À toi

 

 

J’accuse injustement le ciel quand je me plains,

Chère âme, de ne pas t’avoir plus tôt connue ;

Il ne tenait qu’à moi de hâter ta venue

En livrant ma pensée à des rêves divins.

 

Lorsque j’ai pressenti que j’allais te connaître,

Déjà je n’aimais rien qui ne fût immortel,

Et pour toi je parais mon cœur, comme un autel

Où l’adorable Enfant du miracle va naître.

 

Je n’étais pas encor digne de nommer Dieu,

Mais je répudiais la sagesse factice ;

Mes lèvres bénissaient la sereine justice,

Et je pleurais devant le ciel chastement bleu.

 

J’invoquais l’idéal qu’en toi je glorifie ;

Mes songes lentement le revêtaient d’un corps ;

Et de délicieux et mystiques accords

M’annonçaient chaque jour l’approche de ma vie.

 

J’ai connu ta splendeur par les yeux de la foi ;

J’ai mérité ta vue, âme chère et sacrée ;

Seul, j’ai fait mon bonheur, – et je t’ai rencontrée

Le jour où ton image était vivante en moi.

 

 

 

Maurice BOUCHOR.

 

Paru dans L’Année des poètes en 1890.

 

 

 

 

 

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