Enseignement d’amour

 

 

                              I

 

J’ai au cœur une pensée et un désir nouveau

Qui me fait totalement aimer

La meilleure qui se vêt ou se dépouille

De ce côté-ci et au-delà de la mer,

Par qui je suis joyeux et de bonne humeur.

Et je me réjouis en jouant et en chantant.

Qui (se) prend à aimer si hautement

Doit bien avoir dans le cœur et dans l’esprit

De servir une dame toute gente ;

Ainsi plaît-il à Amour, ainsi l’ordonne-t-il.

 

 

                              II

 

Auprès d’elle, il doit rester paré, élégant et gai,

Courtois et de bel accueil,

Libéral et instruit dans les (choses du) cœur ;

Preux et sage, celui qui met son entendement dans l’amour,

Et son visage (doit) toujours rire

Et se bien comporter en tout ;

Car, en amour, on ne veut que gaieté,

Jeu et ris et chant et allégresse,

En acquérant l’amour avec bonté

Pour être en tout(e chose) fin connaisseur.

 

 

                              III

 

D’une chose, je te veux avertir :

Ne donne pas connaissance à autrui de ton amour,

Car c’est grande vilenie de mentir impudemment.

Et si tu vas et te tiens avec d’autres gens

Et si tu vois venir ta dame,

Garde-toi de faire aucun geste

D’où elle pourrait se trouver abaissée.

Ainsi, votre amour pourra durer,

Et cela est vrai, et il y a fine certitude

Qu’elle t’en vouera un plus grand amour.

 

 

                              IV

 

Mais je te donne avis d’une chose :

Que personne ne veuille avoir l’intention

Que son amour soit connu

De quelqu’un qu’il ait à craindre,

Car il est frappé d’un si mauvais coup

Que cent bons le redoutent.

Les méchants ne se donnent souci de rien d’autre

Que de vivre pour découvrir,

Et l’on ne peut faire la même bataille

Pour couvrir son amour.

 

 

                              V

 

Et si la chance voulait t’aider

De venir entretenir des dames,

Prends sagement garde au commencement,

Et aie prévoyance de la fin

Pour que la belle ne puisse te blâmer

Ni te railler dans ta déclaration.

D’une autre chose, je te rends informé :

C’est de lui dire avec netteté ta pensée ;

Car, pour requérir ou pour traiter d’amour,

Ce n’est ni damoiseau, ni chevalier qui le fera.

 

 

                              VI

 

Mais surtout, je te veux instruire

De savoir garder piété

Et d’aimer Dieu par-dessus les autres choses ;

Garde-toi de moquer le pauvre,

Et si tu viens à parler avec une dame,

Ne la fais pas trop rire auparavant ;

Car Salomon et l’Écriture disent

Que le rire est porté par folle nature ;

Car dame sage fait bien attention et se soucie

De celui à qui elle doit donner son amour.

 

 

 

 

Anonyme italien du XIIIe s., Enseignements moraux.

 

Recueilli dans Poésie italienne du Moyen Âge,

textes recueillis, traduits et commentés

par Henry Spitzmuller,

Desclée De Brouwer, 1975.

 

 

 

 

 

 

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