À Lamartine

 

 

Dans les bois qui vibraient de sa sublime plainte,

Du chantre du printemps quand la voix s’est éteinte

            Au souffle aride de l’été ;

Quand, lassé de sa gloire et fuyant la lumière,

La flamme de son cœur se donne tout entière

            Aux soins de sa postérité ;

 

Devons-nous oublier, dans notre ingratitude,

L’instrument dont les sons charmaient la solitude

            Où, le soir, nous venions rêver,

Et, répandant sur nous un calme salutaire,

Jusqu’à des régions meilleures que la terre

            Semblaient vouloir nous élever ?

 

Lorsque la foule impie à l’insulter s’apprête,

Ah ! protégeons plutôt la paix de sa retraite

            Contre les armes des méchants ;

De ses tendres concerts célébrons le génie,

Et, remplis de son âme et de son harmonie,

            Soyons les échos de ses chants !

 

Lamartine, poète environné de gloire,

Pacifique héros qui vivras dans l’histoire ;

            Sur ton nom, qu’on va blasphémer,

Quand le fiel de l’envie est prêt à se répandre,

Ainsi je sens ma voix s’armer pour te défendre,

            Et mon cœur battre pour t’aimer.

 

Ne t’avons-nous pas vu calmer, dans leur colère,

Les sourds rugissements du lion populaire

            Brisant le rempart de nos lois ;

Et, défiant l’émeute au péril de ta vie,

Imposer par ton geste à la foule asservie,

            Et la dominer par ta voix ;

 

Puis, après avoir su gouverner cet orage,

Lorsque le flot humain eut repris son rivage,

            Comme un océan irrité,

Résigner le pouvoir, le front haut, les mains pures,

Et, simple citoyen, abdiquer sans murmures

            Ta courte popularité ?

 

Chantre aux divins accords, ô mon hôte, ô mon maître !

À toi mes faibles vers que les tiens ont fait naître

            Par un écho mystérieux ;

Trop content si je puis, dans mon humble délire,

Tirer timidement, des cordes de ta lyre,

            Quelques accents mélodieux !

 

Lorsque, dans les ennuis de ma longue souffrance,

De mon esprit troublé s’échappait l’espérance

            Qui laissait le mal triomphant ;

Bien souvent, opposés à ma douleur amère,

Tes vers consolateurs ont à ma tendre mère

            Conservé son unique enfant.

 

Que de fois j’ai trouvé, dans tes nobles ouvrages

Dont la main n’a jamais à déchirer de pages,

            Le calme et la sérénité !

Combien de fois, la nuit, tes strophes immortelles

Autour de moi veillaient et, de leurs chastes ailes,

            Dans mon sommeil, m’ont abrité !

 

Et je pourrais, assis dans mon indifférence,

Oubliant et ma dette et celle de la France,

            Grossir la liste des ingrats !

De ton disciple, oh ! non, ne crains pas cet outrage !

Dans mon âme, où sourit ta paternelle image,

            Jusqu’à ma tombe tu vivras.

 

Heureux qu’en te cherchant, mon filial hommage

Puisse, entre les écueils où t’a mis ton naufrage,

            Adoucir ton adversité ;

Et que, seule espérance où mon amour prétende,

Tu daignes accepter ma trop modeste offrande

            Honteuse de sa pauvreté.

 

Mais, au seuil de l’hiver, la triste poésie

Qui va, de fleur en fleur, choisir son ambroisie,

            Ne ramasse que peu de miel ;

Mais tu sais comme moi que la muse chrétienne

N’a jamais de lien qui, par l’or, la retienne,

            Et que son trésor est au ciel.

 

 

 

Francis BELLIER,

Poésies dédiées à tous ceux

qui ont souffert, 1863.

 

 

 

 

 

 

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