J’ai soupesé le blé

 

 

J’ai soupesé le blé qui glissait dans ma main.

– Blé, je vénère en toi le beau labeur humain.

 

J’ai vu trembler au vent un champ d’orge et de seigle

Près du sauvage roc ou se cache un nid d’aigle.

 

Né hasardeusement du plus aride sol,

Tu m’es plus cher encor, humble blé cévenol.

 

Toi, si frêle et menu, toi que rien ne protège,

Tu dors ton blanc sommeil sous le gel et la neige.

 

Les averses d’avril où passent des rayons

Font gonfler la semence et verdir les sillons.

 

Le vent s’élance sur ta tige : elle l’affronte.

Elle boit la rosée et l’azur, elle monte !

 

L’été vient et juillet verse l’or sur l’épi.

Il regarde la terre, il s’incline, assoupi.

 

Un jour les moissonneurs demi-nus, bras à l’aise

S’enfoncent dans le champ, comme en une fournaise.

 

Quel labeur ! Mais quand naît le soir mystérieux,

Un gerbier, blonde tour, s’élève vers les cieux.

 

Ô blé ! voilà ta simple et lumineuse histoire.

Tu meurs, mais c’est ta mort qui fait jaillir ta gloire !

 

Le grain lent à mûrir qu’un moulin va broyer,

Puisse Dieu l’accorder au plus humble foyer !

 

Qu’une infaillible main largement le mesure

Et tous aurons leur part, même dans la masure.

 

Si dans cet univers un homme, un seul, a faim,

Le monde est imparfait et son effort est vain.

 

 

 

Marthe BOISSIER.

 

Recueilli dans Anthologie de la Société des poètes français, t. I, 1947.

 

 

 

 

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