La chanson du sabotier

 

 

Vire, vire, ma terrière !

Vole, vole, mon paroir !

Au mitan de la clairière

Trimez du matin au soir !

 

Dans la forêt solitaire,

Virez, volez sans repos :

Faites voltiger à terre

L’or et l’argent des copeaux !

 

Ohé ! fouillez dans vos poches !

Ohé ! les riches fermiers !

Faut des sabots pour vos mioches

Ils sont nus leurs petits pieds !

 

Faut des sabots pour vos mères

Afin d’aller aux pardons ;

Des sabots pour vos commères

Pour danser les rigodons.

 

Pour les jeunes, pour les vieilles,

Pour toutes faut des sabots ;

J’en ai qui sont des merveilles

Tant ils sont légers et beaux !

 

J’en ai de lourds, tout en chêne,

Des coquets en merisier ;

J’en ai des petits en frêne,

Et des gros en châtaignier !

 

Venez me voir dans mon antre

De hêtres et de bouleaux ;

Chez moi sans frapper on entre,

Car mon huis n’est jamais clos.

 

Venez ! Jamais je ne triche !

Mes clients s’aident entre eux :

Cinq sous de plus pour le riche,

Cinq sous de moins pour le gueux.

 

Qu’elle est belle ma boutique,

La boutique au sabotier !

C’est comme une église antique

Que j’aurais pour atelier :

 

Les peupliers, par centaines,

En sont les rudes piliers ;

Les étangs et les fontaines

En sont les grands bénitiers,

 

Chaque soir, devant ma hutte,

J’écoute chanter, là-bas,

Le grand Vent dans une flûte

D’un orgue... qu’on ne voit pas !...

 

Ah ! les heureux que nous sommes,

Si libres sous le ciel bleu :

D’être loin, si loin des hommes

On est près, plus près de Dieu !

 

 

 

Théodore BOTREL, Contes du lit-clos, 1900.

 

 

 

 

 

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