La petite sœur

 

À MA FILLE.

 

 

Écoute, lorsqu’on est bien sage, mon enfant,

Lorsque l’on n’a rien fait de ce que Dieu défend,

Si l’on vient à mourir, le bon Dieu qui nous aime

Nous prend auprès de lui, nous donne des joujoux,

Dit aux anges du ciel de jouer avec nous,

Et l’on peut devenir un bel ange soi-même.

 

Ta mère, que sitôt, chère enfant, tu perdis !

Le bon Dieu l’appela dans son beau paradis :

Car elle était si sage, et si belle, et si bonne,

Qu’un jour il envoya ses anges la chercher...

Ils sont venus, malgré nos pleurs, nous l’arracher,

Pour lui donner là-haut une blanche couronne.

 

Tout ce que l’on désire, au ciel on peut l’avoir :

Ta mère regretta bientôt de ne plus voir,

De ne plus embrasser ses deux petites filles.

Dieu dit aux plus charmants de ses anges : « Voyez

Sur la terre, là-bas, bien loin, dessous vos pieds,

Ces enfants toutes deux si sages, si gentilles.

 

« Pour un seul, deux c’est trop : il les faut partager.

Allez, et par vos jeux essayez d’engager

La plus jeune à venir rejoindre ici sa mère.

Que l’autre reste : elle a son père à consoler ! »

Les anges tout joyeux aussitôt de voler,

Leur aile en un instant les porte sur la terre.

 

Les voilà près du lit où repose ta sœur.

Ils trouvent sur ses traits une telle douceur,

Qu’ils s’arrêtent auprès, tout émus de surprise.

Elle était belle ainsi qu’une fleur au matin,

Sa peau souple effaçait l’éclat du blanc satin ;

Ses lèvres.... on eût dit d’une fraîche cerise.

 

Ses cheveux sur son col en blonds anneaux tremblaient ;

Rapprochés de son cœur, ses petits bras semblaient

Surpris par le sommeil, croisés pour la prière.

De sa robe sortaient deux pieds blancs et rosés ;

Ils étaient si mignons !... je les aurais baisés,

Les pieds de mon enfant, une journée entière !

 

Les anges se disaient entre eux : « Oh ! quel plaisir

Nous ferons à la mère en comblant son désir ;

Comme elle embrassera cette enfant si jolie ! »

Mais, ils ne voyaient pas combien j’allais pleurer,

Moi, ne retrouvant plus qu’une fille à serrer

Sur ce sein, d’où l’épouse avait été ravie !

 

Et, pour ne pas brusquer le moment du réveil,

Les anges lui parlaient durant son doux sommeil.

Et ta sœur, en dormant, souriait aux beaux anges,

Et t’appelait, disant : « Adèle, viens donc voir,

Viens : ces enfants m’ont dit que maman veut m’avoir ! »

Tu ne comprenais rien à tous ces mots étranges.

 

« Viens, répétaient toujours les messagers de Dieu :

Nous allons, en volant, t’emporter dans un lieu

Où tu retrouveras ta maman, qui t’appelle.

Là, nous folâtrerons sur les gazons fleuris,

Et les plus beaux joujoux qui soient au paradis,

Ils seront tous pour toi, douce enfant, et pour elle. »

 

Leurs yeux étaient si purs, leur langage si doux,

Que ta petite sœur ne songeait plus à nous

Et d’amitié pour eux se sentait tout éprise ;

Car leur robe brillait comme un ciel étoilé,

Et l’on était ému quand ils avaient parlé,

Comme lorsqu’on entend chanter l’orgue à l’église.

 

Alors, sans l’éveiller, la tenant par la main,

Sur leurs ailes d’azur franchissant le chemin,

Ils allèrent au ciel la porter à sa mère.

Quand je vins pour revoir mon trésor adoré,

Je ne retrouvai plus ta sœur... et je pleurai...

– Seule, tu me restais, mon enfant, sur la terre.

 

 

 

Louis ALVIN, Souvenirs de ma vie littéraire.

 

 

Recueilli dans Anthologie belge, publiée sous le patronage du roi

par Amélie Struman-Picard et Godefroid Kurth,

professeur à l’Université de Liège, 1874.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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