L’idéal

 

                                                             Ultra

                                 Processit longe flammantia mænia mundi.

                                                                              (LUCRÈCE.)

 

De tout regard mortel aimant mystérieux

Brille au ciel l’astre-roi d’où la clarté ruisselle ;

Dieu réside plus haut ; sur son front glorieux

Du vrai, du bien, du beau la splendeur étincelle.

 

Au foyer des soleils nous cherchons la clarté

Pure et comme puisée en son principe même ;

Altérés d’idéal, d’amour et de beauté

Nous regardons vers Dieu, vers la source suprême.

 

Nos désirs enflammés ont l’infini pour but.

Loin d’un monde imparfait où tout s’altère et change

Nous portons devant Dieu, comme un riche tribut,

Nos aspirations vers un bien sans mélange.

 

Dans l’espace et le temps, pauvre esclave enfermé,

Le jour qui me sourit, le sillon que j’achève

Suffisent à mon corps pour d’humbles soins formé,

Mais voici que mon cœur souffre, interroge ou rêve...

 

Des ailes, pour voler à travers le ciel bleu !

Des ailes, pour m’enfuir loin du lieu d’esclavage !

Je reste et cependant je vous vois, ô mon Dieu !

Qui me tendez les bras sur un autre rivage.

 

Loin des brouillards confus du mortel horizon

J’irai, comme l’oiseau que la lumière appelle,

Vers l’éclatant foyer qui sur notre prison

Répand de l’art divin la splendeur immortelle.

 

Des ailes, pour m’enfuir loin d’un monde où la mort

Outrage la beauté dans le sépulcre enclose. –

Dans un moule idéal le caprice du sort

Semble tout ébaucher sans finir nulle chose.

 

Dans notre ciel mêlée à mille illusions

En vain la vérité resplendit sous un voile ;

C’est peu de soupçonner l’éclat de ses rayons

Et le reflet lointain fait regretter l’étoile.

 

Tu parles, ô Devoir, mais notre âme souvent

Écoute, au lieu de toi, la chanson des sirènes ;

Vers l’éternelle loi nous voguons, mais le vent

Vient détourner du port nos tremblantes carènes.

 

Dans les bosquets sacrés d’un primitif Éden,

Beauté, Dieu te créa, mais jaloux de son rêve

Il ne laissa flotter de ce rêve divin

Qu’un reflet éloigné sur le front pâle d’Ève.

 

Pourquoi ne pas finir votre œuvre commencé,

Mon Dieu, pourquoi jeter dans une âme imparfaite

Les aspirations du désir insensé,

Désespoir de l’artiste, hélas ! et du poète !

 

Des ailes ! donnez-moi des ailes pour voler,

Comme l’aigle au soleil, vers le but de ma vie,

L’idéal ! Donnez-moi, grand Dieu, de contempler

De vos perfections l’étendue infinie.

 

Des ailes, pour voler à travers le ciel bleu !

Des ailes, pour m’enfuir loin du lieu d’esclavage !

Je reste et cependant je vous vois, ô mon Dieu,

Qui me tendez les bras sur un lointain rivage !...

 

 

 

J.-Ét. BEAUVERIE.

 

Paru dans La Muse des familles en 1858.

 

 

 

 

 

 

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