettre

 

Hier 2 août j’ai eu en prison un entretien avec Varia. Mon cœur saigne quand je pense à elle. En fait c’est encore une enfant. Elle n’a que 19 ans. Et pour ce qui est de la foi dans le Seigneur, elle est encore spirituellement comme un bébé. Mais elle l’aime de tout son cœur et va vers lui par un chemin très difficile. Elle a tellement faim, la pauvre fille ! En apprenant qu’elle était en prison, nous lui avions envoyé des colis, mais elle n’a reçu qu’un tout petit peu de ce qui lui a été envoyé.

Quand je l’ai vue hier elle était maigre, pâle, épuisée. Seuls ses yeux, qui rayonnaient la paix du Christ, montraient une joie qui n’est pas de la terre.

Oui, chers amis, ceux qui n’ont pas goûté la merveilleuse paix du Christ ne peuvent comprendre cela. Mais comme ils sont heureux, ceux qui la possèdent ! Pour nous qui sommes du Christ, ni les souffrances ni les déceptions ne nous peuvent retenir...

Je lui ai demandé à travers les barreaux de fer : « Varia, ne regrettes-tu pas ton imprudence ? » – « Non, répondit-elle, et s’ils me libéraient j’irais à eux de nouveau et je leur dirais l’immense amour du Christ. Ne pense pas que je souffre. Je suis très heureuse que le Christ m’aime autant et me donne le bonheur de souffrir pour son Nom. »

Je vous demande de prier tout spécialement pour elle, du fond du cœur. Elle va probablement être envoyée en Sibérie. Ils lui ont tout retiré, il ne lui reste rien que le vêtement qu’elle a sur elle. Comme elle n’a pas de parents, il faudra quêter pour lui procurer le nécessaire. J’ai réservé la dernière somme que vous m’avez adressée. Si Varia est déportée, je la lui remettrai. Je crois que Dieu lui donnera assez de force pour supporter ce qui l’attend. Que Dieu la garde

Votre Maria.

 

Quatrième lettre (de Varia, celle-ci)

 

Chère Maria, enfin je peux t’écrire. Nous sommes bien arrivés à... Notre camp est à 14 km d’une ville. Je ne décris pas notre existence, tu la connais. Je te parlerai seulement un peu de moi. Je remercie Dieu de me donner la santé et la force de travailler. Sœur X. et moi sommes employées dans un atelier, aux machines. Le travail est pénible et sœur X. ne va pas bien. Il faut donc que je travaille pour deux et que je l’aide après avoir fini ma besogne. Nous travaillons douze à treize heures par jour. La nourriture est comme la vôtre, tout à fait insuffisante. Mais ce n’est pas de ça que je veux te parler.

Mon cœur loue Dieu et le remercie de m’avoir montré par toi le chemin du salut. Maintenant que je suis ce chemin, ma vie a un but, je sais où je vais et pour qui je souffre. Je sens le désir de parler et de témoigner devant tous de la joie du salut qui m’emplit le cœur. Qui pourra nous séparer de l’amour de Dieu dans le Christ ? Rien ni personne, ni prison, ni souffrance. Les souffrances que Dieu nous envoie ne font que fortifier de plus en plus notre Foi en Lui. Mon cœur est si plein de sa grâce qu’il déborde. À l’atelier, ils me tourmentent et me punissent, m’obligent à des travaux supplémentaires, parce que je ne peux pas me taire et que j’ai besoin de raconter ce que le Seigneur a fait pour moi. Il a fait de moi un être nouveau, une créature nouvelle, de moi qui courais à ma perte. Puis-je le taire ? Non, jamais ! Tant que mes lèvres pourront parler, je porterai à tout le monde le témoignage de Son immense amour pour moi.

Sur la route du camp, nous rencontrons beaucoup de frères et de sœurs dans le Christ. Quelle surprise vous ressentez lorsque, en les voyant pour la première fois, l’Esprit vous fait deviner en ces inconnus d’autres enfants de Dieu. Pas besoin de paroles. Le premier regard suffit, vous savez qui ils sont.

Une fois, alors que nous rentrions au camp, une femme dans une gare s’approcha, nous donna quelque chose à manger, et nous dit seulement ces mots : « Dieu est vivant. »

Le soir de notre arrivée ici (il était tard) on nous a conduits dans des baraquements souterrains. Nous avons salué ceux qui s’y trouvaient en disant : « La paix soit avec vous ! » À notre grande joie nous vint cette réponse : « Et avec vous aussi ! Soyez les bienvenus. » Et dès ce premier soir nous nous sommes sentis en famille.

