Le christianisme
Hier, dimanche, relu et extrait tout l’Évangile de Saint-Jean. Il m’a confirmé dans ma pensée que sur Jésus, il faut n’en croire que Lui et découvrir l’image vraie du fondateur derrière toutes les réfractions prismatiques à travers lesquelles Il nous parvient et qui l’altèrent plus ou moins. Rayon lumineux et céleste tombé dans le milieu humain, la parole du Christ a été brisée en couleurs irisées et déviées en mille directions. La tâche historique du christianisme est, de siècle en siècle, de subir une nouvelle métamorphose, de spiritualiser toujours plus l’intelligence que nous avons du Christ et du Salut.
Je suis stupéfait de l’incroyable somme de judaïsme, de formalisme qui subsiste encore dix-neuf siècles après que le Rédempteur a proclamé que c’était la lettre qui tuait et que le symbolisme était mort. La nouvelle religion est si profonde quelle n’est pas même comprise à l’heure qu’il est et paraît blasphématoire à la plupart des chrétiens. La personne du Christ est le centre de cette révélation ; révélation, rédemption, vie éternelle, divinité, humanité, propitiation, incarnation, jugement, satan, ciel, enfer, tout cela s’est matérialisé, épaissi et présente cette étrange ironie d’avoir un sens profond et d’être interprété charnellement. La hardiesse et la liberté chrétiennes sont à reconquérir ; c’est l’Église qui est hérétique, l’Église dont la vue est trouble et le cœur timide. Bon gré, mal gré, il y a une doctrine ésotérique. Il y a une révélation relative : chacun entre en Dieu autant que Dieu entre en lui et, comme le dit Angelus, je crois, l’œil par où je vois Dieu est le même œil par où il me voit.
Le Christianisme, s’il veut triompher du panthéisme, doit l’absorber ; pour nos pusillanimes d’aujourd’hui, Jésus serait entaché d’un odieux panthéisme, car il a confirmé le mot biblique : « Vous êtes des dieux », et Saint-Paul aussi nous dit que nous sommes la « race de Dieu ».
À notre siècle, il faut une dogmatique nouvelle, c’est-à-dire une explication plus profonde de la nature de Christ et des éclairs qu’elle projette sur le ciel et sur l’humanité.
Henri-Frédéric AMIEL, Journal.
Paru dans Psyché en 1910.