La voix de la Fou

 

 

Le Canigou dort déjà avec ses sommets neigeux ; la nuit obscurcit mes châteaux de rochers ; les cavités de la Fou sont tristes et silencieuses ; seul, l’oiseau de proie fouille ces parages... Mais comme je crains les glissades en de tels précipices !

 

Étoile du Berger, éclaire la nuit sombre, répands un rayon de lumière, brille pour me guider !

 

Aucun bruit ne trouble ce calme trompeur ; seul arrive jusqu’à moi le bouillonnement du gouffre immense. Saisi d’effroi, pâle de terreur, je m’incline pensif au rebord de la pente, écoutant la clameur épouvantable de l’abîme.

 

Étoile du Berger, éclaire la nuit sombre, répands un rayon de lumière, brille pour me guider !

 

Es-tu soupir ou chant, ô voix mystérieuse ? Es-tu le doux refrain d’une aubade du ciel, ou bien la pitoyable rumeur des pleurs sans fin ? Oh ! réponds et tire-moi de mon doute cruel : pourquoi montes-tu vers moi, effroyable dans tes mugissements ?

 

Étoile du Berger, éclaire la nuit sombre, répands un rayon de lumière, brille pour me guider !

 

De quels endroits secrets sors-tu donc, et où vas-tu ? Si tu arrives de l’enfer, je comprends ton amertume ; mais si tu viens du ciel, pourquoi es-tu comme un glas funèbre ? Ô gouffre, explique-moi ton terrible vacarme ; pourquoi ta voix est-elle si rauque et si dure ?

 

Étoile du Berger, éclaire la nuit sombre, répands un rayon de lumière, brille pour me guider.

 

Mais seuls, tes sourds grondements, comme d’éternels tremblements de terre, ébranlent tes rochers, repoussant tes limites ; une écume née en tes enfers profonds monte, monte, noyant tout cet amas de roches d’une bave qui sort de tes excavations intérieures.

 

Étoile du Berger, éclaire la nuit sombre, répands un rayon de lumière, brille pour me guider !

 

Ô ciel, quel est mon sort !... déjà l’eau m’entraîne ! Mais non, gouffre, Dieu t’a dit : « Tu arriveras jusqu’ici ; cette ligne de rochers saura bien te servir de chaîne... » Et le gouffre, essayant de s’échapper de son lit, s’élève, gronde... et retombe devant un grain de sable !

 

Étoile du Berger, éclaire la nuit sombre, répands un rayon de lumière, brille pour me guider !

 

Ô bonheur ! l’étoile perce déjà le nuage ! Sur le sommet voisin, une ombre se révèle. Déjà le bon muletier entend les cris de détresse du Petit Pâtre qui soupire après sa bergerie... – Adieu, gouffre plein de clameurs ; adieu ; plains-toi tout seul ! –

 

Maintenant, dans la nuit noire, l’étoile resplendit, et, dans ma petite cabane, elle brille amoureusement.

 

 

Joseph BONAFONT.

 

Traduit du catalan par Jean Amade.

 

Recueilli dans Anthologie catalane (1re série : Les poètes roussillonnais),

avec Introduction, Bibliographie, Traduction française et Notes

par Jean Amade, agrégé de l’Université, professeur au Lycée

de Montpellier, 1908.

 

 

 

 

 

 

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