Oui ! c’était bien cela. Nous sommes ici beaucoup qui croyons au Christ comme en notre Sauveur. Plus de la moitié des prisonniers sont des croyants. Il y a parmi eux de grands chanteurs et de grands prédicateurs de l’Évangile. Le soir, quand nous nous retrouvons après notre travail accablant, comme il est merveilleux de passer quelque temps à prier ensemble aux pieds de notre Sauveur ! Avec le Christ, on est libre partout. J’ai appris beaucoup de beaux cantiques et chaque jour, grâce à Dieu, un peu plus de Sa Parole. À 19 ans, j’ai célébré pour la première fois la Nativité du Christ. Je n’oublierai jamais ce beau jour-là ! Nous avions dû travailler toute la journée. Quelques-uns de nos frères purent aller cependant jusqu’à la rivière proche. Là, ils brisèrent la glace et préparèrent l’endroit où, durant la nuit, conformément à la Parole de Dieu, moi et sept frères nous fûmes baptisés. Oh ! que je suis heureuse et combien j’aimerais que toi, chère Maria, tu sois aussi avec moi, afin que j’expie au moins par mon amitié pour toi un petit peu du tort que je t’ai causé autrefois. Mais Dieu a fixé sa place à chacune de nous et nous devons tenir ferme où Dieu nous a placées.

Salue pour moi toute la famille des enfants de Dieu. Qu’Il daigne bénir abondamment votre travail commun, comme il m’a bénie, moi.

Lire l’Épître aux Hébreux, 12, 1-3.

Tous nos frères vous saluent et sont heureux que votre foi en Dieu soit si forte et que vous Le glorifiiez sans cesse par vos souffrances. Si tu écris à d’autres, dis-leur nos amitiés.

Ta Varia.

 

Cinquième lettre

 

Chère Maria. Enfin j’ai l’occasion de t’écrire quelques lignes. Sache, ma très chère amie, que par la grâce de Dieu moi et sœur X nous sommes en bonne santé et nous nous sentons très bien. Nous sommes en ce moment à... On nous envoie à... et nous y demeurerons.

Merci pour tes maternelles attentions. Nous avons reçu tout ce que tu nous avais adressé. Merci surtout pour le plus précieux, la Bible. Merci à tous, et quand tu leur écriras transmets-leur mes amitiés et ma reconnaissance pour tout ce qu’ils ont fait pour moi.

Depuis que le Seigneur m’a révélé le profond mystère de Son amour, je me considère comme la plus heureuse du monde. Les persécutions que je subis, je les tiens pour une grâce spéciale. Je suis contente que le Seigneur m’ait accordé dès les premiers jours de ma foi le grand privilège de souffrir pour Lui. Priez tous afin que je Lui demeure fidèle jusqu’au bout.

Qu’Il daigne vous garder tous et vous réconforte pour le combat sacré.

Sœur X et moi vous embrassons tous. Quand nous serons à... peut-être aurons-nous la chance de vous écrire. Ne vous tourmentez pas pour nous. Nous sommes heureuses, nous nous réjouissons parce que notre récompense sera grande dans les cieux (Matthieu 5, 11-12).

 

 

Cette lettre est la dernière reçue de Varia, la jeune fille communiste qui a trouvé le Christ et qui a été condamnée à l’esclavage du travail forcé pour en avoir témoigné. On n’a plus entendu parler d’elle, mais son bel amour et son témoignage montrent la splendeur de la fidèle Église Clandestine qui souffre dans ce tiers du monde dominé par le communisme.

 

 

 

 

 

VII

 

MESSAGE QUE VOUS ADRESSE PAR MOI L’ÉGLISE CLANDESTINE

 

 

 

ON M’A surnommé « la voix de l’Église du silence ». Et je me sens bien indigne de parler au nom d’une partie si digne d’honneur du Corps mystique du Christ.

Néanmoins, j’ai dirigé pendant des années dans des pays communistes une fraction de l’Église Clandestine. Par miracle, j’ai survécu à 14 années de prison et de tortures, dont deux ans dans la « chambre des agonisants ». Par un miracle plus éclatant encore, Dieu a donné je ne sais quel coup de scie aux barreaux de ma prison afin que, délivré, je puisse me rendre encore en Occident et parler à l’Église libre.

