La prière

 

 

Son regard humble et doux est baissé vers la terre ;

Elle aime des autels le degré solitaire :

Son cœur, comme l’encens, brûle dans le saint lieu ;

Souvent, dans sa fureur, Dieu se lève et menace :

Le pécheur va périr... elle s’offre en sa place,

        Et calme le courroux de Dieu.

 

C’est elle dont la voix anime la nature ;

Libre, on la voit errer dans le vague murmure

Des bois que le zéphyr agite mollement,

Dans les parfums des fleurs qui montent en silence,

Dans les nuages purs qu’un vent léger balance

        Aux bords lointains du firmament.

 

Elle suit dans les airs les brises passagères ;

Elle s’élève à Dieu dans les vapeurs légères

Que la terre arrosée exhale de son sein ;

Des sages inspirés elle accorda la lyre ;

Et dans les cieux encor c’est elle qui soupire

        Sur la harpe du séraphin.

 

Souvent des monts altiers elle gravit les cimes ;

Elle aime les vieux rocs, ces barrières sublimes,

Du roi de l’univers mystérieux autels.

Là, seule devant Dieu, le front dans la poussière,

Des pleurs du repentir elle inonde la pierre,

        Et s’immole pour les mortels.

 

C’est là, parmi ces rocs, au bord des lacs immenses,

Que j’écoutais, enfant, du sein des longs silences,

Ses chants harmonieux s’élever dans les airs :

C’est là que, sur ses pas, je volais loin du monde

Chercher les plaisirs purs, et cette paix profonde

        Qui repose dans les déserts.

 

« Seigneur, disais-je alors, que suis-je en ta présence ?...

« Les éléments soumis accourent en silence

« Du bout de l’univers se ranger sous ta loi.

« Les mondes que ta main a jetés dans l’espace,

« La terre et les mortels qui couvrent sa surface,

         « Grand Dieu ! que sont-ils devant toi ?... »

 

Partout mon cœur te cherche et mon âme t’implore :

Quand la voix du matin vient éveiller l’aurore,

Le murmure des vents te porte mes soupirs ;

Et quand l’astre du soir commence sa carrière,

Alors encor vers toi ma brûlante prière

        Monte sur l’aile des zéphyrs.

 

Souvent pour te louer ma harpe frémissante

S’accorde, dans la nuit, à ma voix gémissante :

Ses sons harmonieux se perdent dans les bois,

Et mêlant ses concerts à l’hymne de louanges,

Du sein de la forêt le chœur lointain des anges

        S’éveille, et répond à ma voix.

 

Ainsi, le jour au jour répète mes cantiques,

La nuit dit à la nuit mes chants mélancoliques :

Mais quand dans cet exil, où ta main m’a jeté,

Mon cœur de tes bienfaits repasse la mémoire ;

Quand un rayon divin, émané de ta gloire,

        Me révèle ta majesté,

 

Je disais, et tes saints te portaient ma prière ;

Alors de plaisirs purs tu semais ma carrière ;

Alors comme au bonheur s’ouvrant à ton amour,

Mon cœur était en paix : ainsi la fleur timide,

Dans les airs parfumés levant sa tête humide,

        S’entrouvre aux rayons d’un beau jour.

 

Dans quel ravissement mon âme était plongée !...

Le temps a fait un pas... la terre s’est changée.

Soumise à tes décrets, j’ai vécu pour souffrir :

Que de songes détruits ont trompé mes années !

Que de liens rompus ! que de fleurs moissonnées !

        Que de tombeaux j’ai vu s’ouvrir !

 

Mais je n’ai pas cessé de bénir ta justice :

Je n’ai point, ô mon Dieu, repoussé le calice

Que ta main équitable a préparé pour moi !

Je n’ai point déserté le seuil de ta demeure,

Et du fond de l’exil, en tous lieux, à toute heure,

        Ma douleur s’exhale vers toi !

 

Alors, prête à voler vers la plaine éthérée,

Du feu de ton amour mon âme dévorée

Veut briser les liens de sa captivité ;

Elle fuit loin du monde, et, déployant ses ailes,

Monte et va s’enivrer aux voûtes éternelles

        De gloire et d’immortalité !

 

 

 

Félicie d’AÏZAC.

 

Recueilli dans Femmes-poètes de la France,

anthologie par H. Blanvalet, 1856.

 

 

 

 

 

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