La ville d’Is

 

 

En longeant les récifs de la côte bretonne,

Le vieux marin prétend que, par un ciel très pur,

Quand le flot est bien clair, ne bat ni ne moutonne,

Sous sa barque il a vu, dans un lointain d’azur,

Tout au fond de la mer, une ville engloutie.

 

Il vous affirmera que c’est la cité d’Is,

L’ancêtre de Sodome, en marbre blanc bâtie

Par les fils de Caïn dans les temps de jadis.

Impie avec orgueil, fameuse par ses vices,

Elle étalait son crime à la face de Dieu ;

Mais aux jours de déluge, Is et ses maléfices

Sous le fléau vengeur sombrèrent en ce lieu.

Or, depuis cinq mille ans qu’elle est là sous les ondes,

La cité des maudits pour sûr n’existe plus ;

Elle a dû s’enliser dans les fanges profondes,

Ou s’écrouler au choc terrible des reflux.

– Non. La mer n’a pas pu la broyer sous sa lame ;

Et, plus le ciel est clair au-dessus du détroit,

Plus limpide est le flot qui recouvre l’infâme,

Plus on peut voir encor la ville en cet endroit.

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Le cœur, comme la mer, a des ignominies,

Des secrets criminels, des fautes du passé ;

On se dit que le temps cache ces vilenies,

Et que le mal ancien dans l’âme est effacé.

– Erreur ! car c’est la ville antédiluvienne :

Vous pouvez oublier vos antiques forfaits,

Leur vestige est resté. Qu’un jour en vous survienne

L’ambition du Bien ! À tous les progrès faits

Vers le noble idéal, vous verrez reparaître

Les souillures d’antan par-dessus vos vertus.

El c’est pourquoi les saints finissent tous par être

De grands désespérés qui meurent abattus.

Plus ils ont reflété de lumière divine,

Plus ils se sont faits purs en devenant meilleurs,

Plus Is est apparue, Is l’immonde ruine,

Is le mal d’autrefois, toujours là dans leurs cœurs !

 

 

 

Georges BLOT, Heures de rêve.

 

Recueilli dans les Suppléments à l’Anthologie

des poètes français contemporains, 1923.

 

 

 

 

 

 

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