Je parle donc au nom de mes frères qui gisent dans d’innombrables fosses anonymes. Je parle au nom de mes frères qui, en ce moment, sont rassemblés en cachette dans des forêts, des sous-sols, des greniers et autres caches semblables.

C’est l’Église Clandestine qui a décidé que j’essaierais de quitter mon pays et de porter un message aux chrétiens libres du monde entier. Grâce au miracle qui m’a délivré, j’accomplis la tâche dont m’ont chargé ceux que j’ai laissés là-bas, et qui travaillent, risquent, souffrent, agonisent sur les terres communistes.

Et voici le message que je vous apporte de leur part.

« Ne nous abandonnez pas !

« Ne nous oubliez pas !

« Ne nous passez pas par profits et pertes.

« Donnez-nous les instruments dont nous avons besoin. Nous paierons ce qu’il en coûtera de nous en servir ! »

Je parle pour l’Église bâillonnée, l’Église Clandestine, l’Église « muette » qui n’a pas de voix pour s’exprimer.

Entendez les cris de vos frères et de vos sœurs des pays communistes. Ils ne demandent pas à s’échapper, à vivre en sûreté une vie facile. Ils demandent seulement de quoi combattre l’athéisme qui empoisonne leurs jeunes – la génération qui monte. Ils demandent des Bibles pour répandre la Parole de Dieu. Comment la répandront-ils s’ils n’en ont pas ?

L’Église Clandestine ressemble à un chirurgien qui voyageait en chemin de fer. Son train entra en collision avec un autre et des centaines de gens étaient étendus sur le sol, blessés, mutilés, mourants. Allant et venant au milieu de ces malheureux, le chirurgien répétait : « Si seulement j’avais mes instruments ! Si seulement j’avais mes instruments ! » Muni de sa trousse, combien de vies il aurait sauvées ! Il en avait la volonté mais... pas les moyens. Voilà dans quel état se trouve l’Église Clandestine. Elle aussi veut tout donner, elle veut même donner ses martyrs, elle veut risquer des années de prisons communistes. Mais toute cette volonté est inutile, si elle ne dispose pas des instruments nécessaires. Près de vous, qui êtes libres, l’argument de la vaillante et fidèle Église Clandestine est celui-ci « Donnez-nous les instruments, Évangile, Bibles, livres, secours... et nous ferons le reste. »

 

 

COMMENT LES CHRÉTIENS LIBRES PEUVENT AIDER L’ÉGLISE CLANDESTINE

 

Chaque chrétien du monde libre peut tout de suite l’aider des trois manières que je vais dire.

Les athées n’admettent pas l’origine surnaturelle de la vie. Ils sont fermés à tout ce qui est mystère dans l’univers et dans les êtres vivants. L’aide la plus efficace que les chrétiens peuvent leur apporter est donc de se conduire eux-mêmes non par les yeux du corps mais par les yeux de la foi, en vivant dans la compagnie du Dieu invisible.

Ils peuvent nous aider en menant une vie chrétienne réelle, une vie de sacrifice. Ils peuvent nous aider en protestant publiquement chaque fois que des chrétiens sont persécutés.

Ils peuvent nous aider en priant pour le salut des communistes. Voilà qui peut sembler naïf. Quoi ? Prier pour des gens qui demain nous tortureront davantage qu’avant notre prière ! Mais la prière du Seigneur sur Jérusalem était naïve, elle aussi, car c’est ensuite qu’ils l’ont crucifié. Oui... seulement, quelques jours plus tard, cinq mille hommes se frappaient la poitrine et se convertissaient à la foi ; pour les autres, la prière ne fut pas perdue. Toute prière que refuse celui pour qui vous intercédez vous revient avec d’abondantes bénédictions tandis qu’elle devient malédiction pour celui qui en était l’objet. Conformément au précepte du Christ, nous avons, moi et beaucoup d’autres chrétiens, prié pour Hitler et pour ses hommes. Et je suis sûr que notre prière a plus fait pour leur défaite que les balles des soldats alliés.

Nous devons aimer notre prochain comme nous-mêmes. Les communistes sont notre prochain autant que n’importe qui. Ils sont le résultat du non-accomplissement de ces mots du Seigneur : « Je suis venu pour vous donner la vie et pour que vous l’ayez en abondance. » Les chrétiens n’ont pas encore fait ce qu’il faut pour que chacun ait la vie en abondance. Ils ont laissé certains manquer de ce qui aide à vivre. En conséquence des hommes se sont révoltés et ont constitué le parti communiste. Souvent les communistes ne sont que des victimes de l’injustice sociale. Ils sont maintenant acharnés et cruels. Nous devons les combattre. Mais, même en le combattant, les chrétiens doivent comprendre et aimer l’ennemi.

