Pour une Madone

 

 

                                                 Aux Noëlistes de Reims,

                                                 fraternellement.

 

 

MADONE qui rêviez au milieu d’un vitrail,

Dans la sérénité mauve du crépuscule,

Parmi les lis de nacre et des roses d’émail ;

 

Vous que les encens bleus voilaient d’un léger tulle,

Isolant votre songe immuable et divin

Des rumeurs de la nef où la foule circule,

 

Voici que mes regrets évoquent, ce matin,

Avec plus de tristesse encor que d’habitude,

Votre visage tendre et vos voiles de lin !...

 

Quelque verrier au maintien grave, à la voix rude,

Vêtu d’un drap laineux fourré de menu vair,

Et penchant son front las dégarni par l’étude,

 

Avait mêlé dans son creuset, sur un feu clair

Les sels cristallisés en paillettes ternies

Qui donnent les couleurs de saphir ou de chair.

 

Que de science et que de foi s’étaient unies

Pour que vos yeux soient bleus comme un coin d’horizon

Et recèlent des transparences infinies !...

 

Le vieillard mélangeait des lambeaux d’oraison

Aux mots mystérieux des formules savantes :

Il œuvrait en priant ; et c’est cette raison,

 

Ô Vierge, qui vous fit des lèvres si ferventes

Et qui joignit vos doigts en un geste si pur...

Car les Madones sont d’éternelles orantes !...

 

Quand le vitrail surgit, teint d’opale et d’azur,

Transpercé de clartés, beau comme nos prières,

Il fut comme un joyau dans l’ombre du vieux mur,

 

Et vous avez, dès lors, régné dans les lumières.

Les rayons qui tombaient jusqu’à nos yeux ravis

Étaient plus doux, ayant filtré sous vos paupières :

 

Tels des rêves très chers longuement poursuivis

Semblent meilleurs quand Dieu, par vous, les réalise.

La foule qui passait, lente, sur les parvis,

 

Et qui venait prier dans l’ombre de l’église,

Levait pieusement ses regards pleins d’amour

Vers la verrière où vous songiez, figure exquise.

 

Les nuits claires vous nimbaient d’astres, et le jour

Envoyait à longs flots sa lumière bénie

Teinter d’or les lis blancs qui formaient votre cour.

 

Vous étiez la douceur, vous étiez l’harmonie,

Le chef-d’œuvre d’un art que l’on ne connaît plus,

Le legs d’un passé mort, d’une gloire finie...

 

Dans la foule multicolore des élus

Qui peuplait les vitraux de votre cathédrale,

Toute blanche, vous écoutiez les angélus...

 

... Et voici que vint jusqu’à vous le flot vandale

Des lourds casques de fer posés sur des fronts durs !...

Qu’a-t-on fait du vitrail teint de ciel et d’opale ?

 

Rêveur, mon souvenir évoque vos traits purs !...

Où sont vos doigts ?... où sont, dans l’ogive en dentelles,

Les rouges précieux, les jaunes, les azurs,

 

Le visage si tendre aux célestes prunelles ?...

Où sont les lis de nacre et les roses d’émail ?...

... Les hauts piliers noircis sont vos funèbres stèles,

 

Madone qui rêviez au milieu d’un vitrail !...

 

 

 

Marie BARRÈRE-AFFRE,

Ouled-Salah, 1er décembre 1915.

 

 

 

 

 

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