Alma Mater

 

 

Terre, Terre sacrée, ô matrice du monde,

Infatigable mère, ô Cybèle, ô Rhéa,

Je ne puis rendre hommage à ta force féconde

Qu’en saluant en toi le Dieu qui te créa.

 

Ne garde point rigueur, Terre, à nos ignorances

Qui comprennent si tard tes sublimes attraits

Et se laissent séduire avec des apparences

Plutôt que d’admirer des charmes sans apprêts.

 

On nous voit trop souvent dédaigner tes merveilles

Pour le lointain des mers ou les hauteurs du ciel...

L’intangible revêt des beautés sans pareilles

Pour notre pauvre esprit si superficiel.

 

Mais un jour vient, pourtant, ô Terre, où tu te venges…

C’est quand nos pensers, las de tant de songes vains,

Découvrent les trésors qui dorment sous tes fanges

Et l’œuvre patient de tes labeurs divins.

 

C’est quand nos yeux, brûlés par la trace des larmes,

Se reposent sur la fraîcheur de tes gazons

C’est quand, à nos espoirs usés partant d’alarmes,

Se révèle le faste incessant des saisons!…

 

C’est surtout quand l’exil prolongé dans les villes

De ta simplicité nous a longtemps privés,

Et que l’horreur nous prend des besognes serviles

Avec l’âpre désir des idéals rêvés.

 

Alors, ainsi que va, tremblant, vers sa nourrice,

L’enfant qui s’est blessé, pour chercher un secours,

Nous revenons vers toi qui sais être propice

À tous les désespoirs, à toutes les amours;

 

Car si ton sein puissant est le dépositaire

Des splendeurs du Passé qu’on ne peut retenir,

Il a pour rôle, aussi, de protéger, ô Terre,

L’impérieux élan des droits de l'avenir.

 

Et ta plus haute gloire, et ton mérite, en somme,

N'est pas d'être un rempart à la fureur des flots,

Ni le socle où splendit la noblesse de l’homme,

Ni le globe que Dieu sut tirer du chaos,

 

Ni la tiède corbeille où fleurissent les roses,

Ni la huche géante où gît le pain des corps,

Ni l’écrin ténébreux au fond duquel reposent

Les féeriques palais des gemmes et des ors

 

Ta gloire, à toi, toi l’éternelle Inassouvie,

Qui sais être à la fois la tombe et le berceau,

C’est d’avoir pu créer, avec la mort la vie,

Et mis sur tes arrêts un baiser comme sceau

 

C’est de rester avec sérénité la cible

Des caprices du temps, du jeu des éléments,

Pour mieux symboliser l’espérance invincible

En étant le creuset des Recommencements.

 

                                                            Savoie, 1910.

 

 

Lya BERGER, Les Effigies, 1905-1911.

 

 

 

 

 

 

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