S’il y a des communistes, c’est un peu de notre faute. Nous sommes au moins coupables d’avoir négligé notre devoir. Et cette faute, nous devons l’expier en aimant les communistes (ce qui n’est pas la même chose que de les trouver bons) et en priant pour eux.

Je né suis pas assez niais pour croire que l’amour peut à lui seul résoudre le problème communiste. Je n’irais pas recommander aux autorités politiques de résoudre par l’amour le problème du gangstérisme. Il faut contre les gangsters des policiers, des juges, des prisons, et pas seulement des pasteurs. Si les gangsters ne se repentent pas, qu’on les boucle ! Je n’emploierai jamais le précepte chrétien de « l’amour » pour contrecarrer le juste combat politique, économique ou culturel contre les communistes, car je sais par expérience qu’ils ne sont pas autre chose que des gangsters à l’échelle internationale. Les gangsters volent des portefeuilles ; les communistes volent des pays entiers.

Mais le pasteur et le simple chrétien doivent faire chacun de son mieux pour amener au Christ le communiste – quelque crime qu’il ait commis – aussi bien que ses victimes innocentes.

 

 

BIBLES, ÉVANGILES SONT D’URGENTE NÉCESSITÉ

 

Deuxième manière pour les chrétiens libres d’aider l’Église Clandestine : lui envoyer des Bibles ou des extraits de la Bible. Il existe des moyens de les acheminer sûrement dans les pays communistes. Depuis que je suis sorti de là-bas, j’en ai déjà expédié beaucoup. Les modalités d’expédition sont au point. Nous vous demandons seulement à vous, libres chrétiens, de nous donner ce qui doit aller à vos frères et sœurs de l’Église Clandestine. Quand j’étais encore en Roumanie, j’ai reçu moi-même beaucoup de Bibles par certains intermédiaires. L’envoi ne pose donc pas de problème. Il suffit que vous nous donniez ce qui doit être expédié.

Ils en ont là-bas un besoin extrême. Depuis vingt ou cinquante ans, en Russie et dans les pays satellites, des milliers de chrétiens n’ont jamais vu de Bible ni d’Évangile.

Un jour des paysans tout crottés sont venus me voir. Ils avaient quitté leur village dans l’intention de s’embaucher pour bêcher tout l’hiver la terre gelée afin de gagner de quoi s’acheter... une Bible, même vieille et déchirée, qu’ils rapporteraient chez eux. J’en avais reçu d’Amérique, je pus leur en donner une, et non pas déchirée, mais toute neuve. Ils n’en croyaient pas leurs yeux. Ils voulurent me payer avec l’argent qu’ils avaient gagné en défonçant la terre gelée. J’ai refusé, bien entendu. Ils s’en retournèrent en hâte et quelques jours plus tard je reçus une lettre, pleine d’une joie débordante, qui me remerciait pour « les Écritures ». Elle était signée par trente villageois. Ils avaient partagé ma Bible en trente morceaux et se les passaient l’un à l’autre.

Il est émouvant au possible d’entendre un Russe quémander une page de la Bible. Il en nourrit son âme. C’est très volontiers qu’ils l’échangent contre une vache ou une chèvre. Je connais un homme qui a vendu son anneau de mariage pour se procurer un Nouveau Testament en mauvais état. Nos enfants n’ont jamais vu une carte de Noël. S’ils en trouvaient une, tous les gosses de l’endroit se rassembleraient autour, un vieillard leur expliquerait l’Enfant Jésus et la Sainte Vierge, et cela les mènerait jusqu’à l’histoire du Christ et de la Rédemption. Tout cela... à partir d’une simple carte de Noël. Nous pouvons expédier Bibles, Évangiles et autres livres. Voilà pour vous une manière de faire quelque chose.

Troisièmement, nous devons imprimer et envoyer des études destinées spécialement à combattre le poison athée administré à la jeunesse depuis le jardin d’enfants jusqu’au collège. Les communistes ont fabriqué un Guide de l’Athée qui est la Bible de l’athéisme. Des versions simplifiées en sont utilisées au jardin d’enfants, d’autres de plus en plus élaborées suivent le jeune à mesure qu’il grandit. Cette « Bible » du mal qui l’accompagne durant toute sa croissance l’empoisonne tout le long du chemin. Le monde chrétien n’a jamais imprimé de réponse au Guide de l’Athée. Nous pouvons et devons le faire, et envoyer là-bas cette réponse chrétienne aux enseignements vénéneux de l’athéisme. Et c’est tout de suite qu’il faut le faire, parce que l’Église Clandestine n’a rien à donner à la jeunesse intoxiquée par ce guide. Elle aura les mains liées derrière le dos tant qu’elle ne disposera pas d’imprimés de cette sorte dans toutes les langues parlées en pays communistes.

Il faut que nos jeunes, contaminés, connaissent cette réponse – la réponse de Dieu – la réponse chrétienne – la nôtre. Voilà encore pour vous une manière de nous aider : nous fournir, sous forme de livres illustrés pour la jeunesse et de Bibles pour enfants, ces publications, ces antidotes contre le Guide de l’Athée.

La quatrième chose que nous devons faire est de travailler « la main dans la main » avec les membres de l’Église Clandestine en leur fournissant les moyens financiers de voyager et d’aller ci et là pour des prédications évangéliques en petit comité. En ce moment beaucoup d’entre eux sont « cloués » à la maison faute des fonds qui leur permettraient d’acheter billets de chemin de fer ou de car et nourriture pour le voyage. Et les voilà rivés, incapables de se déplacer, cependant qu’à 30 ou 40 km des villages les appellent pour des réunions secrètes. Avec 50 ou 100 francs par mois nous pouvons leur donner la possibilité de répondre à ces appels et de porter plus loin encore, dans les campagnes et les villes, la Parole de Dieu.

Animés d’un ardent amour pour les âmes égarées, des pasteurs qui ont été chassés de leur église et emprisonnés pour leur foi sont porteurs d’un brûlant message évangélique, mais ils n’ont pas les moyens de le faire connaître. Ces dons mensuels les leur accorderont.

Quant aux laïcs chrétiens, hommes ou femmes, eux aussi ont grand besoin d’aide. En raison même de leur qualité de chrétiens ils gagnent à peine de quoi vivre et il ne leur reste rien pour aller de village à village, de ville en ville avec des Évangiles. Voilà un « miracle » que quelques francs chaque mois pourront opérer.

Et les pasteurs de l’Église légale qui mènent à grands risques un ministère parallèle clandestin ? Pour cette tâche il leur faut pouvoir disposer de fonds secrets. Le « salaire » que leur octroie le gouvernement communiste est extrêmement réduit. Ils ont beau mépriser les règlements officiels et risquer leur liberté pour prêcher en cachette l’Évangile aux enfants, aux jeunes et même aux adultes, leur bonne volonté est loin de suffire. Il faut leur donner la possibilité de poursuivre leur fructueux ministère secret. 50 ou 100 francs par mois les aideront à semer efficacement l’Évangile. Et voilà pour vous une autre manière de venir en aide à l’Église Clandestine.

Nous lançons déjà par radio des émissions évangéliques pour vingt pays communistes. En utilisant des émetteurs du monde libre, nous alimenterons spirituellement l’Église clandestine qui a grand besoin elle-même du Pain de Vie. Les gouvernements communistes se servent des ondes courtes pour leur propagande parmi leurs peuples, ce qui fait que des millions de Russes et autres nationaux possèdent des postes qui recevront nos émissions. Dès maintenant des portes nous sont ouvertes qui nous assurent l’usage de quelques émetteurs. Ce travail de radiodiffusion doit se développer pour fournir abondamment la nourriture spirituelle à l’Église clandestine des pays communistes. Et voilà encore pour vous une autre occasion de nous aider.

 

 

LE DRAME DES FAMILLES DES MARTYRS CHRÉTIENS

 

Elles aussi ont besoin de secours. En ce moment même des dizaines de milliers de ces familles souffrent plus qu’on ne saurait dire. Quand un fidèle de l’Église clandestine est arrêté, un drame terrible s’abat sur les siens. La loi interdit absolument de leur venir en aide et les communistes mettent tout en œuvre pour aggraver le malheur de la femme et des enfants abandonnés. Le départ d’un chrétien pour la prison – et souvent la torture et la mort – n’est pour sa famille que le commencement du malheur ; elle ne cessera plus de souffrir. Je peux me donner en exemple : si de simples chrétiens du monde libre ne nous avaient pas envoyé de secours, à moi et aux miens, nous n’aurions pas survécu, nous ne serions pas venus vivre parmi vous et je n’écrirais pas ces lignes.

En ce moment même, une nouvelle vague d’arrestations massives et de terreur déferle à travers la Russie et ailleurs. Le nombre des martyrs augmente tout le temps. Bien qu’ils aillent par la tombe à la récompense, le sort de leurs familles n’en est pas moins affreusement tragique. Il faut les aider, c’est un devoir. Assurément nous devons secourir les sous-alimentés des Indes et de l’Afrique. Mais qui donc mérite davantage les secours des chrétiens que les familles de ceux qui sont morts pour le Christ ou qui sont torturés dans les prisons communistes en haine de leur foi ?

Ces secours, la Mission Chrétienne Européenne leur en a envoyé beaucoup déjà depuis ma libération. Ce qui a été fait est pourtant bien peu de chose en comparaison de ce que nous pourrons faire, si vous nous aidez.

Comme membre survivant de l’Église Clandestine, sauvé et libéré par miracle, je vous ai apporté un message, un appel, un plaidoyer de la part des frères que j’ai laissés là-bas.

Je vous ai dit l’urgence de porter le Christ au monde communiste. Je vous ai dit l’urgence d’envoyer des secours aux familles des martyrs chrétiens. Je vous ai dit les moyens pratiques que vous avez d’aider l’Église Clandestine à remplir sa mission de Semeuse d’Évangile.

Quand on me fustigeait la plante des pieds, ma langue criait. Pourquoi ma langue ? Ce n’était pas elle qui était battue. Mais elle criait parce que langue et pieds font partie d’un même corps. Et vous, chrétiens libres, vous êtes partie de ce même corps du Christ qui est flagellé dans les prisons communistes et qui en ce moment donne des martyrs au Christ.

Pouvez-vous ne pas ressentir nos douleurs ?

C’est la primitive Église qui, dans toute la beauté de son dévouement et de son sacrifice, revit dans les geôles communistes.

Pendant son agonie, tandis que Notre Seigneur Jésus-Christ priait au Jardin de Gethsémani, Pierre, Jacques et Jean se trouvaient à la distance d’un jet de pierre du plus grand drame de l’histoire, mais ils étaient plongés dans un profond sommeil. Et vous, chrétiens, en quelle mesure vous intéressez-vous à l’Église martyre, et quel secours lui apportez-vous ? Demandez à vos pasteurs et aux chefs de vos Églises ce qu’ils font en votre nom pour aider vos frères et vos sœurs de derrière le Rideau de fer.

Là-bas se renouvellent le drame, la vaillance et le martyre de la Primitive Église... et l’Église libre dort.

Là-bas, seuls et sans aide, nos frères, courageusement engagés dans la plus grande bataille du XXe siècle, égalent en vaillance, en dévouement, en héroïsme les chrétiens de la primitive Église. Et, sans souci de leur lutte et de leur agonie, tout comme Pierre, Jacques et Jean dormaient pendant l’agonie de leur Sauveur, l’Église libre dort.

Pendant que vos frères dans le Christ de l’Église Clandestine souffrent et combattent seuls pour l’Évangile, allez-vous dormir, vous aussi ?

Entendrez-vous notre message : « Souvenez-vous ! Aidez-nous ! Ne nous laissez pas dans la détresse ! »

J’en ai fini. Je vous ai transmis le message de la fidèle Église Clandestine martyrisée dans les pays communistes, le message de vos frères et sœurs qui souffrent dans les chaînes du communisme athée.

 

 

Richard WURMBRAND,

L’Église du silence torturée pour le Christ,

8e édition, Apostolat des Éditions.

 

Traduit de l’anglais par Joseph Thérol.

 

 

 

 



[1] Underground Church, littéralement Église souterraine.

[2] Pour comprendre clairement ce passage, il faut recourir au texte anglais. En anglais Personne se dit Nobody, ce qui littéralement signifie « Pas de corps ». Les deux Russes disaient donc : « Au ciel il n’y a pas de corps. » D’où un jeu de mots Intraduisible en français et la réponse du pasteur : « En effet Dieu n’a pas de corps. »

[3] Effectivement, ce n’est que légende. Voir à ce sujet L’Histoire assassinée de Jacques Heers. (Note de Biblisem.)

[4] La première édition de cet ouvrage a été publiée en octobre 1967.

 

 

 

 

 

 

 

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